Brentano: Visions de la Bse Emmerich - XIV

XIV

Afin que le lecteur puisse aussi se faire une juste idée de ce que Dieu exigeait d'Anne Catherine, sa fidèle servante, pour les grâces inconcevables qui loi avaient été départies pour le bien de son Eglise, on donnera ci après le compte rendu du mois de janvier 1822, d'après le journal du pèlerin. Qu'on veuille bien, eu le lisant, avoir toujours présent à l'esprit que les maladies qui y sont décrites étaient endurées par un corps qui portait déjà les douloureux stigmates de Jésus Christ, et qui, en outre, souffrait d'autres lésions occasionnées par des accidents extérieurs, et dont chacune était mortelle. Mais le résultat qu'elles auraient du avoir était suspendu d'une façon miraculeuse, afin que dans les cruelles maladies qui se succédaient sans relâche, elles servissent à élever chaque douleur à sa plus haute puissance. Enfin le lecteur pourra conclure facilement lui même du rapport suivant, qu'aucun mal ne venait assaillir isolément Anne Catherine, mais qu'il y avait toujours action commune des formes de maladie les plus diverses, souvent les plus opposées, lesquelles étant imposées à la patiente pour une fin toute spirituelle, se trouvaient entre elles dans un rapport plutôt spirituel que physique.

1 au 12 janvier. Anne Catherine a été, ces jours ci, malade à la mort. Sa maladie, accompagnée d'une fièvre continuelle, avait pour caractères des crampes dans le bas ventre, une toux convulsive, des sueurs excessives, des douleurs dans les membres, la paralysie des intestins, un amaigrissement tel qu'on voyait les petites éminences des os et des lésions douloureuses au dos. Le 13 elle eut une journée passable. Cela semblait être un passage à un nouvel état. Le soir étant en extase, elle parla de sa maladie d'une rare naïveté comme s'il se fût agi d'une tierce personne racontant « qu'elle avait été près de la soeur Emmerich. Combien son état est triste, disait elle ; elle a été bien près de mourir ; elle n'a dû son salut qu'à sa patience, à la charité et aux soins des personnes qui l'entouraient "(lesquelles, dans de pareils cas, ne pouvaient lui être d'aucun secours). Alors, elle parla des fautes de cette personne, qui avaient aggravé sa maladie. "Elle mange de la soupe pour faire plaisir aux gens, dit elle, et cela lui fait grand mal, etc. "

14 janvier. La fièvre diminue, la faiblesse augmente, l'amaigrissement arrive à un degré qu'on ne peut s'imaginer. Elle souffre tant, qu'elle ne peut plus rester couchée. Le 15 au soir, elle vomit des torrents de sang. Elle ne cesse de dire qu'elle voit un feu allumé au dessus d'elle ; qu'il y a dans le monde une lutte entre l'eau et le vin, que cela se passe au dessus d'elle et que le feu doit décider.
Quoiqu’Anne Catherine eût annoncé d'avance ces cruelles maladies ainsi que leur durée qui devait se prolonger jusqu'à la Chandeleur, elle avait pourtant toujours le sentiment des approches de la mort, et par suite une tendance à croire qu'elle allait mourir, de sorte qu'elle voyait avec peine que les personnes de son entourage ne vissent pas dans cet état un pronostic certain. Mais ce sentiment de la mort, est une preuve que dans toutes ses maladies rien n'était épargné pour qu'elle eût à en supporter tous les effets sur le corps et l'âme, et pour qu'elle en eût toute la douleur, tout l'abattement, toutes les angoisses. Certainement son entourage en jugeait la plupart du temps tout autrement, et le pèlerin fait à ce propos l'aveu sincère que : " Ces dangers de mort continuels, qui pourtant n'aboutissent jamais à une aggravation sérieuse de son état, finissent par rendre très calme devant toutes ces maladies désespérées et inexplicables, et l'on s'habitue prés de la malade à regarder ce triste spectacle où l'on ne comprend rien, avec un mélange de compassion, de consolation et de patience où l'âme ne trouve aucun profit et dans lequel on sent un arrière goût de politique humaine qui cherche des échappatoires spécieux.

