II-II (Drioux 1852) Qu.1


1852



LA SOMME THÉOLOGIOUE


DE


SAINT THOMAS


TRADUITE INTÉGRALEMENT EN FRANÇAIS,


POUR LA PREMIÈRE FOIS, AVEC DES NOTES THÉOLOGIQUES, HISTORIQUES ET PHILOLOGIQUES,


PAR


M. l'abbé DRIOUX,


Auteur du Cours complet d'histoire, de géographie et de littérature, membre de la société littéraire de l'université catholique de Louvain.


OUVRAGE DÉDIÉ A MONSEIGNEUR PARISIS,


Et honoré des approbations et des encouragements de NN. SS. les archevêque et évêques de Tours, d'Arras, du Mans et de Poitiers, et du R. P. Lacordaire.


TOME QUATRIÈME.

PARIS,


LIBRAIRIE ECCLÉSIASTIQUE ET CLASSIQUE


D'EUGÈME BELIN,


RUE DE VAUGIRARD, 52,


n F. R RIÈ R F. LF. SEMINAIRE DE S A I N T - S TT I. ri C F.

Poitiers, le 2G avril 1852.

Monsieur l'Abbé ,

J'ai fait examiner la traduction des trois premiers volumes de la Somme île saint Thomas, que vous avez eu la bonté de m'envoyer. C'est une oeuvre qui ne demande pas à être lue à la légère, mais à être étudiée avec soin. Quoique mes nombreuses occupations ne m'aient pas permis d'en prendre par moi-même une connaissance complète et détaillée, je n'hésite pas, Monsieur, sur le rapport qui m'en a été fait, à joindre mon approbation à celles que vous ont déjà données plusieurs de mes vénérables collègues dans l'épiscopat. Je me réjouis dans la pensée que cet ouvrage sera utile, non-seulement au clergé, qui trouvera tant de lumières dans les notes savantes que vous avez annexées au texte, mais encore aux laïques à qui la langue latine devient chaque jour moins familière. Puisse cette traduction, ouvrage d'une longue patience et d'une rare érudition, aider à relever parmi nous l'estime et le goût des sciences théologiques, qui mériteraient d'être en honneur, alors même qu'elles n'auraient d'autre résultat que de donner à ceux qui les cultivent une supériorité incontestable dans la conduite des affaires de ce monde.

Veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, mes voeux les plus sincères pour l’accomplissement et le succès de votre oeuvre, et recevoir l'assurance de mes sentiments distingués et de mon entier dévouement.

t L.-E. év. de Poitiers.


LA SOMME THEOLOGIQUE


DE


SAINT THOMAS.


DEUXIÈME SECTION DE LA SECONDE PARTIE.


PLAN DE CETTE DEUXIÈME SECTION.

Dans la première section de cette seconde partie, saint Thomas a traité de la morale en général. Cette seconde section est consacrée à l'étude de la morale en particulier.

L'illustre docteur rattache toute la morale aux vertus, qu'il a classées en deux catégories : les vertus théologales, qui sont la foi, l'espérance et la charité, et les vertus cardinales, qui sont la prudence, la justice, la force et la tempérance.

A l'occasion de chaque vertu, il traite du don qui lui correspond, des vices qui lui sont opposés, et des préceptes affirmatifs ou négatifs qui s'y rapportent.

Par l'étude de ces sept vertus et de toutes les questions secondaires dont il s'occupe à leur occasion, il détermine en général les devoirs de l'homme dans toutes les conditions sociales. Mais comme il y a des positions qui imposent des obligations particulières, il complète la morale par un traité où il parle de ce qui regarde les divers états.

On peut donc considérer cette seconde section comme étant divisée en huit parties qui forment autant de traités, qui sont : les traités de la foi, de l'espérance, de la charité, de la prudence, de la justice, de la force, de la tempérance et des divers états.

I. Traité de la foi. D'après le plan général de saint Thomas, la foi doit être considérée en elle-même, dans les dons qui lui correspondent, dans les vices qui lui sont opposés, et dans les préceptes qui la concernent.

1° En elle-même, on doit examiner son objet, son acte et son habitude.

Son objet formel est la vérité première, qui nous fait donner notre assentiment aux choses qui sont de foi ; son objet matériel est ce que croient les fidèles. Les vérités à croire ont été avec raison divisées en plusieurs articles, dont l'Eglise a formé le symbole. C'est au Pape, comme chef de l'Eglise, qu'il appartient de donner une profession de foi et de convoquer les conciles oecuméniques.

Les actes de foi sont intérieurs ou extérieurs. Croire, c'est donner son assentiment à une vérité. Nous devons croire les vérités qui sont supérieures à la raison ainsi que celles que la raison peut démontrer. Tout le monde doit croire d'une certaine foi explicite les mystères de la Trinité et de l'Incarnation. L'acte de foi est un acte méritoire.

Les actes extérieurs consistent à manifester sa foi par des oeuvres ou des paroles. Cette confession est nécessaire, quand son omission paraît une injure contre Dieu ou qu'elle semble nuisible au prochain.

L'habitude de la foi doit se considérer par rapport à la foi elle-même, à ceux qui la possèdent, à sa cause, et à ses effets.

Par rapport à la foi elle-même, l'habitude a été définie par saint Paul : la substance des choses que l’on doit espérer, l'argument de celles qu'on ne voit pas. Elle est la première de toutes les vertus ; elle a l'intellect pour sujet, et elle est la plus certaine de toutes les vertus intellectuelles.

