Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 246


247. JOSEPH D'ARIMATHIE DEMANDE A PILATE LE CORPS DE JESUS

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A peine s'était-il rétabli un peu de tranquillité dans Jérusalem, que Pilate fut assailli de tous les côtés par des rapports sur ce qui venait de se passer, et que le grand conseil des Juifs, conformément à la résolution qu'il avait prise dès le matin, envoya vers lui pour le prier de faire rompre les jambes aux crucifiés et de les faire achever afin qu'ils ne restassent pas en croix le jour du Sabbat. Pilate envoya des archers à cet effet. Je vis aussitôt après Joseph d'Arimathie venir trouver Pilate. Il avait appris la mort de Jésus, et avait formé avec Nicodème le projet de l'ensevelir dans un sépulcre neuf qu'il avait creusé dans son jardin à peu de distance du Calvaire. Il me semble l'avoir déjà vu devant la porte de la ville, où il observait tout ce qui se passait : du moins il y avait déjà dans son jardin des gens à lui qui nettoyaient et achevaient quelques arrangements dans l'intérieur du sépulcre. Nicodème, de son côté, alla en divers endroits acheter des linges et des aromates pour la sépulture ; après quoi il attendit Joseph. Celui-ci trouva Pilate très inquiet et très troublé : il lui demanda nettement et sans hésitation la permission de faire détacher de la croix le corps de Jésus, le roi des Juifs, qu'il voulait enterrer dans son sépulcre. Pilate fut encore plus troublé en voyant un homme aussi considérable demander si instamment la permission de rendre les derniers honneurs à celui qu'il avait fait crucifier si ignominieusement. Sa conviction de l'innocence de Jésus s'en accrut ainsi que ses remords : mais il dissimula et dit : « est-il donc déjà mort ? » car il n'y avait que quelques minutes qu'il avait envoyé les archers pour achever les crucifiés en leur rompant les jambes. Il fit appeler le centurion Abénadar, qui était revenu après s'être entretenu avec les disciples cachés dans les cavernes et lui demanda si le roi des Juifs était déjà mort. Abénadar lui raconta la mort du Sauveur, ses dernières paroles et son dernier cri, le tremblement de terre et la secousse qui avait fendu le rocher. Pilate sembla s'étonner seulement de ce que Jésus était mort si tôt, parce qu'ordinairement les crucifiés vivaient plus longtemps ; mais intérieurement il était plein d'angoisse et de terreur, à cause de la coïncidence de ces signes avec la mort de Jésus. Il voulut peut-être faire pardonner à quelques égards sa cruauté en accordant à Joseph d'Arimathie un ordre pour se faire délivrer le corps du Sauveur. Il fut bien aise aussi de se jouer ainsi des Princes des Prêtres, qui auraient vu avec plaisir Jésus enterré sans honneur entre les deux larrons. Il envoya quelqu'un au Calvaire pour faire exécuter ses ordres. Je pense que ce fut Abénadar, car je le vis assister à la descente de croix.
Joseph d'Arimathie, en quittant Pilate, alla trouver Nicodème qui l'attendait chez une femme bien intentionnée, dont la maison était située sur une large rue, près de cette ruelle où Notre Seigneur avait été si cruellement outragé au commencement du chemin de la croix. Cette femme vendait des herbes aromatiques, et Nicodème avait acheté chez elle et fait acheter ailleurs par elle tout ce qui était nécessaire pour embaumer le corps de Jésus. Elle fit de tout cela un paquet qu'on pût porter commodément. Joseph alla de son côté acheter un beau linceul de coton très fin, long de six aunes et plus large encore que long. Leurs serviteurs prirent dans un hangar, près de la maison de Nicodème, des échelles, des marteaux, des chevilles, des outres pleines d'eau, des vases et des éponges, et placèrent les plus petits de ces objets sur une civière semblable à celle où les disciples de Jean-Baptiste placèrent son corps lorsqu'ils l'enlevèrent de la forteresse de Machéronte (1)



