Brentano: Visions de la Bse Emmerich - CHAPITRE PREMIER - Scènes de la Jeunesse de Jésus jusqu'à la mort de saint Joseph.


CHAPITRE SECOND. Commencement de l'histoire de la prédication de Jésus : depuis la mort de saint Joseph jusqu'au moment où Jésus va au Jourdain pour son baptême (Du 2 juin au 27 septembre 1821.)

- Jésus va à Hébron, à la mer Morte, sur la rive orientale du Jourdain, sur la rive occidentale, près du lac de Génésareth, à Sidon et à Sarepta, il revient à Nazareth.
- Le sanhédrin se déclare contre Jésus.
- Jésus à Nazareth, à Capharnaüm, à Bethsaide, à Bethulie, à Kedès, à Jezrael, au séjour des publicains, à Kimki.
- Promenades et conversations avec l'essénien Eliud, dans la vallée d'Esdrelon, à Nazareth, à Gophna, à Béthanie.
- Marie la Silencieuse soeur de Lazare. - Séjour à Béthanie.
- Jésus se rend avec Lazare au lieu où l'on baptise près du Jourdain.

Remarque de l'éditeur.
Plus d'un lecteur pourra d'abord trouver étrange que les visions de ce chapitre lui montrent déjà le Sauveur enseignant et opérant des miracles, tandis qu'on est généralement habitué à se représenter la prédication de Jésus et son action miraculeuse comme ne commençant qu'après son baptême. Il pourrait facilement arriver qu'on voulût voir là une contradiction entre les visions et les saints Evangiles, parce que saint Jean (Jn 2,11), rapporte que le Sauveur a donné commencement à ses miracles par le changement de l'eau en vin à Cana. Cette contradiction toutefois n'est qu'apparente, et il est facile de l'expliquer. En effet, c'est dans les quatre mois qui, d'après les visions, se sont écoulés depuis la mort de saint Joseph jusqu'au baptême de Jésus dans le Jourdain, que tombe l'action publique de Jean Baptiste, le précurseur chargé de préparer les voies du Seigneur. Celui ci commença à baptiser et à prêcher sur les bords du Jourdain, à peu près au moment même où Jésus, encore inconnu et regardé seulement comme un saint docteur et un prophète à cause de la charité inexprimable, de la majesté et de la mansuétude qui se manifestaient dans sa personne, parcourait la Judée, la Pérée et la Galilée, allant même jusqu'à Sidon et à Sarepta. Dans ces courses le Sauveur suivait les traces des anciens prophètes, visitait tous les lieux où il s'était passé quelque chose de figuratif se rapportant à lui, afin de donner leur accomplissement à toutes les promesses, à toutes les préparations, à toutes les figures. En même temps il pratiquait les oeuvres de charité les plus pénibles et les plus humbles qu'il ne devait plus opérer de la même manière dans les années de prédication qui devaient suivre, parce que son temps devait être autrement employé : mais surtout il adressait à Jean tous ceux qui l'écoutaient, les exhortant à aller au Jourdain et à recevoir le baptême de la main de Jean. Dans cette période, le Sauveur ne parle nulle part de lui même, il ne révèle nulle part qu'il est le Messie annoncé par Jean. Il parle uniquement de Jean, de la pénitence qu'il prêche et de son baptême.
A cela correspond aussi le caractère du petit nombre de guérisons miraculeuses dont parlent les visions de cette période. Elles font partie de ces prodiges que Maldonat et après lui Cornélius a Lapide rangent parmi ceux que Jésus a opérés plus secrètement et sans avoir directement en vue de se manifester comme le Messie attendu. Quant aux miracles opérés dans ce dernier but, le Sauveur leur a donné commencement à Cana, ainsi que cela est expliqué en son lieu d'après les visions de la manière la plus profonde : mais à vouloir affirmer que le miracle de Cana fut la première de toutes les opérations miraculeuses de Jésus, on serait aussi peu croyable, dit Maldonat, qu'en prétendant que la première instruction de Jésus après son baptême fut aussi la première qu'il eût jamais faite.

(Du 3 au 22 juin.) Comme Jésus allait de Capharnaüm à Hébron, par Nazareth, il vint dans la contrée où plus tard il nourrit un peuple nombreux en multipliant les pains et aussi dans le voisinage de l'endroit où il fit dans la suite une partie du sermon sur la montagne. Vis à vis de cette montagne, à peu près à une lieue, du côté exposé au soleil où tout mûrit si bien, il y avait une fête populaire dans un endroit très agréable, situé tout contre la route (plus tard elle dit d'une manière plus précise qu'il s'agissait des bains attenant au lac de Bethulie, situé dans le district de Génésareth, et qu'on appelait aussi la fontaine de Capharnaüm). Jésus en passant vit là des hommes et des femmes séparés en groupes qui jouaient aux gageures : l'enjeu consistait en fruits.
Ce fut là que Jésus vit Nathanaël, surnommé Khased, debout à l'endroit où se tenaient les hommes, sous un figuier et comme Nathanaël, en regardant jouer les femmes, était assailli d'une tentation de la chair contre laquelle il luttait, Jésus en passant le regarda fixement comme pour l'avertir. Nathanaël, sans connaître Jésus, fut profondément ému de ce regard : cet homme, pensa-t-il, a l'oeil pénétrant. Jésus lui fit l'effet d'être plus qu'un homme ordinaire. Il se sentit atteint, rentra en lui même, surmonta la tentation et fut, à dater de ce moment, beaucoup plus fort contre lui même. Il me semble avoir aussi vu là Nephtali, surnommé Barthélémy, et je crois que lui aussi fut vivement touché d'un regard de Jésus.
Marie resta à Nazareth avec Marie de Cléophas, dont le troisième mari Jonas, dirigeait le ménage dans la maison de sainte Anne. Jésus alla avec deux de ses amis d'enfance à Hébron, dans la Judée. Ceux ci ne lui restèrent pas fidèles ; ils devinrent ses ennemis, et ce ne fut qu'après la résurrection, lors de sa manifestation sur la montagne de Thébez, en Galilée, qu'ils se convertirent et se réunirent à la communauté chrétienne.

(5 juin.) J'ai vu Jésus visiter Lazare à Béthanie. Lazare paraissait beaucoup plus âgé que Jésus : il me semblait au moins avoir huit ans de plus. Il avait un grand étal de maison avec beaucoup de serviteurs, de propriétés et de jardins. Marthe avait sa maison à elle, et une autre soeur, nommée Marie, qui vivait tout à fait retirée, avait aussi sa demeure à part Madeleine habitait dans le château de Magdalum. Lazare connaissait depuis longtemps déjà la sainte Famille : il avait précédemment aidé Joseph et Marie dans leurs nombreuses aumônes. Je vis aussi plus clairement que je ne l'avais fait encore, combien Lazare a fait pour la communauté chrétienne depuis le commencement jusqu'à la fin : c'était lui qui remplissait la bourse que portait Judas et qui avait fait les premiers frais de tout. Jésus fut aussi au temple à Jérusalem.

(6 juin.) A Hébron Jésus se sépara de ses compagnons. Il dit qu'il avait un autre ami à visiter. Zacharie et Elisabeth ne vivent plus. Jésus alla dans le désert où Elisabeth avait porté Jean encore enfant. Il était situé au midi entre Hébron et la mer Morte. On franchissait d'abord une montagne élevée, couverte de cailloux blancs, et on descendait ensuite dans une jolie vallée où il y avait des palmiers. C'est là que je vis aller Jésus.

(7 juin.) Jésus est allé dans la grotte où Jean fut d'abord conduit par Elisabeth. Il a passé ensuite une petite rivière que Jean aussi avait traversée. Je le vis seul et en prières, comme s'il se préparait à sa carrière de prédication.

(8 11 juin) Je vis Jésus revenir du désert à Hébron. Partout il prêtait une main secourable. Ainsi je vis que près d'un grand amas d'eau, c'était de l'eau salée (vraisemblablement la mer Morte), il vint en aide à des gens embarqués sur une espèce de radeau, au dessus duquel était dressé un pavillon. Il y avait là des hommes, des animaux et des bagages. Jésus les appela et poussa une poutre du rivage jusqu'à leur embarcation. Il les aida à débarquer et travailla avec eux à réparer leur bateau. Ces gens ne pouvaient s'imaginer qui il était, car sans avoir rien qui le distinguât des autres dans ses vêtements, toute sa personne était si merveilleusement attrayante et si pleine de dignité qu'ils en étaient grandement émus. Ils crurent d'abord que c'était Jean Baptiste, qui avait déjà paru sur les bords du Jourdain : mais ils reconnurent bientôt que ce n'était pas lui, car Jean était plus brun et avait des dehors plus rudes. Jésus célébra le sabbat à Hébron. Il congédia là ses compagnons de voyage. Il alla visiter des malades dans leurs maisons, les consola, les assista, les soulevant, les portant, arrangeant leurs couches ; mais je ne je vis pas guérir. Il se montrait bienfaisant envers tous et excitait partout l'admiration. Je le vis aller vers des possédés, qui devinrent tranquilles quand il fut près d'eux : cependant il ne chassa pas de démons. Il relevait ceux qui tombaient, donnait à boire à ceux qui avaient soif, indiquait les sentiers et les gués à ceux qui cheminaient, et tous étaient dans l'admiration de ce voyageur si charitable. Dans la nuit du samedi il quitta Hébron, et le dimanche au matin il arriva à l'embouchure du Jourdain dans la mer Morte. Il traversa là le Jourdain et, remontant la rive orientale du fleuve, il se dirigea vers la Galilée.

(12 juin.) Je vis Jésus dans ces derniers jours aller à l'orient de la mer de Galilée, entre Pella et la contrée de Gergesa. Il fait de petits voyages, et partout il se montre secourable. Il va visiter tous 16 ; malades et même les lépreux : il les console, arrange leur couche, les exhorte à prier, leur indique un régime et des remèdes, et tous l'admirent. J'ai vu aussi dans un endroit deux personnes qui avaient connaissance des prophéties de Siméon et d'Anne, et qui lui demandèrent si c'était de lui qu'il s'agissait. Ordinairement des gens qui l'avaient pris en affection l'accompagnaient d'un lieu à l'autre. Les possédés devenaient tranquilles près de lui. Je l'ai vu cette nuit au bord d'un petit torrent (le Hiéromax)qui tombe dans le Jourdain au dessous de la mer de Galilée, non loin de cette montagne escarpée de laquelle, plus tard, il précipita les pourceaux dans la mer Au bord du torrent était une rangée de petites huttes en terre, semblables à des cabanes de bergers ; il s'y trouvait des gens qui construisaient des bateaux sur le rivage et qui ne pouvaient pas en venir à bout. Je vis Jésus aller à eux et les conseiller amicalement ; et je vis apporter des poutres, mettre là main à leur travail, leur montrer divers procédés à employer, et pendant le travail les exhorter à la charité et à la patience, etc.

(20 juin.) J'ai vu Jésus plusieurs autres fois depuis que je l'avais vu sur la rive orientale de la mer de Galilée, mais j'ai toujours tout oublié. Il revint sur le bord occidental, et je le vis cette nuit dans un petit endroit composé de maisons dispersées et situé sur un plateau élevé, entre deux collines, non loin de Capharnaüm, de Magdalum et de Domna, au nord est de Séphoris. Il s'y trouvait une synagogue. Les habitants étaient des gens dont personne ne s'occupait ; toutefois ils n'étaient pas méchants. Abraham avait possédé là des prairies pour les bêtes destinées aux sacrifices ; Joseph et ses frères gardaient leurs troupeaux dans les environs, et c'est dans cette contrée que Joseph fut vendu. Le lieu s'appelle Dothaim et doit être distingué de Dothan, qui est à environ quatre lieues de Samarie. C'était maintenant un petit endroit peu habité : mais le terroir était bon, et il s'y trouvait de nombreux pâturages qui s'étendaient de plain pied jusqu'à la mer de Galilée. Il y avait là une grande maison, comme une maison de fous, où demeuraient plusieurs possédés. Ils étaient furieux et se battaient à outrance lorsque Jésus arriva. Personne ne pouvait en venir à bout. Jésus entra pour les visiter et s'entretint avec eux. Alors ils devinrent parfaitement paisibles. Il leur fit une exhortation, et ils sortirent tranquillement de cette maison pour s'en retourner chez eux Les habitants étaient très étonnés de cela, ils ne voulaient plus laisser partir Jésus et on l'invita à un mariage. J'y ai vu pratiquer les mêmes usages qu'à Cana. Il n'assista à la fête que comme un étranger qu'on honore. Il tint des discours bienveillants et pleins de sagesse, et donna des avis au, fiancés. Ceux ci dans la suite, se joignirent aux disciples lors de l'apparition sur le mont Thébez.

(22 juin.) Aujourd'hui je vis notre Seigneur Jésus de retour à Nazareth : il y visita successivement les connaissances qu'y avaient ses parents, mais partout il fut reçu très froidement. Je vis cette nuit qu'il voulait aller dans la synagogue pour y enseigner, et qu'ils l'en empêchèrent : je vis aussi qu'il parla du Messie sur une place publique devant beaucoup de monde, devant des sadducéens et des pharisiens, disant que le Messie ne serait pas comme chacun se le figurait d'après ses désirs : il parla aussi de Jean Baptiste, qui était la voix dans le désert. Il avait été accompagné depuis le pays d'Hébron par deux jeunes gens qui portaient de longs vêtements avec une ceinture, comme les prêtres Je les vis ici, mais ils n'allaient pas toujours avec lui. Il célébra ici le sabbat.
(25 juin.) Je vis Jésus et Marie, en compagnie de Marie de Cléophas, des parents de Parménas et d'autres personnes, faisant une vingtaine en tout, quitter Nazareth et se rendre à Capharnaüm. Ils avaient avec eux des ânes portant des bagages. La maison de Nazareth resta parfaitement nettoyée et arrangée : comme on en avait tout enlevé et qu'on avait seulement disposé quelques couvertures à l'intérieur, elle me faisait l'effet d'une église ; Elle resta inhabitée. La maison de sainte Anne est toujours occupée par le troisième époux de Marie de Cléophas ; il y a aussi là habituellement quelques uns des fils de celle ci, lesquels prennent soin de la maison. José Barsabas, le plus jeune, était parti avec sa mère, et il se rendit a la pêcherie : le petit Siméon, né du troisième mariage, était aussi avec elle. Je vis les jours suivants Jésus et Marie dans la maison située entre Capharnaüm et Bethsaïde. Marie de Cléophas demeurait tout près de là, et les parents de Parménas à peu de distance.

(28 juin.) Je vis Jésus de nouveau en course ; il s'arrêta dans un petit endroit où il parla dans la synagogue du baptême de Jean, de l'approche du Messie et de la pénitence. Les auditeurs murmuraient, le regardant, avec mépris, et j'en entendis quelques uns dire : " il y a trois mois, son père, le charpentier, vivait encore : il travaillait alors avec lui : maintenant il a un peu couru à l'étranger, et il revient pour nous enseigner ce qu'il a appris. Je riais en moi même de ce qu'ils croyaient qu'il était allé en pays étranger, tandis qu'il était dans le désert pour se préparer.

(14 juillet.) La Soeur, pendant ces jours là, ne cessa pas de voir toutes les allées et venues de Jésus et de Jean. Elle voit encore le Seigneur aller de lieu en lieu et se montrer particulièrement là où Jean a passé. Il va dans les synagogues : il enseigne, console et assiste les malades. Elle le vit à Cana, où il avait des parents qu'il visita et où il enseigna aussi. Elle ne le voit pas encore avec aucun de ses futurs disciples. On dirait qu'il apprend d'abord à connaître les hommes, et qu'il continue ce que Jean a commencé à produire en eux. Souvent un homme de bien l'accompagne d'un lieu à l'autre.

(6 juillet.) Je vis aujourd'hui quatre hommes parmi lesquels étaient de futurs disciples de Jésus dans la contrée entre Samarie et Nazareth, sous des arbres voisins de la grande route : ils attendaient Jésus, qui était en course avec un compagnon. Ils allèrent au devant du Seigneur et lui racontèrent qu'ils avaient été baptisés par Jean, et qu'il parlait de l'approche du Messie. Ils lui racontèrent encore avec quelle sévérité il avait parlé aux soldats, et qu'il n'avait baptisé que quelques uns d'entre eux. Il leur avait dit, entre autres choses, qu'il ferait aussi bien de prendre des pierres dans le Jourdain et de les baptiser. Je les vis aller plus loin avec Jésus.

(11 juillet.) Ces jours ci, je vis le Seigneur remonter vers le nord le long de la mer de Galilée. Il parla déjà plus clairement du Messie, et dans beaucoup d'endroits les possédés poussèrent des cris derrière lui : il chassa aussi un démon d'un homme. Il enseigna dans des écoles.
Il fut rencontré par six personnes qui venaient du baptême de Jean, et dont étaient Lévi, nommé plus tard Matthieu et deux des fils des trois veuves : Nathanaël, le fiancé de Cana, n'en était pas. Ils le connaissaient comme ayant avec lui des rapports de parenté, et par ce qu'ils en avaient entendu dire : ils pressentaient aussi qu'il pouvait bien être celui dont Jean avait parlé, mais ils n'en avaient pas la certitude ils racontèrent des choses relatives à Jean, parlèrent de Lazare et de ses soeurs, et aussi de Magdeleine qui devait être possédée du démon. Elle demeurait seule déjà dans son château. Ils firent route avec Jésus, dont les discours les émerveillaient. Ceux qui allaient de Galilée vers Jean pour être baptisés, lui racontaient ordinairement ce qu'ils savaient de Jésus et ce qu'ils en avaient entendu dire, tandis que ceux qui venaient d'Ainon, le lieu où Jean baptisait, faisaient à leur tour à Jésus des récits sur Jean.
Je vis Jésus, sans ses compagnons, entrer près du lac dans une pêcherie entourée d'une haie, où il y avait cinq barques. Sur le rivage étaient plusieurs cabanes où se tenaient les pêcheurs. Cette pêcherie appartenait à Pierre ; il était dans une des cabanes avec André. Jean et Jacques, avec leur père Zébédée et plusieurs autres, étaient sur les barques. Dans la barque qui était au milieu se trouvait le père de la femme de Pierre avec trois de ses fils. J'ai su tous leurs noms, mais je les ai oubliés. Le père était surnommé le Zélateur, parce qu'il avait soutenu sur le lac un combat contre les Romains au sujet d'un droit relatif à la navigation ; c’était de là que lui venait ce nom. Il y avait environ trente hommes sur les barques.
Jésus suivit le chemin bordé d'une haie, qui était entre les cabanes et les barques ; il s'entretint avec André et avec d'autres ; je ne sais pas s'il parla aussi à Pierre. Ils ne le connaissaient pas encore. Il parla de Jean et de l'approche du Messie. André était déjà baptisé et disciple de Jean. Jésus leur dit qu'il reviendrait les voir.

(Du 11 au 26 juillet.) Jésus s'éloigna du lac et se dirigea vers le Liban ; il prit ce parti parce qu'on parlait beaucoup de lai dans le pays et qu'il en résultait une certaine agitation. Plusieurs regardaient Jésus comme le Messie. D'autres parlaient d'un autre personnage que Jean aurait désigné.
Jésus était accompagné de six à douze personnes dont le nombre croissait ou diminuait successivement pendant le voyage. Ils écoutaient ses instructions avec joie, et ils soupçonnaient parfois qu'il devait être celui auquel Jean faisait allusion. Jésus ne s'adjoignit particulièrement aucun d'eux ; à vrai dire, il était seul, mais il semait et préparait d'avance. Dans toutes ses courses, je vis plusieurs choses qui se rapportaient aux courses et aux actions des prophètes, surtout d'Elie.
Je vis Jésus, avec environ dix compagnons, sur une éminence dépendant du Liban, vis à vis d'une grande ville située le long de la mer Méditerranée. On avait, de cette hauteur, une vue d'une beauté incomparable. La ville paraissait placée tout au bord de la mer, mais, quand on se trouvait dans son enceinte, on voyait qu'elle en était bien éloignée de trois quarts de lieue. Elle était très grande et très tumultueuse ; lorsqu'on la regardait du haut de la montagne, on croyait voir une quantité innombrable de navires ; car, sur ses nombreux toits en terrasse, il y avait une forêt de perches et d'échafaudages où étaient suspendues et déployées de longues banderoles d'étoffe rouge et d'autres étoffes de diverses couleurs, et, dans les intervalles, on voyait une fourmilière d'hommes qui travaillaient. Le pays d'alentour était plein de petits endroits très fertiles : tout était couvert de fruits. Il y avait partout de grands arbres, autour desquels régnaient des sièges, d'autres où l'on montait par des escaliers si bien que des sociétés entières pouvaient s'asseoir au milieu des branches, comme dans des maisons aériennes. La plaine dans laquelle la ville se trouve, entre la montagne et la mer, n'est pas très large.
Il y avait dans cette ville des païens et des juifs qui trafiquaient ensemble. L'idolâtrie y était très répandue. Le Seigneur, tout en cheminant, enseigna et prêcha dans les petits endroits, sous les grands arbres ; il parla de Jean, de son baptême et de la pénitence.
Dans la ville, Jésus fut bien accueilli. Il y est allé déjà une fois. Il parla dans l'école de la venue prochaine du Messie et de la destruction des idoles. La reine Jézabel, qui persécuta Elie avec tant d'acharnement, était de cette ville.
Jésus laissa ses compagnons à Sidon et alla dans un petit endroit, situé plus au midi, à quelque distance de la mer. Il veut s'y tenir quelque temps à l'écart pour prier. La ville est toute entourée de bois d'un côté, elle a des murs épais, et il y a des vignes à l'entour. C'est Sarepta, où Elie fut nourri par la veuve. Je vis toute cette histoire. Il en était résulté pour les juifs une superstition qui avait gagné aussi les païens ; c'était de faire en sorte qu'il y eut toujours de pieuses veuves logées dans les murs qui entouraient la ville. Ils croyaient que cela les garantissait de tout danger et leur permettait de se livrer impunément à toute espèce de désordres. Actuellement c'étaient des vieillards qui habitaient là. Jésus logea chez un vieillard, dans une maison pratiquée dans la muraille. Ces vieilles gens sont des espèces d'ermites Jésus leur parla du Messie et de Jean. Il alla aussi à la synagogue instruisit les enfants et célébra le sabbat.

