Brentano: Visions de la Bse Emmerich


source: http://www.livres-mystiques.com/




AVANT PROPOS DU TRADUCTEUR


La Vie de Notre Seigneur Jésus Christ d'après les visions d'Anne Catherine Emmerich, qu'offre ici aux lecteurs français le traducteur de la Douloureuse Passion et de la Vie de la Sainte Vierge, est le complément longtemps attendu de ces deux ouvrages, publié l'année dernière en Allemagne par le dépositaire des manuscrits de Clément Brentano, lequel est, autant que nous pouvons le savoir, un religieux de la congrégation du très saint Rédempteur, fondée par saint Alphonse de Liguori. Ce complément est considérable, car il embrasse toute la vie publique du Sauveur, à partir de la prédication de saint Jean Baptiste. D'après l'étendue des deux premières parties, les seules publiées jusqu'à présent et qui forment, suivant toute apparence, plus des deux tiers de l'ouvrage entier, on peut présumer que le tout n'aura pas moins de cinq ou six volumes.
Les considérations que le traducteur(1) a mises en tête de la Douloureuse Passion et de la Vie de la sainte Vierge s'appliquent également au présent ouvrage. Il se bornerait à y renvoyer les lecteurs, si les questions qui se rattachent à l'appréciation d'une oeuvre de cette nature ne se trouvaient traitées avec des développements bien plus considérables dans la longue et savante introduction dont l'éditeur allemand a fait précéder la Vie de Notre Seigneur Jésus Christ. Il ne peut que s'en référer à ce travail remarquable, où sont exposées aussi clairement et aussi complètement que possible les règles adoptées dans l'Eglise catholique, en ce qui touche les visions et les révélations privées, et où l'application de ces règles aux écrits dictés par Anne Catherine Emmerich amène une foule d'éclaircissements du plus haut intérêt sur la vie de la pieuse extatique et sur ses rapports avec l'homme éminent qui s'était fait son secrétaire.

Note 1- Peut-être y aurait il lieu de faire quelques réserves à propos de la comparaison établie par l'écrivain allemand entre Anne Catherine Emmerich et Marie d'Agreda, quoique ses critiques, si l'on y regarde bien, ne tendent en rien à diminuer la vénération due à la sainte religieuse espagnole, et s'adressent surtout à la traduction française, fort défectueuse en effet, de la Cité mystique de Dieu.

Quant au livre lui même, il suffit de dire qu'il a la même origine que la Douloureuse Passion et la Vie de la Sainte Vierge, qu'il en est le complément et le lien, qu'il a le même caractère, les mêmes mérites, qu'il est destiné à produire la même impression. Sans doute, comme ses devanciers, il soulèvera plus d'une objection (2), il donnera lieu à plus d'une critique ; mais, comme eux aussi, il touchera, il édifiera les âmes simples et pieuses ; il fournira un nouvel aliment à leur dévotion, et leur fera aimer davantage l'adorable personne de Celui qui a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité (Jn 1,14). Telle est du moins l'espérance que nous avons conçue, et sans laquelle nous n'eussions jamais songé à entreprendre ce long et pénible travail.

Note 2 : Dans un avant propos qui précède la seconde partie de la vie de N. S. J. C., l'éditeur allemand a répondu aux principales objections qu'ont fait naître certains passages de la première partie. La traduction de cette réponse sera mise en tête du tome troisième, qui ne tardera pas à paraître. Du reste, l'approbation que Mgr l'évêque de Limbourg, l'un des plus illustres champions de l'indépendance de l'Eglise en Allemagne, a bien voulu donner à tous les volumes publiés jusqu'à présent, est une garantie suffisante qu'il ne s'y trouve rien de sérieusement attaquable au point de vue de l'orthodoxie.






PRÉFACE


Lorsque Clément Brentano, il y a plus de vingt ans, publia les visions d'Anne Catherine Emmerich sur la Douloureuse Passion de N. S. Jésus Christ, il les appela "des méditations" pour lesquelles il ne demandait qu'une chose, c'est qu'on y vit tout au plus "les méditations de Carême d'une dévote religieuse", peut être aussi incomplètement saisies et reproduites qu'inhabilement rédigées. Toutefois la grande masse de lecteurs que ces " méditations " ont immédiatement trouvée, les a involontairement prises pour ce qu'elles sont en réalité, c'est à dire pour des visions ou des communications dérivées et d'un don d'intuition surnaturelle, et non pour le produit de l'intelligence humaine travaillant dans sa propre sphère. On crut pouvoir trouver une garantie pour la justesse de cette appréciation dans la courte biographie d'Anne Catherine Emmerich que Brentano avait fait imprimer comme étant ce qui pouvait le mieux les recommander. Il y décrivait en effet d'une manière si simple et si persuasive les directions merveilleuses, les grâces accordées à Anne Catherine et ses souffrances extraordinaires, que raisonnablement il ne restait au lecteur d'autre alternative que de rejeter la biographie comme une oeuvre d'imagination et par là même les visions comme une illusion et une imposture, ou de reconnaître dans l'une comme dans les autres tous les caractères de l'authenticité. Malgré tout ce qu'il y avait là d'extraordinaire, personne ne s'est arrêté sérieusement au premier parti car la bénédiction attachée aux visions est trop grande et trop évidente pour qu'on puisse en chercher l'origine dans le mensonge. Qui les a jamais prises en main sans en retirer les consolations les plus multipliées et une nouvelle ardeur pour la piété ? Qui s'est laissé aller à l'impression puissante de leur vérité naïve sans se sentir pénétré d'un amour plus ardent pour le très Saint Sacrement, pour Marie et pour l'Eglise.
Ce fait doublement consolant dans un temps comme le nôtre, et le désir ardent ressenti par tant de personnes de posséder aussi complètes que possible les visions d'Anne Catherine sont cause qu'on a entrepris de publier toutes les visions qui se rapportent à la vie de Jésus.
L'éditeur se rend parfaitement compte de la grande responsabilité que lui impose son travail dans une matière aussi grave et aussi féconde en conséquences : aussi n'a t il rien négligé de ce qu'on a le droit d'exiger de quiconque se charge d'une semblable entreprise. Non seulement il a pris la connaissance la plus exacte de toutes les notes que Clément Brentano a écrites jour par jour avec une conscience scrupuleuse pendant un séjour d'environ six ans auprès d'Anne Catherine, mais il a soumis tout ce qu'il y a pris pour la présente publication à l'examen rigoureux de théologiens compétents. En outre, il mettra le lecteur lui même en mesure de se former avec assurance un jugement précis et éclairé sur tout ce dont il s'agit. C'est pourquoi dans l'introduction on donne des éclaircissements sur le don d'intuition d'Anne Catherine et en particulier sur le caractère et l'objet de ses visions : en outre, on y rend compte aussi exactement que possible de la manière dont Anne Catherine a communiqué ses visions à Clément Brentano et dont celui ci les a reproduites. On commence par établir avant tout les principes suivant lesquels on doit juger les visions ou les soi disant révélations, tels qu'ils sont admis dans l'Eglise. Ils ont servi de règle à l'éditeur pour se diriger : c'est pourquoi il prie le lecteur de les prendre aussi pour guides dans l'appréciation de son travail.
Fête du Saint Nom de Marie, 1857.