15 au 21 janvier. Sa fièvre continuelle et son incroyable dépérissement n'ont pas cessé jusqu'au 21 : en outre, des désordres inouïs dans le bas ventre accompagnés des phénomènes les plus douloureux résultant des lésions dont il a été parlé. Des crampes horribles dans lesquelles les intestins vides se soulèvent, semblables à un paquet de cordes entortillées, et des accès de toux convulsive qui aboutissent ordinairement à des vomissements de sang, se succèdent presque chaque jour et quelquefois très rapidement. À cela s'ajoute un amaigrissement qu'on ne peut se figurer, et poussé à ce point que les petites éminences des os sont visibles. Il est touchant de voir les stigmates imprimés sur ce squelette, où il n'y a pas un seul point qui ne soit douloureux et qui, jour et nuit, verse de ses membres décharnés des flots de soeur toujours mêles de sang. Du reste, la paix de son âme va croissant avec la faiblesse de son corps et la grandeur de ses peines. Elle supporte tout avec une résignation touchante, et il paraît que la réception plus fréquente du Saint Sacrement la ranime intérieurement beaucoup depuis plusieurs jours. Au milieu de ces souffrances, elle continue toujours à avoir des visions, où elle travaille incessamment pour l'Eglise, et elle reste convaincue que sa vie va prendre fin,' Le 18, elle eut une nuit un peu meilleure et un jour d'intermittence dans la fièvre. Elle dit : "J'ai tant prié Dieu de me secourir. Je n'ai pas reçu de réponse précise, et il m'a été demandé si je ne m'étais pas donnée a lui comme sa fiancée, s'il ne pouvait 'pas faire de moi ce qu'il voulait aussitôt il m'a ordonné "de faire un petit fagot "(c'est à dire de faire des fascines de branchage pour boucher les ornières des chemins dans la campagne, afin que les chariots de la moisson puissent passer plus facilement. Cela se rapportait aux travaux faits pour l'Eglise dans les visions).
Le 20 et le 21 elle resta en proie à une fièvre continuelle, avec des alternatives de sueurs abondantes. Le 21, où elle avait à faire des prières pour des malades, en union avec le Prince de Hohenlohe, elle fut dans un état d'abstraction continuelle depuis le matin où elle reçut la sainte communion jusqu'au soir, mais toujours avec une fièvre ardente : toutefois, intérieurement, elle était tout à fait calme et sereine. C'était la fête de sainte Agnès, patronne de son couvent : elle crut être assise à la table céleste avec elle et sainte Emerentienne. Elle dit une fois : "il y a deux feux allumés en moi, l'un dans la poitrine et l'autre dans tout le corps : ils se combattent, et je ne sais pas si je me tirerai de là : cela dépend de celui qui aura le dessus. J'ai plus d'une fois prié Dieu bien instamment de me délivrer de ma plus grande souffrance, le mal confus que j'ai dans le bas ventre. Mon fiancé m'a répondu d'un air sévère : "Pourquoi aujourd'hui ? Ne serait ce pas aussi bien demain, ne t'es tu pas donnée à moi ? ne puis je pas faire de toi ce qui me plaît ? "Ainsi je suis encore dans l'incertitude, et maintenant je ne veux plus rien demander pour moi, mais je m'abandonne entièrement à lui. O quelle grâce que de pouvoir souffrir ! Heureux celui qui est méprisé et injurié ! Il n'y a rien que je ne mérite, et je n'ai joui que de trop d'estime. Ah ! que ne suis-je couverte de crachats et foulée aux pieds dans la rue ! Je voudrais leur baiser les pieds ! "
Lorsque le 19 au soir le docteur L... vint la voir et la questionner sur son mal, elle dit peu de chose ; mais le pèlerin lui donna une idée de la maladie. Plus tard, étant passée à l'état d'extase, elle dit au pèlerin : " Comment peux tu te mettre au milieu de mes fleurs, tu vas les écraser toutes. Elle vit donc les indications données sur ses souffrances comme la destruction de ses fleurs. Elle voyait souvent le commencement de nouvelles souffrances sous l'image d'un petit garçon qui jetait des fleurs sur elle.
Le 23, elle dit : " Cette nuit, j'ai eu à faire en sus un nouveau travail. Les souffrances se prolongent ; elle s'en réjouit et aussi a de ce que depuis la nouvelle année elle est toujours en campagne, et de ce qu'elle a déjà fait bien de l'ouvrage. " Son confesseur, ému et touché des souffrances de plus en plus horribles qu'elle éprouvait dans le bas ventre, et dont elle avait demandé à être délivrée le jour précédent, lui donna un peu d'huile bénite, pria sur elle et ordonna au mal de se retirer au nom de Jésus. Le secours lui vint aussitôt : elle se sentit entièrement soulagée, et ainsi s'accomplit ce qui lui avait été dit pour demain. Le soir, la garde malade vint trop près d'elle avec une mèche soufrée allumée, ce qui fit qu'Anne Catherine fut prise d'une toux mortelle avec des vomissements de sang, à la suite desquels elle crut s'être disloqué quelque chose dans le corps.
Les anciens accidents au bas ventre revinrent, cependant l'huile bénite la soulagea encore.