(14 juillet.) Jésus restera encore quelque temps ici ; il ira ensuite au baptême de Jean. Il se tient principalement chez de vieux juifs pieux logés dans les murs de Sarepta, qui vivent là par suite d'un vieil usage, et pour honorer le souvenir d'Elie. Ils se livrent à la méditation et à l'interprétation des prophéties et prient beaucoup pour l'avènement du Messie. Jésus Leur donne des instructions sur le Messie et sur le baptême de Jean. Ils sont pieux, mais ils ont beaucoup d'idées fausses : ils croient, par exemple, que le Messie doit venir avec une pompe mondaine. Jésus va souvent prier seul dans la forêt voisine de Sarepta il enseigne dans la synagogue, et s'occupe aussi à instruire les enfants.
Le jour suivant, la Soeur vit Jésus enseigner dans divers endroits où il y avait beaucoup de païens il exhortait les juifs à ne pas se mêler avec les païens. Il y avait là des gens de bien, il y en avait aussi de très mauvais. Jésus n'est accompagné de personne, si ce n'est parfois de quelques habitants du pays. Je le vois souvent enseigner en plein air devant des hommes et des femmes, sur de petits tertres ou sous des arbres.
La saison est telle dans ce pays, qu'il me semble toujours être au mois de mai, parce que dans ta terre Promise les semailles faites pour la seconde récolte sont en ce moment au même point où elles sont chez nous au mois de mai. On ne coupe pas ici le blé si près de terre : on prend la tige avec la main un peu au dessous de l'épi, et on la coupe à peu près une coudée plus bas. On ne bat pas le grain : les petites gerbes sont posées verticalement, et on fait passer dessus un rouleau placé entre deux boeufs. Le grain est beaucoup plus sec qu'ici et se détache très facilement. Cela se fait en plein air, ou bien dans une grange ouverte de tous côtés, et couverte seulement d'un toit de paille.
Dans ces derniers jours je vis Jésus aller au nord est de Sarepta, dans un endroit peu éloigné du champ de bataille où Ezéchiel, ravi en esprit, eut la vision dans laquelle il vit les ossements des morts se ranger en ordre dans une grande plaine, puis se revêtir de nerfs et de chair, après quoi il vint un souffle qui leur inspira l'esprit et la vie. Il me fut expliqué que les os qui se rassemblaient et se recouvraient de chair étaient la figure du baptême de Jean et de son enseignement, tandis que l'esprit et la vie qui venaient les animer signifiaient la rédemption de Jésus et la descente du Saint Esprit.
Jésus consola les habitants de ce lieu qui étaient très languissants et très abattus, et il leur expliqua aussi la vision d'Ezéchiel.
De là il se dirigea encore plus au nord, jusque dans la contrée où Jean était venu d'abord en sortant du désert. C'est un petit village de bergers où Noémi résida assez longtemps avec sa fille Ruth. Elle avait laissé un si bon souvenir, que ces gens en parlaient encore. Plus tard elle demeura à Bethléem. Le Seigneur prêcha ici avec beaucoup de chaleur. Le temps approche où il doit se diriger vers le midi, puis se rendre à Samarie pour son baptême. Le village des bergers est arrosé par un petit cours d'eau derrière lequel se trouvait, à une grande élévation, le puits du désert de Jean. Près de ce puits, le chemin descend à pic vers le champ de bataille d'Ezéchiel ; on descend là à une grande profondeur : cela rappelle l'endroit par où Adam et Eve furent chassés du Paradis Sur leur chemin les arbres devenaient toujours plus petits et plus rabougris ; ensuite il n'y avait plus que des broussailles, et tout autour d'eux était stérile et désolé. Le Paradis était aussi élevé que le soleil, et il descendit comme derrière une montagne qui parut s'élever devant lui.
Le Sauveur passa par le chemin que suivit. Elle lorsqu'en partant du torrent de Khrit, il alla à Sarepta. Il revient du village des bergers à Sarepta. Il enseigne ça et là sur sa route et passe devant Sidon. De Sarepta il ira bientôt au midi pour son baptême. Il célèbre encore le sabbat à Sarepta.

(Du 27 au 29 juillet.) Après la clôture du sabbat, Jésus partit de Sarepta pour se diriger vers la Galilée et Nazareth. Il enseigna ça et là : en dernier lieu, je le vis enseigner sur une colline. Elle dit encore : Jésus est en route pour Nazareth. Il enseigne ça et là. Il a quelquefois des compagnons. Quelquefois il erre seul pendant la nuit. Il marche maintenant les pieds nus ; il a avec lui ses sandales, qu'il met lors qu'il entre dans un village. Il est à présent dans les vallées qui sont vis à vis du mont Carmel. Il est venu une fois très près de la route qui va de cette contrée en Egypte mais il s'est détourné vers le levant. Je crois qu'il va à Nazareth, puis à Samarie et au baptême. Ce voyage durera bien encore deux semaines.
La mère de Dieu, Marie de Cléophas, la mère de Parménas et deux autres femmes, sont aussi en route pour Nazareth. La maison de Marie est toujours silencieuse et bien en ordre : je vois la chambre où Jésus dormait et priait habituellement.
Des femmes de Jérusalem sont aussi en route pour Nazareth : ce sont Séraphia (Véronique), Jeanne Chusa, encore une autre, comment s'appelle-t-elle donc ? et le fils de Véronique qui plus tard se joignit aux disciples. Ils vont, je crois, pour visiter Marie. Je les ai déjà vus à l'occasion des voyages annuels à Jérusalem.
Il y a trois endroits où les familles pieuses vont prier tous les ans, ce que faisaient aussi Joseph et Marie. C'est au temple de Jérusalem, à Bethléem, près du Térébinthe, à un endroit où l'on célèbre un fait de l'Ancien Testament, je ne sais plus lequel(1), et au mont Carmel, où se trouve aussi un oratoire. La famille d'Anne et d'autres personnes pieuses y passent ordinairement en revenant de Jérusalem : c'est en général au mois de mai. Il est arrivé là à Elle quelque chose qui a rapport au Messie. Je ne m'en souviens pas distinctement à présent : mais je pense que le prophète eut là la Vision d'une grande figure de femme : c'était quelque chose qui se rapportait à la sainte Vierge. Il y avait aussi là une fontaine et une grotte d'Elle où la pierre était tendre : c'était comme une chapelle. Il venait toujours là de temps en temps des juifs pieux qui priaient pour l'avènement du Messie : il y avait aussi des anachorètes juifs : il y eut plus tard des ermites chrétiens.

Note 1 : La narratrice croit qu'il s'agit de Maraha, nourrice d'Abraham, dont il sera parlé plus au long ailleurs.

(30 juillet.) J'ai été cette nuit et suis encore aujourd'hui dans la contrée du mont Thabor : Jésus est dans une petite ville située sur le revers occidental de la montagne, et il enseigne dans l'école sur le baptême de Jean. Il a cinq compagnons. Quelques uns seront plus tard ses disciples futurs. J'ai su le nom de quelques uns. J'ai très bien vu le pays et toute la montagne.
La Mère de Dieu et les autres femmes sont a Nazareth : il en est de même de Véronique, qui est partie précédemment de Jérusalem avec ses compagnes, et qui a pris les saintes femmes à Capharnaüm. Il y a avec elle Jeanne Chusa, une soeur de la prophétesse Anne, qui est attachée au service du temple, et un fils de Véronique, qui plus tard alla en France.

(1er août.) Je vis le sanhédrin de Jérusalem envoyer des messagers avec des lettres dans les principaux endroits de la Terre Promise où il y avait des écoles juives : il avertissait ceux qui y étaient préposés d'avoir l'oeil sur un homme dont Jean Baptiste avait dit qu'il était celui qui devait venir, et qu'il viendrait à son baptême. Ils devaient veiller sur cet homme et faire des rapports sur lui : car si c'est le Messie, disaient-ils, il n'a pas besoin du baptême de Jean. Tout cela les importunait beaucoup ; ils avaient entendu dire que c'était le même qui, étant enfant, avait enseigné dans le temple, etc.
Je vis ces messagers arriver dans une ville située près de la mer, à quatre lieues du chemin d'Hébron, dans la contrée où les messagers de Moïse et d'Aaron trouvèrent les grosses grappes de raisin. La ville s'appelle Gaza. Je vis aussi Gaza dans l'état où elle fut longtemps après, peut être comme elle est à présent. Je vis peu de maisons, et seulement quelques vieilles substructions : je vis une longue rangée de tentes qui s'étendaient, je crois, jusqu'à la mer : il y avait beaucoup d'étoffes et de soieries mises en vente.
Il ne reste presque plus rien de l'ancien Nazareth : mais on peut encore reconnaître à peu près les montagnes : seulement tout est impraticable, dégradé par les pluies et couvert de décombres. Il y a la des rochers tout nus et surplombant tellement, qu'on est tout enraye d'y voir monter quelqu'un. Le pays est encore fertile ; il y a beaucoup d'animaux sauvages, spécialement des colombes : toutes les maisons et les vignes sont couvertes de tourterelles sauvages aussi grosses que nos pigeons domestiques.
Sur le mont Carmel, il y a encore plusieurs grottes où habitent des ermites : il s'y trouve, en outre, un couvent. J'ai vu hier, dans la nuit, beaucoup de choses touchant cette montagne. Les ermites sont en ce moment très inquiets et prient beaucoup, car il y a à peu de distance de là des soulèvements et des combats entre les Turcs et un autre peuple voisin du Liban.

(4 août.) Jésus, accompagné de cinq disciples, enseigna ça et là jusque dans la contrée où est le puits de Jacob : ce fut aussi là qu'il célébra le sabbat. Il me semble qu'il ira bientôt à Nazareth les saintes femmes y sont.

(5 août.) Je vis Jésus quitter la contrée où est le puits de Jacob, et revenir à Nazareth avec ses cinq compagnons. La sainte Vierge vint à sa rencontre ; mais quand elle vit qu'il avait des compagnons avec lui, elle resta à quelque distance et revint sur ses pas sans l'avoir salué. J'admirai son abnégation. Je vis Jésus enseigner ici dans l'école. Les saintes femmes étaient présentes.
(7 août.) J'allai à Nazareth et je vis Jésus dans la synagogue avec les cinq disciples et une vingtaine de ses compagnons de jeunesse de Nazareth. Il y avait beaucoup de monde. Les saintes femmes n'étaient pas présentes. Il fit une instruction. J'entendis les auditeurs murmurer et chuchoter : "il veut peut-être, disaient-ils, s'établir à l'endroit où Jean baptisait et que celui ci a abandonné, puis baptiser lui même et se faire passer pour un personnage de même espèce. Mais ce n'est pas du tout la même chose. Jean a vécu dans le désert : quant à celui ci, nous le connaissons bien : ce n'est pas lui qui nous séduira". Après avoir un peu regardé cette scène, je fus conduite vers Jean Baptiste.

(9 août.) Je vis que Jésus se préparait à quitter Nazareth avec deux compagnons, pour se rendre à Bethsaïde où il put encore réveiller quelques âmes par son enseignement. Les saintes femmes et d'autres compagnons de Jésus sont encore à Nazareth. Je vis Jésus dans la maison de sa mère où ses autres amis étaient aussi rassemblés. Il leur expliqua qu'à cause des murmures et du mécontentement qui s'étaient élevés contre lui à Nazareth, il voulait aller à Bethsaïde, d'où il reviendrait plus tard. Je le vis quitter la maison avec trois disciples. C'étaient Amandor, le fils de Véronique, un fils d'une des trois veuves parentes de Jésus, son nom était comme Sirach, et un parent de Pierre, qui fut plus tard un disciple connu.

(10 avril.) Comme le il août était la fête de sainte Suzanne, martyre, et que la narratrice avait près d'elle une de ses reliques, elle la vit toute la nuit près d'elle pendant son voyage. Elle dit à cette occasion : "Suzanne a voyagé avec moi, elle était toujours près de moi, souvent aussi elle me parlait, mais elle était autrement que moi, à cause de son extrême légèreté, et quand je voulais la saisir, je ne pouvais pas. J'allais avec elle d'une scène à l'autre et elle me donnait des consolations : mais quand j'entrai dans une scène bien distincte, comme par exemple ici, à Bethsaïde, elle disparut.
Je vis Jésus à Bethsaïde, prêcher avec beaucoup de force dans la synagogue, le jour du sabbat. Il leur dit qu'ils devaient maintenant accepter ce qui leur était notifie, aller au baptême de Jean et se purifier par la pénitence : qu'autrement il viendrait un temps ou ils crieraient : Malheur à nous. Il y avait beaucoup de personnes dans la synagogue, mais aucun des futurs apôtres, excepté Philippe, si je ne me trompe. Les autres apôtres de Bethsaïde et des environs étaient allés ailleurs pour le sabbat. Ils se tenaient dans une maison près de la pêcherie, dans le voisinage de Capharnaüm.
Pendant l'instruction de Jésus à Bethsaïde, j'avais prié pour que ces gens allassent au baptême de Jean et se convertissent sincèrement. Là dessus un tableau me fut présenté. Je vis Jean comme le préparateur qui, au moyen d'une première ablution, enlevait les souillures les plus fortes et les plus grossières. Je le vis se livrer à ce travail avec bien de l'énergie et de l'activité, avec bien de la rudesse et de la sévérité, et la peau qui le couvrait tombait tantôt d'une épaule, tantôt de l'autre. Ce devait être un symbole figuratif, car je vis quelques uns des baptisés desquels se détachaient des espèces d'écailles, d'autres dont il sortait comme de noires vapeurs, et plusieurs sur lesquels s'abaissaient des nuées lumineuses et brillantes.
De ce tableau, je revins, en compagnie de sainte Suzanne à un autre tableau du séjour de Marie à Ephèse.

(12 août.) Je vis Jésus et ses compagnons aller entre Bethsaïde et Capharnaüm, à l'endroit où était la maison qu'il habitait. Ils allaient ça et là dans les maisons disséminées, et invitaient les gens à venir entendre l'instruction. Beaucoup de personnes se rassemblèrent et Jésus fit une longue instruction. Je ne vis pas là d'apôtres.
Elle raconta ce qui suit très tranquillement comme si cela se passait devant ses yeux, niais on la dérangea et le récit fut interrompu.

(13 août.) J'ai vu Jésus à Capharnaüm se rendant à l'école. Il va tout droit devant lui, sans se détourner, comme s'il était tout à fait inconnu. Les trois disciples marchent près de lui. Il vient des groupes de tous les côtés. Il s'y trouve des pêcheurs. Je vois Pierre, André, et d'autres encore dont plusieurs ont déjà été baptisés par Jean. Ils avaient déjà vu Jésus : il s'était entretenu avec eux près du lac avant son voyage à Sidon. Maintenant ils avaient entendu parler de lui soit dans d'autres endroits, soit après sa dernière instruction à Bethsaïde.
Les habitants de Capharnaüm étaient fort satisfaits et désiraient vivement savoir ce que c'était que cette nouvelle doctrine. L'école est bien tenue Jésus monte à la place d'où l'on parle par des degrés qui se trouvent à l'un des côtés de la salle : une foule si nombreuse se presse autour de lui qu'il monte encore plus haut... (Ici elle fut interrompue.)

(15 août.) Jésus a quitté Capharnaüm. Je l'ai vu, à deux lieues au midi, enseigner devant beaucoup de monde. Il n'y avait avec lui que les trois disciples. Les futurs apôtres qui l'avaient entendu à Capharnaüm, étaient retournés au lac, sans qu'il se fût entretenu en particulier avec aucun d'eux. Ici aussi, il parla du baptême de Jean et de l'accomplissement de la promesse.

(16 août.) Jésus, hier et aujourd'hui, traversa la basse Galilée, où il enseigna ça et là, se dirigeant au midi vers Samarie. Je ne sais plus où il célébra le sabbat.

(19 août.) Jésus fut le jour du sabbat dans une école entre Nazareth et Séphoris. Les saintes femmes de Nazareth étaient présentes, ainsi que la femme de Pierre et celles de quelques autres des futurs apôtres. Plusieurs de ceux ci qui avaient reçu le baptême de Jean, étaient venus également pour le sabbat. Il n'y avait là que quelques maisons et une école : cet endroit n'était séparé que par une borne d'héritage de l'ancienne maison de sainte Anne. Je ne sais plus si elle était habitée maintenant. Ceux des futurs apôtres qui étaient venus là pour l'entendre étaient Pierre, André, Jacques le Mineur et Philippe, tous disciples de Jean. Philippe était de Bethsaïde, il était assez intelligent et avait à s'occuper de certains travaux de bureau. Parmi les femmes était l'épouse d'un frère de la femme de Pierre. Jésus ne séjourna pas dans cet endroit : il n'y prit pas son repas, il ne fit qu'enseigner. Les apôtres ont vraisemblablement célébré le sabbat dans le voisinage : car les juifs vont souvent pour le sabbat dans d'autres lieux que celui de leur résidence ils sont venus en cet endroit parce qu'ils ont appris que Jésus y était. Jésus ne Leur parla pas en particulier.

(Du 19 août au 2 septembre.) Je vis Jésus avec les trois disciples aller à Séphoris, qui est à quatre lieues de Nazareth, en franchissant une montagne. Il logea chez sa grande tante Maraha, soeur cadette de sainte Anne : elle avait une fille et deux fils. Je les vis en longs vêtements blancs aller et venir dans la maison : ils s'appellent Arastaria et Cocharia, et se sont, je crois, plus tard, réunis aux disciples.
La sainte Vierge, Marie de Cléophas et d'autres femmes sont aussi venues ici. On lava les pieds à Jésus. Il y eut aussi un repas. Il coucha dans la maison de Maraha : c'était là qu'avaient demeuré les parents de sainte Anne à Séphoris. Séphoris est une grande : " Il s'y trouve des pharisiens, des sadducéens et des esséniens : les trois sectes ont chacune leur école. Cette ville a souvent eu beaucoup à souffrir dans les guerres. Aujourd'hui il n'en reste presque plus rien.

(22 août.) Avant hier et hier Jésus enseigna ici. Ce soir aussi, je le vis enseigner dans la synagogue et exhorter au baptême. Les femmes se tenaient en arrière, mais dans une tribune élevée. Je vis Jésus enseigner ici dans deux synagogues, l'une plus spacieuse et plus élevée, l'autre plus petite. Dans la plus grande étaient les pharisiens : ils étaient mécontents et murmuraient contre Jésus. Les femmes étaient présentes à cette instruction. Dans l'autre synagogue qui était plus petite, il n'y avait pas de place réservée aux femmes : il y fut traité amicalement. C'était vraisemblablement l'école des Esséniens.
Un des trois disciples qui allaient avec Jésus en ce temps là était fils d'une des trois veuves et s'appelait Eustache. Il était essénien. Je le vois maintenant sortir d'une grotte du Carmel et aller vers Jésus. C'est une figure pour me montrer ce qu'il est.

