Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 250


251- LE CORPS DE JÉSUS EST EMBAUME

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La sainte Vierge s'assit sur une couverture étendue par terre : son genou droit, un peu relevé, et son dos étaient appuyés contre des manteaux roulés ensemble. On avait tout disposé pour rendre plus facile à cette mère épuisée de douleur les tristes devoirs qu'elle allait rendre au corps de son fils. La tête sacrée de Jésus était appuyée sur le genou de Marie : son corps était étendu sur un drap. La sainte Vierge était pénétrée de douleur et d'amour : elle tenait une dernière fois dans ses bras le corps de ce fils bien-aimé, auquel elle n'avait pu donner aucun témoignage d'amour pendant son long martyre : elle voyait l'horrible manière dont on avait défiguré ce très saint corps ; elle contemplait de prés ses blessure, elle couvrait de baisers ses joues sanglantes, pendant que Madeleine reposait son visage sur les pieds de Jésus.

Les hommes se retirèrent dans un petit enfoncement situé au sud-ouest du Calvaire, pour y préparer les objets nécessaires à l'embaumement. Cassius, avec quelques soldats qui s'étaient convertis au Seigneur, se tenait à une distance respectueuse. Tous les gens malintentionnés étaient retournés à la ville, et les soldats présents formaient seulement urne Barde de sûreté pour empêcher qu'on ne vint troubler les derniers honneurs rendus à Jésus. Quelques-uns même prêtaient humblement et respectueusement leur assistance lorsqu'on la leur demandait. Les saintes femmes donnaient les vases, les éponges, les linges, les onguents et les aromates, là où il était nécessaire : et, le reste du temps, se tenaient attentives à quelque distance. Parmi elles se trouvaient Marie de Cléophas, Salomé et Véronique. Madeleine était toujours occupée près du corps de Jésus : Quant à Marie d'Héli, soeur aînée de la sainte Vierge, femme d'un âge avancé, elle était assise sur le rebord de la plate-forme circulaire et regardait. Jean aidait continuellement la sainte Vierge, il servait de messager entre les hommes et les femmes, et prêtait assistance aux uns et aux autres. On avait pourvu à tout. Les femmes avaient prés d'elles des outres de cuir et un vase plein d'eau, placé sur un feu de charbon. Elles présentaient à Marie et à Madeleine, selon que celles-ci en avaient besoin, des vases pleins d'eau pure et des éponges, qu'elles exprimaient ensuite dans les outres de cuir. Je crois du moins que les objets ronds que je les vis ainsi presser dans leurs mains étaient des éponges.



La sainte Vierge conservait un courage admirable dans son inexprimable douleur (1). Elle ne pouvait pas laisser le corps son fils dans l'horrible état où l'avait mis son supplice, et c'est pourquoi elle commença avec une activité infatigable à le laver et à effacer la trace des outrages qu'il avait soufferts. Elle retira avec les plus grandes précautions la couronne d'épines, en l'ouvrant par derrière et en coupant une à une les épines enfoncées dans la tête de Jésus, afin de ne pas élargir les plaies par le mouvement. On posa la couronne prés des clous ; alors Marie retira les épines restées dans les blessures avec une espèce de tenailles arrondies de couleur jaune (1), et les montra à ses amis avec tristesse. On plaça ces épines avec la couronne : toutefois quelques-unes peuvent avoir été conservées à part. On pouvait à peine reconnaître le visage du Seigneur tant il était défiguré par les plaies et le sang dont il était couvert. La barbe et les cheveux étaient collés ensemble. Marie lava la tête et je visage, et passa des éponges mouillées sur la chevelure pour enlever le sang desséché. A mesure qu'elle lavait, les horribles cruautés exercées sur Jésus se montraient plus distinctement, et il en naissait une compassion et une tendresse qui croissaient d'une blessure à l'autre. Elle lava les plaies de la tête, le sang qui remplissait les yeux, les narines et les oreilles avec une éponge et un petit linge étendu sur les doigts de sa main droite ; elle nettoya, de la même manière, sa bouche entrouverte, sa langue, ses dents et ses lèvres. Elle partagea ce qui restait de la chevelure du Sauveur en trois parties (1), une partie sur chaque tempe, et l'autre sur le derrière de la tête, et lorsqu'elle eut démêlé les cheveux de devant, et qu'elle leur eut rendu leur poli, elle les fit passer derrière les oreilles.

(1) Le vendredi saint, 30 mars 1820, comme la Soeur contemplait la descente de croix, elle tomba tout à coup en défaillance en présence de celui qui écrit ces lignes, au point qu'elle semblait morte. Revenue à elle, elle s'expliqua ainsi, quoique ses souffrances n'eussent point cessé : « Comme je contemplais le corps de Jésus étendu sur les genoux de la sainte Vierge, je disais en moi-même : voyez comme elle est forte, elle n'a pas même une défaillance ! Mon conducteur m'a reproché cette pensée, où il y avait plus d'étonnement que de compassion, et il m'a dit : Souffre donc ce qu'elle a souffert, et au même moment une douleur poignante m'a traversée comme une épée, à tel point que j'ai cru en mourir et que je continue à la ressentir » Elle conserva longtemps cette douleur, et il en résulta une maladie qui la mit presque à l'agonie.