Maintenant les symptômes de la maladie changent. Anne Catherine prie pour une malade dont les membres sont tout déformés par la goutte. Elle a maintenant dans tout le corps des sueurs tout à fait semblables à celles des goutteux ; elle ressent des douleurs de goutte dans toutes les articulations, surtout aux mains et aux doigts, qui sont horriblement défigurés chez cette personne. Dans le sommeil extatique elle demande qu'on lui coupe les orteils, ils l'empêchent de marcher ; ils sont tout tordus et rentrés en eux mêmes, et elle craint qu'ils ne se dessèchent. En outre, elle croit porter sur ses épaules une lourde pièce de bois triangulaire, et prie son confesseur de la lui retirer. Celui ci lui frictionna les épaules et dit :
" Elle n'y est plus. Mais quand il a fini ses frictions, Anne Catherine dit : " il ne l'a qu'un peu déplacée, il faut que je supporte aussi cela. "

27 Janvier. La maladie est toujours la même : son corps maigrit encore, s'il est possible ; les sueurs continuent, ainsi que les douleurs de goutte, qui changent continuellement de place, et le sentiment des pouces et des doigts tordus. La fièvre est plus rare, pouls comme celui d'un mourant. Le 25, elle fut prise de nausées subites et d'un fort vomissement de sang, son corps ressemblait à une masse informe. Elle resta ainsi plusieurs heures livrée à de grandes douleurs, mais souffrant patiemment et priant en silence : puis cet état disparut, et Anne Catherine dit qu'elle avait vu une personne malade dont le corps était ainsi déformé. Elle avait prié pour elle, et c'était alors qu'elle s'était trouvée si mal et qu'elle était tombée dans cet état.

Le 29 janvier la fièvre semble diminuer un peu, elle est dans un état de prostration effrayante et ressent de nouvelles douleurs dans le bas ventre. Toutes ces souffrances et ces états correspondent exactement à des états et à des travaux spirituels et relatifs à l'Eglise. Anne Catherine le sait bien, mais dans l'état de veille, elle est rarement en état d'en rendre compte.
Le 29 au soir, ses tortures augmentèrent encore après une journée de souffrances. Elle dit tout à coup : "Qu'est ce que cette clarté qui est au dessus de moi avec une couronne de fleurs ? " Et aussitôt ses douleurs l'assaillirent. La douleur la faisait trembler de tous ses membres, ses muscles se retiraient convulsivement, tous les symptômes d'une fièvre inflammatoire se manifestaient.
Le 30 au soir, elle voit de nouveau une pluie de feu tomber sur elle, et ses douleurs de bas ventre augmentent, prenant sans cesse de nouvelles formes. Elle raconte le 31 au matin, que quelque chose s'est détaché en elle, lui a monté dans le cou, et qu'elle a retiré de son gosier avec le doigt un corps visqueux, compact de la longueur du doigt. Elle avait eu une vision sur le danger de son état, et elle se fit mettre sur le ventre des cataplasmes de camomille et de rue trempés dans du vin chaud : elle se fit aussi frictionner avec de l'huile bénite. Cet état dura trois jours, "car elle s'était chargée de quelque chose à souffrir " disait elle. Sa plus cruelle souffrance était dans les reins et dans la rate, et la douleur montait jusqu'aux cavités des bras. Ses souffrances étaient grandes mais sa patience les égalait. Tout en gémissant elle ne parlait que de Dieu et du bonheur de souffrir, priait pour les pauvres âmes qui avaient encore plus à souffrir qu'elle, et conseillait d'étendre la souffrance sur toute la vie, car il est plus difficile de mourir que de vivre.
Plus d'une fois Anne Catherine, au milieu de ses horribles douleurs dont l'extase elle même ne diminuait pas la vivacité, s'était soulevée le soir sur son lit et avait prié d'une manière touchante, comme si elle en rendait grâces à Dieu. Elle trouvait la force de supporter tout cela non seulement dans le Saint Sacrement, mais encore dans d'autres consolations sur lesquelles elle ne s'expliqua qu'en peu de mots dans les premiers jours du mois de février : " Combien, disait elle, j'ai été merveilleusement soutenue par Dieu au milieu de ces souffrances ! La plupart du temps, je voyais devant moi ou près de moi, planer comme une table de marbre blanc sur laquelle se trouvaient des vases de toute espèce avec des sucs et des herbes. Je voyais tantôt un saint martyre, tantôt un autre, homme ou femme, venir à moi et m'apprêter un remède : c'était parfois un mélange, parfois quelque chose qu'on pesait comme sur une balance d'or. Souvent on me donnait à sentir des bouquets de fleurs, souvent quelque chose à sucer. Ces remèdes calment souvent la douleur, plus souvent encore ce sont des moyens fortifiants qui aident à supporter beaucoup de souffrances qui s'entremêlent et qui viennent immédiatement après. Je vois cela si distinctement et dans un ordre si régulier, que j'ai quelquefois peur que mon confesseur en allant et venant ne renverse cette pharmacie céleste. " Il en fut ainsi tout le temps que dura la maladie.
Tel est le compte rendu d'un seul mois : on pourrait en donner de semblables sur tous les mois de sa vie, mais celui ci suffira au lecteur pour reconnaître sur quel arbre de tortures sans nom ont mûri les fruits précieux qui lui sont présentés dans les visions de cette servante de Dieu si accomplie et favorisée de tant de grâces. Ce furent précisément les belles visions relatives aux noces de Cana et à l'Enfant Jésus parmi les docteurs du temple, qu'Anne Catherine eut pendant ce mois. Combien ne lui a-t-il pas été difficile d'en communiquer les fragments que le pèlerin a sauvés si fidèlement de cet océan de souffrances !

