Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 214


215. JESUS EST CONDUIT A PILATE

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On conduisit le Sauveur à Pilate à travers la partie la plus fréquentée de la ville, laquelle en ce moment fourmillait de Juifs venus de toutes les parties du pays pour les fêtes de Pâques, sans parler d'une multitude d'étrangers. Le cortège descendit la montagne de Sion par le côté du nord, traversa une rue étroite située au bas, puis se dirigea par le quartier d'Acra, le long de la partie occidentale du Temple, vis-à-vis du grand forum ou marché. Caïphe, Anne et beaucoup de membres du grand conseil marchaient devant en habits de fêtes et on portait derrière eux des rouleaux d'écritures ; ils étaient suivi d'un grand nombre de Scribes et de plusieurs autres Juifs, parmi lesquels se trouvaient tous les faux témoins et les méchants Pharisiens qui s'étaient donné le plus de mouvement lors de la mise en accusation de Jésus. A une petite distance venait le Sauveur entouré d'une troupe de soldats et de ces six agents qui avaient assisté à son arrestation ; les archers le conduisaient avec des cordes. La populace affluait de tous les côtés, et se joignait au cortège avec des cris et des imprécations ; des groupes se pressaient sur tout le chemin.

Jésus n'était couvert que de sa robe de dessous toute souillée d'immondices ; la longue chaîne passée autour de son cou frappait contre ses genoux lorsqu'il marchait, ses mains étaient liées comme la veille, et les archers le traînaient encore avec des cordes attachées à sa ceinture. Il allait chancelant, défiguré par les outrages de la nuit, pâle, défait, le visage enflé et meurtri, la barbe et les cheveux en désordre ; et les injures et les mauvais traitements continuaient sans relâche. On avait ameuté beaucoup de populace, pour parodier en quelque sorte son entrée royale du Dimanche des Rameaux. On lui donnait par dérision plusieurs des titres qu'on donne aux rois ; on jetait sous ses pieds des pierres, des morceaux de bois, de sales haillons ; on se raillait de mille façons de cette entrée triomphale. Les bourreaux le traînaient avec leurs cordes par-dessous tous ces objets qui encombraient la voie, le secouant, le poussant et le maltraitant sans relâche.

Non loin de la maison de Caïphe attendait la sainte mère de Jésus, serrée dans l'angle d'un bâtiment, avec Jean et Madeleine. Son âme était toujours avec Jésus ; toutefois, quand elle pouvait l'approcher corporellement, l'amour ne lui laissait pas de repos, et la poussait sur les traces de son Fils. Après sa visite nocturne au tribunal de Caïphe, elle était restée quelque temps au Cénacle, plongée dans une douleur muette ; puis, lorsque Jésus fut tiré de sa prison pour être de nouveau amené devant ses juges, elle se leva, mit son voile et son manteau, et sortant la première, elle dit à Madeleine et à Jean : « Suivons mon Fils chez Pilate ; je veux le voir de mes yeux. » Ils se rendirent par un chemin détourné à un endroit où devait passer le cortège, et où ils attendirent. La mère de Jésus savait bien ce que souffrait son Fils, elle l'avait toujours présent à l'esprit ; toutefois son oeil intérieur ne pouvait le voir aussi défait et aussi meurtri qu'il l'était par la méchanceté des hommes, parce que ses douleurs lui apparaissaient adoucies dans une auréole de sainteté, d'amour et de patience. Mais voici que l'ignominieuse, la terrible réalité s'offrit à sa vue. C'étaient d'abord les orgueilleux ennemis de Jésus, les prêtres du vrai Dieu, revêtus de leurs habits de fête, avec leurs projets déicides et leur âme pleine de malice, de mensonge et de fourberie. Horrible spectacle ! Les prêtres de Dieu étaient devenus les prêtres de Satan. A leur suite venaient les faux témoins, les accusateurs sans foi, la populace avec ses clameurs, puis enfin Jésus, le Fils de Dieu, le Fils de l'homme, le Fils de Marie, horriblement défiguré et meurtri, enchaîne, frappé, poussé, se traînant plus qu'il ne marchait, perdu dans un nuage d'injures et de malédictions. Ah ! s'il n'eût pas été le plus misérable, le plus délaissé, le seul priant et aimant dans cette tempête de l'enfer déchaîné, sa mère ne l'eût jamais reconnu dans cet état. Quand il s'approcha, elle s'écria en sanglotant : « Hélas ! est-ce là mon fils ? Ah ! c'est mon fils ; ô Jésus, mon Jésus ! » Le cortège passa près d'elle, le Sauveur lui jeta un regard touchant, et elle perdit connaissance. Jean et Madeleine l'emportèrent ; mais à peine se fut-elle remise un peu, qu'elle se fit conduire par Jean au palais de Pilate.