(1) Elle décrivit la civière dont il est question ici comme un long coffre de cuir qu'on transformait en une espèce de cercueil fermé en y passant trois bâtons larges comme la main, faits d'un bois solide quoique léger. Ce coffre se portait ensuite sur les épaules au moyen des bouts de ces mêmes bâtons qui dépassaient de chaque côté. Elle raconta l'enlèvement du corps de Jean-Baptiste, comme ayant eu lieu dans la nuit du mardi au mercredi, 4-5 du mois de Sebat (21-22 Janvier) de la deuxième année de la vie publique du Sauveur, environ quinze jours après la décollation du saint précurseur. Parmi ceux qui y prirent part, elle mentionna les trois disciples de Jean, Jacob, Eliacim et Sadoch, fils de Cléophas et de Marie d'Héli et frères de Marie de Cléophas ; en outre Saturnin, Jude Barsabas, Aram et Théméni, neveux de Joseph d'Arimathie, un fils de Jeanne Chusa, un fils de Véronique, un fils de Siméon et un cousin de Jean, qui était d'Hébron. Le corps du précurseur, sans sa tête que l'on ne put avoir que plus tard, fut porté à Juta dans le tombeau de sa famille.




248. OUVERTURE DU CÔTÉ DE JÉSUS. MORT DES LARRONS

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Pendant ce temps, le silence et le deuil régnaient sur le Golgotha. Le peuple, saisi de frayeur, s'était dispersé ; Marie, Jean, Madeleine, Marie, fille de Cléophas, et Salomé, se tenaient debout ou assises en face de la croix, la tête voilée et pleurant. Quelques soldats s'appuyaient au terrassement qui entourait la plate-forme, Cassius, à cheval, allait de côté et d'autre. Les soldats avaient enfoncé leurs lances dans la terre, et, du haut de la roche du Calvaire, s'entretenaient avec d'autres soldats qui se tenaient à quelque distance. Le ciel était sombre et la nature semblait en deuil. Bientôt arrivèrent six archers avec des échelles, des bêches, des cordes et de lourdes barres de fer pour rompre les jambes des crucifiés. Lorsqu'ils s'approchèrent de la croix, les amis de Jésus s'en éloignèrent un peu, et la sainte Vierge éprouva de nouvelles angoisses à la pensée qu'ils allaient encore outrager le corps de son Fils. Car ils appliquèrent leurs échelles sur la croix et secouèrent le corps sacré de Jésus, assurant qu'il faisait semblant d'être mort : mais ils virent bien qu'il était froid et raide, et sur la demande que Jean leur fit, à la prière des saintes femmes, ils le laissèrent un moment, quoique ne paraissant pas bien convaincus qu'il fût mort, et montèrent aux croix des larrons. Deux archers leur rompirent les bras au-dessus et au-dessous des coudes, avec leurs massues tranchantes et un troisième leur brisa aussi les cuisses et les jambes. Gesmas poussait des cris horribles, et ils lui assenèrent trois coups sur la poitrine pour l'achever. Dismas, soumis à ce cruel supplice, gémit et mourut. Il fut le premier parmi les mortels qui revit son Rédempteur. On détacha les cordes, on laissa les deux corps tomber à terre, puis on les traîna dans l'enfoncement qui se trouvait entre le Calvaire et les murs de la ville, et on les enterra là.

Les archers paraissaient encore douter de la mort de Jésus, et l'horrible manière dont on avait brisé les membres des larrons, avait encore augmenté chez les amis de Jésus la crainte que les bourreaux ne revinssent à son corps ; cette crainte faisait trembler les saintes femmes pour le corps du Sauveur. Mais l'officier inférieur Cassius, appelé plus tard Longin, homme de vingt-cinq ans, très actif et très empressé, dont la vue faible et les yeux louches lorsqu'il se donnait un air affairé et important excitaient souvent les moqueries de ses subordonnés, reçut une inspiration soudaine. La férocité ignoble des archers, les angoisses des saintes femmes, l'ardeur subite qu'excita en lui la grâce divine, lui firent accomplir une prophétie. Il saisit sa lance et dirigea vivement son cheval vers la petite élévation où se trouvait la croix. Je le vis s'arrêter devant la fente du rocher, entre la croix du bon larron et celle de Jésus. Alors, prenant sa lance à deux mains, il l'enfonça avec tant de force dans le côté droit du Sauveur, que la pointe alla traverser le coeur et ressortit un peu sous la mamelle à gauche. Quand il la retira avec force, il sortit de la blessure du côté droit une grande quantité de sang et d'eau, qui arrosa son visage comme un fleuve de salut et de grâce. Il sauta à bas de son cheval, s'agenouilla, frappa sa poitrine et confessa hautement Jésus en présence de tous les assistants.