(1) La soeur Emmerich dit que ces tenailles lui rappelèrent par leur forme les ciseaux avec lesquels on avait coupé la chevelure de Samson. Elle avait antérieurement décrit ces ciseaux comme il suit : « Dalila avait dans la main une singulière paire de ciseaux. Ils étaient de forme arrondie, grands comme la tranche d'une grosse pomme, et ils se rouvraient d'eux-mêmes. C'étaient comme une espèce de pince ou de tenaille faite d'un morceau de métal mince et arrondi, dont les extrémités tranchantes ce rapprochaient pour couper et se séparaient lorsque la pression cessait. » Dans ses visions de la troisième année de la prédication de Jésus, elle avait vu le Sauveur faire le sabbat à Misael, ville de Lévites, dans la tribu d'Aser ; et, comme on lut dans la synagogue une partie du livre des Juges, la Soeur vit à cette occasion la vie de Samson.



(1) La soeur Emmerich avait coutume, lorsqu'elle parlait de personnages historiques importants, d'indiquer en combien de parties ils divisaient leur chevelure : « Elle, disait-elle, partageait sa chevelure en deux, Marie la partageait en trois », et elle paraissait attacher une certaine importance à ces paroles. L'occasion ne se rencontra pas de donner à ce sujet des explications qui auraient probablement jeté quelque lumière sur le rôle que jouaient les cheveux dans les sacrifices, les voeux, les funérailles les consécrations, etc. Elle dit une fois de Samson : « ses blonds cheveux, longs et épais, étaient relevés autour de sa tête en sept tresses, comme un casque, l'extrémité de ces tresses était réunie dans des espèces de bourses sur son front et ses tempes. Ses cheveux n'étaient pas par eux-mêmes la source de sa force, ils l'étaient seulement comme témoins du voeu qu'il avait tait de les laisser croître en l'honneur de Dieu. Les forces qui reposaient sur les sept tresses étaient les sept dons du Saint Esprit. Il devait avoir déjà fait des infractions notables à ses voeux et perdu beaucoup de grâces lorsqu'il laissa couper cette marque de sa qualité de Nazaréen. Je ne vis pas toutefois Dalila lui couper toute sa chevelure ; Je crois qu'il lui resta une touffe sur le front. Il lui resta aussi la grâce de la pénitence et du repentir par laquelle il recouvra la force de détruire ses ennemis. La vie de Samson est une vie figurative et prophétique ».



Quand la tête fut nettoyée, la sainte Vierge la voila, après avoir baisé les joues de son fils. Elle s'occupa ensuite du cou, des épaules, de la poitrine, du dos, des bras et des mains déchirées. Ce fut alors seulement qu'on put voir dans toute leur horreur les ravages opérés par tant d'affreux supplices. Tous les os de la poitrine, toutes les jointures des membres étaient disloqués et ne pouvaient plus se plier. L'épaule sur laquelle avait porté le poids de la croix avait été entamée par une affreuse blessure ; toute la partie supérieure du corps était couverte de meurtrissures et labourées par les coups de fouet. Prés de la mamelle gauche était une petite plaie par où était ressortie la pointe de la lance de Cassius, et dans le côté droit s'ouvrait la large blessure où était entrée cette lance qui avait traversé le coeur de part en part.



Marie lava et nettoya toutes ces plaies, et Madeleine, à genoux, l'aidait de temps en temps, mais sans quitter les pieds de Jésus qu'elle baignait, pour la dernière fois, de larmes abondantes et qu'elle essuyait avec sa chevelure.

La tête, la poitrine et les pieds du Sauveur étaient lavés : le saint corps, d'un blanc bleuâtre, comme de la chair où il n'y a plus de sang, parsemé de taches brunes et de places rouges aux endroits où la peau avait été enlevée, reposait sur les genoux de Marie, qui couvrit d'un voile les parties lavées, et s'occupa d'embaumer toutes les blessures en commençant de nouveau par la tête. Les saintes femmes s'agenouillant vis-à-vis d'elle, lui présentaient tour à tour une boite où elle prenait entre le pouce et l'index de je ne sais quel baume ou onguent précieux dont elle remplissait et enduisait les blessures. Elle oignit aussi la chevelure : elle prit dans sa main gauche les mains de Jésus, les baisa avec respect, puis remplit de cet onguent ou de ces aromates les larges trous faits par les clous. Elle en remplit aussi les oreilles, les narines et la plaie du côté. Madeleine essuyait et embaumait les pieds du Seigneur : puis elle les arrosait encore de ses larmes et y appuyait souvent son visage.

