Brentano: Visions de la Bse Emmerich - CHAPITRE QUATRIEME - Prédication et miracles de Jésus.


CHAPITRE CINQUIÈME. - Prédications et miracles de Jésus (suite). (Du 3 au 31 décembre 1822.)

Jésus prêche sur la montagne de Bethsaide-Juliade. - Rechute de la fille de Jaïre. - Guérisons miraculeuses. -Jésus chasse les démons dans un troupeau de porcs à Gergesa. -Premier envoi des Apôtres. -Jésus marche sur la mer ; -il enseigne à Hukok, -à Bethanath, -à Elcesea, -à Kiriathaim, -à Abram.

(3 décembre.) Ce matin, Jésus s'embarqua sur le lac avec plusieurs disciples et prit terre au nord de la maison de Matthieu. Déjà beaucoup de païens, de malades guéris par lui et de nouveaux baptisés s'étaient rendus à la montagne qui est à l'est de Bethsaïde-Juliade, sachant qu'il avait l'intention de prêcher là : une partie des païens y avaient établi leur campement. Les disciples qui étaient pêcheurs de profession et plusieurs autres dont était Saturnin n'accompagnèrent pas Jésus dans cet endroit : ils lui firent seulement passer le lac. Ils lui avaient demandé s'ils devaient le suivre : car la pêche récente les avait délivrés de tout souci touchant la nourriture : ils sentaient que tout pouvoir lui avait été donné. Jésus leur répondit qu'ils devaient aujourd'hui donner le baptême aux gens restés à Capharnaüm qui ne l'avaient pas encore reçu et consacrer le reste du temps aux occupations de leur métier : car il fallait trouver de quoi nourrir la grande multitude d'hommes qui affluait dans tout le pays.
Avant de s'embarquer, il leur fit une instruction générale. Il leur donna un aperçu de tout ce qu'il allait enseigner, leur parla des huit béatitudes, et leur dit qu'il prêcherait longtemps sur ce sujet et célébrerait le sabbat dans les intervalles de ses prédications. Il leur dit encore touchant eux-mêmes qu'ils étaient le sel de la terre, qu'ils étaient choisis pour fortifier et conserver les autres, et qu'ils ne devaient pas perdre leur vertu. Il leur expliqua cela par des exemples et des paraboles, après quoi il s'embarqua.
Les disciples et Saturnin baptisèrent dans la vallée de Capharnaüm. Le fils de la veuve de Naïm fut baptisé : il reçut plus tard le nom de Martial : j'ai su pourquoi, mais je ne m'en souviens plus. Saturnin lui imposa les mains. On baptisa aussi un grand nombre d'hommes guéris récemment. Les saintes femmes n'avaient pas suivi Jésus. Elles restèrent près de la veuve de Naïm et fêtèrent avec elle le baptême de son fils.
Jésus avait avec lui le fils de Simon, les neveux de Joseph d'Arimathie, qui étaient arrivés hier de Jérusalem, Nathanaël qui avait fait une absence et plusieurs autres disciples. Jésus arriva avec eux sur la montagne vers dix heures.
Quand on avait pris terre sur la rive orientale du lac, au-dessous de l'embouchure du Jourdain, on allait a l'est en montant toujours, puis quand on était arrivé sur la hauteur, on revenait un peu au couchant pour gagner le lieu où devait se faire l'instruction. On pouvait aussi arriver par le nord en passant le Jourdain sur un pont. Mais le chemin qui menait sur la montagne de ce côté n'était pas facile, parce que le sol était très accidenté et coupé par des ravins. Bethsaïde Juliade est située à l'est du Jourdain, dans l'angle qu'il forme avec le lac à son embouchure : le rivage est très élevé au-dessus de l'eau et un chemin y passe : mais quand on veut entrer dans la ville, ce n'est pas là qu'on débarque, et jusqu'à présent Jésus a toujours fait le tour.
Sur la montagne il n'y avait pas de chaire, mais un tertre entouré d'un terrassement, et au-dessus duquel on avait tendu un pavillon pour Jésus. Au couchant et.au sud-ouest, la vue s'étendait sur le lac et sur les montagnes de l'autre côté : on voyait même le sommet du Thabor. Une grande multitude d'hommes, surtout de païens, dont la plupart étaient baptisés, était campée tout autour : il s'y trouvait aussi des Juifs. Ils n'étaient pas ici très rigoureusement séparés, parce que dans cette contrée il y avait des rapports fréquents entre eux et que les païens y avaient le droit, comme du reste il l'avaient en Judée depuis la domination romaine, de ne plus être autant tenus à distance.
Jésus commença par enseigner en général sur les huit béatitudes, puis il expliqua la première : " Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ". Il allégua beaucoup d'exemples, raconta des paraboles et parla aussi du Messie. Mais il traita surtout de la conversion des païens, cita le prophète Aggée et annonça l'accomplissement de ce qu'il avait prédit de la consolation des Gentils, dans ce texte : " Je mettrai les peuples en mouvement, et alors viendra pour eux la consolation " (Ag 2,8.).
Il n'y eut pas de guérisons aujourd'hui, car tous les malades avaient été guéris le jour précédant. Les Pharisiens étaient venus dans une barque a eux et ils écoutèrent pleins d'envie et de dépit. La foule avait apporté des aliments et on mangeait pendant les pauses. Jésus et les disciples avaient aussi des poissons, du pain, du miel et de petits vases avec une liqueur ou un baume dont on versait quelques gouttes dans l'eau.
Vers le soir, les gens de Capharnaüm, de Bethsaïde et des autres endroits peu éloignés retournèrent chez eux : des barques les attendaient sur le lac. Jésus et ses disciples descendirent la montagne du côté du nord, se dirigeant vers la vallée du Jourdain et s'arrêtèrent dans une hôtellerie de bergers. Il donna encore des enseignements aux disciples pour les préparer à leur destination future.
En ce qui touche le sermon sur la montagne, j'ai été informée que Jésus enseignera pendant une quinzaine de jours sur les huit béatitudes, et qu'il ira célébrer à Capharnaüm le sabbat qui se trouvera dans l'intervalle. Il ira aussi dans la haute Galilée, où il enseignera pendant deux jours sur l'une des béatitudes : il y dira beaucoup de choses sur les Prophètes, le royaume de Dieu et le Messie. Les avis aux disciples continueront à leur être donnés en particulier avant et après l'instruction. C'est ce qui a eu lieu aujourd'hui quand il leur a dit : " Vous êtes le sel de la terre, "et je crois que plus tard, il en sera de même à la synagogue a propos du cinquième commandement : " Tu ne tueras point ". Je crois aussi que la première multiplication des pains pour les cinq mille hommes viendra à la suite de ces instructions. Il n'est pas étonnant que les aliments aient fini par manquer, vu la multitude toujours croissante des gens à nourrir. Ce qui est donné dans l'Evangile sous le nom de Sermon sur la montagne, contient les points principaux et le résumé des instructions données aux disciples. Mais il s'est passé beaucoup de temps et il s'est fait beaucoup de choses dans les intervalles.

(4 décembre.) Aujourd'hui, Jésus a continué son instruction sur la montagne, et il a commencé par expliquer la seconde des huit béatitudes La sainte Vierge, Marie de Cléophas, Maroni de Naïm et deux autres femmes étaient présentes, ainsi que tous les apôtres. Les saintes femmes se retirèrent les premières. Je vis Jésus retourner au bord du lac avec les apôtres et les disciples : il leur parla de leur vocation : ("Vous êtes la lumière du monde"), de la ville située sur la montagne, de la lumière sur le chandelier et de l'accomplissement de la loi. Lorsqu'ils s'embarquèrent, il resta en arrière avec deux disciples des moins connus, auxquels il donna des instructions, puis il traversa le lac pour aller à Bethsaïde et s'arrêta dans la maison d'André. La mère de Dieu part demain pour Cana avec Marie de Cléophas, Maroni de Naïm et le fils de celle-ci. Jésus s'entretint encore avec elle et les saintes femmes avant leur départ. On parla avec tristesse de la rechute de Madeleine, revenue à ses égarements, et les femmes demandèrent si elles ne devaient pas lui adresser un message. Mais Jésus répondit qu'il fallait prendre patience. J'ai vu que la rechute de Madeleine a donné au démon un plus grand pouvoir sur elle, et qu'elle a souvent des attaques de nerfs et des convulsions. Satan lui livre des assauts plus violents, parce qu'il prévoit qu'elle va lui échapper. Peut-être est-ce en cela que consiste sa possession. Je crois que sa conversion définitive aura lieu bientôt, pendant une instruction de Jésus, dans un endroit qui est tout au plus à une journée de Magdalum.

(5 décembre.) Jésus continua aujourd'hui sur la montagne son instruction touchant la seconde béatitude, et il expliqua en outre plusieurs passages des prophètes. Marie est partie aujourd'hui pour Cana avec la veuve de Naïm et Marie de Cléophas. Saturnin baptisa encore près de Capharnaüm avec quelques autres disciples : il y avait, entre autres, plusieurs Juifs d'Achaïe qui étaient venus pour recevoir le baptême. Leurs ancêtres s'étaient réfugiés dans ce pays à l'époque de la captivité de Babylone. Les disciples ont dressé aujourd'hui sur la montagne une tente séparée pour Jésus. Je les y ai vus manger ensemble quelque chose. Ils ont apporté cette tente de Bethsaïde-Juliade Cela me donna occasion de voir l'intérieur de cette ville. (On y fabrique beaucoup de tentes et de grandes couvertures grossières. C'est une jolie ville moderne, bâtie à la façon des païens : il s'y trouve aussi des Juifs : ils sont éclairés et d'humeur caustique. Il y a là une école où l'on enseigne toute espèce de sciences. Jésus n'est pas allé à Bethsaïde, mais ses habitants sont allés l'entendre prêcher : ils sont aussi allés à Capharnaüm, et c'est là que leurs malades ont été guéris Bethsaïde a une belle situation dans l'étroite vallée du Jourdain. Elle est bâtie en partie sur le penchant de la hauteur qui est au levant, à une bonne demi-lieue de l'endroit où le Jourdain entre dans le lac. A une lieue au nord, il y a sur le fleuve un pont massif en maçonnerie. Aujourd'hui, Jésus parla encore aux disciples de leurs épreuves futures, de la persécution qu'ils auraient à subir, etc. Il dormit sur le navire de Pierre.
Le jour de naissance d'Hérode est proche, et par conséquent la décollation de Jean Baptiste. Car j'ai vu faire à Machérunte des préparatifs pour la fête : on arrange et on orne les salles : bons et mauvais voient venir la fête avec joie, mais surtout Salomé, fille d'Hérodiade, qui prépare déjà avec d'autres femmes des costumes de toute espèce, et qui répète les danses qu'elle doit exécuter.