La sainte Vierge et ses amies dont les regards étaient toujours fixés vers Jésus, virent avec angoisse l'action inopinée de cet homme, et, lorsqu'il donna son coup de lance, se précipitèrent vers la croix en poussant un cri. Marie tomba entre les bras des saintes femmes, comme si la lance eût traversé son propre coeur, pendant que Cassius louait Dieu à genoux, car les yeux de son corps comme ceux de son âme étaient guéris et ouverts à la lumière. Mais en même temps tous furent profondément émus à la vue du sang du Sauveur, qui avait coulé, mêlé d'eau, dans un creux du rocher au pied de la croix. Cassius, Marie les saintes femmes et Jean recueillirent le sang et l'eau dans des fioles et essuyèrent la place avec des linges (1).

Note : Elle dit encore : « Cassius baptisé sous le nom de Longin, prêcha la foi en qualité de diacre, et il porta toujours de ce sang précieux avec lui. Il s'était desséché et on en trouva dans a son tombeau en Italie, dans une ville peu éloignée de l'endroit où a vécu sainte Claire. Il y a un lac avec une »le prés de cette ville. Le corps de Longin doit y avoir été porté ». La Soeur semble désigner Mantoue par ces paroles. Il existe une tradition analogue. Je ne sais pas quelle sainte Claire a vécu dans le voisinage.



Cassius était comme métamorphosé : il avait recouvré toute la plénitude de sa vue ; il était profondément ému et s'humiliait intérieurement. Les soldats, frappés du miracle qui s'était opéré en lui, se jetèrent à genoux, frappèrent leur poitrine et confessèrent Jésus. L'eau et le sang coulèrent abondamment du côté du Sauveur et s'arrêtèrent dans un creux du rocher, on les recueillit avec une émotion indicible, et les larmes de Marie et de Madeleine s'y mêlèrent. Les archers, qui, pendant ce temps, avaient reçu de Pilate l'ordre de ne pas toucher au corps de Jésus, ne revinrent plus.

La lance de Cassius se composait de plusieurs morceaux que l'on ajustait les uns aux autres : quand ils n'étaient pas déployés, elle avait l'air d'un fort bâton d'une longueur moyenne. Le fer qui traversa le coeur de Jésus était aplati et avait la forme d'une poire. On fixait une pointe à un bout et au-dessous deux crochets tranchants, quand on voulait se servir de la lance.

Tout ceci se passa près de la croix, un peu après quatre heures, pendant que Joseph d'Arimathie et Nicodème étaient occupés à se procurer ce qui était nécessaire pour la sépulture du Christ. Mais les serviteurs de Joseph étant venus pour nettoyer le tombeau, annoncèrent aux amis de Jésus que leur maître, avec la permission de Pilate, allait enlever le corps et le déposer dans son sépulcre neuf.

Alors Jean retourna à la ville et se rendit à la montagne de Sion avec les saintes femmes pour que Marie pût réparer un peu ses forces, et aussi afin de prendre quelques objets nécessaires pour la mise au tombeau. La sainte Vierge avait un petit logement dans les bâtiments dépendant du cénacle. Ils ne rentrèrent pas par la porte la plus voisine du Calvaire parce qu'elle était fermée et gardée à l'intérieur par des soldats que les Pharisiens y avaient fait placer, mais par la porte plus méridionale, qui conduit à Bethléem.




249. QUELQUES LOCALITÉS DE L'ANCIENNE JERUSALEM

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Souvent Anne Catherine, lorsqu'elle décrivait la situation le certains lieux, entrait dans des détails si minutieux qu'il était presque impossible de les bien saisir ; car, pendant que les maladies la retenaient couchée sur son lit, elle se tournait en esprit de côté et d'autre vers les objets qu'elle contemplait et on était très exposé à confondre les directions à droite et à gauche qu'elle indiquait de la main tout en racontant. Nous plaçons ici quelques-unes de ces descriptions de lieux que nous avons coordonnées d'après les détails donnés par la soeur à différentes reprises et sans variation essentielle. Nous les faisons suivre de celle du sépulcre et du jardin de Joseph d'Arimathie, afin de ne pas trop interrompre le récit de la mise au tombeau de Notre-Seigneur.