(23 août.) Je vis Jésus enseigner dans l'école des sadducéens à Séphoris. je vis là une chose merveilleuse. Il y avait à Séphoris beaucoup de démoniaques, d'idiots et d'autres fous et possédés. On leur faisait des instructions dans une école voisine de la synagogue, et quand les gens raisonnables se réunissaient dans la synagogue pour l'instruction et la prière, on les y faisait aussi entrer. Ils se tenaient derrière les autres dans une salle à part d'où ils écoutaient l'instruction. Il y avait parmi eux des surveillants armés de fouets et chacun en avait un nombre plus ou moins grand à surveiller selon qu'ils étaient plus ou moins méchants. Avant que Jésus entrât dans l'école, je les vis pendant l'instruction des sadducéens faire des contorsions et entrer en convulsion : je vis aussi que les surveillants les faisaient tenir tranquilles en leur donnant des coups de fouets quand Jésus vint, ils restèrent d'abord très paisibles, mais au bout d'un peu de temps, quelques uns commencèrent à dire : "(C'est Jésus de Nazareth, né à Bethléem, visité par les sages de l'Orient, etc. Sa mère est chez Maraha, etc. Il introduit une nouvelle doctrine qu'on ne doit pas tolérer, etc. "C'est ainsi que ces hommes en démence décriaient toute la vie de Jésus et parlaient de ce qui lui était arrivé jusqu'alors. C'était tantôt l'un, tantôt l'autre et les coups de fouet des surveillants n'y faisaient rien. Ils se mirent bientôt a crier tous ensemble et la confusion fut générale. Jésus dit alors qu'on les lui amenât devant la synagogue : en même temps il envoya deux disciples dans la ville, pour faire venir tous les gens de cette espèce qui s'y trouvaient encore, bientôt il y eut autour de lui une cinquantaine de ces hommes et avec ceux ci une grande foule. Les maniaques continuèrent toujours à pousser leurs cris. Alors Jésus dit : "L'esprit qui parle ainsi par votre bouche est d'en bas et doit retourner en bas ". A l'instant même tous s'apaisèrent et furent guéris : j'en vis plusieurs tomber par terre.
Je vis aussi un soulèvement dans la ville au sujet de cette guérison. Je vis Jésus et les siens en grand danger. Le tumulte était si grand que le Seigneur se réfugia dans une maison et quitta la ville dans la nuit, de même que ses trois disciples et Cocharia et Arastaria, les fils de la soeur de sainte Anne. Les saintes, femmes quittèrent aussi la ville. La mère de Jésus était dans la douleur et dans l'angoisse parce qu'elle voyait pour la première fois la persécution s'élever contre lui. Ils s'étaient donné rendez vous sous des arbres devant la ville.
Les gens guéris par Jésus allèrent pour la plupart au baptême de Jean, et ce fut parmi eux principalement que Jésus plus tard trouva ici des adhérents.

(24 août.) Dans la nuit du jeudi, les trois disciples et les fils de la soeur de sainte Anne, qui s'étaient enfuis séparément de Séphoris, se réunirent au Seigneur sous des arbres, sur le chemin de Bethulie. La mère de Jésus et les saintes femmes s'étaient aussi rendues là.
Bethulie est la ville pendant le siège de laquelle Judith tua Holopherne. Elle est au sud est de Séphoris, sur une montagne : on y a une vue étendue de tous les côtés. Il n'y a pas loin de là à Magdalum et au château de Madeleine dont la vie alors n'était consacrée qu'au plaisir. Il y a un château à Bethulie : c'est un endroit abondant en sources. Je crois que le puits de Joseph n'est pas très loin de là.
Je vis Jésus et ses disciples entrer dans une hôtellerie devant Bethulie. Marie et les saintes femmes l'y rejoignirent. J'entendis Marie dire à Jésus qu'elle le priait de ne pas enseigner ici, qu'elle était pleine d'anxiété, qu'il pouvait encore y avoir un soulèvement. Jésus répondit qu'il savait ce qu'il avait à accomplir. Mais Marie lui dit : " N'irons nous pas maintenant au baptême de Jean ? " Jésus lui répondit avec beaucoup de gravité : "Pourquoi irions nous maintenant au baptême de Jean, En avons nous besoin ? J'irai encore là où je dois recueillir, et je dirai quand il faudra aller au baptême de Jean. À. Marie garda le silence comme à Cana. Ce n'est qu'après la Pentecôte que j'ai vu les saintes femmes recevoir le baptême à la piscine de Bethesda. Les saintes femmes entrèrent à Bethulie. Jésus enseigna à Bethulie le jour du sabbat.

(25 août.) Je vis Jésus bien accueilli ici. Il alla à la synagogue pour enseigner : beaucoup de personnes étaient venues des environs, pour l'entendre. Je vis aussi beaucoup d'idiots et de possédés sur le chemin devant la ville, et sur divers points de la route. Lorsque Jésus passa, ils redevinrent paisibles et furent délivrés de leurs accès, et je vis de côté et d'autre des gens qui disaient : "Cet homme doit avoir un pouvoir semblable à celui des anciens prophètes, pour que ces malheureux deviennent tranquilles lorsqu'il se montre. Car ces gens sentaient qu'il les secourait, quoiqu'il ne leur fît rien, et ils vinrent à lui dans l'hôtellerie pour le remercier. Il enseigna et exhorta à aller au baptême de Jean. Il parla cette fois, avec beaucoup de force tout à fait à la façon de Jean.
(26 août.) Je vis que les habitants de Bethulie avaient beaucoup de considération pour Jésus et pour les siens. Ils ne voulaient pas le laisser s'arrêter devant la ville ; plusieurs se disputaient à qui l'aurait dans sa maison, et ceux qui ne pouvaient pas l'avoir, voulaient au moins avoir un des cinq disciples qui étaient avec lui.
Ils restèrent près de Jésus et il leur promit d'aller successivement chez les uns et les autres. Toutefois leur grand empressement et leur sympathie pour Jésus n'étaient pas entièrement désintéressés, et Jésus le leur fit remarquer dans les instructions qu'il fit à la synagogue. Ils avaient une arrière pensée, ils voulaient, en s'attachant au nouveau prophète, procurer à leur ville une certaine considération qu'elle avait perdue, je ne sais plus comment, peut être par le commerce, les rapports ou les alliances avec les païens. Ce n'était donc pas chez eux pur amour de la vérité.

(27 août.) Jésus est parti aujourd'hui de Bethulie. Je l'ai vu dans une vallée enseigner sous des arbres, près d'une hôtellerie. Il n'est venu à sa suite que trois disciples et environ vingt autres personnes. Les saintes femmes étaient déjà allées en avant, pour se rendre à Nazareth, à ce que je crois. Je l'ai vu quitter Bethulie parce qu'il y était trop importuné. Il était venu des environs une foule de malades et de possédés, et il ne voulait pas encore se manifester par des guérisons si publiques. Il partit en tournant le dos à la mer de Galilée.

(29 août.) Je n'ai vu Jésus dans aucune ville ; pendant tout ce jour, il enseigna dans une vallée, sous des arbres, à un endroit où anciennement des esséniens ou des prophètes avaient enseigné. Il y avait là un siège de gazon élevé, entouré de petits bancs de terre où l'on pouvait s'asseoir pour écouter. Environ trente personnes se tenaient autour de Jésus. Le soir, je vis le Seigneur avec ses compagnons à une lieue de Nazareth, dans le petit endroit avec une synagogue où il avait été dernièrement avant d'aller à Séphoris. On l'accueillit très amicalement. Il fut reçu dans une grande maison précédée d'une cour. On lui lava les pieds ainsi qu'aux disciples : on leur prit leurs habits de voyage pour les nettoyer et les battre, et on leur prépara un repas. Jésus enseigna dans la synagogue. Les femmes étaient à Nazareth.

(30 août.) Le jeudi 30, je vis Jésus et ses disciples à environ quatre lieues du précédent endroit, dans une ville de Lévites, appelée Kedès (1Ch 6,72), ou Kision (Jos 21,28). Quand Jésus arriva dans ce pays, il était suivi d'environ sept possédés qui proclamaient sa mission et son histoire encore plus clairement que ceux de Séphoris. Il vint de la ville à sa rencontre de vieux prêtres et des jeunes gens en longs vêtements blancs ; car quelques uns de ceux qui l'accompagnaient, étaient arrivés avant lui à la ville.
Jésus ne guérit pas ici les possédés, et les prêtres les enfermèrent dans une maison pour qu'ils ne causassent pas de trouble. J'ai su que Jésus les guérit plus tard, après son baptême. Le Seigneur fut très bien accueilli ici ; mais comme il voulait enseigner, ils lui demandèrent quelle mission il avait pour cela, lui, fils de Joseph et de Marie. J'entendis Jésus répondre d'une manier e évasive, que Celui qui l'avait envoyé, et dont il tirait son origine, se manifesterait lors de son baptême. Il dit encore plusieurs choses à ce sujet et touchant le baptême de Jean sur une hauteur au milieu de la ville ; il y avait là, comme sur la colline voisine de Thébez, un lieu destiné à l'enseignement, qui n'était pas tout à fait en plein air, mais sous une tente ou sous un hangar recouvert de joncs. Il y avait à peu de distance plusieurs autres lieux habités. Elle reconnaît les noms de Késiloth, Césarée, etc. : le Seigneur passa la nuit dans cet endroit.

(31 août.) Jésus traversa aujourd'hui une contrée habitée par des bergers, où plus tard, après la seconde pâque, si je ne me trompe, il guérit un lépreux. Il enseigna dans diverses bourgades. Le soir, Jésus vint pour le sabbat à Jezraël, un endroit consistant en divers groupes de maisons séparés par des jardins, de vieux édifices et d'anciennes tours. Il y passe une grande route, appelée route Royale. Plusieurs de ses compagnons l'avaient précédé. Il en était venu trois avec lui.
Il se trouvait dans cet endroit de stricts observateurs de la loi juive : ce n'étaient pas des esséniens, on les nommait Naziréens. Ils avaient fait des veux pour un temps plus ou moins long et s'abstenaient de certaines choses. Ils possédaient une grande école et un certain nombre de maisons. Les jeunes gens vivaient en commun dans une maison, les jeunes filles dans une autre : les gens mariés faisaient aussi pour un temps assez long voeu de continence, et alors les hommes couchaient dans une maison voisine de celle des jeunes gens, les femmes dans la maison des jeunes filles. Ces gens portaient tous des vêtements gris et blancs. Leur supérieur portait un long vêtement gris, bordé par en bas de fruits et de houppes blanches, et une ceinture grise avec des lettres blanches : il avait autour du bras une bande d'étoffe grise et blanche, fort épaisse et comme tressée ; c'était comme une serviette tordue : il y avait un bout assez court qui pendait et qui était terminé par des bouffettes. Cet homme portait en outre un collet ou un petit manteau, à peu près comme Argos l'essénien, mais qui était de couleur grise et ouvert par derrière au lieu de l'être par devant ; une plaque de métal poli était assujettie sur le devant, et on le fermait par derrière avec des espèces de lacets ou de cordons. Des morceaux d'étoffe tailladés recouvraient les épaules. Ils avaient un bonnet noir et brillant en forme de bourrelet, avec des lettres tracées sur le devant : il était surmonté d'un bouton ou d'une pomme. Ces gens avaient des chevelures et des barbes longues, épaisses et frisées. Je leur trouvais une grande ressemblance avec un des apôtres, mais je ne savais plus lequel. Enfin. je me rappelai que saint Paul portait les cheveux comme eux et était habillé de même, lorsqu'il persécutait encore les chrétiens. Je le vis aussi plus tard avec des naziréens : il l'était lui même. Ils laissaient croître leurs cheveux jusqu'à ce que leur voeu fût accompli ; alors ils les coupaïent et les brûlaient en guise de sacrifice ; ils sacrifiaient aussi des colombes. L'un pouvait se charger d'accomplir le voeu de l'autre. Jésus célébra le sabbat avec eux. Jezraël est séparé de Nazareth par des montagnes. Il y a à peu de distance une fontaine, près de laquelle Saul campa autrefois avec son armée.

(1er septembre.) Jésus enseigna le jour du sabbat sur le baptême de Jean. Il dit aussi que la piété était une belle chose, mais que l'exagération était dangereuse que les voies du salut sont diverses, et que la vie à part dans une communauté donne aisément naissance à l'esprit de secte : qu'on regarde du haut de son orgueil les pauvres frères qui ne peuvent pas suivre et qui cependant devraient être aidés par les plus forts à marcher en avant. Cet enseignement était nécessaire ici : car aux extrémités de la ville il y avait des gens qui s'étaient mêlés avec les païens, et qui n'étaient ni dirigés, ni stimulés, parce que les naziréens se tenaient à part. Jésus alla visiter ces gens dans leurs demeures ; il les convoqua à l'instruction et leur parla du baptême.
Le 9, je vis encore Jésus à un repas, dans la maison des naziréens. Il fut question de la circoncision, et de ce qu'elle était par rapport au baptême. Ce fut alors que j'entendis Jésus parler pour la première fois du signe de l'alliance entre Dieu et Abraham ; mais je ne puis rapporter exactement ses paroles. Le sens de ses paroles était que ce signe avait en lui une raison d'être qui cesserait lorsque le peuple de Dieu ne sortirait plus selon la chair de la souche d'Abraham mais serait engendré spirituellement dans le baptême du Saint Esprit.
Parmi les naziréens beaucoup se firent chrétiens mais ils étaient si fortement attachés à la loi juive, que plusieurs voulurent mêler ensemble le judaïsme et le christianisme, et tombèrent dans l'hérésie.
Le 3, Jésus quitta Jezraël, et, après avoir marché assez longtemps vers l'orient, il se dirigea vers le nord, vers Nazareth, en tournant autour de la montagne qui sépare ces deux villes ; il s'arrêta à deux lieues de Jezrael, au milieu d'une série de maisons placées des deux côtés d'une grande route. Cet endroit n'était habité que par des publicains ; il y avait aussi quelques juifs pauvres demeurant sous des tentes, mais ceux ci étaient assez éloignés de la route. Le chemin le long duquel étaient les demeures des publicains était bordé d'un grillage et fermé à l'entrée et à la sortie.
Il demeurait là de riches publicains qui tenaient à ferme plusieurs douanes dans le pays et les affermaient ensuite à d'autres publicains en sous ordre. Matthieu était un de ces derniers : il demeurait dans un autre endroit. C'est ici qu'avait demeuré Marie, fille de la soeur d'Elisabeth. Je crois qu'étant devenue veuve, elle était allée à Nazareth d'abord, puis à Capharnaüm ; c'était elle qui était présente à la mort de la sainte Vierge.
La route commerciale entre la Syrie, l'Arabie, Sidon et l'Egypte passait par ici. On transportait ici sur des chameaux et sur des ânes, de gros ballots de soie blanche en liasse comme du lin, de belles étoffes blanches et bariolées, de longues bandes épaisses et tressées dont on faisait des tapis, et aussi des aromates. On fermait l'enceinte quand les chameaux y étaient entrés ; on déchargeait les ballots et tout était visité. Il y avait un droit à payer, partie en marchandises, partie en argent. C'étaient, la plupart du temps, des pièces triangulaires ou carrées, jaunes, blanches ou rougeâtres, sur lesquelles était l'empreinte d'une figure, creuse d'un côté, en saillie de l'autre ; il y avait là aussi d'autres monnaies. Je vis sur les monnaies de petites tours, une jeune fille et aussi un enfant dans un petit navire. Quant à ces petits bâtons d'or natif que les rois offrirent à la crèche, je n'en vis plus depuis lors qu'entre les mains de quelques étrangers qui allaient visiter Jean Baptiste.
Les publicains formaient comme une ligue, et lors même que même que quelques uns gagnaient plus que les autres par leurs fraudes, tout était partagé entre eux ils avaient dans l'aisance et vivaient bien Les maisons étaient entourées de cours, de jardins et de murs : ils me faisaient l'effet de riches cultivateurs de chez nous, dans leurs habitations. Ils vivaient entre eux, et personne autre n'avait de rapports avec eux. Ils avaient là une école et un maître.
Jésus fut bien reçu par eux et ses compagnons aussi. Je vis arriver ici plusieurs femmes : je crois que la femme de Pierre en était. L'une d'elles parla à Jésus. Elles repartirent ensuite : peut être venaient elles de Nazareth ou y allaient elles, et se chargeaient elles de quelque message pour la mère de Jésus. Jésus alla alternativement chez l'un ou l'autre des publicains, et il enseigna dans leur école. Il leur reprocha surtout d'extorquer souvent des voyageurs plus que le droit de douane qui était dû. Ils furent très honteux, et ils ne pouvaient pas comprendre d'où il savait cela. Ils étaient plus humbles et accueillaient plus volontiers ses enseignements que les autres juifs. Il les exhorta à recevoir le baptême.

(5 septembre.) Le mercredi 5, Jésus quitta l'endroit habité par les publicains, après y avoir enseigné toute la nuit. Plusieurs d'entre eux voulaient lui faire des présents, mais il n'accepta rien. Beaucoup de ces gens partirent avec lui, ils voulaient le suivre au baptême. Il traversa ce jour là la contrée de Dothaim, et passa devant la maison de fous où une première fois, venant de Nazareth, il avait calmé les énergumènes et les possédés. Comme il passait, ils l'appelèrent par son nom en criant, et firent de violents efforts pour sortir. Jésus commanda aux surveillants de les laisser aller, disant qu'il répondait de toutes les conséquences. On leur rendit la liberté : tous alors s'abaissèrent, furent délivrés et le suivirent.
Il arriva le soir à Kisloth, ville située sur le Thabor. La plupart des habitants étaient pharisiens : ils avaient entendu parler de lui, et se scandalisèrent de voir à sa suite des publicains qu'ils regardaient comme des malfaiteurs, des possédés connus comme tels, et des gens de toute espèce. Il alla dans l'école et enseigna sur le baptême de Jean ; il dit à ceux qui l'accompagnaient qu'avant de le suivre, ils devaient bien examiner s'ils se sentaient capables d'aller jusqu'au bout : car il ne fallait pas croire que son chemin fût un chemin commode : il leur raconta plusieurs paraboles relatives à la construction des maisons. "Quand un homme veut bâtir une maison quelque part, disait il, il faut qu'il sache si le propriétaire du sol voudra le permettre : ils devaient donc, avant tout, expier leurs péchés et faire pénitence. De même, quand un homme veut bâtir une tour, il doit d'abord calculer la dépense. Il donna beaucoup d'autres enseignements qui ne plurent pas aux Pharisiens. Mais ils ne l'écoutaient pas ; ils se contentaient d'espionner ; et je les vis convenir entre eux qu'ils lui donneraient un repas pour mieux observer ce qu'il dirait.
Ils lui préparèrent un grand repas dans une salle publique. Il y avait trois tables, les unes à côté des autres ; à droite et à gauche brûlaient des lampes ; au dessus de la table du milieu, à laquelle était assis Jésus avec quelques disciples et quelques pharisiens, se trouvait l'ouverture ordinaire dans le toit ; aux deux tables latérales étaient assis les compagnons de Jésus.
Il fallait que dans cette ville il existât une vieille coutume en vertu de laquelle, quand on donnait un repas à un étranger, on y invitait les pauvres, fort nombreux du reste dans cet endroit et fort négligés ; car lorsque Jésus se fut mis à table, il demanda aussitôt aux pharisiens où étaient les pauvres et si ce n'était pas leur droit de prendre part au repas.
Les pharisiens furent embarrassés et dirent que depuis longtemps cela ne se faisait plus. Alors Jésus envoya ses disciples Arastaria et Cocharia, fils de Maraha, avec Klaia, fils de la veuve Séba, inviter les pauvres de la ville à se rendre au repas. Cela irrita beaucoup les pharisiens et fit beaucoup de sensation dans la ville. Plusieurs de ces pauvres étaient déjà couchés et dormaient ; les disciples les firent lever, et je vis dans des cabanes toute espèce de scènes joyeuses. Les pauvres étant arrivés, Jésus et les disciples les reçurent et les servirent, et Jésus fit une très belle instruction. Les pharisiens étaient pleins de dépit, mais ils ne pouvaient rien empêcher, car Jésus avait le droit pour lui et la masse du peuple était fort satisfaite ; il y avait une grande excitation dans la ville. Quand les pauvres eurent mangé, ils emportèrent tous quelque chose avec eux pour leurs familles. Jésus avait béni les mets ; il avait fait la prière avec eux et les avait exhortés à aller au baptême de Jean.
Mais il ne voulut pas rester plus longtemps dans cette ville, et le 6, il partit dans la nuit avec les siens. Or, plusieurs de ceux qui l'avaient accompagné, s'étaient retirés, découragés par ses avertissements ; d'autres partirent pour se rendre au baptême de Jean.

(7 septembre.) Dans la nuit du 6 au 7, Jésus passa par deux vallées. Je le vis parfois s'entretenir avec ses compagnons, parfois rester en arrière et prier Dieu à genoux, puis les rejoindre de nouveau. Le 7, dans l'après midi, je vis Jésus arriver à un village de bergers, nommé Kimki. Il y avait là une école, mais pas de prêtres. Ceux ci devaient venir d'un lieu éloigné. L'école était fermée. Jésus réunit les bergers dans une salle d'hôtellerie et enseigna. Le sabbat était proche. Le soir, il vint des prêtres de la secte des pharisiens, parmi lesquels quelques uns étaient de Nazareth. Jésus enseigna sur le baptême et sur l'approche du Messie. Les pharisiens se déclaraient fort contre lui, ils parlèrent de sa basse extraction et cherchèrent à le rabaisser. Il passa la nuit ici.