A l'égard de ceux qui la possèdent, elle a été dans les anges avant leur glorification ; elle est dans les démons, qui sont forcés de croire à la vérité de ce que l'Eglise enseigne, mais elle n'est dans les hommes qu'à la condition qu'ils admettent tous les articles du symbole.

La foi a pour cause l'action de Dieu, qui nous meut intérieurement par sa grâce; elle est par conséquent un de ses dons.

Elle a pour effet de produire en nous cette crainte filiale qui nous fait appréhender d'être séparés de Dieu, et en nous attachant à lui, elle nous purifie du péché, à l'aide de la charité qui est son complément et sa perfection.

2° Les dons qui correspondent à la foi sont : le don d'intellect et le don de science.

Le don d'intellect a pour objet de nous faire pénétrer dans l'intelligence des choses que la foi nous propose à croire. Il se trouve dans tous ceux qui sont en état de grâce, mais il ne peut pas être dans les autres. C'est à ce don que répond la sixième béatitude : Heureux ceux qui ont le coeur pur. Il a pour fruits, la certitude de la foi ici-bas, et la joie dans le ciel.

Le don de science nous donne un sens droit et sûr à l'égard des choses divines, en nous faisant discerner celles que l'on doit croire, de celles qu'on ne doit pas croire. Il est plus spéculatif que pratique. Cependant il s'étend secondairement aux actions que l'on doit faire, selon l'influence qu'exercent les choses que nous croyons sur celles que nous pratiquons. A ce don il faut rattacher la béatitude qui dit : Bienheureux ceux qui pleurent.

3° Les vices opposés à la foi sont : l'infidélité, le blasphème, l'ignorance et le défaut d'intelligence.

Il y a l'infidélité en général, qui embrasse toutes les erreurs contraires à la foi. On peut la diviser en plusieurs espèces. Ainsi il y a l'infidélité des juifs et des gentils, c'est-à-dire de tous ceux qui ne veulent pas reconnaître la divinité du Christ. Parmi les chrétiens, on peut aussi regarder comme des infidèles, les hérétiques et les apostats. Ces hérétiques sont ceux qui professent la foi du Christ, mais qui en altèrent les dogmes. Les apostats sont ceux qui abjurent la foi chrétienne. Quoique les gentils soient dans des erreurs encore plus profondes que les juifs, les hérétiques et les apostats, cependant ces derniers sont les plus coupables, en raison de l'abus qu'ils ont fait des lumières qu'ils ont reçues.

Le blasphème, en général, est le crime opposé à la profession extérieure de la foi. C'est en son genre le vice le plus grave. On appelle blasphème contre l'Esprit-Saint, le péché que l'on fait par malice, en choisissant le mal à dessein, ou en écartant de soi tout ce qui pourrait être un moyen de sortir du péché. C'est de ce péché qu'il est dit, qu'il ne sera remis, ni en ce monde, ni en l'autre.

L’ignorance est opposée au don de science, et le défaut d'intelligence au don d'intellect. Le dernier de ces deux vices vient de la gourmandise et l'autre de la luxure.

4° Quant aux préceptes qui regardent la foi, il ne devait pas y en avoir dans l'ancienne loi, mais on a dû en établir dans la nouvelle (quest. i-xvii).

II. Traité de l'espérance. L'espérance est une vertu qui a pour objet propre et principal la béatitude éternelle. Elle ne doit reposer que sur Dieu, comme sur la cause principale de la béatitude ; mais elle peut s'appuyer secondairement sur l'homme, comme sur un agent secondaire et instrumental qui peut être utile pour l'aider à atteindre sa fin.

Elle est une vertu théologale, distincte de la foi et de la charité. La foi la précède et la charité la consomme.

Elle a pour sujet dans l'homme, l'appétit intelligentiel et la volonté. Elle ne peut exister dans les bienheureux, puisqu'ils sont en possession de la béatitude qui était son objet ; et les damnés ne peuvent non plus l'avoir, parce qu'ils sont certains que leurs tourments ne cesseront jamais^

Le don de crainte correspond à cette vertu. La crainte que le Saint-Esprit nous inspire est cette crainte chaste et filiale par laquelle nous révérons Dieu volontairement, et nous nous réfugions sous sa direction. La charité augmente cette crainte à mesure qu'elle s'accroît elle-même, mais elle détruit la crainte servile et affaiblit peu à peu la crainte du châtiment. La pauvreté d'esprit est la béatitude qui appartient à ceux qui ont reçu de Dieu ce don. Les vices opposés à l'espérance sont le désespoir et la présomption. Le désespoir s'empare du pécheur qui pense qu'il ne pourra jamais obtenir son pardon. Quoique ce vice ne soit pas aussi grave que celui de l'infidélité par rapport à Dieu, cependant, par rapport à nous, il est plus grave, parce qu'il nous expose à de plus grands périls.

La présomption résulte, au contraire, de ce que l'on espère trop, non-seulement de ses propres forces, mais encore de la puissance de la miséricorde de Dieu. Elle est un péché moins grave que le désespoir. Elle a pour cause l'orgueil et la vaine gloire.

Avant la loi, il était nécessaire qu'il y eût des préceptes à l'égard de l'espérance, afin d'engager par des promesses à l'observance de la loi. Depuis, il a fallu encore qu'il y en eût pour que les hommes observassent la loi avec plus de soin.

