Brentano: Visions de la Bse Emmerich - DIXIÈME CHAPITRE. Depuis le clôture de la première fête de Pâques, jusqu’à l’emprisonnement de Jean Baptiste. (Du 16 mai au 24 juillet.)


ONZIÈME CHAPITRE. Jésus à Béthanie et au puits de Jacob. Dina la Samaritaine. (Du 5 juillet au 9 août.)


Jésus va à Béthanie avec Lazare.- Mesures prises à Béthanie afin de pourvoir aux besoins de Jésus et des apôtres pendant leurs voyages de prédication.- Jeu de loterie des femmes.- La perle perdue et retrouvée.- Jésus à Béthoron et dans la contrée voisine.- Souffrances des disciples : leurs sentiments.- Le puits de Jacob près de Sichar.- La samaritaine.

(23 juillet.) Pendant la nuit dernière, je vis Jésus avec Lazare et les disciples de Jérusalem, au nombre de cinq, dans le pays voisin de Béthulie. La ville était située très haut, et je croyais qu'ils allaient la traverser : mais le chemin tournait autour. Je les vis ensuite vers le matin, devant Jezraël, entrer dans une métairie et un jardin qui appartenaient à Lazare. Ce n'était qu'une espèce de pied à terre, il y avait pourtant un jardin. Les disciples étaient allés en avant pour faire préparer une collation il y avait là un homme de confiance de Lazare. Ils arrivèrent de grand matin, se lavèrent les pieds là, nettoyèrent leurs habits, mangèrent quelque chose et se reposèrent. En quittant Jezraël, ils traversèrent un petit cours d'eau, laissèrent à gauche Scythopolis, puis Salem, et se dirigèrent vers le Jourdain, en franchissant les dernières pentes d'une montagne. Ils allèrent ensuite plus au midi que Samarie, au delà du Jourdain, et comme il était déjà nuit, ils se reposèrent au pied d'une hauteur qui est au bord du fleuve et où habitaient des bergers de leur connaissance.

(26 juillet.) Je vis Jésus avec Lazare (les disciples étaient partis séparément par des chemins plus courts) traverser le Jourdain avant le jour et entrer dans le désert de Jéricho, en passant entre Haï et Galgala. Ils marchèrent tout le jour sans être vus, suivant des sentiers solitaires et évitant les lieux habités. Quelques lieues avant Béthanie, Lazare prit les devants et Jésus continua seul sa route. Ils contournèrent aussi les hôtelleries que Lazare avait dans cette partie du désert.
Dans le château de Béthanie on savait déjà que Jésus arrivait. Il y avait là Saturnin, Nicodème, Joseph d'Arimathie et ses neveux, Jean Marc, les fils de Siméon, les fils de Jeanne Chusa et de Véronique, et trois fils d'un employé au temple appelé Obed, mort assez récemment : avec eux étaient les disciples venus de Galilée, y avait avec Lazare une quinzaine d'hommes et aussi plusieurs femmes : la veuve d'Obed, femme de distinction âgée, qui était parente de Lazare par la mère de celui-ci, Véronique, Jeanne Chusa, Marie, mère de Jean Marc, Marthe et sa vieille servante, personne très intelligente qui plus tard s’attacha à la communauté chrétienne et servit le Sauveur. Toutes ces femmes attendaient en silence et cachées dans le château ; elles se tenaient dans la pièce souterraine ou grand caveau voûté où je les vis rassemblées avant la douloureuse passion.
Jésus arriva après le repas, vers quatre heures ; il entra par une porte de derrière dans les jardins de Lazare qui vint le recevoir dans une salle où il lui lava les pieds. Je vis dans cette salle un bassin dans le sol où aboutissait un conduit venant de la maison, et je vis à l'intérieur du logis Marthe verser de l'eau tiède qui coula dans le bassin par ce conduit : Jésus assis sur le bord y plaça ses pieds que Lazare lava et essuya. Il battit ensuite les habits du Seigneur, lui mit d'autres chaussures et lui offrit à boire et à manger.
Alors Jésus se rendit avec lui dans la maison par un long berceau de feuillage et descendit dans la pièce voûtée. Les femmes se voilèrent et s'agenouillèrent devant lui, les hommes firent seulement une inclination profonde. Il les salua et les bénit tous. Aussitôt après on se mit à table. Les femmes étaient assises d'un côté sur des coussins, les jambes croisées.
Nicodème était extraordinairement touché et très désireux d'entendre Jésus. Les hommes parlèrent avec amertume de l'emprisonnement de Jean. Jésus dit que cela avait dû arriver et que c'était la volonté de Dieu : qu'ils ne devaient pas parler de ces sortes de choses pour ne pas se faire remarquer et attirer par là le danger. Si Jean n'avait pas été mis de côté, il n'aurait pas pu encore se mettre à l'oeuvre. Les fleurs doivent tomber quand le fruit vient
Ils parlèrent aussi avec amertume de l'espionnage et de la persécution des pharisiens et Jésus leur enjoignit également à ce sujet la paix et le silence. Il plaignit les pharisiens et raconta la parabole de l'économe infidèle. Il me fut expliqué que les pharisiens aussi étaient des économes infidèles, mais qu'ils n'agissaient pas avec l'habileté de celui-ci et qu’ils ne savaient pas se préparer un asile pour le jour où ils seraient rejetés. Après le repas ils allèrent dans une autre pièce où les lampes étaient allumées : Jésus fit la prière et ils célébrèrent le sabbat. Jésus s'entretint ensuite avec les hommes et ils allèrent prendre du repos. Jésus ne coucha pas, comme il l'avait fait d'autres fois, dans une pièce qui était en haut et donnait sur la rue, mais ils dormirent dans une rangée de chambres séparées, au-dessus desquelles passait une galerie ou un chemin. Cela me fit penser aux maisons de Fribourg en Suisse, qui sont au-dessous de la rue.
Lorsque le silence régna et que tout fut plongé dans le sommeil, Jésus se releva de sa couche et alla seul, sans être vu de personne, dans la grotte du mont des Oliviers, où il lutta dans la prière le jour de sa douloureuse passion : cette fois aussi il y pria son Père céleste de le fortifier dans ses travaux. Il revint à Béthanie avant le jour sans avoir été vu.

(27 juillet.) Je vis encore Jésus caché à Béthanie avec ses amis rassemblés. Les trois fils d'Obed qui étaient attachés au service du temple et d'autres qui avaient affaire au temple se rendirent à Jérusalem Ce jour-là je ne vis personne sortir de la maison. Tout était calme et personne ne savait que Jésus fût présent. Cette fois je ne vis pas Simon le lépreux avec eux.
Aujourd'hui, pendant le repas, Jésus parla de son séjour dans la haute Galilée, chez les habitants d'Amead, d'Adama et de Séleucie : comme les hommes à cette occasion s'élevèrent contre les sectes avec un zèle amer, il leur reprocha leur dureté et leur raconta une parabole touchant un homme qui était tombé entre les mains des voleurs sur le chemin de Jéricho, et dont un Samaritain avait eu plus de pitié qu'un lévite (Lc 10,30-35). J'ai souvent entendu raconter cette parabole et toujours avec de nouvelles explications. Il parla aussi du sort qui était réservé à Jérusalem.
Cette nuit, pendant que tout le monde reposait, Jésus alla encore prier dans la grotte de la montagne des Oliviers. Il pleura beaucoup et éprouva de violentes angoisses. Il était comme un fils qui part pour de grandes entreprises et qui auparavant se jette sur le sein de son père pour recevoir de la force et de la consolation.
Mon conducteur me dit que chaque fois que le Seigneur s'était trouvé à Béthanie, pour peu qu'il eût une heure de liberté, il était allé prier là pendant la nuit, et que c'était une préparation à sa dernière agonie sur la montagne des Oliviers. Il me fut aussi montré que Jésus priait et pleurait là de préférence, parce que c'était sur cette montagne qu'Adam et Eve chassés du paradis avaient pour la première fois foulé la terre inhospitalière. Je les vis pleurer et prier dans cette grotte. Je vis que ce fut dans le jardin des Oliviers où il faisait des plantations, que Caïn, dominé par son ressentiment, prit la résolution de tuer Abel. Cela me fit penser à Judas. Je vis Caïn commettre son fratricide dans les environs de la montagne du Calvaire, et Dieu lui en demander compte sur celle des Oliviers. Jésus était de retour à Béthanie au point du jour. Je crois que la nuit prochaine il ira à Béthoron, où les douze disciples sont convoqués.