On ne jetait pas l'eau dont on s'était servi, mais on la versait dans les outres de cuir où l'on exprimait les éponges. Je vis plusieurs fois Cassius ou d'autres soldats aller puiser de nouvelle eau à la fontaine de Gihon, qui était assez rapprochée pour qu'on pût la voir du jardin où était le tombeau. Lorsque la sainte Vierge eut enduit d'onguent toutes les blessures, elle enveloppa la tête dans des linges, mais elle ne couvrit pas encore le visage. Elle ferma les yeux entrouverts de Jésus, et y laissa reposer quelque temps sa main. Elle ferma aussi la bouche, puis embrassa le saint corps de son fils, et laissa tomber son visage sur celui de Jésus. Madeleine, par respect, ne toucha pas de son visage la face de Jésus : elle se contenta de le faire reposer sur les pieds du Sauveur. Joseph et Nicodème attendaient depuis quelque temps, lorsque Jean s'approcha de la sainte Vierge, pour la prier de se séparer du corps de son fils, afin qu'on pût achever de l'embaumer, parce que le sabbat était proche. Marie embrassa encore une fois le corps et lui dit adieu dans les termes les plus touchants. Alors les hommes l'enlevèrent du sein de sa mère sur le drap où il était placé, et le portèrent à quelque distance. Marie, rendue à sa douleur que ses soins pieux avaient un instant soulagée, tomba, la tête voilée, dans les bras des saintes femmes. Madeleine comme si on eût voulu lui dérober son bien-aimé, se précipita quelques pas en avant, les bras étendus, puis revint vers la sainte Vierge. On porta le corps en un lieu plus bas que la cime du Golgotha ; il s'y trouvait dans un enfoncement une belle pierre unie. Les hommes avaient disposé cet endroit pour y embaumer le corps. Je vis d'abord un linge à mailles d'un travail assez semblable à celui de la dentelle, et qui me rappela le grand rideau brodé qu'on suspend entre le choeur et la nef pendant le carême (1). Lorsque dans mon enfance, je voyais suspendre ce rideau, je croyais toujours que c'était le drap que j'avais vu servir à l'ensevelissement du Sauveur. Il était probablement ainsi travaillé à jour afin de laisser couler l'eau. Je vis encore un autre grand drap déployé. On plaça le corps du Sauveur sur la pièce d'étoffe à jour, et quelques-uns des hommes tinrent l'autre drap étendu au-dessus de lui. Nicodème et Joseph s'agenouillèrent, et sous cette couverture, enlevèrent le linge dont ils avaient entouré les reins du Sauveur lors de la descente de croix ; après quoi ils ôtèrent la ceinture que Jonadab, neveu de saint Joseph, avait apportée à Jésus avant le crucifiement. Ils passèrent ensuite des éponges sous ce drap, et lavèrent la partie inférieure du corps ainsi cachée à leurs regards : après quoi ils le soulevèrent à l'aide des linges placés en travers sous les reins et sous les genoux, et le lavèrent par derrière sans le retourner et en le laissant toujours couvert du même drap. Ils le lavèrent ainsi jusqu'au moment où les éponges pressées ne rendirent plus qu'une eau claire et limpide.



(1) Ceci se rapporte à un usage du diocèse de Munster. On suspend dans les églises, entre la nef et le choeur ou devant le maître autel, pendant le carême, un rideau avec des broderies en points à Jour, représentant les cinq plaies les instruments de la Passion, etc., etc. Ce rideau fait, sur les âmes bien disposées, une grande et sérieuse impression qui les encourage au renoncement, à la mortification, à l'abstinence et à la prière.



Ensuite, ils versèrent de l'eau de myrrhe sur tout le corps, et, le maniant avec respect, lui firent reprendre toute sa longueur, car il était resté dans la position où il était mort sur la croix, les reins et les genoux courbés. Ils placèrent ensuite sous ses hanches un drap d'une aune de large sur trois aunes de long, remplirent son giron de paquets d'herbes telles que j'en vois souvent sur les tables célestes, posées sur de petits plats d'or aux rebords bleus (1), et ils répandirent sur le tout une poudre que Nicodème avait apportée. Alors ils enveloppèrent la partie inférieure du corps et attachèrent fortement autour le drap qu'ils avaient placé au-dessus. Cela fait, ils oignirent les blessures des hanches, les couvrirent d'aromates, placèrent des paquets d'encens entre les jambes dans toute leur longueur, et les enveloppèrent de bas en haut dans ces aromates.



(1) La soeur Emmerich, lorsqu'elle recevait certaines consolations intérieures qui lui arrivaient par des symboles, se sentait souvent ravie jusqu'à des festins célestes dont elle décrivait l'ordonnance avec une joie enfantine Elle décrivait aussi dans tous leurs détails la forme et l'espèce des végétaux qui y étaient apportes. Elle parlait d'assiettes d'or avec un rebord bleu où on lui présentait des herbes semblables à du cresson ou à de la myrrhe et aussi des fruits de plusieurs sortes qui la fortifiaient dans les grandes souffrances de l'âme ou du corps. Dans ces consolations symboliques, les victoires sur elle-même, les actes de renoncement et de pénitence de sa vie terrestre lui étaient donnés là comme récompense et comme réfection sous il forme d'herbes ou de fruits dont la figure ou la substance représentait ces mortifications. La forme, la matière et la couleur des vases avaient aussi leur signification symbolique. .. On ne mange point ces mets comme sur la terre, disait-elle. et pourtant on se sent nourri et rassasié bien plus complètement : car on est rempli de la grâce et de la force de Dieu dont le fruit qui vous est présenté est la parfaite expression. La vue des herbes aromatiques employées à embaumer le corps de Jésus lui rappela ces végétaux célestes.