(6 décembre.) Le matin, Jésus se rendit encore du rivage à la montagne, où il continua l'explication des huit béatitudes. Je crois qu'arrivé à la quatrième, il interrompra sa prédication et fera un voyage dans la haute Galilée. Du bord du lac à l'endroit où il prêchait, il y avait à peu près aussi loin que de Dulmen à Annenberg (une lieue et demie) : de là à Capharnaüm, la distance était celle de Dulmen à Annenberg, près de Haltern (deux lieues et demie).
Vers midi, je vis Jésus et les disciples au milieu d'une grande foule à l'endroit où abordent les barques près de chez Matthieu. Beaucoup de gens passaient de l'autre côté du lac et je vis que dans la presse quelques femmes inconnues affligées de pertes de sang touchèrent en secret son vêtement et furent guéries. Il monta avec quelques disciples dans sa petite embarcation qui fut attachée au navire de Pierre, car le temps était orageux. Dans la barque de Jésus, il y avait place pour quinze ou vingt personnes tout au plus. Le navire de Pierre avait de chaque côté trois ou quatre rameurs placés au milieu ; à l'avant et à l'arrière il y avait un gouvernait, en sorte qu'on n'avait pas besoin de virer. Pendant la tempête on abaissait les voiles. Il y avait un vent violent, du tonnerre et de la pluie. A cette époque de l'année, il y a souvent du brouillard dans les vallées autour des hauteurs ; et il tombe du givre sur le versant septentrional des montagnes pendant qu'il fait très beau sur le versant opposé : la vallée du lac des bains, près de Béthulie, est encore charmante et couverte de la plus belle verdure, ainsi que toute la contrée jusqu'au Thabor.
Lorsque Jésus prit terre près de la vallée de Capharnaüm, une grande foule de peuple s'y trouvait déjà rassemblée et lui souhaita la bienvenue. Mais il se rendit à une maison de Capharnaüm, qui se trouvait à main droite lorsqu'on entrait par la porte qui est du côté de la vallée. Pierre l'avait louée pour Jésus et les disciples. Elle était entourée d'une grande cour et quand Jésus devait s'y rendre pour enseigner et pour guérir, Pierre faisait ouvrir la porte et on laissait entrer les malades qui l'attendaient là. Lorsqu'on sut que Jésus était dans cette maison avec ses disciples, beaucoup de personnes se rassemblèrent autour de lui : il vint aussi des Pharisiens et des Scribes, et toute la cour se remplit autour du vestibule ouvert où Jésus enseignait, assis au milieu de ses disciples et des docteurs de la loi. Beaucoup de malades avaient été guéris antérieurement : plusieurs d'entre eux n'avaient fait que le toucher.
Lorsqu'il se fut assis pour enseigner, il parla entre autres choses aux Pharisiens des deux commandements : il leur reprocha de s'en tenir uniquement à la lettre et il leur dit comme dans le sermon sur la montagne de l'Évangile : " Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : " Vous ne tuerez pas ". Et il leur exposa ensuite sa doctrine sur le pardon des injures et l'amour des ennemis. Ils étaient en pleine discussion quand on entendit du bruit sur le toit de la salle : puis l'on vit descendre par l'ouverture ordinaire de la toiture un paralytique couché dans son lit soutenu par des cordes que faisaient mouvoir quatre hommes. Ils le déposèrent ainsi aux pieds de Jésus, en criant : " Seigneur, ayez pitié d'un pauvre malade ". Les gens qui le portaient avaient cherché inutilement depuis le commencement à s'ouvrir un passage à travers la foule : ils avaient fini par le hisser sur le toit à l'aide des degrés attenant au mur de la maison, ils s'étaient procuré des cordes et l'avaient fait descendre par l'ouverture qui était au haut de la salle. Il y eut alors une interruption soudaine, tous les regards se portèrent sur le malade qu'on avait ainsi introduit : les Pharisiens se scandalisèrent de ce qui leur semblait une inconvenance, une témérité. Mais Jésus vit avec plaisir la foi de ces gens, il s'avança et dit au malade incapable de mouvement : " Consolez-vous, mon fils, vos péchés vous sont remis ". Ce langage était toujours un sujet particulier de scandale pour les Pharisiens : et ils se disaient intérieurement : " C'est un blasphème : qui peut remettre les péchés si ce n'est Dieu " ? Et ils avaient le coeur plein de fiel et de colère. Mais Jésus connaissait leurs pensées et il dit en face à chacun d'eux ce qu'il avait dans l'esprit : il leur cita un passage d'Isaïe que j'ai oublié, et il ajouta : " Pourquoi avez-vous dans le coeur ces mauvaises pensées " ? Quel est le plus facile de dire à ce paralytique : vos péchés vous sont remis : ou de lui dire : " Levez-vous, prenez votre lit et marchez ? Mais pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, je vous le dis (et ici il se retourna vers le paralytique), levez-vous, prenez votre lit et retournez chez vous ! " Alors cet homme se leva parfaitement guéri en leur présence, il roula son lit, fit un faisceau des bâtons qui servaient à le porter, prit le tout sous son bras et sur ses épaules, puis chantant un cantique d'actions de grâces, il sortit accompagné de ses amis au milieu des acclamations joyeuses de la multitude. Pendant ce temps, les Pharisiens pleins de rage s'étaient retirés les uns après les autres et Jésus resta seul avec les siens au milieu du peuple. Il parla encore quelque temps et quand le sabbat commença il se rendit à la synagogue, accompagné de la foule. Le paralytique guéri avait sa demeure dans un groupe de maisons isolées, voisin de Capharnaüm. A la synagogue Jésus lut et commenta l'histoire de Joseph, expliquant les songes dans sa prison en Egypte, et celle du jugement de Salomon. (Gn 41,1 1R 16,28.) Il continua aussi en partie le sermon sur la montagne. Tout se passa assez tranquillement.
Jaïre, le chef de la synagogue, était présent : il était fort triste et dévoré de remords. Lorsqu'il avait quitté sa maison, il y avait encore laissé sa fille mourante et menacée cette fois d'une mort plus terrible : car elle était le châtiment de ses péchés et de ceux de ses parents. La fièvre l'avait déjà reprise le jour du sabbat précédent. Sa mère, la soeur de celle-ci et la mère de Jaïre, qui habitaient ensemble la maison, avaient, aussi bien que la jeune fille elle-même, pris avec beaucoup de légèreté la guérison opérée par Jésus : elles ne s'étaient pas montrées reconnaissantes et ne s'étaient pas amendées. Jaïre avait de la piété, mais il était tiède, inconsistant et gouverné par sa femme qui était belle et vaine : il avait laissé les choses aller au gré de celle-ci. Les femmes de la maison étaient fort mondaines et très occupées à se parer comme les païennes, suivant les modes les plus nouvelles. Lorsque la jeune fille eut été rendue à la vie, ces femmes se mirent à ricaner et à se moquer de Jésus, et elle-même les imita. Elle était dans sa onzième année et presque nubile. Jusqu'alors elle avait conservé son innocence, mais plus tard le peu de retenue de ses parents en sa présence, les festins donnés après sa guérison et où elle avait figuré avec de riches parures, les visites fréquentes de quelques jeunes gens qui lui faisaient la cour, ainsi que les familiarités, les oeillades et les désirs immodestes dont elles avaient été l'occasion, tout cela avait porté atteinte à sa pureté. Elle fut prise d'une fièvre brûlante accompagnée d'une soif ardente, et dans la dernière semaine elle en était arrivée à un état de délire continuel. Elle parlait et se lamentait sans cesse de ce que ses galants la faisaient tant souffrir. Ainsi elle était aujourd'hui presque mourante ; ses parents, chacun de son côté, avaient deviné que c'était une punition de leur légèreté depuis le commencement de la semaine, enfin ils se l'étaient avoué mutuellement et la mère était si honteuse et tellement bouleversée qu'elle dit elle-même à Jaïre : " Est-ce que Jésus aura encore une fois pitié de nous " ? Puis elle engagea son mari à adresser de nouveau au Sauveur une humble requête. Mais Jaïre avait honte de se présenter devant lui et il attendit jusqu'après l'instruction du sabbat : car il croyait fermement que Jésus pourrait lui venir en aide en tout temps s'il le voulait : peut-être aussi n'osait-il pas venir l'implorer encore en plein jour devant tout le monde.
Lorsque Jésus sortit de la synagogue, une foule nombreuse se pressa autour de lui. Il y avait là beaucoup de gens et de malades qui voulaient lui parler. Jaïre s'approcha, se prosterna devant lui plein d'affliction et le supplia d'avoir encore une fois pitié de sa fille qu'il avait laissée mourante. Jésus lui promit d'aller avec lui. Mais il vint de la maison de Jaïre un homme que lui envoyait sa femme, parce qu'il tardait longtemps à revenir, ce qui avait fait croire à celle-ci que Jésus refusait de l'accompagner : le messager annonça que la jeune fille venait de mourir. Mais Jésus consola Jaïre et l'exhorta à avoir confiance.
Il faisait déjà nuit : les disciples de Jésus, ses amis et les Pharisiens curieux d'entendre ce qui se disait se pressaient en foule autour de lui. Or l'hémorroïsse (Mc 5,25) s'était glissée dans les rangs du peuple à la faveur des ténèbres : ses suivantes l'avaient amenée en la soutenant sous les bras. Elle demeurait assez près de la synagogue. Des femmes affligées de la même maladie quoique non pas au même degré, avaient été guéries aujourd'hui même en touchant la robe de Jésus, au milieu de la foule qui l'entourait lorsqu'il s'était embarqué ; ces femmes s'étaient entretenues avec elle et une foi vive s'était éveillée en elle. Elle espérait à la faveur de l'obscurité pouvoir le toucher sans être vue, en se glissant parmi les gens qui sortaient de la synagogue en même temps que lui. Jésus savait ce qu'elle avait dans l'esprit, et tout en parlant, il ralentit un peu sa marche. Alors elle fut amenée tout près de lui : sa fille, ainsi que Léa, l'autre femme et l'oncle de son mari se trouvaient dans son voisinage. Elle se mit à genoux, puis s'appuyant sur une main, elle toucha de l'autre à travers la foule l'extrémité de la robe de Jésus, et se sentit aussitôt guérie. Cependant Jésus s'arrêta, se tourna vers ses disciples et dit : " Qui m'a touché " ? Pierre et les autres lui répondirent : "Vous demandez qui vous a touché ? Vous voyez bien que la foule vous entoure et vous presse de tous les côtés ? "Mais Jésus reprit : " Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti qu'une vertu sortait de moi. "Alors il regarda autour de lui et comme il s'était fait un peu de vide, la femme ne put plus rester cachée : elle s'approcha timide et craintive, se jeta à ses pieds, avoua devant tout le peuple ce qu'elle avait fait, et dit qu'après avoir si longtemps souffert de sa perte de sang, elle se croyait guérie par cet attouchement : après quoi elle le pria de lui pardonner. Alors Jésus lui répondit : " Ayez confiance, ma fille, votre foi vous a secouru, allez en paix et soyez délivrée de vos souffrances ".
Elle est âgée de trente et quelques années, grande, mais très maigre et très pâle. Elle s'appelle Enoué. Son mari défunt était Juif : elle n'a qu'une fille, élevée chez un oncle qui est venu ici pour recevoir le baptême, en compagnie de cette fille et d'une belle-soeur, nommée Léa, dont le mari est du nombre des Pharisiens ennemis de Jésus. Enoué, devenue veuve, a voulu contracter une alliance qui a paru trop peu relevée à sa famille, composée de gens très riches qui s'y sont opposés. Dans ces circonstances, sa conduite n'est pas restée sans reproche : c'est pour cela aussi qu'elle a quitté son pays pour venir à Capharnaüm.
Cependant Jésus hâta le pas pour se rendre à la maison de Jaïre. Il avait avec lui Pierre, Jacques, Jean, Saturnin et Matthieu. Le vestibule était rempli de nouveau de gens qui se lamentaient et pleuraient : mais à présent ils ne se moquaient plus. Cette fois Jésus ne dit pas : " Elle n'est qu'endormie ". Il passa à travers tout ce monde : la mère de Jaïre, sa femme et la soeur de celle-ci vinrent à sa rencontre en habits de deuil, versant des larmes et timides dans leur contenance. Jésus laissa Saturnin et Matthieu dans le vestibule, et il entra dans la chambre où la morte était couchée, accompagné de Pierre, de Jacques, de Jean, du père, de la mère et de la grand mère. C'était une pièce différente de la petite chambre où elle était la première fois. Celle ci était située derrière le foyer. Jésus tenait une petite branche qu'il avait fait prendre dans le jardin et il se fit apporter un bassin plein d'eau qu'il bénit. Le corps était tout à fait raide et l'aspect en était plus déplaisant que l'autre fois. Alors j'avais vu l'âme se tenir tout près du corps dans une sphère lumineuse, cette fois je ne vis pas cela. Jésus avait dit : " Elle dort ", cette fois il ne dit rien de pareil. Elle était morte. Il fit sur elle avec la petite branche une aspersion d'eau bénite, il pria, puis il la prit par la main et dit : " Jeune fille, je te le commande, lève-toi ! "
Pendant qu'il priait, je vis l'âme de la morte dans un globe ténébreux s'approcher de sa bouche et y entrer. Elle ouvrit les yeux, suivit la main de Jésus qui l'attirait à lui, se redressa et descendit de sa couche : alors il la remit à ses parents qui la reçurent en sanglotant et en versant des larmes abondantes, et tombèrent aux pieds de Jésus. Il dit qu'il fallait lui donner quelque chose à manger, particulièrement du raisin et du pain. On fit comme il avait dit. Elle mangea et parla et Jésus donna de graves avertissements à ses parents : il les exhorta à recevoir avec reconnaissance la grâce que Dieu leur faisait, à renoncer entièrement aux vanités et aux plaisirs du monde, à entrer dans les voies de la pénitence qui leur était prêchée, et enfin à cesser d'élever pour la mort leur enfant revenue à la vie une seconde fois. Il leur reprocha la manière dont ils s'étaient comportés, la légèreté avec laquelle ils avaient accueilli la première grâce, leur rappela ce qu'ils avaient fait après l'avoir reçue et comment dans un si court espace de temps la jeune fille s'était exposée à une mort bien plus terrible, à la mort de l'âme. La jeune fille fut vivement touchée et versa des larmes : Jésus lui recommanda de se tenir en garde contre la convoitise des yeux et le péché : lorsqu'elle eut mangé du raisin et du pain qu'il avait bénits pour elle, il lui dit qu'à l'avenir elle ne devait plus vivre selon la chair, mais se nourrir du pain de vie, de la parole de Dieu, faire pénitence, croire, prier et faire des oeuvres saintes. Les parents furent très émus et un grand changement s'opéra en eux : le père promit de renoncer à tout pour suivre Jésus : la femme aussi et tous les autres assistants promirent de se corriger, pleurèrent et remercièrent. Jaïre est entièrement transformé ; il a sur-le-champ donné aux pauvres une grande partie de ses biens. Sa fille s'appelait Salomé.
Beaucoup de gens s'étaient rassemblés devant la maison, et Jésus dit à Jaïre qu'ils devaient s'abstenir de faire du bruit et de tenir des propos inutiles au sujet de ce qui s'était passé. Il parlait très souvent ainsi aux gens qu'il avait guéris et cela pour divers motifs. C'était surtout parce que les discours sans fin où l'on tirait vanité de la grâce qu'on avait reçue, dissipaient l'émotion intérieure et empêchaient de méditer sur la miséricorde de Dieu. Il désirait que ceux qui avaient été guéris se tinssent dans le recueillement et pensassent aux moyens de devenir meilleurs au lieu de courir de côté et d'autre et de n'user que pour leur divertissement, de la vie et la santé qui leur avaient été rendues, ce qui les exposait à tomber facilement dans le péché. Souvent aussi son but était de faire voir aux disciples qu'ils devaient toujours éviter la vaine gloire et qu'il ne fallait jamais faire le bien que par charité et en vue de Dieu. Quelquefois aussi c'était pour ne pas augmenter le nombre des curieux et des importuns, et pour ne pas attirer des malades qui n'étaient pas poussés vers lui par l'impulsion intérieure de la foi, car plusieurs venaient pour faire une expérience, et ils retombaient ensuite dans le péché et la maladie, ainsi qu'il était arrivé pour la fille de Jaïre.
Jésus accompagné des cinq disciples sortit de chez Jaïre par une porte de derrière, afin d'éviter la foule rassemblée devant la maison. La première guérison de la jeune fille avait eu lieu peu après midi : celle d'aujourd'hui fut opérée après la clôture du sabbat, à la lueur des lampes. La maison de Jaïre était au nord de la ville et Jésus prit la direction du nord-ouest vers le mur d'enceinte. Mais deux aveugles avec leurs conducteurs s'étaient mis à sa recherche. Il semblait qu'ils l'eussent senti, car ils le suivaient de près et criaient : " Jésus, Fils de David, ayez pitié de nous ". Cependant Jésus entra dans la maison d'un homme avec lequel il était en relations : elle faisait corps avec la muraille et il y avait de l'autre côté une issue pour sortir de la ville. Les disciples y entraient souvent. L'homme qui y habitait faisait l'office de gardien pour cette partie de la ville. Les aveugles entrèrent après lui dans la maison en répétant : " Ayez pitié de nous, Fils de David ". Jésus se retourna vers eux et leur dit : " Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? ", " Oui, Seigneur " répondirent-ils. Il tira alors un flacon de son sein : je crois qu'il y avait dedans du baume ou de l'huile, et il en versa dans une petite soucoupe de la grandeur d'un écu qui était de couleur brune et peu profonde. Il la plaça dans la paume de sa main gauche, y mit un peu de terre qu'il remua avec le pouce et l'index de la main droite, puis il toucha les yeux des aveugles et dit : " Qu'il vous soit fait selon votre désir ". Alors ils ouvrirent les yeux et ils virent : après quoi ils se mirent à genoux pour le remercier, et Jésus dit encore à ceux-ci qu'il ne fallait pas ébruiter la chose. Il leur dit cela cette fois pour qu'on ne vînt pas le poursuivre ici, et particulièrement pour ne pas redoubler l'irritation des Pharisiens. Mais les cris des aveugles pendant qu'ils le suivaient avaient déjà trahi sa présence dans cet endroit et, en s'en retournant, ils ne cessaient de parler de leur bonne fortune. Alors la foule arriva de nouveau.