(28 juillet.) Aujourd'hui, le sabbat étant passé, on s'occupa de l'affaire qui avait principalement motivé la venue de Jésus à Béthanie. Les saintes femmes avaient appris avec peine combien lui et ses compagnons avaient à supporter de privations en voyage, et comment dans le dernier voyage qu'il avait fait en toute hâte à Tyr, il lui avait fallu tremper dans l'eau pour pouvoir les manger, les croûtes de pain desséchées que Saturnin avait recueillies pour lui en demandant l'aumône. C'est pourquoi ces amies de Jésus s'étaient offertes pour lui préparer des logements fournis de toutes les choses nécessaires et Jésus avait accepté. Or il était venu pour s'entendre avec elles sur ce qu'il y aurait à faire.
Lorsqu'il annonça que dorénavant il prêcherait publiquement en tous lieux, Lazare et ses amies offrirent de nouveau de lui préparer des logements, d'autant plus que les Juifs, excités par les pharisiens, spécialement dans les villes des alentours de Jérusalem, n'offraient rien à Jésus et à ses disciples. Ils prièrent donc le Seigneur de leur indiquer les principaux points où il devait s'arrêter pendant ses voyages de prédication et le nombre des disciples qu'il aurait avec lui, afin de calculer là-dessus le nombre des gîtes et la quantité des provisions. Jésus leur fit connaître alors la direction et les temps d'arrêt de ses voyages, et approximativement le nombre de ses disciples On résolut de préparer une quinzaine d'hôtelleries dont la direction serait confiée à des personnes de confiance, quelquefois à des parents, et cela dans tout le pays, puis en dehors de la Galilée, dans le pays de Khabul, en se dirigeant vers Tyr et au midi.
Les saintes femmes examinèrent ensemble de quel district et de quelle espèce de soins chacune d'elles aurait à se charger. Ainsi, elles se partagèrent le choix des hommes de confiance, la fourniture des objets nécessaires, comme couvertures, vêtements, chaussures, etc., leur nettoyage et leur réparation, et le soin du pain et des autres provisions de bouche ; tout cela se fit avant et pendant le repas : Marthe était bien là à sa place.
Après le repas, on devait tirer au sort la répartition des frais entre elles. Je vis, quand on fut sorti de table, Jésus, Lazare, les amis du Seigneur et les saintes femmes, se réunir en particulier dans une grande pièce voûtée. Jésus était assis d'un côté de la salle sur un siège élevé : les hommes se tenaient debout ou assis autour de lui : les femmes étaient assises à l'autre bout, sur une terrasse avec des degrés, recouverte de tapis et de coussins. Jésus enseigna sur la miséricorde de Dieu envers son peuple, dit comment il avait envoyé les prophètes l'un après l'autre, comment tous avaient été méconnus et maltraités, comment ce peuple rejetait aussi le dernier temps de grâce, et ce qui adviendrait de lui. Après qu'il eut longtemps parlé sur ce sujet, quelques-uns lui dirent :"Seigneur, racontez-nous cela dans une belle parabole." Alors Jésus raconta de nouveau la parabole du roi qui envoya son fils à sa vigne après que tous ses serviteurs eurent été mis à mort par des vignerons infidèles, et comment ils firent aussi mourir le fils, etc.
A la fin de cette prédication, quelques uns des hommes sortirent, et Jésus se promena de long en large dans la salle avec les autres : Marthe, qui allait et venait, s'approcha de lui et lui parla avec beaucoup d'anxiété de sa soeur Madeleine, d’après ce que Véronique lui avait rapporté d'elle.
Pendant qu'il allait et venait dans la salle avec les hommes, les femmes étaient assises et jouaient à une espèce de jeu de loterie au profit de l'administration dont elles s'étaient chargées. Elles avaient entre elles une table à roulettes placée sur une 'extrade élevée. C'était comme une espèce de coffre haut d’environ deux pouces. Au centre était comme une étoile rayonnant vers cinq extrémités. Sur la face supérieure de ce coffre, qui était creux intérieurement et partagé en divers compartiments, cinq rainures profondes allaient des cinq coins au centre, et entre ces rainures étaient percés divers trous qui correspondaient à l'intérieur de la boîte. Toutes ces femmes avaient apporté de longs cordons de perles enfilées et beaucoup d'autres pierres précieuses, et chacune, selon que son tour de jouer était venu, en entassait un certain nombre dans une des rainures. Alors, l'une après l'autre, elles plaçaient au bout des rainures, derrière la dernière perle, un joli petit appareil qui, pressé avec la main, lançait une petite flèche contre la perle la plus rapprochée ; cela donnait une secousse à toute la ligne, en sorte que les perles ou les pierres précieuses sortaient de la rangée et tombaient dans l'intérieur de là boîte par les ouvertures ou sautaient sur d'autres rainures. Quand toutes les perles furent ainsi poussées ailleurs, on remua à droite et à gauche la table qui était posée sur des roulettes : alors les perles et les pierres précieuses, tombées dans l'intérieur, allèrent se rendre dans plusieurs petites cassettes que l'on pouvait retirer par le bord de la table, et dont chacune appartenait à l'une des personnes qui prenaient part au jeu. Ainsi, chacune de ces saintes femmes tira une de ces petites cassettes et vit ce qu'elle avait perdu de ses bijoux et gagné au profit de la charge qu'elle avait prise.
Dans ce jeu des saintes femmes, une perle très précieuse qui était tombée entre elles s'était perdue ; elles la cherchèrent partout avec beaucoup de soin, et la retrouvèrent enfin à leur grand contentement : alors Jésus vint à elles et leur raconta la parabole de la drachme perdue et retrouvée avec tant de joie ; puis de leur perle égarée, cherchée si soigneusement et si heureusement retrouvée, il tira une nouvelle comparaison appliquée à Madeleine. Il l'appela une perle plus précieuse que bien d'autres, laquelle, de la table de jeu du saint amour, était tombée sur la terre et s'était perdue. Avec quelle joie, dit-il, vous retrouverez cette perle précieuse ! Alors les femmes, profondément émues, lui répondirent : Ah ! Seigneur, cette perle se retrouvera-t-elle ? et Jésus leur dit : Il faut chercher avec encore plus de diligence que la femme de la parabole ne cherche sa drachme et le pasteur sa brebis perdue. Sur ce discours, toutes, vivement touchées, promirent de chercher Madeleine avec encore plus de soin que leur perle, de se réjouir bien davantage si elle se retrouvait, etc. Quelques-unes des femmes prièrent aujourd'hui le Seigneur de vouloir bien admettre parmi ses disciples le jeune homme de Samarie qui lui avait demandé cette faveur après la Pâque, comme il passait à Samarie : elles lui parlèrent de la grande vertu et de la science de ce jeune homme, qui était, je crois, parent de l'une d'elles. Mais Jésus leur répondit qu'il viendrait difficilement, et qu'il était aveuglé par un côté, entendant par là qu'il tenait trop aux biens de ce monde
Le soir, plusieurs des hommes et des femmes prirent leurs mesures pour se rendre à Béthoron, ou Jésus voulait prêcher le lendemain. Quant au Seigneur, il alla encore en secret sur la montagne des Oliviers, et il y pria avec beaucoup d’ardeur, après quoi il partit avec Lazare et Saturnin pour Béthoron, qui est éloigné d'environ six lieues.