INTRODUCTION

I

Anne Catherine Emmerich fut, pendant l'espace de trois ans, favorisée de visions journalières, se succédant sans interruption dans un enchaînement historique, sur la carrière de prédication de Jésus Christ. Elles prirent commencement dans les derniers jours du mois de juillet 1890 ; en outre dans les années précédentes, Anne Catherine avait aussi vu les mystères de la vie de Jésus, non dans des tableaux journaliers formant une série continue, mais avec des interruptions et suivant l'ordre des dimanches et des fêtes de l'année ecclésiastique.

Le jeudi 19 juillet 1820, le pèlerin (1) se désole encore de ce qu'il ne lui est pas possible de se reconnaître dans les visions sur les évangiles des dimanches parce qu'Anne Catherine les oublie en partie, ne les raconte pas d'une manière assez circonstanciée et n'indique point les noms des lieux, et parce qu'il ne peut pas savoir à quelle année de la vie du Christ les visions correspondent ni dans quel ordre les évangiles qu'on lit à l'église sont disposés les uns par rapport aux autres.


Note 1 : C'est le nom que Clément Brentano se donne ordinairement dans son journal, ce qui fait qu'on continue ici à le designer de cette manière.

Ainsi Anne Catherine, le dimanche précédent sixième après la Pentecôte, avait eu une vision sur l'évangile de la multiplication des pains pour la nourriture des quatre mille hommes : les jours suivants elle avait encore communiqué quelques fragments de ses visions relatives à cet événement, qu'elle croyait en connexion historique avec l'évangile du dimanche. Cependant le pèlerin ne pouvait pas bien se reconnaître dans cette communication incomplète et il écrivait dans son journal cette remarque : "il est affligeant que le pèlerin n'ait aucun secours qui l'aide à trouver ici quelque chose de suivi."
Or le secours qu'il désirait devait lui être donné quelques jours plus tard d'une façon merveilleuse et qu'il n'aurait jamais soupçonnée : car, le 30 juillet 1820, Anne Catherine commença, ce qui semblait au pèlerin tout à fait inattendu et même tout à fait inouï, "à voir jour par jour les années de prédication de Jésus dans des visions où tout était parfaitement lié, et cela sans interruption jusqu'à la fin de mai 1821. Ces visions successives commencèrent par l'enseignement de Jésus sur le divorce et la bénédiction donnée aux enfants à Bethabara au delà du Jourdain, conformément à ce qui est rapporté dans saint Matthieu (Mt 19,1), et elles comprirent le dernier voyage du Sauveur à Jérusalem pour la fête de Pâques, la Passion, la Résurrection, l'Ascension, la Pentecôte et quelques semaines des Actes des apôtres, conséquemment les huit ou neuf derniers mois de la prédication de Jésus.
Le pèlerin fait précéder ses reproductions des visions de cette époque de la remarque suivante : " Celui qui écrivait n'était orienté ni quant à la direction des Voyages du Seigneur, ni quant à la topographie de la Palestine : la voyante de son côté était souvent très malade et au milieu de ses souffrances sans mesure elle ne racontait qu'avec peine et quelquefois en intervertissant l'ordre : souvent aussi elle oubliait quelques jours. En outre son attention n'était dirigée ni sur les noms de lieux, ni sur les distances, ce qui fait que dans cette période les noms des lieux ne sont souvent désignés que d'une manière vague et générale d'après les contrées auxquelles ils appartiennent. "
Toutefois les visions ne cessèrent pas à la fin de mai, mais elles passèrent à cette période de la vie de Jésus qui commence à la mort de saint Joseph et à la prédication publique de Jean Baptiste. Ainsi pendant quatre mois, savoir, depuis le 2 juin jusqu'au 28 septembre 1821, Anne Catherine vit jour par jour tous les voyages et tous les actes de Jésus aussi bien que ceux de son saint précurseur ; elle entendit toutes ses paroles et le pèlerin mit par écrit avec la plus scrupuleuse exactitude tout ce qu'elle fut en état de lui raconter de ces visions. Le 28 septembre, elle vit le baptême de Jésus dans le Jourdain, et à partir de là elle suivit le Sauveur dans des visions qui se succédèrent chaque jour pendant vingt et un mois et demi, c'est à dire jusqu'au 17 juillet 1823, sur tous les chemins où le conduisit sa sainte carrière de prédication, en sorte qu'il y eut très peu de lacunes, et que la fin des visions de l'année 1823 s'était exactement rejointe au commencement de ces mêmes visions en juillet 1820.
De même que les visions, les communications au pèlerin se succédaient journellement : seulement une fois, du 27 avril au 17 juillet 1823, Anne Catherine épuisée et presque mourante se trouva tout à fait hors d'état de proférer une seule parole, mais même pendant ce temps les visions ne furent pas interrompues. Elle les eut pour la seconde fois du 21 octobre 1823 au 8 janvier 1821, et les communiqua de nouveau au pèlerin. A dater de ce moment toute communication cessa, car la mort s'approchait avec d'horribles souffrances, et elle mourut en effet le 19 février 1824, après un silence continuel de quatre semaines. Une seule fois pendant ce temps, sans que rien d'extérieur eut provoquée, et comme si elle eût fait intérieurement la revue de ses visions passées, elle demanda, à la grande surprise de l'écrivain : " Quel jour sommes nous, Le 14 janvier ! " lui fut il dit. " Ah ! répondit elle, je ne suis plus capable de rien : encore quelques jours et j'aurais fini de raconter entièrement la vie de Jésus. "