Jésus devait éprouver sur ce chemin comment les amis nous abandonnent dans le malheur ; car les habitants d'Ophel étaient tous rassemblés sur son passage, et quand ils virent Jésus si humilié et si défiguré, au milieu des bourreaux qui l'injuriaient et le maltraitaient, ils furent ébranlés dans leur foi, ne pouvant se représenter ainsi le roi, le prophète, le Messie, le Fils de Dieu. Les Pharisiens se moquaient d'eux à cause de leur attachement à Jésus.

« Voilà votre roi, disaient-ils ; saluez-le. N'avez-vous rien à lui dire, maintenant qu'il va à son couronnement, avant de monter sur son trône ? Ses miracles sont finis : le grand-prêtre a mis fin à ses sortilèges » et autres discours de cette sorte. Ces pauvres gens, qui avaient reçu tant de grâces et de bienfaits de Jésus, furent ébranlés par le terrible spectacle que leur donnaient les personnages les plus révérés du pays, les Princes des Prêtres et le Sanhédrin. Les meilleurs se retirèrent en doutant, les pires se joignirent au cortège autant qu'il leur fut possible ; car les Pharisiens avaient mis des gardes çà et là pour maintenir la route libre et empêcher tout mouvement tumultueux.




216. PALAIS DE PILATE ET SES ALENTOURS

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Au pied de l'angle nord-ouest de la montagne du Temple (1) est situé le palais du gouverneur romain Pilate. Il est assez élevé, car on y arrive par plusieurs degrés de marbre, et il domine une place spacieuse entourée de galeries où se tiennent des marchands : un corps de garde et quatre entrées, au couchant, au nord, au levant et au midi où se trouve le palais de Pilate, interrompent cette enceinte du marché qui s'appelle le forum et qui, vers le couchant s'étend encore au delà de l'angle nord-ouest de la montagne du Temple.



(1) Vraisemblablement près de la forteresse Antonia, dont la soeur a souvent dit qu'elle était située en ce lieu.



De ce point du forum on peut voir la montagne de Sion. Il est plus élevé que les rues qui y aboutissent ; dans certains endroits les maisons des rues voisines s'appuient au côté extérieur de son enceinte. Le palais de Pilate n'y est pas attenant, mais il en est séparé par une cour spacieuse. Cette cour a pour porte, vers l'orient, une grande arcade donnant sur une rue qui mène à la porte des Brebis et ensuite au mont des Oliviers, au couchant est une autre arcade par où l'on va à Sion, à travers le quartier d'Acra. De l'escalier de Pilate, on a vue, au nord, par-dessus la cour, jusque sur le forum, à l'entrée duquel sont des colonnes et quelques sièges de pierre tournés vers le palais. Les prêtres juifs n'allèrent pas plus loin que ces sièges, afin de ne pas se souiller en entrant dans le tribunal de Pilate. La limite qu'ils ne devaient pas franchir était marquée par une ligne tracée sur le pavé de la cour. Prés de la porte occidentale de la cour était bâti, dans l'enceinte du marché, un grand corps de garde, se joignant au nord avec le forum et le prétoire. On appelait prétoire la partie du palais où Pilate rendait ses jugements. Ce corps de garde était entouré de colonnes : au centre se trouvait un espace à ciel ouvert, et au-dessous régnaient des prisons où les deux larrons étaient enfermés. Il y avait là beaucoup de soldats romains. Non loin de ce corps de garde, près des galeries qui l'entouraient, s'élevait sur le forum même la colonne où Jésus fut flagellé ; il y en a plusieurs autres dans l'enceinte de la place, les plus proches servent à infliger les punitions corporelles, les plus éloignées à attacher des bestiaux mis en vente. Vis-à-vis le corps de garde s'élève, au-dessus du forum, une terrasse où se trouvent des bancs de pierre ; c'est comme un tribunal. De ce lieu, appelé Gabbatha, Pilate prononce ses jugements solennels. L'escalier de marbre qui monte au palais conduit à une terrasse découverte, d'où Pilate parle aux accusateurs assis sur les bancs de pierre à l'entrée du forum. Ils peuvent s'entretenir en parlant haut et distinctement.