Il a été également nécessaire d'établir des préceptes à l'égard de la crainte filiale et de la crainte servile (quest. xvii-xxm).

III. Traité de la charité. On peut considérer cette vertu elle-même, les vices qui lui sont contraires, les préceptes et les dons qui s'y rapportent.

1° La vertu de la charité doit être étudiée en elle-même, dans son sujet et son objet, dans ses actes et ses effets.

En elle-même, la charité est une habitude créée dans l'âme, pour porter l'homme à faire promptement et facilement tous les actes de vertus à cause de Dieu. Elle est la plus éminente de toutes les vertus, elle est leur forme, et il ne peut y avoir une seule vertu sans elle.

Son sujet est la volonté. Elle est répandue en nous par l'infusion de la grâce, et elle peut s'accroître jusqu'au terme de notre carrière indéfiniment. Elle peut être affaiblie, si l'on cesse d'opérer des actes de vertu, ou si l'on fait des péchés véniels, et elle peut être détruite par le péché mortel.

Son objet embrasse Dieu, le prochain et toutes les créatures selon qu'elles se rapportent à Dieu. Nous devons aimer nos ennemis, et nous devons aussi aimer les pécheurs comme hommes. On doit aimer Dieu plus que soi-même, on doit l'aimer plus que le prochain, on doit aimer le prochain plus que son propre corps, pour ce qui regarde le salut de son âme. Parmi le prochain, on doit aimer les individus d'un amour proportionné à leur union avec nous ou avec Dieu. Nous devons aimer nos parents plus que des étrangers, quand même ceux-ci seraient plus vertueux.

L'homme doit plus aimer ses enfants que ses parents. Absolument parlant, il doit plus aimer son père que sa mère. Il doit être plus attaché à son épouse qu'à ses parents, mais il doit avoir pour ces derniers plus de respect.

L'acte de charité consiste plutôt à aimer qu'à être aimé. L'amour est plus que la bienveillance ; car il ne se borne pas à vouloir du bien à quelqu'un, mais il établit une union intime entre la volonté de celui qui aime et l'objet aimé. Nous devons aimer Dieu pour lui-même, et nous ne pouvons trop l'aimer. Nous faisons un acte méritoire en aimant à cause de lui notre prochain et nos ennemis.

Pour les effets qui résultent de l'amour, il faut distinguer les effets intérieurs et les effets extérieurs.

Les effets intérieurs sont la joie et la miséricorde. Les effets extérieurs sont la bienfaisance, l'aumône et la correction fraternelle.

La bienfaisance doit s'étendre sur tout le monde ; mais, hors le cas de nécessité, elle doit s'exercer envers ceux qui nous sont unis par les liens du sang, plutôt qu'à l'égard des autres.

On distingue les aumônes corporelles des aumônes spirituelles. Il est de précepte de faire l'aumône de son superflu à celui qui est dans le besoin. On doit donner abondamment en raison de ses moyens. Mais on ne doit pas donner au même individu de manière qu'il ait plus qu'il ne lui faut. Le serviteur ne doit pas non plus donner le bien de son maître.

La correction fraternelle est obligatoire, quand on espère qu'il en résultera d'heureux fruits. On doit l'omettre, au contraire, quand on a lieu de croire qu'elle aura de mauvaises conséquences.

2° Les vices opposés à la charité sont la haine, la paresse, l'envie, la discorde, la contention, le schisme, la guerre, la dispute, la sédition et le scandale (1).

La haine est opposée directement à la charité elle-même ; la paresse ou le dégoût spirituel est contraire à la joie, qui a pour objet le bien divin; l'envie est en opposition avec la joie que l'on a du bien du prochain, et les autres vices sont contraires aux autres fruits de la charité.

Ainsi la discorde trouble la paix dans le coeur ; la contention la trouble dans les paroles ; le schisme, les rixes, la sédition et la guerre lui sont opposés sous le rapport des oeuvres.

Le scandale est contraire à la bienfaisance.

(H) Chacun de ces mots est le titre d’autant de questions que traite saint Thomas avec les plus grands détails. Nous n'avons pas eu la prétention d'analyser chacun de ces articles, ce qui serait impossible ; nous avons seulement voulu montrer dans ce plan général le rapport que toutes les questions ont entre elles, pour que d'un seul coup d'u il on pût embrasser cet enchaînement logique si élevé et si profond.



3° Il a été convenable de donner à l'homme des préceptes à l'égard de la charité. Non-seulement on a dû lui commander d'aimer Dieu, mais il a fallu encore lui ordonner d'aimer le prochain. Ces deux préceptes suffisent, mais ils sont nécessaires.

On doit aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces. On doit aimer son prochain comme soi-même, c'est-à-dire d'un amour saint, juste et véritable.

4° Le don de sagesse est le don qui correspond à la charité. Ce don subsiste essentiellement dans l'intellect; il n'est pas seulement spéculatif, mais il est encore pratique. Il se trouve dans tous ceux qui ont la grâce, quand on ne le considère pas lui-même comme une grâce gratuitement donnée.

La septième béatitude, qui dit : Bienheureux les pacifiques, répond à ce don quant au mérite et quant à la récompense.

La folie est opposée à ce don. Elle implique le défaut de sens et l'affaiblissement du coeur à l'égard des choses divines. A ce titre elle a pour cause la luxure (quest. xxiii-xliii).