II

Avant d'entrer dans des éclaircissements sur le don d'intuition et de traiter plus à fond de ce qu'embrassent les visions d'Anne Catherine, il est à propos de parler des principes qui, selon Benoît XIV (1), servent à reconnaître la vérité ou la fausseté de prétendues visions ou révélations et à établir le degré de valeur et d'autorité qu'on peut accorder à celles que le jugement de l'Eglise a déclarées véritables et authentiques. En exposant ces principes, l'éditeur n'a d'autre dessein que de faire connaître les règles qui l'ont dirigé dans tout le cours de son travail. Il ne prétend nullement donner un jugement définitif sur la valeur des visions d'Anne Catherine ; c'est chose réservée à une plus haute autorité : mais il prie le lecteur de juger, lui aussi, d'après les règles indiquées : c'est le plus sûr moyen d'éviter l'exagération qui s'enthousiasme à faux et la prévention qui rabaisse injustement, double tendance à laquelle on est également exposé sur ce terrain.
Benoît XIV traite dans trois chapitres du discernement des visions et des révélations : il donne d'abord les règles générales pour reconnaître si elles sont authentiques ou non ; puis il expose plus en détail les principes qu'on applique dans les procès de béatification ou de canonisation, lorsqu'il est question des visions ou des révélations d'un serviteur de Dieu.
Comme première règle, " règle d'or, " Benoît cite les paroles de Gerson : " Quand l'humilité précède, accompagne et suit, quand rien ne se mêle qui puisse la compromettre, c'est un signe que les visions viennent de Dieu ou d'un de ses bons anges : car (ceci sont les termes de P. Tanner) la tromperie, même d'une femme, ne peut rester longtemps cachée. Lorsque tout n'est pas fondé sur l'humilité la plus profonde, l'édifice s'écroule bientôt honteusement : mais là où se trouve la pure simplicité particulièrement nécessaire à ceux qui veulent s'unir à Dieu par un amour chaste, pur et irrépréhensible, il ne peut y avoir ni illusion personnelle, ni tromperie provenant d'autrui. "


Note 1 : Dans son grand ouvrage de servorum Dei beatificatione. lib. m, c. 51, 52 et 53.