Derrière le palais de Pilate sont d'autres terrasses plus élevées, avec des jardins et une maison de plaisance. Ces jardins unissent le palais du gouverneur avec la demeure de sa femme, qui s'appelle Claudia Procle. Derrière ces bâtiments est encore un fossé (1) qui les sépare de la montagne du Temple. Il y a aussi de ce côté des maisons habitées par des serviteurs du Temple. Attenant la partie orientale du palais de Pilate, se trouve ce tribunal du vieil Hérode, où les saints Innocents furent égorgés dans une cour intérieure. Il y a eu quelque chose de changé dans les distributions, l'entrée est placée aujourd'hui vers l'orient : il y en a cependant aussi une pour Pilate au palais duquel elle touche. De ce côté de la ville courent quatre rues dans la direction de l'ouest ; trois conduisent au palais de Pilate et au forum, la quatrième passe au nord du forum et mène à la porte par laquelle on va à Bethsur. Près de cette porte et dans cette rue est la belle maison que possède Lazare à Jérusalem, et où Marthe a aussi une demeure à elle. Celle de ces quatre rues qui est la plus voisine du Temple vient de la porte des Brebis, près de laquelle se trouve, à droite en entrant, la piscine des Brebis. Cette piscine est adossée à la muraille dans laquelle sont pratiqués des arcades formant une voûte au-dessus de ses eaux. Celles-ci ont en avant du mur un écoulement dans la vallée de Josaphat, ce qui fait qu'il y a, en cet endroit, une espèce de bourbier devant la porte. La piscine est entourée de quelques bâtiments. C'est là qu'on lave d'abord les agneaux avant de les conduire au Temple ; ils sont lavés une seconde fois solennellement dans la piscine de Bethsaïda, au midi du Temple. Dans la seconde rue est une maison qui a appartenu à sainte Anne mère de Marie, où sa famille et elle se tenaient et préparaient leurs victimes lorsqu'ils venaient à Jérusalem pour les fêtes. C'est aussi dans cette maison, si je ne me trompe, que fut célébré le mariage de Joseph et de Marie.



(1) C'était peut être un fossé de la forteresse Antonia.



Le forum, comme je l'ai dit, est plus élevé que les rues adjacentes, et il y a dans celles-ci des conduits d'eau qui aboutissent à la piscine des Brebis. Il y a un forum semblable sur la montagne de Sion, devant l'ancien château de David. Le Cénacle est au sud-est, dans le voisinage, et au nord se trouvent le tribunal d'Anne et celui de Caïphe. Le château de David est une forteresse abandonnée, avec des cours, des salles et des écuries vides qu'on loue à des caravanes et à des étrangers pour eux et leurs bêtes de somme. Cet édifice est depuis longtemps désert, je le vis déjà dans cet état à l'époque de la naissance de Jésus-Christ. Le cortège des trois rois avec ses nombreuses bêtes de somme y fut conduit alors, dès leur entrée dans la ville.

Lorsque je vois dans les temps anciens des palais et des temples descendre ainsi aux usages les plus vils, je pense toujours à ce qui arrive aussi de notre temps, où tant de beaux ouvrages de la foi et de la piété d'une autre époque, tant d'églises et de couvents magnifiques sont détruits et ravagés, ou employés à des usages mondains, si ce n'est criminels. La petite église de mon couvent, qui était pour moi le ciel sur la terre, et où le roi du ciel et de la terre aimait tant à habiter parmi nous, pauvres pécheresses, dans le Très Saint Sacrement, est maintenant sans toiture et sans fenêtres ; on a enlevé toutes les pierres tombales qui s'y trouvaient. Notre pauvre cloître, où j'étais plus heureuse dans ma cellule, avec ma chaise brisée, qu'un roi ne peut l'être sur son trône, car je pouvais voir la partie de l'église où se trouvait le Saint Sacrement, où sera-t-il dans quelque temps ? Bientôt on saura à peine en quel lieu tant d'âmes consacrées à Dieu ont prié pendant une longue suite d'années pour le monde entier et pour toutes les pauvres âmes délaissées. Mais Dieu le saura, car il n'y a point d'oubli chez lui ; le passé et l'avenir lui sont présents ; et de même qu'il me fait voir, présents près de lui, tous les anciens événements, de même tout le bien fait en des lieux oubliés, tout le mal fait en des lieux souillés et profanés, se conservent près de lui pour le jour où il faudra lui rendre compte, et où tout sera rigoureusement payé. Il n'y a point devant Dieu d'acception de lieux et de personnes ; il tient compte même de la vigne de Naboth. J'ai souvent entendu dire que notre couvent a été fondé par deux pauvres religieuses, avec une cruche d'huile et un sac de fèves. Tous les intérêts bien gagnés de ce capital, comme de tous les capitaux, seront comptés au jour du jugement. On dit souvent qu'une pauvre âme reste en peine à cause de deux pièces de monnaie injustement acquises et non restituées ; que Dieu remette leur dette à tous ceux qui se sont jamais emparés du bien des pauvres et de l'Eglise et leur donne le repos éternel (1).



(1) La soeur mêlait souvent des réflexions de ce genre à ses communications. Celles-ci se lient si naturellement au souvenir du château désert de David que nous les avons laissées ici comme un exemple de la manière dont les choses la frappaient.




