Ignace exercices 313

Discernement des esprits [1ère semaine]

313 Règles propres à faire discerner et sentir, en quelque manière, les divers mouvements excités dans l'âme, soit par le bon esprit, afin de les recevoir ; soit par le mauvais, afin de les repousser. Elles conviennent particulièrement à la première Semaine.

314 ‹ Première règle. ‹ A l'égard des personnes qui vont de péché mortel en péché mortel, la conduite ordinaire de l'ennemi est de leur proposer des plaisirs apparents, leur occupant l'imagination de jouissances et de voluptés sensuelles, afin de les retenir et de les plonger plus avant dans leurs vices et dans leurs péchés. ‹ Le bon esprit, au contraire, agit en elles d'une manière opposée : il aiguillonne et mord leur conscience, en leur faisant sentir les reproches de la raison.

315 ‹ Deuxième règle. ‹ Dans les personnes qui travaillent courageusement à se purifier de leurs péchés, et vont de bien en mieux dans le service de Dieu, notre Seigneur, le bon et le mauvais esprit opèrent en sens inverse de la règle précédente. Car c'est le propre du mauvais esprit de leur causer de la tristesse et des tourments de conscience, d'élever devant elles des obstacles, de les troubler par des raisonnements faux, afin d'arrêter leur progrès dans le chemin de la vertu ; au contraire, c'est le propre du bon esprit de leur donner du courage et des forces, de les consoler, de leur faire répandre des larmes, de leur envoyer de bonnes inspirations, et de les établir dans le calme, leur facilitant la voie et levant devant elles tous les obstacles, afin qu'elles avancent de plus en plus dans le bien.

316 ‹ Troisième règle. ‹ De la consolation spirituelle. J'appelle consolation un mouvement intérieur qui est excité dans l'âme, par lequel elle commence à s'enflammer dans l'amour de son Créateur et Seigneur, et en vient à ne savoir plus aimer aucun objet créé sur la terre pour lui-même, mais uniquement dans le Créateur de toutes choses.
La consolation fait encore répandre des larmes, qui portent à l'amour de son Seigneur l'âme touchée du regret de ses péchés, ou de la Passion de Jésus-Christ, notre Seigneur, ou de toute autre considération qui se rapporte directement à son service et à sa louange.
Enfin, j'appelle consolation toute augmentation d'espérance, de foi et de charité, et toute joie intérieure qui appelle et attire l'âme aux choses célestes et au soin de son salut, la tranquillisant et la pacifiant dans son Créateur et Seigneur.

317 ‹ Quatrième règle. ‹ De la désolation spirituelle. J'appelle désolation le contraire de ce qui a été dit dans la troisième règle : les ténèbres et le trouble de l'âme, l'inclination aux choses basses et terrestres, les diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, et la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse, et comme séparée de son Créateur et Seigneur.
Car comme la consolation est opposée à la désolation, les pensées que produit l'une sont nécessairement contraires à celles qui naissent de l'autre.

318 ‹ Cinquième règle. ‹ Il importe, au temps de la désolation, de ne faire aucun changement, mais de demeurer ferme et constant dans ses résolutions, et dans la détermination où l'on était avant la désolation, ou au temps même de la consolation. Car, comme c'est ordinairement le bon esprit qui nous guide et nous conseille dans la consolation, ainsi, dans la désolation, est-ce le mauvais esprit, sous l'inspiration duquel nous ne pouvons prendre un chemin qui nous conduise à une bonne fin.

319 ‹ Sixième règle. ‹ Quoique nous ne devions jamais changer nos résolutions au temps de la désolation, il est cependant très utile de nous changer courageusement nous-mêmes, je veux dire notre manière d'agir, et de la diriger tout entière contre les attaques de la désolation. Ainsi, il convient de donner plus de temps à la prière, de méditer avec plus d'attention, d'examiner plus sérieusement notre conscience, et de nous adonner davantage aux exercices convenables de pénitence.

320 ‹ Septième règle. ‹ Que celui qui est dans la désolation considère comment le Seigneur, pour l'éprouver, le laisse à ses puissances naturelles, afin qu'il résiste, comme de lui-même, aux diverses agitations et tentations de l'ennemi ; car il le peut avec le secours divin qui lui reste toujours, quoiqu'il ne le sente pas, parce que le Seigneur lui a soustrait cette ferveur sensible, cet amour ardent, cette grâce puissante, ne lui laissant que la grâce ordinaire, mais suffisante pour le salut éternel.