Alors Jean ramena près du corps la sainte Vierge et les autres saintes femmes. Marie s'agenouilla près de la tête de Jésus, posa au-dessous un linge très fin qu'elle avait reçu de la femme de Pilate, et quelle portait autour de son cou, sous son manteau ; puis, aidée des saintes femmes, elle plaça, des épaules aux joues, des paquets d'herbes, des aromates et de la poudre odoriférante ; puis elle attacha fortement ce linge autour de la tête et des épaules. Madeleine versa en outre un flacon de baume dans la plaie du côté, et les saintes femmes placèrent encore des herbes dans les mains et autour des pieds.

Alors les hommes remplirent encore d'aromates les aisselles et le creux de l'estomac : ils entourèrent tout le reste du corps, croisèrent sur son sein ses bras raidis, et serrèrent le grand drap blanc autour du corps jusqu'à la poitrine, de même qu'on emmaillote un enfant. Puis, ayant assujetti sous l'aisselle l'extrémité d'une large bandelette, ils la roulèrent autour de la tête et autour de tout le corps qui prit ainsi l'aspect d'une poupée emmaillotée. Enfin, ils placèrent le Sauveur sur le grand drap de six aunes qu'avait acheté Joseph d'Arimathie, et l'y enveloppèrent : il y était couché en diagonale ; un coin du drap était relevé des pieds à la poitrine l'autre revenait sur la tête et las épaules ; les deux autres étaient repliés autour du corps.

Comme tous entouraient le corps de Jésus et s'agenouillaient autour de lui pour lui faire leurs adieux, un touchant miracle s'opéra à leurs yeux ; le corps sacré de Jésus, avec toutes ses blessures, apparut, représenté par une empreinte de couleur rouge et brune, sur le drap qui le couvrait, comme s'il avait voulu récompenser leurs soins et leur amour, et leur laisser son portrait à travers tous les voiles dont il était enveloppé. Ils embrassèrent le corps en pleurant et baisèrent avec respect sa merveilleuse empreinte. Leur étonnement fut si grand qu'ils ouvrirent le drap, et il s'accrut encore lorsqu'ils virent toutes les bandelettes qui liaient le corps blanches comme auparavant, et le drap supérieur ayant seul reçu cette miraculeuse image. Le côté du drap sur lequel le corps était couché avait reçu l'empreinte de la partie postérieure, le côté qui le recouvrait celle de la partie antérieure ; mais pour avoir cette dernière dans son ensemble, il fallait réunir deux coins du drap qui avaient été ramenés par-dessus le corps. Ce n'était pas l'empreinte de blessures saignantes, puisque tout le corps était enveloppé et couvert d'aromates ; c'était un portrait surnaturel, un témoignage de la divinité créatrice résidant toujours dans le corps de Jésus. J'ai vu beaucoup de choses relatives à l'histoire postérieure de ce linge, mais je ne saurais pas les mettre en ordre. Après la résurrection il resta avec les autres linges au pouvoir des amis de Jésus. Une fois je vis qu'on l'arrachait à quelqu'un qui le portait sous le bras ; il tomba deux fois aussi entre les mains des Juifs et fut honoré plus tard en divers lieux. Il y eut une fois une contestation à son sujet : pour y mettre fin, on le jeta dans le feu ; mais il s'envola miraculeusement hors des flammes, et alla tomber dans les mains d'un chrétien. Grâce à la prière de quelques saints personnages, on a obtenu trois empreintes tant de la partie postérieure que de la partie antérieure par la simple application d'autres linges. Ces répétitions, ayant reçu de ce contact une consécration que l'Eglise entendait leur donner par là, ont opéré de grands miracles. J'ai vu l'original, un peu endommagé et déchiré en quelques endroits, honoré en Asie chez des chrétiens non catholiques. J'ai oublié le nom de la ville, qui est située dans un pays voisin de la patrie des trois rois. J'ai vu aussi, dans ces visions, des choses concernant Turin, la France, le pape Clément 1er l'empereur Tibère, qui mourut cinq ans après la mort du Sauveur : mais j'ai oublié tout cela.