XV

Il reste encore à parler plus au long de la manière dont les visions étaient communiquées au pèlerin par Anne Catherine, et de la manière dont celui ci s'y prenait pour les recueillir. Mais ce dernier point né serait pas bien apprécié, si l'on n'exposait pas l'ensemble des rapports dans lesquels le pèlerin se trouvait avec Anne Catherine.
On a déjà dit plus haut qu'Anne Catherine avait eu de visions dès sa première jeunesse, qu'elle en avait eu l'intelligence, et en avait parlé avec une simplicité naïve aux personnes de son entourage. Mais bientôt ces communications furent repoussées, et, malgré les fréquentes injonctions d'en faire part qui lui furent données intérieurement, ce ne fut que dans sa quarante troisième année qu'il arriva à Anne Catherine de trouver quelqu'un auquel elle pût s'ouvrir conformément aux avertissements donnés. Bien des fois elle avait demandé à ses confesseurs de vouloir bien l'écouter pour l'amour de Dieu ; mais elle n'avait jamais obtenu qu'aucun d'eux se donnât la peine de prendre une connaissance approfondie de ces communications, et d'examiner avec quelle attention quelle en pouvait être la valeur. Elle avait lieu de se féliciter quand on ne la rebutait pas comme un cerveau malade, infatué de rêveries extravagantes, et qu'on se bornait à lui exprimer le désir de ne plus entendre de pareilles choses. On peut trouver ces procédés inexplicables et même inexcusables, car, puisqu'il s'agissait d'une personne d'une sainteté notoire, la plus simple équité exigeait qu'on reçût au moins ses communications comme à l'essai, sauf à aller plus avant, après examen, en se dirigeant d'après les règles d'une direction spirituelle éclairée j mais on s'étonnera moins en pensant à la faiblesse humaine prise en général, et au caractère particulier de l'époque à laquelle vivait Anne Catherine.
Dans sa vingt huitième année, elle entra au couvent des Augustines, à Dulmen. Elle y fut comme une apparition étrange et tout à fait incomprise, car avec l'austérité de la discipline claustrale et la pratique de la vie vraiment intérieure et contemplative, on avait aussi perdu la règle d'après laquelle devait être appréciée une créature si merveilleuse et comblée de tant de grâces. La perfection exemplaire d'Anne Catherine, loin d'être considérée comme un modèle à imiter pour ses compagnes, faisait plutôt qu'on l'évitait et qu'on la craignait comme un moniteur incommode et importun. En outre, le temps de son séjour au couvent fut trop court pour qu'elle pût accomplir une réforme semblable à celles dont des âmes favorisées de grâces analogues furent souvent les instruments à d'autres époques.
Lorsqu'après la suppression violente du couvent elle fut forcée de rentrer dans le monde, ce fut un religieux français émigré, le bon et pieux P. Lambert, qui se chargea de sa direction spirituelle. Mais d'une part, la vieillesse, les infirmités, les soins d'une existence précaire ; d'autre part la méfiance poussée jusqu'à la persécution avec laquelle laïques et ecclésiastiques observaient Anne Catherine et la soumettaient à des enquêtes impitoyables, jusqu'à mettre sa vie en danger, avaient rendu ce pauvre homme tellement timide que souvent il suppliait sa fille spirituelle de garder le silence sur ses visions, et de tout étouffer plutôt que d'exposer elle et lui à de nouvelles vexations. Quoique pleinement persuadé de la vérité de ses assertions et de la sainteté de sa vie, le P. Lambert ne possédait pas la forcé d'esprit nécessaire pour apprécier tout ce qu'il y avait là d'important, et pour pouvoir se mettre en mesure de comprendre et de recueillir les communications comme il l'eût fallu. Ce qui caractérise bien toute la manière d'être de cet excellent homme, c'est qu'au bout de quelques années, Anne Catherine fut obligée de prendre un autre confesseur, car, accoutumé à avoir recours, pour toutes ses affaires temporelles, aux conseils éclairés et à l'assistance d'Anne Catherine, il en vint à peu près à s'en remettre pour tout le reste à son intelligence supérieure, et Anne Catherine vit bien qu'elle ne tarderait pas à conduire au lieu d'être conduite, et qu'ainsi elle serait privée de toute direction spirituelle Mais elle lui voua jusqu'à sa mort la sollicitude la plus touchante et la plus dévouée, prenant ses douleurs sur elle, lui obtenant des grâces sans nombre et lui donnant toute espèce d'assistance ; aussi, le P. Lambert, dans sa dernière maladie. Lorsqu'il recevait un soulagement inattendu ou une consolation intérieure, s'écriait souvent en versant des larmes de reconnaissance : "C'est ma Soeur qui a fait cela "
Son successeur fut un homme beaucoup plus jeune, l'ex dominicain Limberg, religieux d'une grande piété, mais d'un caractère difficile et scrupuleux, qui ne voulait pas entendre parler de visions, et qui qualifiait tout simplement de rêveries tout ce qu'Anne Catherine voulait lui exposer pour obéir à des injonctions de plus en plus pressantes.