Il y a aussi une grande garantie de l'authenticité des visions dans l'utilité qu'on voit d'autres personnes en retirer : car il n'est pas possible qu'un mauvais arbre porte de bons fruits. S'il arrive donc que certaines visions aient pour résultat chez ceux auxquels elles sont communiquées plus de lumières spirituelles, l'amendement de la vie ou un élan plus marqué vers la piété et la dévotion, s'il en est ainsi non seulement pour quelques individus, mais pour un grand nombre de personnes, et cela pendant un long espace de temps, on doit voir là un témoignage assuré que ces visions sont l'oeuvre du Saint Esprit : car des visions fausses et mensongères ou provenant du démon ne peuvent manquer de porter atteinte à la foi catholique et aux bonnes moeurs. On doit juger qu'il y a illusion lorsque dans une soi disant révélation une chose mauvaise en soi, ou même bonne en soi, est conseillée dans l'intention d'empêcher par là quelque chose de meilleur, ou bien encore quand il s'y rencontre des faussetés ou des contradictions manifestes et des choses qui ne sont propres qu'à satisfaire une vaine curiosité.
En ce qui touche l'application des règles en question à la pieuse Anne Catherine Emmerich, il pourrait suffire de signaler l'esprit qui domine dans ses visions sur la Douloureuse Passion, esprit qui produit encore aujourd'hui si abondamment ces fruits qui sont donnés par le pape Benoît XIV comme les signes de la bonté d'un arbre : mais l'éditeur attache encore plus d'importance à l'ensemble des visions publiées dans le présent ouvrage. Celles ci en effet montrent au lecteur attentif la vie du Sauveur sur la terre, toute sa manière d'agir et celle de sa sainte Mère avec tant de simplicité, de clarté, de vérité intime, qu'après l'Ecriture sainte, on aurait peine à citer un livre qui mette dans un jour aussi frappant, même pour l'oeil le plus faible, le sens de ces paroles que le Sauveur adresse à tous sans exception : "Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. "
N'y a t il pas une immense consolation, une satisfaction qui persiste au milieu de toutes les traverses de la vie, a pouvoir accompagner pas à pas notre Seigneur et Sauveur, le considérer jour par jour dans l'accomplissement pénible de la tâche qu'il s'est imposée sur la terre, et ranimer la trop faible ardeur de notre amour par la contemplation de sa mansuétude et de sa miséricorde inaltérables. Bien des personnes assurément remercieront Dieu du fond du coeur d'avoir mis à leur portée une aussi précieuse faveur et de leur avoir préparé dans des jours si mauvais une telle abondance de consolations. Mais, s'il y a une chose qui n'ait pas besoin d'autre démonstration, c'est que l'âme qui a pu devenir le miroir d'ou devaient rayonner des images si sublimes et si sanctifiantes, a dû nécessairement être solidement fondée dans l'humilité et conserver sans tache et dans toute sa pureté l'éclat de la grâce baptismale. Anne Catherine, pendant toute sa vie, fut l'enfant toujours simple, inoffensif, innocent, qui ne ressentait et ne comprenait autre chose dans ce monde que la misère et la détresse des hommes, qui n'eut jamais d'autre désir que celui de souffrir pour autrui. C'est pourquoi aussi la force de son esprit et la paix de son âme croissaient en proportion de ses peines, au point que dans l'excès de ses douleurs sans nom elle remerciait Dieu, toute joyeuse, de ce qu'il craignait la rendre plus semblable à son Sauveur. Jamais la patiente ne s'est plainte de ce qu'elle avait à supporter, mais ce qui lui était plus sensible et plus insupportable qu'aucune de ses souffrances, c était qu'on la louât et qu'on eût d'elle une idée avantageuse, à tel point que dans sa dernière agonie elle supplia instamment d'une voix mourante qu'aucune parole ne fut dite à sa louange.
Le pape Benoît, dans la suite de son examen, traite de la créance qu'on doit accorder à la personne qui se présente comme favorisée de visions et de révélations.
Elle a selon lui pour conditions : d'une part, la grande vertu et la sainteté connue par ailleurs de la personne en question ; d'autre part, la manière dont elle se comporte pendant et après les visions. En ce qui touche ce dernier point, Benoît XIV tire des théologiens et des maîtres de la vie spirituelle les plus autorisés, douze points auxquels on doit attacher une importance particulière. Il faut examiner : 1 Si la personne favorisée n'a jamais demandé ou désiré des visions ; et si au contraire elle a prié Dieu de la conduire par la voie commune et n'a accepté les visions que par obéissance, un pareil désir, d'après saint Vincent Ferrier, proviendrait d'un orgueil secret et d'une curiosité téméraire : il indiquerait en outre une foi faible et mal assurée. 2 Si elle a reçu constamment de son guide spirituel l'ordre de communiquer ses visions à des hommes instruits et clairvoyants. 3 Si elle a toujours pratiqué l'obéissance absolue envers ses directeurs et si, à la suite de ses visions, elle a fait des progrès dans l'humilité et l'amour de Dieu. 4 Si elle a recherché de préférence les personnes les moins disposées à lui donner croyance et si elle a aimé ceux qui lui avaient donné des chagrins et des peines. 5 Si son âme a joui d'un calme et d'un contentement parfaits et si son coeur a toujours été plein d'un zèle ardent pour la perfection. 6 Si son directeur n'a jamais eu à lui reprocher certaines imperfections. 7 Si elle a reçu la promesse que Dieu exaucerait ses justes demandes et si, s'adressant à lui avec une pleine confiance, elle a obtenu d'être exaucée en quelque point important. 8 Si ceux qui étaient en relations avec elle, ont été excités à aimer Dieu davantage lorsque l'endurcissement de leur coeur n'y mettait pas obstacle. 9 Si les visions lui ont été départies le plus ordinairement après une longue et fervente prière, ou après la sainte Communion, et si elles ont allumé en elle un ardent désir de souffrir pour Dieu. 10 Si elle a crucifié sa chair et s'est réjouie dans la tribulation, au milieu des contradictions et des souffrances. 11 Si elle a aimé la solitude et fui le commerce des hommes, si elle a montré un détachement parfait de toutes choses. Aussi dans la bonne et la mauvaise fortune elle a toujours conservé la même tranquillité d'âme, et si enfin des hommes instruis n'ont pas aperçu dans ses visions quelque chose qui s'écartât de la règle de la foi ou qui pût paraître répréhensible d'une façon quelconque.
Ces douze points renferment les règles les plus sûres et les plus dignes de confiance, et il a fallu, pour les établir, toute l'expérience d'un grand nombre de docteurs aussi savants qu'éclairés dans les voies de la vie spirituelle. La mesure dans laquelle les conditions qui y sont exigées se rencontrent chez une personne favorisée de grâces extraordinaires est aussi, selon Benoît XIV, celle de l'assurance avec laquelle on peut conclure en faveur de la véracité de cette personne, de la confiance qu'elle mérite et en même temps de celle que méritent ses visions. Maintenant, le lecteur ne sera pas surpris moins agréablement que l'éditeur quand il pourra se convaincre, à l'aide de la biographie donnée par Clément Brentano et aussi de la présente introduction' que ces conditions sont remplies de la manière la plus incontestable dans toute l'existence d'Anne Catherine, et cela si parfaitement qu'elles ne se rencontrent au même degré que chez les grands saints.
En premier lieu, les visions ne furent jamais pour Anne Catherine, l'objet de ses désirs, mais une source de douleurs et de tribulations indicibles, au point que souvent elle pria Dieu instamment de les lui retirer. En outre, la grâce de la contemplation lui fut départie à un âge si tendre que ce désir n'aurait pu naître en elle : c'est pourquoi sa première ouverture sur les visions qui lui ont été envoyées est celle d'un enfant plein de naïveté qui n'en soupçonne pas la portée. En second lieu, Anne Catherine ne pouvait être décidée à communiquer ce qu'elle avait vu que par les ordres réitérés de son guide spirituel. En troisième lieu, lorsque ses confesseurs rejetaient ses visions et ne se donnaient pas la peine d'examiner quelle valeur elles pouvaient avoir, elle s'efforçait d'y mettre fin par tous les moyens possibles. Mais la lutte dans laquelle elle s'engageait par là avec son guide invisible, dont les exigences ne s'arrêtaient pas devant les idées erronées des confesseurs, était pour elle la cause de souffrances impossibles à décrire. En quatrième lieu, cela ne l'empêchait pas de chercher uniquement des confesseurs dont elle n'avait à attendre que de la sévérité et des humiliations journalières, parce qu'elle laissait à Dieu le soin de les persuader, s'il le jugeait convenable, de la réalité des dons gratuits qui lui étaient accordes. De plus, elle résistait toujours autant qu'elle le pouvait à toute tentative qui pouvait avoir pour objet de la soulager ou d'améliorer sa situation matérielle : car du reste pour tous ceux qui lui occasionnaient des ennuis ou des tribulations, il n'y avait chez elle que charité, patience et mansuétude. Enfin, pour ce qui touche les autres points, il n'est pas nécessaire de les énumérer ici suivant leur ordre, parce que l'introduction doit s'en occuper longuement et d'une manière très détaillée.