Jésus avait à peine le temps de se reposer un peu, lorsqu'arrivèrent plusieurs de ses parents éloignés du côté de sainte Anne, qui habitaient les environs de Séphoris ; ils amenaient un homme possédé par un démon muet ; ils lui avaient lié les mains et ils le traînèrent de force dans la maison avec des cordes passées autour de son corps. On l'avait ainsi attaché, parce qu'il était tout à fait furieux et effrayant, et que d'ailleurs il était sujet à se mettre dans un état de nudité complète ; c'était un Pharisien membre de la commission chargée d'espionner Jésus : il s'appelait Joas, et il avait été l'un de ceux avec lesquels Jésus avait disputé le 16 août (23 du mois d'Ob), dans l'école isolée située entre Séphoris et Nazareth (voir tome II, p. 241). Le démon s'était emparé de lui, il y avait environ quinze jours, lorsque Jésus était revenu de Naim. Alors, contrairement à sa conviction intérieure, et uniquement pour complaire aux autres pharisiens, il s'était associé à leurs blasphèmes contre Jésus, répétant après eux qu'il errait dans le pays comme un insensé et qu'il était certainement possédé du démon. Jésus avait disputé avec lui sur le divorce, près de Séphoris. Il était coupable de péchés d'impureté. Lorsqu'il entra, il était comme hors de lui, et il se précipita sur Jésus comme s'il eut voulu lui cracher au visage. Mais Jésus lui fit un signe de la main qui le fit s'arrêter court, et il ordonna au démon de sortir. Alors cet homme fut pris de mouvements convulsifs : je vis une vapeur noire sortir de la bouche, et il tomba à genoux devant Jésus ; lui avoua ses péchés et en demanda le pardon. Jésus lui pardonna. et lui imposa pour pénitence un certain nombre de jeûnes et d'aumônes : il dut aussi s'abstenir pendant un temps assez long de plusieurs aliments, par exemple d'ail, dont les Juifs mangent beaucoup. L'étonnement fut très grand parmi les assistants, car on regardait comme très difficile de chasser les démons muets, et les Pharisiens s'étaient déjà donné beaucoup de peine pour le délivrer. Si ses compatriotes de Nazareth n'étaient pas venus et ne l'avaient pas amené à Jésus, il ne se serait jamais présenté devant lui. Les Pharisiens furent très irrités qu'un des leurs eût été guéri par lui, et qu'il eût confessé publiquement son péché, auquel ils avaient participé. Lorsqu'il se fut retiré, le bruit de sa délivrance se répandit dans Capharnaüm : on disait qu'un semblable prodige ne s'était jamais vu dans Israël ; mais les Pharisiens étaient transportés de rage et disaient : " Il chasse les démons par le prince des démons ". Jésus sortit de la maison avec les disciples par la porte de derrière, et il longea extérieurement le côté occidental de la ville jusqu'à la maison de Pierre, où il prit quelque nourriture et passa la nuit.

(7 décembre.) Dans la matinée, un certain nombre de païens et de Juifs furent baptisés à la fontaine baptismale de la vallée qui est devant Capharnaüm ; puis Jésus enseigna dans la synagogue. Il visita ensuite le centurion Cornélius, instruisit et fortifia dans la foi tous les gens de sa maison. Il alla aussi chez Jaïre, où il donna des encouragements et des avis à la famille, spécialement à Salomé, la jeune fille ressuscitée. Je vis qu'il la prit par la main pour la conduire devant ses parents, et qu'il lui recommanda la vie retirée, l'obéissance, et surtout la chasteté et la prière. Tout ce monde était maintenant sincèrement converti. Je vis aussi que cette jeune fille sera mariée plus tard à un Scribe de Nazareth qui est ici maintenant, et qu'après la mort de Jésus elle se réunira à la communauté chrétienne à Jérusalem. Ce Scribe s'appelle Sarazeth : il est du nombre de ceux qui sont venus de Nazareth avec des malades guéris récemment : je crois qu'il a une alliance éloignée avec la famille de Jésus.
Jésus enseigna encore et opéra quelques guérisons dans une maison de la ville qui est près de la porte. Il parla de Jean aux disciples et lui rendit témoignage comme il l'avait déjà fait récemment ; il le vanta peut-être encore davantage, dit qu'il était pur comme un ange, que rien d'impur n'était jamais entré dans sa bouche, et qu'il n'en était jamais sorti rien de répréhensible ni de mensonger. Comme on lui demandait si la vie de Jean se prolongerait encore longtemps, Jésus répondit qu'il mourrait quand son heure viendrait, et que son heure n'était pas éloignée : que, du reste, il s'expliquerait plus clairement une autre fois sur ce sujet. Les disciples furent très attristés à cette nouvelle. Il leur dit encore différentes choses qui se trouvent dans le sermon sur la montagne.
Il se rendit ensuite à la synagogue pour y enseigner, et comme les Pharisiens sortirent avant la fin, il parla à ses disciples de l'adultère, du serment et de la réponse par oui et par non, comme on le voit dans l'Evangile, à l'endroit où est rapporté le sermon sur la montagne (Mt 5,31-38).
Cependant les Pharisiens lui avaient encore tendu un piège. Il y avait dans un coin de la synagogue un homme qui avait une main desséchée : il n'avait pas osé paraître devant Jésus, et maintenant, quoique les Pharisiens se fussent retirés, il avait encore peur d'eux. Les Pharisiens avaient reproché à Jésus d'être venu ici en compagnie d'un publicain tel qu'était Matthieu, et Jésus leur avait répondu, entre autres choses, qu'il était venu pour consoler et convertir les pécheurs, et qu'il ne cherchait pas à avoir des Pharisiens pour disciples. Or, ils revinrent à la synagogue et lui dirent d'un ton railleur : " Maître, il y a ici un homme que vous voudrez peut-être guérir ". Alors Jésus appela l'homme à la main desséchée et lui dit de s'avancer au milieu de l'assemblée, puis il lui dit : " Vos péchés vous sont remis ". Les Pharisiens méprisaient cet homme qui ne jouissait pas d'une bonne réputation, et dirent : " Sa main desséchée ne l'a pas empêché de pécher ". Mais Jésus lui prit la main, dont il redressa les doigts, et lui dit : " tendez votre main ". Cet homme étendit la main : il fut guéri et s'en alla, rendant des actions de grâces. Jésus alors le justifia contre leurs calomnies, témoigna de la compassion pour ses faiblesses ; et dit de lui qu'il avait le coeur bon. Les Pharisiens furent couverts de confusion et outrés de dépit : ils qualifièrent Jésus de profanateur du sabbat, dirent qu'ils porteraient plainte contre lui, et se retirèrent. Il y avait dans le voisinage de la synagogue des Hérodiens avec lesquels ils se concertèrent pour lui tendre des pièges lors de la fête de Pâques à Jérusalem, etc. Jésus mangea et dormit dans la maison de Pierre.

(8 décembre.) Ce matin, on a baptisé : puis Jésus opéra quelques guérisons dans la maison qui est à droite de la porte de la ville ; il enseigna ensuite les disciples devant tout le peuple touchant quelques points du sermon sur la montagne. Il se trouvait là des femmes, entre autres Léa, belle-soeur de l'hémorroïsse guérie. Son mari était un Pharisien, violent adversaire de Jésus : quant à elle, il avait produit sur elle une vive impression. Je la vis au commencement calme et triste, changer fréquemment de place parmi le peuple, comme si elle eût cherché quelqu'un : mais ce n'était que l'effet du mouvement intérieur qui la poussait à manifester ouvertement sa vénération pour Jésus.
Dans l'après-midi, la mère de Jésus revint de son voyage accompagnée de plusieurs des saintes femmes. Elle ne paraît pas avoir célébré le sabbat à Cana, puisqu'elle est déjà de retour ici. Elle avait avec elle Marthe, Suzanne de Jérusalem, Dina la Samaritaine, et une autre Suzanne, fille d'Alphée et de Marie de Cléophas, par conséquent soeur des apôtres. Celle-ci était âgée d'une trentaine d'années : elle avait de grands enfants : son mari habitait Nazareth où les saintes femmes l'avaient prise. Elle désirait s'associer aux femmes chargées de subvenir aux besoins de Jésus et des siens. Marie et ses compagnes entrèrent dans la cour qui est devant la salle où enseignait Jésus. Dans sa prédication, il avait reproché aux Pharisiens leurs fourberies et leur impureté, et comme il mêlait à cela l'enseignement des huit béatitudes, il dit à ce propos : 0 Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu. "Alors Léa, voyant entrer Marie, ne put plus se contenir et dans une espèce d'enivrement de joie, elle s'écria au milieu de la foule : " Plus heureuses encore " (c'est ainsi que je l'ai entendu) " plus heureuses les entrailles qui vous ont porté et les mamelles que vous avez sucées ! " Alors Jésus la regarda tranquillement et dit : " Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent ! "
Après cela Jésus continua à enseigner. Léa s'approcha de Marie et la salua : elle lui raconta, toute joyeuse, la guérison d'Enoué, veuve de son frère, et lui dit qu'elle était décidée à donner tout son bien à la communauté : elle désirait que Marie demandât à son fils de convertir son mari. C'était un Pharisien de Panéas. Marie lui parla avec beaucoup de calme et d'abandon : elle n'avait aucune connaissance de son acclamation : elle se retira ensuite avec les saintes femmes.

Note : Cette réponse de Jésus est une confirmation de l'acclamation de Lea, car Jésus est lui-même la parole de Dieu. Le mot « entendre » équivaut à concevoir et à porter. Or c'est ce qu'a fait Marie. « Garder la parole » signifie aussi la nourrir et l'allaiter maternellement. Du reste Anne Catherine n'a pas vu cette fois Jésus dire : " Qui est ma mère et qui sont mes frères ? " (Note du pèlerin.)

Il y avait chez Marie une simplicité qu'on ne peut exprimer. Devant le monde, Jésus ne lui donnait d'autre témoignage de distinction que de la traiter avec déférence. Elle ne s'empressait auprès de personne, sinon auprès des malades et des ignorants, et elle se montrait toujours humble, recueillie, calme et simple au delà de toute expression. Tous l'honorent, même les ennemis de Jésus : pourtant elle ne recherche personne et elle n'aime que le silence et la solitude.
Jésus alla ensuite, accompagné d'une grande foule de peuple, à l'endroit où se tenaient les navires de Pierre, et il enseigna en paraboles touchant le royaume de Dieu. Il le compara d'abord à la semence qu'un homme jette en terre, etc., puis au grain de sénevé, puis au levain dans la pâte. Il monta sur son embarcation et il enseigna encore de là. Un Scribe de Nazareth, appelé Saraseth, s'étant offert à le suivre partout où il irait, Jésus lui dit : " Les renards ont leurs tanières, etc. "Cet homme était le futur époux de Salomé, et après la mort de Jésus tous deux se réunirent à la communauté chrétienne.
Outre ce Scribe, j'en vis éconduire deux autres qui, pendant quelque temps, avaient suivi Jésus comme disciples. L'un d'eux lui demanda s'il n'allait pas bientôt prendre possession de son royaume. Il avait, disait-il, donné des preuves suffisantes de sa mission : n'était-il pas temps qu'il s'assît bientôt sur le trône de David,
Comme Jésus, l'ayant repris à ce sujet, lui commandait de le suivre, il répondit qu'il voulait auparavant aller prendre congé des siens. Là-dessus Jésus lui dit : « Celui qui met la main à la charrue, etc. », (Lc 9,62). Un troisième, qui était déjà venu trouver Jésus prés de Séphoris, dit qu'il voulait d'abord ensevelir son père. Jésus lui répondit : " Laissez les morts ensevelir leurs morts ". Mais cela avait une signification particulière dont je ne me souviens plus bien, car son père n'était pas mort réellement ; je crois que c'était une manière de parler pour indiquer le partage des biens et les mesures à prendre pour assurer la subsistance du père.
Vers le soir, Jésus a traversé le lac et beaucoup de gens ont été le rejoindre successivement. Il parla encore en présence du peuple et ordonna à ses disciples de distribuer tout ce qu'ils avaient de pain et de poissons. Il alla ensuite dans la montagne avec les disciples et passa la nuit en prière sous une tente ou dans une grotte près de Chorozaïn.

(9 décembre.) Jésus a passé la nuit en prière avec deux disciples, sous une tente dressée sur la montagne voisine de Chorozaïn. Le matin, il se réunit aux autres disciples et se rendit sur la hauteur où il avait déjà fait une partie du sermon sur la montagne. Il expliqua aujourd'hui la quatrième béatitude et le passage d'Isaïe : "Voici mon serviteur que j'ai choisi, mon bien-aimé en qui mon âme se complaît ! Je mettrai mon esprit sur lui et il annoncera le jugement aux peuples " (Is 42,1, etc. ; voir aussi Mt 12,17). Il y eut en outre plusieurs guérisons remarquables que j'ai oubliées. La foule aujourd'hui était extraordinairement nombreuse : il y avait entre autres une troupe de soldats romains venus de diverses garnisons du pays. Ils avaient été envoyés pour voir ce que faisait et enseignait Jésus et pour faire des rapports à ce sujet. Diverses personnes avaient écrit à Rome de la Gaule et d'autres provinces pour avoir des renseignements sur le prophète de la Judée, parce que ce pays était sous la domination romaine : puis de Rome, on s'était adressé à cet effet aux officiers qui tenaient garnison dans la Palestine. Ceux-ci avaient donné commission aux gens qui étaient sous leurs ordres ; il y avait bien ici une centaine de soldats envoyés à cet effet. Ils se tenaient là où ils pouvaient le mieux voir et le mieux entendre.
Dans l'après-midi, Jésus, accompagné des disciples, descendit dans la vallée qui est au midi de la montagne et où il y avait une source. Cependant les autres disciples, avec l'aide de Marthe, de Suzanne, de ses suivantes et des femmes de Pierre, d'André, et, je crois aussi, de Jacques le Majeur, avaient préparé là un repas consistant en pain et en poissons. La foule campait sur la pente, et les divers groupes envoyaient quelqu'un chercher des aliments, à l'exception de ceux qui avaient apporté avec eux de quoi se nourrir, et ceux-là étaient en grand nombre. Les pains et les poissons étaient dans des corbeilles sur une terrasse gazonnée. Jésus bénit toutes les corbeilles et fit lui-même la distribution avec les disciples. Il me sembla que les aliments n'étaient pas, à beaucoup près, en quantité suffisante : cependant tous ceux qui en avaient besoin en reçurent. J'entendis qu'on disait dans le peuple : « Cela se multiplie entre ses mains ». Les soldats romains demandèrent aux disciples quelques morceaux des pains bénits par Jésus pour les envoyer à Rome en témoignage de ce qu'ils avaient vu et entendu. Jésus ordonna de leur donner de ce qui resterait : et il se trouva assez de pains pour en donner aux plus considérables d'entre eux qui les conservèrent soigneusement et les emportèrent avec eux.