Même à l'époque où le pèlerin vint entreprendre le travail si pénible de la mise en oeuvre des visions, rien ne put décider Limberg à venir en aide a la Soeur accablée sous le poids de ses continuelles et indicibles souffrances, et à faire usage de son autorité de confesseur pour faciliter, régler bien des choses, et empêcher les dérangements venant du dehors. Il se réjouissait à la vérité, quand le pèlerin réussissait à sauver tel ou tel récit ; mais bientôt après il tombait dans le trouble et l'inquiétude pour peu qu'il eût avoir à craindre que cela ne fit du bruit, ou ne fit tenir des propos.
Les choses allèrent ainsi jusqu'au moment ou Overberg devint le confesseur extraordinaire d'Anne Catherine. S'étant convaincu, après un long et scrupuleux examen, de la réalité de son état merveilleux, il ne pouvait manquer de désirer que ses visions tussent conservées, pour le plus grand bien des contemporains et de la postérité ; mais ses devoirs d'office ne lui permettaient pas de quitter longtemps Munster et de se charger lui même de ce difficile travail. Le pieux comte de Stolberg et l'évêque de Ratisbonne, Sailer(7), arrivèrent à 1& même conviction qu'Overberg, et ce fut par leur intermédiaire que Clément Brentano trouva accès et accueil très bienveillant auprès Anne Catherine.

Note 7: Sailer fit sa première visite à Anne Catherine dans l'automne de 1818. Il en parla ainsi à Kellermann, alors majordome de la maison de Stolberg. Elle est extrêmement réservée sur tout ce que Dieu lui communique dans ses visions : c'est l'humilité même. La candeur et la simplicité qu'elle met dans ses récits sont déjà, à elles seules, ses meilleures et ses plus sûres lettres de créance. (extrait d'un manuscrit de Kellermann).
Anne Catherine parlant plus tard au docteur Wesener de la visite de Sailer, lui dit qu'elle en avait retiré beaucoup de consolation et un grand profit pour son âme. (Extrait du journal de Wesener.)
On doit encore, à cette occasion, mentionner avec reconnaissance un homme qui, depuis l'année 1813 jusqu'à la mort d'Anne Catherine fut le plus fidèle ami de celle ci : nous voulons parler du docteur Wesener de Dulmen.
L'éditeur possède une copie de son journal, et même le procès verbal qu'il avait dressé le 22 mars 1813 sur les stigmates d'Anne Catherine. À dater de ce jour, il la visita journellement pendant une suite d'années, et il tint sur ses observations médicales un journal exact, dans lequel il consignait avec une simplicité touchante tous les entretiens qu'Anne Catherine avait d'ordinaire avec lui sur des sujets religieux. Comme une fois il exprimait un regret sur ce que les saints Evangiles disent si peu de chose de la jeunesse du Sauveur, Anne Catherine lui répondit, à ce qu'il rapporte dans son journal du le' mai 1813 : "Je connais tout dans les plus petits détails, comme si je l'avais vu moi même Je sais aussi très exactement l'histoire de la mère de Jésus. "Elle s'étonnait elle même, ajoute Wesener, de ce que tout se présentait à elle avec des traits si vifs, quoiqu'elle n'eût pas pu lire tout cela. Elle promit de me raconter deux choses. Le 27 mai, comme il lui rappelait sa promesse, elle commença « par me parler de l'assurance donnée à sainte Anne que le Messie naîtrait de sa race. Anne, à la vérité, avait eu plusieurs enfants, mais elle avait bien vu que le vrai rejeton n'était pas encore venu, et pour cela elle avait imploré l'accomplissement de la promesse, en multipliant les jeunes, les prières et les sacrifices. Wesener continue de cette manière à rendre compte de ce qui lui a été communiqué jusqu'au mariage de Marie avec saint Joseph, et il termine son compte rendu en rapportant ce que lui a dit Anne Catherine : " qu'elle voudrait seulement être en état d'écrire, parce qu'alors, croit elle, elle écrirait tout un livre rempli des visions qu'elle a déjà eues. "Or, ce que donne Wesener est une fidèle esquisse de ce que le pèlerin put recueillir plus tard à la suite d'un récit plus détaillé d'Anne Catherine. Wesener fut donc le premier qui, ravi de la profondeur et de la beauté intérieure de plusieurs choses sorties de la bouche d'Anne Catherine, mit par écrit ce qu'il put en entendre. Cela se réduit assurément à peu de chose, mais ce peu, par sa conformité avec les rédactions du pèlerin, non seulement quant à la substance, mais aussi quant à la forme, en tout ce qui est essentiel, est de la plus haute importance ; car ces notes écrites avec une grande simplicité et tout à fait sans prétention prouvent avec quelle fidélité consciencieuse le pèlerin a reçu et reproduit les communications d'Anne Catherine.
