Brentano: Visions de la Bse Emmerich - IX

IX

Toutes ces visions ont le caractère historique le plus rigoureux ; ce ne sont pas des réflexions sur les événements, c'est le reflet immédiat, complet des faits eux mêmes, lesquels sont présentés à la voyante comme l'image dans le miroir(1). C'est là ce qui donne aux visions d'Anne Catherine une supériorité marquée sur les visions de Marie d'Agreda, telles qu'elles sont consignées dans le livre si célèbre autrefois de la Cité mystique de Dieu. Autant ces deux personnes se ressemblent en ce qui touche la sainteté de la vie, autant est grande d'un autre côté la différence qui existe dans leurs prédispositions naturelles et par suite dans la manière dont elles perçoivent la lumière d'en haut et usent du don de contemplation qu'elles ont reçu.
La vénérable Marie d'Agreda, favorisée dès sa jeunesse, comme Anne Catherine, d'illuminations divines, est par nature un esprit spéculatif, viril, qu'il est tout simple de voir procéder à la façon des théologiens et faire usage, sans avoir besoin pour ainsi dire de les chercher, de tous les termes et de toutes les subtilités de l'école : ce n'est qu'après une longue préparation et après avoir longtemps exercé ses facultés contemplatives sur tous les mystères de la foi et de la vie spirituelle qu'elle en vient à retracer ses visions.

Note 1: Alban Stolz s'exprime ainsi dans le récit de son séjour à Jérusalem :.. Pendant que nous faisions le chemin de la Croix, le père Wolfgang nous dit qu'il résidait à Jérusalem depuis six ans et qu'il avait fait des saints lieux l'objet de ses études. À cette occasion ; il avait consulté le livre bien connu d'Anne Catherine Emmerich : la douloureuse passion, et il n'y avait encore rien trouvé qui fut en contradiction avec la topographie réelle de la ville sainte. J'ajouterai que feu le docteur Hug qui, comme tout le monde le sait, n'étendait pas plus loin qu'il ne faut le domaine de la foi, disait un jour dans une de ses leçons : À Il est étrange que la religieuse de Dulmen décrive avec tant de vérité et d'exactitude les lieux témoins de la Passion du Christ : ses dires concordent parfaitement avec les descriptions données par Flavius Josèphe. Visite chez Sem, Cham et Japhet par Alban Stolz.
Mais dans la contemplation même un esprit ainsi formé et comme armé de toutes pièces ne peut pas se comporter d'une façon purement passive : il s'empare de l'objet, non pour le regarder, mais pour en scruter la vérité et la profondeur, en saisir le rapport immédiat avec sa propre manière d'être et en tirer tout le profit possible pour soi et pour autrui. Au sein de l'abondante lumière dont elle est favorisée, Marie d'Agreda pénètre dans les mystères contemplés et l'intelligence qu'elle en a est aussi profonde et aussi claire que la contemplation elle même : mais la méditation ne cesse pas d'être méditation et ne peut s'appeler vision qu'à cause de la lumière surnaturelle dans laquelle les mystères se manifestent a elle. Ses visions ne sont donc pas des intuitions de faits ou d'événements dans des tableaux strictement historiques, mais sont plutôt la perception d'un sujet de méditation choisi par elle même dans la lumière supérieure infuse.
Il en est tout autrement d'Anne Catherine qui, sans choix, sans désir, n'agissant pas mais se bornant à recevoir, voit les images qui lui sont présentées, tantôt les accueille avec une adhésion joyeuse, tantôt s'efforce en vain d'y échapper lorsque la peine causée par ce qu'elle voit lui semble au dessus de ses forces. Elle est, pendant toute sa vie, la petite paysanne simple, illettrée, tout à fait incapable de réflexion, qui ne va jamais au delà de ce qui est immédiatement contemple ; qui vit, souffre et agit dans la contemplation, de telle façon que le pèlerin, peu avant sa mort, lorsqu'elle ne peut pas rendre compte d'une instruction du Sauveur, dit en gémissant : "Je n'ai jamais vu se produire en elle une science particulière résultant des enseignements qu'elle avait entendus, mais seulement un ascétisme pratique toujours semblable à lui même dans ses traits généraux. La vie de son âme est magiquement active et passive sans raisonnement. " Le raisonnement ne pouvait assurément être son affaire, parce que vivant exclusivement dans la contemplation actuelle, elle n'avait besoin d'aucune idée qui en dérivât. C'est pourquoi dans ses visions Anne Catherine se comporte d'une manière purement passive, elle ne les comprend pas quand elles ne lui sont pas expliquées par son conducteur spirituel ou par son fiancé divin : c'est pourquoi encore tout ce qu'elle raconte de ses visions se distingue par une admirable simplicité et par une clarté qui fait presque toucher les choses au doigt, bien qu'il y ait en même temps une profondeur mystérieuse qui partout fait dire au lecteur : il n'y a rien là d'inventé, rien qui soit d'invention humaine. Nulle part non plus il ne rencontre l'ombre d'une application ornée de réflexions morales ce qu'il trouve toujours devant lui, c'est la force irrésistible de la vérité toute simple, qui dans son caractère rigoureusement historique ne peut faire naître chez personne la tentation de coudre ça et la quelque chose ou d'amplifier et de moraliser. Il en est tout autrement dans les visions de la vénérable Marie d'Agreda. comme elles se sont produites avec le concours de l'activité humaine, elles pouvaient plus facilement donner lieu à ce qu'un zèle peu éclairé ne se fît aucun scrupule de les dénaturer par des additions insipides et des changements arbitraires, comme cela s'est fait d'une manière qu'on ne saurait trop déplorer dans la Cité de Dieu.(1)