217. JÉSUS DEVANT PILATE

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Il était à peu près six heures du matin, selon notre manière de compter, lorsque la troupe qui conduisait le Sauveur si horriblement maltraité arriva devant le palais de Pilate. Anne, Caiphe et les membres du conseil venus avec eux s'arrêtèrent aux sièges placés entre le marché et l'entrée du tribunal. Jésus fut traîné par les archers quelques pas plus avant, jusqu'à l'escalier de Pilate. Pilate était sur la terrasse qui faisait saillie, couché sur une espèce de lit de repos, et ayant devant lui une petite table à trois pieds sur laquelle se trouvaient quelques attributs de sa dignité et d'autres objets dont je ne me souviens pas. A ses côtés étaient des officiers et des soldats : on tenait élevés prés de lui les insignes de la puissance romaine. Les Princes des Prêtres et les Juifs se tenaient loin du tribunal parce qu'autrement ils auraient contracté une souillure légale : il y avait une limite tracée qu'ils ne franchirent pas (
Jn 18,28).

Lorsqu'il vit arriver Jésus au milieu d'un si grand tumulte, il se leva, et parla aux Juifs d'un ton aussi méprisant que pourrait le faire un orgueilleux général français aux envoyés d'une pauvre petite ville allemande. « Que venez-vous faire de si bonne heure ? Comment avez-vous mis cet homme dans un tel état ? Commencez-vous sitôt à écorcher et à immoler vos victimes ? » Pour eux ils crièrent aux bourreaux : « En avant ! menez-le au tribunal ! » Puis ils répondirent à Pilate : « Ecoutez nos griefs contre ce scélérat ; nous ne pouvons pas entrer dans le tribunal, pour ne pas nous rendre impurs. » Lorsqu'ils eurent proféré ces paroles à haute voix, un homme de grande taille et d'un aspect vénérable s'écria, au milieu du peuple qui se pressait derrière eux dans le forum : « Non, vous ne devez pas entrer dans ce tribunal, car il est sanctifié par le sang innocent ; lui seul peut y entrer, lui seul parmi les Juifs est pur comme les innocents qui ont été massacrés là ». Après avoir ainsi parlé avec beaucoup d'énergie, il se perdit dans la foule. Il s'appelait Sadoch. C'était un homme riche, cousin d'Obed, le mari de Séraphia, appelée depuis Véronique ; deux de ses enfants étaient au nombre des saints Innocents égorgés par l'ordre d'Hérode dans la cour du tribunal. Depuis ce temps, il avait renoncé au monde, et sa femme et lui avaient vécu dans la continence, comme faisaient les Esséniens. Il avait vu et entendu une fois Jésus chez Lazare. Lorsqu'il le vit traîné si misérablement au pied de l'escalier de Pilate, un vif souvenir de ses enfants immolés se réveilla dans son coeur, et il rendit ce témoignage éclatant de l'innocence du Sauveur. Les accusateurs de Jésus avaient trop à faire avec Pilate et ils étaient trop irrités de ses procédés envers eux et de l'humble position qu'il leur fallait garder devant lui pour pouvoir s'occuper de l'exclamation de Sadoch.

Les archers firent monter à Jésus les degrés de marbre, et le menèrent ainsi sur le derrière de la terrasse d'où Pilate parlait aux prêtres juifs. Celui-ci avait beaucoup entendu parler de Jésus. Lorsqu'il le vit si horriblement défiguré par les mauvais traitements, et conservant toutefois une expression de dignité que rien ne pouvait effacer, il éprouva un sentiment de dégoût et de mépris pour les Princes les Prêtres, lesquels l'avaient fait prévenir d'avance qu'ils amenaient à son tribunal Jésus de Nazareth, coupable de crimes capitaux, et il leur fit sentir qu'il n'était pas disposé à le condamner sans preuves ; il leur dit d'un ton de maître : « De quoi accusez-vous cet homme ? Si ce n'était pas un malfaiteur, répondirent-ils avec humeur, nous ne vous l'aurions pas livré. Prenez-le, répliqua Pilate, et jugez-le selon votre loi. Vous savez, dirent les Juifs, que nous n'avons qu'un droit restreint lorsqu'il s'agit de la peine capitale » (Jn 18,29-31). Les ennemis de Jésus étaient pleins de violence et de précipitation ; ils étaient pressés d'en finir avec Jésus avant le temps légal de la fête, afin de pouvoir sacrifier l'agneau pascal. Ils ne savaient pas que le véritable agneau pascal était celui qu'ils avaient amené au tribunal du juge idolâtre, au seuil duquel ils ne voulaient pas se souiller, afin de pouvoir ce jour même célébrer leur Pâque.

