Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 254


255. SUR LE NOM DU CALVAIRE

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En méditant sur le nom de Golgotha, Calvaire, lieu du Crime, que porte le rocher où Jésus a été crucifié et sur ce lieu une vision qui embrassait toute la suite des temps depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ. Voici tout ce qu'il m'en reste.

Je vis Adam, après son expulsion du Paradis, pleurer dans la grotte du mont des Oliviers où Jésus eut sa sueur de sang. Je vis comment Seth fut promis à Eve dans la grotte de la Crèche, à Bethléem, et comment elle le mit au monde dans cette même grotte ; je vis aussi Eve demeurer dans les cavernes où fut depuis le monastère essénien de Maspha, prés d'Hébron.



La contrée de Jérusalem m'apparut ensuite après le déluge, bouleversée, noire, pierreuse, bien différente de ce qu'elle était auparavant. A une grande profondeur au-dessous du rocher qui forme le Calvaire (lequel avait été roulé en ces lieux par les eaux), j'aperçus le tombeau d'Adam et d'Eve. Il manquait une tête et une côte à l'un de ces squelettes, et la tête restante était placée dans ce même squelette, auquel elle n'appartenait pas. J'ai vu souvent que les ossements d'Adam et d'Eve n'étaient pas tous demeurés dans ce tombeau ; Noé en avait plusieurs dans l'arche qui furent transmis de génération en génération parmi les patriarches. J'ai vu que Noé, et Abraham après lui, en offrant le sacrifice, plaçaient toujours quelques os d'Adam sur l'autel pour rappeler à Dieu sa promesse. Quand Jacob remit à Joseph sa robe bariolée, je vis qu'il lui donna aussi quelques ossements dans le premier reliquaire que les enfants d'Israël emportèrent d'Egypte.

J'ai vu beaucoup de ces choses : mais j'ai oublié les unes, et le temps me manque pour raconter les autres.

Quant à l'origine du nom du Calvaire, voici ce qui m'a été montré. La montagne qui porte ce nom m'est apparue au temps du prophète Elisée. Elle n'était pas alors comme au temps de Jésus : c'était une colline avec beaucoup de murailles et de cavernes semblables à des tombeaux. Je vis le prophète Elisée descendre dans ces cavernes (je ne saurais dire s'il le fit réellement, ou si c'était simplement une vision). Je le vis tirer un crâne d'un sépulcre en pierre où reposaient des ossements. Quelqu'un qui était près de lui, je crois que c'était un ange lui dit : C'est le crâne d'Adam. Le prophète voulut l'emporter, mais celui qui était près de lui ne le lui permit pas. Je vis sur le crâne quelques cheveux blonds clairsemés.

J'appris aussi que ce prophète ayant raconté ce qui lui était arrive, ce lieu avait reçu le nom de Calvaire. Enfin, je vis que la croix de Jésus était placée verticalement sur le crâne d'Adam, et je fus informée que cet endroit était précisément le milieu de la terre ; en même temps on m'indiqua des nombres et des mesures marquant la distance de ce lieu à toutes les contrées de la terre, mais je les ai oubliés, aussi bien pour chacune en particulier que pour la liaison de l'ensemble. J'ai pourtant vu ce milieu d'en haut, et comme à vol d'oiseau. De là, on aperçoit bien plus clairement que sur une carte de géographie, les différents pays, les montagnes, las déserts, les mers et les fleuves, les villes et même les petits endroits, les plus prochains comme les plus éloignés, etc., etc.




256. LA CROIX ET LE PRESSOIR (1)

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(1) un des anciens vitraux de l'église de Saint Etienne du Mont, à Paris, représente Jésus-Christ étendu sur un pressoir et entouré de tout ce qui sert à faire le vin. Son sang coule des cinq plates dans des cuves et des outres. Tout autour sont des évêques, des prêtres et des fidèles qui s'empressent de le recueillir.
(Note du Traducteur.)



Comme je songeais à cette parole ou à cette pensée de Jésus sur la croix : « Je suis pressé comme le vin qui a été mis ici sous le pressoir pour la première fois, je dois rendre tout mon sang jusqu'à ce que l'eau vienne, mais on ne fera plus de vin ici » ; cela me fut expliqué par une autre vision relative au Calvaire.

Je vis à une époque postérieure au déluge cette contrée pierreuse moins sauvage et moins stérile qu'elle ne le fut depuis. Il y avait des vignobles et des prairies. Je vis ici et vers le couchant le patriarche Japhet, un grand vieillard au teint brun, entouré de troupeaux immenses et d'une nombreuse postérité ; ses enfants et lui avaient des demeures creusées dans la terre et couvertes de toits de gazon où croissaient des herbes et des fleurs. Tout autour étaient des vignes, et l'on essayait sur le Calvaire, en présence de Japhet, une nouvelle manière de faire le vin.