Note 1: Goerres dit à ce sujet : "L'extase n'a pas pu la préserver du faux goût de son temps. Le mauvais style italien qui commençait à régner dans les églises. s'était répandu au delà des Alpes comme une maladie contagieuse et l'Espagne en avait été atteinte comme les autres pays : il a aussi trouvé entrée dans le livre de Marie d'Agreda. L'élégance empesée, l'enflure et la fausse emphase le déparent trop souvent et les longues moralités qui figurent à la fin de chaque chapitre le rendent encore plus prolixe. "Mystique, t. II, p. 352.

Nulle part la différence signalée entre les deux contemplatives ne frappe les yeux plus vivement que dans ce que Marie d'Agreda et Anne Catherine disent du premier article du symbole. Ce fut dans sa cinquième année qu'Anne Catherine eut sa première vision sur la création du monde, le paradis terrestre et nos premiers parents : elle contempla ces tableaux profondément significatifs avec toute la simplicité d'un enfant, et dans sa quarante huitième année, après les avoir vus de nouveau, elle les raconta absolument comme elle l'aurait fait dans son enfance, rapportant simplement ce qu'elle avait vu, sans y joindre aucune réflexion et sans paraître le moins du monde vouloir donner des explications sur des mystères aussi difficiles à comprendre. C'est tout autre chose chez Marie d'Agreda, qui ne voit pas le tableau historique, mais qui sait quelles controverses théologiques préoccupent les esprits à son époque et de combien de façons la spéculation s'est efforcée de résoudre la question de savoir si le Fils de Dieu se serait fait homme lorsqu'Adam n'aurait pas péché. Elle répond à cette question d'une façon si lumineuse et discute tous les points fondamentaux avec tant de profondeur que le lecteur se sent très porté à croire que la réponse lui est venue par une illumination surnaturelle.
Mais même là où elle ne donne pas de décisions théologiques et où elle se borne à raconter des faits comme Anne Catherine, celle ci a l'avantage de la vision purement historique et par conséquent de la pleine vérité historique. C'est ce que le lecteur peut voir expliqué avec une clarté surprenante dans l'extrait suivant du journal du pèlerin.
Au récit de la mort de saint Jean Baptiste fait par Anne Catherine, à la date du 12 janvier 1823, il objectait que Marie d'Agreda raconte la chose autrement ; elle dit en effet qu'Hérodiade avant fait fouetter trois fois et torturer saint Jean, Jésus et Marie lui apparurent et le guérirent, qu'il fut mis aux fers et serait bientôt mort de faim si Jésus et Marie ne l'avaient pas nourri ; qu'en outre, lors de son exécution, ils lui apparurent, suivis d'une troupe innombrable d'anges, et que Marie prit dans ses mains la tête du précurseur. Or, voici ce qu'Anne Catherine répondit à cela :
" J'ai souvent entendu des choses de ce genre qui sont tout à fait mal comprises : car chez plusieurs les visions ne sont pas historiques et ne représentent pas les choses comme elles se sont passées réellement ; mais ce sont des méditations : c'est à tort qu'on les prend pour l'image de la réalité, ce qu'elles ne sont point, bien que d'ailleurs elles soient vraies quant à leur signification intérieure. Quand les visions ne sont pas fréquentes et ne forment pas une série successive, toutes les choses y paraissent mêlées et liées les unes aux autres, sans quoi l'on n'embrasserait pas tout ce que contient l'ensemble. Si par exemple on doit voir qu'un homme près d'être exécuté prie en ces termes : " Seigneur, je remets ma tête entre vos mains, "et en outre que Dieu exauce cette prière, il peut facilement arriver qu'on voie l'homme décapité mettre sa tête dans les mains du Seigneur qui se tient prés de lui, ce qui du reste se trouve véritable dans le sens spirituel, bien qu'humainement parlant, la tête tombe par terre aux yeux de tous les assistants. Ainsi, pour la vénérable Marie d'Agreda, la rage d'Hérodiade peut avoir été représentée par "les chaînes et les entraves ; les actes honteux et les péchés commis dans le château que Jean ressentait douloureusement par "les flagellations et les tortures : " et la tête entre les mains de Marie peut avoir signifié qu'au moment de sa mort, avant de naître à la vie éternelle, Jean se souvint encore de celle dans le sein de laquelle il avait salué et annoncé Jésus, avant sa naissance sur la terre. On peut aussi voir toutes les pensées et les prières d'un homme, représentées par des images où il ne faut pas toujours voir les choses arrivées réellement. Ce sont des méditations et elles diffèrent suivant la manière d'être et les besoins des contemplatifs.
Si, comme on l'a déjà remarqué, on peut admettre comme certain que la Cité de Dieu ne se trouve pas entre nos mains dans sa forme primitive, parfaitement correspondante à la contemplation de Marie d'Agreda, mais altérée de mille manières par l'addition des réflexions prolixes ; si, en outre, plusieurs lecteurs des visions présentées ici se sentent tentés d'établir de plus près la comparaison entre celles ci et la Cité de Dieu, c'est le cas de leur mettre sous les yeux, une vision allégorique, d'un sens très profond dans sa simplicité, qu'Anne Catherine eut sur cet objet.
Le 25 juillet 1822, Anne Catherine vit beaucoup de choses touchant la vie de l'apôtre saint Jacques, et particulièrement touchant son séjour en Espagne. Mais comme elle avait oublié les détails d'une apparition de la mère de Dieu à Saragosse, le pèlerin lui lut dans l'après midi du 24 juillet le récit de cette apparition, avec la circonstance de l'image miraculeuse apportée par un ange, tel que le récit se trouve dans la Cité de Dieu. Or Anne Catherine ne pouvait pas comprendre comment Marie d'Agreda, qui était censée avoir vu la chose avec autant de détails, ne décrivait pourtant rien et ne donnait que de pures phrases. "Je ne sais pas ce qui en est, dit elle, mais je n'entends jamais ni Jésus, ni Marie parler ainsi. Marie est d'une simplicité que rien ne peut rendre : tout son être est comme un fil de soie blanche, d'une délicatesse infinie. Je ne sens pas d'onction dans ces paroles ni dans tout ce que j'ai lu : il n'y a là que du bruit et des ornements recherchés : il me semble voir une belle dame avec un large éventail de toilette. "
Le lendemain elle raconta par fragments la vision suivante sans s'apercevoir le moins du monde de sa liaison avec les visions des jours précédents. " Il était impossible, disait elle, d'expliquer à quoi cela pouvait avoir trait. On finit par savoir qu'elle avait pensé au miracle de Saragosse, et désiré le voir de nouveau : mais elle avait été surprise a de voir tout cela d'une autre manière, bien plus naturelle et plus claire : seulement elle ne savait pas ce que c'était que cette personne si larges