Lorsque le gouverneur romain leur enjoignit de faire connaître leurs griefs, ils présentèrent trois chefs d'accusation principaux, dont chacun était prouvé par dix témoins ; ils s'efforcèrent surtout de présenter Jésus à Pilate comme criminel de lèse-majesté, devant par conséquent être condamné par le gouverneur romain, car dans les causes qui n'intéressaient que leur loi religieuse et leur temple, ils avaient le droit de décider eux-mêmes. Ils accusèrent d'abord Jésus d'être un séducteur du peuple qui troublait la paix publique et incitait à la révolte, et ils produisirent quelques témoignages à ce sujet. Ils dirent ensuite qu'il assemblait de grandes réunions d'hommes, qu'il violait le Sabbat, qu'il guérissait le jour du Sabbat. Ici Pilate les interrogea sur un ton de moquerie : « Vous n'êtes pas malades apparemment, dit-il, autrement ces guérisons ne vous mettraient pas tellement en colère. » Ils ajoutèrent qu'il séduisait le peuple par d'horribles enseignements, qu'il disait qu'on devait manger sa chair et boire son sang pour avoir la vie éternelle. Pilate fut choqué de l'emportement furieux avec lequel ils présentaient cette accusation ; il regarda ses officiers en souriant, et adressa aux Juifs des paroles piquantes, comme celles-ci : « On croirait presque que vous voulez suivre sa doctrine et obtenir la vie éternelle ; car vous semblez vouloir manger sa chair et boire son sang. »

Leur deuxième accusation était que Jésus excitait le peuple à ne pas payer l'impôt à l'empereur. Ici Pilate, en colère, les interrompit du ton d'un homme chargé spécialement de veiller à ces sortes d'objets. « C'est un gros mensonge, leur dit-il : je dois savoir cela mieux que vous. » (Lc 23,2) Les Juifs alors mirent en avant le troisième grief. « Cet homme obscur, d'extraction basse et équivoque, s'est fait un grand parti, et a dit malheur à Jérusalem ; il répand en outre parmi le peuple des paraboles à double sens sur un roi qui prépare les noces de son fils. Un jour la multitude, rassemblée par lui sur une montagne, voulu le faire roi, mais il a trouvé que c'était trop tôt et s'est caché. Dans les derniers jours il s'est produit davantage, il s'est fait préparer une entrée tumultueuse à Jérusalem et il a fait crier : Hosanna au fils de David ! Béni soit l'empire de notre père David qui arrive ! il s'est fait rendre les honneurs royaux, car il a enseigné qu'il était le Christ, l'oint du Seigneur, le Messie, le roi promis aux Juifs, et il se fait ainsi appeler. » Ces allégations furent encore appuyées par dix témoins (Lc 23,2).

Lorsqu'il fut dit que Jésus se faisait appeler le Christ, le Roi des Juifs, Pilate sembla pensif. Il alla de la terrasse dans la salle du tribunal qui y était attenante, jeta en passant un regard attentif sur Jésus, et ordonna aux gardes de le lui amener dans la salle. Pilate était un païen superstitieux, d'un esprit mobile et facile à troubler ; il avait ouï parler vaguement des enfants de ses dieux qui avaient vécu sur la terre ; il n'ignorait pas non plus que les prophètes des Juifs leur avaient annoncé depuis longtemps un oint du Seigneur, un Roi libérateur et Rédempteur, et que beaucoup de Juifs l'attendaient. Il savait aussi que des rois de l'Orient étaient venus vers le vieil Hérode, pour rendre hommage à un roi nouveau-né des Juifs, et qu'Hérode, à cette occasion, avait fait égorger un grand nombre d'enfants. Il avait bien ouï parler de ces traditions sur un Messie et un Roi des Juifs ; mais il n'y croyait pas, en païen qu'il était, et, s'il avait cherché à s'en rendre compte, il se serait figuré, comme les Juifs instruits d'alors et les Hérodiens, un roi puissant et victorieux. Il lui parut d'autant plus ridicule qu'on accusât cet homme qui paraissait devant lui dans un tel état d'abaissement et de souffrance, de s'être donné pour ce Messie et ce Roi. Mais les ennemis de Jésus avant présenté ceci comme une attaque aux droits de l'empereur, il fit amener le Sauveur devant lui pour l'interroger.

Pilate regarda Jésus avec étonnement, et lui dit : « Tu es donc le Roi des Juifs » ? et Jésus répondit : « Dis-tu cela de toi-même, ou est-ce que d'autres te l'ont dit de moi » ? (Jn 18,33-34) Pilate choqué que Jésus pût le croire assez extravagant pour adresser de lui-même une semblable question à un pauvre homme dans un état si misérable, lui dit avec quelque dédain : « Suis-je un Juif pour m'occuper de pareilles misères ? Ton peuple et ses prêtres t’ont livré à moi comme ayant mérité la mort pour cela. Dis-moi ce que tu as fait » (Jn 18,35). Jésus lui dit avec majesté : « Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, j'aurais des serviteurs qui combattraient pour m'empêcher de tomber entre les mains des Juifs : mais mon royaume n'est pas de ce monde » (Jn 18,36). Pilate fut quelque peu troublé à ces graves paroles, et lui dit d'un ton plus sérieux : « Es-tu donc roi » ? Jésus répondit : « Comme tu le dis, je suis Roi. (Mt 27,11 Mc 15,2 Lc 23,3 Jn 18,37) Je suis né et je suis venu dans ce monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité entend ma voix ». Pilate le regarda, et dit en se levant : « La vérité ! Qu'est-ce que la vérité » ? (Jn 18,37-38) il y eut encore quelques paroles, dont je ne me souviens pas bien.