Pour le moment l'éditeur se bornera à faire remarquer que Dieu, dans ses desseins impénétrables, permit qu'Anne Catherine, dans les dernières années de sa vie, fût deux fois soumise à une enquête provoquée par les autorités spirituelle et temporelle, sur la réalité de ses stigmates et d'autres phénomènes merveilleux qui se produisaient chez elle. On ne peut pas rendre ce qu'elle eut à souffrir à cette occasion : car le siècle des lumières sembla vouloir décharger toute sa colère sur la pauvre religieuse, qui flétrissait sa prétendue sagesse comme un aveuglement déplorable et une vanité insensée. Mais Anne Catherine, au milieu de ces souffrances, resta encore l'image de son divin fiancé ! elle supporta tout en silence et absorbée en Dieu, et se réjouit d'avoir eu, par l'ignominie de la croix, une ressemblance de plus avec son Rédempteur.
Nous passerons maintenant au dernier des douze points, celui qui traite de la conformité des visions avec la règle de foi de l'Eglise ; car il est juste de lui donner une attention toute particulière quand on s'occupe de visions qui renferment en même temps des révélations. Benoît XIV, à cet égard, s'en réfère principalement au vénérable P. Suarez, lequel établit, comme premier principe, qu'en matière de révélations, la question de leur conformité à la règle de la foi et des moeurs doit être la base de tout examen ultérieur, de telle sorte que si l'on découvre quelque chose qui soit en contradiction avec l'Ecriture et la tradition, avec les décisions doctrinales de l'Eglise et l'interprétation unanime des saints Pères et des théologiens, la soi disant révélation doit être rejetée comme mensonge et illusion diabolique. Il en doit être ainsi, même quand il s'agit de révélations qui, à la vérité, ne portent pas atteinte à la foi, mais présentent des choses impliquant contradiction ou propres seulement à satisfaire une vaine curiosité, qui peuvent être considérées comme le produit de l'imagination humaine, ou qui évidemment ne sont pas en rapport avec la sagesse et les autres attributs de Dieu.
Le pape Benoît XIV soulève ensuite une question difficile : " Que faut il penser d'une soi disant révélation où se rencontrent des choses qui paraissent contraires, non pas précisément à la tradition unanime des Pères et des théologiens, mais à ce qu'on appelle communis sententia (le sentiment commun) ; qui sont tout à fait nouvelles, qui donnent comme révélés des points sur lesquels l'Eglise n'a pas encore donné de décision doctrinale ? " s'appuyant sur des autorités imposantes, Benoît répond qu'il n'y a pas là motif suffisant pour rejeter, sans autre examen, une pareille révélation comme imaginaire et trompeuse ; car, ajoute t il :
1° une chose qui paraît contraire au sentiment le plus commun peut être soutenue à l'aide d'une appréciation plus approfondie et plus judicieuse, et trouver à s'appuyer sur des autorités respectables et des raisons solides.
2° une révélation n'est pas fausse en soi, par cela seul qu'elle fait connaître un mystère ou une circonstance de la vie du Sauveur ou de sa sainte Mère, dont l'Ecriture sainte, la tradition ou les écrits des saints Pères ne font pas mention.
3° On ne se met pas nécessairement en contradiction avec les décisions du Saint Siège ou avec les Pères et les théologiens, par cela seul qu'on explique une chose qu'ils n'expliquent pas ou sur laquelle ils se taisent absolument.
4° Enfin, on ne doit pas poser à la toute puissance de Dieu des limites en dehors desquelles il lui serait interdit de révéler à un particulier ce qui, comme point de controverse théologique, reste encore soumis au jugement de l'Eglise
Benoît XIV cite ici, entre autres choses, le fameux mémoire du P. Jean Cortesius Ossorius sur les révélations de la vénérable Marie d'Agreda, remis par lui à l'inquisition d'Espagne, et dans lequel il prouve longuement que les motifs allégués ne sont pas suffisants pour faire rejeter des révélations privées, puisqu'ils n'ont pas empêché les révélations de sainte Brigitte et de sainte Marie Madeleine de Pazzi d'obtenir l'approbation du Saint Siège. Toutefois Benoît XIV, après avoir cité ces autorités, ajoute une restriction : il ne trouverait pas sans doute dans des révélations de cette nature un obstacle à poursuivre un procès de béatification : seulement il les regarderait comme n'étant pas tout à fait sans mélange, mais comme modifiées par la manière particulière de voir et de sentir qui existait auparavant et indépendamment de ces révélations, chez le serviteur ou la servante de Dieu. Conséquemment, dans l'approbation quelconque qu'on leur donnerait, on ne devrait rien admettre qui pût laisser croire que le Saint Siège aurait l'intention d'improuver tout ce qui pourrait être dit à l'encontre.
Cette dernière remarque du pape Benoît XIV est de la plus haute importance, car elle accorde que la sainteté de la vie chez une personne favorisée de grâces extraordinaires, et la manière dont elle se comporte à l'égard des visions et des autres circonstances qui les accompagnent, permettent de conclure avec assurance en faveur de l'origine divine de ces visions, lors même qu'on devrait concéder qu'elles ont pu subir une altération quelconque, soit dans leur passage à travers les facultés intellectuelles de celui qui les a reçues, soit dans la communication qui en a été faite à d'autres. En effet, avec les visions et les révélations particulières, le contemplatif ne reçoit pas le don d'une compréhension à l'abri de toute erreur et de tout obscurcissement, non plus que le don de les transmettre dans leur complète intégrité ; et de là vient que les théologiens exigent, pour les juger, une pia et modesta intelligentia. Il n'y a que les prophètes, les apôtres, les auteurs des écrits canoniques, et, en seconde ligne, les successeurs de saint Pierre et les conciles oecuméniques qui aient le privilège de l'infaillibilité. Aussi rien ne peut il être communiqué avec une certitude infaillible à l'ensemble des fidèles que ce qui leur est présenté à croire par l'autorité de l'Eglise, comme révélé par Dieu pour être l'objet de la foi surnaturelle et nécessaire au salut éternel.
Il ressort naturellement de là que des visions et des révélations privées, lors même qu'elles sont confirmées par le Saint Siège comme authentiques et venant de Dieu, ne peuvent prétendre en aucune façon à être un objet de foi divine ou surnaturelle. Elles peuvent seulement, pour ceux qui les lisent ou auxquels on les raconte, avoir la valeur d'une autorité purement humaine, et n'exigent pas plus de respect et de soumission que tout catholique n'a coutume d'en accorder aux vies des saints autorisées ou aux écrits ascétiques de pieux et saints auteurs. On ne blesse donc pas la foi catholique en refusant son assentiment à des visions et révélations même approuvées ou en étant d'une opinion différente, pourvu que cela se fasse pour de bonnes raisons, sans irrévérence et sans présomption téméraire.
Si maintenant le lecteur veut appliquer les principes qui Viennent d'être exposés aux visions d'Anne Catherine contenues dans le présent ouvrage, il n'y rencontrera rien qui contredise le moins du monde la foi catholique. Au contraire, il reconnaîtra avec un grand plaisir qu'il n'y a guère de livre qui fasse pénétrer avec cette simplicité et cette profondeur dans les mystères de notre sainte foi, et qui donne, même aux moins exercés, plus de secours pour atteindre à ce grand art dont parle le bienheureux Thomas à Kempis a In vitâ Jesu Christi meditari. "Quant à ce qui y semblera nouveau, on s'en rendra compte sans beaucoup de peine en le rapprochant de ce qui est ancien.