IV. Traité de la prudence. La prudence est la première des vertus cardinales. On doit la considérer en elle-même, examiner ses parties, traiter du don qui lui correspond, des vices qui lui sont opposés, et des préceptes qui la concernent.

1° Cette vertu, qui nous fait juger de l'avenir par le passé et le présent, doit résider dans la faculté cognitive et particulièrement dans la raison pratique. Elle n'a pas seulement pour objet la connaissance des principes généraux sur lesquels la raison pratique repose, mais encore les choses individuelles auxquelles les actions se rapportent. Elle est une vertu morale, et quoiqu'elle réside dans la raison elle se distingue matériellement de la sagesse, de la science et des autres vertus intellectuelles. C'est elle qui dispose des moyens par rapport à la fin, et elle détermine le milieu que doivent tenir les autres vertus morales. Son acte propre est de commander. Elle règle le bien général comme le bien particulier ; elle se trouve non-seulement dans les chefs, mais encore dans ceux qui leur obéissent. Tous ceux qui ont la grâce de Dieu la possèdent, mais elle peut être affaiblie ou détruite, non-seulement par l'oubli, comme les arts et les sciences, mais encore par les passions vicieuses qui ont sur elle la plus grande influence.

2° Ses parties intégrantes sont la mémoire, l'intelligence, la docilité, l'habileté, la raison, la prévoyance, la circonspection et les précautions. La mémoire en fait partie parce que l'expérience lui est nécessaire; elle a besoin de l'intelligence pour apprécier convenablement ce que l'on doit faire ; il lui faut de la docilité pour bien recevoir les avis des autres; de l'habileté pour que l'homme découvre par lui-même le meilleur parti à prendre; de la raison, parce que sans cela il n'y a pas de bon conseil; de la prévoyance, de la circonspection et des précautions pour tenir compte de toutes les circonstances qui influent si puissamment sur le jugement.

Ses parties subjectives se distinguent d'après les objets auxquels elle s'applique. Ainsi il y a la prudence individuelle qui consiste à se diriger soi-même, et il y a la prudence de l'homme d'Etat, du père de famille et du général, qui consiste à diriger chacun d'eux selon les pouvoirs qui leur sont propres.

Ses parties potentielles sont le bon conseil, le discernement et le jugement qui prononce en dehors des cas exceptionnels.

Le don de conseil est le don qui se rapporte à la prudence. Il l'aide et la perfectionne. A ce don correspond la béatitude qui proclame : Bienheureux les miséricordieux.

3° Les vices opposés à la prudence sont de deux sortes. Les uns lui sont directement contraires, soit qu'ils proviennent du défaut de la prudence elle- même, soit qu'ils résultent de ce que la prudence requiert. Les autres lui sont opposés indirectement. Ils en sont une fausse image et ont pour cause l'absence des qualités que la prudence exige.

Ainsi l'imprudence est directement contraire à la prudence, et la négligence est directement opposée à la sollicitude qui est une de ses parties.

Les vices qui ont avec la prudence une ressemblance fausse sont : la prudence de la chair, l'astuce, le dol, la fraude, une sollicitude exagérée pour les biens temporels et pour les choses à venir. Tous ces vices naissent principalement de l'avarice.

1° Dans le Décalogue il ne devait pas y avoir de préceptes particuliers à l'égard de la prudence, parce que c'est à elle à diriger les actes de toutes les vertus. Mais dans la loi ancienne on a défendu tous les vices qui lui sont contraires (quest. xlvii-lvii).





V. Traité de la justice.



1° La justice considérée en elle-même offre quatre choses à examiner : le droit, la justice, l'injustice et le jugement.

Le droit est l'objet spécial de la justice. On distingue le droit naturel et le droit positif, le droit des gens, le droit seigneurial et le droit naturel.

La justice est la volonté perpétuelle et constante de rendre à chacun ce qui lui appartient. Elle est une vertu qui existe dans la volonté comme dans son propre sujet. Son milieu consiste à établir l'égalité entre les choses, et elle a pour objet de régler les rapports extérieurs des hommes entre eux. Elle est la plus excellente de toutes les vertus morales.

L'injustice est un vice spécial qui a pour effet de nuire aux autres et qui est par là même un péché mortel.

Le jugement consiste à déterminer ce qui est juste. C'est un acte de justice; mais on ne doit le prononcer qu'autant qu'on est en droit de le faire et qu'on a des raisons suffisantes. Le juge doit prononcer sa sentence d'après la lettre de la loi. Si une affaire est douteuse, on doit l'interpréter dans le sens le plus favorable à l'accusé.

2° Les parties subjectives de la justice sont : la justice distributive et la justice commutative.

La justice distributive a pour objet de faire participer les citoyens aux avantages communs de la société, en leur distribuant les charges proportionnellement à leurs moyens. La justice commutative règle les échanges et les conventions des particuliers entre eux.

La restitution est un acte de la justice commutative. Il est nécessaire qu'on restitue ce qu'on a volé ou ce qu'on a aidé à voler, et cette restitution doit se faire le plus promptement possible.

L'acception des personnes est le vice opposé à la justice distributive. Celui qui dans la dispensation des honneurs et des places ne fait attention qu'aux personnes, sans tenir compte du mérite, et qui élève aux postes les plus importants des sujets indignes, fait une faute grave. Le péché est plus grand encore quand il s'agit des choses spirituelles que des choses temporelles.