(8 septembre.) Jésus fit encore aujourd'hui une instruction où il raconta plusieurs paraboles. Il demanda un grain de sénevé qu'on lui apporta. Il dit beaucoup de choses à ce propos et leur dit que s'ils avaient de la foi comme un grain de sénevé, ils pourraient transporter ce poirier dans la mer. Il y avait là un grand poirier chargé de fruits. Les pharisiens se moquaient de ce genre d'enseignement qu'ils trouvaient guérit. Il donna des explications, mais je les ai oubliées. Il parla aussi de l'économe infidèle.
Les gens qui se trouvaient sur tout le chemin que fit Jésus ces jours là, étaient dans l'admiration de lui ; il leur rappelait, disaient-ils, tout ce que leurs ancêtres leur avaient transmis de l'enseignement et de la manière d'être des derniers prophètes, mais il avait quelque chose de beaucoup plus doux.

(9 septembre.) Jésus était encore dans le village des bergers où il célébra le sabbat. On pouvait voir de là les montagnes de Nazareth, qui n'est guère qu'à deux lieues. Cette bourgade consiste en maisons disséminées, ce n'est qu'autour de la synagogue qu'on en trouve quelques unes agglomérées. Son nom ressemble à un nom d'homme hébraïque, je l'ai oublié(3). Il prit son logement chez de pauvres gens : la maîtresse de la maison était hydropique.

Note 3 : Ce ne fut que le 11 septembre, qu'elle dit le nom de ce lieu, Kimki. Parmi les noms d'hommes elle pouvait penser entre autres à Chamaam; Kimean ou Kimhan, (2R 19,37, etc.)

Il eut pitié d'elle et la guérit en lui mettant la main sur la tête et sur les joues. Elle fut entièrement délivrée de son mal et servit à table. Il lui défendit d'en parler jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême. Elle lui demanda ce qui pouvait l'empêcher de l'annoncer partout. Mais il répondit : Puisque vous voulez en parler, vous allez devenir muette. "Et en effet elle devint muette jusqu'à ce qu'il fût revenu de son baptême. Il y a bien encore quinze jours d'ici là, car il me semble qu'à Bethulie ou à Jezraël il a parlé de trois semaines.
Le 9, il enseigna encore ici dans la synagogue. Les pharisiens lui étaient très opposés. Il parla de la venue prochaine du Messie. Il leur dit : "Vous vous attendez à le voir venir dans tout l'éclat d'une pompe mondaine ; mais il est déjà venu, il apparaîtra dans la pauvreté : il apportera la vérité, il recevra plus de blâme que de louange, car il veut la justice, etc. Toutefois ne vous laissez pas séparer de lui, de peur que vous ne périssiez comme ces enfants de Noé qui se moquaient de lui lorsqu'il se fatiguait à construire l'arche qui devait les sauver du déluge. Tous ceux qui ne se moquèrent pas de Noé, entrèrent dans l'arche et furent sauvés. "Ensuite se tournant vers ses disciples, il leur dit : "Ne vous séparez pas de moi, comme Loth se sépara d'Abraham, et cherchant les meilleurs pâturages, vint à Sodome et à Gomorrhe. Ne regardez pas les pompes du monde que le feu du ciel détruit, afin que vous ne soyez pas changés en statues de sel. Restez avec moi dans toutes les tribulations, je vous viendrai toujours en aide, etc. Les pharisiens étaient de plus en plus mécontents, et ils disaient : "Que leur promet il donc, quand il ne possède rien lui même ! N'es tu pas de Nazareth, le fils de Joseph et de Marie ? " Il dit alors, sans s'expliquer clairement, de qui il était fils, et qui le proclamerait : et comme ils disaient : "Comment parles tu du Messie ici et partout où tu vas enseigner, comme nous en avons été informés ? Crois tu que nous devions penser que tu te donnes pour le Messie ? Et Jésus leur dit : à cette question je n'ai qu'une réponse à faire : Oui, vous le pensez." Il y eut alors un grand tumulte dans la synagogue ; les pharisiens éteignirent les lampes ; Jésus et ses disciples quittèrent cet endroit et partirent dans la nuit par la grande route. Je les vis dormir sous un arbre. Le dimanche 9, dans la soirée, je vis Jésus avec ceux qui l'accompagnaient quitter le village des bergers passer la nuit sous un arbre sur la grand route.

(10 septembre.) Le lundi 10, je vis sur la route se joindre à Jésus des gens qui avaient campé sur le chemin pour l'attendre. Ils n'étaient pas allés avec lui dans l'endroit d'où il venait, mais une partie d'entre eux avait pris les devants. Je le vis se détourner du chemin avec eux, et vers trois heures après midi, je le vis se diriger vers une station de bergers, consistant seulement en quelques cabanes, que les bergers habitaient au temps des pâturages. Il n'y avait pas de femmes ici. Les bergers allèrent à sa rencontre. Ils savaient sans doute sa prochaine arrivée par ceux qui l'avaient précédé. Pendant qu'une partie d'entre eux allait au devant de lui, les autres tuaient des oiseaux et faisaient du feu pour préparer un repas. Cela se passait dans une salle d'hôtellerie. Il y avait devant le foyer un mur qui l'isolait. À l'entour régnait un banc de gazon dont le dossier était de branches vertes tressées ensemble. Ils conduisirent là le Seigneur et ceux qui l'accompagnaient. Il y avait bien vingt personnes et quand ils furent tous réunis, il devait se trouver là un bon nombre de bergers. Ils lavèrent les pieds à tous et à Jésus dans un bassin à part. Il avait demandé un peu plus d'eau qu'à l'ordinaire et il donna ordre de ne pas la verser. Comme on allait se mettre à table, Jésus demanda aux bergers qui semblaient un peu agités, ce qui les inquiétait et s'il n'en manquait pas quelques uns parmi eux ? Alors ils lui avouèrent qu'ils étaient inquiets parce qu'ils avaient parmi eux deux personnes malades de la lèpre, qu'ils craignaient que ce ne fût la lèpre impure et que Jésus, à cause de cela, ne pût pas venir chez eux : ils les avaient cachés pour ce motif. Jésus leur ordonna de les amener et envoya ses disciples les chercher. Ces gens vinrent enveloppés dans des draps de la tête aux pieds, en sorte qu'ils avaient peine à marcher, et que chacun d'eux était conduit par deux personnes. Jésus les exhorta et leur dit que leur lèpre ne venait pas de l'intérieur, mais qu'elle était venue extérieurement par contagion : il me fut expliqué, selon le sens spirituel, qu'ils n'avaient pas péché par malice, mais entraînés par d'autres. Il ordonna de les laver avec l'eau qui avait servi à lui laver les pieds. Quand cela fut fait je vis tomber les croûtes de la lèpre, laissant seulement après elles une marque sur la peau. L'eau fut ensuite jetée dans une fosse et couverte de terre. L'un de ces lépreux était des environs de Samarie, l'autre de... Jésus encore cette fois défendit très sévèrement à ces braves gens de rien dire de leur guérison, jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême.
Il fit ensuite une autre instruction sur Jean, sur le baptême et sur la venue prochaine du Messie. Alors, ils lui demandèrent en toute simplicité qui ils devaient suivre de lui, ou de Jean, et quel était le plus grand des deux ?" Il leur expliqua que le plus grand était celui qui servait avec la plus parfaite humilité et qui s'abaissait le plus profondément dans la charité. Il les exhorta aussi à aller au baptême. Il parla encore de la difficulté qu'il y avait à le suivre et les congédia tous, ne gardant avec lui que les cinq disciples. Il donna rendez vous aux autres à un endroit situé dans le désert, non loin de Jéricho : je crois que c'est dans la contrée d'Ophra, où Joachim avait un pâturage. Une partie de ces gens l'abandonna tout à fait : d'autres allèrent directement trouver Jean : d'autres enfin retournèrent d'abord chez eux pour se préparer au baptême.
Jésus et les cinq disciples arrivèrent tard devant Nazareth, qui était à tout au plus une petite lieue de là. Ils n'y entrèrent pas : ils s'approchèrent du côté de la porte qui conduisait à l'orient, vers la mer de Galilée.
Nazareth avait cinq portes. À un petit quart d'heure de la ville était la montagne terminée de l'autre côté par un escarpement à pic d'où ils précipitaient souvent des criminels, et d'où ils voulurent plus tard précipiter Jésus t. Au pied de cette montagne étaient des cabanes isolées. Jésus ordonna aux cinq disciples d'y chercher des logements pour eux et il entra lui même dans une d'elles pour y passer la nuit. On leur donna de l'eau pour laver leurs pieds, un morceau de pain et une place pour dormir. le les laissai là, le 10 au soir. La propriété de sainte Anne était au levant de Nazareth. Les bergers avaient fait cuire du pain sous la cendre. Ils avaient un puits creusé dans la terre, mais qui n'était pas revêtu de maçonnerie.

Note : On montre aujourd'hui la montagne du précipice à une demi-lieue au midi de Nazareth. Nazareth doit donc avoir changé de place, ou bien l'indication donnée par la Soeur est peu précise.

(11 septembre.) Le 10, au soir, je vis, comme je l'ai dit, Jésus arriver devant Nazareth. La vallée qu'il avait suivie pendant la nuit en venant de Kisloth Thabor, s'appelait Edron, et le village des bergers avec la synagogue où les pharisiens de Nazareth l'avaient tellement injurié, s'appelait Kimki. Les gens chez lesquels Jésus et les cinq disciples étaient entrés devant Nazareth étaient des esséniens, amis de la sainte Famille. Ils demeuraient là sous des voûtes de vieux murs en ruines ; il y avait des hommes et quelques femmes, vivant sépares et dans le célibat. Ils avaient de petits jardins, portaient de longs vêtements blancs et les femmes des manteaux. Ils avaient habité autrefois dans la vallée de Zabulon, près du château d'Hérode, et ils étaient venus ici par amitié pour la sainte famille.
Celui chez lequel Jésus entra se nommait Eliud c'était un vieillard vénérable avec une longue barbe. Il était veuf ; sa fille prenait soin de lui. C'était le fils d'un frère de Zacharie. Ces gens vivaient ici très retirés ; ils fréquentaient la synagogue de Nazareth, étaient très dévoués à la sainte Famille, et c'était à eux qu'avait été confiée la garde de la maison de Marie lors de son départ.
Le matin, les cinq disciples se rendirent à Nazareth visitèrent leurs parents et leurs amis et entrèrent à l'école : mais Jésus resta prés d'Eliud. Il pria avec lui et s'entretint avec lui très intimement. Cet homme simple et pieux avait connaissance de plusieurs mystères. Dans la maison de Marie il y avait avec elle quatre femmes : sa nièce, Marie de Cléophas, Jeanne Chusa, cousine de la prophétesse Anne, Marie, mère de Jean Marc, parente de Siméon, et la veuve Léa. Véronique n'était plus là, non plus que la femme de Pierre, que j'ai vue récemment prés de l'endroit où habitent les publicains.

Le matin, je vis la sainte Vierge et Marie de Cléophas venir trouver Jésus. Jésus tendit la main à sa mère. Sa manière d'être avec elle était affectueuse, mais toujours très grave et très calme. Elle était inquiète et le pria de ne pas aller à Nazareth où l'on était fort irrité. Les pharisiens de Nazareth qui l'avaient entendu dans la synagogue de Kimki, avaient soulevé de nouveau les esprits contre lui. Jésus lui dit qu'il voulait attendre ici les personnes qui devaient aller avec lui au baptême de Jean, et qu'alors il passerait par Nazareth. Il s'entretint encore beaucoup avec elle ce jour là où elle vint le trouver deux ou trois fois il lui dit entre autres choses qu'il irait quatre fois à Jérusalem pour la Pâque et que la dernière fois elle aurait un grand sujet d'affliction. Il lui révéla d'autres choses encore, mais je les ai oubliées.
Marie de Cléophas, qui était une femme de belle prestance, lui parla, le matin, de ses cinq fils, et le pria de les prendre avec lui. Elle lui exposa que l'un d'eux était scribe, chargé de faire des arbitrages : il s'appelait Simon : deux autres, Jacques le Mineur et Jude Thaddée, étaient pêcheurs : elle les avait eux Alphée, son premier mari, qui lui avait amené un fils d'un premier lit, nommé Matthieu, sur lequel elle pleurait amèrement parce qu'il était publicain. De Sabas, Son second mari, elle avait un autre fils, José Barsabas, qui était aussi pêcheur (Elle avait encore un petit garçon, nommé Siméon, né d'un troisième mariage avec le pécheur Jonas). Jésus la consola, lui dit qu'ils viendraient à lui, il la rassura aussi au sujet de Matthieu (qui avait déjà eu des rapports avec lui lors de son voyage à Sidon). et lui dit qu'il serait un des meilleurs.
Je vis dans l'après midi la sainte Vierge avec quelques unes de ses parentes de Nazareth revenir à sa demeure : près de Capharnaüm. Les serviteurs étaient venus de là avec des ânes pour la ramener. Ils prirent encore beaucoup d'objets qu'on avait laissés à Nazareth, des couvertures, des ballots et aussi des vases : tout était porté par les ânes dans des paniers d'écorce d'arbre tressée. La maison de Marie à Nazareth avait, en son absence, quelque chose de l'aspect d'une chapelle : le foyer faisait l'effet d'un autel. On y avait placé un coffre et au dessus un vase avec de la verdure fraîche. Maintenant, après son départ, la maison sera habitée par les esséniens.
Je vis toute cette journée Jésus s'entretenir très intimement avec Eliud, sur lequel j'ai appris beaucoup de choses que malheureusement je ne puis me rappeler. Eliud l'interrogea sur sa mission, et Jésus lui expliqua tout. Il lui dit qu'il était le Messie et s'entretint avec lui de sa généalogie humaine et du mystère de l'arche d'alliance. J'appris alors que cet objet mystérieux avait été porté avant le déluge dans l'arche de Noé, comment il s'était transmis de génération en génération, comment il avait été retiré par intervalles, puis rendu de nouveau, Jésus dit à ce propos que Marie en naissant était devenue l'arche d'alliance du mystère(4). Alors Eliud, qui pendant ce temps là parcourait divers écrits et marquait certains passages des prophètes, que Jésus lui expliquait, lui demanda pourquoi il n'était pas venu plus tôt. Jésus lui répondit qu'il n'avait pu naître que d'une femme conçue comme les hommes l'auraient été sans la chute originelle, et que depuis les premiers parents il ne s'était rencontré pour cela aucun couple d'époux qui fût aussi pur de part et d'autre qu'Anne et Joachim. Il lui développa tout cela et lui fit connaître tout ce qui avait jusque là empêche, entravé et retardé l'oeuvre du salut.

Note 4 : Il y a plus de détails à ce sujet dans les visions relatives à la bénédiction des patriarches et au mystère de l'arche d'alliance.