(29 juillet.) A une heure après minuit je vis Jésus avec Lazare, Saturnin et deux autres traverser le désert, dans la direction du nord-ouest, pour aller à Béthoron. Les disciples chargés de se rendre d'avance s'étaient déjà réunis la veille dans l'hôtellerie placée entre les deux déserts qui se coupent ici, à environ une lieue à l'est de Béthoron, ville située sur une montagne : dès le matin ils vinrent à deux lieues à la rencontre de Jésus C'étaient Pierre, André et leur demi frère Jonathan, Jacques le Majeur, Jean, Jacques le Mineur et Jude Thaddée, qui venait avec eux pour la première fois, puis Philippe, Nathanaël Khased, et je crois aussi le fiancé de Cana, avec un ou deux des fils des trois veuves Je vis Jésus avec eux dans le désert ; il s'assit pendant quelque temps sous un arbre et enseigna. Il parla de nouveau de la parabole du maître de la vigne qui envoie son fils. Ils revinrent à l'hôtellerie de bon matin. Je les vis manger quelque chose : Saturnin avait dans une bourse des pièces de monnaie qu'il avait reçues des saintes femmes, et il s'était occupé de trouver des aliments.
Vers huit heures du matin, ils allèrent à Béthoron. Deux disciples prirent les devants : ils se rendirent à la demeure du chef de la synagogue et demandèrent les clefs, parce que leur maître voulait enseigner : d'autres se répandirent dans les rues et y convoquèrent le peuple. Jésus entra avec les autres, et la synagogue fut bientôt remplie de monde : il parla encore ici très fortement à l'occasion de la parabole du maître de la vigne, et dont les serviteurs avaient été tués par les vignerons infidèles, lesquels mettent aussi à mort son fils qu'il leur envoie : après quoi le maître donnera sa vigne à d'autres. Il parla aussi de la persécution des prophètes, de l'emprisonnement de Jean, ajouta qu'on le poursuivait, lui aussi, et qu'on mettrait la main sur lui, et enfin annonça le jugement qui menaçait Jérusalem. Ses discours produisirent une grande émotion parmi les Juifs ; quelques-uns se réjouissaient, d'autres étaient pleins de rage et murmuraient : "D'où celui-ci vient-il ainsi tout à coup ? disaient-ils ; personne n'a su qu'il dût venir. " Quelques-uns d'entre eux, ayant appris qu'il y avait dans l'hôtellerie de la vallée des femmes qui étaient du nombre des adhérents de Jésus, s'y rendirent pour les interroger sur ce qu'il se proposait.
Il guérit plusieurs malades de la fièvre et quitta la ville au bout de quelques heures.
Véronique, Jeanne Chusa et la veuve d'Obed étaient arrivées à l'hôtellerie et avaient préparé à manger : le Seigneur et ses disciples mangèrent et burent debout, ils se ceignirent et continuèrent leur route. Je le vis ce même jour enseigner de la même manière à Kibzaïm et dans quelques hameaux de bergers. Les disciples n'étaient pas tous à Kibzaïm, mais ils se réunirent de nouveau dans une maison de bergers fort spacieuse avec des dépendances, située sur les frontières de la Samarie, et où Marie et Joseph avaient été accueillis lors du voyage à Bethléhem, après avoir vainement demande qu'on les reçût chez d'autres Ils mangèrent et dormirent ici. Ils étaient environ une quinzaine. Lazare et les femmes étaient repartis.

(30 juillet.) Aujourd’hui, je vis Jésus et les disciples, tantôt ensemble, tantôt séparément, traverser en grande hâte plusieurs endroits grands et petits qui se trouvaient ici dans un rayon de quelques lieues. Je me souviens d'avoir entendu nommer Gabaa et aussi Naïoth, qui peut être à quatre lieues de Kibzaïm, où Jésus était hier. Dans tous ces endroits, le Seigneur ne prit pas le temps d'enseigner dans les synagogues. Il prêcha sur des collines en plein air, sur des places publiques et dans les rues où le peuple se rassemblait une partie des disciples allait en avant dans les vallées, les petits villages et les maisons de bergers disséminées, pour convoquer le peuple aux endroits où Jésus devait s'arrêter. Plusieurs toutefois restaient près de lui. Tout ce travail, fait successivement en divers endroits, fut extrêmement fatigant et pénible.
Il guérit beaucoup de malades qui lui furent amenés dans les lieux où il passait, et qui invoquèrent son assistance. Il y avait dans le nombre plusieurs lunatiques. Beaucoup de possédés coururent après lui en criant, et il leur ordonna de se taire et de se retirer. Ce qui rendait la tâche de ce jour plus difficile, c'était la mauvaise disposition du peuple et les injures des pharisiens. Ces endroits, voisins de Jérusalem, étaient pleins de gens qui avaient pris parti contre Jésus. Il en était alors comme aujourd'hui dans les petits endroits où l'on répétait des bavardages et où l'on n'approfondissait rien. Là-dessus venait l'apparition subite de Jésus avec un grand nombre de disciples, et sa prédication très sévère et très menaçante : car il enseignait partout comme à Bethoron : il parlait du temps de la grâce qui touchait à sa fin, et le la justice qui devait venir après. Il revenait toujours sur les mauvais traitements qu'avaient soufferts les prophètes, sur l'emprisonnement de Jean, et sur la persécution à laquelle lui-même était en butte. Il racontait ordinairement la parabole du maître de la vigne qui avait envoyé son fils, et annonçait l'avènement du royaume dont le fils du roi devait prendre possession. Il criait aussi malheur à Jérusalem et à ceux qui ne recevraient pas son royaume et ne feraient pas pénitence. Ces discours sévères et menaçants étaient interrompus par beaucoup d'actes de charité et de guérisons, et il allait ainsi d'un lieu à l'autre.
Les disciples avaient beaucoup à endurer, ce qui leur était parfois très pénible. Là où ils allaient et annonçaient leur maître, ils entendaient souvent des paroles très injurieuses : " Voilà qu'il vient encore ! que veut-il ? d'où sort-il ? ne le lui a-t-on pas défendu. En outre, on riait d'eux, on criait après eux et on les insultait. Il y avait pourtant des gens qui les recevaient avec joie, mais ils n'étaient pas en grand nombre. Personne n'osait s'attaquer à Jésus lui-même : quand il enseignait et que les disciples se tenaient autour de lui ou le suivaient dans la rue, c'était à eux que s'adressaient tous ceux qui voulaient faire du bruit. Ils les arrêtaient, leur faisaient des questions ; ils n'avaient compris qu'à demi ou à contre-sens les sévères paroles de Jésus, et ils voulaient avoir des explications : au milieu de tout cela on entendait retentir aussi des cris de joie. C’est que le Seigneur avait guéri des malades ; cela irritait les contradicteurs et ils se retiraient. Il en fut de même jusqu'au soir : et à tout cela se joignait une marche fatigante et rapide, sans repos, sans nourriture, sans rien qui donnât du soulagement.
Je les vis encore aujourd'hui entrer dans la maison des bergers d'hier. Il me semble avoir vu qu'on leur lavait les pieds.
Je remarquai que les disciples étaient encore bien faibles et bien charnels ; que souvent, lorsque Jésus enseignait et qu'on les interrogeait, ils chuchotaient ensemble, ne comprenant pas au juste ce qu'il voulait dire. Ils étaient peu satisfaits de la situation qui leur était faite : ils se disaient à eux-mêmes : " Voilà que nous avons tout laissé là, et nous nous trouvons jetés au milieu du bruit et du tumulte. Qu'est-ce que ce royaume dont il parle ? Est-ce que réellement il en fera la conquête ? Telles étaient leurs pensées : mais ils les cachaient en eux-mêmes : seulement ils laissaient souvent voir leur embarras. Jean seul suivait son maître comme un enfant, entièrement soumis et sans arrière-pensée. Et pourtant ils avaient vu tant de miracles et en voyaient tant encore !
Il était singulièrement touchant de voir Jésus, qui connaissait toutes leurs pensées, n'en tenir aucun compte, leur montrer toujours le même visage, et continuer à faire son oeuvre, toujours serein, affectueux et grave.
Ils ont encore marché jusqu'à une heure très avancée, et ils ont passé la nuit dans la vallée, en deçà de la petite rivière qui sert de limite à la Samarie, chez des bergers, où ils n'ont presque rien trouvé. L'eau de cette rivière n'était pas bonne à boire ; elle était étroite et coulait rapidement vers l'ouest, étant ici à peu de distance de sa source qui est au pied du mont Garizim.