Le pèlerin fut introduit par Wesener auprès d'Anne Catherine. Voici ce que ce dernier dit à ce sujet dans son journal : "Jeudi 24 septembre 1818, le frère de M. Brentano est venu chez moi, avec le désir de pouvoir faire connaissance avec la malade. Il s'appelle Clément, et jusqu'à ce moment il a vécu à Berlin sans y avoir de profession. Comme il me paraît avoir très bonne volonté, je l'ai annoncé à la malade. Celle ci s'est montrée disposée à le recevoir tout de suite, et je lui ai amené. "
2 octobre "La malade a pris Clément Brentano en affection, quoiqu'à certains égards elle paraisse préférer son frère. Du reste, ce que je prévoyais est arrivé. La maladie trouve de l'édification et un plus grand recueillement dans ses rapports avec Brentano, parce qu'il la préserve, par ses fréquentes visites, de beaucoup d'ennuis venant du dehors. M. Clément Brentano a loué un logement dans la maison de la malade, et il l'observe avec beaucoup de soin. "

Mercredi 23 décembre. " Il y a une lacune depuis le 18 octobre jusqu'à ce jour ; mais cette lacune est comblée par un trésor d'expériences faites par un observateur qui m'est bien supérieur en pénétration et en instruction : c'est M. Clément Brentano, dont j'ai déjà parlé. "
Voyons maintenant comment le pèlerin lui même s'exprime dans son journal sur sa première visite à Anne Catherine. "J'arrivai à Dulmen vers dix heures Wesener, médecin de la soeur Emmerich, m'annonça à elle afin qu'elle ne fût pas trop intimidée. Elle se montra fort aise de me voir. Après avoir traversé une grange et de vieux celliers, on monte par un escalier tournant en pierre : nous frappâmes à la porte : sa soeur, qui la sert, ouvrit la porte : nous entrâmes par la petite cuisine dans la chambre de l'angle où elle est couchée. Elle me tendit joyeusement ses mains stigmatisées et me dit : "voyez comme il ressemble à son frère ! "(Elle voulait parler de Christian Brentano avec lequel elle avait fait connaissance cinq mois auparavant). Je ne ressentis aucune émotion pénible en voyant les cicatrices de ses mains. Je me réjouissais de ce qu'elle portait sur elle un signe si noble et si saint, et je me sentais porté à une joie intérieure extraordinaire par son visage pur et candide et par la vivacité doucement enjouée de sa conversation. J'étais tout à fait comme chez moi, j'avais l'intelligence et le sentiment de tout ce qui m'entourait.
Je ne trouvai dans toute sa personne aucune trace de tension ni d'exaltation, mais un enjouement plein de simplicité pure et une espièglerie innocente. Tout ce qu'elle dit est prompt, bref, simple, naïf, sans retours complaisants sur elle même, avec cela plein de profondeur, plein d'amour, plein de vie, et pourtant tout à fait rustique. On y reconnaît une âme délicate, sensée, fraîche, chaste, éprouvée, parfaitement saine. Elle vit au milieu de l'entourage le plus incommode et le plus inintelligent, composé de bons ecclésiastiques, de braves gens simples et grossiers, et d'une méchante soeur : toujours malade à la mort, soignée d'une façon maladroite et grossière, dirigeant tout, menant tout le ménage, travaillant, abandonnée, martyrisée, entourée de bruit, tantôt regardée curieusement comme une bête extraordinaire, tantôt vexée par sa soeur comme une Cendrillon, menant une vie misérable, mais toujours affectueuse, toujours en lutte avec d'immenses douleurs qu'elle souffre pour les péchés d'autrui. Tout ce qui la gêne extérieurement pourrait être changé sans qu'il y eût la plus petite dépense à faire à ce ne sont que de petites misères, mais qui la tourmentent comme un essaim de mouches, et il est difficile d'y remédier. Regardant bien plus haut que toutes ces personnes, elle honore en elles les desseins de Dieu, qui veut l'éprouver et l'humilier. Faisant de Jésus sa société et jouissant de son Seigneur, la fiancée de Dieu se courbe, joyeuse, sous le fouet des valets. Elle ne se borne pas à porter les stigmates : elle est incessamment crucifiée et prie pour ses bourreaux : il n'y a pas jusqu'à l'affection que plusieurs lui témoignent qui ne soit une lourde peine. "
Son confesseur, le dominicain Limberg, homme simple, innocent, humble, du coeur le plus pur, mais peu instruit, a en elle un fardeau merveilleux qui le porte à son tour. Que de choses inouïes, étourdissantes, il découvre tous les jours en elle ! Si elle est en extase, et que par hasard il approche d'elle ses doigts consacrés, elle lève la tête et les suit des yeux, et quand il les retire elle retombe sur elle même. Et il en est de même pour tous les prêtres : dans l'extase, elle saisit vivement les doigts consacrés, et avec tant de force, qu'on ne peut pas les retirer. Une fois, étant tombée en extase pendant une conversation sur le sacrement de l'Ordre, elle dit que, même dans l'enfer, ces doigts du prêtre se reconnaissaient encore à une marque particulière. Celui qui, comme moi, a vu cela fortuitement sent bien que la consécration sacerdotale est quelque chose de plus qu'une pure cérémonie : c'est un fleuve vivant qui a sa source dans la vie de Jésus. "
Anne Catherine témoigna tout d'abord au pèlerin une naïve et touchante confiance : car tout son intérieur était complètement dévoilé à ses yeux : elle voyait cette âme noble et élevée avec la plénitude des dons si rares qui plaçaient Clément si fort au dessus de la plupart de ses contemporains, décidée maintenant à vouer le reste de ses jours à la tâche qu'elle même avait à remplir, et qu'elle n'aurait pas pu mener à bien sans lui. Elle lisait dans ses pensées les plus secrètes, les lui faisait souvent connaître avant qu'il en eût clairement la conscience ; lui même, dans sa droiture et dans sa simplicité, n'hésitait pas à consigner dans son journal, avec une fidélité surprenante, celles mêmes de ces révélations qui pouvaient le faire rougir.