J'appris dans ces entretiens beaucoup de choses touchant l'histoire de l'arche d'alliance. Lorsqu'elle tombait dans les mains des ennemis, cet objet mystérieux n'y était plus, parce que les prêtres le retiraient toutes les fois qu'il y avait du danger, et cependant l'arche qui l'avait contenu restait si sainte que les ennemis étaient punis pour l'avoir propagée et obligés de la restituer. Je vis aussi qu'une famille chargée plus particulièrement par Moïse de la garde de l'arche d'alliance, avait subsisté jusqu'au temps d'Hérode. Jérémie, à l'époque de la captivité de Babylone, fit cacher près du mont Sinaï l'arche d'alliance et d'autres objets sacrés ; et plus lard on ne la retrouva pas. Mais la chose sainte n'y était plus à une époque postérieure. on fit une imitation de l'arche d'alliance : mais tout ce qui y avait été précédemment ne s'y trouvait pas : la verge d'Aaron, ainsi qu'une partie de l'objet mystérieux, étaient chez les esséniens du mont Horeb ; mais le sacrement de la bénédiction y revint par l'intermédiaire de je ne sais plus quel prêtre. Je vis là en tableaux plusieurs choses que Jésus expliqua à Eliud ; j'entendis une partie de ce qu'il lui dit, mais je ne puis pas me rappeler tout.
Il dit comment il avait pris chair du germe béni que Dieu avait retiré d'Adam avant sa chute comment ce germe béni, afin que tout Israël méritât bien de lui, avait dû se transmettre à travers plusieurs générations, comment il avait été souvent retiré, et comment les vases s'étaient ternis. je vis tout cela en réalité ; je vis tous les aïeux de Jésus comment les patriarches au moment de leur mort transmettaient réellement cette bénédiction à leurs premiers nés, dans une cérémonie sacramentelle, et comment le morceau de pain et le breuvage contenu dans la sainte coupe qu'Abraham avait reçus de l'ange qui lui promit Isaac, étaient une figure du très saint Sacrement de la nouvelle alliance et donnaient la force pour coopérer à la formation de la chair et du sang du Messie futur. Je vis comment la ligne des ancêtres de Jésus reçut ce sacrement pour concourir à l'incarnation de Dieu, et que Jésus fit de la chair et du sang reçus de ses ancêtres un sacrement plus sublime pour opérer l'union des hommes avec Dieu.
Jésus parla aussi beaucoup avec Eliud de la sainteté d'Anne et de Joachim et de la conception surnaturelle de Marie sous la porte dorée, mais je ne m'en souviens plus bien. Il dit aussi qu'il n'avait pas été conçu de Joseph, mais de Marie selon la chair, et que la conception de celle ci provenait de ce germe pur et béni, retiré à Adam avant la chute, qui avait été transmis a Joseph, en Egypte, par le canal d'Abraham, puis était arrivé dans l'arche d'alliance et de l'arche avait passé dans Joachim et dans Anne.
Il dit que, devant racheter les hommes, il avait été envoyé avec toute la faiblesse de la créature humaine, qu'il sentait et éprouvait toutes choses à la façon d'un homme ordinaire ; que, comme le serpent de Moïse dans le désert, il serait élevé en l'air sur la montagne du Calvaire où le corps du premier homme avait son tombeau. Ah ! Combien il aurait d'afflictions à endurer, et combien les hommes seraient ingrats, etc. Eliud l'interrogeait toujours avec beaucoup de simplicité et de droiture de coeur, mais il comprenait tout mieux que ne firent les apôtres au commencement ; il entendait tout dans un sens plus spirituel : cependant il ne pouvait pas encore se bien rendre compte de ce qui allait se faire. Il demanda à Jésus où serait son royaume, si ce serait à Jérusalem, à Jéricho ou à Engaddi. Jésus répondit que là où il était, là était son royaume, qu'il n'avait point de royaume apparent.
J'entendis aussi aujourd'hui et le jour suivant mentionner plus d'un passage de l'Ecriture où la lettre ne rend pas le sens intérieur, où la prophétie exprimée par des images sensibles est comprise trop matériellement.
Le vieillard parlait à Jésus avec beaucoup de naturel et de simplicité : il lui raconta plusieurs choses relatives à sa mère, comme s'il les eût ignorées, et Jésus l'écouta avec une grande bienveillance. Il parla de saint Joachim et de sainte Anne. Jésus dit qu'aucune femme n'avait été plus chaste que sainte Anne, et que si elle s'était remariée deux fois après la mort de Joachim, ç'avait été par ordre de Dieu. Cette souche devait produire un nombre déterminé de rejetons qui avait ainsi été complété.
Eliud raconta quelque chose touchant la mort de sainte Anne, et je vis un tableau de sa mort. Je vis Anne, à la façon de Marie, dans la pièce située sur le derrière de sa grande maison, étendue sur une couche un peu exhaussée ; je vis qu'elle était très animée, très parlante et nullement comme une personne à l'article de la mort. Je la vis bénir ses plus jeunes filles et les autres personnes de la maison ; celles ci étaient dans la pièce antérieure ; je vis que Marie était à son chevet et Jésus au pied de son lit. Elle bénit Marie et demanda la bénédiction de Jésus qui était arrivé à l'âge d'homme et avait une barbe naissante. Je la vis encore parler joyeusement ; elle leva les yeux au ciel, puis elle devint blanche comme la neige et je vis sur son front des gouttes comme des perles. Alors je m'écriai : " Elle meurt, elle meurt ! " Et je désirais ardemment la prendre dans mes bras. Alors ce fut comme si elle venait à moi et reposait dans mes bras ; et en m'éveillant je croyais encore la tenir.
Eliud parla encore des vertus pratiquées par Marie dans le temple. Je vis aussi tout cela en tableaux. Je vis que sa maîtresse Noémi était parente de Lazare, et que cette femme, âgée d'environ cinquante ans, était essénienne, ainsi que toutes les autres femmes attachées au service du temple Je vis que Marie apprit près d'elle à tricoter, qu'étant encore enfant elle allait déjà avec elle, quand Noémi nettoyait les vases et les ustensiles tachés par le sang des victimes, et recevait certaines portions de la chair des animaux sacrifiés qu'elle découpait et préparait pour l'usage des servantes du temple et des prêtres : car ceux ci tiraient de là en partie leur nourriture. Plus tard je vis la sainte Vierge l'aider dans tout cela. Je vis aussi que Zacharie, quand il était de service, visitait la petite Marie : Siméon aussi la connaissait. Je vis ainsi toute sa pieuse et humble manière de vivre et de servir dans le temple, comme Eliud la décrivait au Seigneur.
Ils s'entretinrent encore de la conception du Messie et Eliud parla de la visite de Marie à Elisabeth. J'appris là de nouveau que le Sauveur a été conçu deux mois après notre fête actuelle de Noël ainsi que je l'ai toujours vu, et je vis aussi quelque chose que j'ai oublié sur ce qui a fait que la fête de Noël a été mise plus tard elle raconta en outre que Marie avait trouvé là une source, ce que j'ai vu. J'ai vu comment la sainte Vierge, avec Elisabeth, Zacharie et Joseph étaient allés de la maison de Zacharie dans un petit bien qui appartenait à celui ci et où l'on manquait d'eau ; je vis la sainte Vierge aller seule devant le jardin avec un petit bâton ; elle pria, et quand elle toucha la terre avec le petit bâton, il en jaillit un filet d'eau qui coula autour d'un petit tertre. Lorsque Zacharie et Joseph arrivèrent, ils enlevèrent le monticule avec une bêche ; l'eau sortit de tous les côtés à cette place et il y eut là une très belle fontaine. Zacharie habitait au sud ouest de Jérusalem à environ cinq lieues.
Dans cet entretien si intime dont les intervalles étaient remplis par la prière, je vis Eliud marquer du respect à Jésus, mais se livrer à un enjouement naïf et ne le traiter que comme un homme élu. La fille d'Eliud ne demeurait pas dans la même maison que son père : elle habitait à part une grotte creusée dans le roc.
Les esséniens qui habitaient contre la montagne étaient environ une vingtaine ; les femmes, au nombre de cinq ou six, avaient une habitation séparée où elles demeuraient ensemble. Tous ces gens honoraient Eliud comme un supérieur, et ils se réunissaient tous les jours pour faire la prière avec lui. Jésus prit avec Eliud un repas composé de fruits, de miel et de poisson, mais il mangea peu. Ces esséniens s'occupaient pour la plupart de tissage et de jardinage.
La montagne au pied de laquelle ils habitaient était la plus haute cime de l'arête sur laquelle Nazareth était bâti ; mais elle était séparée de la ville par une vallée. Du côté opposé se trouvait un escarpement à pic couvert de verdure et de vignobles. Au dessous de cet escarpement, d'où plus tard les pharisiens voulurent précipiter Jésus, il y avait des décombres, des immondices et des ossements. La maison de Marie était située en avant dans la ville, contre une colline, en sorte que certaines parties de la maison formaient comme des grottes dans la colline. Cependant le haut de la maison dépassait cette éminence, au delà de laquelle se trouvaient d'autres habitations.
Ce soir, Marie et les femmes, en compagnie de Colaya, fils de Léa, revinrent dans leur maison de la vallée de Capharnaüm. Leurs amies des environs vinrent au devant d'elles. La maison qu'habitait Marie, près de Capharnaüm, appartenait à un homme nommé Lévi, qui demeurait à peu de distance de là, dans une grande maison. La famille de Pierre l'avait louée de Lévi et cédée à la sainte Famille ; car Pierre et André connaissaient la sainte Famille, soit par eux mêmes, soit par Jean Baptiste, dont ils étaient disciples. Il y avait plusieurs bâtiments adjacents où des disciples et des parents pouvaient loger. Cette maison semblait avoir été choisie à cause de cela. Marie de Cléophas avait avec elle son fils Siméon petit garçon de deux ans, né de son troisième mariage. Je crois que son père Jonas était mort, mais je n'en suis pas bien sûre : il y a trop de gens allant et venant : il est difficile d'en savoir au juste le compte.
Vers le soir, Je vis Jésus aller à Nazareth avec Eliud En avant des murs de la ville, à l'endroit où Joseph avait son atelier de charpentier, demeuraient de pauvres et honnêtes familles, connues de Joseph, et où quelques uns des enfants avaient été du nombre des compagnons de Jésus pendant son adolescence. Eliud conduisit Jésus près d'eux. Ils donnèrent à leurs hôtes un morceau de pain et de l'eau qui était très fraîche. À Nazareth, l'eau était remarquablement bonne. Je vis Jésus s'asseoir par terre chez ces gens et les exhorter à aller au baptême de Jean. Ces gens sont un peu timides avec Jésus, dans lequel ils ne voyaient autrefois qu'un de leurs pareils, mais qui maintenant leur est amené d'une façon si solennelle par Eliud, personnage très respecté parmi eux, près duquel tous vont chercher des conseils et des consolations, et qui les exhorte au baptême. Ils ont bien entendu parler du Messie, mais ils ne peuvent penser que ce soit lui, etc.
Le 13 au matin je vis Jésus sortir de Nazareth avec Eliud. Ils allèrent du côté du midi sur le chemin de Jérusalem. On appelle cette contrée la vallée d'Esdrelon. Etant allés à environ deux lieues au delà du petit torrent de Kison, ils arrivèrent à un endroit consistant en une synagogue, une hôtellerie et quelques maisons. C'est, je crois, un faubourg de la ville d'Endor qui est tout près de là. À peu de distance de là se trouve une fontaine renommée. Jésus entra dans une hôtellerie. Les gens du lieu étaient peu sympathiques, sans être précisément hostiles. Eliud aussi, de son côté, n'avait pas grand crédit chez eux : car leurs tendances étaient plutôt pharisiennes. Jésus dit aux préposés qu'il voulait enseigner dans la synagogue. Ils dirent que ce n'était pas l'usage de le permettre à des étrangers. Mais il leur déclara qu'il avait mission pour cela : il entra dans l'école et enseigna sur le Messie, dont le royaume n'est pas de ce monde et qui ne doit pas paraître avec une pompe extérieure ; il parla aussi du baptême de Jean. Les prêtres attachés à la synagogue ne lui étaient pas favorables. Il se lit donner des écrits, qu'il ouvrit, et il en expliqua divers passages des prophètes.
Je fus encore singulièrement touchée de la conversation intime qu'il eut avec le vieil Eliud : celui ci connaissait sa mission, son origine surnaturelle, et il y croyait ; toutefois il ne paraissait pas soupçonner que c'était Dieu lui même. Comme ils marchaient ensemble, Eliud lui raconta avec beaucoup de simplicité diverses choses touchant sa jeunesse, ce que la prophétesse Anne lui avait dit, et ce que celle ci, après le retour de la sainte Famille d'Egypte, avait appris de Marie, qu'elle avait visitée quelquefois à Jérusalem Jésus lui raconta aussi des choses qu'il ne savait pas, et ses récits étaient accompagnés d'explications très profondes : mais tout cela se passait simplement et naturellement : c'était la conversation d'un bon vieillard avec un jeune ami qu'il affectionne. Pendant qu'Eliud racontait ce qu'Anne avait appris de Marie et lui avait répété, je vis tout cela en visions, et je me réjouis de voir que c'étaient toujours les mêmes choses que j'avais déjà vues et dont j'avais oublié une partie. J'ai beaucoup vu et entendu à ce sujet, mais malheureusement j'en ai oublié la plus grande partie, parce que j'ai été dérangée.(5)
Jésus parla aussi avec Eliud du voyage qu'il devait faire à l'occasion de son baptême. Il avait réuni beaucoup de personnes qu'il avait envoyées dans le désert, près d'Ophra ; quant à lui, il voulait aller seul en passant par Béthanie, où il voulait parler à Lazare Il le nomma d'un autre nom que j'ai oublié : il parla de son père et de ce qu'il avait été lors de la guerre. Il dit que Lazare et ses soeurs étaient riches et sacrifieraient tout au service de l'oeuvre du salut.

Note 5 : Les récits intercalés ici sur la fuite en Egypte, la vie en Egypte le massacre des Innocents, le retour d'Egypte, etc., ont été placés dans la vie de la sainte Vierge.

Lazare avait trois soeurs : Marthe, l'aînée ; Marie Madeleine, la plus jeune, et une entre les deux qui s'appelait aussi Marie : celle ci vivait tout à fait à part ; elle était silencieuse et comme idiote : on ne l'appelle que Marie la Silencieuse. Jésus, parlant d'elles, dit à Eliud que Marthe était bonne et pieuse, et qu'elle le suivrait ainsi que son frère. Il dit de l'idiote : "Celle là avait un grand esprit et beaucoup d'intelligence ; mais ces dons lui ont été retirés pour son salut. Elle n'est pas faite pour le monde et sa vie est toute intérieure, mais elle ne pèche pas i : si je m'entretenais avec elle, elle comprendrait les mystères les plus cachés. Elle ne survivra pas longtemps au moment où Lazare et ses soeurs me suivront et donneront tout pour la communauté. La plus jeune soeur, Marie, est égarée : mais elle reviendra et surpassera Marthe, etc."
Précédemment, lorsque la narratrice vit le Seigneur dans le voisinage de Magdalum, elle eut la vision suivante touchant Madeleine :
"Voyez un peu ! je l'aperçois au haut de son château : derrière elle brille un corps lumineux semblable à une lune, mais devant elle s'élève comme une montagne noire qu'elle doit mettre sous ses pieds, car une assistance lui est donnée. Elle est stérile, autrement ce qu'il y a de ténébreux en elle se serait répandu au dehors et l'aurait fortement attachée au monde. Lorsqu'elle a reconnu Jésus et fait pénitence, elle a mis au monde beaucoup d'enfants selon l'esprit. Je vois aussi là la Mère de Dieu : elle met le pied sur la montagne noire qui s'enfonce : alors Madeleine est toute entière dans la clarté de la lune, elle est toute lumineuse, mais la Mère de Dieu se tient au dessus de la lune. La lune a une signification importante et joue un rôle considérable : elle est en rapport avec beaucoup de mauvaises choses qui sont en nous. Mais il y a tant à dire là dessus, que je ne puis en parler maintenant. Quand la Mère de Dieu vint, elle foula aux pieds le mal avec ses ténèbres ; elle a reçu l'empire sur lui : je ne puis pas bien expliquer la chose maintenant, mais c'est pour cela qu'elle est représentée au dessus de la lune, ayant le serpent sous ses pieds. C'est une réalité qui nous est ainsi montrée sous forme d'image. "
Eliud parla encore de Jean Baptiste, le cousin de Jésus : il ne l'avait jamais vu et n'était pas encore baptisé. Ils passèrent la nuit dans l'hôtellerie voisine de la synagogue.

(14 septembre.) Ce matin Jésus alla avec Eliud le long de la montagne d'Hermon qui n'est pas cet Hermon où Joachim avait des pâturages. Ils allèrent à Endor, ville en partie ruine. Déjà près du lieu où ils avaient logé, il y avait sur le penchant de la montagne, des restes de murs tellement larges qu'on aurait pu y aller en voiture. La ville d'Endor était peu habitée, pleine de décombres ; il y avait beaucoup de jardins. D'un côté s'élevaient de grands édifices semblables à des palais : en d'autres endroits la ville était en ruines, ayant été dévastée par la guerre. Il me semble qu'il habitait là une race d'hommes distincte des Juifs. Jésus n'alla pas dans la synagogue, il n'y en avait pas ici. Il se rendit avec Eliud sur une grande place où il y avait trois édifices contenant une quantité de petites chambres bâties près d'un étang entouré d'une pelouse et sur lequel flottaient de petites barques de baigneurs : il y avait aussi une pompe près de cet étang. Cela ressemblait à un établissement d'eaux minérales : les petites chambres étaient habitées par des malades. Jésus alla avec Eliud dans une de ces grandes maisons : on lui lava les pieds et on l'hébergea. Il fit ensuite une instruction à ces gens sur la place où on lui avait préparé un siège élevé. Les femmes qui habitaient dans une des ailes vinrent se ranger derrière les auditeurs. Ces gens n'étaient pas de vrais juifs : c'étaient plutôt comme des esclaves expulsés : ils avaient à payer un tribut sur les fruits qu'ils recueillaient. Ils étaient restés dans la ville à la suite d'une guerre : je crois que Sisara leur chef fut battu assez près de cette ville et ensuite tué par une femme. (Jg 4,2.) Ces gens étaient répandus dans tout le pays en qualité d'esclaves : il y en avait encore là environ quatre cents. On leur avait fait autrefois exploiter des carrières pour la construction du temple sous David et Salomon. Ils étaient toujours employés à des travaux de ce genre. Le défunt roi Hérode s'était servi d'eux pour construire un aqueduc long de plusieurs lieues qui amenait l'eau à la montagne de Sion. Ces gens s'assistaient constamment les uns les autres et ils étaient charitables. Ils portaient de longues robes avec des ceintures et des capuchons pointus qui couvraient les oreilles, comme les anciens ermites. Ils n'avaient aucun commerce avec les juifs : mais il leur était permis d'envoyer leurs enfants à l'école : toutefois ils étaient si opprimés et si méprisés qu'ils n'usaient pas de ce droit. Jésus fut très compatissant avec eux : il fit aussi venir les malades. Ceux ci étaient assis sur des espèces de lit semblables à mon fauteuil et qui m'y faisaient penser y avait un dossier mobile avec des appuis : quand ce dossier s'abaissait, le fauteuil était comme un lit. Lorsque Jésus enseigna sur le baptême et sur le Messie, et leur fit des exhortations à ce sujet, ils se montrèrent très timides, disant qu'ils ne pouvaient prétendre à de telles choses, qu'ils étaient des cens expulsés. Alors Jésus rectifia leurs idées au moyen d'une parabole touchant l'économe infidèle. J'en ai oublié l'explication que j'avais bien comprise et qui m'a occupé tout le jour. Je la retrouverai une autre fois. Il raconta aussi la parabole du fils que son père envoie prendre possession de sa vigne : il la racontait toujours aux païens dont personne ne s'occupait. Ces gens préparèrent un repas en plein air pour Jésus. Il y invita les pauvres et les malades et les servit à table avec Eliud. Ils en furent extrêmement touchés. Le soir Jésus retourna avec Eliud à la synagogue du faubourg, ils y célébrèrent le sabbat et y passèrent la nuit.

(15 septembre.) Aujourd'hui Jésus alla encore avec Eliud à Endor, qui par conséquent n'était éloigné de l'hôtellerie que de la distance qu'on pouvait parcourir un jour de sabbat. Il y enseigna. Ces gens étaient Chananéens, et originaires de Sichem. À ce que je crois : car j'entendis aujourd'hui prononcer le nom de Sichémites. Ils avaient dans une salle une idole cachée dans un souterrain, laquelle au moyen d'une mécanique que l'on faisait jouer, sortait tout à coup de terre et venait se placer sur un autel élégamment paré : on la faisait rentrer par le même procédé. C'était une idole de femme qu'ils tenaient de l'Egypte et qui s'appelait Astarté : hier j'avais pris ce nom pour celui d'Esther. Elle avait un visage rond comme une lune. Elle avançait les bras sur lesquels elle tenait couche devant elle un objet assez long, emmailloté comme une chrysalide de papillon, plus épais au milieu, et effilé aux deux extrémités : ce pouvait bien être un poisson. Sur le des de l'idole était placé comme un socle sur lequel était un boisseau ou une hotte qui dépassait le haut de la tête. Il y avait dedans comme des épis dans des cosses vertes avec d'autres feuilles vertes et des fruits. Depuis les pieds jusqu'au bas ventre ; l'idole était comme dans un muid et elle était entourée de pots où étaient diverses plantes. Ils pratiquaient en secret leur culte idolâtrique, et Jésus leur fit des reproches à ce sujet dans son instruction. Autrefois ils sacrifiaient à leur déesse des enfants mal conformés. À cette déesse correspondait un dieu Adonis, qui, si je ne me trompe, était comme son mari. Ces gens étaient venus dans le pays sous la conduite de leur chef Sisara : ils y avaient été battus, et depuis ce temps, ils étaient répandus dans la contrée où ils servaient comme esclaves. Ils étaient très opprimés et très méprisés. Peu de temps avant Jésus Christ ils avaient excité des troubles prés du château d'Hérode dans cette partie de la Galilée, et depuis lors ils avaient été soumis à une oppression plus dure. Dans l'après midi Jésus revint avec Eliud dans la synagogue pour la clôture du sabbat. Les juifs avaient très mal pris sa visite à Endor, mais il leur reprocha très sévèrement leur dureté envers ces hommes abandonnés, leur recommanda d'être charitables à leur égard et les exhorta a les mener avec eux au baptême, auquel eux mêmes, d'après ses avis, s'étaient décidés à aller. Ils étaient devenus plus favorables à Jésus après l'avoir entendue le soir, Jésus revint à Nazareth avec Eliud et je les vis s'entretenir sur la route comme l'ordinaire : souvent ils s'arrêtaient et parlaient. Eliud raconta beaucoup de choses de la fuite en Egypte et je vis tout cela en visions il fut amené à en parler parce qu'il avait demandé à Jésus si son royaume ne s'étendrait pas jusqu'à ces bonnes gens d'Egypte qui l'avaient vu enfant et que sa présence avait touchés.
Ici je vis de nouveau que ce que j'avais vu d'un voyage fait par Jésus en Egypte, à travers l'Asie païenne, après la résurrection de Lazare, n'était pas un rêve de ma façon : car Jésus dit à Eliud, que partout où la semence avait été jetée, il irait avant sa fin recueillir les épis séparés. Eliud avait aussi quelques notions sur le pain et le vin et sur Melchisédech, il ne pouvait pas se faire une idée de ce qu'était Jésus et il lui demanda s'il n'était pas quelque chose comme Melchisédech. Jésus répondit : " Non ; il devait préparer mon sacrifice, mais c'est moi même qui serai le sacrifice. "
J'appris aussi dans cet entretien que Noémi, la maîtresse de Marie au temple, était tante de Lazare, et soeur de sa mère. Le père de Lazare était le fils d'un roi syrien : il avait servi dans les guerres et acquis de grands biens. Sa femme était une juive de distinction, de la race sacerdotale d'Aaron (alliée à sainte Anne par Manassé). Ils avaient trois châteaux à Bethanie, près d'Herodium et à Magdalum sur la mer de Galilée, non loin de Tibériade et de Gabara : Hérode avait aussi un château dans le voisinage de Magdalum. Ils parlèrent aussi du scandale que Madeleine donnait à sa famille, etc.
Jésus entra chez Eliud où se trouvaient les cinq disciples, tous les autres esséniens et diverses personnes qui voulaient aller au baptême.

(16 septembre.) Le matin, quand Jésus arriva avec Eliud, il y avait beaucoup de monde rassemblé près de la maison de celui ci ; c'étaient les autres esséniens, les cinq disciples et plusieurs personnes qui voulaient aller au baptême. Jésus les instruisit. Il était aussi arrivé à Nazareth des publicains qui voulaient aller au baptême : plusieurs troupes étaient déjà parties.
Plus tard dans la matinée, Jésus enseigna de nouveau : il vint ensuite à lui deux pharisiens de Nazareth qui l'invitèrent à les suivre jusqu'à l'école de la ville : ils avaient, disaient ils, tant entendu parler de son enseignement dans le pays, qu'ils désiraient, eux aussi, entendre ses explications sur les prophètes. Jésus alla avec eux. Ils le conduisirent dans la maison d'un pharisien où plusieurs autres étaient réunis. Ses cinq disciples étaient avec lui. Les pharisiens qui formaient son auditoire furent très bienveillants pour lui : il leur raconta de si belles paraboles, qu'ils parurent prendre grand plaisir à son enseignement et qu'ils le conduisirent à la synagogue. Beaucoup de gens s'y étaient rassemblés il parla de Moise et leur expliqua des prophéties relatives au Messie. Mais comme d'après son langage, ils soupçonnèrent qu'il pouvait bien parler de lui même, ils furent fort scandalisés. Ils lui donnèrent pourtant un repas chez un pharisien. Il passa la nuit avec cinq disciples dans une hôtellerie voisine de l'école.