Je vis aussi las anciennes méthodes pour préparer le vin et en général beaucoup de choses qui se rapportaient au vin ; je ne me souviens que de ce qui suit : d'abord on se contentait de manger le raisin ; ensuite on le pressa avec des pilons dans des pierres creusées, puis, dans de grandes rigoles de bois. Cette fois on avait imaginé un nouveau pressoir qui ressemblait à la sainte croix : c'était un tronc d'arbre creusé et élevé verticalement ; un sac plein de raisin était suspendu en haut ; sur ce sac appuyait un pilon au-dessus duquel était un poids, et des deux côtés du tronc étaient des bras aboutissant au sac par des ouvertures disposées à cet effet, et qui écrasaient le raisin lorsqu'on les faisait mouvoir en abaissant les extrémités. Le jus coulait hors de l'arbre par cinq ouvertures, et tombait dans une cuve de pierre ; de là, il arrivait par un conduit d'écorce enduit de résine à cette espèce de citerne creusée dans le roc où Jésus fut enfermé avant d'être crucifié. C'était à cette époque une citerne très propre. Je vis le conduit entièrement couvert de gazon et de pierres pour le garantir. Au pied du pressoir, dans la cuve de pierre, se trouvait une sorte de tamis pour arrêter le marc qu'on mettait de côté. Lorsqu'ils eurent dressé leur pressoir, ils remplirent la car. de raisins, le clouèrent au haut du tronc, y placèrent le pilon, et firent jouer les bras placés des deux côtés pour faire couler le vin. Je vis aussi auprès du pilon un homme qui appuyait sur le sac pour que les raisins qu'il contenait n'en sortissent pas par en haut. Tout cela me rappela vivement le crucifiement à cause de la ressemblance de ce pressoir avec la croix. Ils avaient un long roseau avec un bout où se trouvaient des pointes, ce qui le rendait semblable à une grosse tête de chardon, et ils le faisaient passer à travers le conduit et à travers le tronc d'arbre quand quelque partie s'obstruait. Cela me rappela la lance et l'éponge. Il y avait des outres et des vases d'écorce enduits de résine. Je vis plusieurs jeunes gens, ayant seulement, comme Jésus, un linge autour des reins, travailler à ce pressoir. Japhet était fort vieux : il avait une longue barbe et un vêtement de peaux de bêtes ; il regardait avec joie le nouveau pressoir. C'était une fête, et on sacrifia sur un autel de pierre des animaux qui couraient dans la vigne, de jeunes ânes, des chèvres et des brebis. Ce ne fut pas en ce lieu qu'Abraham vint sacrifier Isaac : ce fut peut-être sur la montagne de Moriah. J'ai oublié beaucoup d'instructions relatives au vin, au vinaigre, au marc, aux différentes distributions à droite et à gauche : je le regrette, car les moindres choses en cette matière ont une profonde signification symbolique. Si Dieu veut que je les fasse connaître, il me les montrera de nouveau.




257. EXTRAIT D'UNE VISION ANTERIEURE

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Dans une vision du dernier mois de la vie de Jésus, la soeur Emmerich vit trois Chaldéens, d'un lieu dont le nom ressemblait à Sicdor et où ces païens avaient une école de prêtres, visiter le Seigneur à Béthanie, chez Lazare. Déjà, dans une autre occasion, le 17 décembre, elle avait raconté ce qui suit touchant leur religion et leur temple : « à peu de distance de ce temple était sur une hauteur une pyramide avec des galeries où ils observaient les autres. Ils prédisaient l'avenir d'après la course des animaux, et interprétaient les songes. Ils sacrifiaient les animaux, mais avec horreur du sang qu'ils laissaient toujours couler à terre. Ils avaient un feu sacré et une eau sacrée qui figuraient dans leurs cérémonies religieuses ainsi que des petits pains bénits et le jus d'une plante qu'ils regardaient comme sainte. Leur temple était de forme ovale et plein d'images en métal artistement travaillées. Ils avaient le pressentiment très marqué d'une mère de Dieu. L'objet principal dans leur temple était un obélisque triangulaire. Sur l'un des côtés était une figure avec plusieurs pieds d'animaux et plusieurs bras, qui tenait entre ses mains une boule, un cerceau, un petit paquet d'herbes, une grosse pomme à côtes attachée à sa tige, et d'autres choses encore. Son visage était comme un soleil avec des rayons ; elle avait plusieurs mamelles, et signifiait la production et la conservation de la nature ; son nom était comme Miter ou Mitras. Sur l'autre côté de la colonne était une figure d'animal avec une corne : c'était une licorne, et elle s'appelait Asphas ou Aspax. Elle combattait avec sa corne contre une méchante bête qui se trouvait sur le troisième côté. Celle-ci avait une tête de hibou avec un bec crochu, quatre pattes armées de griffes, deux ailes et une queue qui se terminait comme celle d'un scorpion. J'ai oublié son nom : d'ailleurs je ne retiens pas facilement ces noms étrangers ; je confonds l'un avec l'autre, et je ne peux qu'indiquer à peu près à quoi ils ressemblent. A l'angle de la colonne, au-dessus des deux bêtes qui combattaient, était une statue qui devait représenter la mère de tous les dieux. Son nom était comme Aloa ou Aloas ; on l'appelait aussi une grange pleine de blé, et il sortait de son corps une gerbe d'épis. Sa tête était courbée en avant, car elle portait sur le cou un vase où il y avait du vin, ou dans lequel le vin devait venir. Ils avaient une doctrine qui disait : le blé doit devenir du pain, le raisin doit devenir du vin pour nourrir toutes choses. Au-dessus de cette figure était une espèce de couronne, et sur la colonne, deux lettres qui me faisaient l'effet d'un O et d'un W (peut-être Alpha et Oméga).