Cependant Jésus quitta ce lieu, accompagné des apôtres et de quelques autres disciples, et il se rapprocha davantage du lac. Pendant les derniers jours, il les avait souvent préparés à leur mission, notamment dans les intervalles de ses prédications publiques et de ses discours sur la montagne, en cheminant, pendant les traversées, et quand il était seul avec eux. Hier déjà, dans la maison de Capharnaüm, il leur avait dit que la moisson était considérable, qu'il y avait peu d'ouvriers dans la vigne, et qu'il voulait les y envoyer (Lc 10,2). Cette fois, se trouvant dans un endroit écarté, sur une belle pelouse verdoyante, il rangea ensemble les douze apôtres suivant la désignation qui se trouve dans l'Evangile (Mt 10,2); il donna à Simon le nom de Pierre, à Jacques et à Jean celui d'Enfants du tonnerre, puis il leur donna des instructions sur la manière dont ils devraient se comporter, maintenant qu'ils allaient commencer à guérir et à chasser les démons en son nom (Mt 10,1). Il leur tint un discours touchant, ne leur dit rien qui pût les effrayer, mais leur promit d'être toujours là pour les assister, et de tout partager avec eux. Il donna pouvoir aux douze apôtres pour guérir et pour chasser les démons, et aux autres disciples présents pour baptiser et imposer les mains. Il leur conféra ces pouvoirs en leur donnant une bénédiction ils pleurèrent tous, et Jésus lui-même était très ému. Il leur dit en finissant qu'il y avait encore beaucoup de choses à régler, et qu'ils iraient bientôt à Jérusalem, parce que le temps de l'accomplissement était proche. Comme ils disaient tous avec un grand enthousiasme qu'ils voulaient faire tout ce qu'il leur commanderait et lui être fidèles en toutes choses, il répondit qu'il se passerait encore par la suite des choses tristes et pénibles, et que le mal se produirait même parmi eux. Il faisait allusion à Judas. Tout en poursuivant ces entretiens, ils arrivèrent près du navire et s'embarquèrent. Jésus les douze apôtres et cinq autres disciples, dont était Saturnin, passèrent en vue d'Hippos, qui est environ à une lieue plus au midi, et prirent terre près d'un petit endroit appelé Magdala, qui est situé tout près du lac, un peu plus au nord que cette gorge sombre et couverte de brouillard, dans laquelle se décharge le marais voisin de Gergesa.
Ce village de Magdala n'est pas plus grand que Haus-Dulmen (un hameau voisin de Dulmen). Il est adossé à un promontoire qui s'avance dans le lac, de façon à ne voir le soleil que de midi à son coucher L'atmosphère est humide et chargée de brouillard ; surtout dans la gorge de montagnes qui est tout près de là. Ils n'arrivèrent pas directement au bourg : la barque de Pierre resta contre un banc de sable séparé du rivage par un pont. Lorsqu'ils prirent terre, plusieurs possédés accoururent poussant des cris, demandant à Jésus ce qu'il venait faire là, et le priant de les laisser en repos : pourtant ils étaient venus d'eux-mêmes. Il les délivra, et après l'avoir remercié, ils entrèrent dans le bourg, d'où sortirent des gens qui amenaient d'autres possédés. Pierre, André, Jean, Jacques et les cousins de Jésus allèrent avec eux et guérirent un certain nombre de malades et de possédés, parmi lesquels étaient des femmes convulsionnaires. Ils chassèrent les démons et commandèrent aux maladies de se retirer au nom de Jésus de Nazareth. J'entendis quelques-uns d'entre eux ajouter : "auquel la tempête et la mer obéissent ", ou faire allusion à quelque miracle du même genre. Plusieurs de ceux qu'ils avaient guéris allèrent trouver Jésus et écoutèrent ses exhortations et ses instructions. Il leur expliqua, ainsi qu'aux disciples, pourquoi il y avait tant de possessions dans cet endroit. Les habitants étaient très adonnés à leurs passions et uniquement préoccupés des choses de cette vie. Parmi ces possédés, il y en avait plusieurs de Gergesa, qui était située sur la hauteur, à une lieue plus à l'est. Ils erraient çà et là dans la campagne environnante. Il y a dans cette contrée montueuse et accidentée beaucoup de cavernes Ou ils se tenaient. Jésus opéra ensuite des guérisons à la chute du jour. Il dormit sur le navire ainsi que les disciples.
Dans la matinée, Jésus alla à l'entrée de Magdala et y opéra des guérisons : les apôtres en opérèrent dans le village même. Il gravit alors la hauteur située au levant, où deux jeunes possédés qui appartenaient à des familles considérables de Gergesa, vinrent à sa rencontre. Ils n'étaient pas encore dans un état de fureur continuelle, ils avaient seulement des accès fréquents. Ils ne pouvaient tenir en place et rodaient de tous les côtés. Ils étaient déjà venus le trouver antérieurement, lorsque, ayant quitté Tarichée et traversé le Jourdain, il avait passé près de Gergesa en suivant la vallée du fleuve Hiéromax ; ils avaient alors demandé à devenir ses disciples et il les avait éconduits. Cette fois il les délivra, et ils lui demandèrent de nouveau à le suivre. Ils lui dirent que les possédés des environs de Gergesa, l'avaient alors prié de venir guérir, sur quoi il leur avait répondu qu'il viendrait en temps opportun, avaient été mis aux fers depuis lors ; mais ils brisaient toutes les chaînes et couraient furieux autour de la ville, répandant partout la terreur. Eux-mêmes, disaient-ils, ne seraient pas tombés dans ce malheureux état s'il les avait pris avec lui à cette époque. Mais il leur répondit qu'en réalité cela ne leur serait pas arrivé s'ils n'avaient pas péché et s'ils ne s'étaient pas laissés aller à l'impureté. Il les exhorta à se convertir, et leur dit de retourner chez eux et d'annoncer comment le salut leur était venu. Alors ils se retirèrent. Or, pendant qu'il poursuivait son chemin, enseignant ça et là des groupes d'hommes devant des maisons et des cabanes de bergers, il vint encore des possédés et des maniaques qui, se montrant derrière des haies et sur des tertres élevés, criaient et gesticulaient, lui disant de ne pas aller plus loin et de les laisser en repos : mais il les appela et les délivra, quoique plusieurs lui demandassent à grands cris de ne pas les chasser dans l'abîme. Quelques-uns des apôtres opérèrent des guérisons dans la campagne en imposant les mains aux malades, et ils donnèrent rendez vous à ceux qui les entouraient sur la hauteur qui est au midi au delà de Magdala.
Après le repas, je vis Jésus enseigner ici en présence des disciples et devant une réunion d'hommes très considérable : il les exhorta à la pénitence, parla de l'approche du royaume de Dieu et leur reprocha leur attachement aux biens de ce monde. Il parla de la valeur de l'âme, qui a un grand prix devant Dieu, tandis que toutes les choses terrestres qu'un homme possède n'en ont aucun. Autant que je pus le comprendre, il faisait allusion au troupeau de pores qui devait bientôt se précipiter dans l'eau, car ces gens l'invitèrent de nouveau à venir à Gergesa. Il leur répondit qu'il n'irait que trop tôt à leur gré, et qu'il ne serait pas précisément le bienvenu pour eux. Ils lui dirent de ne pas s'y rendre en passant par le ravin, parce que deux énergumènes qui avaient brisé toutes les chaînes erraient tout nus de ce côté, parcourant les chemins et se cachant dans les cavernes, et qu'ils avaient déjà étranglé des passants. Jésus répondit qu'il irait précisément à cause d'eux, quand le temps serait venu, car c'était pour les misérables qu'il était envoyé. Il prononça aussi des paroles qui sont rapportées dans l'Evangile (Mt 11,20) à l'endroit où il est dit que si Sodome et Gomorrhe avaient entendu et vu ce qui se faisait ici en Galilée, elles se seraient converties. Lorsqu'il voulut partir, ses auditeurs le prièrent de rester, disant qu'ils n'avaient jamais entendu parler avec tant de charme, que c'était comme si le soleil levant éclairait de ses rayons leur bourgade sombre et brumeuse (il n'y pénètre jamais). Il fallait bien qu'il restât, car il allait être nuit. Jésus répondit par une comparaison touchant la nuit : il ne craignait pas cette nuit-là, mais eux devaient craindre de rester dans les ténèbres éternelles, alors que la lumière de la parole de Dieu était venue à eux. Il se retira ensuite sur la barque avec les disciples, et ils firent mine de traverser le lac dans la direction de Tibériade, mais bientôt ils revinrent à l'est et jetèrent l'ancre à une lieue au midi du ravin : ils mangèrent et dormirent sur le navire.
Ce Magdala n'est ni une forteresse, ni un château ; ce n'est qu'une bourgade insignifiante, plus petite que Bethsaïde. On ne peut pas aller de là directement dans la gorge, parce que l'une des parois de rochers qui la forment s'avance à une grande distance dans le lac, et qu'elle est impraticable. Il n'y a ici qu'un lieu d'abordage pour les barques : le village tire principalement sa subsistance d'Hippos, où il y a beaucoup de commerce et d'industrie. Il vient du levant à Hippos une route commerciale qui passe devant Gergesa. On dit indistinctement sur les confins de Magdala et sur les confins de Dalmanutha : ce dernier endroit est à deux lieues au midi de l'autre, au delà de la gorge.