Elle avait été introduite par son guide dans la scène suivante qui cette nuit avait pris la place des voyages qu'elle faisait ordinairement pour porter secours, après les visions journalières de la vie de Jésus : car elle était allée comme de coutume par les chemins qui menaient aux pays où elle avait quelque chose à voir.
Elle raconta donc ce qui suit : J'ai eu aujourd'hui une curieuse histoire d'un enfant avec un seul oeil. Je suivais avec mon conducteur le chemin qui mène d'ici en Espagne à travers la France et, dans le voisinage de l'Espagne, à un endroit sur le bord de la mer, où nous devions nous embarquer, nous rencontrâmes deux personnages étranges, un vieillard à l'air grave qui était vraiment excellent et qui possédait tout en lui même, et une large femme, qui était singulièrement pompeuse, prolixe, contournée et cérémonieuse. Elle portait une robe ridiculement large, qui ressemblait par derrière à une vieille ville. Elle était avec cela couverte de cordons avec toute sorte de collerettes et de garnitures, et elle n'en finissait jamais avec ce qu'elle avait à faire et à dire. Ces deux personnages avaient près d'eux un enfant merveilleux couché sous un buisson au bord de la mer. À vrai dire l'enfant ne leur appartenait pas : ils l'avaient pris, trouvé ou dérobé : enfin ils s'en étaient emparés et ils voulaient s'en faire honneur ou le faire voir pour de l'argent. Je ne sais pas bien de quoi il s'agissait, mais ce qu'ils se proposait fit d'en faire, surtout la femme, n'était pas dans les règles. Je vis aussi dans une vision qui faisait le pendant de l'autre que cette large p nue qui faisait la dévote, et qui était très obstinée dans ses idées, portant l'enfant qu'elle étouffait sous ses immenses vêtements, voulait entrer dans l'église par un passage très étroit ; mais elle n'en venait pas à bout et restait toujours sans pouvoir avancer, dans l'étroit passage : elle était obligée de sortir, puis elle essayait encore d'entrer avec une nouvelle obstination, mais sans vouloir déposer ses vains ajustements.
L'enfant, lorsque je le rencontrai, avait, je crois, cinq semaines ; je le pris avec moi, car je le connaissais déjà, et je le mis dans mon tablier. Il ne voulait pas me quitter, je lui donnai à manger, et cette femme fut obligée de se retirer. Je ne sais plus bien comment cela se fit, mais le bon vieillard resta toujours prés de moi. Cet enfant était celui d'un roi céleste et d'une impératrice de la terre : je ne sais plus cette histoire. Une chose singulière fut qu'étant avec moi, l'enfant prit une croissance très rapide : il fut tout de suite en état de parler et de marcher, bien qu'il n'eût que cinq mois. Dans ce voyage en Espagne, il y avait toujours des gens près de moi, c'étaient saint Jacques et ses disciples. Je vis dans le lointain diverses personnes du temps actuel : quand nous passions quelque part, il venait plusieurs saints qui avaient vécu dans cet endroit ; ils étaient surpris à la vue de l'enfant qui partout se tenait debout et enseignait, qui donnait toute espèce d'indications et restait toujours près de moi. Mais ce qu'il y avait de surprenant dans cet enfant, c'est que ses yeux étaient fermés, et qu'il avait sur le front un oeil semblable à un soleil, semblable à l'oeil de Dieu ; et qu'en parcourant avec moi toute l'Espagne, en passant dans les endroits où saint Jacques était allé, il me montrait tout et m'expliquait tout. Je vis aussi une seconde fois la scène de l'apparition de Marie à saint Jacques, à Sarragosse, et tout s'y passait très naturellement. "
Si nous cherchons maintenant à découvrir le sens de cette vision, nous pouvons voir Marseille dans cet endroit au bord de la mer, où Anne Catherine s'embarque pour l'Espagne. C'est là que parut la première traduction de la Ciudad de Dios, sous le titre de : La mystique cité de Dieu. Les deux étranges personnages qu'elle rencontre symbolisent la double disposition avec laquelle furent reçues les visions de la vénérable Marie d'Agreda. Le vieil homme qui a tout en lui même est la vraie simplicité qui reçoit avec une humble reconnaissance ce don précieux de la grâce sans se permettre d'y ajouter des embellissements de sa façon. C'est avec cette simplicité que la vénérable Marie d'Agreda avait reçu ses visions, et les avait communiquées à d'autres pour obéir à l'ordre de Dieu : mais ceux ci, ne pouvant souffrir la simplicité, font subir aux visions des remaniements qui sont indiqués d'une manière si pittoresque par le symbole de la femme en robe à paniers comme on les portait en Espagne au XVII siècle. C'est pourquoi ce faux zèle qui, sacrifiant au mauvais goût de l'époque, a dénaturé la Cité de Dieu et en a fait une pomme de discorde théologique, n'a pas réussi à obtenir pour elle l'approbation de l'Eglise. Le don gratuit de prophétie, tel que Marie d'Agreda l'a reçu dans toute sa pureté, est représenté par le symbole de l'enfant né du mariage de Jésus Christ le roi céleste avec sa fiancée l'impératrice de la terre, c'est à dire l'Eglise. Anne Catherine le rencontre sous un buisson au bord de la mer : car la femme aux larges atours l'a traité comme un enfant trouvé et en a usé indignement avec lui, s'imaginant faire une bonne oeuvre. Cet enfant de prophétie avec la vénérable Marie d'Agreda n'a que cinq semaines et ne sait pas encore parler : avec Anne Catherine, il grandit au quadruple et se trouve en état de parler et de marcher. C'est un symbole non seulement de la différence de degré dans la grâce gratuite départie à l'une et à l'autre, mais aussi de son caractère intime. Marie d'Agreda parle elle même à la place de l'enfant prophétique qui avec elle n'a pas encore l'usage de la parole, parce que, recevant dans la contemplation la lumière de la science infuse, elle laisse prédominer son activité propre tandis qu'avec Anne Catherine l'enfant avant acquis promptement l'usage de la Parole Parle lui même par sa bouche, parce qu'elle se borne à recevoir, et que son activité même est passive. Elle nourrit l'enfant parce qu'elle use avec fidélité et simplicité du don de la grâce, et le vieillard reste toujours près d'elle, car le pèlerin reproduit les visions aussi fidèlement et aussi simplement qu'Anne Catherine les lui communique.
Anne Catherine continua ainsi son récit : " Partout où nous allions' il arrivait d'en haut des troupes entières de saints qui avaient eu aussi des visions : tous étaient émerveillés de l'enfant, et l'enfant me les montrait du doigt, me faisant connaître comment chacun d'eux avait vu et prophétisé, et je vis là combien il y a de diversité et de variété dans les procédés. Et cela s'est fait sur toute la terre dans tous les temps et par les prophètes de l'Ancien Testament en remontant jusqu'à Adam. C'était incroyablement multiple et varié, mais pourtant suivant un ordre régulier, en Sorte que je pouvais saisir l'ensemble. Je me rappelle encore comment la mère de Samuel pria devant l'arche d'alliance ; Héli voulait la renvoyer, car elle avait je visage enflammé par l'ardeur de son désir, et il la croyait ivre. Mais un rayon partit de l'arche et vint sur elle. J'y vis comme un petit enfant, et Héli lui dit que sa prière était exaucée et qu'elle aurait un fils. Il tenait comme une cassette en face d'elle (1) lorsqu'il la bénit. Je vis aussi infiniment de choses sur tous les prophètes et sur toutes les sortes de visions et de prophéties. Mais tous s'émerveillaient à la vue de l'enfant comme si personne encore n'avait possédé cet enfant de la même manière que moi. "