252. LA MISE AU TOMBEAU

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Les hommes placèrent le corps sur une civière de cuir qu'ils recouvrirent d'une couverture brune et à laquelle ils adaptèrent deux longs bâtons. Cela me rappela l'arche d'alliance. Nicodème et Joseph portaient sur leurs épaules les brancards antérieurs ; Abénadar et Jean, ceux de derrière. Ensuite venaient la sainte Vierge, Marie d'Héli, sa soeur aînée, Madeleine et Marie de Cléophas, puis les femmes qui s'étaient tenues assises à quelque distance, Véronique, Jeanne Chusa, Marie mère de Marc, Salomé, femme de Zébédée Marie Salomé, Salomé de Jérusalem, Suzanne et Anne, nièces de saint Joseph. Cassius et les soldats fermaient la marche. Les autres femmes, telles que Maroni de Naïm, Dina la Samaritaine et Mara la Suphanite étaient à Béthanie, auprès de Marthe et de Lazare. Deux soldats, avec des flambeaux, marchaient en avant ; car il fallait éclairer l'intérieur de la grotte du sépulcre. Ils marchèrent ainsi prés de sept minutes, se dirigeant à travers la vallée vers le jardin de Joseph d'Arimathie et chantant des psaumes sur un air doux et mélancolique. Je vis sur une hauteur, de l'autre côté, Jacques le Majeur, frère de Jean, qui les regardait passer, et qui retourna annoncer ce qu'il avait vu aux autres disciples cachés dans les cavernes.

Le jardin est de forme irrégulière. Le rocher où le sépulcre est taillé est couvert de gazon et entouré d'une haie vive ; il y a encore devant l'entrée une barrière de perches transversales attachées à des pieux au moyen de chevilles de fer. Quelques palmiers s'élèvent devant l'entrée du jardin et devant celle du tombeau, qui est située dans l'angle à droite. La plupart des autres plantations consistent en buissons, en fleurs et en arbustes aromatiques. Le cortège s'arrêta à l'entrée du jardin ; on l'ouvrit en enlevant quelques pieux qui servirent ensuite de leviers pour rouler dans le caveau la pierre destinée à fermer le tombeau. Quand on fut devant le rocher, on ouvrit la civière, et on enleva le saint corps sur une longue planche, sous laquelle un drap était étendu transversalement. Nicodème et Joseph portaient les deux bouts de la planche, Jean et Abénadar ceux du drap. La grotte, qui était nouvellement creusée, avait été récemment nettoyée par les serviteurs de Nicodème qui y avaient brûlé des parfums ; l'intérieur en était propre et élégant ; il y avait même un ornement sculpté au haut des parois. La couche destinée à recevoir le corps était un peu plus large du côté de la tête que du côté opposé ; on y avait tracé en creux la forme d'un cadavre enveloppé de ses linceuls en laissant une petite élévation à la tête et aux pieds. Les saintes femmes s'assirent vis-à-vis l'entrée du caveau. Les quatre hommes y portèrent le corps du Seigneur, remplirent encore d'aromates une partie de la couche creusée pour le recevoir, et y étendirent un drap qui dépassait des deux côtés la couche sépulcrale, et sur lequel ils placèrent le corps. Ils lui témoignèrent encore leur amour par leurs larmes et leurs embrassements et sortirent du caveau. Alors la sainte Vierge y entra ; elle s'assit du côté de la tête, et se pencha en pleurant sur le corps de son fils. Quand elle quitta la grotte, Madeleine s'y précipita ; elle avait cueilli dans le jardin des fleurs et des branches qu'elle jeta sur Jésus ; elle joignit les mains et embrassa en sanglotant les pieds de Jésus ; mais les hommes l'ayant avertie qu'ils voulaient fermer le tombeau, elle revint auprès des femmes. Ils relevèrent au-dessus du saint corps les bords du drap où il reposait, placèrent sur le tout la couverture de couleur brune, et fermèrent les battants de la porte, qui était d'un métal brunâtre, vraisemblablement en cuivre ou en bronze ; il y avait devant deux bâtons, l'un vertical, l'autre horizontal ce qui faisait l'effet d'une croix (1).

(1) La soeur n'explique pas si ces bâtons étaient des pièces détachées, placées devant la porte, ou si c'étaient des bandes en relief faisant partie de cette porte.



La grosse pierre destinée à fermer le tombeau, qui se trouvait encore devant l'entrée du caveau, avait à peu près la forme d'un coffre (2) ou d'une pierre tombale ; elle était assez grande pour qu'un homme pût s'y étendre dans toute sa longueur ; elle était très pesante, et ce ne fut qu'avec les pieux enlevés à l'entrée du jardin que les hommes purent la rouler devant la porte du tombeau. La première entrée du caveau était fermée avec une porte faite de branches entrelacées. Tout ce qui fut fait dans l'intérieur de la grotte se fit à la lueur des flambeaux, parce que la lumière du jour n'y pénétrait pas. Pendant la mise au tombeau, je vis, dans le voisinage du jardin et du Calvaire errer plusieurs hommes à l'air triste et craintif. Je crois que c'étaient des disciples qui, sur le récit d'Abénadar, étaient venus des cavernes par la vallée et qui y retournèrent ensuite.



 (2) Vraisemblablement la soeur Emmerich voulait parler ici de ces caisses antiques où les paysans de son pays renferment leurs vêtements, le fond en est moins large que le couvercle, ce qui leur donne en effet une certaine ressemblance avec une tombe. Elle avait prés d'elle une de ces caisses qu'elle appelait son coffre. C'est en ces termes qu'elle a souvent décrit la pierre en question, dont la forme toutefois n'est pas représentée très clairement.