(11 décembre.) Cette nuit, Jésus et les disciples ont dormi sur la barque de Pierre : le matin il descendit à terre, et comme il marchait le long du rivage, il vint à lui plusieurs démoniaques qu'il guérit en leur imposant les mains. J'appris que ces gens, qui sont adonnés à toute espèce d'affreuses pratiques magiques, s'y préparaient souvent en mangeant d'une herbe qu'on trouve en abondance dans la gorge qui est près d'ici et sur la pente des montagnes voisines : elle les enivrait et leur faisait perdre la raison ; alors ils se livraient à toute espèce d'impuretés et étaient pris de convulsions. Il y avait là une autre herbe qui servait d'antidote, mais depuis quelque temps elle n'avait plus de vertu, en sorte qu'ils restaient dans leur état misérable. La contrée des Gergeséniens est un district long d'environ cinq lieues et large d'une demi-lieue, plus ou moins, qui a son histoire à part et qui se distingue des pays voisins par le caractère de ses habitants, dont il n'y a pas grand bien à dire. Il commence au midi, à partir du défilé qui est entre Magdala et Dalmanutha, ce défilé compris, et renferme, outre 'a ville de Gergesa et celle de Gérasa, où il prend fin, une dizaine d'endroits qui, pour la plupart, ne sont que des bourgades. Ils sont disséminés sur une seule ligne tout du long de cet étroit district. Derrière Gérasa il confine au territoire de Chorozaim et à une contrée en grande partie déserte, qu'on appelle le pays de Zin. La frontière des Gergeséniens, à l'est, est la longue arête de montagnes à l'extrémité méridionale de laquelle s'élève la forteresse de Gamala ; au sud, c'est le défilé, au couchant la rive du lac, sur laquelle sont situés Dalmanutha, Magdala et Hippos, qui n'appartiennent pas à ce district, à l'exception du défilé qui est au midi de Magdala. Au nord se trouve Chorozain, situé sur la première terrasse de la rive orientale du lac, qui occupe une étroite bande de terre au-dessous de Gamala. Il ne faut pas confondre ce district des dix bourgades avec la Décapole ou district des dix villes, qui s'étend au loin autour du premier et qui en est tout à fait distinct.
J'ai eu une vision sur l'histoire de cette contrée : je ne m'en rappelle que ce qui suit. Ces dix villages appartinrent aux Israélites jusqu'à la guerre de Gédéon contre les Madianites. Lors de cette guerre, ils ne voulurent pas secourir Gédéon ; ils s'allièrent aux païens et Gédéon les abandonna. Depuis ce temps les païens y ont toujours eu la prépondérance, et ils ont cruellement vexé et opprimé les Juifs.
Dans tous ces endroits on élève une grande quantité de pourceaux, au grand scandale des Juifs qui y habitent : tous ces troupeaux de plusieurs milliers de têtes vont ensemble chercher leur pâture sur la hauteur qui domine la gorge au nord, autour d'un grand marais verdâtre, et ils sont gardés par une centaine de porchers païens commis à ce soin par les différents propriétaires. Ils fouillent et se vautrent dans le marécage ; ils courent en troupes parmi les buissons, le long de la paroi de rochers escarpée, et on les entend de tous côtés crier et grogner. Le marais, qui est situé à trois quarts de lieue au sud-est de Gergesa, au pied des montagnes de Gamala, se décharge au midi dans la gorge, formant une chute d'eau par-dessus un barrage de planches et de poutres qui arrête le ruisseau supérieur et en fait un étang : l'eau se rend par cette gorge à la mer de Galilée. Il y a sur le bord du marais, et aussi sur les pentes de la gorge, plusieurs chênes d'une grosseur énorme. Toute cette contrée n'est pas très fertile : on cultive la vigne dans quelques endroits exposés au soleil. Il y croît aussi une espèce de roseau dont on peut tirer du sucre : on envoie de ces roseaux au loin.'
Ce n'est pas tant l'idolâtrie qui les met à un tel degré en la puissance du diable que leur penchant invétéré pour la magie. Gergesa et les bourgades environnantes sont remplies de sorciers et de sorcières de bas étage ; ils se livrent à toute espèce de mauvaises pratiques où figurent des chats, des chiens, des crapauds, des serpents et d'autres animaux. Ils font apparaître de ces bêtes ; il semble qu'eux-mêmes prennent la figure de ces animaux et rôdent de tous côtés pour nuire au bétail ou pour le faire mourir. Je n'ai pas le souvenir distinct de ce qui m'a été expliqué touchant leurs abominations ; je me souviens seulement que c'était quelque chose comme des loups garous : ils nuisaient aux hommes, même de loin, se vengeaient à longs intervalles de ceux qu'ils n'aimaient pas, excitaient des ouragans soudains et des tempêtes sur le lac. Les femmes préparaient des philtres qui donnaient la mort ou produisaient des effets ignominieux : elles faisaient entrer comme ingrédients dans ces breuvages les ordures les plus dégoûtantes. J'ai toujours besoin de me faire violence pour parler de ces abominations révoltantes de la sorcellerie ; j'aime mieux, dans ces occasions, dire simplement qu'ils s'occupent de maléfices, de sortilèges, et s'adonnent à toute espèce de mauvaises pratiques.
Des armées considérables ont campé ici à plusieurs reprises : je ne me souviens plus bien des époques. Je crois que cela a eu lieu, entre autres fois, un peu avant l'époque de Jésus et plus tard après sa mort lors de la prise de Gamala par Vespasien. Dans ces occasions, les gens du pays firent un si affreux usage de leurs maléfices contre les soldats, que les généraux furent obligés de faire venir un des derniers prophètes pour y porter remède. Ils eurent aussi avec Balaam des rapports dont je ne me souviens plus bien, mais à la suite desquels ils furent si rudement châtiés par deux prophètes, que depuis lors ils ne pouvaient plus souffrir les prophètes, et c'est pourquoi maintenant ils ne voulaient pas entendre parler de Jésus. Aussi, jusqu'à présent, se sont-ils toujours tenus en dehors de ses enseignements ; Satan s'était mis en possession de cette contrée de temps immémorial, et il s'y trouvait un nombre incalculable de possédés, de frénétiques et d'énergumènes.
Il était, je crois, environ dix heures lorsque je vis Jésus, en compagnie de quelques disciples, remonter le ruisseau dans la direction de la chute d'eau qui tombe dans la gorge, sur un canot qui se trouvait toujours là à cet effet. Cette voie était plus prompte que la voie de terre, une partie des disciples étaient encore occupés à opérer des guérisons. Jésus ayant débarqué monta par la paroi septentrionale de la gorge, et les disciples se réunirent à lui successivement. Dans une région plus élevée, je vis, pendant que Jésus approchait, courir de côté et d'autre deux énergumènes tout nus, dont les cheveux épars volaient sur leurs épaules. Ils se frappaient avec de grosses pierres qu'ils se jetaient, et tantôt ils entraient dans des tombeaux qui étaient en ce lieu, tantôt ils en sortaient furieux et se jetaient à la tête des ossements de morts. Ils poussaient des cris affreux, mais ils étaient comme retenus par une force secrète : car ils ne s'enfuirent pas et même se rapprochèrent de Jésus. S’étant arrêtés devant lui à quelque distance derrière des haies et des pierres, ils entrèrent en fureur et crièrent : « Venez, accourez à notre secours, puissances et principautés ! En voici un plus fort que nous qui vient ». Jésus leva la main de leur côté et leur commanda de se coucher par terre. Alors ils se prosternèrent à plat ventre et je compris que Jésus voulait qu'ils fissent ainsi par un sentiment de pudeur à cause de leur nudité. Ils relevèrent la tête et se mirent à crier : "Jésus, Fils du Dieu très haut, qu'avons-nous à faire avec toi ? Pourquoi es-tu venu nous tourmenter avant le temps, Nous t'en conjurons au nom de Dieu, ne nous tourmente pas ? "Jésus et les disciples se trouvaient maintenant près d'eux et tout leur corps tremblait et s'agitait horriblement. Jésus ordonna aux disciples de leur donner de quoi se couvrir, et aux possédés de cacher leur nudité. Alors les disciples leur jetèrent de ces bandes d'étoffe qu'ils portent autour du cou et dans lesquels on s'enveloppe aussi la tête, et les possédés les roulèrent autour de leurs reins, avec des tremblements convulsifs incessants et comme forcés d'agir contrairement à leur volonté. Ils s'étaient levés et continuaient à crier, suppliant Jésus de ne pas les tourmenter, mais il dit : " Combien êtes-vous " ? Ils répondirent : " Légion. " Ils parlaient aussi au pluriel par la bouche des possédés et dirent que les convoitises de ces hommes avaient été innombrables.
Cette fois le diable disait la vérité, car ces hommes avaient vécu dix-sept ans en rapport avec les démons et adonnés à toute sorte de sortilèges, et pendant ce temps ils avaient eu, par intervalles, des accès de ce genre : mais depuis deux ans, ils avaient brisé les chaînes dont on les avait chargés et ils erraient continuellement dans la solitude. Ils se sont aussi livrés à tous les vices qui accompagnent la sorcellerie.
Il y avait près de là, dans un endroit exposé au soleil, une vigne où se trouvait une grande cuve faite d'énormes pièces de bois jointes ensemble. Elle était presque de la hauteur d'un homme et assez large pour que douze personnes pussent se tenir dedans. Les Gergéséniens y foulaient des raisins mêlés avec cette herbe qui faisait perdre la raison. Le jus coulait dans des auges plus petites, et de celles-ci dans de grands vases de terre avec un col étroit qu'ils enterraient dans la vigne lorsqu'ils étaient pleins. C'était là ce breuvage enivrant, empoisonné, qui faisait tomber ceux qui en buvaient dans une espèce d'épilepsie. La plante enivrante était à peu près de la longueur du bras avec plusieurs feuilles grasses placées les unes au-dessus des autres, semblables à celles de la joubarbe : elle se terminait par un bouton. Ils faisaient usage de ce breuvage pour se procurer des extases diaboliques. On le préparait en plein air à cause des vapeurs enivrantes qui s'en dégageaient : cependant on dressait alors une tente au-dessus de la Cuve. Les gens chargés de ce travail étaient venus près de là pour s'y livrer : mais Jésus commanda aux possédés ou plutôt à la Légion qui résidait en eux de renverser cette cuve : ils se ruèrent alors comme des insensés, saisirent l'énorme cuve qui était pleine et la jetèrent sans aucune peine sur le côté, en sorte que tout ce qui était dedans se répandit et que les ouvriers s'enfuirent en poussant des cris d'épouvante. Les possédés revinrent, toujours tremblants de tous leurs membres et les disciples furent très effrayés. Les diables qui étaient dans le corps des possédés poussaient des cris affreux, le suppliant de ne pas les précipiter dans l'abîme et de ne pas les chasser de cette contrée : enfin ils lui dirent : " Laisse-nous entrer dans ces pourceaux ". Jésus répondit : " Allez ! ". A ces paroles les malheureux possédés tombèrent par terre avec de violentes convulsions et il sortit de tout leur corps une vapeur formant un nuage. J'y vis d'innombrables figures d'insectes de toute espèce, de crapauds, de vers, surtout de taupes-grillons. Je vis ce nuage s'étendre au loin sur le pays, et au bout de quelques instants, l'énorme troupeau de porcs, comme saisi de vertige, se mit à courir avec d'affreux grognements pendant que les porchers le poursuivaient en poussant de grands cris. Les pourceaux, au nombre de quelques milliers, sortaient de tous les coins et se précipitaient de toutes les pentes à travers les buissons : c'était comme le fracas d'un orage auquel se mêlaient des cris d'animaux furieux. Et ce ne fut pas l'affaire de quelques minutes seulement, mais cela dura bien deux heures, car pendant longtemps on vit les pourceaux se ruer follement de tous côtés, se jeter les uns sur les autres et se faire de cruelles morsures. Beaucoup se précipitèrent dans le marais et arrivèrent à la chute d'eau qui les entraîna. Mais tous se lancèrent furieux vers le lac.
Les disciples de Jésus étaient assez mécontents parce qu'ils croyaient que cela rendait impure l'eau où ils avaient coutume de pêcher, et par suite les poissons qui l'habitaient. Jésus connaissant leur pensée leur dit de ne rien craindre, que les pourceaux s'engloutiraient tous dans le gouffre qui était à la sortie de la gorge. Il y avait là une espèce de lagune séparée du lac proprement dit par un banc de sable ou une langue de terre couverte de roseaux et de broussailles, et qui était souvent inondée dans les grandes eaux. C'était un gouffre profond où l'eau du lac pénétrait à travers le banc de sable, mais qui n'avait pas d'écoulement dans le lac. Il y avait là un tourbillon. Ce fut dans ce bassin que tous les pourceaux se précipitèrent. Les porchers, ayant couru après eux inutilement, vinrent trouver Jésus prés duquel ils virent les deux possédés guéris, et ils se plaignirent vivement du dommage qui leur était fait : mais Jésus leur répondit que le salut de ces âmes était d'un plus grand prix que tous les pourceaux du monde. Ils se retirèrent et allèrent dire aux propriétaires des pourceaux que les démons attirés dans le corps des hommes par l'impiété des habitants du pays en avaient été chassés par lui et étaient entrés dans les pourceaux. Il renvoya les possédés guéris dans leurs maisons pour y prendre des vêtements, et il se dirigea vers Gergesa avec les disciples. Plusieurs des porchers s'étaient déjà rendus à la ville en toute hâte. On voyait courir des gens de tous les côtés : ceux qui avaient été guéris hier à Magdala et dans les environs étaient déjà allés attendre Jésus à un endroit désigné, ainsi que les deux jeunes Israélites délivrés la veille et la plupart des Juifs de la ville. Les deux possédés guéris revinrent décemment habillés et assistèrent à une instruction de Jésus. C'étaient des païens considérables de la ville : ils étaient même parents des prêtres païens.
Les hommes chargés de préparer le vin, et dont la cuve avait été renversée, avaient aussi couru à la ville et ils avaient fait connaître le dommage occasionné par les possédés : on en avait fait grand bruit, et il s'était élevé un grand tumulte à ce sujet. Beaucoup de gens de la ville et des environs couraient après les pourceaux pour essayer d'en sauver quelques-uns : d'autres s'empressaient près de la cuve. Cela dura jusque assez avant dans la nuit.
Tous les Juifs et beaucoup de païens se rassemblèrent auprès de Jésus, qui enseigna sur une colline, à une demi-lieue environ de Gergesa. Cependant les magistrats de la ville et les prêtres des idoles cherchèrent à retenir le peuple, et ils firent publier que Jésus était un puissant magicien, et que sa présence les menaçait de grands malheurs. Après avoir délibéré entre eux, ils envoyèrent à Jésus une députation pour lui demander de ne pas prolonger son séjour dans le pays et de ne pas leur faire d'autre dommage : ils reconnaissaient en lui un grand magicien, mais ils le priaient de sortir de leurs confins. Ils se plaignirent beaucoup au sujet des pourceaux et du breuvage répandu : et ils furent très surpris et très effrayés de voir assis à ses pieds, parmi les auditeurs, les deux possédés guéris. Jésus leur dit d'être sans inquiétude, qu'il ne leur serait pas longtemps à charge, qu'il n'était venu qu'à cause de ces malheureux possédés et de ces malades, et qu'il savait bien que leurs animaux impurs et leur abominable boisson avaient plus de prix à leurs yeux que le salut de leurs âmes : mais il n'en était pas ainsi de son Père céleste, qui lui avait donné le pouvoir de sauver ces hommes infortunés et de détruire les pourceaux. Ensuite il leur mit devant les yeux toutes leurs infamies, leur vie criminelle, leurs maléfices, leur impureté, leurs usures et le culte qu'ils rendaient aux démons : il avertit spécialement leurs femmes, qui pratiquaient secrètement toutes ces abominations. Il les exhorta à la pénitence, au baptême, et leur offrit le salut. Mais ils n'avaient en tête que le dommage qu'ils avaient éprouvé et la perte de leurs pourceaux, et ils persistèrent à lui demander d'une manière à la fois pressante et craintive de quitter leur pays : après quoi ils retournèrent à la ville.
Judas Iscariote se montra aujourd'hui particulièrement actif et empressé près de ces gens : car il était connu dans le pays. Sa mère y avait résidé avec lui un certain temps, lorsqu'il était jeune encore, aussitôt après qu'il eut quitté la famille dans laquelle il avait été élevé en secret. Il avait connu alors les deux possédés. C'est pour cela qu'antérieurement, par suite d'un souvenir confus, je croyais qu'il s'était présenté ici à Jésus pour la première fois.
Les Juifs du pays ressentaient une joie secrète du dommage qu'avaient éprouvé les païens avec leurs pourceaux, car ils étaient fort vexés par les païens et fort scandalisés de cette quantité de pourceaux. Toutefois il avait ici beaucoup d'autres Juifs qui avaient formé des alliances avec les païens et s'étaient engagés dans leurs pratiques superstitieuses.
Jésus enseigna encore et prépara ses auditeurs au baptême : car tous ceux qui avaient été guéris hier et aujourd'hui, notamment les deux derniers possédés, furent baptisés ici par les disciples. Ces gens étaient fort touchés et complètement transformés. Ils le supplièrent, ainsi que les deux jeunes gens, de leur permettre de rester avec lui et de devenir ses disciples. Mais lorsqu'après avoir reçu le baptême, ils lui présentèrent leur requête, il dit aux deux possédés guéris en dernier lieu qu'il voulait leur donner une mission : qu'ils devaient parcourir les dix bourgades des Gergéséniens, se montrer partout, raconter partout ce qui leur était arrivé, ce qu'ils avaient vu et entendu, exhorter les gens à la pénitence et au baptême et les lui envoyer : ils ne devaient pas se laisser effrayer quand même on les poursuivrait à coups de pierres. S’ils étaient fidèles à accomplir ce qu'il demandait d'eux, ils le reconnaîtraient à ce signe qu'ils recevraient l'esprit de prophétie, lequel descendrait sur eux pendant la nuit ; alors ils se lèveraient et auraient des visions ; alors aussi ils sauraient toujours où Jésus serait ; ils lui enverraient les gens qui auraient besoin d'être instruits par lui ; ils imposeraient les mains aux malades et ceux-ci seraient guéris. Ils commencèrent le jour suivant à s'acquitter de leur mission, et plus tard ils devinrent ses disciples.
Les apôtres baptisaient ici avec de l'eau qu'ils avaient apportée dans une outre : les choses se passaient comme la dernière fois. Les gens s'agenouillaient en cercle autour d'eux, et ils les baptisaient trois par trois avec de l'eau du bassin que l'un d'eux tenait, et dont ils les aspergeaient à trois reprises avec la main. Le soir, Jésus, avec ses disciples, alla à Gergesa chez le chef de la synagogue, et ils y prirent quelque nourriture. Les principaux de la ville vinrent, à cette occasion, faire des menaces à ce préposé, afin qu'il s'efforçât de faire partir Jésus, sans quoi ils le rendraient responsable des dommages ultérieurs que la ville pourrait éprouver. Là-dessus Jésus partit, et ils passèrent la nuit dans une maison de bergers. J'entendis Jésus dire à ses disciples qu'il avait permis aux démons de renverser la cuve et d'entrer dans les pourceaux, afin que ces païens orgueilleux vissent qu'il était le prophète des Juifs, si opprimés et si outragés par eux : il avait voulu aussi que le dommage qu'avaient éprouvé tant de païens en perdant leurs pourceaux, les rendit attentifs au danger qui menaçait leurs âmes, et que ce peuple endormi dans l'ivresse du vice se réveillât et vînt se faire instruire. Il avait fait renverser l'affreux breuvage comme une des causes principales des péchés de ce peuple et de l'empire que le démon avait sur lui.