(31 juillet.) Aujourd'hui, Jésus passa la petite rivière avec ses compagnons ; ils firent le tour du mont Garizim sur leur droite, et se dirigèrent vers Sichar. André, Jacques le Majeur et Saturnin restèrent seuls avec Jésus sur ce chemin ; tous les autres allèrent dans d’autres directions : je ne sais plus bien de quoi ils étaient chargés. Jésus alla au puits de Jacob, qui est au nord du mont Garizim et au sud du mont Hébal, dans l'héritage de Joseph, sur une petite colline à l'ouest de laquelle se trouve Sichar, à environ un quart de lieue. Sichar est placée dans une vallée qui se prolonge encore à une lieue à l'ouest en longeant la ville. Samarie est située sur une montagne à deux grandes lieues au nord-ouest de Sichar.
Plusieurs chemins creusés dans le roc viennent de divers côtés, en montant la petite colline, aboutir au bâtiment octogone entouré d'arbres et de bancs de gazon qui renferme le puits de Jacob. Cet édifice est entouré d'arcades sous lesquelles une vingtaine d'hommes peuvent trouver place. En face du chemin de Sichar, une porte ordinairement fermée conduit sous cette galerie dans l'intérieur du bâtiment. Il y a dans la partie supérieure du toit une ouverture au-dessus de laquelle on met souvent une espèce de couvercle. L'intérieur du petit bâtiment est assez spacieux pour qu'on puisse circuler commodément entre la margelle de pierre du puits et la muraille. Le puits est fermé avec un couvercle en bois : quand il est ouvert, on voit un lourd cylindre placé en travers, du côté opposé à l'entrée : le seau à puiser y est suspendu et on le fait mouvoir assez péniblement au moyen d'une manivelle. Vis-à-vis la porte se trouve une pompe par laquelle on peut faire monter l'eau à la hauteur du mur de l'édifice. Cette eau coule à l'extérieur au levant, au midi et au couchant, dans trois petits bassins creusés sous le péristyle : les voyageurs s'y lavent les pieds et y font leurs ablutions : on peut aussi y faire boire le bétail.
Il était environ midi quand Jésus arriva à la colline avec les trois disciples. Il les envoya à Sichar chercher de quoi manger, car il avait faim. Il monta seul la colline pour les attendre. C'était une journée très chaude, Jésus était très fatigué et il avait soif. Il se plaça tout pensif à quelque distance du puits, au bord du chemin qui venait de Sichar, et la tête appuyée sur la main, il semblait attendre et désirer quelqu'un qui ouvrit le puits et lui donnât à boire. Je vis alors une femme samaritaine d'environ trente ans, agréable et bien faite, qui venait de Sichar, portant une outre suspendue au bras, et gravissait la colline pour prendre de l'eau. Elle était belle, et je la regardai avec un vrai plaisir, comme elle montait la colline à grands pas, tant elle était gracieuse, leste et vigoureuse. Son ajustement avait quelque chose de distingué ; on pouvait même y voir un peu de recherché. Son vêtement rayé de bleu et de rouge, était broché de grandes fleurs jaunes ; les manches, attachées en deux endroits du bras avec des bracelets de couleur jaune, paraissaient froncées autour des coudes. Elle portait un corsage blanc, orné de lacets de soie jaunâtre. Elle avait le cou recouvert tout entier d'une collerette de laine jaune, toute garnie de cordons de perles et de coraux. Son voile, d'un tissu de laine fin et riche, descendait très bas par derrière; cette partie postérieure était assez longue pour qu'elle pût la rassembler et l'attacher autour de son corps. Ainsi ramassé, le voile se terminait en pointe par derrière, et formait des deux côtés du corps deux plis dans lesquels les bras et les coudes pouvaient reposer commodément. Quand elle rapprochait les deux côtés du voile devant la poitrine, tout le haut du corps était couvert comme d'un petit manteau.

Note : C'est ainsi qu'elle s'exprima : peut-être était-ce cette large bandelette ornée d'or, d'argent, etc., et appelée strophium, avec laquelle les femmes de l'antiquité avaient coutume de se ceindre autour de la poitrine.

La tête de cette femme était toute couverte de bandelettes, et l'on ne voyait pas ses cheveux. Cette coiffure se terminait par quelque chose qui faisait saillie en avant du front : c'était comme une petite tour derrière laquelle se plaçait la partie antérieure du voile lorsqu'il était relevé : quand il était abaissé sur le visage, il tombait jusqu'à la poitrine.
Cette femme gracieuse, agile et forte, avait rejeté sur le bras droit son gros tablier brun de poil de chèvre ou de chameau, de sorte qu'il couvrait un peu l'outre de peau qu'elle portait suspendue à ce bras. C'était comme un tablier de travail dont il semble qu'on se servait en puisant de l'eau, pour préserver les vêtements du contact du seau ou de l'outre.
L'outre était de cuir : c'était comme un sac sans couture : elle était un peu rebondie de deux côtés, comme si elle eût été doublée avec des plaques de bois cintrées : les deux autres côtés se repliaient sur eux-mêmes quand elle était vide, comme les plis d'un portefeuille. Aux deux côtés saillants étaient assujetties des poignées recouvertes de cuir, à travers lesquelles passait une courroie par laquelle la femme portait l'outre à son bras. L'ouverture de l'outre était rétrécie : on pouvait' pour y verser l'eau, en séparer les côtés, de manière à lui donner la forme d'un entonnoir, puis on la fermait de nouveau comme on ferme un sac à ouvrage. L'outre, quand elle était vide, pendait à plat sur le côté ; remplie, elle s'arrondissait et contenait autant qu'un seau d'eau ordinaire.
Je vis donc cette femme gravir d'un pas agile la colline, où elle allait prendre de l'eau au puits de Jacob pour elle et pour d'autres : je l'aime beaucoup, elle est si bienveillante, si intelligente et si franche.
Elle s'appelle Dina, elle est née d'un mariage mixte et appartient à la secte samaritaine. Elle réside à Sichar, qui n'est pourtant pas son lieu de naissance ; elle y porte le nom de Salomé et on n'y sait rien de ce qui la concerne, mais on les voit sans peine dans cet endroit, elle et son mari, à cause de leur caractère franc, bienveillant et serviable.
A cause des détours que faisait le sentier, Dina ne put voir le Seigneur que quand elle fut devant lui. Il était là, seul, en proie à la soif, assis sur le chemin du puits, et son aspect avait quelque chose de singulièrement frappant. Il était revêtu d'une longue robe de fine laine blanche, avec une large ceinture ; elle me faisait l'effet d'une aube. C'était une robe de prophète que les disciples portaient avec eux quand ils allaient à sa suite. Il la mettait lorsqu'il enseignait dans des occasions solennelles ou qu'il agissait prophétiquement.
A un tournant du chemin, Dina se trouva inopinément en face de Jésus : elle s'arrêta court à sa vue, baissa son voile sur son visage et hésita à passer outre : le Seigneur était assis tout contre le chemin. Je vis aussitôt dans son intérieur s'élever rapidement cette pensée : " un homme ! que fait-il là ? Serait-ce une tentation ? "Jésus, en qui elle reconnut un Juif, la regarda avec sérénité et bienveillance, et retirant ses pieds en arrière, parce que le chemin était très étroit, il lui dit : "Passez et donnez-moi à boire !

Note : Dans le martyrologe romain, elle est nommée Photina.

Elle se sentit touchée de ces paroles, parce que les Juifs et les Samaritains étaient accoutumés à ne se regarder mutuellement qu'avec horreur ; elle s'arrêta encore un moment et dit : "Pourquoi êtes-vous ici tout seul à cette heure ? Si l'on me voyait ici avec vous, on s'en scandaliserait. "Jésus répondit que ses compagnons étaient allés à la ville chercher des aliments, et Dina lui dit : "Ce sont sans doute les trois hommes que j'ai rencontrés ! Mais ils trouveront peu de chose à cette heure ; les Sichémites ont besoin pour eux-mêmes de ce qu'ils ont préparé aujourd'hui." Elle parla comme s'il y avait aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne à Sichar, et nomma un autre endroit où ils auraient dû aller pour se procurer des vivres.
Jésus lui dit encore : "Passez et donnez-moi à boire !" Alors Dina passa devant lui : il se leva et la suivit au puits, qu'elle ouvrit. Tout en marchant elle lui dit : "Comment vous, qui êtes Juif, pouvez-vous demander à boire à une Samaritaine ? » Et Jésus lui répondit : "Si vous connaissiez le don de Dieu et si vous saviez quel est celui qui vous demande à boire, vous lui auriez demandé vous-même et il vous aurait donné de l'eau vive. "
Alors Dina leva le couvercle du puits, détacha le seau et dit à Jésus qui s'assit sur le bord du puits : " Seigneur, vous n'avez pas de vase pour puiser, et le puits est très profond ; d'où pourriez-vous avoir de l'eau vive ? Etes-vous donc plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui y a bu lui-même avec ses enfants et ses troupeaux ?" Comme elle parlait ainsi, j’eus une vision où il me fut montré comment Jacob creusa ce puits et comment l'eau jaillit devant lui. Mais la femme entendait les paroles de Jésus comme s'appliquant à de l'eau de source : en parlant ainsi, elle fit descendre le seau à l'aide du cylindre qui marchait difficilement, puis le tira, et je vis qu'elle relevait ses manches avec leurs agrafes, en sorte que l'étoffe bouffait par le haut. Alors avec son bras nu elle vida le seau dans son outre, et présenta à Jésus un petit cornet d'écorce rempli d'eau. Jésus, assis sur le rebord du puits, but et lui dit : "Qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau vive que je lui donnerai n'aura plus jamais soif. L'eau que je donne deviendra en lui une source qui jaillira jusque dans la vie éternelle '. "