La première porte située à l'orient de Jérusalem, au midi de l'angle sud-est du Temple, est celle qui conduit dans le faubourg d'Ophel. La porte des Brebis est celle qui, au nord, est la plus rapprochée de l'angle nord-est du Temple. Entre ce, deux portes on en a, assez récemment, pratiqué une autre qui conduit à quelques rues situées à l'orient du Temple, et habitées, pour la plupart, par des tailleurs de pierre et d'autres ouvriers. Les maisons dont elles se composent s'appuient aux fondations du Temple, et appartiennent presque toutes à Nicodème, qui les a fait bâtir. Les ouvriers lui payent un loyer, soit en argent, soit en travaillant pour lui : car ils sont en rapport habituel avec lui et son ami Joseph d'Arimathie, lequel possède dans son pays natal de grandes carrières de pierres qu'il exploite. Nicodème a récemment fait faire une belle porte qui conduit à ces rues, et qu'on appelle à présent porte de Moriah venait d'être finie, et Jésus était entré par là le premier dans la ville, le dimanche des Rameaux. Ainsi il entra par la porte neuve de Nicodème, où personne n'avait passé, et fut enterré dans le sépulcre neuf de Joseph d'Arimathie, où personne n'avait encore reposé. Cette porte fut murée postérieurement, et il y avait une tradition portant que les chrétiens devaient une autre fois entrer par là dans la ville. Maintenant encore, il y a de ce côté une porte murée que les Turcs appellent la porte d'Or.

Le chemin qui irait directement de la porte des Brebis au couchant, si l'on pouvait passer à travers tous les murs, aboutirait à peu près entre le côté nord-ouest de la montagne de Sion et le Calvaire. De cette porte au Calvaire il y a, en ligne droite, à peu près trois quarts de lieue ; du palais de Pilate au Calvaire, toujours en ligne droite, il y a environ cinq huitièmes de lieue. La forteresse Antonia est située au nord-ouest de la montagne du Temple, sur un rocher qui s'en détache. Quand on va au couchant, en sortant du palais de Pilate par l'arcade de gauche, on a cette forteresse à gauche : il y a sur un de ses murs une plate-forme qui domine le forum. C'est de là que Pilate fait des proclamations au peuple, par exemple quand il promulgue de nouvelles lois. Sur le chemin de la croix, dans l'intérieur de la ville, Jésus avait souvent la montagne du Calvaire à sa droite. Ce chemin, qui, par conséquent, devait être en partie dans la direction du sud-ouest, conduisait à une porte percée dans un mur intérieur de la ville qui court vers Sion, quartier dont la situation est très élevée. Hors de ce mur est au couchant une espèce de faubourg où il y a plus de jardins que de maisons ; il y a aussi vers le mur extérieur de la ville de beaux sépulcres avec des entrées en maçonnerie et taillées avec art dans le roc, souvent ils sont entourés de jolis jardins. De ce côté est une maison appartenant à Lazare, avec de beaux jardins s'étendant vers la porte de l'angle qui est le lieu où le mur extérieur occidental de Jérusalem tourne au midi. Je crois qu'à côté de la grande porte de la ville, une petite porte particulière, percée dans le mur d'enceinte et où Jésus et les siens passaient souvent avec l'autorisation de Lazare, conduit dans ces jardins. La porte située à l'angle nord-ouest de la ville conduit à Bethsur, qui est plus au nord qu'Emmaüs et Joppé. Au nord de ce mur extérieur de la ville, il y a plusieurs tombeaux de rois. Cette partie occidentale de Jérusalem est la moins habitée et la moins élevée ; elle descend un peu vers le mur d'enceinte et se relève avant d'y arriver : sur cette pente sont des jardins et des vignes derrière lesquels circule en dedans des murs, une large chaussée, où des chariots peuvent passer en certains endroits et d'où partent des sentiers pour monter aux murs et aux tours ; ces dernières n'ont, comme les nôtres des escaliers intérieurs. De l'autre côté, à l'extérieur de là ville, le terrain est en pente vers la vallée, de sorte que les murailles qui entourent cette partie basse de la ville semblent bâties sur un terrassement élevé. Sur la pente extérieure on trouve encore des jardins et des vignes. Le chemin où Jésus porta sa croix ne passait pas par cette partie de la ville où il y a tant de jardins : lorsqu'il approcha du terme, il l'avait à sa droite, du côté du nord. C'était de là que venait Simon le Cyrénéen. La porte par laquelle sortit Jésus ne regarde pas tout à fait le couchant, mais sa direction est au sud-ouest. Le mur de la ville à gauche en sortant de la porte court un peu au sud, revient à l'ouest et se dirige de nouveau au sud pour entourer la montagne de Sion. De ce côté, à gauche en sortant, se trouve dans la direction de Sion, une grosse tour semblable à une forteresse. La porte par où Jésus sortit est voisine d'une autre porte plus au midi ; ce sont, je crois, les deux portes de la ville les plus rapprochées l'une de l'autre. Cette seconde porte conduit au couchant dans la vallée, et le chemin tourne ensuite à gauche vers le midi dans la direction de Bethléem. Peu après la porte où aboutit le chemin de la croix, la route tourne à droite et se dirige au nord vers la montagne du Calvaire, qui est très escarpée au levant, du côté de la ville, et en pente douce vers le couchant. De ce côté, où l'on voit la route d'Emmaüs, est une prairie voisine du chemin, dans laquelle je vis Luc cueillir diverses plantes lorsque Cléophas (
Lc 24,18) et lui allèrent à Emmaüs (Lc 24,13) après la résurrection et rencontrèrent Jésus. Jésus sur la croix avait la face tournée vers le nord-ouest. En tournant la tête à droite, il pouvait voir quelque chose de la forteresse Antonia. Prés des murs, au levant et au nord du Calvaire, il y a aussi des jardins, des tombeaux et des vignobles. La croix fut enterrée au nord-est au pied du Calvaire. Au delà de l'endroit où la croix fut retrouvée, il y a encore, au nord-est, de beaux vignobles plantés en terrasse. Lorsque, du lieu où était érigée la croix, on regarde vers le midi, en voit la maison de Caïphe au-dessous du château de David.