(7 septembre.) Jésus enseigna aujourd'hui une troupe de publicains qui allaient au baptême. Il enseigna aussi dans la synagogue et parla du grain de blé qui doit tomber en terre.
Les pharisiens se scandalisèrent à nouveau à son sujet et recommencèrent leurs propos sur le fils du charpentier Joseph. Ils lui reprochèrent aussi ses rapports et son commerce avec les publicains et les pécheurs, et il leur répondit très vertement. Ils lui parlèrent en outre des esséniens, disant que c'étaient des hypocrites qui ne vivaient pas selon la loi. Mais Jésus leur fit voir qu'ils observaient la loi mieux que les pharisiens et le reproche d'hypocrisie retomba sur eux. Ils étaient arrivés à s'occuper des esséniens à propos des bénédictions : car ils s'étaient scandalisés de voir Jésus bénir plusieurs enfants et ils en parlèrent parce que les bénédictions étaient fort en usage parmi les esséniens. Or, quand Jésus entrait dans la synagogue ou en sortait, beaucoup de femmes se présentaient devant lui avec leurs enfants et le priaient de vouloir bien les bénir. Lorsque Jésus demeurait encore à Nazareth, il s'occupait toujours beaucoup des enfants, qui devenaient paisibles et silencieux près de lui quand il les bénissait, même ceux qui, un instant auparavant, pleuraient et se montraient ingouvernables. Les mères se souvenant de cela lui amenaient leurs enfants et voulaient voir s'il n'était pas devenu plus fier. Il y avait là quelques enfants qui se rejetaient et se renversaient sur eux mêmes : ils avaient comme des convulsions et poussaient de grands cris. Mais aussitôt après sa bénédiction ils se tinrent tranquilles. Je vis sortir de quelques uns comme une noire vapeur. Il mettait la main sur la tête des enfants et les bénissait à la manière des patriarches en marquant trois lignes, parlant de la tête et des deux épaules jusqu'à la poitrine où elles se réunissaient. Il faisait de même pour les petites filles, mais sans leur imposer les mains. Il faisait à celles ci un signe sur la bouche, je me disais que c'était Pour qu'elles fussent moins bavardes : mais cela avait encore un autre sens caché. Il passa la nuit avec ses disciples dans la maison d'un pharisien.

(18 septembre.) Hier 17, je vis Jésus passer la nuit à Nazareth, dans la maison d'un pharisien. À ses cinq compagnons, il s'en était joint quatre autres qui étaient aussi parents et amis de la sainte Famille : je crois qu'il s'y trouvait des fils des trois veuves, et un homme de Bethléem qui avait découvert qu'il descendait de Ruth, devenue l'épouse de Booz à Bethléem. Il les admit au nombre de ses disciples. Il y avait à Nazareth deux familles riches, où il y avait trois fils qui, dans leur jeunesse, avaient eu des relations avec Jésus : ces fils étaient intelligents et instruits. Les parents qui avaient assisté à l'instruction de Jésus et qui avaient beaucoup ou' vanter sa sagesse, convinrent entre eux que leurs enfants iraient encore aujourd'hui l'entendre et qu'ensuite ils lui offriraient de l'argent pour qu'il leur permît de voyager avec lui et de participer à sa science. Ces braves gens avaient leurs fils en grande estime et pensaient que Jésus devait être leur précepteur. Les jeunes gens vinrent aujourd'hui dans la synagogue : tout ce qu'il y avait de gens instruits à Nazareth fit de même, sur l'invitation des pharisiens et de ces riches personnages. Ils voulaient mettre Jésus à l'épreuve de toute manière. Il y avait là un docteur de la loi et un médecin, grand et gros homme avec une longue barbe, une ceinture et un insigne qu'il portait à l'épaule sur son vêtement. Je vis Jésus à son entrée dans l'école bénir de nouveau plusieurs enfants que leurs mères lui apportaient : et parmi lesquels j'en vis de lépreux qu'il guérit. Je vis comment enseignant dans l'école il fut interrompu plusieurs fois par les savants qui lui proposaient toute sorte de questions compliquées, et comment il les réduisit tous au silence par la sagesse de ses paroles. Aux discours du docteur de la loi il fit des réponses admirables tirées de la loi de Moïse, et quand on parla du divorce, il le condamna entièrement. Il dit que le mariage ne pouvait être dissous ; que, si le mari ne pouvait pas absolument vivre avec sa femme, il pouvait se séparer d'elle, mais qu'ils restaient toujours une seule chair et ne pouvaient pas se remarier. Cela ne fut nullement agréable aux juifs. Le médecin lui demanda s'il savait distinguer les tempéraments secs ou humides, sous quelle planète un homme était né, quelles herbes il fallait donner aux uns ou aux autres et comment était fait le corps humain. Jésus lui répondit avec une grande sagesse, il parla de la complexion de quelques uns des assistants, de leurs maladies et des moyens curatifs à employer, et il dit sur le corps humain des choses tout à fait inconnues au médecin. Il parla de la substance spirituelle et de la manière dont elle agit sur le corps, il dit qu'il y avait des maladies qui ne pouvaient être guéries que par la prière et la conversion, d'autres qui avaient besoin des secours de la médecine, et tout cela avec tant de profondeur et dans un si beau langage que le médecin tout émerveillé reconnut que son art était surpassé et qu'il n'avait jamais rencontré une pareille science. Je crois qu'il suivra Jésus. Il décrivit le corps humain avec ses membres, ses veines, ses nerfs et ses intestins, leur destination et leurs rapports entre eux avec tant d'exactitude quoique dans un résume rapide, et avec des vues si profondes que le médecin se sentit tout humble devant lui. Il y avait aussi là un astronome et il parla du cours des astres, de l'action que les étoiles ont les unes sur les autres, de leurs influences diverses, des comètes et des signes du ciel. Il dit aussi à un des assistants des choses d'un sens très profond sur l'architecture. Il parla en outre du commerce et du trafic avec les peuples étrangers, et s'exprima en termes sévères sur des modes et des frivolités de toute espèce qui étaient venues d'Athènes. Diverses sortes de jeux et de tours d'escamotage étaient venus de là dans le pays : la mode s'en était répandue jusqu'à Nazareth et dans plusieurs autres lieux. Il dit que c'étaient là des choses impardonnables, parce qu'on ne les regardait pas comme mauvaises et qu'on n'en faisait pas pénitence.
Tous étaient ravis de la sagesse qui éclatait dans ses discours : ses auditeurs l'engagèrent instamment à s'établir parmi eux, promettant de lui donner une maison et de pourvoir à tous ses besoins. Ils lui demandèrent aussi pourquoi il était allé avec sa mère à Capharnaüm. Mais il répondit qu'il ne resterait pas ici. Il parla de sa destination et de sa mission ; dit qu'ils étaient allés à Capharnaüm parce qu'il voulait habiter un point central du pays, etc. Ils ne comprirent pas tout cela et furent fort mécontents de ce qu'il refusait d'habiter parmi eux. Ils croyaient lui avoir fait des offres très avantageuses et considéraient comme dicté par l'orgueil ce qu'il disait de sa mission et de sa destination. Ils quittèrent l'école vers le soir.
Les trois jeunes gens qui étaient âgés d'environ vingt ans, désiraient lui parler ; mais il ne voulut pas les entendre jusqu'à ce que ses neuf disciples fussent autour de lui : cela les chagrina. Mais il dit qu'il en agissait ainsi pour qu'il y eût des témoins de ce qu'il leur dirait. Alors ils lui exprimèrent en termes réservés et très modestes leur désir et celui de leurs parents qu'il voulût bien les prendre pour élèves, ajoutant que leurs parents lui donneraient de l'argent et qu'eux l'accompagneraient, le serviraient et l'assisteraient dans ses travaux... Je vis qu'il en coûtait à Jésus de leur refuser ce qu'ils demandaient, tant à cause d'eux mêmes, qu'à cause de ses disciples, car il avait à leur donner des raisons qu'ils n'étaient pas encore en état de comprendre. Il leur dit que celui qui se procurait quelque chose à prix d'argent, voulait retirer de son argent un avantage temporel : mais que celui qui voulait marcher dans sa voie à lui, devait renoncer à tous les biens de ce monde ; que quiconque voulait le suivre devait aussi abandonner ses parents et ses amis : enfin, que ses disciples ne cherchaient point femme et ne se mariaient pas. Il leur présenta ainsi des conditions très difficiles : ils en furent très découragés et lui parlèrent des esséniens parmi lesquels il y avait des gens mariés. Jésus répondit qu'ils se conformaient à leurs règles et faisaient bien, mais qu'ils n'avaient fait que préparer ce que son enseignement devait mener à terme, etc. Il les congédia et les engagea à réfléchir mûrement. Ses disciples étaient effrayés de ses paroles et de ce qu'il avait présenté sa doctrine comme si difficile à suivre : ils ne pouvaient pas le comprendre et se sentaient découragés. Il alla avec eux de Nazareth à la maison d'Eliud, et leur dit sur le chemin qu'ils ne devaient pas perdre courage ; qu'il avait eu des raisons graves pour parler ainsi à ces jeunes gens, qu'ils ne viendraient jamais à lui ou qu'ils y viendraient tardivement, que pour eux ils devaient le suivre tranquillement et ne point s'inquiéter, etc. Ils arrivèrent ainsi à la maison d'Eliud... Je ne crois pas qu'il revienne de nouveau voir Eliud, car on parle beaucoup et on s'agite beaucoup à Nazareth. Ils sont irrités de ce qu'il n'a pas voulu y rester : ils s'imaginent qu'il a appris tout cela dans ses voyages. "C'est assurément, disent ils, un homme extraordinaire et d'un grand esprit, mais il est trop fier pour le fils d'un charpentier. " Je vis aussi les trois jeunes gens revenir chez eux. Les parents prirent très mal les difficultés que Jésus avait faites, les enfants abondèrent dans le même sens et tout se tourna en mécontentement contre lui.

(19 septembre.) Jésus enseigna de nouveau dans la maison d'Eliud. Ses auditeurs étaient pour la plupart des esséniens : il y avait aussi quelques étrangers qui se disposaient à recevoir le baptême.
Les trois jeunes gens de Nazareth vinrent le trouver ici et le prièrent encore de les prendre avec lui. Ils lui promirent de lui obéir en tout et de le servir. Jésus refusa de nouveau et je vis qu'il était contristé de ce qu'ils ne pouvaient pas comprendre les motifs de son refus. Il s'entretint ensuite avec les neuf disciples qui d'après ses instructions, se disposaient à faire encore quelques courses et à aller après cela trouver Jean. Il leur parla de ceux qu'il venait de rejeter, leur dit qu'ils avaient en vue certains avantages : mais qu'ils n'étaient pas disposés à tout donner par charité : que pour eux, ses disciples, ils ne demandaient rien et qu'à cause de cela ils recevraient, etc. Il dit encore des choses très belles et très profondes sur le baptême. Il leur dit de passer par Capharnaüm et de dire à sa mère qu'il allait au baptême, de s'entendre relativement à Jean, avec les disciples de celui ci, Pierre, André, etc., et enfin d'annoncer à Jean qu'il allait venir.
Je vis Jésus, dans la nuit du 19 au 20, marcher avec Eliud dans la direction du sud ouest. Ce n'était pas le chemin direct. Jésus voulait aller à Chim (6), un endroit habité par des lépreux. Ils y arrivèrent au point du jour et je vis qu'Eliud voulait empêcher Jésus d'aller dans ce lieu, de peur qu'il ne contractât une impureté : il disait qu'il ne serait pas admis au baptême, si on venait à le savoir, etc. Jésus lui répondit qu'il connaissait sa mission, qu'il irait dans cet endroit parce qu'il s'y trouvait un homme de bien qui désirait ardemment le voir. Il leur fallut ici traverser le torrent de Cison. L'endroit était situé au bord d'un petit ruisseau qui conduisait l'eau du Cison dans un petit étang où les lépreux se lavaient. L'eau ne retournait pas au Cison. Ce lieu était tout à fait écarté, personne n'y allait : les lépreux habitaient dans des cabanes dispersées : eux exceptés, il ne demeurait là que les gens chargés de les surveiller. Eliud se tint à quelque distance et attendit le Seigneur. Jésus alla dans une cabane écartée où un de ces malheureux était étendu par terre, tout enveloppé dans des draps. Jésus s'entretint avec lui. C'était un homme de bien, j'ai oublié comment la lèpre lui était venue. Il se redressa et fut extraordinairement touché de ce que le Seigneur était venu à lui. Jésus lui ordonna de se mettre dans une auge pleine d'eau qui était près de la cabane. Il obéit et Jésus tint ses mains étendues au dessus de l'eau, alors cet homme recouvra l'usage de ses mouvements et fut délivré de sa lèpre : il mit d'autres vêtements et Jésus lui défendit de parler de sa guérison jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême.

Note 6 : C'est ainsi qu'elle prononça ce nom.

Cet homme accompagna Jésus et Eliud pendant quelque temps, après quoi Jésus lui ordonna de s'en retourner. Je vis pendant la journée Jésus et Eliud aller vers le midi en suivant la vallée d'Esdrelon. Ils s'entretinrent ensemble à plusieurs reprises, souvent aussi ils marchaient séparés, et semblaient prier et méditer. La température n'est pas très agréable en ce moment : le ciel est couvert et il y a du brouillard dans la vallée. Jésus n'avait pas de bâton, il n'en portait jamais : les autres portaient un bâton, souvent avec une petite pelle au bout comme ceux des bergers : Jésus n'avait aux pieds que des sandales, d'autres avaient des espèces de souliers plus complets dont le dessus était de coton tressé très épais. Je les vis vers midi, se reposer près d'une source et manger du pain.
Dans la nuit du 20 au 21 septembre, je les vis de nouveau en route, tantôt ensemble, tantôt séparés. Je vis alors une chose merveilleuse, une scène admirablement belle. Eliud parlait à Jésus qui marchait devant lui de la beauté et de la parfaite conformation de son corps. Jésus lui dit : " si tu revoyais ce corps dans deux années d'ici, tu n'y trouverais plus ni beauté, ni bonne apparence, tant je serai défiguré par leurs outrages et leurs mauvais traitements. " Eliud ne comprit pas cela ; en général il ne pouvait pas comprendre pourquoi Jésus parlait ordinairement de son règne comme devant être de si courte durée ; il s'imaginait toujours qu'il faudrait bien dix ans, ou peut être vingt à Jésus pour fonder son royaume : il ne pouvait pas avoir d'autre idée à cet égard, parce qu'il ne se le représentait que comme un royaume terrestre. Quand ils eurent fait encore un peu de chemin, Jésus, s'arrêtant, dit à Eliud qui marchait tout pensif derrière lui, de se rapprocher de lui, parce qu'il voulait lui montrer qui il était, ce que c'était que son corps et ce que c'était que son royaume. Eliud s'arrêta à quelques pas de Jésus, et Jésus leva les yeux au ciel en priant. Alors une nuée descendit et les enveloppa tous deux comme une tempête. On ne pouvait pas les voir du dehors, mais un ciel lumineux s'ouvrit au dessus de leur tête et sembla s'abaisser vers eux. Je vis en haut comme une ville avec des murailles resplendissantes, je vis la Jérusalem céleste. Tout y était environné d'une clarté ou brillaient les couleurs de l'arc en ciel. Je vis une forme comme Dieu le Père et je vis Jésus participer à sa lumière. Jésus apparut dans sa forme humaine, resplendissant et diaphane. Eliud au commencement regardait en haut comme ravi en extase, ensuite il se prosterna sur sa face jusqu'à ce que la lumière et toute l'apparition se fussent évanouies. Alors Jésus se remit en marche et Eliud le suivit, muet et intimidé par ce qu'il avait vu. C'était une scène comme celle de la Transfiguration, mais je ne vis pas Jésus s'élever de terre. Je ne crois pas qu'Eliud ait vécu jusqu'au crucifiement de Jésus. Jésus s'ouvrait plus avec lui qu'avec les apôtres, car il avait reçu de grandes lumières et il était initié à beaucoup de secrets touchant sa famille. Il l'avait accueilli comme un ami intime et lui avait accordé un grand ascendant sur lui ; il fit aussi beaucoup pour la communauté de Jésus. C'était l'un des plus instruits parmi les esséniens. À l'époque de Jésus, ils n'habitaient plus sur les montagnes autant qu'autrefois : ils s'étaient répandus davantage dans les villes. J'eus cette belle vision à minuit et je me réveillais dans un cruel état de souffrance. Le matin je vis Eliud et Jésus arriver à une station de bergers. Le jour commençait à Poindre. Les bergers étaient déjà hors de leurs cabanes et près des troupeaux ; ils vinrent au devant de Jésus qu'ils connaissaient et se prosternèrent devant lui ; ils les conduisirent tous deux à un hangar où ils avaient leurs effets. Ils leur lavèrent les pieds, leur préparèrent une couche et mirent devant eux du pain et de petites coupes. Ils firent aussitôt rôtir des tourterelles qui nichaient dans les cabanes et qui étaient là en grande quantité, courant ça et là comme des poulets. Je vis après cela Jésus renvoyer Eliud, qui s'agenouilla devant lui pour recevoir sa bénédiction. Les bergers étaient présents. Jésus lui dit d'attendre en paix le terme de ses jours : car le chemin qu'il avait à parcourir était trop pénible pour lui. Il ajouta qu'il le considérait comme un des siens qui avait déjà fait sa part de travail dans la vigne et qui serait récompensé dans son royaume il expliqua ceci en racontant la parabole des ouvriers de la vigne. Eliud était très sérieux depuis la vision de cette nuit ; il gardait le silence et son émotion était profonde. Je crois avoir entendu qu'il ne reverrait plus Jésus sur la terre ? Je n'en suis pourtant pas sûre. (La narratrice s'est trompée ici, car à la fête des Purim, elle vit de nouveau le Sauveur avec Eliud ainsi que cela sera raconté plus tard.) Je crois qu'il a été baptisé par les disciples. Eliud accompagna encore Jésus à quelque distance du séjour des bergers. Le Seigneur l'embrassa et il se sépara de lui avec une mâle émotion.
On peut voir d'ici le lieu où Jésus va pour le sabbat. Des parents de Jésus y ont habité autrefois. Cet endroit où Jésus allait maintenant tout seul, n'était pas Jezraël, comme je l'avais cru d'abord, parce que je voyais aussi Jezraël ; son nom était Gur et il était situé sur une montagne. Un frère de saint Joseph, qui était allé plus tard demeurer a Zabulon et qui avait eu des rapports fréquents avec la sainte Famille, avait habité ici. Jésus alla, sans être remarqué, dans une hôtellerie où or lui lava les pieds et où on lui donna à manger. Il avait une chambre pour lui seul ; il se fit apporter de la synagogue un rouleau d'écritures et il pria tout en lisant, tantôt agenouillé, tantôt debout. Il n'alla pas dans l'école. Je vis une fois venir des gens qui voulaient lui parler, mais il ne les reçut pas.
Je vis les disciples envoyés en avant par Jésus arriver avant hier à Capharnaüm ; je n'en vis pourtant là que cinq des plus connus. Ils s'entretinrent avec Marie ; deux d'entre eux allèrent à Bethsaïde où ils prirent Pierre et André. Jacques le Mineur, Simon, Thaddée, Jean et Jacques le Majeur étaient aussi présents. Les disciples vantèrent la charité, la douceur et la sagesse de Jésus ; les autres parlèrent avec le plus grand enthousiasme de Jean Baptiste, de l'austérité de sa vie et de son enseignement, disant qu'ils n'avaient jamais entendu interpréter comme lui les prophètes et la loi ; Jean lui même se montra très enthousiaste de Jean Baptiste, bien qu'il connût Jésus : car à une époque antérieure ses parents ne demeuraient qu'à deux lieues de Nazareth, et Jésus l'aimait déjà quand il était enfant, ce que j'avais ignoré jusqu'à présent. Ils célébrèrent là le sabbat. Le dimanche 23, j'ai vu les neuf disciples, accompagnés des six qui viennent d'être nommés, sur le chemin de Tibériade, d'où ils se dirigèrent vers Ephron, par le désert, pour gagner ensuite Jéricho et se rendre auprès de Jean. Pierre et André relevaient les mérites de Jean Baptiste, disant qu'il était issu d'une famille sacerdotale distinguée, qu'il avait été instruit par des esséniens dans le désert, qu'il ne tolérait aucun désordre, qu'il était. Aussi austère que sage. Les disciples s'étendaient sur la bonté de Jésus et sur sa sagesse, les autres leur objectaient que sa condescendance donnait lieu à plus d'un désordre et alléguaient des exemples à l'appui ; ils disaient aussi qu'il avait été instruit par des esséniens lors des voyages qu'il avait faits récemment, etc. Cette fois je n'entendis plus rien dire à Jean. Ils ne firent pas ensemble tout le chemin mais seulement quelques lieues. Je me disais pendant cette conversation que les hommes de ce temps là étaient comme ceux d'aujourd'hui.
Le samedi 22 septembre, je vis Jésus prier seul dans l'hôtellerie de Gur ; cet endroit n'était pas très éloigné d'une ville appelée Mageddo et d'une plaine du même nom, et j'ai vu précédemment que vers la fin du monde une bataille sera livrée contre l'Antéchrist dans cette plaine. Jésus se leva au point du jour, il roula sa couche, mit sa ceinture, laissa une pièce de monnaie sur la couche et se mit en marche. Je le vis suivre des sentiers qui tournaient autour de plusieurs villages. Il ne communiqua avec personne ; je le vis passer au pied du mont Garizim, près de Samarie ; il le laissa à gauche ; il se dirigeait vers le midi. Je le vis à diverses reprises manger des baies et quelques fruits et boire de l'eau qu'il puisait dans le creux de sa main ou dans une feuille pliée de manière à la rendre concave.
Le dimanche au soir, il arriva dans une ville appelée Gophna, placée au pied de la montagne d'Ephraim. Elle était située sur un terrain très accidenté, et il y avait des jardins et des champs cultivés entre les maisons. Il s'y trouvait des parents de Joachim, mais qui n'avaient pas entretenu de relations particulières avec la sainte Famille. Jésus entra dans une hôtellerie. On lui lava les pieds et on lui donna une petite réfection Mais bientôt ses parents vinrent avec deux pharisiens des meilleurs de leur secte, et ils l'emmenèrent dans leur maison. C'était une des maisons les plus considérables de la ville. La ville elle même était importante et elle était le siège de l'administration d'un district. Le parent de Jésus avait aussi un emploi et il tenait des écritures. La ville dépendait, à ce que je crois, de Samarie. Jésus fut reçu avec déférence. Il se trouvait là plusieurs autres personnes, et on prit un repas dans un lieu de plaisance ; les uns marchaient, les autres se tenaient debout. Jésus passa là la nuit. Il y avait une journée de voyage de là à Jérusalem ; une petite rivière coulait dans les environs. Lorsque la sainte Famille eut perdu Jésus dans le temple, elle était venue jusqu'ici. Ne l'ayant pas trouvé à Michmas, ils pensèrent qu'il était peut être allé en avant pour visiter leurs cousins. Marie craignait qu'il ne fût tombé dans l'eau.
Jésus alla à la synagogue où il demanda les écrits d'un prophète, et il enseigna sur le baptême et sur le Messie. Il leur expliqua une prophétie de laquelle il conclut que le temps de l'avènement du Messie devait être arrivé ; il parla d'événements qui devaient le précéder et qui avaient eu lieu en effet. Il en mentionna un qui s'était passé huit ans auparavant ; je ne sais plus bien s'il s'agissait d'une guerre ou du sceptre retiré à Juda. Il exposa ainsi plusieurs témoignages relatifs à des signes déjà accomplis qui devaient précéder l'avènement du Messie : il fit mention des différentes sectes qui existaient chez les juifs, et rappela combien de chose' étaient devenues de vaines formalités. Il parla ensuite de la manière dont le Messie paraîtrait au milieu d'eux, et dit qu'ils ne le reconnaîtraient pas. Il décrivit parfaitement tout ce qui devait se passer entre lui et Jean : il dit à peu près que quelqu'un le désignerait, et qu'on ne le reconnaîtrait pas : on s'attendrait à voir un brillant vainqueur, entouré d'une pompe mondaine, et ayant auprès de lui des hommes éminents par la science : aussi ne le reconnaîtrait on pas, lui qui devait paraître sans éclat, sans beauté, sans richesse, sans pompe ; qui devait avoir pour cortège des hommes simples, paysans et ouvriers ; qui devait frayer avec des mendiants, des infirmes, des lépreux et des pécheurs, etc. Il parla longtemps dans ce sens, prouva tout par les prophéties, présenta toutes choses comme elles devaient se passer entre lui et Jean Baptiste, toutefois il ne dit jamais : " C'est moi", mais parla toujours comme s'il se fût agi d'une tierce personne. Cette instruction remplit la plus grande partie de la journée. Les assistants, ses parents, finirent par croire qu'il était un envoyé, un précurseur de ce Messie.
Quand il fut de retour à la maison, ils consultèrent en sa présence un livre où ils avaient écrit ce qui était arrivé dans le temple, à Jésus, fils de Marie, alors âgé de douze ans ; ils se souvinrent alors d'une ressemblance entre ce qu'il avait dit à cette époque et ses paroles d'aujourd'hui, et quand ils eurent relu leur écrit, ils furent grandement étonnés.
Le maître de la maison était un veuf d'un âge avancé et il avait deux filles veuves. J'entendis ces deux femmes dire ensemble qu'elles avaient assisté au mariage de Joseph et de Marie, à Jérusalem, et combien la noce avait été belle ; elles ajoutèrent qu'Anne avait eu une grande aisance, mais que cette famille était bien déchue. Elles parlaient de cela, comme on a coutume de le faire dans le monde, avec une nuance de blâme et de mépris, comme si la famille était tombée très bas. Pendant qu'elles remémoraient longuement, comme le font les femmes, les circonstances de ce mariage et le costume de fiancée que portait Marie ; je vis tous les détails de ces épousailles et spécialement de la parure nuptiale de la sainte Vierge (7). Pendant ce temps, les hommes, comme je l'ai dit, s'occupaient de l'enseignement de Jésus enfant dans le temple, dont on avait tenu note chez eux. Les parents de Jésus l'avant cherché ici pleins d'inquiétude, le lieu et les circonstances dans lesquelles il avait été retrouvé y avaient produit un grand effet, d'autant plus que les familles étaient alliées. Comme ses cousins s'émerveillaient de la ressemblance entre son enseignement d'alors et celui d'aujourd'hui, et qu'ils se montraient de plus en plus prévenus en sa faveur, Jésus leur déclara qu'il lui fallait prendre congé d'eux, et il se mit en route malgré leurs prières. Plusieurs hommes l'accompagnèrent. Ils eurent à traverser une petite rivière, sur un pont en maçonnerie qui était planté d'arbres. Ils l'accompagnèrent quelques lieues jusqu'à une plaine où il y avait des pâturages et par où avait passé le patriarche Joseph lorsque son père Jacob l'envoya à Sichem vers ses frères. Jacob aussi s'était souvent trouvé dans les endroits d'où venait Jésus. Jésus arriva assez tard dans la soirée à un village de bergers situé en deçà d'un petit cours d'eau, et ses compagnons le quittèrent. L'endroit s'étendait encore de l'autre côté de la petite rivière ; la synagogue était de ce côté ci. Le Seigneur entra dans une hôtellerie Deux troupes d'aspirants au baptême, qui voulaient se rendre auprès de Jean, en passant par le désert, s'étaient réunies ici et avaient déjà parlé de l'arrivée de Jésus. Il s'entretint avec eux dans la soirée, et ils continuèrent leur route le lendemain matin. On lava les pieds au Seigneur ; il prit un peu de nourriture, puis il se retira pour prier et se reposer.