Note : Les sources d'eau montent et se déversent de nouveau suivant la hauteur du point d'où elles sont parties. L'eau vive, le Saint-Esprit, est descendu au puits scellé de l'humanité du fils, de Jésus-Christ, et Jésus est monté à son tour avec la divinité et l'humanité jusqu'à la droite du Père. Le Seigneur lui-même a dit : "Qui croit en moi, des torrents d'eau vive couleront de ses entrailles, comme dit l'Ecriture. Il disait cela de l'Esprit Suint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui (Jn 7,38-39). Mais qui a reçu le Saint-Esprit dans une mesure égale à celle de la sainte Vierge ? Pour faire comprendre à quelques égards dans ce qu'elle a de plus profond la signification particulière de l'entretien de Jésus avec la Samaritaine au puits de Jacob, nous devons remarquer que comme dans la nature, de même dans le langage général prophétique et biblique, aux idées d'eau, de source, de puits, de fleuves, de fontaines, de pluie, etc., sont liées le plus souvent les idées de fécondation, d'origine, de propagation, de bénédiction du mariage, de maternité, etc. L'alliance de Dieu avec l'homme a toujours dans l'Ecriture le caractère d'un mariage légitime, sacramentel, car le contraire, qui est l'idolâtrie, est toujours désigné par le nom de prostitution, d'union illégitime des sexes. La mère est souvent désignée par le nom de fontaine. Quand Dieu par la bouche de Jérémie (Jr 2,12), menace son peuple parce qu'il s'est uni dans l'idolâtrie et l'impureté aux Egyptiens et aux Assyriens, il dit : " Mon peuple m'a quitté, moi qui suis la source d'eau vive, et il s'est creusé des citernes qui ne retiennent pas les eaux. " Isaïe (Is 48,1), s'adressant à son peuple parle ainsi : " Écoutez, maison de Jacob, vous qui êtes sortie des eaux de Juda, c’est-à-dire qui êtes sa postérité." Balaam, prophétisant sur la race de Jacob, s'exprime en ces termes : (Nb 24,7.) L'eau découlera de ses seaux et sa bénédiction sera comme les grandes eaux. Il est souvent parlé dans l'Ecriture d'eau vive, de torrents d'eau (Ez 47,1 Jl 3,18 Za 14,88 Ap 7,17-21 Ap 11 Ap 22,1-17, etc.) Les saints Pères entendent par là la grâce du Christ l'envoi du Saint-Esprit dans le baptême. Plusieurs vieilles traductions appellent l'ancien Testament l'ancien mariage, le nouveau, le nouveau mariage, et cela avec un grand sens. L'Eglise aussi est une mère, nous devons dans ses fonts baptismaux naître de nouveau de l'eau et de l'Esprit-Saint ; autrement, nous ne pouvons pas entrer dans le royaume de Dieu.

(Note de l'écrivain.)

Dina la Samaritaine était d'une humeur libre et enjouée, et elle dit en souriant à Jésus : " Seigneur, donnez-moi de cette eau vive, afin que je n'aie plus soif et que je n'aie plus à me tant fatiguer pour prendre de l'eau ici ". Mais elle était pourtant émue par ce qu'il avait dit de l'eau vive' et elle soupçonnait, sans bien s'en rendre compte, que Jésus entendait par là l'accomplissement de la promesse. Ainsi sa demande d'eau vive lui fut inspirée par un mouvement prophétique du coeur. J'ai toujours senti et reconnu que les personnages avec lesquels le Sauveur se mettait en relations ne devaient pas être considérés seulement comme des individus isolés, mais qu'ils étaient en outre la représentation complète de toute une classe de personnes. Il en était ainsi, parce que les temps étaient accomplis : c'est pourquoi Dina la Samaritaine représentait proprement devant le Rédempteur, toute la secte des Samaritains, séparée de la vraie foi d'Israël, qui était la source d'eau vive.
Jésus au puits de Jacob avait soif des âmes élues de Samarie, qu'il voulait désaltérer avec les eaux vives dont elles s'étaient éloignées. Et c'était ici la partie encore guérissable de la secte schismatique, qui avait soif de cette eau vive et tendait en quelque manière la main ouverte pour la recevoir. Samarie disait par la bouche de Dina : "Seigneur, donnez-moi la bénédiction de la promesse, étanchez ma soif, qui dure depuis si longtemps ; aidez-moi à trouver l'eau vive, afin que je reçoive plus de consolation que ne m'en donne cette fontaine terrestre de Jacob, par laquelle seule nous avons encore quelque communauté avec les Juifs. "
Quand Dina eut ainsi parlé, Jésus lui dit : "Allez dans votre maison, appelez votre mari et revenez. "J'entendis qu'il lui dit cela deux fois, en ce sens qu'il n'était pas là pour l'instruire elle toute seule. Le Sauveur disait par là à la secte : " Samarie, appelle au près de moi celui auquel tu appartiens, celui qui engendre de toi dans un mariage légitime, dans une sainte alliance. n Dina répondit au Seigneur : "Je n'ai pas de mari. "
Samarie avouait au fiancé des âmes qu'elle n'avait pas d'alliance, qu'elle n'appartenait à personne, qu'il ne sortait d'elle aucune fleur que l'Esprit-Saint pût féconder, qu'elle n'avait pas de mère du Messie; Jésus reprit : "Vous dites bien, car vous avez vécu avec cinq hommes, et celui avec lequel vous vivez maintenant n'est pas votre mari ; en cela vous avez dit vrai. " Par ces paroles, le Messie disait à la secte : "Samarie, tu dis vrai : tu as été mariée avec les idoles de cinq peuples, ton union actuelle avec Dieu n'est qu'une fornication et non un véritable mariage." Ici Dina, baissant les veux et courbant la tête, répondit : "Seigneur, je vois que vous êtes un prophète," et elle baissa de nouveau son voile. C'est ainsi que la secte samaritaine reconnut la mission divine du Seigneur et s'avoua coupable.

Note : Ces paroles de Jésus faisaient allusion à cinq diverses peuplades païennes que le roi d'Assyrie avait transportées à Samarie avec leur culte idolâtrique (2R 17,24), lorsque la plus grande partie du peuple eut été conduite en captivité à Babylone. Ce qui était resté à Samarie du peuple de Dieu s'était mélangé avec ces païens et avait participé à leur idolâtrie, et il s'était formé ainsi un mélange abominable du culte de Dieu et du culte du démon. Cette circonstance que l'homme avec lequel vivait actuellement Dina n'était pas son vrai mari, signifiait que Samarie, à l'époque de Jésus, n'était plus livrée au culte des idoles, mais cependant n'honorait le vrai Dieu que d'une manière illégitime et suivant son propre caprice. Le culte qu'elle rendait à Dieu avait été établi par des Juifs qui, ayant contracté des mariages illicites avec des Samaritaines et des païennes, et s'étant rendus coupables d'autres prévarications, étaient passés aux Samaritains. Un prêtre juif, petit-fils d'un grand-prêtre, s'était épris de la fille d'un gouverneur païen de Samarie et l'avait épousée. Ayant été excommunié pour ce fait, il s'était séparé du vrai temple de Dieu avec plusieurs autres Juifs coupables de la même faute et s'était retiré chez les Samaritains qui l'avaient reçu à bras ouverts lui et tous ses pareils. Alors son beau-père avait construit pour cet apostat un temple sur le mont Garizim et l'avait établi grand-prêtre. Ils adoraient là le vrai Dieu à leur manière et imitaient ce qui leur convenait dans le culte israélite. L'élément juif avait repris la prépondérance à Samarie, mais parce que ce nouveau culte n'avait été introduit que par des Juifs apostats, le nouveau temple avait rendu les Samaritains encore plus abominables aux yeux des Juifs, et comme eux-mêmes ne pouvaient nier qu'il était dit dans plusieurs écrits de l'ancien Testament que Dieu ne voulait être adoré que dans le temple de Jérusalem, ils rejetaient tous les livres où cela est dit expressément et n'admettaient que ceux où leur infidélité ne paraissait pas condamnée. Ils tombèrent par là dans des erreurs de toute espèce et comme ils cherchaient toujours des excuses et rougissaient jusqu'à un certain point de la vraie cause de leur séparation, ils prétendaient s'être déjà séparés des Juifs à une époque antérieure, à cause de l'impiété de ceux-ci. Ils changèrent souvent leurs professions de foi, suivant que leur intérêt l'exigeait sous les différents maîtres auxquels ils étaient assujettis. Si les Juifs se relevaient, ils s'appelaient les vrais et purs Israélites des tribus d'Ephraïm et de Manassé ; si les choses allaient mal pour les Juifs, ils ne voulaient rien avoir de commun avec eux et se qualifiaient de peuple étranger, etc. Mais tous les Samaritains étaient sous l'excommunication ecclésiastique et séparés du temple et de l'alliance de Dieu avec Israël. Ainsi donc la participation au puits terrestre de Jacob était restée le seul lien qui rattachât les Samaritains aux Juifs et à la promesse faite à ceux-ci, ou, en d'autres termes, ce qui subsistait encore du sang de Jacob dans le sang des Samaritains mélangé de tant d’impures sources païennes, était la seule chose qui leur conservait encore une relation avec l'oeuvre du salut. Le Rédempteur avait soif de leur salut au puits de Jacob ; Samarie y puisa de l'eau et lui donna à boire.