Le jardin de Joseph d'Arimathie (1) est situé près de la porte de Bethléem, à sept minutes environ du Calvaire ; c'est un beau jardin avec de grands arbres, des bancs, des massifs qui donnent de l'ombre : il va en montant jusqu'aux murs de la ville. Quand dans la vallée on vient de la farde septentrionale et qu'on entre dans le jardin, le terrain monte à gauche vers le mur de la ville ; puis on voit, à sa droite, au bout du jardin, un rocher séparé où est le tombeau. Après être entré dans le jardin, on tourne à droite pour arriver à la grotte sépulcrale qui s'ouvre vers le levant, du côté où le terrain monte vers le mur de la ville. Au sud-ouest et au nord-ouest du même rocher sont deux sépulcres plus petits, également neufs, avec des entrées surbaissées. A l'ouest de ce rocher passe un sentier qui en fait le tour. Le terrain devant l'entrée du sépulcre est plus élevé que cette entrée, et il y a des marches pour y descendre.



Note : Nous devons dire ici que, pendant les quatre années dans le cours desquelles la soeur Emmerich eut ses visions, elle raconta ce qui advint des saints lieux de Jérusalem depuis les premiers temps jusqu'à nos jours. Elle les vit plus d'une fois dévastés et profanés, mais toujours l'objet d'un culte public ou secret. Elle vit beaucoup de pierres et de fragments de rochers, témoins de la Passion et de la Résurrection de Notre Seigneur, rassemblés par sainte Hélène dans l'église du Saint Sépulcre, à l'époque de la construction de cet édifice. Lorsqu'elle s'y transportait en esprit, elle y révérait le lieu de la croix, le saint tombeau, et plusieurs parties de la grotte sépulcrale de Notre-Seigneur au-dessus desquelles on a bâti des chapelles. Toutefois, elle semblait voir quelquefois un peu plus de distance entre la place réelle de ce tombeau et celle où la croix était plantée qu'il n'y en a entre les chapelles qui les désignent dans l'église de Jérusalem.