253. LE RETOUR DU TOMBEAU. - JOSEPH d'ARIMATHIE MIS EN PRISON.

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Le sabbat allait commencer ; Nicodème et Joseph rentrèrent à Jérusalem par une petite porte voisine du jardin, et qui était percée dans le mur de la ville : c'était, je crois, par suite d'une faveur spéciale accordée à Joseph. Ils dirent à la sainte Vierge, à Madeleine, à Jean et à quelques-unes des femmes qui retournaient au Calvaire pour y prier, que cette porte leur serait ouverte lorsqu'ils y frapperaient, aussi bien que celle du Cénacle. La soeur aînée de la sainte Vierge, Marie, fille d'Héli, revint à la ville avec Marie, mère de Marc, et quelques autres femmes. Les serviteurs de Nicodème et de Joseph se rendirent au Calvaire pour y prendre les objets qui y avaient été laissés.

Les soldats se joignirent à ceux qui gardaient la porte de la ville et Cassius se rendit auprès de Pilate portant avec lui la lance ; il lui raconta ce qu'il avait vu, et lui promit un rapport exact sur tout ce qui arriverait ultérieurement, si on voulait lui confier le commandement des gardes que les Juifs ne manqueraient pas de demander pour le tombeau. Pilate écouta ses discours avec une terreur secrète, cependant il le traita de rêveur fanatique, et moitié par dégoût, moitié par superstition, il lui ordonna de laisser devant la porte la lance qu'il avait apportée avec lui.

Comme la sainte Vierge et ses amies revenaient du Calvaire où elles avaient encore pleuré et prié, elles virent venir à elles une troupe de soldats avec une torche et se retirèrent des deux côtés du chemin jusqu'à ce qu'ils fussent passés. Ces hommes allaient au Calvaire, vraisemblablement pour enlever les croix avant le sabbat et pour les enfouir. Quand ils furent passés, les saintes femmes continuèrent leur chemin vers la petite porte du jardin.

Joseph et Nicodème rencontrèrent dans la ville Pierre, Jacques le Majeur et Jacques le Mineur. Tous pleuraient ; Pierre surtout était en proie à une violente douleur ; il les embrassa, s'accusa de n'avoir pas été présent à la mort du Sauveur, et les remercia de lui avoir donné la sépulture. Il fut convenu qu'on leur ouvrirait la porte du Cénacle lorsqu'ils y frapperaient, et ils s'en allèrent chercher d'autres disciples dispersés en divers lieux. Je vis plus tard la sainte Vierge et ses compagnes frapper au Cénacle et y entrer, Abénadar y fut aussi introduit, et peu à peu la plus grande partie des apôtres et des disciples s'y réunirent. Les saintes femmes se retirèrent de leur côté dans la partie où habitait la sainte Vierge. On prit un peu de nourriture et on passa encore quelques minutes à pleurer ensemble et à raconter ce qu'on avait vu. Les hommes mirent d'autres habits, et je les vis se tenant sous une lampe et observant le sabbat. Ensuite ils mangèrent encore des agneaux dans le Cénacle, mais sans joindre à leur repas aucune cérémonie, car ils avaient mangé, la veille, l'agneau pascal ; tous étaient pleins d'abattement et de tristesse. Les saintes femmes prièrent aussi avec Marie sous une lampe. Plus tard, lorsqu'il fit tout à fait nuit, Lazare, la veuve de Naim, Dina la Samaritaine et Mara la Suphanite (1), vinrent de Béthanie : on raconta de nouveau ce qui s'était passé, et on pleura encore.