Pilate revint sur la terrasse (Jn 18,38). Il ne pouvait pas comprendre Jésus ; mais il voyait bien que ce n'était pas un roi qui pût nuire à l'empereur, puisqu'il ne prétendait à aucun royaume dans ce monde. Or, l'empereur s'inquiétait peu des royaumes de l'autre monde. Il cria donc aux Princes des Prêtres, du haut de la terrasse : « Je ne trouve aucun crime en cet homme » (Lc 23,4 Jn 18,38). Les ennemis de Jésus s'irritèrent, et ce fut un torrent d'accusations contre lui ! Mais le Sauveur restait silencieux, et priait pour les pauvres hommes (Mt 27,12 Mc 15,3) : et lorsque Pilate, se tournant vers lui, lui dit : « N'as-tu rien à répondre à ces accusations » ? Jésus ne répondit pas un mot au point que Pilate, surpris, lui dit encore : « Je vois bien qu'ils font des mensonges contre toi ». (au lieu du mot mensonges, il se servit d'un autre terme que j'ai oublié.) (Mt 27,13-14 Mc 15,4-5)
Mais les accusateurs continuèrent à parler avec fureur, et dirent : « Comment ! vous ne trouvez pas de crime en lui ? N'est-ce point un crime que de soulever le peuple, de répandre sa doctrine dans tout le pays depuis la Galilée jusqu'ici ? » (Lc 23,5)

Lorsque Pilate entendit ce mot de Galilée, il réfléchit un instant, et dit : « Cet homme est-il Galiléen et sujet d'Hérode ? - Oui, répondit-on ; ses parents ont demeuré à Nazareth, et son séjour actuel est Capharnaüm.- Puisqu'il est sujet d'Hérode, répliqua Pilate, menez-le devant lui : il est ici pour la fête, et peut le juger. » Alors il fit reconduire Jésus hors du tribunal, et envoya un officier à Hérode, afin de lui faire savoir qu'on amenait devant lui Jésus de Nazareth, son sujet (Lc 23,6-7). Pilate était bien aise de se dérober ainsi à l'obligation de juger Jésus, car cette affaire lui était désagréable. Il désirait aussi faire une politesse à Hérode avec lequel il était brouillé, et qui avait toujours été très curieux de voir Jésus.

Les ennemis du Sauveur, furieux d'être ainsi renvoyés par Pilate en face de tout le peuple et obligés d'aller devant Hérode, firent tomber toute leur colère sur Jésus. On le lia de nouveau, et on le traîna, en l'accablant d'insultes et de coups, à travers la foule qui remplissait le forum, jusqu'au palais d'Hérode qui n'était pas très éloigné. Des soldats romains s'étaient joints au cortège.

Pendant le dernier entretien, Claudia Procle, la femme de Pilate, lui avait fait dire par un domestique qu'elle désirait vivement lui parler, et, pendant qu'on conduisait Jésus à Hérode, elle se tenait secrètement sur une haute galerie, et regardait le cortège avec beaucoup de trouble et d'angoisse.