Mais ce qui m'émerveilla le plus dans ce temple, ce fut un autel d'airain avec un petit jardin rond, recouvert d'un treillis d'or, et au-dessus duquel on voyait la figure d'une vierge. Au milieu se trouvait une fontaine composée de plusieurs bassins scellés l'un sur l'autre, et devant elle un cep de vigne vert avec un beau raisin rouge qui entrait dans un pressoir, dont la forme me rappela vivement celle de la sainte Croix, mais ça n'était qu'un pressoir. Au bout d'un tronc d'arbre creux était ajusté un large entonnoir dont l'extrémité la plus étroite aboutissait à un sac de raisins : contre ce sac jouaient deux bras mobiles comme des leviers qui entraient dans l'arbre des deux côtés, et écrasaient les grappes, dont le jus coulait par des ouvertures. Le petit jardin rond avait cinq à six pas de diamètre il était plein de fleurs, d'arbrisseaux et de fruits, tous, comme le cep de vigne, fort bien imités et ayant une signification profonde.

Cette représentation prophétique du salut futur avait été faite plusieurs siècles auparavant par les prêtres de ce peuple, d'après ce que leur avait appris l'observation des astres. Ils avaient aussi vu cette image, autant que je m'en souviens, sur l'échelle de Jacob (1). Ils avaient encore d'autres pressentiments et figures prophétiques de la Mère de Dieu, mais mêlés avec d'autres traditions et mal compris. Toutefois, peu de temps auparavant, ils avaient été instruits de la signification du jardin fermé et de la fontaine scellée : il leur avait été révélé que Jésus était le cep de vigne dont le sang devait régénérer le monde, le grain de blé qui, mis en terre, devait ressusciter. Ils avaient appris qu'ils possédaient plusieurs symboles et plusieurs annonces de la vérité, mais mêlés avec des inventions de Satan qui les obscurcissaient. Ils avaient été renvoyés pour acquérir de plus amples instructions aux trois rois, qui, depuis leur retour de Bethléem, habitaient plus près de la Terre promise qu'auparavant, savoir dans l'Arabie heureuse, et n'étaient qu'à deux journées de chemin de ces Chaldéens.



(1) Ces deux représentations sont évidemment le Jardin fermé et la fontaine scellée du Cantique des Cantiques (Ct 4,1-5,12), images que l'Eglise a toujours regardées comme désignant la sainte Vierge. Elle dit qu'ils avaient vu ce tableau sur l'échelle de Jacob, parce qu'elle-même avait vu dans cette échelle, où montaient et descendaient les anges, et au haut de laquelle le Seigneur promit à Jacob que de lui sortirait le salut du monde un tableau prophétique de l'Incarnation où étaient exprimés par divers symboles, soit le temps de l'avènement, soit les conditions auxquelles il aurait lieu. Elle avait vu aussi que d'autres peuples que le peuple élu avaient reçu à quelque degré des révélations de ce genre, ainsi que le prouvent l'exemple de Balaam et celui des trois rois, qui avaient appris la naissance du Christ en observant les astres. Elle vit cette fois que les Chaldéens avaient eu une vision prophétique semblable à l'échelle de Jacob et où ils avaient vu le Jardin ferme, mais il y avait entre eux et le peuple de Dieu la différence exprimée par le Sauveur (
Mc 4,11-12). Il vous est donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, tout est montré en paraboles à ceux qui sont dehors, en sorte qu'ils voient et n'aperçoivent pas, qu'ils entendent et ne comprennent pas. »



Jésus ne parla que brièvement et en passant à ces étrangers. Il les envoya à Capharnaüm, vers le centurion Zorobabel dont il avait guéri le serviteur, et qui, ayant été un païen comme eux, devait se charger de les instruire. Je les vis se rendre chez lui. C'étaient des hommes de grande taille, jeunes, beaux, sveltes : ils étaient autrement conformés que les Juifs ; leurs pieds et leurs mains étaient d'une petitesse remarquable.