Les vices opposés à la justice commutative sont : l'homicide, la mutilation des membres, le vol et la rapine, l'injustice dans les jugements, la contumélie, la détraction, les faux rapports, les moqueries, la malédiction, la fraude et l'usure.

L'homicide et la mutilation des membres attaquent le prochain dans son existence et dans sa propre personne, le vol et la rapine lui causent un dommage dans ses biens. L'injustice dans les jugements peut porter ou sur la personne du juge, ou sur celle de l'avocat, ou sur celles des témoins.

La contumélie, la détraction, les rapports, les moqueries et la malédiction sont autant de moyens par lesquels on peut nuire à la réputation du prochain par parole. Tous ces péchés se commettent à l'égard des échanges involontaires.

Dans les échanges volontaires ont lieu la fraude et l'usure, qui sont d'autres moyens que l'on emploie pour s'enrichir injustement aux dépens des autres. La fraude se fait dans les achats et les ventes, et l'usure se pratique dans les prêts.

Les parties intégrantes de la justice consistent à faire le bien et à éviter le mal. On pèche donc contre cette vertu par transgression et par omission.

Ses parties potentielles sont: la religion, la piété, le respect, la reconnaissance, la vengeance, la vérité, l'amitié et la libéralité.

La religion est la vertu par laquelle nous rendons à Dieu le culte et le respect qui lui sont dus. Elle est la plus noble des vertus morales, puisqu'elle est celle qui est la plus près de Dieu.

Elle produit deux sortes d'actes : des actes intérieurs et des actes extérieurs.

Les actes intérieurs sont la dévotion et la prière. La dévotion a Dieu lui- même pour cause extérieure, mais les causes internes qui y disposent sont la méditation de la bonté divine et la considération de notre propre faiblesse.

La prière est un acte de l'intelligence qui s'adresse à Dieu et aux saints pour en obtenir les choses dont nous avons besoin. Nous devons prier les uns pour les autres et demander tout ce qui nous est nécessaire pour opérer notre salut. Notre-Seigneur nous a donné dans le Pater un modèle de prière. Pour que notre prière soit méritoire il n'est pas nécessaire qu'elle dure longtemps, mais il faut qu'elle soit attentive, du moins dans la première intention.

Les actes extérieurs de religion comprennent l'adoration par laquelle on offre à Dieu tout ce que l'on a et tout ce que l'on est, pour reconnaître son souverain domaine sur nous, et les actes par lesquels on lui offre des choses extérieures. Ces derniers actes sont de deux sortes. Ils renferment ce que les fidèles donnent à Dieu, comme les sacrifices, les oblations, les prémices et les dîmes, et ce qu'ils lui promettent, comme les voeux.

On doit aussi considérer comme des actes extérieurs de religion l'usage que l'on fait du nom de Dieu lui-même. Or, on emploie ce nom sacré de trois manières : sous forme de serment pour appuyer les choses que l'on dit, sous forme d'adjuration pour engager les autres à faire ce qu'on leur demande, et sous forme d'invocation pour prier ou pour louer Dieu lui-même. Ces trois choses sont licites en elles-mêmes; il n'y a de condamnable que l'abus qu'on en peut faire.

Il y a deux sortes de vices opposés à la vertu de religion. Les uns rendent, comme elle, un culte à la Divinité ; les autres lui sont directement contraires, parce qu'ils affichent du mépris pour tout acte religieux. Ainsi les premiers appartiennent à la superstition, les seconds à l'impiété.

La superstition consiste à rendre un culte divin à qui il n'est pas dû ou de la manière dont on ne doit pas le rendre. Parmi les différentes espèces de superstitions, on distingue l'idolâtrie, la divination et les observances.

L'impiété comprend les vices par lesquels on manque de respect à Dieu ou aux choses saintes. On manque de respect à Dieu en le tentant ou en profanant son nom par le parjure. On manque de respect aux choses saintes par le sacrilège et la simonie.

La piété a pour objet les devoirs que nous avons à remplir envers nos parents et nos concitoyens. Les enfants ne doivent pas seulement honorer leurs parents, mais, dans le cas de nécessité, ils doivent encore les secourir et leur donner, s'ils le peuvent, les choses dont ils ont besoin.

Le respect est une vertu spéciale par laquelle on rend un culte et un honneur aux puissants élevés en dignité. Ces hommages doivent se manifester par des signes extérieurs et corporels. Le respect comprend deux choses, le culte de dulie et l'obéissance.

Par le culte de dulie, on honore ceux qui sont au-dessus de soi, mais cet honneur est essentiellement différent de celui qu'on rend à Dieu par le culte de latrie. L'obéissance est la vertu qui nous fait soumettre aux ordres de nos supérieurs. Cette vertu a pour contraire la désobéissance, qui est un péché mortel, quand elle se trouve en opposition avec les préceptes de Dieu et les ordres de ceux qui ont le droit de nous commander.

La reconnaissance est une vertu spéciale par laquelle on rend à un bienfaiteur le bien qu'on en a reçu. A tous les bienfaits une reconnaissance est due ; l'on doit s'en acquitter dans le moment le plus convenable, et si l'on n'est pas en position d'être utile à son bienfaiteur, on doit du moins lui exprimer ses sentiments par un redoublement de zèle, de dévouement et d'affection.

Le vice opposé à cette vertu est l'ingratitude. Tantôt elle est un péché mortel, tantôt un péché véniel, en raison des circonstances.