Note 1: Vraisemblablement le vase contenant le saint mystère de l'arche d'alliance, sur lequel beaucoup de détails seront communiqués dans les visions relatives à la bénédiction des patriarches et à l'arche d'alliance.


" Je vis aussi la prophétie qui émane de l'empire des ténèbres et celle qui appartient à l'ordre naturel, celle ci se liant de près à l'autre. Je vis ces divers règnes comme de grosses boules rondes de couleur sombre, les unes plus obscures, les autres plus claires, et semblables à des sphères terrestres : toutes les choses que l'on voit ainsi en général comme dans un seul ensemble, on les voit comme des globes terrestres. Je vis des esprits au centre et je vis certaines influences passer d'un de ces globes dans les autres et à travers les autres. Je vis les somnambules magnétiques, soit dans une de ces sphères ténébreuses, soit influencés par elle, car la plupart du temps je vis devant le magnétiseur un esprit ténébreux venant de ces sombres royaumes entrer dans ceux qui parlent en rêvant et en prendre possession (2).

Note 2: En août 1821, un médecin qui était enlacé dans les liens magiques d'une somnambule vint à Dulmen, dans l'idée qu'il trouverait une ressemblance entre celle ci et Anne Catherine. Mais la Soeur rejeta toutes les communications de la somnambule comme chimériques et illusoires : le docteur ne se laissa pas persuader ; il échappa toujours à Anne Catherine comme un homme ensorcelé. Elle eut alors une vision touchant la somnambule et vit que ni elle ni le docteur n'avaient de mauvaises intentions, mais que Satan les retirait tous deux du droit chemin par les prestiges du somnambulisme. Elle vit que le docteur filait un fit sortant de la somnambule, que celle ci y faisait un noeud et que le docteur l'avalait. Elle vit qu'il y avait dans son intérieur un nuage sombre, que rien en lui ne prenait d'accroissement et que tout restait sans mouvement : que cependant il lui venait souvent à l'esprit qu'il avait quelque chose à vomir.