Ici peut se rapporter encore ce que dit la soeur une autre fois : « Quand je vois des paraboles relatives à la vigne, ou quand je prie pour des diocèses et des paroisses qui me sont montrés sous forme de vignes, où il me semble que je dois faire des travaux pénibles, j'y vois toujours le pressoir semblable à la croix, mais élevé au milieu d'une cuve ou d'une fosse profonde. Les bras mobiles de ce pressoir peuvent être mis en mouvement avec les pieds. »






258. APPARITIONS LORS DE LA MORT DE JESUS

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(1) Comme le récit de la Passion ont été trop longtemps interrompu par celui des apparitions qui eurent lieu la mort de Jésus, nous donnons ici ce dernier ou plutôt les fragments que nous avons pu en recueillir d'après les communications de la Soeur, dans un moment où elle était réduite à la dernière faiblesse et toute brisée par la maladie et la participation aux souffrances au Sauveur.



Parmi les morts ressuscités, dont on vit bien une centaine à Jérusalem (
Mt 27,52), il n'y avait pas de parents de Jésus. Les tombeaux situés dans la partie nord-ouest de Jérusalem étaient autrefois hors de la ville : ils y furent englobés par suite de l'agrandissement de l'enceinte. J'ai vu, dans d'autres lieux de la Terre Sainte, divers morts apparaître à leurs proches et rendre témoignage de la mission de Jésus. Ainsi, je vis Sadoch un homme très pieux, qui avait donné tout son bien aux pauvres et au Temple, et fondé une communauté d'Esséniens, se montrer à beaucoup de gens dans les environs d'Hébron.

Ce Sadoch avait vécu un siècle avant Jésus ; il avait été un des derniers prophètes antérieurs à l'incarnation, avait désiré ardemment la venue du Messie avec les ancêtres duquel il se trouvait en relation, et avait eu plusieurs révélations à ce sujet. D'après une vision précédente, il me semble que son âme avait été l'une des premières qui se réunirent à leur corps et qui, après l'avoir déposé de nouveau, parcoururent le pays à la suite de Jésus. Je vis d'autres morts apparaître aux disciples cachés du Seigneur et leur donner des avertissements.

La terreur et la désolation se répandirent dans les parties les plus éloignées de la Palestine, et ce ne fut pas seulement à Jérusalem que la terre trembla  (Mt 27,51) et que la lumière du jour s'obscurcit (Mt 27,45 Mc 15,33). A Thirza, les tours de la prison où avaient été renfermés ces captifs que Jésus délivra, s'écroulèrent ainsi que d'autres bâtiments. Dans le pays de Khaboul, beaucoup d'endroits eurent fort à souffrir. Dans la Galilée, où Jésus avait tant voyagé, je vis tomber beaucoup d'édifices, surtout les maisons des Pharisiens qui avaient le plus ardemment persécuté le Sauveur, et qui tous étaient alors à la fête ; ces maisons tombèrent sur leurs femmes et sur leurs enfants. Il y eut beaucoup de désastres autour du lac de Génésareth. Beaucoup d'édifices s'écroulèrent à Capharnaüm. Les habitations des esclaves situées entre Tibériade et le jardin de Zorobabel, le centurion de Capharnaüm, furent presque entièrement détruits ; le mur de rochers qui était en avant de ce beau jardin se tendit. Le lac déborda dans la vallée, et vint jusqu'à Capharnaüm, qui en était éloigné d'une demi lieue. La maison de Pierre et l'habitation de la sainte Vierge en avant de la ville restèrent debout. Le lac fut dans une grande agitation : ses bords s'écroulèrent en différents endroits, sa forme changea notablement et se rapprocha de celle qu'il a aujourd'hui. Il y eut surtout de grands changements à l'extrémité sud-est, prés de Tarichée, parce qu'il y avait là une longue chaussée de pierres noires construite entre le lac et une espèce de marais, laquelle donnait une direction constante au cours du Jourdain, à sa sortie du lac. Toute cette chaussée fut détruite par le tremblement de terre.