La vengeance a pour but d'appliquer au coupable la peine due à sa faute. On ne doit pas se venger pour faire du mal au prochain, on ne doit user de ce moyen que comme d'un remède qui le guérisse de ses défauts et qui le ramène dans une voie meilleure.

La vérité est une vertu qui fait que l'homme ne se sert de la parole et de tous les autres signes extérieurs que pour exprimer sa pensée. Les vices qui lui sont contraires sont : le mensonge, la dissimulation et l'hypocrisie, la jactance, l'ironie.

Le mensonge se distingue en mensonge pernicieux, joyeux et officieux. Le premier est un péché mortel, les deux autres peuvent être véniels. La dissimulation est un péché qui consiste dans les signes extérieurs des actes que l'on fait. L'hypocrisie est une espèce de dissimulation par laquelle on joue le personnage d'un autre. La jactance pèche contre la vérité par exagération, l'ironie pèche dans le sens opposé. Au lieu de se vanter, on se dit au contraire moins qu'on est.

L'amitié est une vertu spéciale qui met les hommes en bons rapports entre eux. Elle a pour contraires l'adulation et l'esprit de contestation. L'adulation exagère le mérite d'une personne, en vue d'en retirer quelque avantage. L'esprit de contestation fait qu'on est toujours disposé à contredire le sentiment de quelqu'un, soit parce qu'on ne l'aime pas, soit parce qu'on cherche à le contrister.

La libéralité est une vertu qui nous apprend à faire un bon usage des biens que nous possédons. Les vices qui lui sont contraires sont : l'avarice et la prodigalité. L'avarice tient à tout conserver, sans jamais rien donner. C'est un vice capital qui produit la trahison, la fraude, le parjure, l'inquiétude, la violence et l'endurcissement. La prodigalité est directement opposée à ce vice. Elle consiste, au contraire, à trop donner, et à ne pas conserver pour soi ce qu'il faut. Ce vice a les suites les plus funestes, mais cependant il est moralement moins répréhensible que le premier.

On peut ajouter à ces différentes parties de la justice l’épikie, qui applique les lois comme l'intérêt général le demande.

3° Le don qui correspond à la justice, c'est la piété. A ce don répond la dixième béatitude : Heureux ceux qui sont doux.

4° Tous les préceptes du Décalogue appartiennent à la justice, et ces préceptes règlent parfaitement les devoirs que nous avons à remplir envers Dieu, envers le prochain et envers nos semblables (quest. lvii- cxxiii).

VI. Traité de la force.

1° La force est une vertu qui en maintenant l'homme dans les limites de la raison, lui fait repousser tout ce qui est une entrave à l'usage de cette faculté. Elle est placée au nombre des vertus cardinales, et elle vient naturellement après la justice.

Son acte principal est le martyre, qui brave toutes les persécutions et qui reste inébranlablement attaché à la justice et à la vérité. Le martyre n'est consommé qu'autant qu'on a donné sa vie pour le Christ ou pour Dieu.

2° Les vices opposés à la force sont : la crainte, le défaut de crainte et l'audace.

La crainte qui nous fait fuir les dangers que la raison nous dit d'affronter est un péché. Si elle est déréglée au point de nous faire consentir délibérément à des choses contraires à la charité ou à la loi de Dieu, elle est un péché mortel : mais elle excuse au contraire du péché, du moment que son dérèglement rend l'acte involontaire.

Le défaut de crainte peut provenir, soit du défaut de charité, soit de l'orgueil ou de la stupidité, et dans ce cas c'est une chose vicieuse. Cependant cette disposition excuse du péché, quand elle est invincible.

L'audace manque de modération, et elle est opposée à la force, parce que cette vertu occupe un milieu entre l'audace et la crainte.

3° On distingue dans la force quatre parties intégrantes : la magnanimité et la magnificence dans celui qui agit, la patience et la persévérance dans celui qui supporte les épreuves de la vie.

La magnanimité a pour objet les honneurs. Elle comprend la confiance, qui est une conséquence de la force, et elle produit la sécurité. Les biens de la fortune sont très-utiles pour mettre en relief cette vertu.

Les vices qui lui sont opposés par excès sont : la présomption, l'ambition et la vaine gloire. La pusillanimité lui est opposée dans un sens contraire.

La présomption nous fait entreprendre des choses qui sont au-dessus de nos forces. L'ambition fait désirer dérèglement des honneurs qu'on ne mérite pas, ou qu'on ne rapporte pas à la gloire de Dieu, mais à son utilité propre. La vaine gloire court après des honneurs chimériques, ou après les éloges des hommes. C'est un vice capital qui a pour effets la désobéissance, la jactance, l'hypocrisie, les disputes, l'opiniâtreté, la discorde et la recherche présomptueuse des nouveautés.

La pusillanimité paralyse l'action de l'individu en lui exagérant la difficulté des oeuvres et la faiblesse de ses ressources.

La magnificence a pour objet de régler les dépenses somptueuses. Elle tient le milieu entre une profusion extrême et une épargne sordide.

La patience est la vertu qui empêche la raison de succomber sous la tristesse que produisent les difficultés qu'on rencontre. Elle a beaucoup d'analogie avec la longanimité.

La persévérance fait que l'homme persiste dans l'exécution de certaines bonnes oeuvres autant qu'il est nécessaire. Elle a besoin d'être aidée de la grâce, et il lui faut le secours de Dieu, pour que l'homme soit maintenu dans le bien jusqu'à la fin de sa carrière.