218. ORIGINE DU CHEMIN DE LA CROIX

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Pendant tout ce débat, la mère de Jésus, Madeleine et Jean s'étaient tenus dans un coin du forum, regardant et écoutant avec une douleur profonde. Lorsque Jésus fut mené à Hérode, Jean conduisit la sainte Vierge et Madeleine sur tout le chemin qu'avait suivi Jésus. Ils revinrent ainsi chez Caïphe, chez Anne, dans Ophel, à Gethsémani, dans le jardin des Oliviers ; et dans tous les endroits où le Sauveur était tombé, où il avait souffert, ils s'arrêtaient en silence, pleuraient et souffraient avec lui. La sainte Vierge se prosterna plus d'une fois, et baisa la terre aux places où son fils était tombé. Madeleine se tordait les mains, et Jean pleurait, les consolait, les relevait, les conduisait plus loin. Ce fut là le commencement du saint chemin de la Croix et des honneurs rendus à la Passion de Jésus, avant même qu'elle ne fût accomplie. Ce fut dans la plus sainte fleur de l'humanité, dans la mère virginale du Fils de l'homme, que commença la méditation de l'Eglise sur les douleurs de son rédempteur. Dès ce moment, quand il n'était encore qu'à la moitié de sa voie douloureuse, la mère pleine de grâce arrosait de ses pleurs et révérait les traces des pas de son fils et de son Dieu. O quelle compassion ! Avec quelle force le glaive tranchant et perçant ne s'enfonça-t-il pas dans son coeur ! Elle, dont le corps bienheureux l'avait porté, dont le sein bienheureux l'avait allaité, cette bienheureuse qui avait entendu réellement et substantiellement le Verbe de Dieu, Dieu lui-même dès le commencement, qui l'avait conçu et gardé neuf mois sous son coeur plein de grâce, qui l'avait porté et senti vivre en elle avant que les hommes ne reçussent de lui la bénédiction, la doctrine et le salut, partageait toutes les souffrances de Jésus, y compris son violent désir de racheter les hommes par ses douleurs et sa mort. C'est ainsi que la Vierge pure et sans tâche inaugura pour l'Eglise le Chemin de la Croix, pour y ramasser à toutes les places, comme des pierres précieuses, les inépuisables mérites de Jésus-Christ, pour les cueillir comme des fleurs sur la route, et les offrir à son Père céleste pour ceux qui ont la foi. Tout ce qu'il y a jamais eu, et tout ce qu'il y aura jamais de saint dans l'humanité, tous ceux qui ont soupiré après la rédemption, tous ceux qui ont jamais célébré avec une compassion respectueuse l'amour et les souffrances du Sauveur, faisaient ce chemin avec Marie, s'affligeaient, priaient, s'offraient en sacrifice dans le coeur de la mère de Jésus qui est aussi une tendre Mère pour tous ses frères réunis par la foi dans le sein de l'Eglise.

Madeleine était comme hors d'elle-même à force de douleur. Elle avait un immense et saint amour pour Jésus ; mais lorsqu'elle aurait voulu verser son âme à ses pieds, comme l'huile de nard sur sa tête, un horrible abîme s'ouvrait entre elle et son bien-aimé. Son repentir et sa reconnaissance étaient sans bornes, et quand elle voulait élever vers lui son coeur, comme le parfum de l'encens, elle voyait Jésus maltraite, conduit à la mort à cause de ses fautes dont il s'était chargé. Alors ces fautes pour lesquelles Jésus avait tant à souffrir, la pénétraient d'horreur ; elle se précipitait dans l'abîme du repentir, sans pouvoir l'épuiser ni le combler ; elle se sentait de nouveau entraînée par son amour vers son Seigneur et Maître. et elle le voyait livré aux plus horribles traitements. Ainsi son âme était cruellement déchirée et ballottée entre l'amour, le repentir, la reconnaissance, l'aspect de l'ingratitude de son peuple, et tous ces sentiments s'exprimaient dans sa démarche, dans ses paroles, dans ses mouvements.

Jean aimait et souffrait. Il conduisait pour la première fois la Mère de son Maître et de son Dieu, qui l'aimait aussi et souffrait aussi pour lui, sur ces traces du chemin de la Croix où l'Eglise devait la suivre, et l'avenir lui apparaissait.




219. PILATE ET SA FEMME

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Pendant qu'on conduisait Jésus à Hérode et que là encore on l'injuriait et on le raillait, je vis Pilate aller vers sa femme, Claudia Procle ; ils se rendirent ensemble dans une petite maison située sur une terrasse du jardin, derrière le palais. Claudia était troublée et vivement émue. C'était une grande et belle femme, mais pâle. Elle avait un voile qui pendait derrière elle ; cependant on voyait ses cheveux rassemblés autour de sa tête et entremêlés de quelques ornements ; elle avait aussi des pendants d'oreilles, un collier, et sur la poitrine une espèce d'agrafe qui maintenait son long vêtement. Elle s'entretint longtemps avec Pilate ; elle le conjura par tout ce qui lui était sacré de ne point faire de mal à Jésus, le Prophète, le Saint des Saints, et elle lui raconta quelque chose des visions merveilleuses qu'elle avait eues au sujet de Jésus la nuit précédente (
Mt 27,19).

Pendant quelle parlait, je vis la plupart de ces visions ; mais je ne me souviens pas bien de la manière dont elles se suivaient. Je me rappelle toutefois qu'elle vit les principaux moments de la vie de Jésus : l'Annonciation de Marie, la Nativité, l'adoration des bergers et celle des rois, la prophétie de Siméon et d'Anne, la fuite en Egypte, la tentation dans le désert, etc. Elle vit un ensemble de tableaux de sa vie publique, si sainte et si bienfaisante. Il lui apparut toujours environné de lumière, et elle vit la malice et la cruauté de ses ennemis sous les formes les plus horribles ; elle vit ses souffrances infinies, sa patience et son amour inépuisables, la sainteté et les douleurs de sa mère. Ces visions lui donnèrent beaucoup d'inquiétude et de tristesse, car tous ces objets étaient nouveaux pour elle, elle en était saisie et pénétrée, et elle voyait plusieurs de ces choses, le massacre des enfants par exemple et la prophétie de Siméon, se passer dans le voisinage de sa maison. Pour moi, je sais bien à quel point un coeur compatissant peut être déchiré par ces visions, car l'on comprend bien ce que doivent éprouver les autres lorsqu'on l'a ressenti soi-même.