Il y eut beaucoup de désastres à l'est du lac, au lieu où les pourceaux des habitants de Gergesa s'étaient précipités, et aussi à Gergesa, à Gerasa et dans tout le district de Chorazin. La montagne où avait eu lieu la seconde multiplication des pains fut ébranlée, et la pierre où le prodige avait été opéré se fendit en deux. Dans la Décapole, des villes entières s'écroulèrent ; en Asie, plusieurs lieux souffrirent beaucoup, entre autres Nicée, mais surtout beaucoup d'endroits à l'est et au nord-est de Paneas. Dans la Galilée supérieure, bien des Pharisiens trouvèrent leurs maisons en ruines à leur retour de la fête. Plusieurs d'entre eux en reçurent la nouvelle à Jérusalem : c'est pour cela que les ennemis de Jésus furent si peu entreprenants contre la communauté chrétienne à la Pentecôte.

Une partie du temple de Garizim s'écroula. Il y avait là une idole au-dessus d'une fontaine, dans un petit temple dont le toit tomba dans la fontaine avec l'idole. La moitié de la synagogue de Nazareth, d'où l'on avait chassé Jésus, s'écroula, ainsi que la partie de la montagne d'où l'on avait voulu le précipiter. Beaucoup de montagnes, de vallées et de villes, furent dévastées. Il y eut plusieurs perturbations dans le lit du Jourdain par suite de toutes ces secousses, et son cours changea en beaucoup d'endroits. A Machérunte et dans les autres villes d'Hérode, tout resta tranquille : ce pays était hors de la sphère de la pénitence et de la menace, semblable à ces hommes qui ne tombèrent pas au jardin des Oliviers, et qui, par conséquent, ne se relevèrent pas.

En divers endroits où se tenaient beaucoup de mauvais esprits, je vis ceux-ci disparaître en grandes troupes au milieu des édifices et des montagnes qui s'écroulaient. Les secousses de la terre me rappelèrent les convulsions des possédés, quand l'ennemi sent qu'il doit s'éloigner. A Gergesa, une partie de la montagne d'où les démons s'étaient jetés dans un marais avec les pourceaux, roula dans ce marais ; et je vis alors une multitude de mauvais esprits se précipiter dans l'abîme, semblable à un nuage sombre.

C'est à Nicée, si je ne me trompe, que je vis un événement singulier dont je ne me souviens qu'imparfaitement. Il y avait là un port couvert de vaisseaux, et, prés de ce port, une maison avec une tour élevée, où je vis un païen qui était chargé de surveiller ces vaisseaux. Il devait monter souvent à cette tour et regarder ce qui se passait en mer. Ayant entendu un grand bruit au-dessus des vaisseaux du port, il monta en hâte pour voir ce qui arrivait, et il vit planer sur le port des figures sombres qui lui crièrent d'une voix plaintive : « Si tu veux conserver les vaisseaux, fais-les sortir d'ici, car nous devons rentrer dans l'abîme : le grand Pan est mort. » Voilà ce que je me rappelle le plus distinctement des paroles que j'entendis prononcer : mais on lui dit encore plusieurs choses, on lui recommanda de faire connaître ce qu'il venait d'apprendre, lors d'un voyage de mer qu'il devait faire prochainement, et de bien recevoir les messagers qui viendraient annoncer la doctrine de celui qui venait de mourir. Les mauvais esprits étaient ainsi forcés par la puissance de Dieu d'avertir cet honnête homme et de le charger d'annoncer leur défaite. Il fit mettre les navires en sûreté, et alors un orage terrible éclata : les démons se précipitèrent en hurlant dans la mer, et la moitié de la ville s'écroula. Sa maison resta debout. Bientôt après il fit un grand voyage, et annonça la mort du grand Pan, si c'est là le nom dont on avait appelé le Sauveur. Il vint plus tard à Rome, où l'on s'émerveilla beaucoup de ce qu'il raconta. J'ai su, touchant cet homme, beaucoup d'autres choses que j'ai oubliées : j'ai vu, par exemple, comment l'histoire d'un de ses voyages s’était mêlée dans des récits postérieurs, à celle de l'apparition que j'ai mentionnée et avait acquis une grande notoriété, mais je ne sais plus bien comment tout cela se liait ensemble. Son nom était, je crois, quelque chose comme Thamus ou Thramus.