On se trouve alors comme dans un petit fossé devant la paroi orientale du rocher. Cet abord extérieur est fermé par une barrière en clayonnage. Le caveau est assez spacieux pour que quatre hommes à droite et quatre hommes à gauche puissent se tenir adossés aux parois, sans gêner les mouvements de ceux qui déposent le corps. Vis-à-vis l'entrée se trouve une espèce de niche formée par la paroi du rocher qui s'arrondit en voûte au-dessus de la couche sépulcrale, laquelle est élevée d'environ deux pieds au-dessus du sol avec une excavation destinée à recevoir un corps enveloppé dans ses linceuls. Le tombeau ne tient au rocher que par un côté, comme un autel : deux personnes peuvent se tenir à la tête et aux pieds, et il y a encore place pour une personne en avant, quand même la porte de la niche où est le tombeau serait fermée. Cette porte est en métal, peut-être en cuivre ; elle s'ouvre à deux battants qui ont leur point d'attache aux parois latérales ; elle n'est pas tout à fait perpendiculaire, mais un peu inclinée en avant de la niche, et elle descend assez prés du sol pour qu'une pierre mise devant puisse l'empêcher de s'ouvrir. La pierre destinée à cet usage est encore devant l'entrée du caveau : aussitôt après la mise au tombeau du Sauveur, on la placera devant la porte. Cette pierre est fort grosse et un peu arrondie du côté de la porte de la niche, parce que la paroi de rocher où celle-ci s'ouvre n'est point coupée à angle droit. Pour rouvrir les deux battants, il n'est pas nécessaire de rouler la pierre hors du caveau, ce qui serait très difficile, à cause du peu d'espace ; mais on fait passer une chaîne, qui descend de la voûte, dans quelques anneaux fixés à la pierre ; on la soulève par ce moyen, quoique toujours à force de bras, et on la met de côté contre la paroi du caveau. Vis-à-vis l'entrée de la grotte, est un banc de pierre ; on peut monter de là sur le rocher qui est couvert de gazon et d'où l'on voit par-dessus lei murs de la ville les points les plus élevés de Sion et quelques tours. On voit aussi de là la porte de Bethléem et la fontaine de Gihon. Le rocher à l'intérieur est blanc avec des veines rouges et bleues. Tout le travail de la grotte est fait avec beaucoup de soin.






250. DESCENTE DE CROIX

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Pendant que la croix était délaissée, entourés seulement de quelques gardes, je vis cinq personnes qui étaient venues de Béthanie par la vallée, s'approcher du Calvaire, lever les yeux vers la croix et s'éloigner à pas furtifs : Je pense que c'étaient des disciples. Je rencontrai trois fois, dans les environs, deux hommes examinant et délibérant ; c'étaient Joseph 1 d'Arimathie et Nicodème. Une fois, c'était dans le voisinage et pendant le crucifiement (peut-être quand ils firent racheter des soldats les habits de Jésus) ; une autre fois, ils étaient là, regardant si le peuple s'écoulait, et ils allèrent au tombeau pour préparer quelque chose : puis ils revinrent du tombeau à la croix, regardant de tous côtés comme s'ils attendaient une occasion favorable. Ils firent ensuite leur plan pour descendre de la croix le corps du Sauveur, et ils s'en retournèrent à la ville.

Ils s'occupèrent là de transporter les objets nécessaires pour embaumer le corps ; leurs valets prirent avec eux quelques outils pour le détacher de la croix, et en outre deux échelles qu'ils trouvèrent dans une grange attenant à la maison de Nicodème. Chacune de ces échelles consistait simplement en une perche traversée de distance en distance par des morceaux de bois formant des échelons. Il y avait des crochets que l'on pouvait suspendre plus haut ou plus bas et qui servaient à fixer la position des échelles, et peut-être aussi à suspendre ce dont on pouvait avoir besoin pendant le travail.