(1) D'après les visions de la Soeur Emmerich, les trois femmes nommées ici demeuraient depuis quelque temps à Béthanie, dans une sorte de communauté établie par Marthe, afin de pourvoir à l'entretien des disciples lors des voyages du Seigneur et à la répartition des aumônes. La veuve de Naim, dont le fils Martial fut ressuscité par Jésus, selon la Soeur le 23 Marcheswan (13 Novembre), dans la seconde année de la vie publique du Sauveur, s’appelait Maroni. Elle était fille d'un oncle paternel de saint Pierre. Son premier mari était fils d'une soeur d'Elisabeth, appelée Rhode, qu'elle-même était fille d'une soeur de la mère de sainte Anne. Ce premier mari de Maroni étant mort sans enfants, elle avait épousé Eliud, proche parent de sainte Anne, et avait quitté Chasaluth, prés du Thabor, où résidait la famille de Rhode pour s'établir à Naim, qui était à peu de distance et où elle avait perdu bientôt son second mari.
Dina la Samaritaine est celle qui, suivant les visions de la Soeur, s'entretint avec Jésus près du puits de Jacob, le 7 du mois d'Ab (31 Juillet) de la seconde année de la prédication du Sauveur. Elle était née prés de Damas, de parents moitié Juifs, moitié païens. Les ayant perdus de bonne heure, elle avait pris, chez une nourrice débauchée, le germe des passions les plus coupables. Elle avait eu plusieurs maris, supplantés tour à tour les uns par les autres ; le dernier, parent des précédents, habitait Sichar où elle l'avait suivi et changé son nom de Dina contre celui de Salomé. Elle avait, de ses liaisons antérieures, trois grandes filles et deux fils qui se réunirent aux disciples par la suite. Ces enfants ne demeuraient pas avec elle à Sichar, mais chez les parents de leurs pères, près de Damas. La soeur Emmerich disait que la vie de la Samaritaine était une vie prophétique, que Jésus avait parlé en sa personne à toute la secte des Samaritains, et qu'ils étaient attachés à l'erreur par autant de liens qu'elle avait commis d'adultères. Dans la plénitude des temps, tous ceux qui rencontrèrent dans la personne de Jésus la voie et la vérité, eurent également l'honneur d'être des types prophétiques.
Mara la Suphanite était une Moabite des environs de Suphan elle descendait d'Orpha, veuve de Chélion, le fils de Noëmi, car Orpha s'était remariée dans Moab. Mara avait par Orpha, belle-soeur de Ruth, une alliance avec David, ancêtre de Jésus. La soeur Emmerich vit, à Ainon, Jésus délivrer Mara de quatre démons et lui remettre ses péchés, le 17 Elul (9 septembre) de la seconde année de la prédication. Elle vivait à Ainon, chassée par son mari, riche Juif qui avait gardé avec lui les enfants qu'il avait eux d'elle. Elle en avait près d'elle trois autres fruits de l'adultère. Je vis, disait la Soeur, comment ce rejeton égaré de la souche de David se purifiait en sa personne par la grâce de Jésus et entrait dans le sein de l'Eglise. Je ne saurais exprimer combien Je vois de ces racines et de ces filaments se croiser, se perdre, puis revenir un jour. »



Joseph d'Arimathie revint tard du Cénacle chez lui ; il suivait tristement les rues de Sion, accompagné de quelques disciples et de quelques femmes, lorsque tout à coup une troupe d'hommes armés, embusqués dans le voisinage du tribunal de Caiphe, fondit sur eux et s'empara de Joseph, pendant que ses compagnons s'enfuyaient en poussant des cris d'effroi. Je vis qu'ils renfermèrent le bon Joseph dans une tour attenante au mur de la ville, à peu de distance du tribunal. Caïphe avait chargé de cette expédition des soldats païens qui n'avaient pas de sabbat à observer. On avait, je crois, le projet de le laisser mourir de faim et de ne rien dire de sa disparition.

Ici se terminant les récits du jour de la Passion du Sauveur ; nous ajouterons divers suppléments qui s'y rattachent, puis viendront les visions relatives au Samedi saint, la descente aux enfers, à la Résurrection et à quelques apparitions du Seigneur.




254. LA COMPASSION DE JONADAB ENVERS LE SAUVEUR EST RECOMPENSEE

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Jonadab, qui, poussé hors du temple par une angoisse intérieure, était venu, au moment du crucifiement, donner son suaire à Jésus pour couvrir sa nudité, était neveu de saint Joseph, le père nourricier de Jésus, et il habitait dans les environs de Bethléem. Il revint en hâte du Calvaire au temple, mais lorsque l'immolation de l'agneau pascal y fut troublée par les ténèbres, le tremblement de terre et l'apparition des morts, il se hâta de revenir dans son pays, car sa mère et sa femme étaient malades et il avait des enfants en bas âge. Je vis ce digne homme reprendre le chemin de sa maison, le coeur tout changé, car auparavant il était resté très indiffèrent à l'enseignement et aux actes de Jésus, d'autant plus que son père, qui était, je crois, demi frère de saint Joseph, n'avait pas grande inclination pour le Sauveur. C'était ce frère qui avait fait une visite assez tardive à Joseph dans la grotte de la crèche, à Bethléem, et auquel Joseph avait engagé l'âne dont il ne se servait pas en échange d'une somme d'argent destinée à faire quelques achats pour la réception des rois mages dont la sainte Vierge lui avait annoncé l'arrivée d'avance.

Je vis qu'au grand étonnement de Jonadab, sa mère et sa femme avec ses enfants vinrent à sa rencontre jusqu'à moitié chemin, tous en parfaite santé. Il n'en croyait pas ses yeux, car il les avait laissées très malades. Je les vis l'embrasser et lui raconter comment elles avaient été miraculeusement guéries. Un peu après midi, une femme d'un extérieur majestueux était entrée dans leur maison, s'était approchée de leur couche et avait dit : « Levez-vous et allez au-devant de Jonadab, il a couvert un homme nu ». Elles s'étaient alors senties toutes pénétrées d'un sentiment de bien-être, et s’étaient levées en parfaite santé pour remercier cette femme merveilleuse et lui rendre leurs hommages. Mais lorsqu'elles avaient voulu lui présenter quelques rafraîchissements, elle avait disparu, laissant la maison pleine d'une odeur suave et elles-mêmes complètement rassasiées. Aussitôt après, sur la parole de cette femme, elles étaient parties pour venir à la rencontre de Jonadab et elles le priaient de leur dire de qui il avait couvert la nudité.