259. ON MET DES GARDES AU TOMBEAU DE JESUS

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Dans la nuit du vendredi au samedi, je vis Caïphe et les principaux d'entre les Juifs se consulter sur ce qu'ils avaient à faire, eu égard aux prodiges qui avaient eu lieu et à la disposition du peuple. A la suite de cette délibération, ils se rendirent, dans la nuit, chez Pilate, et lui dirent que, comme ce séducteur avait assuré qu'il ressusciterait le troisième jour, il fallait faire garder le tombeau pendant trois jours : sans cela, les disciples de Jésus pourraient dérober son corps et répandre le bruit de sa résurrection, d'où il résulterait une nouvelle déception pire que la première. Pilate ne voulait plus se mêler de cette affaire, et il leur dit : « Vous avez une garde : faites garder le tombeau comme vous l'entendrez. » Il leur donna pourtant Cassius, qui devait tout observer et lui faire un rapport exact de ce qu'il verrait. Je les vis sortir de la ville au nombre de douze, avant le lever du soleil : les soldats qui les accompagnaient n'étaient pas habillés à la romaine ; c'étaient des soldats du Temple. Ils avaient des lanternes placées sur des perches, afin de tout voir malgré la nuit, et de s'éclairer dans l'obscurité du caveau sépulcral.

Aussitôt arrivés, ils s'assurèrent de la présence du corps de Jésus, puis ils attachèrent une corde en travers, devant la porte du tombeau, en firent passer une seconde sur la grosse pierre qui était placée en avant, et scellèrent le tout avec un cachet demi circulaire. Ils revinrent ensuite à la ville, et les gardes se postèrent en face de la porte extérieure. Il y avait là cinq à six hommes à tour de rôle. Cassius ne quitta pas son poste ; il se tenait ordinairement assis ou debout devant l'entrée du caveau, de manière à voir le côté du tombeau où reposaient les pieds du Sauveur. Il avait reçu de grandes grâces intérieures et l'intelligence de beaucoup de mystères. N'étant pas accoutumé à se trouver dans cet état d'illumination spirituelle, il resta presque tout le temps dans une sorte d'enivrement et n'ayant pas la conscience des objets extérieurs. Il fut entièrement transformé, devint un nouvel homme, et passa toute la journée dans le repentir, l'action de grâces et l'adoration.



260. LES AMIS DE JESUS LE SAMEDI SAINT

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Je vis hier au soir environ vingt hommes rassemblés au Cénacle ; ils avaient de longs habits blancs avec des ceintures, et célébraient le sabbat, ainsi que je l'ai dit plus haut. Ils se séparèrent pour se livrer au sommeil, et plusieurs regagnèrent leurs demeures accoutumées. Aujourd'hui encore, je les vis rassemblés au Cénacle ; ils gardaient le silence la plupart du temps et se succédaient pour faire la prière ou la lecture ; de nouveaux venus étaient introduits de temps en temps.

Dans la partie de la maison où se tenait la sainte Vierge il y avait une grande salle où l'on avait pratiqué, au moyen de tapis et de cloisons mobiles, quelques cellules séparées pour ceux qui voulaient y passer la nuit. Lorsque les saintes femmes, revenues du tombeau, eurent remis en place les objets dont elles s'étaient servies, une d'elles alluma une lampe suspendue au milieu de cette salle, et sous laquelle elles vinrent se placer autour de la sainte Vierge ; elles prièrent à tour de rôle avec beaucoup de tristesse et de recueillement et prirent ensuite une petite réfection. Bientôt entrèrent Marthe, Maroni, Dina et Mara, lesquelles après le sabbat étaient venues de Béthanie avec Lazare, celui-ci était allé trouver les disciples dans le Cénacle. On leur raconta avec larmes la mort et la sépulture du Sauveur ; puis, comme il était tard, quelques-uns des hommes, parmi lesquels Joseph d'Arimathie, vinrent prendre celles des saintes femmes qui voulaient retourner chez elles dans la ville. Comme ils s'en revenaient ensemble, Joseph, ainsi que je l'ai déjà dit, fut enlevé prés de Caïphe et renfermé dans une tour.

Les femmes, restées au Cénacle, entrèrent dans les cellules disposées autour de la salle, s'enveloppèrent la tête de longs voiles et restèrent quelque temps silencieuses et tristes, assises par terre et appuyées contre les couvertures qui étaient roulées prés du mur ; puis elles se levèrent, déployèrent ces couvertures, ôtèrent leurs souliers, leurs ceintures et une partie de leurs vêtements, se voilèrent de la tête aux pieds, comme elles ont d'habitude de le faire pour dormir, et se placèrent sur les couches pour prendre un peu de sommeil. A minuit, elles se relevèrent, s'habillèrent, roulèrent leurs couches et se rassemblèrent sous la lampe autour de la sainte Vierge afin de prier encore.

Quand la mère de Jésus et ses compagnes, quoique brisées par de si grandes souffrances, eurent satisfait à ce devoir de la prière nocturne, que je vois soigneusement rempli dans toute la suite des temps par les fidèles enfants de Dieu et les âmes saintes qu'une grâce particulière y excite, ou qui le font pour se conformer à des règles prescrites par Dieu et son Eglise, Jean vint frapper à la porte de leur salle avec quelques disciples, et aussitôt elles s'enveloppèrent dans leurs manteaux et le suivirent au Temple avec la sainte Vierge.