La pieuse femme chez laquelle ils avaient acheté leurs aromates avait empaqueté proprement le tout ensemble. Nicodème en avait acheté cent livres équivalant à trente-sept livres de notre poids, comme cela m'a été clairement expliqué plusieurs fois. Ils portaient une partie de ces aromates dans de petits barils d'écorce, suspendus au cou et tombant sur la poitrine. Dans un de ces barils était une poudre. Ils avaient quelques paquets d'herbes dans des sacs en parchemin ou en cuir. Joseph portait aussi une boite d'onguent, de je ne sais quelle substance, elle était rouge et entourée d'un cercle bleu ; enfin les valets devaient transporter sur un brancard des vases, des outres, des éponges, des outils. Ils prirent avec eux du feu dans une lanterne fermée. Les serviteurs sortiront de la ville avant leur maître, et par une autre porte, peut-être celle de Béthanie : puis ils se dirigèrent vers le Calvaire. En traversant la ville, ils passèrent devant la maison où la sainte Vierge et les autres femmes étaient revenues avec Jean afin d'y prendre différentes choses pour embaumer le corps de Jésus et d'où elles sortirent pour suivre les serviteurs à quelque distance. Il y avait environ cinq femmes, dont quelques-unes portaient, sous leurs manteaux. de gros paquets de toile. C'était la coutume parmi les femmes juives, quand elles sortaient le soir, ou pour vaquer en secret à quelque pieux devoir, de s'envelopper soigneusement dans un long drap d'une bonne aune de largeur. Elles commençaient par un bras et s'entortillaient le reste du corps si étroitement qu'à peine si elles pouvaient marcher. Je les ai vues ainsi enveloppées : ce drap revenait d'un bras à l'autre, et de plus il voilait la tête : aujourd'hui il avait pour moi quelque chose de frappant ; c'était un vêtement de deuil, Joseph et Nicodème avaient aussi des habits de deuil, des manches noires et une large ceinture. Leurs manteaux, qu'ils avaient tirés sur leurs têtes, étaient larges longs et d'un gris commun : ils leur servaient à cacher tout ce qu'ils emportaient avec eux. Ils se dirigèrent ainsi vers la porte qui conduisait au Calvaire.

Les rues étaient désertes et tranquilles : la terreur générale tenait chacun renfermé dans sa maison ; la plupart commençaient à se repentir, un petit nombre seulement observait les règles de la fête. Quand Joseph et Nicodème furent à la porte, ils la trouvèrent fermée, et tout autour le chemin et les rues garnis de soldats. C'étaient les mêmes que les Pharisiens avaient demandés vers deux heures, lorsqu'ils avaient craint une émeute, et qu'on n'avait pas encore relevés.

Joseph exhiba un ordre signé de Pilate de le laisser passer librement : les soldats ne demandaient pas mieux, mais ils expliquèrent qu'ils avaient déjà essayé plusieurs fois d'ouvrir la porte sans pouvoir en venir à bout ; que vraisemblablement pendant le tremblement de terre, la porte avait reçu une secousse et s'était forcée quelque part, et qu'à cause de cela, les archers chargés de briser les jambes des crucifiés avaient été obligés de rentrer par une autre porte. Mais quand Joseph et Nicodème saisirent le verrou, la porte s'ouvrit comme d'elle-même, au grand étonnement de tous ceux qui étaient là.

Le temps était encore sombre et nébuleux quand ils arrivèrent au Calvaire : ils y trouvèrent les serviteurs qu'ils avaient envoyés devant eux, et les saintes femmes, qui pleuraient, assises vis-à-vis la croix. Cassius et plusieurs soldats, qui s'étaient convertis, se tenaient à une certaine distance, timides et respectueux. Joseph et Nicodème racontèrent à la sainte Vierge et à Jean tout ce qu'ils avaient fait pour sauver Jésus d'une mort ignominieuse, et ils apprirent d'eux comment ils étaient parvenus non sans peine, à empêcher que les os du Seigneur ne fussent rompus, et comment la prophétie s'était ainsi accomplie. Ils parlèrent aussi du coup de lance de Cassius. Aussitôt que le centurion Abénadar fut arrivé, ils commencèrent, dans la tristesse et le recueillement l'oeuvre pieuse de la descente de croix et de l'embaumement du corps sacré du Sauveur.