321 ‹ Huitième règle. ‹ Que celui qui est dans la désolation travaille à se conserver dans la patience, vertu directement opposée aux attaques qui lui surviennent ; et qu'il espère qu'il sera bientôt consolé, pourvu qu'il emploie comme nous l'avons dit dans la sixième règle, les moyens nécessaires pour vaincre la désolation.

322 ‹ Neuvième règle. ‹ La désolation a trois causes principales.
Premièrement, elle peut être un châtiment. Notre tiédeur, notre paresse, notre négligence dans nos exercices de piété, éloignent de nous la consolation spirituelle.
Secondement, elle est une épreuve. Dieu veut éprouver ce que nous pouvons, et jusqu'à quel point nous sommes capables de nous avancer dans son service et de travailler à sa gloire, privés de ces consolations abondantes et de ces faveurs spéciales.
Troisièmement, elle est une leçon. Dieu veut nous donner la connaissance certaine, l'intelligence pratique et le sentiment intime qu'il ne dépend pas de nous de faire naître ou de conserver dans nos coeurs une dévotion tendre, un amour intense accompagné de larmes, ni aucune sorte de consolation spirituelle ; mais que tout est un don et une grâce de sa divine bonté ; il veut nous apprendre à ne point placer trop haut notre demeure, en permettant à notre esprit de s'élever et de se laisser aller à quelque mouvement d'orgueil ou de vaine gloire, nous attribuant à nous-mêmes les sentiments de la dévotion et les autres effets de la consolation spirituelle.

323 ‹ Dixième règle. ‹ Que celui qui est dans la consolation pense comment il se comportera au temps de la désolation, et qu'il fasse dès lors provision de courage pour le moment de l'épreuve.

324 ‹ Onzième règle. ‹ Qu'il s'efforce aussi de s'humilier et de s'abaisser autant qu'il lui est possible, pensant de combien peu de chose il est capable au temps de la désolation, lorsqu'il est privé de la grâce sensible ou de la consolation. Au contraire, celui qui est dans la désolation se rappellera qu'il peut beaucoup avec la grâce, qu'elle lui suffit pour résister à tous ses ennemis, pourvu qu'il s'appuie sur le secours de son Créateur et Seigneur.

325 ‹ Douzième règle. ‹ Notre ennemi ressemble à une femme : il en a la faiblesse et l'opiniâtreté. C'est le propre d'une femme, lorsqu'elle se dispute avec un homme, de perdre courage et de prendre la fuite aussitôt que celui-ci lui montre un visage ferme ; l'homme, au contraire, commence-t-il à craindre et à reculer, la colère, la vengeance et la férocité de cette femme s'accroissent et n'ont plus de mesure.
De même, c'est le propre de l'ennemi de faiblir, de perdre courage et de prendre la fuite avec ses tentations, quand la personne qui s'exerce aux choses spirituelles montre beaucoup de fermeté contre le tentateur, et fait diamétralement le contraire de ce qui lui est suggéré. Au contraire, si la personne qui est tentée commence à craindre et à supporter l'attaque avec moins de courage, il n'est point de bête féroce sur la terre dont la cruauté égale la malice infernale avec laquelle cet ennemi de la nature humaine s'attache à poursuivre ses perfides desseins.

326 ‹ Treizième règle. ‹ Sa conduite est encore celle d'un séducteur : il demande le secret et ne redoute rien tant que d'être découvert. Un séducteur qui sollicite la fille d'un père honnête, ou la femme d'un homme d'honneur, veut que ses discours et ses insinuations restent secrets. Il craint vivement, au contraire, que la fille ne découvre à son père, ou la femme à son mari, ses paroles trompeuses et son intention perverse ; il comprend facilement qu'il ne pourrait alors réussir dans ses coupables desseins.
De même, quand l'ennemi de la nature humaine veut tromper une âme juste par ses ruses et ses artifices, il désire, il veut qu'elle l'écoute et qu'elle garde le secret. Mais si cette âme découvre tout à un confesseur éclairé, ou à une autre personne spirituelle qui connaisse les tromperies et les ruses de l'ennemi, il en reçoit un grand déplaisir ; car il sait que toute sa malice demeurera impuissante, du moment où ses tentatives seront découvertes et mises au grand jour.