III

Dans le travail auquel nous allons maintenant nous livrer pour faire connaître le don de contemplation que la pieuse Anne Catherine posséda à un degré peu commun, même chez les âmes les plus privilégiées, nous pouvons prendre pour guides ses propres communications, avec d'autant plus de confiance qu'elles sont éclaircies et confirmées par les dires de beaucoup de personnes favorisées de grâces semblables.
Sainte Hildegarde, d'après son propre aveu, fut favorisée, dès sa première jeunesse, du don de contemplation : N'étant encore âgée que de trois ans, dit elle 1), je reçus du Ciel une si grande lumière que mon âme en fut ébranlée profondément ; mais j'étais trop jeune pour pouvoir rien dire à ce sujet à dater de ma cinquième année, j'eus une intelligence surprenante de ces visions, et quand j'en racontais quelque chose en toute simplicité, ceux qui m'entendaient étaient dans l'étonnement et se demandaient de qui je tenais ces choses et d'où elles me venaient. Moi aussi, je m'étonnais beaucoup de ce qu'ayant intérieurement des visions, je percevais en même temps le monde extérieur par les sens, mais je n'entendais pas dire que pareille chose arrivât à d'autres personnes. C'est pourquoi je fus saisie d'une grande crainte et je n'osais plus parler à d'autres de ma lumière intérieure.