La sainte Vierge et Madeleine étaient assises au pied de la croix, à droite, entre la croix de Dismas et celle de Jésus : les autres femmes étaient occupées à préparer le linge, les aromates, eau, les éponges et les vases. Cassius s'approcha aussi et raconta à Abénadar le miracle de la guérison de ses yeux. Tous étaient émus, pleins de douleur et d'amour, mais en même temps silencieux et d'une gravité solennelle. Seulement, autant que la promptitude, et l'attention qu'exigeaient ces soins pieux pouvaient le permettre, on entendait çà et là des plaintes étouffées, de sourds gémissements. Madeleine surtout s'abandonnait tout entière à sa douleur, et rien ne pouvait l'en distraire, ni la présence des assistants, ni aucune autre considération.

Nicodème et Joseph placèrent les échelles derrière la croix, et montèrent avec un grand drap auquel étaient attachées trois longues courroies. Ils lièrent le corps de Jésus au-dessous des bras et des genoux, à l'arbre de la croix, et ils attachèrent ses bras aux branches transversales avec des linges placés au-dessous des mains. Alors ils détachèrent les clous, en les chassant par derrière avec des goupilles appuyées sur les pointes. Les mains de Jésus ne furent pas trop ébranlées par les secousses, et les clous tombèrent facilement des plaies, car celles-ci s'étaient agrandies par le poids du corps, et le corps, maintenant suspendu au moyen des draps, cessait de peser sur les clous. La partie inférieure du corps, qui, à la mort du Sauveur, s'était affaissée sur les genoux, reposait alors dans sa situation naturelle, soutenue par un drap qui était attaché, par en haut, aux bras de la croix. Tandis que Joseph enlevait le clou gauche et laissait le bras gauche entouré de son lien tomber doucement sur le corps, Nicodème lia le bras droit de Jésus à celui de la croix, et aussi sa tête couronnée d'épines qui s'était affaissée sur l'épaule droite : alors il enleva le clou droit, et, après avoir entouré de son lien le bras détaché, il le laissa tomber doucement sur le corps. En même temps le centurion Abénadar détachait avec effort le grand clou qui traversait les pieds. Cassius recueillit religieusement les clous et les déposa aux pieds de la sainte Vierge.

Alors Joseph et Nicodème placèrent des échelles sur le devant de la croix, presque droites et très près du corps : ils délièrent la courroie d'en haut, et la suspendirent à l'un des crochets qui étaient aux échelles : ils firent de même avec les deux courroies, et, les faisant passer de crochet en crochet, descendirent doucement le saint corps jusque vis-à-vis le centurion, qui, monté sur un escabeau, le reçut dans ses bras, au-dessous des genoux, et le descendit avec lui, tandis que Joseph et Nicodème, soutenant le haut du corps, descendaient doucement l'échelle, s'arrêtant à chaque échelon, et prenant toute sorte de précautions, comme quand on porte le corps d'un ami chéri, grièvement blesse. C'est ainsi que le corps meurtri du Sauveur arriva jusqu'à terre.

C'était un spectacle singulièrement touchant : ils prenaient les mêmes ménagements, les mêmes précautions, que s'ils avaient craint de causer quelque douleur à Jésus. Ils reportaient sur ce corps tout l'amour, toute la vénération qu'ils avaient eux pour le saint des saints durant sa vie. Tous les assistants avaient les yeux fixés sur le corps du Seigneur et en suivaient tous les mouvements ; à chaque instant ils levaient les bras au ciel, versaient des larmes, et montraient par leurs gestes leur douleur et leur sollicitude. Cependant tous restaient dans le plus grand calme, et ceux qui travaillaient, saisis d'un respect involontaire, comme des gens qui prennent part à une sainte cérémonie, ne rompaient le silence que rarement et à demi voix pour s'avertir et s'entraider. Pendant que les coups de marteau retentissaient, Marie, Madeleine et tous ceux qui avaient été présents au crucifiement, se sentaient le coeur déchiré. Le bruit de ces coups leur rappelait les souffrances de Jésus : ils tremblaient d'entendre encore le cri pénétrant de sa douleur, et, en même temps, ils s'affligeaient du silence de sa bouche divine, preuve trop certaine de sa mort. Quand le corps fut descendu, on l'enveloppa, depuis les genoux jusqu'aux hanches, et on le déposa dans les bras de sa mère, qu'elle tendait vers lui pleine de douleur et d'amour.




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