327 ‹ Quatorzième règle. ‹ Enfin, il imite un capitaine qui veut emporter une place où il espère faire un riche butin. Il asseoit son camp, il considère les forces et la disposition de cette place, et il l'attaque du côté le plus faible. Il en est ainsi de l'ennemi de la nature humaine. Il rôde sans cesse autour de nous ; il examine de toutes parts chacune de nos vertus théologales, cardinales et morales, et, lorsqu'il a découvert en nous l'endroit le plus faible et le moins pourvu des armes du salut, c'est par là qu'il nous attaque et qu'il tâche de remporter sur nous une pleine victoire.

328

Autres règles qui traitent plus à fond la même matière du discernement des esprits. [2e semaine]

Elles conviennent surtout à la Seconde semaine.

329 ‹ Première règle. ‹ C'est le propre de Dieu et de ses Anges, lorsqu'ils agissent dans une âme, d'en bannir le trouble et la tristesse que l'ennemi s'efforce d'y introduire et d'y répandre la véritable allégresse et la vraie joie spirituelle. ‹ Au contraire, c'est le propre de l'ennemi de combattre cette joie et cette consolation intérieure par des raisons apparentes, des subtilités et de continuelles illusions.

330 ‹ Deuxième règle. ‹ Il appartient à Dieu seul de donner de la consolation à l'âme sans cause précédente, parce qu'il n'appartient qu'au Créateur d'entrer dans l'âme, d'en sortir, et d'y exciter des mouvements intérieurs qui l'attirent tout entière à l'amour de sa divine Majesté. Je dis sans cause, c'est-à-dire sans aucun sentiment précédent ou connaissance préalable d'aucun objet qui ait pu faire naître cette consolation au moyen des actes de l'entendement et de la volonté.

331 ‹ Troisième règle. ‹ Lorsqu'une cause a précédé la consolation, le bon et le mauvais ange peuvent également en être l'auteur ; mais leur fin est bien différente. Le bon Ange a toujours en vue le profit de l'âme qu'il désire voir croître en grâce et monter de vertu en vertu. Le mauvais ange, au contraire, veut toujours arrêter ses progrès dans le bien pour l'attirer enfin à ses intentions coupables et perverses.

332 ‹ Quatrième règle. ‹ C'est le propre de l'ange mauvais, lorsqu'il se transforme en ange de lumière, d'entrer d'abord dans les sentiments de l'âme pieuse, et de finir par lui inspirer les siens propres. Ainsi, il commence par suggérer à cette âme des pensées bonnes et saintes, conformes à ses dispositions vertueuses ; mais bientôt, peu à peu, il tâche de l'attirer dans ses pièges secrets et de la faire consentir à ses coupables desseins.

333 ‹ Cinquième règle. ‹ Nous devons examiner avec grand soin la suite et la marche de nos pensées. Si le commencement, le milieu et la fin, tout en elles est bon et tendant purement au bien, c'est une preuve qu'elles viennent du bon Ange ; mais si, dans la suite des pensées qui nous sont suggérées, il finit par s'y rencontrer quelque chose de mauvais ou de dissipant, ou de moins bon que ce que nous nous étions proposé de faire, ou si ces pensées affaiblissent notre âme, l'inquiètent, la troublent, en lui ôtant la paix, la tranquillité et le repos dont elle jouissait d'abord, c'est une marque évidente qu'elles procèdent du mauvais esprit, ennemi de notre avancement et de notre salut éternel.

334 ‹ Sixième règle. ‹ Quand l'ennemi de la nature humaine aura été découvert et reconnu à sa queue de serpent, c'est-à-dire par la fin pernicieuse à laquelle il nous porte, il sera utile à la personne qui aura été tentée de reprendre aussitôt la suite des bonnes pensées qu'il lui a suggérées, d'en examiner le principe, et de voir comment, peu à peu, il a tâché de la faire déchoir de la suavité et de la joie spirituelle dans laquelle elle était, jusqu'à l'amener à sa fin dépravée. L'expérience qu'elle acquerra par cette recherche et cette observation lui fournira les moyens de se mettre en garde dans la suite contre les artifices ordinaires de l'ennemi.