Comme si Dina eût compris le sens prophétique de ces paroles de Jésus : " Celui avec lequel tu vis maintenant n'est pas ton mari, "c'est-à-dire, "ton union actuelle avec le vrai Dieu est illégitime, en dehors de la loi ; le culte des Samaritains est par le péché et l'absence d'autorité, séparé de l'alliance de Dieu avec Jacob"" comme si elle eût compris, dis-je, la signification de ces paroles, elle montra du doigt le midi et le temple élevé près de là sur le mont Garizim, et cherchant à s'éclairer, elle dit : "Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous dites que c'est à Jérusalem qu'on doit adorer. "Alors Jésus la redressa en ces termes : " Femme, croyez-moi, l'heure vient où vous n'adorerez le Père ni sur le mont Garizim, ni à Jérusalem. " Ce qui équivalait à dire : "Samarie, l'heure vient où l'on n'adorera Dieu ni ici, ni dans le temple de Dieu et dans le sanctuaire, parce qu'il est présent au milieu de vous. "Puis il continua ainsi : "Vous ne savez pas ce que vous adorez, mais nous savons ce que nous adorons, car le salut vient des Juifs. ·, Ici il lui proposa une comparaison tirée des arbres et de certains rejetons sauvages et inutiles qui produisent abondamment du bois et des feuilles et ne portent pas de fruit. Le Sauveur disait par-là à la secte : "Samarie, tu n'as rien d’assuré dans ton culte : tu n'as pas d'alliance, pas de sacrement, pas de gage de l'alliance, pas de fruit : les Juifs ont tout cela, ils ont la promesse et son accomplissement, c'est d'eux que le Messie doit naître. "
Jésus dit encore : "Mais l'heure vient et elle est déjà venue où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car le Père veut de tels adorateurs. Dieu est esprit et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité ". Le Rédempteur disait par-là : " Samarie, l'heure vient, elle est déjà venue, où le Père doit être adoré par les vrais adorateurs dans le Saint-Esprit, et dans le Fils qui est la voie et la vérité ". Dina répondit à Jésus : " Je sais que le Messie vient. Quand il viendra, il nous manifestera toutes choses. Dans ces paroles la portion de la secte samaritaine qui pouvait prétendre à avoir quelque part à la promesse, disait ici, près du puits de Jacob : " J'espère et je crois à la venue du Messie. Il nous secourra. " Jésus lui répondit : "C'est moi, moi qui vous parle. "
Et c'était comme s'il avait dit à tous ceux de Samarie qui voulaient se convertir : " Samarie, je suis venu au puits de Jacob ; j'ai eu soif de toi, qui es l'eau de ce puits, et comme lu m'as donné à boire je t'ai promis de l'eau vive qui ne laisse jamais revenir la soif : tu m'avoues, avec des sentiments de foi et d'espérance, que aspires à cette eau. Voici que je te récompense, car tu as apaisé la soif que j'ai de toi par le désir que tu as de moi. Samarie, je suis la source des eaux vives, je suis le Messie qui te parle. "

Note : Il est remarquable que saint Athanase dit aussi dans une de ses quatre lettres à l'évêque égyptien Sérapion, qu'adorer le Père en esprit et en vérité veut dire adorer dans le Fils et le Saint-Esprit celui qui est à la lois trois et un. Relativement à l'explication plus approfondie de l'entretien entre Jésus et la Samaritaine, qui est ici intercalée dans l'entretien lui-même, la soeur Emmerich disait : J'ai dès ma jeunesse reçu sur ce point des explications de ce genre, mais je n'ai pas voulu les communiquer alors pour ne pas avoir l'air d'en faire vanité.

Lorsque Jésus dit : "C'est moi, moi qui vous parle, "Dina le regarda tout étonnée et tremblante d'une sainte joie, puis tout d'un coup elle se leva, laissa là son outre pleine d'eau et, sans fermer le puits, descendit en toute hâte la colline dans la direction de Sichar, pour annoncer à son mari et à tout le monde ce qui lui était arrivé. Il était sévèrement détendu de laisser ouvert le puits de Jacob, mais que lui importait le puits de Jacob, que lui importait son vase plein d'eau terrestre ! Elle avait goûté l'eau vive, et son coeur aimant, comblé de joie, aspirait à désaltérer tous les autres avec cette eau. Pendant qu'elle s'éloignait rapidement du bâtiment du puits laissé ouvert, elle passa devant les trois disciples qui apportaient de la nourriture et qui, depuis quelque temps déjà, se tenaient à peu de distance de la porte, tout surpris de ce que leur maître pouvait avoir un si long entretien avec une femme samaritaine. Mais leur respect pour lui les empêcha de l'interroger à ce sujet. Dina descendit à Sichar en courant, et dit avec un grand empressement à son mari et aux autres personnes qu'elle rencontra dans la rue : 0 Venez au puits de Jacob, vous y verrez un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait de plus secret ; venez, c'est vraiment le Messie ! "
Pendant ce temps les trois apôtres s'approchèrent de Jésus qui était près du puits, lui offrirent des petits pains et du miel qu'ils avaient dans leur corbeille et lui dirent : " Maître, mangez. "Jésus se leva, quitta le puits et leur dit : " J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas. "Les disciples se dirent entre eux : " Quelqu'un lui a-t-il apporté de la nourriture ? » et ils eurent la secrète pensée que la femme samaritaine lui en avait peut-être apporté. Jésus ne voulut pas s'arrêter là pour manger, mais il descendit la colline dans la direction de Sichar, et pendant que les disciples mangeaient en marchant derrière lui, il leur dit : "Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé, afin que j'achève son oeuvre. " Il voulait dire par-là qu'il avait à convertir les gens de Sichar, du salut desquels son âme était affamée. Il leur dit encore d'autres choses de ce genre.
Dans le voisinage de la ville, Dina, la Samaritaine, se présenta de nouveau, courant au-devant de Jésus. Elle s'approcha de lui très humblement, mais pleine de joie et de confiance, et Jésus lui dit encore plusieurs choses, tantôt s'arrêtant, tantôt marchant à pas lents. Il lui révéla tout ce qu'elle avait fait et tous ses sentiments intérieurs. Elle fut très émue et promit, pour elle et pour son mari, de tout quitter et de suivre Jésus qui lui indiqua plusieurs moyens pour expier et pour effacer ses fautes personnelles.
Dina était une femme de condition, très intelligente, issue d'un mariage mixte, née d'une mère juive et d'un père païen dans un bien de campagne voisin de Damas. Elle perdit ses parents de bonne heure et fut confiée aux soins d'une nourrice débauchée, ce qui fit qu'elle suça avec le lait de mauvaises passions. Elle avait eu cinq maris successivement : ils Jurent éloignés d'elle soit par le chagrin, soit par ses amants. C'est ainsi que les choses se passent quand on vit dans l'adultère, cherchant son plaisir de tous les côtés ; on ne peut pas quitter l'un et on ne veut pas fuir l'autre. On reçoit d'abord l'un en se cachant de l'autre qui gêne : on cherche ensuite toutes les occasions de se voir, des fêtes sont arrangées et dans le tumulte de l'orgie le mari devient la victime de l'amant : puis quand celui-ci est devenu mari, sa condition n'est pas meilleure.
Dina avait trois filles et deux fils déjà assez grands nés de ces mariages, ils étaient restés dans les familles de leurs pères respectifs lorsqu'elle fut obligée de quitter Damas. Les fils furent plus tard du nombre des soixante-douze disciples (Lc 10,1). L'homme avec lequel elle vivait actuellement était un riche marchand, parent d'un de ses premiers maris : comme elle était de la religion samaritaine, elle alla avec lui à Sichar où elle tenait son ménage et vivait avec lui dans un commerce illégitime; à Sichar on les croyait mariés. C'était un homme robuste, d'environ trente-six ans qui avait le teint coloré et une barbe rousse. Il y avait beaucoup de rapports entre la vie de Dina et celle de Madeleine, mais elle était tombée encore plus bas.