Alors Jonadab leur raconta avec des pleurs et des sanglots, le crucifiement de Jésus, ce Jésus, fils de Joseph et de Marie, qui était le Prophète, le Christ, le Saint d'Israël sur quoi tous déchirèrent leurs habits, en signe de deuil versèrent des larmes, tout en louant Dieu d'un si grand bienfait pour une oeuvre de charité si simple, parlèrent des signes effrayants qui s'étaient montrés en ce jour dans le ciel et sur la terre, et retournèrent dans leur maison, émus jusqu'au fond de l'âme.

Or, pendant que la femme de Jonadab racontait à son mari ce qui était arrivé, j'ai vu moi-même, comme dans un tableau, cette apparition dans leur maison. Je ne puis dire avec certitude qui c'était : j'ai une idée confuse que c'était une apparition de la sainte Vierge. J'ai vu aussi que plus tard Jonadab, après avoir mis ses affaires en ordre, se réunit à la communauté chrétienne.

Lorsque la sainte Vierge, dans son angoisse, fit à Dieu une ardente prière pour qu'il épargnât à Jésus la honte d'être exposé nu sur la croix, je vis cette prière exaucée, car mon regard fut dirigé vers son neveu Jonadab, qui, dominé par une semblable angoisse, sortit du temple et courut au Calvaire à travers la ville pour venir en aide à Jésus. Lorsqu'ensuite la sainte Vierge, dans un sentiment de profonde gratitude pour la compassion de Jonadab, implora sur lui et sur sa maison la bénédiction de Dieu, je vis de nouveau sa prière exaucée : car je vis Jonadab éclairé par la foi en Notre Seigneur et sa famille malade guérie miraculeusement par une apparition.

Des grâces de ce genre nous sont très souvent accordées à nous-mêmes par l'effet de nos prières ou de celles d'autrui, mais parce que nous ne voyons pas des yeux du corps comment elles arrivent, nous n'en sommes pas frappés ou nous n'y voyons rien de merveilleux. On voit souvent de ces grâces et de ces effets de la prière se produire par le ministère des saints anges ; c'est pourquoi des personnes contemplatives qui méditent sur la vie de Jésus et de Marie disent quelquefois que la sainte Vierge avait tel ou tel nombre d'anges pour la protéger ou la servir ; elle envoyait des anges ici ou là, pour remplir telle ou telle mission, etc. Cette manière de parler ne parait étrange qu'à ceux qui ne sont pas dirigés dans cette voie contemplative : quant aux contemplatifs, il leur semble tout aussi naturel de voir la reine du ciel entourée d'anges qui la servent, que de voir les grands de la terre entourés de gardes et de serviteurs. Quand on regarde Dieu comme son père avec la simplicité d'un enfant, on ne s'étonne pas de voir les serviteurs de ce Père céleste et on ne craint pas de les charger de messages où il s'agit de la gloire de Dieu. Il m'arrive souvent en priant pour autrui de supplier instamment mon ange gardien, pour l'amour de Jésus-Christ, d'aller dire telle et telle chose à l'ange d'une autre personne. Pour moi, c'est absolument comme si j'envoyais un ami ou un homme de confiance pour une affaire importante et je le vois de même aller et s'acquitter de la commission. Je croyais, dans ma jeunesse, que tous les chrétiens faisaient ainsi ; mais j'appris plus tard que la plupart ne voyaient pas toutes ces choses, et je ne pensai pas pour cela que je fusse plus favorisée que les autres, car je savais bien qu'il a été dit : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Les influences de la prière se font sentir de diverses manières à celui sur lequel elles sont dirigées, suivant les vues secrètes de Dieu et l'état de grâce de l'homme. Jonadab fut poussé au Calvaire par un sentiment d'angoisse intérieure et par une compassion soudaine qui s'éveilla chez lui pour Jésus. D'autres personnes touchées de la grâce divine se voient averties par un ange de faire telle ou telle chose ; s'il eût été dans les desseins de Dieu que cela arrivât pour Jonadab, il aurait vu la sainte Vierge lui apparaître et lui dire : « Hâte-toi d'aller couvrir la nudité de mon fils », de même qu'elle apparut à sa famille lorsque Dieu exauça la prière qu'elle lui avait adressée dans sa reconnaissance. C'est de la même manière que j'ai vu autrefois la sainte Vierge apparaître debout sur une colonne (1), devant Saragosse, à l'apôtre saint Jacques le Majeur qui, dans un danger pressant, implorait le secours de ses prières, et au même moment, je la voyais dans sa chambre d'Ephèse, ravie en extase, prier pour Jacques et voler vers lui en esprit. Si elle lui apparut sur une colonne, c'est qu'il l'avait invoquée comme l'appui, comme le piller de l'Eglise sur la terre et qu'elle s'était présentée en cette qualité à sa pensée intérieure, car une colonne est une colonne et apparaît sous l'image d'une colonne, etc.



(1) Ceci se rapporte évidemment à l'origine de la célèbre image miraculeuse de Saragosse, connue sous le nom de Notre-Dame de la Colonne (del Pilar)




Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 250