335 ‹ Septième règle. ‹ Le bon Ange a coutume de toucher doucement, légèrement et suavement l'âme de ceux qui font chaque jour des progrès dans la vertu ; c'est, pour ainsi dire, une goutte d'eau qui pénètre une éponge. Le mauvais ange, au contraire, la touche durement, avec bruit et agitation, comme l'eau qui tombe sur la pierre. Quant à ceux qui vont de mal en pis, les mêmes esprits agissent sur eux d'une manière tout opposée.
La cause de cette diversité est dans la disposition même de l'âme, qui est contraire ou semblable à la leur. Si elle est contraire, ils entrent avec bruit et commotion ; on sent facilement leur présence. Si elle est semblable, ils entrent paisiblement et en silence, comme dans une maison qui leur appartient et dont la porte leur est ouverte.

336 ‹ Huitième règle. ‹ Lorsque la consolation spirituelle est sans cause qui l'ait précédée, il est certain qu'elle est à l'abri de toute illusion, puisque, comme nous l'avons dit dans la seconde de ces règles, elle ne peut venir que de Dieu, notre Seigneur. Cependant la personne qui reçoit cette consolation doit apporter beaucoup d'attention et de vigilance à distinguer le temps même de la consolation du temps qui la suit immédiatement.
Dans ce second temps, où l'âme est encore toute fervente, et comme pénétrée des restes précieux de la consolation passée, elle forme de son propre raisonnement, par une suite de ses habitudes naturelles et en conséquence de ses conceptions et de ses jugements, sous l'inspiration du bon ou du mauvais esprit, des résolutions et des décisions qu'elle n'a pas reçues immédiatement de Dieu, notre Seigneur, et que, par conséquent, il est nécessaire de bien examiner avant de leur accorder une entière créance et de les mettre à exécution.

De la distribution des aumônes

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Règles à observer dans le ministère de la distribution des aumônes.

338 ‹ Première règle. ‹ Si je distribue des aumônes à des parents, à des amis ou à des personnes pour lesquelles je me sens de l'affection, je dois observer quatre points dont il a été fait mention dans la matière de l'Election 184 ,187 .
Le premier est que l'amour qui m'engage à faire l'aumône à ces personnes vienne du Ciel et ait sa source dans l'amour même que j'ai pour Dieu, notre Seigneur. Je dois donc, avant d'agir, sentir intérieurement que l'amour plus ou moins grand que je leur porte est pour Dieu et voir Dieu dans le motif qui me fait les aimer davantage.

339 ‹ Le second consiste à me représenter un homme que je n'ai jamais vu ou connu et à qui je désire toute la perfection à laquelle il peut atteindre dans l'exercice de son emploi ; puis je ferai moi-même, ni plus ni moins, ce que je voudrais qu'il fît dans la distribution de ses aumônes, prenant pour moi la règle que je lui conseillerais de suivre et que je juge être conforme à la plus grande gloire de Dieu et à la plus grande perfection de son âme.

340 ‹ Le troisième, à examiner, comme si je me trouvais à l'article de la mort, comment je voudrais m'être comporté dans l'exercice de mon emploi ; et, me réglant sur ce que je désirerais alors avoir fait, le mettre en pratique maintenant.

341 ‹ Le quatrième, à considérer ce que je penserai au jour du jugement. Comment voudrais-je alors m'être acquitté de ce ministère ? Quelle règle voudrais-je avoir suivie ?
C'est celle que je dois suivre à cette heure.

342 ‹ Deuxième règle. ‹ Lors donc que l'on ressent de l'inclination ou de l'affection pour les personnes entre lesquelles on désire répartir les aumônes, il faut d'abord suspendre sa détermination, puis faire sur les quatre points de la règle précédente des réflexions sérieuses, recherchant et examinant la source de l'affection que l'on éprouve, et ne se décider à faire l'aumône qu'après avoir, conformément à cette première règle, ôté entièrement et rejeté de son coeur toute affection déréglée.

343 ‹ Troisième règle. ‹ Bien que l'on puisse légitimement accepter des bénéfices ecclésiastiques pour en distribuer le fruit, quand on se sent appelé de Dieu, notre Seigneur, à cet état, il est cependant certain que dans la détermination de la quantité qu'il est permis de s'appliquer à soi-même et de celle que l'on doit distribuer aux autres, on peut avec raison craindre d'excéder et de blesser sa conscience. Il sera donc bon de réformer sa conduite en consultant les règles présentes.