Note 7 : Tout cela se trouve rapporté dans les visions relatives à la vie de la sainte Vierge.

(25 septembre.) Le matin il alla à l'école où beaucoup de personnes se rassemblèrent. Il enseigna comme à l'ordinaire sur le baptême et sur l'approche du Messie, disant toujours qu'on ne le reconnaîtrait pas. Il leur reprocha leur attachement opiniâtre à d'anciennes coutumes devenues de vaines formalités ; c'était un tort particulier à ces gens. Du reste, ils étaient assez simples et prirent bien tout ce qu'il dit. Jésus se fit ensuite conduire par le chef de la synagogue près d'une dizaine de malades. Il n'en guérit aucun ; car il avait déjà dit à Eliud et à ses cinq disciples qu'avant son baptême, il n'opérerait pas de guérisons dans le voisinage de Jérusalem. C'étaient principalement des hydropiques et des goutteux ; il y avait aussi des femmes infirmes. Il leur fit des exhortations et dit à chacun en particulier ce qu'il avait à faire pour le bien de son âme ; car leurs maladies étaient, jusqu'à un certain point, des punitions de leurs péchés. Il ordonna à quelques uns de se purifier et d'aller au baptême.
Il y eut encore un souper dans l'hôtellerie ; plusieurs habitants du lieu y assistaient. Avant le repas, ils parlèrent d'Hérode, de sa liaison illégitime qu'ils blâmèrent, et ils demandèrent à Jésus de se prononcer à ce sujet. Jésus qualifia sévèrement la conduite d'Hérode, mais il ajouta qu'avant de juger les autres, on devait aussi se juger soi même, et il parla avec force des péchés qui se commettent dans le mariage.
Il y avait dans cet endroit plusieurs pécheurs notoires. Jésus les prit en particulier les uns après les autres, et leur reprocha sévèrement leurs adultères. Il révéla à plusieurs leurs péchés les plus secrets ; en sorte qu'ils furent effrayés et promirent de faire pénitence. Il se dirigea ensuite vers Béthanie, qui était environ à six lieues, et il alla de nouveau dans les montagnes. La température y est maintenant comme en hiver : le brouillard est épais, le ciel est sombre, et il y a souvent pendant la nuit une gelée blanche très froide. Jésus a la tête enveloppée dans un linge Il va maintenant tout à fait au levant. J'ai aussi vu Marie et quatre des saintes femmes faisant route dans une plaine près de Tibériade. Je les ai vues sortir de leur maison, où il est resté quelqu'un. Elles ont deux valets de pêcheurs avec elles. L'un va en avant, l'autre derrière ; ils portent le bagage, un sac sur la poitrine, un autre sur le des, et un bâton sur l'épaule. Il y a là Jeanne Chusa, Marie de Cléophas, une des trois veuves, et encore une autre femme, je ne sais plus si c'est Marie Salomé, ou la femme de Pierre ou celle d'André. Elles se rendent aussi à Béthanie, elles suivent la route ordinaire, et passent devant Sichar qu'elles laissent à droite, tandis que Jésus l'a laissée à gauche. Les saintes femmes vont la plupart du temps l'une après l'autre, à environ deux pas de distance, probablement parce que la plupart des chemins, à l'exception des grandes routes, sont des sentiers étroits à l'usage des piétons, et traversant souvent des montagnes. Elles marchent vite, à grands pas, et n'ont pas la démarche incertaine des gens d'ici ; c'est sans doute parce que, dans leur pays, on est accoutumé, dès son jeune âge, à faire de longs voyages a pied. Quand elles sont en route, elles retroussent leur robe jusqu'à mi jambe ; leurs jambes sont enveloppées jusqu'à la cheville avec une bande d'étoffe ; elles ont des sandales épaisses et rembourrées, attachées sous la plante des pieds. Elles portent sur la tête un voile assujetti autour de la nuque par un linge long et étroit. Ce linge se croise sur la poitrine et, revenant autour de la taille, se passe dans la ceinture ; il sert aussi à faire reposer leurs mains qu'elles y placent alternativement. L'homme qui marche en avant prépare le chemin, ouvre des passages dans les haies, enlève les pierres, pose des planches sur les fondrières, veille à tout ce qui peut arriver, et commande les logements. Celui qui va derrière remet les choses comme elles étaient.

(26 septembre.) Jésus pendant son voyage de Béthanie alla encore dans les montagnes. Le soir il arriva, deux lieues environ au nord de Jérusalem, dans une ville qui n'est autre chose qu'une rue d'une demi-lieue de long, passant à travers une montagne. Béthanie est bien à trois lieues d'ici. On peut en voir d'ici les environs : car c'est beaucoup plus bas dans la plaine. Au nord est de cette montagne s'étend un désert d'environ trois lieues, dans la direction du désert d'Ephron. Je vis Marie et ses compagnes loger cette nuit entre les deux déserts.
La montagne est celle où Joab et Abisai cessèrent de poursuivre Abner lorsque celui ci entra en pourparlers avec eux. Son nom est Amma et elle est située au nord de Jérusalem. De l'endroit où était Jésus, la vue s'étendait au levant et au nord : je crois qu'il s'appelait Giah ; je vis le désert de Gabaon qui commençait au bas de la hauteur et allait rejoindre le désert d'Ephron. Il était long d'environ trois lieues. Jésus arriva ici le soir et entra dans une maison, désirant prendre un peu de nourriture. On lui lava les pieds, on lui donna à boire et on lui offrit des petits pains. Il vint bientôt près de lui plusieurs personnes qui, voyant qu'il venait de la Galilée, lui firent des questions sur ce docteur de Nazareth dont on parlait tant et dont Jean Baptiste disait tant de choses : ils lui demandèrent aussi si le baptême de Jean était bon. Jésus leur fit ses instructions accoutumées, et les exhorta au baptême et à la pénitence : il parla du prophète de Nazareth et du Messie, dit qu'il paraîtrait au milieu d'eux et qu'ils ne le reconnaîtraient pas, que même ils le persécuteraient et le maltraiteraient : qu'ils devaient bien faire attention à tout que les temps étaient accomplis ; qu'il ne paraîtrait pas dans une pompe triomphale mais qu'il serait pauvre et marcherait entouré d'hommes simples, etc. : ces gens ne le reconnurent pas, mais ils l'accueillirent bien et lui témoignèrent beaucoup de respect. C'étaient des aspirants au baptême qui, passant par ici, avaient parlé de Jésus. Ils lui firent la conduite sur la route après qu'il se fut reposé environ deux heures.
Jésus arriva à Béthanie dans la nuit. Lazare avait été quelques jours auparavant dans sa propriété de Jérusalem située sur le penchant du Calvaire, près du côté occidental de la montagne de Sion, mais il était de retour à Béthanie : car il avait su par des disciples que Jésus allait arriver, Le château de Béthanie était la propriété personnelle de Marthe. Mais Lazare y résidait volontiers et ils faisaient ménage ensemble. I
Ils attendaient Jésus et un repas était préparé. Marthe habitait un bâtiment situé sur l'un des côtés de la cour. Il y avait des hôtes dans la maison. Chez Marthe se trouvaient Séraphia (Véronique), Marie, mère de Marc et une femme âgée de Jérusalem. Elle avait quitté le temple lorsque Marie y était entrée : elle y serait restée volontiers, mais elle s'était mariée par suite d'une indication d'en haut. Chez Lazare se trouvaient Nicodème, Jean Marc, un des fils de Siméon, et un vieillard, nommé Obed, frère ou neveu de la prophétesse Anne. Tous étaient secrètement amis de Jésus, qu'ils connaissaient soit par Jean Baptiste, soit par des relations avec sa famille, soit par les prophéties de Siméon et d'Anne dans le temple.
Nicodème était un homme réfléchi, observateur, très curieux, et qui fondait des espérances sur Jésus. Tous avaient reçu le baptême de Jean. Ils étaient venus secrètement sur l'invitation de Lazare. Nicodème par la suite servit Jésus et son oeuvre, mais toujours en secret.
Lazare avait envoyé des serviteurs sur la route au devant de Jésus. Il fut joint à une demi-lieue environ de Béthanie par un vieux et fidèle domestique, devenu plus tard disciple, qui se prosterna à ses pieds et lui dit : "Je suis le serviteur de Lazare ; si je trouve grâce devant vous, mon Seigneur, suivez moi jusque chez lui. Jésus lui dit de se relever et le suivit. Il se montra très amical pour cet homme, sans toutefois rien faire qui ne fût conforme à sa dignité. Cela même avait un charme irrésistible. On aimait l'homme et on sentait le Dieu. Le serviteur le conduisit dans un vestibule à l'entrée du château, près "d'une fontaine". Tout était préparé pour le recevoir. On lui lava les pieds et on lui mit d'autres sandales. Jésus, en arrivant, avait une paire de sandales épaisses, rembourrées et doublées de vert. Il les laissa ici et mit une paire de fortes chaussures avec des courroies de cuir, qu'il continua à porter. Le serviteur mit ensuite ses habits à l'air et les épousseta. Quand il se fut lavé les pieds, Lazare vint avec ses amis, lui apportant à boire et quelques aliments. Jésus embrassa Lazare et salua les autres en leur donnant la main. Tous lé servirent avec empressement et l'accompagnèrent à la maison : mais Lazare le mena d'abord à l'habitation de Marthe. Les femmes qui étaient là se prosternèrent, couvertes de leurs voiles : Jésus les releva et dit à Marthe que sa mère viendrait ici pour l'y attendre à son retour du baptême.
Ils se rendirent ensuite à la maison de Lazare, où ils prirent un repas. Il y avait un agneau rôti et des colombes, en outre du miel, des petits pains, des fruits et des légumes verts. Ils étaient placés à table sur des bancs à dossier, toujours deux par deux : les femmes mangeaient dans une salle antérieure. Jésus pria avant le repas et bénit tous les mets il était très sérieux, et même triste. Il leur dit pendant le repas que des temps difficiles approchaient, qu'il allait entrer dans une voie laborieuse dont le terme serait douloureux. Il les exhorta à la persévérance, puisqu'ils étaient ses amis ; car ils devaient avoir beaucoup de souffrances à partager avec lui. Il parla d'une façon si touchante qu'ils en furent émus jusqu'aux larmes, mais ils ne le comprirent pas parfaitement, ils ne savaient pas qu'il était Dieu.
Ici la narratrice interrompit son récit et dit : " Je suis toujours surprise de ce manque d'intelligence, moi qui ai une conviction si profonde touchant la divinité de Jésus et sa mission. Je ne puis m'empêcher de me dire : Pourquoi donc ce que je vois si clairement devant mes yeux n'a t il pas été montré à ces hommes ? J'ai vu Dieu créer l'homme, tirer de lui l'élément féminin, en faire la femme et la lui donner pour compagne, puis l'un et l'autre tomber : j'ai vu la promesse du Messie, et la dispersion de l'humanité engendrée dans le péché, les directions merveilleuses et les sacrements destinés par Dieu à préparer la venue de la sainte Vierge sur la terre. J'ai vu la bénédiction, de laquelle le Verbe a pris chair, suivre son cours, comme une voie lumineuse, à travers toutes les générations des ancêtres de Marie : j'ai vu enfin le message porté par l'ange à Marie et le rayon de la divinité qui pénétra en elle quand elle conçut le Sauveur. Et après tout cela, combien il doit être surprenant pour moi, indigne et misérable pécheresse, de voir en présence de Jésus, ces saints personnages, ses contemporains, ses amis, qui l'aiment et qui le vénèrent, croire pourtant tous que son royaume doit être un royaume de la terre, le regarder comme le Messie promis, mais non toutefois comme Dieu lui même ! Il était encore pour eux le fils de Joseph et de Marie : aucun d'eux ne soupçonnait que Marie était vierge, car ils n'avaient pas même l'idée d'une conception surnaturelle et immaculée. Ils ne savaient même rien du mystère de l'arche d'alliance. C'était déjà beaucoup et le signe d'une grâce de choix qu'ils l'aimassent et le reconnussent. Les Pharisiens qui savaient que Siméon et Anne avaient prophétisé lors de sa présentation, qui avaient entendu le merveilleux enseignement qu'il avait donné dans le temple étant encore enfant, étaient tout à fait endurcis. Ils s'étaient enquis alors de la famille de l'enfant, plus tard de celle du docteur ; mais cette famille était à leurs yeux trop humble, trop pauvre, trop méprisable : ils voulaient un Messie glorieux. Lazare, Nicodème et beaucoup de ses adhérents croyaient toujours, sans en rien dire, que sa mission était de prendre possession de Jérusalem avec ses disciples, de les délivrer du joug des Romains et de rétablir le royaume de Juda.
Il en était alors comme aujourd'hui, où chacun croirait voir un Sauveur dans celui qui procurerait à sa patrie l'ancien gouvernement de prédilection et l'antique liberté. Alors aussi ils ne savaient pas que le royaume où nous pouvons trouver la fin de nos maux n'est pas de ce monde, qui est un lieu de pénitence. Ils se réjouissaient par moments à la pensée que c'en serait bientôt fait de la grandeur et de la puissance de tel ou tel oppresseur. Mais ils n'osaient pas parler de cela à Jésus : car ils restaient tous confus et intimidés, parce qu'ils sentaient bien que dans aucune de ses allures, dans aucune de ses paroles, il n'y avait rien qui répondit à leur attente.
Après le repas ils se rendirent dans un oratoire, et ; Jésus fit une prière où il rendit grâces de ce que son temps était venu et de ce que sa mission commençait. Cette prière fut très touchante, et tous versèrent des larmes. Les femmes étaient présentes, mais se tenaient en arrière. Ils firent encore ensemble des prières d'une application générale. Jésus les bénit, et Lazare le conduisit au lieu où il devait prendre son repos C'était une grande pièce où tous les hommes couchaient et avaient des compartiments séparés : tout y était mieux disposé que dans les maisons ordinaires. Le lit n'était pas roulé comme il l'était ailleurs. Il avait plus de hauteur que les lits habituels qui étaient par terre : il était fixe, et il y avait au devant une balustrade avec un grillage, laquelle était décorée avec des couvertures et des franges. Au mur auquel le lit s'appuyait était suspendue une belle natte roulée qu'on pouvait relever ou abaisser devant le lit, sur lequel elle formait comme un toit oblique quand on cachait la couche vide. Près du lit était une petite table servant d'escabeau, et il y avait dans le creux du mur un bassin avec un grand vase plein d'eau et un autre vase plus petit pour puiser et verser. Une lampe était fixée en avant du mur, et un linge à essuyer y était suspendu. Lazare alluma la lampe, se prosterna devant Jésus qui le bénit encore, et ils se séparèrent.
Je ne vis pas cette soeur de Lazare qu'on appelait Marie la Silencieuse : elle ne se montrait pas en public et ne prononçait jamais une parole devant personne ; mais quand elle était seule dans sa chambre ou dans son jardin, elle parlait tout haut, s'adressant la parole à elle même et à tous les objets qui l'entouraient. Il semblait que toutes ces choses fussent vivantes : ce n'était qu'aux hommes qu'elle ne parlait pas. En présence d'autres personnes, elle ne faisait pas un mouvement, tenait les yeux baissés et restait comme une statue. Elle faisait pourtant une inclination de tête pour saluer, et sa tenue était parfaitement convenable, seulement elle était muette. Quand elle était seule, elle se livrait à diverses occupations, travaillait à ses vêtements, et faisait tout cela comme une autre. Elle était très pieuse, toutefois elle ne paraissait jamais à la synagogue, mais faisait ses prières dans sa chambre. Je crois qu'elle avait des visions et qu'elle conversait avec des esprits qui lui apparaissaient. Elle avait une affection indicible pour ses frères et soeurs, particulièrement pour Madeleine. Elle était ainsi depuis sa première jeunesse. Elle avait des femmes qui prenaient soin d'elle, mais elle était très propre, et il n'y avait rien en elle qui sentit la folie.
Jusqu'à présent on n'a pas parlé de Madeleine devant Jésus : elle menait à Magdalum la vie la plus magnifique.
La nuit où Jésus arriva chez Lazare, je vis la sainte Vierge, Jeanne Chusa, Marie de Cléophas, la veuve Léa et Marie Salomé dans une hôtellerie entre le désert de Gabaa et le désert d'Ephraim, à environ cinq lieues de Béthanie. Elles dormirent dans un hangar, fermé de tous les côtés par de légères cloisons. Il était divisé en deux pièces : celle de devant était divisée en deux rangées de compartiments avec des couches où les saintes femmes s'étaient installées ; celle de derrière servait de cuisine. Devant la maison était une cabane ouverte, dans laquelle était un feu allumé : je crois que les hommes qui les accompagnaient dormaient ou veillaient là À l'habitation du maître de l'hôtellerie était dans le voisinage. Elles seront à Béthanie demain 27 vers midi. A l'occasion de Marie de Cléophas, je vis de nouveau qu'elle était fille de la soeur aînée de la sainte Vierge et de Cléophas, un neveu de saint Joseph. J'ai oublié le reste : ce Cléophas, outre cette fille, en avait eu encore une autre qui s'était mariée, etc. Ce n'est point le disciple d'Emmaüs.