(12 décembre.) Les apôtres ont guéri dans les environs des hydropiques, des boiteux et des paralytiques. Quant à Jésus, près duquel il restait toujours quelques disciples, il se rassembla autour de lui, vers dix heures du matin, une foule de gens attirés par ses miracles et ceux de ses disciples, et frappés surtout de l'aventure des pourceaux : il pouvait bien, y avoir deux mille personnes. Jésus appela encore leur attention sur leur déplorable état, et beaucoup se convertirent. Beaucoup de Juifs aussi voulaient se séparer des païens et quitter le pays.
Après midi, les apôtres qui avaient opéré des guérisons vinrent à la prédication de Jésus avec plusieurs de ceux qu'ils avaient guéris. Il s'y trouvait des femmes portant dans des corbeilles des volailles qu'elles donnèrent aux apôtres. Pendant que la foule se pressait autour de Jésus, une femme de Magdala, affligée de pertes de sang, s'approcha de lui comme la nuit tombait. Elle n'avait pas pu marcher jusqu'alors, mais poussée par sa foi elle se traîna seule jusqu'à lui sans le secours de personne, baisa son vêtement et fut guérie : Jésus continua à enseigner, mais après quelque temps il dit : " J'ai guéri quelqu'un : qui est-ce ? " Alors cette femme s'approcha et lui témoigna sa reconnaissance. Elle avait entendu parler de la guérison d'Enoué, et elle fit comme elle. Le soir, Jésus s'embarqua avec les disciples et les deux jeunes Juifs de Gergesa, qui avaient été démoniaques et qu'il avait guéris. Il côtoya Magdala, se dirigeant au nord d'Hippos qui n'est pas tout au bord du lac, mais sur le penchant d'une hauteur. Ils descendirent à terre et mangèrent des oiseaux, du pain et du miel dans une maison de bergers.
J'entendis Jésus dire aux disciples que le jour de la naissance d'Hérode était proche et qu'il avait dessein de monter à Jérusalem. Ils voulurent l'en dissuader, disant que la fête de Pâques approchait et que ce serait alors le moment d'y aller. Jésus répondit comme si son intention eût été de ne pas se montrer en public pendant la fête. Ensuite il leur dit de s'embarquer. Les deux jeunes gens de Gergesa le prièrent encore de les prendre avec lui. Mais il leur dit qu'il leur avait réservé une autre destination et il leur donna pour mission de parcourir les dix villes (de la Décapole), depuis Cédar jusqu'à Panéas, et d'annoncer aux Juifs ce qu'ils avaient vu et entendu. Il leur donna sa bénédiction et leur promit comme il l'avait fait aux autres, que s'ils accomplissaient fidèlement leur mission, l'esprit prophétique viendrait sur eux : qu'ils sauraient où il serait, proclameraient les jugements de Dieu et guériraient les malades en son nom. Cela ne devait arriver pour eux comme pour les deux autres qu'après un certain temps. Les autres devaient l'annoncer d'abord dans les dix bourgades des Gergéséniens et plus tard aux païens de la Décapole. Les jeunes gens le quittèrent là-dessus et il ordonna aux disciples de se diriger vers Bethsaïde. Lui-même resta seul à terre malgré toutes leurs prières et, côtoyant le rivage, il se retira dans un lieu désert pour prier. Je le vis passer entre des hauteurs escarpées : il y avait là quelques rochers qui ressemblaient dans les ténèbres à de grands fantômes noirs.
Il était tout à fait nuit lorsque je vis Jésus marcher sur la mer : ce fut à peu près en face de Tibériade, plus à l'est que le milieu du lac qu'il sembla vouloir traverser à une certaine distance en avant de la barque des disciples. Le vent était contraire et très violent et les disciples marchaient à la rame avec beaucoup de peine. Ils virent une figure humaine et furent saisis d'épouvante : ils ne savaient pas si c'était lui ou son esprit et tous jetèrent des cris d'effroi. Mais Jésus leur dit : " N'ayez point peur : c'est moi ". Alors Pierre lui cria : " Seigneur, si c'est vous, ordonnez moi d'aller à vous sur l'eau ! " Jésus lui dit : " Viens ! " Et Pierre plein d'ardeur descendit du navire par la petite échelle et se hâtant d'aller à Jésus, s'avança à une petite distance sur l'eau agitée comme il eût fait sur la terre ferme. Il me fit l'effet de planer au-dessus, car les flots soulevés ne lui faisaient pas obstacle. Mais comme il s'émerveillait et pensait plus à l'eau, au vent et aux vagues qu'à la parole de Jésus, l'inquiétude le prit : il commença à perdre pied et, dans son effroi, il cria à Jésus : « Seigneur, sauvez-moi ! » alors il enfonça jusqu'à la poitrine et étendit la main en avant. Jésus se trouva à l'instant près de lui, le prit par la main et lui dit : " Homme de peu de foi, pourquoi doutes-tu ? " Ils se trouvèrent aussitôt près de la barque : ils y montèrent et Jésus leur reprocha leur peur, à lui et aux autres. Le vent tomba immédiatement et ils se dirigèrent vers Bethsaïde. Vraisemblablement pendant la traversée les uns dormirent tandis que les autres ramaient. Pour les faire monter on abaissa une échelle hors de la barque.
Note. Après cette communication le pèlerin lut à la narratrice le passage des Évangiles où il est dit que Jésus marcha sur la mer et que Pierre enfonça, et il lui demanda si elle n'avait pas oublié différentes choses qui, dans le texte sacré, sont représentées comme étant liées à cet événement. Elle répondit qu'elle pouvait bien avoir oublié de raconter certains détails, mais qu'ils allaient lui revenir maintenant qu'elle les entendait lire. Elle dit que l'incident rapporté par les Évangiles ne devait pas être le même que celui qu'elle avait vu cette nuit et que peut-être il lui serait représenté plus tard. Elle ne se souvenait pas d'avoir vu cette fois les disciples se prosterner devant Jésus dans le navire et lui dire : " Vous êtes véritablement le Fils de Dieu ! " Dans l'Évangile Jésus marche sur l'eau après la mort de Jean, mais ici Jean n'est pas encore mort, car le jour de naissance d'Hérode ne tombe que dans le mois de janvier, ce qu'elle a appris en entendant Jésus dire à ce propos qu'il voulait aller en Judée. Dans l'Évangile ce prodige vient après la première multiplication des pains laquelle n'a pas encore eu lieu. A la vérité il y a eu aussi lundi une multiplication des pains dans la vallée attenant à la montagne des huit béatitudes, mais ce n'est pas celle des sept pains et des deux poissons : il est arrivé seulement que la provision de pain, étant fort au-dessous de ce qui était nécessaire, s'est pourtant trouvée suffisante, au point qu'on a pu en donner des morceaux aux gens de guerre romains qui voulaient les conserver comme souvenir. Cette multiplication des pains de lundi est passée sous silence dans l'Évangile où du reste tous les enseignements de cette prédication faite en plusieurs fois sur les béatitudes, ainsi que les instructions données dans les intervalles, sont résumés et donnés, quant aux points principaux, comme une seule prédication : il en est de même des paraboles. La multiplication des cinq pains et des deux poissons, viendra plus tard et elle croit qu'alors il marchera sur la mer encore une autre fois. Cette fois-ci il n'y avait pas de gens à s'étonner de le voir arriver quoiqu'ils ne l'eussent pas vu s'embarquer, car personne, à l'exception des disciples, ne savait qu'il était resté sur l'autre rive du lac. Il faudra maintenant voir si en ceci il se présentera des différences comme celles qui ont été récemment notées en ce qui concerne la fille de Jaïre et l'hémorroïsse.

(13 décembre.) Lorsque Jésus prit terre à Bethsaïde, il fut accueilli par les cris de deux aveugles qui vinrent à sa rencontre, se servant de conducteurs l'un à l'autre, contrairement au proverbe. Il les guérit et guérit encore des muets et des boiteux : partout où il passait, le peuple accourait en foule avec des malades : plusieurs le touchaient et étaient guéris. On était venu l'attendre parce qu'on savait qu'il viendrait avant le sabbat. L'histoire des possédés et des pourceaux avait été connue ici la veille, et elle avait fait un grand effet. Une partie des disciples baptisa le matin, près de la maison de Pierre, plusieurs malades guéris : pendant ce temps Jésus continuait à opérer des guérisons sans qu'il lui fût possible d'aller se reposer, et comme on ne pouvait pas même trouver le temps de manger, les disciples allèrent le chercher pour tâcher de lui faire prendre un peu de repos et de nourriture.
Comme ensuite il se dirigeait vers Capharnaüm, il vint à sa rencontre un possédé qui était muet et aveugle et qu'il guérit sur-le-champ. Cette guérison excita une grande surprise, car cet homme rien qu'en approchant de Jésus, recouvra la parole et cria : " Jésus, Fils de David, ayez pitié de moi ". Jésus lui frotta les veux et la vue lui fut rendue. Cet homme était possédé de plusieurs démons, car il était entièrement tombé au pouvoir des païens de l'autre côté du lac. Les sorciers et les jongleurs du pays des Gergéséniens s'étaient emparés de lui, ils le traînaient partout au bout d'une corde et le faisaient voir en divers lieux ou il était obligé de faire toute espèce de tours de force : ils montraient comme quoi, étant aveugle et muet, il faisait tout, comprenait tout, allait partout, cherchait et reconnaissait tout au moyen de certaines conjurations : car c'était le diable qui faisait tout cela en lui.
C'était ainsi que les jongleurs païens qui allaient de Gergesa visiter les villes de la Décapole et d'autres encore faisaient servir à leur subsistance le démon qui possédait ce malheureux. Quand ils traversaient le lac, ils ne le prenaient pas dans la barque, mais ils lui commandaient de la suivre à la nage comme un chien. Personne n'avait plus souci de lui : on le regardait comme un homme perdu. Le plus souvent il n'avait pas d'abri. Il couchait dans des fossés et dans des trous et ceux qui l'exploitaient le maltraitaient encore par là-dessus. Il était déjà depuis longtemps à Capharnaüm, mais il n'avait trouvé personne pour le conduire à Jésus. Il y alla de lui-même et fut guéri.
Jésus enseigna et guérit encore au commencement du sabbat dans la maison mentionnée précédemment, qui est près de la porte de Capharnaüm ; il reprit quelques points déjà traités dans le sermon sur la montagne ; il dit aussi aux apôtres qu'il les enverrait à leur mission après le sabbat, et qu'il leur donnerait sa bénédiction. Il voulait en garder six près de lui et en envoyer six, en adjoignant à chaque moitié un certain nombre de disciples.
Cependant il y eut avant le sabbat, pendant qu'il enseignait, un soulèvement tumultueux dans la ville. Le prodige accompli sur les pourceaux et la guérison du possédé aveugle et muet avaient produit une grande impression. Aujourd'hui, dans l'après-midi, il était venu plusieurs barques remplies de Juifs de Gergesa qui racontaient les merveilles qu'ils avaient vues ; mais les Pharisiens répandaient partout que Jésus chassait les démons par les démons. Cela déplut au peuple, et une foule considérable se rassembla devant la synagogue. Le possédé aveugle et muet était complètement furieux, lorsque Jésus s'approcha de la ville : il avait couru à sa rencontre, à travers les rues, sans être conduit par personne, et beaucoup de gens qui le poursuivaient avaient été témoins du miracle. Tout cela les avait tellement transportés d'admiration qu'ils s'indignaient hautement contre les Pharisiens, lesquels, pendant que Jésus était sur l'autre bord et maintenant encore, se déchaînaient contre lui, l'accusant de guérir par le moyen du diable. Je vis que plusieurs de ceux qui faisaient partie du rassemblement portaient avec eux une arme de trait d'une forme singulière. Il y avait une sorte de grosse crosse ronde recouverte de cuir, et aussi une baguette : l'arme était percée de trous, et on s'en servait pour lancer des traits de peu de longueur : c'était vraisemblablement une espèce d'arbalète ; la baguette, insérée transversalement dans les trous, en formait l'arc. Ces gens firent appeler les Pharisiens et insistèrent pour qu'ils cessassent d'injurier Jésus. Pourquoi, disait-on, ne lui rendaient-ils pas justice et n'avouaient-ils pas qu'on n'avait jamais rien vu de pareil en Israël, que jamais prophète n'avait opéré de semblables prodiges ? Que si ses ennemis ne se désistaient pas de leur résistance opiniâtre, ils étaient décidés à quitter Capharnaüm, car ils ne voulaient pas supporter plus longtemps ces blasphèmes et cette ingratitude, etc.
Les Pharisiens prirent la chose très courtoisement : il sortit de leurs rangs un homme gros et court qui se mit à endoctriner le peuple de la manière la plus astucieuse. Il dit qu'en effet on n'avait jamais entendu parler dans Israël de semblables prodiges, d'actes et d'enseignements de ce genre ; que jamais prophète n'avait rien fait de pareil. Mais il demandait au peuple d'examiner ce qu'il fallait penser de ces démons chassés à Gergesa, de ce possédé délivré ici aujourd'hui et qui, à vrai dire, pouvait être considéré comme un Gergésénien ; car on ne pouvait apporter trop de maturité dans le jugement à porter sur des choses de ce genre. Il fit ensuite une longue digression sur le royaume des mauvais esprits, dit qu'il y existait une hiérarchie et différents degrés, qu'il s'en trouvait parmi eux qui en avaient d'autres sous leurs ordres, et que Jésus avait fait alliance avec un des plus puissants ; car, sans cela, pourquoi n'avait-il pas guéri depuis longtemps le possédé de Capharnaüm ? Pourquoi, s'il était le Fils de Dieu, n'avait-il pas, d'ici, chassé les démons qui étaient dans le pays des Gergéséniens ? Or c'est ce qu'il n'avait pas fait. Il lui avait fallu d'abord aller dans ce pays et conclure un traité avec le chef des démons de Gergesa : il avait fallu qu'il se mît d'accord avec lui et qu'il lui livrât les pourceaux en proie, car celui-ci était inférieur à Béelzébub, mais pourtant d'un rang élevé. C'était ainsi qu'après lui avoir donné satisfaction à Gergesa, il avait pu délivrer l'homme d'ici par le moyen de Béelzébub. Il présenta d'autres arguments du même genre avec beaucoup d'adresse et de faconde, puis il engagea le peuple à se calmer et à attendre la fin : d'ailleurs, ajoutait-il, leur conduite, à eux-mêmes, montrait bien quels étaient les fruits de tout cela : le peuple ne travaillait plus les jours ouvriers, il courait à la suite du docteur et de ses miracles, et le jour du sabbat était devenu un jour de bruit et de tumulte. Il fallait donc qu'ils pensassent à la sainteté de ce jour, qu'ils se tinssent en repos et se préparassent pour la fête qui était proche. Il réussit par là à obtenir que la foule se dispersât et beaucoup de gens irréfléchis furent à moitié convaincus par son verbiage.
C'était aujourd'hui le vendredi 24 du mois de Kislen, et comme le soir de ce jour, le commencement du sabbat coïncidait avec la fête de la Dédicace du temple qui tombait le 25, cette fête avait déjà commencé la veille au soir, avec le 24 Kislen. Plusieurs pyramides formées de lampes allumées avaient été dressées dans les maisons et les écoles : dans les jardins aussi, dans les cours et près des fontaines on avait disposé des lampes et des torches suivant des dessins de toute espèce. Jésus accompagné des disciples vint à la synagogue pour le sabbat et il enseigna sans obstacle, parce qu'on craignait le peuple, sur l'histoire de Joseph et sur des textes d'Ezéchiel. (Gn 44,18-47,17. - Ez 57,17, etc., etc.) Il expliqua aussi quelque chose du prophète Daniel. Il connaissait leurs pensées et savait tous les propos qu'ils avaient tenus au peuple, aussi il les interpella à ce sujet et leur dit : " Tout royaume divisé d'avec lui-même ne subsistera pas : si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même ; comment donc son royaume se maintiendrait-il ? Si je chasse les démons par Béelzébub, vos fils, par qui les chassent-ils ? ".
Jésus les réduisit au silence par des paroles de ce genre et il sortit de la synagogue sans qu'on l'eût vivement contredit. Il passa la nuit dans la maison de Pierre.
Lorsque la Soeur communiqua ces paroles, le pèlerin lui lut tout ce que les Évangélistes y ajoutent : mais elle ne se souvint d'avoir entendu aujourd'hui que ce qu'elle venait de rapporter, et cela comme toujours avec un peu plus de détails et de développements La plupart du temps, quand elle mentionne de ces discours de Jésus, le pèlerin a coutume de lui lire ce qui en est rapporté dans l'Évangile et de noter ce dont elle se souvient. Très souvent elle dit de certaines choses qu'elle ne les a pas entendues alors et qu'elles ont été dites dans quelque autre circonstance analogue. Mais quand ces circonstances ne sont pas mentionnées dans l'Évangile, le pèlerin ne peut pas les rappeler à son souvenir, et elle-même, avec tout ce qui vit et se remue dans son âme de merveilleux et d'inconnu, ne revient que bien rarement sur le passé, d'où il résulte nécessairement que c'est autant de perdu pour la narration.