Je vis que leur divination était, la plupart du temps d'origine terrestre, et qu'il y avait là quelque chose d'indécent et de dangereux, mais à divers degrés. Je vis des religieux et des religieuses visionnaires auxquels arrivaient quelques rayons partant de ces sphères ténébreuses : il y en avait plusieurs en Espagne, jusque parmi ceux qui voyaient des choses de l'ordre spirituel, même des représentations de la passion et de la vie du Christ. Il s'en trouvait parmi ceux là qui se macéraient et se mortifiaient beaucoup, et pourtant des forces venant des régions inférieures traversaient leurs apparitions et en altéraient le caractère par des influences appartenant aux sphères diaboliques ou naturelles, avec lesquelles ils se trouvaient en quelque rapport par leurs faiblesses. Le caractère personnel de leurs supérieurs ecclésiastiques et les sphères du ressort desquelles étaient ceux ci exerçaient aussi une action. J'en vis qui étaient entièrement dominés par les puissances mauvaises. "
"Je vis tous ces rapports avec des esprits et des démons jusque parmi les anciens païens et chez les Maures et les sauvages. Si je pouvais redire tout ce que j'ai vu, on en ferait un gros livre. "
Je vis aussi les modes tout à fait divers de l'intuition. Quelques uns étaient subitement entourés par les figures : ils les retraçaient sous une forme abrégée et elles restaient tout ce temps devant eux. D'autres étaient remués au fond de l'âme, parlaient longuement et écrivaient de grands sermons. D'autres se sentaient intérieurement réconfortés ils recevaient toute espèce d'images allégoriques mêlées à des scènes historiques, et quand ils les racontaient, ils ne savaient pas faire la distinction mais je n'en vis aucun qui eût vu les scènes jour par jour et simplement comme elles s'étaient passées.
Je crois que la nuit dernière, je dois avoir parcouru toute la. terre avec l'enfant : quand j'arrivais à un endroit où je pouvais assister des malades ou des mourants, ou rendre quelque autre service, je quittais l'enfant et faisais mon travail : car mon guide était toujours là. Mais je voyais dans le lointain autour de l'enfant et aussi autour de moi beaucoup de personnes de mon temps et de ma connaissance qui s'émerveillaient. Ce sont peut être ceux qui dans l'avenir acquerront une connaissance plus détaillée de ces choses..,
"Je m'éveillai enfin après ces tableaux, et je vis l'enfant qui était couché près de moi, ce qui me fit peur. Je m'endormis de nouveau, et alors je me trouvai toute petite à Flamske dans notre maison : comme je suivais mon chemin derrière le troupeau sur la lande, je trouvai dans un buisson l'enfant redevenu tout petit : je courus chercher de la bouillie et je lui donnai à manger. Je vis ensuite toute une série de tableaux, comprenant toute ma vie jusqu'au moment présent ; je vis arriver l'enfant, j'eus une répétition complète de mes destinées, de mes consolations et aussi de toutes les douleurs que j'ai eu à endurer et j'étais toute brisée par la souffrance. J'eus aussi à subir de nouveau les deux enquêtes et la dernière avec tout ce qu'elle avait d'affreux. Je vis aussi l'enfant à Rome où il montrait toute sorte de choses. Je vis encore l'enfant enseigner à Munster à une autre époque. Là où était le château, beaucoup de choses avaient disparu. Je vis une autre manière de vivre : quelques messieurs de l'époque actuelle passèrent devant moi : ils étaient vieux et mécontents, et parlaient de changements qu'ils trouvaient incommodes. Je vis sous la figure d'un enfant l'évêque qui devait commencer à bien arranger les choses. Peut être qu'il est encore enfant : il n'était pas du pays. À l'époque où ces dernières choses auront lieu, je serai déjà morte. "
Dans ces tableaux j'ai souvent vu le pèlerin près de moi. Je n'avais pas peur de lui, et l'enfant non plus : il l'accompagnait tranquillement et sans s'étonner. Je vis aussi mon confesseur qui souvent ne comprenait pas l'enfant et voulait le chasser ou le cacher, mais toujours inutilement : il restait près de moi et revenait aussitôt. Il se tenait souvent loin de lui, puis il se familiarisait de nouveau avec lui, mais il ne le comprenait jamais parfaitement et il en avait peur. Je vis encore que le père Lambert comprima souvent l'enfant et tout le mal qu'on lui fit. Je vis aussi beaucoup de gens pour lesquels il fut plus tard un sujet de grande joie et de grande admiration.
Le pèlerin ajoute ce qui suit à son compte rendu de cette singulière vision : "D'après cette misérable esquisse bien embrouillée, on peut juger dans quelle mesure elle a vu, et se figurer tout ce qu'elle a vu et tout ce qui manque ici. "
Maintenant que le lecteur, pour avoir la pleine confirmation de la vision allégorique, compare ce qu'Anne Catherine a communiqué sur l'apparition de Marie à Sarragosse, avec ce que la Cité de Dieu met dans la bouche de Marie d'Agreda sur le même sujet. Voici le récit d'Anne Catherine : "Je vis saint Jacques, accablé de tristesse à l'approche d'une persécution qui menaçait l'existence de la communauté chrétienne de Sarragosse, prier pendant la nuit au bord du fleuve, devant le mur de la ville : il avait avec lui quelques disciples qui étaient dispersés ça et là, et couchés par terre ; je me disais : c'est comme le Christ sur le mont des Oliviers. Jacques était couché sur le des, les bras étendus en croix. Il priait Dieu de lui faire connaître s'il devait rester ou fuir : il pensait à la sainte Vierge et demandait qu'elle priât avec lui pour obtenir conseil et assistance de son Fils qui l'exaucerait certainement. je vis alors quelque chose resplendir dans le ciel au dessus de lui : c'était une colonne dont la base envoyait un rayon plus brillant à deux pas en avant des pieds de l'apôtre comme pour désigner par là une place déterminée. Cette colonne répandait une lueur rougeâtre où se montraient comme des veines de diverses couleurs. Elle était haute et mince et se terminait au sommet comme par une fleur de ils, formée de langues de feu qui se déployaient tout autour, tandis que l'une d'elles s'agitait au loin vers le couchant dans la direction de Compostelle. Dans cette fleur lumineuse je vis la figure de la sainte Vierge : elle était d'une blancheur diaphane, plus douce et plus agréable à l'oeil que le brillant de la soie écrue, et se tenait dans l'attitude qui était habituelle à Marie lorsqu'elle était en prière. Elle avait les mains jointes et son long voile était relevé d'un côté sur la tête, mais l'autre extrémité descendait jusqu'aux talons et l'enveloppait entièrement, et ses pieds posaient légèrement sur la fleur lumineuse formée de cinq langues de feu. Il y avait dans ce spectacle un charme et une beauté que rien ne peut rendre. Je vis Jacques se redresser sur ses genoux en priant, et averti intérieurement qu'il devait aller en Galice, pour y annoncer la foi, et que la prière de Marie l'y précéderait et s'y enracinerait comme une colonne. Je vis alors la colonne s'élever et se perdre dans la lumière. Jacques se leva, il appela les disciples qui vinrent à lui en toute hâte, leur raconta l'apparition merveilleuse, et ils suivirent tous des yeux la clarté qui s'évanouissait peu à peu. Je vis aussi Jacques, avant son départ pour la Galice, enseigner en ce lieu et parler de cette vision ; à l'endroit qu'avait désigné le rayon parti de la colonne, on érigea une pierre avec un creux où l'on planta quelque chose. Je ne vis pas d'anges accompagner cette apparition, et je n'entendis aucune parole sortir de la bouche de Marie ; elle se tenait debout, priant tranquillement, comme peut être en ce moment même elle priait dans sa chambre. Je vis aussi la colonne et l'image de la mère de Dieu qu'on révère aujourd'hui en cet endroit comme y ayant été apportée du ciel. Elle est toute différente : elle est belle à la vérité, mais elle est très petite et n'est pas ressemblante. J'ai oublié d'où elle tire son origine. Je vis aussi que ce ne fut qu'assez tard qu'une église s'éleva à cette place et seulement quand cette apparition eut été confirmée par un miracle. " Pendant que je voyais cela, il se trouvait là beaucoup de saints, et d'autres personnages qui devaient attester ce que disait l'enfant prophétique."