Note 1: Acta Sanctorum 17 septembris

Anne Catherine reçut cette lumière surnaturelle à un âge encore moins avancé. Le 8 septembre 1821, qui était le cinquante septième anniversaire de sa naissance, elle raconta a ce sujet ce qui suit : « Comme je suis née le 8 septembre, j'ai eu aujourd'hui une intuition merveilleuse sur ma naissance et sur mon baptême. J'ai ressenti à cette occasion des impressions singulières. Je me sentais comme un enfant nouveau né dans les bras des femmes qui me portaient à Coesfeld pour y être baptisée, et j'étais confuse de l'impression que j'avais d'être à la fois si petite et si faible et pourtant si vieille : car tout ce que j'avais déjà senti et éprouvé alors, en qualité d'enfant nouveau né, je le vis et je le connus de nouveau, toutefois mêlé avec mon entendement actuel. Dès cette époque, mon ange gardien se montrait à moi visiblement présent, comme il le fit toujours plus tard. Je regardais tout autour de moi, la vieille grange dans laquelle nous habitions, et toutes sortes de choses que je ne vis plus par la suite, parce qu'on fit beaucoup de changements. Je me sentis porter, et cela avec une pleine conscience, tout le long du chemin qui va de notre chaumière de Flamske à l'église paroissiale de Saint Jacques à Coesfeld ; je sentais tout et je regardais tout autour de moi. Je vis accomplir sur moi toute la sainte cérémonie du baptême, et mes yeux et mon coeur s'ouvrirent pour cela d'une façon merveilleuse. Je vis, lorsqu'on me baptisa, mon ange gardien et mes saintes patronnes, sainte Anne et sainte Catherine, assister à la cérémonie. Je vis la mère de Dieu, avec le petit enfant Jésus, auquel je fus mariée et qui me donna un anneau. Tout ce qui est saint, tout ce qui est bénit, tout ce qui tient à l'Eglise, se faisait déjà sentir à moi aussi vivement que cela m'arrive à présent. Je vis ce que l'Eglise est en soi manifesté par des images merveilleusement significatives. Je sentis la présence de Dieu dans le très saint Sacrement. Je vis briller dans l'église les ossements des saints, et je reconnus les saints qui apparaissaient au dessus d'eux. Je vis tous mes ancêtres, en remontant jusqu'au premier d'entre eux qui avait été baptisé. Je reconnus, dans une longue série de tableaux symboliques, toutes les épreuves de ma vie future. Lorsqu'on me rapporta de l'église à la maison en passant par le cimetière, j'eus un sentiment très vif de l'état des âmes dont les corps reposaient là pour y attendre la résurrection, et je remarquai avec respect quelques saints corps brillant d'une clarté éblouissante.
Il résulte de cette communication qu'Anne Catherine avait déjà reçu, dans le sein de sa mère, une disposition naturelle à la contemplation, et cela avec un si haut degré de force et de puissance, qu'aussitôt après sa naissance sa faculté de vision spirituelle aussi bien que les sens corporels qui lui servaient d'instruments, étaient capables de perception et d'activité bien au delà de la mesure ordinaire. Toutefois la contemplation en tant que faculté purement naturelle, ne s'exerce que dans la sphère des choses naturelles : elle se rattache à la contemplation surnaturelle ou prophétique comme point de départ ou prédisposition, mais non comme condition nécessaire, car cette intuition supérieure peut être accordée par Dieu comme grâce gratuite à une âme qui n'y a pas une prédisposition naturelle ou qui ne la possède que dans une très faible mesure. La sphère de la contemplation surnaturelle est le royaume de la grâce ou l'Eglise à laquelle l'homme est incorporé par le saint baptême : c'est pourquoi Anne Catherine ne reçoit cette lumière que lorsqu'elle est devenue, par l'infusion de la grâce sanctifiante, un membre vivant du corps de l'Eglise. C'est alors seulement "que ses yeux et son coeur s'ouvrent d'une façon merveilleuse, " et qu'elle voit les effets du sacrement, l'Eglise avec ses mystères et tout ce qui est dans un rapport vivant avec elle. Ainsi, elle ne voit briller dans les tombeaux les corps des âmes saintes que lorsqu'après son baptême, elle est rapportée à travers le cimetière ; elle ne les voit pas lorsqu'on la porte à l'église. Toutefois, quelque grande et élevée que fût la lumière de contemplation supérieure versée avec la grâce baptismale dans l'âme d'Anne Catherine, elle s'abaissait à la capacité de l'enfant, et d'une façon appropriée à un âge si tendre. C'est pourquoi elle se comporte, dans cette contemplation, comme ferait un enfant du même âge par rapport à la lumière qu'il perçoit naturellement. Ainsi, de même qu'un nourrisson aussitôt qu'il connaît sa mère, cherche son sein et se calme dans ses bras, tout cela sans en avoir la conscience, par pur instinct naturel ; de même Anne Catherine, aussitôt après le baptême, comprit et reconnut la mère dans le sein de laquelle elle venait de recevoir une naissance nouvelle ; elle eut le sentiment de ses bienfaits et de toute sa beauté, sans pouvoir juger et se rendre compte qu'il y a une connaissance, plus méritoire en elle même, de ces mystères, celle qui se trouve dans la lumière de la foi. L'intelligence réfléchie de l'objet de la contemplation marche plus tard du même pas que le développement naturel de la conscience en général, comme on le voit par une autre communication d'Anne Catherine ; "J'avais à peu près quatre ans, dit elle, quand mes parents me menèrent à l'église. Je me souviens que je croyais fermement y trouver Dieu et des hommes tout différents de ceux que je connaissais, bien plus beaux et plus brillants. Lorsque j'entrai, je regardai de tous les côtés, et rien n'était comme je me l'étais imaginé. Le prêtre était à l'autel ; je pensai que ce pouvait être Dieu ; mais je cherchai partout la sainte vierge