Anne Catherine reçut de son conducteur spirituel l'injonction d'être communicative à l'endroit du pèlerin et elle avoua à celui ci a qu'elle sentait qu'elle avait eu inutilement des grâces et des visions innombrables, parce qu'elle n'avait personne à qui elle pût en faire part. Le Père l'avait souvent jetée dans les plus grand doutes, parce que, sans vouloir rien examiner, il traitait tout cela de pures rêveries : mais son ange lui avait toujours réitéré les mêmes injonctions : il faut que tu le dises même quand on se moquerait de toi. Si elle cherchait à s'excuser en disant : Mais je ne sais pas m'exprimer, la réponse était toujours : Dis le comme tu pourras. Elle avait raconté cela au Père, mais il ne voulait pas l'écouter. "
Le pèlerin lui ayant dit une fois qu'il ne pouvait pas croire que tout ce qu'elle avait vu depuis sa jeunesse lui eût été donné pour elle seule, Anne Catherine en tomba d'accord : "J'ai la même persuasion, lui dit elle, car il m'a été ordonné, depuis longtemps déjà, de tout raconter, quand même le monde devrait me regarder comme folle : mais personne n'avait jamais voulu m'écouter et les choses les plus saintes que j'eusse vues et apprises, étaient si mal entendues s et accueillies d'une façon si injurieuse que, craignant de les exposer au mépris, je renfermais tout en moi même avec une grande tristesse ; Plus tard, j'ai vu dans le lointain un homme étranger (8) qui venait à moi et écrivait beaucoup auprès de moi : cet homme, je l'ai retrouvé et reconnu dans la personne du pèlerin. "

Note 8: C'était le 28 octobre 1818 qu'elle avait fait la première ouverture à ce sujet : " Je vais vous faire plaisir, dit elle, j'ai rêvé une fois que deux hommes bruns venaient me voir : ils parlaient autrement qu'on ne fait ici : ils me montraient beaucoup d'amitié et de confiance et restèrent très longtemps avec moi. Je crus que c'étaient des Juifs. Le pèlerin ajoute : " C'étaient Christian et Clément. "
"J'ai, depuis mon enfance, l'habitude de prier tous les soirs pour tous les accidents, comme chutes, naufrages, incendies, etc., et je vois toujours, après avoir prié, des scènes en grand nombre ou des accidents de ce genre qui aboutissent heureusement. Mais quand j'ai omis cette prière, j'apprends ou je vois toujours quelque grand malheur, ce qui me fait voir non seulement la nécessité de cette prière spéciale, mais le profit qu'il y a à ce que je communique cette persuasion que j'ai et les avertissements intérieurs que Je reçois à ce sujet, parce que cela peut suggérer la pensée de cette oeuvre de charité à d'autres personnes qui n'en voient pas les effets comme moi. "
"Les nombreuses et surprenantes communications de l'Ancien et du Nouveau Testament, les scènes innombrables de la Vie des saints, etc., m'ont toutes été données par la miséricorde de Dieu, non seulement pour mon instruction, car il y a bien des choses que je ne pouvais pas saisir, mais pour être communiquées, et pour remettre au jour des choses cachées et plongées dans l'oubli. J'en ai toujours reçu l'ordre à plusieurs reprises : je l'ai raconté aussi bien que je l'ai pu, mais on ne se donnait même pas la peine de m'écouter : il me fallait donc le renfermer en moi même et j'oubliais nécessairement une foule de choses. Mais j'espère que maintenant Dieu donnera ce qui sera nécessaire. "
Une autre ouverture, sur le même sujet, que fit Anne Catherine étant en extase, mérite aussi considération : " Je sais, dit elle, que je devrais être morte depuis de longues années, car je viens d'avoir une vision où j'ai appris que je serais morte il y a longtemps si tout ne devait pas être connu par le moyen du pèlerin. Il doit tout écrire car mon affaire à moi est de prophétiser, c'est à dire de faire connaître les visions. Et quand le pèlerin aura tout mis en ordre et que tout sera fini, il mourra aussi. " Ceci s'est accompli à la lettre.