Elle avait souffert toute la nuit, et aperçu plus ou moins clairement bien des vérités merveilleuses, lorsqu'elle fut réveillée par le bruit de la troupe qui conduisait Jésus. Lorsqu'elle jeta les yeux de ce côté, elle vit le Seigneur, l'objet de tous ces miracles qui lui avaient été montrés, défiguré, meurtri, maltraité par ses ennemis, et traîné par eux à travers le forum pour être conduit chez Hérode. Son coeur fut bouleversé à cette vue, et elle envoya aussitôt chercher Pilate, auquel elle raconta dans son trouble ce qui venait de lui arriver. Elle ne comprenait pas tout, et surtout ne pouvait pas bien l'exprimer ; mais elle priait, suppliait et adressait à son mari les instances les plus touchantes.

Pilate était étonné et troublé ; il rapprochait ce que lui disait sa femme de tout ce qu'il avait recueilli çà et là sur Jésus, se rappelait la fureur des Juifs, le silence de Jésus, et ses merveilleuses réponses à ses questions. Il était agité et inquiet ; il céda aux prières de sa femme, et lui dit : « J'ai déclaré que je ne trouvais aucun crime en cet homme. Je ne le condamnerai pas, j'ai reconnu toute la malice des Juifs ». Il parla aussi de ce qui lui avait dit Jésus ; il promit à sa femme de ne pas condamner Jésus, et lui donna un gage comme garantie de sa promesse. Je ne sais si c'était un joyau, un anneau ou un cachet. C'est ainsi qu'ils se séparèrent.

Pilate était un homme corrompu, indécis, plein d'orgueil et de bassesse à la fois : il ne reculait pas devant les actions les plus honteuses lorsqu'il y trouvait son profit, et en même temps il se livrait lâchement aux superstitions les plus ridicules lorsqu'il était dans une position difficile. Cette fois, il était très embarrassé, et il était sans cesse auprès de ses dieux, auxquels il offrait de l'encens dans un lieu secret de sa maison, et auxquels il demandait des signes. Une de ses pratiques superstitieuses était de regarder des poulets manger. Mais toutes ces choses me paraissaient si horribles, si ténébreuses et si infernales, que j'en détournais la vue avec dégoût et que je ne puis les redire exactement. Ses pensées étaient confuses, et Satan lui soufflait tantôt un projet, tantôt un autre. Il songeait d'abord à délivrer Jésus comme innocent, puis il craignit que ses dieux ne se vengeassent sur lui, Pilate, s'il sauvait Jésus, qui semblait être une sorte de demi dieu, et qui pouvait leur faire tort. " Peut-être, se disait-il, c'est une espèce de dieu des Juifs ; il y a tant de prophéties d'un roi des Juifs qui doit régner partout, c'est un Roi semblable que les mages de l'Orient sont venus chercher ici ; il pourrait peut-être s'élever au-dessus des mes dieux et de mon empereur, et j'aurais une grande responsabilité s'il ne mourait pas. Peut-être sa mort sera-t-elle le triomphe de mes dieux ". Puis les songes merveilleux de sa femme lui revenaient à l'esprit, et jetaient un grand poids dans la balance en faveur de la délivrance de Jésus. Il finit par se décider tout à fait dans ce sens. Il voulait être juste, mais il ne le pouvait pas, car il avait demandé : "Qu'est-ce que la vérité " ? et il n'avait pas attendu la réponse : " La vérité, c'est Jésus de Nazareth, le roi des Juifs ". La plus grande confusion régnait dans ses pensées ; je n'y pouvais rien comprendre et lui-même ne savait pas ce qu'il voulait, autrement il n'aurait pas consulté ses poulets.

Le peuple se rassemblait en foule toujours croissante sur le marché, et dans le voisinage de la rue par laquelle on conduisait Jésus à Hérode. Les groupes se formaient dans un certain ordre, d'après les lieux d'où chacun était venue à la fête, et les Pharisiens les plus haineux de tous les endroits où Jésus avait enseigné étaient prés de leurs compatriotes, travaillant et excitant contre le Sauveur les gens indécis. Les soldats romains étaient en grand nombre dans le corps de garde voisin du palais de Pilate ; tous les postes importants de la ville étaient aussi occupés par eux.




Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 214