Marie : je me figurais que là on devait avoir tout au dessous de soi, car c'était mon plus grand plaisir, mais je ne trouvai pas ce que je croyais. Deux ans plus tard, j'eus encore des idées du même genre et je ne cessais de regarder deux filles d'un certain âge, qui portaient des mantes et qui avaient un air modeste et réservé ; je crus que ce pouvait bien être ce que je cherchais, mais ce n'était pas encore cela. Je croyais toujours que Marie devait avoir un manteau bleu de ciel, un voile blanc et une robe blanche toute unie. J'avais eu une vision du paradis, et je cherchai dans l'église Adam et Eve, beaux comme ils l'étaient avant la chute, et je me dis : " Quand tu te seras confessée, tu les trouveras. Je me confessai, mais je ne les trouvai pas. Je vis enfin une pieuse famille noble dans l'église ; les filles étaient vêtues de blanc : je pensai qu'elles avaient quelque chose de ce que je cherchais et elles m'inspiraient un grand respect ; mais ce n'était pas encore cela. J'avais toujours l'impression que tout ce que je voyais avait été très laid et très sale. J'étais constamment absorbée dans des pensées de ce genre, et j'en oubliais le boire et le manger, si bien que j'entendais mes parents dire souvent : " Qu'a donc cet enfant ? Qu'est ce qui arrive à la petite Anne Catherine ? "
D'après ce qui vient d'être rapporté, le lecteur peut reconnaître facilement qu'Anne Catherine, dès sa plus tendre enfance, avait aperçu l'incomparable beauté de l'innocence du paradis, mais qu'elle ne pouvait se rendre compte de la différence de ce qui l'entourait présentement avec l'objet de ses contemplations, que successivement et dans la mesure de son expérience enfantine. Aussi dit elle une autre fois : "Avant de savoir ce que signifiait le mot prophète, j'avais eu déjà des visions sur un chariot merveilleux, aux roues duquel se tenaient les quatre animaux de l'Apocalypse. Pourquoi cela ? Je ne le sais pas... J'eus des visions de si bonne heure, que je me souviens qu'une fois mon père me prit toute petite sur ses genoux, au coin du feu, et qu'il me dit : " Tu es dans ma petite chambre, raconte moi quelque chose ! "Et alors je lui racontai toutes sortes d'histoires de la Bible, et comme il n'avait rien vu de semblable ou ne l'avait pas vu de cette façon, il se mit à pleurer. Ses larmes tombaient sur moi et il me dit : Enfant, où as tu pris tout cela ?, Alors je lui répondis que je voyais toutes ces choses, sur quoi il devint silencieux et ne me dit plus rien.
Dans sa cinquième année, il arriva à Anne Catherine ce qui était arrivé à sainte Hildegarde ; il lui vint avec la contemplation une intelligence plus profonde de ce qu'elle voyait, et elle fut en état de se rendre compte plus exactement du contenu de ses visions et dé les distinguer des actes de foi ainsi que de la certitude et du mérite attachés à la foi. Voici ce qu'elle dit a ce sujet a Dans ma cinquième ou sixième année, comme je méditais lé premier article du symbole catholique : Je crois en Dieu, le Père tout puissant, qui a fait le ciel et la terre, des tableaux de la création du ciel et de la terre passèrent devant mon âme. Je vis la chute des anges, la création de la terre et du paradis, celle d'Adam et d'Eve, et la chute originelle. Je me figurai que tout le monde voyait cela, de même que les autres objets qui nous entourent, et j'en par lai en toute simplicité à mes parents, à mes frères et soeurs et à mes compagnons ; mais je m'aperçus qu'on riait de moi et qu'on me demandait si j'avais un livre où tout cela se trouvait. Alors je commençai à prendre l'habitude de garder le silence sur ces choses : je pensai qu'il ne convenait pas d'en parler, sans pourtant me former à ce sujet des idées précises. J'ai eu ces visions non seulement la nuit, mais encore en plein jour, dans les champs, à la maison, en marchant, en travaillant, en me livrant à toutes sortes d'occupations. Comme une fois à l'école je disais tout naïvement, touchant la résurrection, d'autres choses que celles qu'on nous enseignait, et cela avec assurance, croyant dans ma simplicité que tout le monde devait savoir cela comme moi, et ne soupçonnant nullement qu'il y avait là une faculté qui m'était personnelle, les autres enfants tout surpris se moquèrent de moi et portèrent plainte au magister, qui me détendit sévèrement de me livrer à de pareilles imaginations.
"Mais je continuai à avoir ces visions sans en rien dire, comme un enfant qui regarde des images et qui s'en rend compte à sa manière sans trop demander ce que signifie ceci ou cela. Comme je voyais souvent dans les images des saints ou les figures de l'histoire de la Bible les mêmes objets représentés tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, sans que cela eût jamais apporté d'altération dans ma foi, je pensais que les visions que j'avais étaient mon livre d'images et je les contemplais en paix, pensant toujours que tout était pour la plus grande gloire de Dieu. Eu fait de choses touchant à la religion, je n'ai jamais rien cru que ce que le Seigneur a révélé et proposé à notre croyance par l'Eglise catholique, que ce soit expressément écrit ou non. Et je n'ai jamais cru de la même manière à ce que j'ai vu en vision. Je regardais ces choses de même que je considérais avec dévotion les différentes crèches de Noël, exposées en divers lieux, sans me troubler de ce que toutes n'étaient pas faites sur le même modèle. Dans les unes et les autres, je n'adorais que le même cher enfant Jésus, et il en était de même pour moi quant à ces tableaux de la création du ciel et de la terre et de la création de l'homme ; j'y adorais Dieu le Seigneur, le créateur tout puissant du ciel et de la terre. "


Brentano: Visions de la Bse Emmerich