X

Le pèlerin fait une distinction entre les visions historiques d'Anne Catherine et ses visions allégoriques, et outre celles ci, il distingue encore ce qu'on appelle la clairvoyance. En ce qui touche les visions allégoriques, on verra bientôt qu'elles ne peuvent être nommées ainsi que par rapport à nous qui ne sommes point contemplatifs, mais que pour Anne Catherine elles ont quelque chose de réel, d'immédiat et d'actuel comme celles qui sont proprement historiques.
En effet, l'intuition d'Anne Catherine étant l'oeuvre de la grâce qui saisit l'homme tout entier, l'âme avec toutes ses puissances se trouve introduite dans l'ordre supérieur qui lui est ouvert par la lumière divine infuse : il s'ensuit que la faculté de connaître n'est pas seule à percevoir et à agir, mais qu'il en est aussi de même de la volonté ; c'est à dire que la contemplation est aussi amour et action dans l'amour, et que ces deux puissances agissent de concert. Mais cette action en tant que méritoire a un double caractère. Car elle est dépendante des lois de l'ordre surnaturel dans lequel la contemplation se meut, comme des lois de la vie terrestre à laquelle elle continue d'appartenir et de payer son tribut.
Un exemple servira à éclaircir ce qui vient d'être dit. Une fois, dans ses visions sur les années de prédication du Sauveur, Anne Catherine le voit parcourir la haute Galilée avec six de ses disciples par une admirable nuit d'été qu'éclaire la lumière des étoiles. Elle fait des actes d'adoration et d'amour, elle demande pour elle même et pour l'Eglise de son temps la communication des grâces attachées à la très sainte vie du Sauveur sur la terre, puis dans un travail en oraison qui s'intercale dans cette vision historique il lui est accordé de puiser pour elle et pour d'autres à la source éternelle, inépuisable de ces mérites de son Rédempteur : " Lorsque je me rapprochai du Sauveur, dit elle ? je vis errer autour de moi un bétail innombrable, des vaches, des brebis de très grande taille et de petits animaux sauteurs avec des oreilles pointues. Je voulais rassembler les vaches, mais elles s'échappaïent toujours les unes d'un côté, les autres de l'autre, et j'avais beaucoup à faire. Une chose singulière, c'est que ce bétail appartenait à Jésus et aux apôtres, et qu'un des apôtres me dit de le mener à une étable qu'il me montra. Cette étable ressemblait tout à fait aux grandes hôtelleries où s'arrêtèrent les trois rois dans leur voyage ; j'y fis entrer ces animaux. C'est tout en me livrant à ce travail de bergère que je vis lé tableau du voyage de Jésus. L'apôtre ne s'éloigna pas de Jésus pour me parler. Ce fut plutôt une apparition. Le jour suivant Anne Catherine continua en ces termes : " il m'a fallu maintenant faire sortir les vaches que j'avais rassemblées hier. J'avais à les conduire dans notre pays : la route ne me paraissait pas plus longue que celle de Dulmen à Coesfeld. le ne passai pas parle chemin ordinaire, c'était un chemin imaginaire. J'eus une peine et une difficulté incroyables à rallier ces vaches et à les faire marcher ensemble. Je voulais le savoir par couples, mais je n'en pus garder que trois fois sept que j'amenai à bon port. Et avec quelle fatigue ! à tout moment quelques unes retournaient leurs cornes contre moi, et j'eus une peine infinie à en venir à bout. " Ici elle parla avec beaucoup de détails sur la difficulté de faire rentrer les vaches quand il pleut, et de toute la peine que cela lui donnait dans sa jeunesse. "J'avais bien des saints où des personnes en prière qui m'aidaient, mais je n'avais qu'un sentiment confus de leur présence : quand je regardais de leur côté, ils n'étaient plus là. Lorsque j'allai chercher le bétail, je vis comme du haut d'une montagne, Jésus et les disciples se diriger le jour du sabbat vers un petit endroit. Je remis les vaches à l'endroit où on les attendait : elles furent reçues par des ecclésiastiques et d'autres personnes qui les conduisirent dans plusieurs paroisses, je crois que c'était dans les environs de Coesfeld. »