Les vices opposés à la persévérance sont : la mollesse et l'opiniâtreté. L'un reste en deçà du but, et l'autre va au-delà.

4° Le don de force est le don qui répond à la vertu du même nom. La béatitude correspondante est la quatrième : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice.

Il était convenable que dans la loi divine il y eût des préceptes concernant la force, pour que l'homme ne fût pas détourné du culte divin par des périls corporels. Dieu a aussi donné des conseils pleins de sagesse qui se rapportent à toutes les parties de cette même vertu (quest. cxxhi-cxli).

VII. Traité de la tempérance. 1° La tempérance est une vertu spéciale qui porte l'homme à la modération qui convient à la raison. Elle a pour objet les convoitises et les délectations qui naissent des plaisirs de la table et des jouissances charnelles.

Les vices qui lui sont contraires sont : l'insensibilité et l'intempérance. L'insensibilité a tant d'éloignement pour le plaisir, que, dans le but de l'éviter, elle néglige ce qui est nécessaire à la conservation de la nature. L'intempérance, au contraire, recherche les jouissances avec tant d'ardeur, qu'elle s'y livre sans frein.

2° Les parties intégrantes de la tempérance sont : la pudeur et l'honnêteté.

La pudeur est une passion par laquelle on craint tout ce qui est honteux. Elle a pour objet principal le blâme ; elle se manifeste plutôt devant les personnes avec lesquelles on est uni que devant des étrangers; car on rougit plutôt devant ceux qu'on connaît que devant ceux qu'on ne connaît pas.

L'honnête est le beau spirituel. Il diffère rationnellement de l'utile et de l'agréable, quoique ces choses soient les mêmes subjectivement.

Les parties subjectives de la tempérance ont un double objet: les plaisirs de la table et les jouissances de la chair.

A l'égard des plaisirs de la table, on distingue le boire et le manger. L'abstinence est la vertu qui règle le manger. Son acte propre est le jeûne, et le vice qui lui est opposé, c'est la gourmandise. La sobriété règle le boire, et elle a pour vice contraire l'ivresse.

Pour les jouissances de la chair, la vertu qui y met un frein, c'est la chasteté, dont la virginité est une partie. Elle a pour vice opposé la luxure.

La luxure est un vice capital qui produit l'aveuglement de l'esprit, la précipitation, la légèreté, l'inconstance, l'amour de soi-même, la haine de Dieu, l'attachement à la vie présente et l'horreur de la vie à venir.

On distingue six espèces de luxure qui sont : la fornication, l'adultère, l'inceste, le viol, le rapt, le vice contre nature.

Les parties potentielles de la tempérance sont la continence, la douceur, et la modestie.

La continence est une vertu qui affermit la raison contre l'entraînement des passions. Elle réside dans la volonté et règle tous les mouvements de l'appétit sensuel. L'incontinence est le vice qui lui est contraire.

La clémence ou la douceur est une vertu par laquelle on modère conformément à la droite raison les mouvements de la colère. La colère est opposée à la douceur, et la cruauté à la clémence.

La colère devient un péché quand elle dépasse les bornes de la raison. Elle est un des vices capitaux. Ses effets sont : les rixes, le gonflement du coeur, la contumélie, les clameurs, l'indignation et le blasphème. La cruauté consiste à infliger des peines trop dures ; elle diffère de fa férocité, comme la malice de l'homme diffère de celle de la bête.

La modestie a pour objet de régler non-seulement les actes extérieurs, mais encore les actes intérieurs.

On distingue plusieurs espèces de modestie: l'humilité, le désir de s'instruire, la modestie qui consiste dans les paroles ou les actes, et celle qui consiste dans les ornements intérieurs.

L'humilité est une vertu qui nous empêche de trop nous élever; elle est la première et la plus excellente de toutes les vertus morales. L'orgueil qui lui est opposé est le premier de tous les péchés. C'est un vice capital duquel tous les autres découlent. Ce fut lui qui fit prévariquer nos premiers parents. La mort et les misères corporelles ont été la conséquence de leur faute. Saint Thomas prend de là occasion d’examiner comment Adam et Eve ont été tentés.

Le désir de savoir a pour objet les connaissances dont nous avons besoin pour nous conduire. Cette vertu a pour vice contraire la curiosité, qui est le désir déréglé de connaître des choses vaines et inutiles, ou des choses utiles qu'on rapporte à une fin mauvaise.

La modestie dans les actes et les paroles doit surtout s'exercer dans les jeux. Celle qui règle les ornements extérieurs a pour but d'éviter tout ce qui peut exciter la concupiscence et la vanité.

3° Il était convenable qu'il y eût dans le Décalogue des préceptes qui regardent la tempérance, et qu'on défendît non-seulement l'acte de l'adultère, mais encore le désir. C'est aussi avec raison que Dieu a mis dans sa loi des préceptes qui concernent les vertus annexées à cette vertu principale (quest. cxli-clxxi).

VIII. Traité des divers états. Après avoir parlé des vertus et des vices qui se rapportent à tous les hommes quelle que soit leur condition, saint Thomas termine sa morale en s'occupant de ce qui regarde spécialement les individus en raison de leurs divers états. Or, les hommes peuvent différer les uns des autres, d'après les habitudes et les actes de leur intelligence, de trois manières : 1° selon les grâces gratuitement données qu'ils reçoivent; 2° selon la vie qu'ils mènent; 3° selon les charges et les positions qu'ils occupent.