344 ‹ Quatrième règle. ‹ Pour les raisons que nous avons déjà exposées et pour beaucoup d'autres, le meilleur et le plus sûr, lorsqu'il s'agit de dépenses personnelles et domestiques, est toujours de restreindre et de diminuer de plus en plus, jusqu'à se rapprocher autant que possible du Pontife souverain, notre règle et notre modèle, qui est Jésus-Christ, notre Seigneur. C'est conformément à cette règle que le Concile de Carthage, auquel assista saint Augustin détermine et ordonne que l'ameublement de l'évêque soit commun et pauvre. Ceci doit s'appliquer à tous les états ; ce qui n'empêche pas d'avoir égard et de se conformer à ce que le rang et la condition réclament. Saint Joachim et sainte Anne, pour citer un exemple de personnes engagées dans le mariage, divisaient leurs biens en trois parts. Ils donnaient la première aux pauvres ; ils consacraient la seconde au culte divin et au service du Temple ; ils se servaient de la troisième pour leur entretien et celui de leur maison.


Sur les scrupules

345 Règles utiles pour la connaissance et le discernement des scrupules et des insinuations trompeuses de notre ennemi.

346 ‹ Première règle. ‹ On nomme assez communément scrupule un jugement libre et volontaire par lequel nous prononçons qu'une action est péché lorsqu'elle ne l'est pas ; par exemple, lorsqu'il arrive à quelqu'un de juger qu'il a péché en mettant le pied par hasard sur deux brins de paille en forme de croix. Or ceci est plutôt, à proprement parler un jugement erroné qu'un scrupule.

347 ‹ Deuxième règle. ‹ Mais après avoir marché sur cette croix, ou après avoir fait, dit ou pensé une chose quelconque, il me vient du dehors la pensée que j'ai péché ; d'un autre côté, il me semble intérieurement que je n'ai pas péché. J'éprouve en cela du trouble, en tant que je doute et ne doute pas : or c'est là à proprement parler un scrupule et une tentation que l'ennemi fait naître en moi.

348 ‹ Troisième règle. ‹ Il faut abhorrer la première sorte de scrupule, dont il est question dans la première règle, parce qu'elle n'est qu'erreur. Quant à la seconde, indiquée dans la seconde règle, elle est très utile, durant quelque temps, à l'âme qui s'adonne aux Exercices spirituels ; car elle sert grandement à la rendre plus nette et plus pure, en la séparant entièrement de toute apparence de péché, selon cette parole de saint Grégoire : « C'est le propre des bonnes âmes de reconnaître une faute là où il n'y a pas de faute : Bonarum mentium est, ibi culpam agnoscere, ubi culpa nulla est. »

349 ‹ Quatrième règle. ‹ L'ennemi considère attentivement si une âme est peu scrupuleuse, ou si elle est timorée. Si elle est timorée, il tâche de la rendre délicate à l'extrême pour la jeter plus facilement dans le trouble et l'abattre. Il voit, par exemple, qu'elle ne consent ni au péché mortel, ni au péché véniel, ni à rien de ce qui a l'ombre de péché délibéré ; il tâchera, puisqu'il ne peut la faire tomber dans l'apparence même d'une faute, de lui faire juger qu'il y a péché là où il n'y a point de péché, comme dans une parole ou une pensée sans importance.
Au contraire, si l'âme est peu scrupuleuse, l'ennemi s'efforcera de la rendre moins scrupuleuse encore. Par exemple, si jusqu'ici elle ne faisait aucun cas des péchés véniels, il tâchera qu'elle fasse peu de cas des péchés mortels : et si elle faisait encore quelque cas des péchés mortels, il la portera à y faire beaucoup moins d'attention ou à les mépriser entièrement.

350 ‹ Cinquième règle. ‹ L'âme qui désire avancer dans la vie spirituelle doit toujours procéder d'une manière contraire à celle de l'ennemi. S'il veut la rendre peu délicate, qu'elle tâche de se rendre délicate et timorée ; mais si l'ennemi s'efforce de la rendre timorée à l'excès pour la pousser à bout, qu'elle tâche de se consolider dans un sage milieu pour y demeurer entièrement en repos.