Mais la communication la plus étendue et la plus caractéristique qu'Anne Catherine ait faite sur ses visions et sur sa tâche prophétique eut lieu le 2 février 1821. Comme le pèlerin lui parlait des grâces singulières qu'elle recevait si abondamment et dont une grande partie se perdait parce qu'elle était dérangée, ou troublée, ou accablée par la souffrance : " Oui, dit elle, mon fiancé m'a aussi dit cela cette nuit, comme je me plaignais de ma détresse, de ma misère, de voir tant de choses que je ne comprenais pas, etc. Il m'a dit qu'il ne me donnait pas mes visions pour moi, qu'elles m'étaient envoyées pour que je les fisse recueillir, et que je devais les communiquer. Ce n'est pas maintenant le temps de faire des miracles extérieurs. Il donne ces visions et il en a toujours agi de même, pour prouver qu'il veut être avec son Eglise jusqu'à la fin des siècles Les visions (c'est à dire la contemplation seule) ne sauvent personne : il faut pratiquer la charité, la patience et toutes les vertus. Il me fit voir ensuite une série de saints qui avaient eu des visions de toute nature, mais qui n'étaient arrivés au salut qu'en utilisant ce qu'ils y avaient appris. Je vis ensuite des scènes de la vie de différents saints et je vis que la plupart du temps leurs visions avaient été tronquées et mal comprises de ceux qui les avaient mises par écrit. Je vis combien plusieurs d'entre eux eurent à souffrir à ce sujet et comment sainte Thérèse craignit bien longtemps d'être le jouet d'une illusion diabolique, par suite de l'absurdité de ses confesseurs. Elle nomme alors sainte Thérèse, sainte Catherine de Sienne, sainte Claire de Montefalco, sainte Brigitte, sainte Hildegarde, sainte Véronique Giuliani, la vénérable Marie de Jésus, etc., comme lui ayant toutes été montrées, et elle dit beaucoup de choses sur la nature de leurs visions, dont elle n'a qu'une connaissance intérieure. Elle voit que l'effet de ces visions a été détruit en grande partie par les suppressions ou les changements qu'y ont faits des prêtres savants, mais manquant de simplicité et ne comprenant pas la manière dont ces tableaux se produisent. On a souvent rejeté beaucoup de choses parce qu'on ne pouvait pas dégager la pure vision historique d'autres représentations qui s'y mêlaient et où le contemplatif agissait par la prière. J'en vois d'autres étonnamment prolixes où chaque grâce est accompagnée d'un tel flux de paroles que personne ne trouve plus rien de substantiel qu'il puisse s'approprier. Les visions de sainte Hildegarde ont été écrites par elle même avec la plus grande fidélité, parce qu'avec elles elle a reçu de Dieu le don d'écrire. Cependant, il y a beaucoup d'altérations dans ce qui en a été imprimé. Même dans les écrits imprimés de sainte Thérèse, on a fait des changements. Sainte Françoise Romaine a eu beaucoup de visions du même genre (qu'Anne Catherine), mais elles ont été très mal reproduites. Elle a vu comment la manie des confesseurs de tout accommoder à leur manière d'entendre l'Evangile a fait disparaître bien des choses. Et pourtant, peu de semaines auparavant, avant que cette injonction répétée lui eût été faite, Anne Catherine, assaillie de douleurs innombrables et craignant de ne pouvoir pas en supporter la violence, avait supplié Dieu de lui retirer les visions.
Voici ce qu'elle raconta le 1er janvier 1821 : " J'ai demandé de tout mon coeur près de la crèche que Dieu me soulageât un peu et voulût bien me décharger d'un fardeau ; qu'au moins il retirât à l'enfant son affreuse toux convulsive (c'était l'enfant de son frère qui demeurait près d'elle, et dont l'interminable toux convulsive allait bien plus au coeur d'Anne Catherine que ses propres souffrances) : mais je n'ai pas été écoutée et aucune espérance ne m'a été donnée ! j'ai fait à Dieu une querelle dans les règles, je lui ai rappelé comment il a promis de tout exaucer, et dans quels cas ; je lui ai cité plusieurs exemples, mais il ne m'a pas écoutée et j'ai compris que cette année je serais encore plus fortement éprouvée qu'à l'ordinaire. Hier encore, j'ai prié Dieu ardemment de me retirer les visions, afin d'être délivrée de l'obligation de les raconter et de la responsabilité qui s'y attache. Mais je n'ai pas été exaucée, et il m'a été dit, comme de coutume je dois raconter tout ce que je serais en état de, et cela quand même on se moquerait de moi. Je ne puis comprendre à qui cela servira. Il m'a été dit encore que personne n'a vu tout cela de la même manière et dans la même mesure que moi : que d'ailleurs ce ne sont pas mes affaires, que c'est l'affaire de l'Eglise. C'est un grand malheur qu'il s'en perde tant, et il en résulte une grande responsabilité. Bien des personnes, qui sont cause que je n'ai jamais de repos et le clergé qui manque d'hommes et qui manque de foi pour faire cela, auront un terrible compte à rendre. J'ai vu aussi tous les obstacles que le démon a suscités. "


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - XIV