Vers trois heures du matin, au moment à peu près où le tombeau fut scellé, je vis la sainte Vierge se rendre au Temple, accompagnée des autres saintes femmes, de Jean et de plusieurs autres disciples. Beaucoup de Juifs avaient coutume de se rendre au Temple avant l'aurore, le lendemain du jour où ils avaient mangé l'Agneau pascal ; aussi le Temple était-il ouvert dés minuit, parce que les sacrifices commençaient de très bonne heure. Mais la fête ayant été troublée, et le Temple rendu impur par les prodiges de la veille, on avait tout abandonné, et il me sembla que la sainte Vierge venait seulement prendre congé du Temple où elle avait été élevée, et où elle avait adoré le Saint des saints, jusqu'à ce qu'elle-même portât dans ses entrailles le Saint des saints lui-même, le véritable Agneau pascal qui avait été si cruellement immolé la veille. Il était ouvert selon l'usage ; les lampes étaient allumées, et le parvis des prêtres accessible au peuple, ainsi que cela devait avoir lieu ce jour-là ; mais le Temple était presque vide, à l'exception de quelques gardiens et de quelques serviteurs ; tout y était encore en désordre par suite des terribles incidents de la veille : il avait été profané par les apparitions des morts, et je me demandais toujours : « Comment pourra-t-on le purifier de nouveau » ?

Les fils de Siméon et les neveux de Joseph d'Arimathie, que la nouvelle de l'emprisonnement de leur oncle avait fort attristés, vinrent joindre la sainte Vierge et ses compagnons, et les conduisirent partout, car ils étaient surveillants dans le Temple ; tous contemplèrent avec terreur les signes de la colère de Dieu, dont ils adorèrent les desseins en silence ; seulement ceux qui conduisaient la sainte Vierge racontaient de temps en temps, en peu de mots, les événements de la veille. On n'avait encore réparé presque aucun des dégâts causés par le tremblement de terre. Au lieu où le parvis et le sanctuaire se réunissent, le mur s'était tellement écarté de part et d'autre, qu'on pouvait passer dans l'ouverture ; tout menaçait encore de s'écrouler. Le linteau qui était au-dessus du rideau placé devant le sanctuaire s'était affaissé : les colonnes qui le supportaient avaient fléchi et le rideau, déchiré du haut au bas, pendait des deux côtés. La chute de la grosse pierre qui s'était détachée du côté septentrional du Temple, près de l'oratoire du vieux Siméon, avait ouvert, à l'endroit où Zacharie était apparu, une telle brèche dans le mur du parvis, que les saintes femmes purent y passer sans obstacle, et, placées prés de la grande chaire où Jésus, encore enfant, avait enseigné, voir dans l'intérieur du Saint des saints à travers le rideau déchiré, ce qui, autrement, ne leur eût pas été permis. Ce n'était partout que murs crevassés, dalles enfoncées, colonnes ébranlées et penchées. La sainte Vierge se rendit à tous les endroits que Jésus avait rendus sacrés pour elle ; elle se prosterna pour les baiser, et exprima ses sentiments par des larmes et par quelques paroles touchantes : ses compagnes l'imitèrent.

Les Juifs ont une grande vénération pour tous les lieux sanctifiés par quelque manifestation de la puissance divine ; ils les touchent, les baisent et s'y prosternent le visage contre terre. Je ne saurais m'en étonner, car, sachant et croyant que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob est un Dieu vivant, qu'il habitait parmi son peuple, dans sa maison, le Temple de Jérusalem, il eût été bien plus étonnant qu'ils ne lui donnassent pas ces marques de respect. Celui qui croit à un Dieu vivant, père, rédempteur et sanctificateur des hommes, ses enfants, ne s'étonne pas qu'il habite vivant parmi les vivants et que ceux-ci lui témoignent, à lui et à tout ce qui le touche, plus d'amour, de respect et d'adoration qu'à leurs parents, amis, maîtres, magistrats et princes terrestres. Le Temple et les lieux sanctifiés faisaient éprouver aux Juifs quelque chose de ce que nous autres chrétiens éprouvons devant le Saint Sacrement. Mais il y avait, chez les Juifs, des aveugles et de soi-disant éclairés, de même qu'il y en a chez nous, qui n'adorent pas le Dieu vivant et présent, tandis qu'ils rendent un culte superstitieux aux idoles du monde. Ils ne se souviennent pas des paroles de Jésus-Christ : « Celui qui me renie devant les hommes, je le renierai devant mon Père céleste ». Ces hommes qui mettent sans relâche au service de l'esprit du monde et de ses mensonges, leurs pensées, leurs paroles et leurs actions, qui rejettent tout culte extérieur envers Dieu, disent bien, quand ils n'ont pas rejeté Dieu lui-même comme trop extérieur, « qu'ils adorent Dieu en esprit et en vérité », mais ils ne savent pas que cela veut dire l'adorer dans le Saint Esprit et dans le Fils, qui a pris chair de la Vierge Marie! » , qui a rendu témoignage à la vérité, qui a vécu parmi nous, qui est mort pour nous sur la terre et qui veut rester près de son Eglise, présent dans le Saint Sacrement, jusqu'à la consommation des siècles.