4° Les grâces gratuitement données oni pour objet la connaissance, la parole ou l'action.

Celles qui ont pour objet la connaissance sont groupées sous le nom gérerai de prophéties. La prophétie a pour but d'annoncer l'avenir. Elle est l'effet de la révélation divine, et c'est la volonté de l'Esprit-Saint qui la communique aux hommes. Comme ceux qui prophétisent ne sont que des instruments de la Divinité, il n'est pas toujours nécessaire qu'ils comprennent tout ce qu'ils avancent. Il y a des degrés dans le développement de cette lumière. Tous les prophètes ne l'ont pas reçue avec la même abondance. Moïse fut le premier de tous les prophètes de l'ancienne loi, absolument parlant, mais depuis sa mort jusqu'à l'avènement du Christ la lumière prophétique est toujours allée croissant.

Le ravissement est un degré de l'esprit de prophétie. Saint Paul fut ravi jusqu'au troisième ciel. Son âme fut alors séparée de toutes les choses sensibles. Elle resta néanmoins unie au corps comme à sa forme ; mais l'Apôtre ne sut pas alors, si elle lui était encore unie ou si elle en était séparée.

Les grâces gratuitement données qui se rapportent à la parole sont : le don des langues et le don de l'éloquence. Les apôtres ont reçu le don des langues pour prêcher l'Evangile dans toute la terre. Le Saint-Esprit leur a donné le don de l'éloquence, pour qu'ils disposent plus efficacement les hommes à recevoir la lumière du salut.

Enfin les grâces gratuitement données qui regardent l'action sont les miracles. Ce moyen était également nécessaire pour la confirmation de la doctrine, et dans ce but il peut arriver qu'un homme pervers fasse des prodiges.

2° A l'égard de la vie que les hommes mènent on en distingue deux sortes : la vie active et la vie contemplative.

La vie contemplative consiste essentiellement dans l'acte de l'intellect. Les vertus morales y disposent, et quoiqu'elle ne consiste que dans un seul acte, il y a différentes opérations de l'esprit qui élèvent l'homme à cette hauteur; ce sont la lecture, la prière, la méditation, la réflexion, etc. Son objet principal est la vérité divine, mais il n'est donné à personne, tant que l'âme est unie au corps, de voir l'essence de Dieu.

La vie active embrasse essentiellement toutes les vertus morales. Au-delà de ce monde cette vie active n'existera plus. Toutes les actions extérieures cesseront absolument et reviendront à la contemplation.

La vie contemplative est plus noble que la vie active, et par elle-même elle est plus méritoire. Cependant il peut arriver, par accident, que l'on mérite plus par des actes extérieurs qu'en se livrant à la contemplation. La vie active est à la vérité un obstacle à la vie contemplative, mais elle y mène en réglant et en modérant les affections intérieures de l'âme.

3° Pour les charges et les états, on distingue l'état commun et l'état de perfection.

Il faut que dans la société il y ait des rangs divers et des conditions différentes.

La perfection chrétienne est en raison de la charité. Les religieux et les évêques sont dans un état de perfection, c'est-à-dire qu'ils doivent tendre à être parfaits. L'état des évêques est supérieur à celui des religieux; celui des prêtres, des curés et des archidiacres, est aussi plus parfait en raison de la difficulté qu'offre le soin des âmes.

C'est une bonne chose de désirer l'épiscopat, si on recherche en cela un avantage spirituel, mais c'est une mauvaise chose, si on convoite dans cette dignité l'opulence et les honneurs. Il est contraire à la charité et à l'humilité de refuser avec obstination l'épiscopat, malgré les ordres de son supérieur.

Celui qui élève quelqu'un à cet honneur, n'est pas tenu de choisir le plus digne, il suffit qu'il nomme un homme capable et qu'il ne voie rien en lui qui le rende indigne de cette mission. Un évêque ne peut pas quitter son siège sans la permission du souverain Pontife, pour se faire religieux. Les religieux qui deviennent évêques, doivent observer tous les points de leur règle qui ne sont pas en opposition avec leur nouvel état. Si la persécution éclate, ils ne doivent pas abandonner le troupeau qui leur est confié, tant que leur présence y est nécessaire.

Les religieux doivent faire les trois voeux de pauvreté, de continence et d'obéissance. Il leur est permis de prêcher, d'enseigner et d'exercer toutes les autres fonctions semblables. Ils ne sont pas plus tenus au travail des mains que les séculiers. Ils peuvent vivre d'aumônes et mendier, pourvu qu'ils le fassent par humilité, mais non dans le but de s'enrichir.

Il y a divers ordres religieux qui se distinguent par les divers exercices spirituels et les différentes oeuvres de charité auxquelles ils se livrent. Les uns se livrent à la vie active, les autres à la vie contemplative. Il y a des ordres religieux militaires pour la défense de la foi, et pour celle des pauvres et des opprimés; parmi les autres ordres, les uns sont pour la prédication, les autres pour l'étude.

Les ordres contemplatifs sont les plus parfaits, et les solitaires quand ils sont ce qu'ils doivent être, mènent une vie plus parfaite encore que ceux qui vivent en communauté.

On doit entrer en religion quand on s'y est engagé par un voeu ; les prêtres et les archidiacres peuvent quitter le ministère des âmes pour se faire religieux. On ne peut passer d'un ordre à un autre que pour embrasser une règle plus parfaite, et il faut le consentement du supérieur.


II-II (Drioux 1852) Qu.1