351 ‹ Sixième règle. ‹ Lorsqu'une âme pieuse désire dire ou faire quelque chose qui ne s'écarte, ni des usages de l'Eglise, ni des traditions de nos pères, et qu'elle croit propre à procurer la gloire de Dieu, notre Seigneur, s'il lui vient du dehors une pensée ou une tentation de ne point dire ou faire cette chose, sous prétexte de vaine gloire ou d'autre défaut, qu'elle élève son entendement à son Créateur et Seigneur ; et si elle voit que cette parole ou cette action tend au service de Dieu, ou du moins ne lui est pas contraire, qu'elle fasse ce qui est diamétralement opposé à ce que lui suggère la tentation, répondant à l'ennemi avec saint Bernard : « Ce n'est pas pour toi que j'ai commencé, ce n'est pas pour toi que je cesserai : Nec propter te incepi, nec propter te finiam. »


De la soumission à l'Eglise

352 Règles à suivre pour ne nous écarter jamais des véritables sentiments que nous devons avoir dans l'Eglise militante.

353 ‹ Première règle. ‹ Renoncer à tout jugement propre et se tenir prêt à obéir promptement à la véritable Epouse de Jésus-Christ, notre Seigneur, c'est-à-dire à la sainte Eglise hiérarchique, notre Mère.

354 ‹ Deuxième règle. ‹ Louer la confession sacramentelle, la réception du très saint sacrement de l'Eucharistie au moins une fois dans l'année, beaucoup plus tous les mois, et plus encore chaque semaine, avec les dispositions requises et convenables.

355 ‹ Troisième règle. ‹ Louer l'usage d'entendre souvent la sainte Messe ; louer de même les chants ecclésiastiques, la psalmodie et les prières, même prolongées, dans l'église ou dans tout autre lieu convenable. Approuver la détermination de certaines heures pour la célébration de l'Office divin, pour la récitation des Heures canoniales et de toute autre prière.

356 ‹ Quatrième règle. ‹ Louer beaucoup les ordres religieux, la virginité et la continence et ne pas louer autant le mariage.

357 ‹ Cinquième règle. ‹ Louer les voeux de religion, d'obéissance, de pauvreté, de chasteté, et les autres par lesquels on s'oblige à des oeuvres de surérogation et de perfection.
Or, il est à remarquer que le voeu ayant essentiellement pour matière les choses qui se rapprochent davantage de la perfection évangélique, on ne doit point faire voeu de ce qui s'en éloigne, comme d'entrer dans le commerce ou de s'engager dans le mariage.

358 ‹ Sixième règle. ‹ Louer l'usage de prier les Saints et de vénérer leurs reliques ; louer les stations, les pèlerinages, les indulgences, les jubilés, les faveurs spirituelles accordées par les souverains Pontifes dans l'intention d'obtenir de Dieu le triomphe de l'Eglise sur les infidèles, l'usage de brûler des cierges dans nos temples.

359 ‹ Septième règle. ‹ Louer les lois de l'Eglise relativement aux jeûnes et aux abstinences du Carême, des Quatre-Temps, des Vigiles, du vendredi et du samedi ; louer aussi les pénitences, non seulement intérieures, mais encore extérieures.

360 ‹ Huitième règle. ‹ Louer le zèle pour la construction et l'ornement des églises ; louer de même l'usage des tableaux et des statues et les vénérer en vue des objets qu'ils représentent.

361 ‹ Neuvième règle. ‹ Louer enfin tous les préceptes de l'Eglise, et être toujours prêt à chercher des raisons pour les justifier et les défendre, et jamais pour les condamner ou les blâmer.

362 ‹ Dixième règle. ‹ Nous devons être plus portés à approuver et à louer les règlements, les recommandations et la conduite de nos supérieurs qu'à les blâmer : car, supposé que quelques-unes de leurs dispositions ne soient pas, ou puissent ne pas être dignes d'éloges, il est toujours vrai, à raison des murmures et du scandale, qu'il y a plus d'inconvénients que d'utilité à les condamner, soit en prêchant en public, soit en parlant devant le bas peuple ; ce qui l'irriterait contre ses supérieurs temporels ou spirituels.
Cependant, comme il est dangereux de parler mal des supérieurs en leur absence devant le peuple, ainsi peut-il être utile de manifester l'irrégularité de leur conduite aux personnes mêmes qui ont le pouvoir d'y porter remède.