« Mon guide m'a expliqué cette vision, et j'en ai eu beaucoup de joie. Ce sont des prières exaucées, des grâces que j'ai obtenues pour vingtaine paroisses qui s étaient recommandées à mes prières. J'ai trouvé les vaches errant ça et là dans la terre promise, ce qui veut dire que dans ce pays il reste beaucoup de grâces et de mérites de Jésus et des apôtres, dont on ne profite pas et qui se perdent, que je les ai recueillis et conduits, pour ainsi dire, avec beaucoup de fatigues à ceux qui s'étaient recommandés à mes prières. Quand les vaches se détournaient, cela indiquait que certains pasteurs ne persévéraient pas dans la prière, qu'ils avaient prié avec tiédeur, que la grâce ne voulait pas aller à eux : les zélés allaient au devant des grâces, représentées par les vaches (des vases vivants de la grâce, des vases de lait). Il me fallait suppléer par des efforts extraordinaires à la tiédeur des premiers. J'avais vingt et une de ces vaches pour différents pays : il y en avait pour l'Irlande, pour la Hollande, et aussi pour des endroits qui sont dans les environs de Coesfeld, d'Osnabruck et de Paderborn. »
Le lecteur voit ici comment ce qu'Anne Catherine demande pour autrui dans ses visions doit être mérité par elle, au moyen d'oeuvres qui satisfassent pour les offenses de ceux qui doivent participer aux fruits de sa prière. Ces oeuvres sont à la fois image et réalité, allégorie et histoire : car elles correspondent à l'état supérieur d'extase dans lequel elles sont une action essentielle, positive, avec résultat réel et effectif, de la même manière qu'elles correspondent aux choses terrestres auxquelles est empruntée la forme ou le mode de travail fait en oraison, puisque celui ci se rattache aux occupations habituelles de la contemplative dans sa jeunesse.
Il y a ainsi toute espèce de travaux de labourage, de jardinage, propres à la vie du pâtre ou à celle du vigneron, sous la forme desquels s'accomplissent les oeuvres d'Anne Catherine dans l'ordre spirituel. Elle connaît en général leur sens et leur signification et sait aussi quel en est le but : car l'état de pénurie et de détresse où se trouvent des paroisses, des districts, des diocèses, même des pays tout entiers, lui est montré sous des images qui répondent aux diverses formes de travail : mais elle ne racontait de tout cela que la moindre partie et si elle le faisait, c'était uniquement parce que cette ouvrière humble et zélée ne tenait aucun compte de ce qu'elle accomplissait elle même, mais se plaisait à raconter les grâces et les miséricordes de Dieu envers elle. Or ce ne sont pas seulement des travaux, mais encore des souffrances et des maladies se succédant constamment les unes aux autres, qui lui sont montrées dans les visions et dont elle se charge dans ces visions. Elle voit dans des tableaux merveilleux la signification spirituelle de chaque maladie et sa relation mystérieuse avec la nature de l'offense pour laquelle Anne Catherine se charge de faire pénitence. Ainsi ces maladies ont un double caractère, le caractère physique conforme à l'ordre naturel, et le caractère méritoire et expiatoire dans l'ordre surnaturel. Le premier fait qu'elles suivent leurs cours avec tous les symptômes, toutes les crises, toutes les douleurs, y compris celles de l'agonie, que des maladies de ce genre amènent avec elles et qui ne cessent pas lors même qu'Anne Catherine se trouve à l'état d'extase. Dans cet état, au contraire tous les phénomènes intellectuels et corporels se produisent avec d'autant plus d'intensité, puisqu'Anne Catherine non seulement éprouve les sensations qui résultent de la maladie, mais la voit clairement et la pénètre jusqu'au fond, et que par dessus cela la faute étrangère qu'elle expie corporellement par cette maladie, lui fait en même temps souffrir dans l'âme des douleurs excessives.
Ce sont ces dernières douleurs qui ont le caractère vraiment surnaturel, méritoire et expiatoire, parce que leur source n'est pas la détresse du corps ou la peine sensible, mais l'ardeur du plus pur amour de Dieu pour lequel rien n'est si intolérable que de voir Dieu offensé et la perte des aines rachetées à un si haut prix. La grandeur de cet amour est ce qui rend Anne Catherine capable de prendre sur elle à la place d'autrui des souffrances expiatoires, et ce qui donne devant Dieu à ce qu'elle fait et à ce qu'elle souffre, la valeur d'un sacrifice pur auquel les mérites du Sauveur communiquent un prix infini.