(14 décembre.) Les apôtres ont aujourd'hui baptisé de nouveau chez Pierre. Jésus accompagné de quelques disciples visita aujourd'hui la famille de Jaïre, à laquelle il donna des avis et des consolations. Ils sont très humbles et tout à fait changés : ils ont fait trois parts de leur bien, une pour les pauvres, une autre pour la communauté, la troisième pour eux-mêmes. La vieille mère de Jaire, notamment, a été très touchée et elle est devenue excellente. La fille ne vint que lorsqu'on l'appela : elle était voilée et sa contenance était très humble. Il semble qu'elle ait grandi : elle se tient très droite et a toute l'apparence d'une personne parfaitement guérie. C'est toutefois une personne de petite taille et d'une complexion délicate.
Jésus alla ensuite visiter le centurion païen Cornélius, il le consola et l'enseigna ainsi que sa famille et ses serviteurs, puis il l'accompagna chez Zorobabel, le centurion de Capharnaüm : là aussi il enseigna et consola. La conversation tomba sur le jour de naissance d'Hérode et sur Jean Baptiste. Zorobabel et Cornélius dirent qu'Hérode avait invité tous les gens considérables et eux-mêmes à venir à Machérunte pour le 8 janvier, qui était son jour de naissance : ils demandèrent à Jésus s'il leur permettrait d'y aller Jésus leur dit que s'ils se sentaient assurés de ne participer à rien de ce qui se passerait là, il ne leur était pas interdit de s'y rendre, mais que pourtant ils feraient mieux de s'excuser et de rester chez eux, s'ils le pouvaient. Ils exprimèrent le déplaisir que leur causaient la liaison adultère d'Hérode et la captivité de Jean : mais ils ne doutaient pas qu'Hérode ne rendît la liberté au précurseur à l'occasion de son jour de naissance.
Jésus alla ensuite visiter sa mère chez laquelle se trouvaient Suzanne, fille d'Alphée et de Marie de Cléophas, venue de Nazareth, Suzanne de Jérusalem, Dina la Samaritaine et Marthe. Il annonça son départ pour le lendemain. Marthe était très affligée de la rechute de Madeleine et de l'empire que le démon avait pris sur elle. Elle demanda à Jésus si elle ne ferait pas bien de se rendre auprès d'elle. Mais Jésus lui dit d'attendre encore.
J'ai vu la possession de Madeleine. Elle est souvent hors de son bon sens, agitée par la colère ou par l'orgueil, elle frappe et injurie ceux qui l'entourent, elle tourmente ses suivantes et ne cesse pas de se parer avec une recherche extravagante. J'ai vu qu'elle frappait l'homme qui vit dans sa maison où il agit en maître, et que celui-ci à son tour la maltraitait. Par intervalles elle tombe dans une affreuse tristesse, se répand en larmes et en sanglots, parcourt la maison en tout sens, cherche Jésus et s'écrie : " Où est le Maître, où est-il ? Il m'a abandonnée ! " Puis quelques jours après, elle se montre de nouveau libre et effrontée dans ses allures, donne des festins et se livre au péché : car il lui arrive sans cesse de nouveaux amants poussés par la curiosité et la malice. Elle est tout à fait sous le joug du méchant homme qui demeure avec elle et il se fait donner de l'argent par ses amants.
J'ai une idée vague que Lazare a mis un terme à ses prodigalités et qu'on lui a assigné un certain revenu. Elle est dans un état effrayant : l'orgueil, l'incontinence, la vanité, la colère ont pris sur elle un empire qui est l'effet d'une possession manifeste. En outre elle a des convulsions qui ressemblent à des attaques d'épilepsie.
On peut se figurer quelle est la douleur de ses proches en voyant une personne de si noble race et si richement douée tombée dans cet horrible état.
Rien n'est touchant comme de voir Jésus marcher le long des rues, la robe tantôt flottante, tantôt relevée, sans beaucoup d'action et pourtant sans aucune raideur : son allure est calme : il semble planer plutôt que marcher : il a une simplicité ; et une majesté que n'ont pas les autres hommes. Rien dans sa démarche qui ne soit harmonieux et assuré : pas un regard, pas un pas, pas un geste inutile et pourtant rien d'affecté ni qui vise en rien à l'effet.
J'ai vu de nouveau des choses que j'avais oublié de dire dernièrement lorsque Marie fit un voyage à Cana et revint ici avec les autres femmes. Marthe, accompagnée de Suzanne, avait visité les hôtelleries de Galilée jusqu'à Samarie. Elle en avait comme la surintendance. Les petits districts étaient confiés aux soins de celles des saintes femmes qui en étaient le plus voisines. Je les vis se réunir dans certaines hôtelleries : on apportait sur des ânes des provisions de toute espèce. Je vis une fois avec elles Marie la Suphanite, ce qui fit dire parmi les gens de l'endroit que Marie Madeleine était maintenant avec les femmes qui prenaient soin des gens attachés au prophète de Nazareth : car Marie la Suphanite avait une grande ressemblance extérieure avec Madeleine, et elle n'était pas très connue de ce côté du Jourdain. De plus elle s'appelait aussi Marie ; elle avait versé aussi des parfums sur Jésus, à un repas chez des Pharisiens ; enfin elle avait aussi une mauvaise réputation : et tout cela 1. faisait qu'on la confondait avec Madeleine dans les propos qui couraient. Plus tard cette confusion fut faite encore plus souvent par tous ceux qui n'avaient pas des relations intimes avec la communauté.
Les saintes femmes veillaient à ce qu'on fût pourvu de lits, de couvertures, de vêtements de laine, de vases à boire, de cruches de baume et d'huile, etc., car quoique Jésus eût peu de besoins, il voulait pourtant que ses disciples ne fussent à charge à personne et qu'ils trouvassent partout le nécessaire, afin d'enlever tout prétexte aux reproches des Pharisiens.
Avant la clôture du sabbat Jésus alla encore dans la maison voisine de la porte : il continua à enseigner le peuple touchant les béatitudes et répéta beaucoup de choses déjà dites : il a jusqu'à présent expliqué quatre des béatitudes. Il enseigna aujourd'hui sur le texte : " Bienheureux les pauvres d'esprit ", et il fit plusieurs allusions dirigées contre les Pharisiens. Les saintes femmes faisaient partie de son auditoire.
Après cela il instruisit encore les disciples en particulier et leur dit qu'il leur donnerait leur mission le lendemain : six des apôtres devaient le suivre, les six autres aller dans la haute Galilée : dix-huit disciples devaient accompagner ceux-ci, douze autres rester près de lui. Il voulait leur donner sa bénédiction : ils devaient enseigner, guérir, chasser les démons, etc. Il leur donna ensuite d'autres instructions préparatoires. En réglant ainsi les choses, il avait pour but de prévenir la trop grande affluence de peuple en un même endroit et de répartir en quelque sorte le mouvement sur plusieurs points : car il ne pouvait plus rester ici, la multitude était trop excitée, trop nombreuse, et elle le pressait de tous les côtés. Il renvoya chez eux plusieurs disciples qui auraient été bien aises de le suivre.
Il était arrivé un grand nombre de Gergéséniens, notamment beaucoup de pauvres qui voulaient aller avec lui ; la plupart d'entre eux qui étaient sans ressources et accoutumés à une vie errante, croyaient qu'avec lui ils auraient tout en abondance. Ils parlaient souvent entre eux de son royaume, demandaient s'il n'en prendrait pas bientôt possession, et s'imaginaient qu'il ne tarderait pas à recevoir l'onction royale comme Saul ou David, à occuper le royaume d'Israël et à monter sur le trône à Jérusalem. Là-dessus ils se berçaient d'avoir leur part des avantages réservés en ce cas à ses partisans. Jésus s'entretint avec ces gens et leur dit de retourner chez eux, de faire pénitence, d'observer les lois et de mettre en pratique ce qu'ils avaient entendu. Il leur expliqua que son royaume était tout autre chose que ce qu'ils croyaient et que les pécheurs n'y étaient pas admis. Il congédia ainsi, en leur donnant des consolations, plusieurs troupes d'hommes.
A la clôture du sabbat il enseigna encore dans la synagogue et s'éleva avec force contre l'assertion des Pharisiens qu'il chassait les démons par les démons et qu'il était possédé d'un esprit immonde. Je l'entendis aujourd'hui les sommer de lui dire si ses doctrines et ses actes n'étaient pas d'accord, s'il ne pratiquait pas ce qu'il enseignait. Ils ne purent rien alléguer contre lui et il leur dit : " Si l'arbre est bon, son fruit aussi sera bon ", et le reste jusqu'au passage : " Vous serez condamné sur vos paroles ". (Mt 12,37.)