363 ‹ Onzième règle. ‹ Louer la théologie positive et scolastique ; car, comme c'est particulièrement le propre des Docteurs positifs, tels que saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire et les autres, d'exciter les affections et de porter les hommes à aimer et à servir de tout leur pouvoir Dieu, notre Seigneur ; ainsi le but principal des Scolastiques, tels que saint Thomas, saint Bonaventure, le Maître des Sentences et ceux qui les ont suivis, est de définir et d'expliquer, selon le besoin des temps modernes, les choses nécessaires au salut éternel, d'attaquer et de manifester clairement toutes les erreurs et les faux raisonnements des ennemis de l'Eglise. En effet, plus récents que les premiers, non seulement ils se servent avantageusement de l'intelligence de la sainte Ecriture et des écrits des saints Docteurs positifs ; mais éclairés et enseignés eux-mêmes par la vertu divine, ils s'aident encore, pour notre instruction, des Conciles, des canons et des constitutions de notre Mère la sainte Eglise.

364 ‹ Douzième règle. ‹ Evitons de faire des comparaisons entre les personnes encore vivantes et les saints qui sont dans le ciel ; car on est grandement exposé à se tromper en ce point. Gardons-nous donc de dire : Cet homme est plus savant que saint Augustin ; celui-ci est un autre saint François, s'il ne le surpasse ; celui-là est un autre saint Paul en vertu, en sainteté, etc.

365 ‹ Treizième règle. ‹ Pour ne nous écarter en rien de la vérité, nous devons toujours être disposés à croire que ce qui nous paraît blanc est noir, si l'Eglise hiérarchique le décide ainsi. Car il faut croire qu'entre Jésus-Christ, notre Seigneur, qui est l'Epoux, et l'Eglise, qui est son Epouse, il n'y a qu'un même Esprit qui nous gouverne et nous dirige pour le salut de nos âmes, et que c'est par le même Esprit et le même Seigneur qui donna les dix commandements qu'est dirigée et gouvernée notre Mère la sainte Eglise.

366 ‹ Quatorzième règle. ‹ Quoiqu'il soit très vrai que personne ne puisse se sauver sans être prédestiné et sans avoir la foi et la grâce, il faut s'observer beaucoup dans la manière de parler et de discourir sur ce sujet.

367 ‹ Quinzième règle. ‹ Nous ne devons parler ni beaucoup ni souvent de la prédestination ; mais si on en dit parfois quelque chose, que l'on évite de donner au peuple l'occasion de tomber dans quelque erreur et de lui faire dire ce que l'on entend quelquefois : Si je dois être damné ou sauvé, c'est une affaire déjà décidée ; mes actions bonnes ou mauvaises ne feront pas qu'il en arrive autrement. Et, sur ce raisonnement, on tombe dans l'indolence, et on néglige les oeuvres utiles au profit de l'âme et nécessaires au salut.

368 ‹ Seizième règle. ‹ Il faut également prendre garde qu'à force de parler sans explication et sans distinction de l'excellence et de la vertu de la foi, on ne donne occasion au peuple de devenir négligent et paresseux pour les bonnes oeuvres, soit avant la conversion, lorsque la foi n'est pas encore animée par la charité, soit après.

369 ‹ Dix-septième règle. ‹ Ne nous arrêtons pas et n'insistons pas tellement sur l'efficacité de la grâce, que nous fassions naître dans les coeurs le poison de l'erreur qui nie la liberté. Il est permis sans doute de parler de la foi et de la grâce, autant qu'il est possible avec le secours divin, pour la plus grande louange de la divine Majesté ; mais non de telle manière, surtout en des temps si difficiles, que les oeuvres et le libre arbitre en reçoivent quelque préjudice, ou soient regardés, celui-ci comme un vain mot, et celles-là comme inutiles.

370 ‹ Dix-huitième règle. ‹ Bien que nous devions surtout désirer que les hommes servent Dieu, notre Seigneur, par le motif du pur amour, nous devons cependant louer beaucoup la crainte de la divine Majesté ; car, non seulement la crainte filiale est pieuse et très sainte, mais la crainte servile même, lorsque l'homme ne s'élève pas à quelque chose de meilleur et de plus utile, l'aide beaucoup à sortir du péché mortel ; et, lorsqu'il en est sorti, il parvient facilement à la crainte filiale, qui est tout agréable et chère à Dieu, parce qu'elle est inséparablement unie à son amour.


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