Note : Si Dina eût été comme Madeleine le rejeton d'une famille pieuse et élevée dans les préceptes de la vraie foi, elle ne serait pas tombée si bas. Madeleine avait grandi protégée, cultivée dans le jardin de la loi au milieu des plus nobles plantes : mais poussée par la vanité, par une curiosité imprudente, par le désir de briller, elle passa par-dessus la haie en s'appuyant sur un roseau fragile et tomba dans le marécage avec toutes ses belles-soeurs ; elle y resta enfoncée jusqu'au moment où elle embrassa les pieds de Jésus, versa son parfum sur sa tête et s'éleva vers la lumière au pied de la croix de la rédemption.

Dina grandit hors du jardin de la loi, sur la lande déserte, sans appui et sans exemples, livrée aux orages des sens et à l'impulsion de tous ses penchants. N'étant ni greffée ni taillée, elle serpenta comme une vigne sauvage à travers les ronces, les épines et les pierres entassées ; les serpents et les dragons pullulèrent sous ses branches, dont le feuillage était riche, mais dont les fruits étaient amers, jusqu'à ce qu'au puits de Jacob, le fils que son père avait envoyé dans sa vigne, lui donna de l'eau vive, retrancha les pousses sauvages, l'enta elle-même sur le vrai cep de vigne et l'enlaça à la croix.
Madeleine, sous la loi, devint pécheresse par infidélité à la grâce. Dina, presque étrangère à la loi, moins gardée contre la nature déchue, tomba entièrement sous son joug et fut entraînée à de plus grandes fautes encore : mais elle correspondit à la grâce plus vivement et plus promptement, par cela même qu'elle était tombée plus bas. La grâce les chercha et les trouva toutes les deux, et cette grâce était un fruit de la promesse, ne et cultivé dans le jardin de la loi. Du reste, tout ce qui leur arriva fut typique et figuratif.
Cependant, je vis aussi une fois que dans les commencements de la vie dissolue de Madeleine à Magdalum, un de ses amants fut tué par un autre. Mais je n'osais jamais le dire. Dina était une femme singulièrement intelligente, franche, facilement dévouée, attrayante, très vive et très prompte, mais toujours gênée dans sa conscience. Son existence actuelle avait une apparence plus décente : elle vivait seule avec cet homme qui passait pour son mari, dans une maison séparée, entourée d'un fossé plein d'eau, et voisine de la porte du puits ; les habitants de Sichar, sans la mépriser, ne frayaient pourtant pas beaucoup avec elle, parce qu'elle avait des habitudes différentes des leurs et qu'elle s'habillait un peu autrement et avec un peu plus de recherche, ce qu'on lui passait pourtant en sa qualité d'étrangère.

Pendant que Jésus s'entretenait avec la Samaritaine, les disciples le suivaient, se tenant toujours à quelque distance, et se demandant intérieurement ce qu'il pouvait avoir à dire à cette femme. " Nous avons eu tant de peine à nous procurer des aliments, pensaient-ils, pourquoi ne mange-t-il pas ? "
Quand on fut près de Sichar, Dina quitta le Seigneur et courut en avant, à la rencontre de son mari et de beaucoup d'autres qui sortaient en foule de la porte, curieux de voir Jésus : quand Jésus s'approcha, elle se tint un peu en avant d'eux et leur montra le Seigneur. Ces gens étaient dans la jubilation et lui souhaitaient la bienvenue avec des cris d'allégresse. Jésus s'arrêtant leur fit signe de se taire avec la main, il leur adressa quelques paroles amicales et leur dit entre autres choses qu'ils devaient croire tout ce que la femme leur avait dit. Il était, en leur parlant, si merveilleusement affectueux, et son regard était si brillant et si pénétrant que tous les coeurs étaient remués et attirés fortement vers lui. Ils le prièrent instamment de venir dans leur ville et d'y enseigner. Il le leur promit, mais il passa outre pour le moment. Tout cela eut lieu à peu près entre trois et quatre heures de l'après-midi.
Pendant qu'il parlait ainsi devant la porte avec les Samaritains, tous les autres disciples, qui étaient allés prendre quelques arrangements d'un autre côté, et parmi lesquels se trouvait Pierre, revinrent se joindre à lui. Eux aussi furent surpris et même assez mécontents de ce qu'il s'entretenait si longtemps avec les Samaritains. Cela leur faisait éprouver un certain embarras : car ils avaient été élevés dans l'idée qu'on ne devait frayer en aucune manière avec ce peuple, et par conséquent ils n'étaient pas accoutumés à voir pareille chose. Ils furent tentés de se scandaliser. Ils pensaient aux fatigues de ce jour et du jour précédent, aux injures, aux moqueries, aux rudes privations qu'ils avaient eu à subir, et pourtant ils savaient que les saintes femmes, à Béthanie, avaient fait des avances considérables, et ils s'étaient attendus à être mieux pourvus. Maintenant ils voyaient des rapports établis avec les Samaritains et pensaient en eux-mêmes qu'avec cette façon d'agir il n'était pas étonnant qu'on ne les accueillît pas mieux. Ils avaient aussi toujours dans l'esprit des idées extravagantes, toutes charnelles sur le royaume que Jésus devait fonder, et pensaient que si tout ceci venait à être su en Galilée, il en résulterait peut-être des affronts pour eux, etc.
Pierre s'était beaucoup entretenu à Samarie avec le jeune homme qui voulait être admis parmi les disciples, mais qui pourtant hésitait toujours, et il en parla à Jésus.
Jésus alla avec eux tous à environ une demi-lieue, en faisant le tour de la ville par le côté du nord-est, et ils se reposèrent là sous des arbres. Sur le chemin et en cet endroit, le Seigneur leur parla de la moisson. Il leur cita un proverbe qu'ils avaient souvent à la bouche : « encore quatre mois et la moisson se fera. » Les paresseux, disait-il, voulaient toujours ajourner toute espèce de travail, mais ils devaient voir que les campagnes blanchissaient sous la moisson déjà mûre. Il entendait parler des Samaritains et de bien d'autres qui étaient murs pour la conversion. "Eux, ses disciples, étaient appelés à moissonner, mais ils n'avaient pas semé : d'autres avaient semé, savoir les prophètes, Jean et lui-même. Celui qui moissonne, reçoit un salaire et recueille les fruits pour la vie éternelle, en sorte que le semeur et les moissonneurs se réjouissent ensemble : car en cette occurrence, le proverbe dit vrai : l'un sème et l'autre recueille. Je vous ai envoyés pour moissonner ce que vous n'avez pas cultivé, d'autres ont cultivé, vous êtes entrés dans leur travail. "il parla ainsi aux disciples pour les encourager au travail. Ils ne se reposèrent que peu de temps et ensuite ils se séparèrent : il ne resta avec Jésus qu'André, Philippe, Saturnin et Jean : les autres se dirigèrent vers la Galilée, entre Thébez et Samarie.
Quant à Jésus, laissant Sichar à droite, il alla avec les disciples à une lieue au sud-est, dans une plaine où étaient disséminées, au nombre d'une vingtaine, des maisons et des tentes habitées par des bergers ; Dans une de ces maisons, ils trouvèrent la sainte Vierge qui les attendait avec Marie de Cléophas, la femme de Jacques le Majeur et deux de celles que j'appelle les veuves. Elles avaient passé là toute la journée. Elles avaient apporté des aliments avec elles et elles préparèrent un repas. Jésus, en voyant sa mère, lui tendit les deux mains et elle inclina la tête devant lui ; les autres femmes le saluèrent en faisant une inclination profonde, les mains croisées sur la poitrine. Il y avait devant la maison un arbre sous lequel eut lieu le repas. Ce fut en ce lieu que Jésus bénit les enfants avant la résurrection de Lazare t.
Parmi les bergers qui demeuraient dans les environs étaient les parents des disciples que Jésus, après la résurrection de Lazare, prit avec lui pour sa course en Arabie et en Egypte. C'étaient des hommes qui avaient accompagné les trois rois à Bethléem ; lors du retour précipité de ceux-ci, ils étaient restés dans le pays et avaient épousé des filles de bergers établis dans les vallées voisines de Bethléem. Les gens qui demeuraient ici cultivaient aussi la terre sur l'héritage de Joseph, ils le tenaient à ferme des Sichémites. Plu sieurs de ces bergers étaient rassemblés ici : il n'y avait pas de Samaritains.