La sainte Vierge, accompagnée de ses amies, visita plusieurs endroits du Temple avec un respect religieux ; elle leur montra le lieu de sa présentation lorsqu'elle était encore enfant, ceux où elle avait été élevée, où elle avait épousé saint Joseph, où elle avait présenté Jésus, où Siméon et Anne avaient prophétisé ; elle pleura amèrement à ce souvenir, car la prophétie était accomplie, le glaive avait traversé son âme. Elle montra aussi l'endroit où elle avait trouvé Jésus enseignant dans le Temple, et elle baisa respectueusement la chaire. Elles s'arrêtèrent encore près du tronc où la veuve avait jeté son denier et au lieu où le Seigneur avait pardonné à la femme adultère. Quand elles eurent ainsi rendu l'hommage de leurs souvenirs, de leurs larmes et de leurs prières, à toutes les places sanctifiées par Jésus, elles retournèrent à Sion.

La sainte Vierge se sépara du Temple avec une profonde tristesse et en versant des larmes abondantes ; la désolation et la solitude qui y régnaient en un jour si saint témoignaient des crimes de son peuple ; elle se souvint que Jésus avait pleuré sur le Temple, et qu'il avait dit : « Renversez ce Temple, et je le rebâtirai en trois jours. » Elle pensa que les ennemis de Jésus avaient détruit le temple de son corps, et désira ardemment voir luire le troisième jour, où la parole de l'éternelle vérité devait s'accomplir.

De retour au Cénacle au point du jour, Marie et ses compagnes se retirèrent dans la partie des bâtiments située à droite. Jean et les disciples se séparèrent d'elles à l'entrée et se joignirent aux autres hommes, au nombre d'une vingtaine, qui, rassemblés dans la grande salle, y passèrent dans le deuil toute la journée du sabbat, priant alternativement sous la lampe. De temps en temps de nouveaux venus s'introduisaient timidement, et l'on s'entretenait en pleurant : tous éprouvaient un respect mêlé d'un peu de confusion pour Jean qui avait assisté à la mort du Seigneur. Jean était bienveillant et affectueux pour tous, et il avait la simplicité d'un enfant dans ses rapports avec eux. Je les vis manger une fois : du reste le plus grand calme régnait dans la maison, et les portes étaient fermées. On ne pouvait d'ailleurs les y inquiéter, car cette maison appartenait à Nicodème et ils l'avaient louée pour le repas pascal.

Je vis de nouveau les saintes femmes rassemblées jusqu'au soir dans la grande salle, éclairée seulement par la lumière d'une lampe, car les portes étaient fermées et les fenêtres voilées. Tantôt elles priaient autour de la sainte Vierge sous la lampe, tantôt elles se retiraient à part, couvraient leur tête de leurs voiles de deuil, et s'asseyaient sur des cendres en signe de douleur, ou priaient le visage tourné vers la muraille. Toutes les fois qu'elles se rassemblaient pour prier sous la lampe, elles déposaient leurs manteau de deuil. Je vis que les plus faibles d'entre elles prirent un peu de nourriture, les autres jeûnèrent.

Mon regard se tourna plusieurs fois vers elles et je les vis toujours prier ou marquer leur douleur de la manière que j'ai décrite. Quand ma pensée s'unissait à celle de la sainte Vierge qui était toujours occupée de son fils je voyais le saint Sépulcre et six ou sept gardes assis à l'entrée : contre la porte du caveau se tenait Cassius, plongé dans la méditation. Les portes du tombeau étaient fermées, et la pierre était devant. Je vis pourtant encore à travers les portes le corps du Seigneur, tel qu'on l'y avait déposé, entouré de splendeur et de lumière, et deux anges en adoration. Mais ma méditation s'étant dirigée vers la sainte âme du Rédempteur, je vis un tableau si vaste et si compliqué de la descente aux enfers, que je n'ai pu en retenir qu'une faible partie : je vais la raconter du mieux que je pourrai.




Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 254