(27 septembre.) Je vis Jésus dans la maison de Lazare avec celui ci et les amis de Jérusalem. Il n'entra pas à Béthanie, mais il se promena dans les cours et les jardins du château. Il parlait et enseignait, tout en marchant, d'une façon très grave et très touchante. Quelque affectueux qu'il fût, il restait toujours plein de dignité, et ne proférait pas une parole inutile. Tous l'aimaient et le suivaient, et cependant tous se sentaient intimidés. C'était Lazare qui en usait le plus familièrement avec lui : les autres étaient plus dominés par l'admiration, et se tenaient davantage sur la réserve.
Jésus, accompagne de Lazare, alla visiter les femmes, et Marthe le conduisit à sa soeur Marie la Silencieuse, avec laquelle il voulait s'entretenir. Ils allèrent par une porte pratiquée dans le mur de la grande cour dans une autre cour plantée, plus petite et pourtant spacieuse, à laquelle l'habitation de Marie était attenante. Jésus resta dans le petit jardin et Marthe alla chercher sa soeur. Le petit jardin était très agréable ; au milieu s'élevait un grand dattier : il y avait, en outre, des plantes aromatiques et des arbustes de toute espèce. Il s'y trouvait aussi une fontaine avec un rebord, et au milieu de la fontaine un siège en pierre, où Marie la Silencieuse pouvait arriver en passant sur une planche et s'asseoir sous un pavillon tendu au dessus de la fontaine. Marthe alla la trouver et lui dit de venir dans la cour, ou quelqu'un l'attendait. Elle obéit à l'instant, mit son voile et se rendit, sans dire un mot, dans la cour, après quoi Marthe se retira. Elle était grande et belle, âgée d'environ trente ans : le plus souvent elle regardait le ciel, et si parfois elle tournait les yeux du côté par où venait Jésus, ce n'était qu'un regard vague et peu arrêté comme si elle eût regardé dans le lointain. Elle ne disait jamais "je", mais "toi", quand elle parlait d'elle même, comme s'il se fût agi d'une autre personne qu'elle voyait devant elle et à laquelle elle adressait la parole. Elle ne parla pas à Jésus et ne se prosterna pas devant lui. Jésus lui parla le premier et ils marchèrent dans le petit jardin : à proprement parler, ils ne s'entretenaient pas ensemble. Marie regardait toujours en haut et parlait des choses du ciel, comme si elle les eût vues. Jésus faisait de même : il parlait de son Père et avec son Père. Elle ne regardait pas Jésus : seulement en parlant elle se tournait souvent à moitié vers lui. L'entretien qu'ils avaient ensemble était plutôt une prière, un cantique de louange, une méditation sur des mystères, qu'un entretien proprement dit. Marie ne paraissait pas avoir la conscience de sa vie sur la terre : son âme était dans un autre monde pendant que son corps demeurait ici bas.
Je me souviens, entre autres choses, que, levant les yeux au ciel, elle parla de l'Incarnation du Christ, comme si elle avait vu cette affaire se traiter dans le sein de la très sainte Trinité. Je ne puis répéter ses paroles naïves et pourtant pleines de gravité. Elle disait, comme si elle eût eu la chose sous les veux : "Le Père dit au Fils qu'il doit descendre parmi les hommes et que la Vierge doit le concevoir. Puis elle décrivait la joie qui se manifestait parmi tous les anges et la mission donnée à Gabriel de se rendre auprès d'une vierge : elle adressait la parole aux choeurs des anges qui tous descendaient avec Gabriel, comme un enfant qui parlerait à une procession passant devant lui, témoignerait sa joie et louerait le recueillement et la ferveur de ceux qui en font partie. Elle vit ensuite l'intérieur de la chambre de la sainte Vierge, s'adressa à elle en exprimant le désir qu'elle accueille le message de l'ange ; elle vit l'ange venir et lui annoncer le Seigneur, et elle raconta tout cela en regardant dans le lointain, comme voyant cette scène, et disant tout haut les pensées qui lui venaient à celle vue. Elle s'exprima d'une façon tout à fait naïve sur ce que la sainte Vierge avait réfléchi avant de répondre : "Tu avais fait voeu de rester vierge, dit elle ; mais si tu avais refusé de devenir mère du Seigneur, comment aurait on fait ? Aurait-on pu trouver une autre vierge' Israël, pauvre orphelin ; tu aurais eu longtemps encore à soupirer!" Elle se livra alors à la joie de ce que la Vierge avait donné son consentement, et elle la combla d'éloges ; de la, elle passa à la naissance de Jésus, parla à l'enfant auquel elle dit : "il mangeras du beurre et du miel "et entremêla ses discours d'autres passages des Prophètes ; elle parla des prophéties de Siméon et d'Anne, et continua ainsi, toujours comme si les choses se passaient sous ses yeux, et adressant la parole à tous, comme si elle eût été présente à tous ces événements. Elle arriva même jusqu'au moment présent et dit : "Maintenant, tu entres dans la voie pénible et douloureuse, etc. » Pendant tout cela, elle était toujours comme si elle eût été seule, et quoiqu'elle sût que le Seigneur était près d'elle, il semblait pourtant qu'il ne fût pas plus rapproché que toutes les autres scènes dont elle parlait. Jésus l'interrompait par des prières et des actions de grâces à Dieu ; il glorifiait son père et priai t pour les hommes ; chaque chose venait en son lieu. Tout cet entretien fut touchant et admirable au delà de toute expression.
Jésus la quitta ; elle resta calme et immobile comme auparavant et rentra dans son habitation. Lorsque Jésus fut revenu près de Lazare et de Marthe, il leur parla à peu près en ces termes : "Elle n'est pas privée de raison, mais son âme n'est pas dans ce monde : elle ne voit pas ce monde et ce monde ne la comprend pas : elle est heureuse, elle ne pèche pas. "
Marie la Silencieuse dans son état de contemplation purement spirituelle ne savait réellement pas ce qui se faisait pour elle et autour d'elle, et elle était toujours dans cet état d'absence. Elle n'avait encore parlé devant personne comme devant Jésus ; devant tous les autres elle se taisait, non par manque d'ouverture ou par orgueil, mais parce qu'elle ne voyait pas ces personnes de sa vue intérieure : elle ne les voyait pas en rapport avec ce qu'elle seule voyait, les choses du ciel et la rédemption. Parfois des amis de la maison, gens pieux et savants, lui adressaient la parole ; alors elle prononçait bien quelques paroles, mais elles étaient entièrement inintelligibles pour eux : car ce n'était pas une réponse à ce qu'ils avaient dit, c'était quelque chose qui se rapportait à cet ensemble qu'elle voyait, mais qui restait caché aux savants. Aussi était elle regardée par toute la famille comme imbécile, et elle menait une vie solitaire, la seule qu'elle pût et dût mener : car son âme n'habitait pas dans le temps. Elle s'occupait de la culture de son jardin et de travaux à l'aiguille destinés au temple, que Marthe lui donnait à faire ; elle était adroite pour ces sortes de choses et elle les faisait sans sortir de son état continuel de méditation et de contemplation. Elle priait avec beaucoup de piété et de ferveur et avait aussi une certaine nature de souffrances à endurer pour les péchés d'autrui, car souvent son âme était oppressée d'un poids tellement lourd, qu'il semblait que le monde fût tombé sur elle. Son habitation était commode : il y avait des lits de repos et des meubles de toute espèce ; elle mangeait peu et toujours seule. Lorsque son frère et ses soeurs se furent mis à la suite de Jésus, elle mourut de douleur à la vue de ses immenses souffrances qui lui furent montrées en vision.
Marthe parla aussi à Jésus de Madeleine et du grand chagrin qu'elle lui causait ; Jésus la consola et lui dit qu'elle reviendrait certainement, que seulement ils ne devaient pas se lasser de prier pour elle et de l'encourager.
Vers une heure et demie, la sainte Vierge arriva avec Jeanne Chusa, Léa, Marie Salomé et Marie de Cléophas. L'homme qui allait en avant annonça leur arrivée ; alors Marthe, Séraphia, Marie, mère de Marc et Suzanne allèrent avec tout ce qui était nécessaire les recevoir dans la salle située à l'entrée du château, où Jésus avait reçu la veille par Lazare. Elles se souhaitèrent la bienvenue et on lava les pieds aux arrivantes ; les saintes femmes mirent aussi d'autres habits et d'autres voiles. Elles étaient toutes vêtues de laine sans teinture, blanche, jaunâtre ou brune. Elles prirent une petite réfection et se rendirent à l'habitation de Marthe. Jésus et les hommes vinrent les saluer ; Jésus alla à l'écart avec la sainte Vierge et s'entretint avec elle. Il lui dit d'un ton très affectueux et très grave que sa carrière publique allait commencer, qu'il se rendait au baptême de Jean d'où il reviendrait la visiter ; qu'il passerait encore quelque temps avec elle dans la contrée de Samarie, mais qu'ensuite il irait dans le désert et y resterait quarante jours. Lorsque Marie l'entendit parler du désert, elle fut très attristée et le pria instamment de ne pas aller dans cet affreux séjour pour y mourir d'inanition. Jésus lui répondit que dorénavant elle ne devait pas essayer de l'arrêter par des inquiétudes tout humaines ; qu'il ferait ce qu'il avait à faire,' qu'il entrait dans une voie laborieuse ; que ceux qui étaient avec lui devaient partager ses souffrances ; que pour lui il allait maintenant où sa mission l'appelait et qu'elle devait faire le sacrifice de tous ses sentiments personnels ; qu'il l'aimerait comme auparavant, mais qu'il appartenait maintenant à tous les hommes ; qu'elle devait faire ce qu'il lui dirait et que son père céleste la récompenserait : car il fallait maintenant que la prédiction que Siméon lui avait faite reçût son accomplissement et qu'un glaive traversât son âme, etc. La sainte Vierge était très sérieuse et très attristée, mais elle était en même temps pleine de force et de résignation à la volonté de Dieu, car son fils était très saint et très affectueux.
Le soir il y eut encore un grand repas dans la maison de Lazare ; Simon le pharisien et quelques autres pharisiens avaient été invités. Les femmes mangèrent dans une pièce attenante, séparées seulement par un grillage, en sorte qu'elles pouvaient entendre l'enseignement de Jésus.
Jésus parla de la foi, de l'espérance, de la charité et de l'obéissance ; ceux qui voulaient le suivre, disait-il, ne devaient pas regarder derrière eux, mais faire ce qu'il enseignait, et supporter les souffrances qui viendraient les assaillir : quant à lui il ne les abandonnera pas. Il de nouveau de la voie pénible dans laquelle il entrait, dit comment il serait maltraité et persécuté et combien tous ses amis souffriraient avec lui. Tous l'écoutèrent avec surprise et émotion : mais. Ils ne comprirent pas ce qu'il disait des grandes souffrances à endurer ; leur foi manquait de simplicité ; ils s'imaginaient que c'était une façon de parler prophétique qu'il ne fallait pas prendre à la lettre. Ses discours ne choquèrent pas les pharisiens quoiqu'ils fussent plus prévenus que les autres, mais cette fois il ne parla qu'avec une certaine réserve.
Après le repas, Jésus prit un peu de repos ; puis il partit seul avec Lazare, dans la direction de Jéricho, pour aller au baptême. Au commencement, un serviteur de Lazare les accompagna avec une lanterne, car il faisait nuit. Après avoir marché environ une demi-heure, ils arrivèrent à une hôtellerie qui appartenait à Lazare et où les disciples s'arrêtèrent souvent dans la suite. Il ne faut pas la confondre avec une autre dont j'ai fait mention plus d'une fois, parce qu'elle fut mise aussi au service des disciples, mais qui est plus éloignée et dans une autre direction. Quant à la salle où Jésus d'abord et ensuite Marie furent reçus par Lazare, c'était celle où Jésus s'arrêta et enseigna avant la résurrection de Lazare, lorsque Madeleine alla à sa rencontre(8). Lorsqu'ils furent arrivés à l'hôtellerie, Jésus ôta ses sandales et marcha pieds nus Lazare, saisi de compassion parce que le chemin était difficile et rocailleux, le pria de n'en rien faire ; mais Jésus lui répondit d'un ton très grave : "Ne t'en inquiète pas ; je sais ce que j'ai à faire. "Et ils s'avancèrent ainsi dans la solitude. Je ne pouvais m'empêcher de pleurer de la pitié que me faisait Notre Seigneur. Le de sert, avec ses gorges étroites au milieu des rochers, s étend à cinq lieues dans la direction de Jéricho ; puis vient la fertile vallée de Jéricho, longue de deux lieues, où il y a pourtant aussi par intervalles des parties incultes. De là il y a encore deux lieues jusqu'à l'endroit où Jean baptise. Jésus allait beaucoup plus vite que Lazare. et il était souvent une lieue en avant.
Je vis une troupe de gens qu'il avait envoyés de la Galilée au baptême et parmi lesquels il y avait des publicains, revenir du baptême et se rendre à Béthanie en suivant pendant quelque temps, dans le désert, une direction parallèle à la sienne. Je ne vis Jésus s'arrêter nulle part. Il laissa Jéricho à gauche. Il y avait encore deux autres endroits, peu éloignés du chemin qu'il suivait, mais il passa outre. Je ne me souviens pas bien de leurs noms.

Note 8 : Il est à remarquer, à propos de ces explications, qu'elle commença en juillet 1820, par la troisième année, le récit de la prédication de Jésus, qui fut continué jusqu'à son ascension, tandis que le récit de la première année commença en 1821, pour arriver, lors de la mort, en 1824, au point d'où elle était partie en 1820. De là vient qu'en plusieurs endroits elle fait mention d'événements postérieurs.

Les amis de Lazare, Nicodème, le fils de Siméon, Jean Marc, ne s'étaient guère entretenus avec Jésus pendant la journée d'hier, mais ils ne cessaient de parler entre eux de l'admiration que leur inspirait toute sa personne, sa sagesse, les qualités qui le distribuaient comme homme et même son extérieur ; quand il n'était pas là ou qu'ils marchaient derrière lui, ils se disaient les uns aux autres : " Quel homme ! on n'en n'a jamais vu, on n'en verra jamais de semblable ; quelle gravité, quelle douceur, quelle sagesse, quelle pénétration, quelle simplicité ! Je ne comprends pas entièrement ce qu'il dit, et je ne puis pourtant m'empêcher de le croire parce qu'il le dit. On ne peut pas le regarder en face, il semble qu'il lit dans la pensée de chacun. Quelle taille ! quel port majestueux ! quelle promptitude sans qu'il y ait pourtant rien de précipité ! Quel homme a des allures comme les siennes ? avec quelle vitesse il chemine ! Il arrive sans être fatigué et repart à son heure ! Quel homme il est devenu ! "Puis ils parlaient de son enfance, de son enseignement dans le temple, etc. Ils répétaient aussi ce qu'ils avaient entendu dire des dangers qu'il avait courus sur la mer Morte, lors de son premier voyage, et de la manière dont il avait secouru les mariniers. Mais aucun d'eux ne soupçonnait que celui dont ils parlaient était le fils de Dieu ; ils le trouvaient supérieur à tous les autres hommes, ils l'honoraient et il leur inspirait une crainte respectueuse, mais il n'était à leurs yeux qu'un homme merveilleux. Obed, de Jérusalem, était un homme âgé, neveu de la prophétesse Anne ; il était un de ceux qu'on appelait les anciens du temple et membre du grand conseil ; c'était un homme pieux, disciple caché de Jésus et tant qu'il vécut il aida la communauté.

J'ai vu beaucoup de choses touchant Suzanne ; voici ce que j'en ai retenu : elle a été élevée par Marie dans le temple, elle est riche et alliée par le sang à la sainte Famille : car elle est fille naturelle d'un frère aîné de saint Joseph et d'une mère issue également d'un commerce illégitime. Un prince persan, dont la famille était restée établie à Jérusalem depuis la dernière conquête de la Judée, avait eu la mère de Suzanne d'une juive qui n'était pas sa femme, et il avait laissé à la mère et à l'enfant de grands biens qu'il possédait à Jérusalem. Je vis en vision comment la mère de Suzanne avait fait connaissance à un bal avec un frère aîné de saint Joseph, appelé Cléophas. C'était là qu'avait commencé cette malheureuse liaison qui avait eu pour suite la naissance de Suzanne. Le frère de Joseph était riche et vivait dans l'oisiveté. Je crois qu'il était déjà marié. Mais on ne doit pas dire ces choses, car elles sont restées assez secrètes. Suzanne fut élevée au temple et mariée plus tard à un homme nommé Matthias, qui était parent de l'apôtre du même nom et qui avait un emploi public. Suzanne avait une grande maison à l'ouest de la montagne de Sion, à peu de distance de celle de Lazare. Entre autres visions qui la concernaient, j'ai vu la fête qui fut l'occasion de la chute de sa mère; à l'exception de la danse d'Hérodiade, c'était, autant qu'il m'en souvient, la première danse que j'eusse vue chez les Juifs. On célébrait le jour de la fête d'un homme considérable. Je vis une grande salle et aux deux côtés des personnes de distinction sur des sièges élevés ; au milieu de la salle dansaient environ vingt femmes et vingt hommes qui étaient en face les uns des autres. Il y avait toujours deux hommes et deux femmes qui dansaient en se croisant. Au dessus des danseurs plusieurs flambeaux étaient suspendus au plafond, et ces flambeaux étaient placés de minière à indiquer les figures qu'on devait faire. Les femmes qui dansaient étaient vêtues convenablement et leurs robes avaient de longues queues ; cependant ces habits laissaient trop voir la forme du corps. La danse n'était pas vive et sautillante, et les danseurs ne se touchaient pas : on allait seulement en avant et en arrière et on passait les uns devant les autres ; il y avait une grande variété d'attitudes et de mouvements. On avait beaucoup d'occasions de se regarder et de se considérer, ce qui devait donner naissance à de mauvaises pensées. Les musiciens étaient sur une extrade à côté des danseurs ; il y avait, je crois, de chaque côté, trois hommes ou jeunes garçons avec des flûtes. Je me souviens de deux instruments : d'une grande caisse triangulaire, avec des cordes tendues aux trois côtés et d'un singulier instrument à vent, fait d'un gros roseau creux dans lequel on soufflait et auquel étaient ajustés plusieurs cornets de différente grandeur, que l'on attachait ou que l'on détachait suivant les circonstances ; ils étaient placés les uns sous les autres et tournaient autour de la tige principale. On démontait l'instrument quand on l'apportait ou qu'on le remportait.
Le matin les amis de Jérusalem revinrent à la ville ainsi que Suzanne, Marie, mère de Marc, et Véronique. Marie et les saintes femmes restées avec elle travailleront ensemble. Marie était très attristée de ce que Jésus lui avait dit. Elle raconta beaucoup de choses sur la sagesse et la vertu merveilleuse de son fils quand il était enfant. Elles visitèrent aussi des malades à Béthanie, les consolèrent et les assistèrent. Elles doivent aller ensemble à Jérusalem.


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - CHAPITRE PREMIER - Scènes de la Jeunesse de Jésus jusqu'à la mort de saint Joseph.