Note : Il ne faut pas oublier que les dernières années de la prédication ont été racontées les premières.

Peu après l'arrivée de Jésus, la sainte Vierge le pria de guérir un enfant paralytique que les bergers du voisinage avaient apporté. Ils avaient déjà demandé à Marie d'intercéder pour eux ; cela arrivait souvent et rien n'était plus touchant que de la voir implorer Jésus. Jésus fit apporter l'enfant : les parents le portèrent sur une litière devant la maison ; il était âgé d'environ neuf ans Jésus exhorta les parents, et comme ils s'étaient retirés en arrière, un peu intimidés, les disciples se rangèrent auprès de Jésus. Il adressa la parole à l'enfant et se courba un peu sur lui, puis il le prit par la main et le releva. L'enfant descendit alors du lit, se mit à marcher et courut se jeter dans les bras de ses parents qui se prosternèrent avec lui devant Jésus. Tous ceux qui étaient là furent transportés de joie, mais Jésus les exhorta à rendre grâces au Père céleste. Il fit aussi une courte instruction aux bergers rassemblés et prit avec les disciples un petit repas que les femmes avaient préparé sous un berceau de verdure qui était devant la maison, auprès d'un grand arbre. Marie et les femmes étaient assises à part à l'extrémité de la table. Je crois que cette maison deviendra peut-être un logement à l'usage de Jésus et de ses disciples, confié aux soins des femmes de Capharnaüm.
Alors des gens de Sichar s'approchèrent timidement ; Dina était parmi eux. D'abord ils n'osaient pas approcher, parce qu'ils n'avaient pas l'habitude de frayer avec ces bergers juifs. Mais Dina s'avança la première, et je la vis s'entretenir avec les femmes et la sainte Vierge. Après le repas, Jésus prit congé des saintes femmes, qui se disposèrent aussitôt à retourner en Galilée, où Jésus doit se rendre après-demain.
Jésus alla alors à Sichar avec Dina et les autres Samaritains. Cette ville n'est pas très grande, mais elle a des rues larges et des places spacieuses. La maison de prière des Samaritains est plus ornée et plus élégamment bâtie à l'extérieur que ne le sont les synagogues dans les petites bourgades juives.
Les femmes ne vivent pas aussi retirées que les juives ; elles ont des relations plus fréquentes avec les hommes. Lorsque Jésus arriva à Sichar, une grande foule de peuple l'entoura aussitôt. Il n'entra pas dans la synagogue ; il enseigna tout en marchant dans les rues, et sur la place publique où il y avait une chaire. Partout l'affluence du peuple était très grande : ils étaient pleins de joie de ce que le Messie était venu les visiter.
Dina, quoique très touchée et très recueillie, est avec les autres femmes, se tenant aussi près que possible de Jésus. On a maintenant des égards particuliers pour elle, parce que c'est elle qui, la première, a trouvé Jésus. Elle envoya l'homme avec lequel elle vit à Jésus qui lui adressa quelques paroles d'exhortation. Cet homme se tenait devant lui tout intimidé et rougissant de son péché. Jésus ne s'arrêta pas longtemps à Sichar ; il sortit par la porte opposée et enseigna encore devant la ville, dans des maisons et des jardins qui s'étendaient assez loin dans la vallée il s’arrêta dans une hôtellerie, à une bonne demi-lieue en avant de Sichar, et promit d'enseigner encore à Sichar le jour suivant.

(1er août.) Jésus est retourné aujourd'hui à Sichar, et il a enseigné tout le jour dans la ville, sur la chaire et sur les places, devant la ville sur des collines, et le soir dans l'hôtellerie où il était hier. Il y avait là des gens de tout le pays ; ils venaient l'entendre tantôt dans un lieu, tantôt dans l'autre. On entendait dire "C'est ici ou c'est là qu'il prêche maintenant. "Le jeune homme de Samarie vint une fois l'écouter, mais il ne lui parla pas.
Dina se tient partout en avant, et elle marche à grands pas a travers la foule pour aller à Jésus. Elle est très attentive, très émue et très sérieuse. Elle s'est encore entretenue avec lui, elle veut se séparer sans délai de son amant. Ils veulent donner tout ce qu'ils ont, s'il y consent, pour la communauté future et pour les pauvres. Jésus lui a indiqué ce qu'elle aura à faire. Beaucoup de gens sont touchés, et ils disent à la Samaritaine : " Vous avez eu raison de le dire : nous l'avons maintenant entendu nous-mêmes ; c'est le Messie." Cette excellente femme est maintenant tout à fait sur le pinacle : combien elle est grave et heureuse ! J'ai toujours eu pour elle une affection particulière Jésus parla ici, comme dans les lieux où il avait été précédemment, de la prison de Jean, de la persécution des prophètes, du précurseur qui avait préparé la voie, du fils envoyé dans la vigne et mis à mort par les vignerons. Il dit très expressément qu'il était envoyé par le Père. Il répéta aussi tout ce qu'il avait dit à la Samaritaine auprès du puits de Jacob, parla du mont Garizim, du salut qui vient des Juifs, de l'avènement prochain du royaume de Dieu, de l'approche du jugement, et du châtiment des mauvais serviteurs qui ont fait mourir le fils du maître de la vigne. Plusieurs lui demandèrent où ils iraient se faire baptiser et purifier, maintenant que Jean était en prison ; il leur répondit que les disciples de Jean baptisaient de nouveau près d'Ainon, de l'autre côté du Jourdain, et que jusqu'à ce qu'il vînt lui-même faire baptiser, c'était là qu'ils devaient aller. Beaucoup y allèrent dès le jour suivant.
Note : Anne Catherine aimait beaucoup la Samaritaine, et celle-ci paraissait la payer de retour, car elle lui apparut trois fois pendant ces jours-là, indépendamment de ses visions touchant la vie du Sauveur. Elle la vit sous la forme d'une femme tout habillée de blanc avec une couronne sur la tête, qui s'inclinait profondément et humblement devant Jésus. Une autre fois elle vit tout à coup Dina sous cette même forme, comme si, étant dans la rue, elle la regardait par la fenêtre sur son lit de douleur et lut faisait un signe amical. Elle vit cela étant éveillée. Une fois elle eut une vision de ce genre en présence de l'écrivain. Elle avait alors à combattre une tentation d'impatience. Au milieu de ses plaintes à ce sujet, il semblait qu'on voulut d'en haut la distraire de sa faiblesse et l'en faire rire : ayant encore les yeux pleins de larmes, elle s'écria tout à coup : " Voilà la Samaritaine devant moi et voilà Jésus ! Elle s'incline devant lui au détour du chemin ' avec quelle humilité elle le regarde ! Elle est maintenant tout autre : elle est blanche comme la neige et modestement vêtue. Cela n'est pas encore maintenant, c'est encore à venir.
Comme on lui faisait remarquer combien tout cela s'accordait peu avec ses plaintes, elle ne put s’empêcher de rire et de rougir, mais avoua qu'il lui était difficile de s'ôter de la tête cette pensée extravagante. Des tableaux de ce genre lui sont souvent présentés tout à coup pour la récréer : c'est ainsi qu'une tendre mère s'applique à distraire de son chagrin son enfant malade et gémissant, ou à le récompenser d'avoir pris sur lui en lui montrant un livre d'images.
Vers le soir Jésus revint dans l'hôtellerie où il était hier : il y enseigna et y dormit. Ce soir commence, à ce que je crois, un jour de jeûne. Le jour suivant, je n'ai pas vu manger du tout, ce soir seulement des aliments froids.

(2 août.) Ce matin Jésus enseigna des gens de toute espèce dans l'hôtellerie et sur les collines qui sont dans le voisinage. Il eut pour auditeurs des ouvriers, et aussi ces esclaves qu'onze mois auparavant il avait consolés après son baptême dans la plaine des bergers, voisine de Betharaba. Hier et encore aujourd'hui plusieurs espions envoyés par les pharisiens du pays étaient présents. Ils entendirent avec colère tous ses enseignements ; ils chuchotaient ensemble et murmuraient d'un air insolent ; mais ils n'osaient pas lui adresser la parole, et lui de son côté ne les regardait pas. Il y avait aussi là des docteurs samaritains et d'autres gens de cette secte qui se montraient récalcitrants et mécontents.

Brentano: Visions de la Bse Emmerich - DIXIÈME CHAPITRE. Depuis le clôture de la première fête de Pâques, jusqu’à l’emprisonnement de Jean Baptiste. (Du 16 mai au 24 juillet.)