Un jour, Anne Catherine ayant pendant tout un mois souffert des douleurs indicibles causées par des maladies mortelles qui s'étaient succédées sans interruption, raconta ce qui suit : "Pendant toute la nuit, j'ai eu une série de visions d'ensemble sur ma maladie et sur les travaux auxquels il a fallu me livrer. J'ai vu tout cela dans une grande plaine où je travaille ordinairement. Il reste encore à labourer un coin qui est entouré d'une épaisse haie d'épines avec une grande quantité de roses (3). Je me suis vu moi même figurée dans différentes situations. J'étais tantôt dans une chapelle, tantôt sur une croix, tantôt sur un rocher, tantôt dans un marais ou au milieu des épines, etc., et j'étais étouffée par des fleurs et des épines : j'ai été aussi transpercée avec des flèches et des lances. Une fois une valse flamboyante s'exécutait sur mon corps, qui était entouré de plumes et d'ailes, symboles de la fièvre.

Note 3 : Les roses et les fleurs sont toujours chez Anne Catherine les symboles de grandes souffrances.
Rien n'a été plus terrible pour moi que la torture des convulsions, représentées par des globes de diverses couleurs, qui se développaïent, s'enflammaient, et se perdaient les uns dans les autres en laissant échapper une vapeur brûlante. Je commençais d'abord par franchir des précipices dangereux sur des ponts jonchés de fleurs et de roses de toute espèce ; puis à ce travail général venaient s'ajouter des douleurs qu'il fallait subir à la place de certains malades qui demandaient des prières. Je me vis donc livrée à des tortures de toute espèce, et je vis beaucoup de malades guéris. Je vis que de pauvres gens qui ne connaissent personne, qui ne peuvent écrire à personne, et qui pourtant réclament l'intercession d'autres chrétiens, figurent plus souvent dans ces tableaux que ceux qui connaissent quelqu'un, se font recommander et écrivent des lettres. J'ai eu particulièrement à m'occuper de beaucoup de personnes malades de la goutte.
Anne Catherine pouvait quelquefois donner de ces informations vagues et générales sur les travaux et sur les maladies dont elle se chargeait, comme aussi sur ces travaux eux mêmes et sur leur but ou sur leur relation avec ce qui devait être procuré par eux : mais quant au rapport intime entre telle ou telle forme de travail déterminée, et tel ou tel résultat déterminé, le plus souvent, dans l'état de veille ordinaire, elle pouvait à peine donner quelques indications : "Car, avait elle coutume de dire, c'est chose difficile à décrire. La nature tout entière et l'humanité sont tellement déchues, assujetties à tant de liens et d'entraves, que, s'il m'arrive de faire là (c'est à dire dans l'état d'extase) quelque chose de tout à fait essentiel, et en comprenant clairement ce que je fais, aussitôt que je suis éveillée et dans l'état naturel, ces choses me paraissent aussi étranges qu'a toute autre personne éveillée. "


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - IX