(15 décembre.) Ce matin, vers dix heures, Jésus est parti de Capharnaüm dans la direction du nord, en compagnie des douze apôtres et de trente disciples. Beaucoup de gens réunis en troupes prirent aussi ce chemin. Il s'arrêta souvent pour enseigner tantôt les uns, tantôt les autres, avant qu'ils se séparassent de lui pour rentrer chez eux.
Vers trois heures de l'après-midi, il arriva au haut d'une belle montagne qui est à environ trois lieues de Capharnaüm et à une moindre distance du Jourdain. Cinq chemins y conduisaient. Il a déjà enseigné là une fois, le 10 janvier (12 de Thébet) (t. II, p. 2). Il y a dans les environs cinq petites bourgades. Les gens qui étaient allés de compagnie avec Jésus jusque-là, furent congédiés par lui au bas de la montagne, et il monta au sommet avec les siens qui s'étaient munis auparavant de quelques provisions de bouche. Sur le point culminant, où il y avait une chaire, Jésus fit encore aux apôtres et aux disciples une instruction relative à leur mission. Il leur dit qu'ils auraient désormais à communiquer aux autres les enseignements qu'ils avaient reçus, qu'ils devaient annoncer l'approche du royaume de Dieu, que le dernier temps laissé à la pénitence était arrivé et que la fin de Jean Baptiste était imminente. Ils devaient baptiser, imposer les mains, chasser les démons. Il leur enseigna comment ils devraient se comporter dans les discussions, ce qu'ils auraient à faire pour reconnaître et éviter les adhérents intéressés et les faux amis. Il leur dit que quant à présent aucun d'eux n'était plus que les autres. Dans les endroits qu'ils visiteraient ils devaient aller chez les gens pieux, vivre de peu et pauvrement, n'être à charge à personne, etc. Il leur dit encore de quelle façon ils devaient se diviser et se réunir de nouveau, comment deux apôtres et quelques disciples devaient aller ensemble et se faire précéder d'autres disciples chargés de convoquer le peuple et d'annoncer leur arrivée, etc. Les apôtres portaient avec eux de petits flacons d'huile : il leur apprit à la consacrer et à en faire usage pour guérir les malades. (Mc 6,7-13 Mt 10 Lc 9.) Il leur donna aujourd'hui tous les enseignements qui se trouvent dans l'Évangile touchant leur mission : il ne leur annonça encore aucun danger qu'ils eussent à courir, il dit seulement : " Aujourd'hui vous serez les bienvenus partout, mais il viendra un temps où l'on vous Persécutera ".
Ils s'agenouillèrent en cercle autour de lui : il pria et leur mit les mains sur la tête : quant aux disciples il se borna à les bénir. Ensuite ils s'embrassèrent et se séparèrent.
Il leur avait indiqué des directions et assigné un temps où ils auraient à se rapprocher de lui : alors les disciples devaient se remplacer tour à tour près de lui et près des apôtres et porter des messages des uns aux autres. Les six apôtres qui l'accompagnèrent furent Pierre, Jacques le Mineur, Jean, Philippe, Thomas et Judas, outre douze disciples dont étaient les trois frères Jacques, Sadoch et Eliachim, fils de Marie d'Héli, Manahem, Nathanaël, surnommé le petit Cléophas, et plusieurs autres des plus jeunes. Les six autres apôtres avaient avec eux dix-huit disciples, parmi lesquels José Barsabas, Jude Barsabas, Saturnin et Nathanaël Khased. Nathanaël, le fiancé de Cana, n'alla pas avec eux, il était chargé d'autres affaires pour la communauté et il exerçait son action dans un cercle plus rapproché de lui comme Lazare. Ils pleurèrent tous en se séparant. Les apôtres qui partaient descendirent à l'est vers le Jourdain : je vis de ce côté un endroit nommé Lekkum à environ un quart de lieue du fleuve. Je ne sais pas s'ils y allèrent aujourd'hui ou s'ils commencèrent à travailler dans un des villages voisins. Jésus, quand il eut descendu la montagne, fut encore entouré d'une quantité de gens qui revenaient de Capharnaüm chez eux, et je crois qu'il passa ta nuit dans la petite bourgade qui est au pied de cette montagne.

(16-18 décembre.) Ce matin je vis Jésus en compagnie des disciples quitter ce petit endroit. Je l'ai vu au midi de Saphet, ville située sur une haute montagne qu'on voit de loin. Cet endroit, où l'on voit plusieurs tours demi circulaires, est situé plus haut que le lieu où Jésus donna leur mission aux disciples. Je croyais que Jésus voulait y aller : mais vers trois ou quatre heures, je le vis arriver près d'un endroit qui est trois lieues plus au midi que Saphet. Le chemin allait le plus souvent en descendant ; quelquefois pourtant il y avait des montées. Quoique cet endroit fût sur une colline, on ne pouvait pas le voir à cause de la quantité d'arbres et de buissons qui l'entouraient. C'est Hukoke (Hukaka), ou plutôt le faubourg de cette ville qui est à un quart de lieue de là. Beaucoup de personnes vinrent au-devant de Jésus et l'accueillirent avec beaucoup de joie, lui et ses disciples.
Non loin de là était un puits près duquel l'attendaient un aveugle et plusieurs boiteux qui implorèrent son secours. L'aveugle avait les yeux malpropres. Jésus lui ordonna de se laver le visage à la fontaine : quand il eut fait cela, Jésus lui oignit les yeux avec de l'huile, puis il cueillit une petite branche sur un arbuste, la lui mit devant les yeux et lui demanda s'il voyait quelque chose. Cet homme ayant répondu qu'il voyait un très grand arbre, Jésus lui frotta les yeux de nouveau et lui répéta sa question : alors cet homme se jeta à ses pieds transporté de joie et lui dit : "Seigneur, je vois des montagnes, des arbres, des hommes : je vois tout ! "Il y eut une grande allégresse parmi les assistants, et l'aveugle fut ramené à la ville. Jésus guérit encore les boiteux et les paralytiques qui l'entouraient, s'appuyant sur des béquilles. Ces béquilles étaient d'un bois léger, mais très fort : chacune d'elles avait trois pieds et se tenait debout toute seule : on pouvait les lier ensemble de manière à ce que les malades s'y appuyassent sur la poitrine.
Quand l'aveugle fut revenu à la ville, faisant éclater sa joie, beaucoup de personnes en sortirent encore, parmi lesquelles les chefs de la synagogue et les maîtres d'à côté avec une troupe d'enfants. Jésus, suivi de la foule, se rendit à l'école ; il y enseigna sur quelques-unes des béatitudes, et raconta aussi des paraboles. Il exhorta tous ses auditeurs à la pénitence, parce que le royaume de Dieu était proche, etc. Il expliqua les paraboles en grand détail : ses disciples étaient présents. Il leur avait dit de faire bien attention à ce qu'il dirait, afin de le répéter lorsqu'ils se disperseraient dans les hameaux et les maisons des environs. C'est ainsi qu'en écoutant ses prédications publiques, ils s'instruisaient de ce qu'ils enseignaient à leur tour dans le pays ; car les apôtres, accompagnés de plusieurs disciples, se divisaient ordinairement pour aller guérir et enseigner dans les bourgades voisines, après quoi ils se réunissaient de nouveau le soir devant l'endroit où Jésus était allé. Il entra ici avec les disciples chez le chef de la synagogue, et ils y mangèrent du poisson, du miel, des petits pains et des fruits.
Les apôtres en mission passèrent, je crois, la journée d'aujourd'hui à Lekkum et dans les environs.

(17 décembre.) Hukok est à cinq lieues à peu près au nord-ouest de Capharnaüm, à cinq lieues au sud-ouest de la montagne où les apôtres ont reçu leur mission, et à trois lieues au sud de Saphet. Il n'y a ici que des Juifs qui sont assez bien disposés. Ils ont reçu, pour la plupart, le baptême de Jean. Les habitants fabriquent de belles étoffes ; ils font des bandelettes de laine fine, et aussi des houppes et des franges de soie : ils confectionnent beaucoup d'objets en soie : ils font, en outre, des chaussures de tricot sous lesquelles on met des semelles et qui se plient par le milieu : elles sont très commodes : il y a des ouvertures par lesquelles la poussière s'échappe.
Le matin, Jésus enseigna et guérit encore dans le faubourg. Vers midi je le vis entrer à Hukok même en compagnie de beaucoup de personnes. Les apôtres et plusieurs disciples se répandirent deux par deux dans la ville et dans les environs. La ville doit avoir été autrefois une place forte. Elle est entourée de plusieurs fossés et on y entre par un pont. De la porte on voit la synagogue, bel édifice situé assez avant dans l'intérieur de la ville. Les fossés sont à présent desséchés. Il y a autour de la ville des avenues et un grand nombre d'arbres : on ne voit les maisons que lorsqu'on en est tout près. Le préposé et ses assesseurs du faubourg font aussi le service à la synagogue de la ville, qui est extraordinairement belle. Elle est tout entourée de colonnes que l'on peut dégager pour l'agrandir lorsque la foule est considérable. Elle se termine par un hémicycle qui est fermé. Elle est située sur une place au bout de la rue par laquelle on entre. La ville tout entière est propre et bien bâtie.
Tout le peuple se rassembla dans la synagogue. Jésus alla auparavant dans deux portiques séparés, et il guérit dans l'un des hommes, dans l'autre des femmes affligées de maladies de toute espèce. On lui amena un grand nombre d'enfants malades, dont quelques-uns étaient dans les bras de leurs mères : il les guérit et bénit plusieurs enfants bien portants.
Dans la synagogue, Jésus enseigna sur la prière et sur le Messie. Il dit que le Messie était déjà dans le monde, qu'il était leur contemporain, qu'il enseignait sa doctrine. Il parla de l'adoration en esprit et en vérité, et je compris qu'il s'agissait de l'adoration en esprit et en Jésus-Christ, car il était la vérité, le vrai Dieu, le Dieu vivant incarné, le fils conçu du Saint-Esprit. Les docteurs lui demandèrent à ce sujet d'une façon tout amicale de dire qui il était réellement, d'où il venait, et si ses parents et ses alliés avaient véritablement droit à ce titre. Ils le priaient de dire nettement s'il était bien le Messie, le Fils de Dieu. Il serait bon, ajoutaient-ils, que les docteurs de la loi sussent à quoi s'en tenir : ils avaient autorité sur le peuple, et il serait bon qu'ils le reconnussent, etc. Jésus leur répondit, d'une manière évasive, que s'il disait : " C'est moi ! " ils ne le croiraient pas, et répéteraient qu'il est le fils de telle et telle personne. Il ne fallait pas ajouta-t-il, faire de questions sur son origine, mais considérer ses enseignements et ses actions : le Fils du Père est celui qui accomplit la volonté du Père, car le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils, et quiconque fait la volonté du Fils fait la volonté du Père ". Ce qu'il dit à ce sujet, et aussi sur la prière, fut si beau, que plusieurs s'écrièrent : " Seigneur, vous êtes le Christ ! vous êtes la vérité ! " et se prosternèrent devant lui pour l'adorer. Mais il dit encore : " adorez le Père en esprit et en vérité ". Puis il se rendit de la ville dans le faubourg avec le chef de la synagogue, chez lequel il mangea et passa la nuit ainsi que les disciples. Dans ce faubourg, il y a une école et pas de synagogue : mais cette école est très fréquentée. On continua à célébrer la fête des lumières (de la Dédicace).

(18 décembre.) Ce matin, Jésus enseigna encore à Hukok : il revint sur les interrogations qui lui avaient été adressées pour savoir s'il était le Messie : il expliqua la parabole du semeur, et les différentes manières dont la semence est reçue : puis il parla du bon pasteur, qui est venu pour chercher les brebis égarées, quand même il n'en devrait rapporter qu'une seule sur ses épaules. Il dit que le bon pasteur continuerait son oeuvre jusqu'au moment où ses ennemis le mettraient à mort ; que ses serviteurs et les serviteurs de ceux-ci feraient de même jusqu'à la fin des temps. Quand même tout cela n'aboutirait qu'à sauver une seule brebis, l'amour y trouverait sa joie, etc. Il parla à ce sujet d'une manière très touchante.
Les apôtres et quelques disciples ayant pris les devants, lui-même partit, vers midi, en compagnie de quelques autres disciples, et suivit à peu près le chemin par lequel il était venu, se dirigeant vers Bethanath, à une lieue et demie au sud-est de Saphet.
Comme il était à peu près à une demi-lieue de Bethanath, un aveugle vint à sa rencontre, conduit par deux jolis enfants ils avaient de petites robes courtes de couleur jaune et de grands chapeaux d'écorce tressée : c'étaient des fils de Lévites. L'aveugle était un homme de condition, déjà vieux : il attendait depuis longtemps l'arrivée de Jésus. Il vint en toute hâte à sa rencontre lorsque ses jeunes conducteurs le virent venir, et il lui cria de loin : "Jésus, fils de David, secourez-moi ! Ayez pitié de moi ! "Quand il fut devant lui, il se jeta à ses pieds et dit : " Seigneur, vous me rendrez certainement la lumière ! Je vous attends depuis si longtemps ! J’avais depuis si longtemps l'assurance intérieure que vous viendriez et que vous me guéririez ! " Jésus lui dit : " si vous croyez, qu'il vous soit fait selon votre foi ! " Puis il alla avec lui à une source qui était dans le bois voisin, et lui dit de se laver les yeux. Or, les yeux de cet homme ainsi que son front étaient pleins d'ulcères et recouverts d'une espèce de croûte : quand il se fut lave, cette croûte tomba, et Jésus lui oignit avec de l'huile les yeux, le front et les tempes. Alors il recouvra la vue et rendit grâces à Jésus, qui bénit en outre les deux enfants et dit qu'ils annonceraient un jour la parole de Dieu.
Ils se rapprochèrent alors de la ville, devant laquelle les apôtres et les autres disciples se réunirent à eux. Beaucoup d'habitants de la ville s'étaient rassemblés là, et quand ils virent l'aveugle revenir guéri, la joie fut grande parmi eux. Cet homme s'appelle Ctésiphon : mais ce n'est pas cet autre aveugle du même nom, également guéri par Jésus, qui plus tard, devint disciple et alla dans les Gaules avec Lazare.
Jésus, accompagné des Lévites et de tout le peuple, alla à la synagogue où il enseigna. On continue toujours à célébrer la fête des Lumières, et c'est comme un temps de vacances. Jésus commenta encore ici les paraboles du semeur et du bon pasteur. Ses auditeurs étaient bien disposés et heureux de l'avoir au milieu d'eux. Il logea et prit sa nourriture dans la maison des Lévites, près de l'école. Il n'y avait pas de Pharisiens ici. Les lévites vivaient en commun comme dans un couvent, et ils envoyaient quelques uns des leurs en mission dans d'autres endroits. Cette ville de Bethanath était autrefois fortifiée et habitée par des païens que les enfants de Nephtali, au lien de les exterminer, avaient laissé subsister à la condition de payer un tribut. Maintenant il n'y a plus de païens. Ils furent chassés lorsque le temple fut rebâti et qu'Esdras et Néhémie contraignirent les Juifs à se séparer des femmes païennes qu'ils avaient épousées. Dieu, par la bouche des prophètes, avait menacé les Israélites de châtiments sévères s'ils ne renonçaient pas à ces sortes d'unions et s'ils ne chassaient pas les païens du pays, afin de ne pas rester exposés à la tentation de se mêler avec eux par ces mariages mixtes. Ces menaces ont eu leur accomplissement car, autour du Thabor et dans la chaîne qui sépare Endor de Scythopolis, là où les montagnes sont si enchevêtrées et où je vois dans le sein de la terre une si grande quantité d'or qu'on n'en retire pas, les païens n'ont pas été chassés et le pays est devenu un désert.
Lorsque Jésus alla à Abez et près d'Endor, et que Je vis à cette occasion la défaite de Saul, j'eus un aperçu général de cet amas confus de montagnes qui se trouve entre Endor, Dothain, Scythopolis et Aser Michmethath. Je vis courir là beaucoup d'ânes sauvages : je crois aussi y avoir vu des chameaux qui, lorsqu'ils se dérobaient à un danger par la fuite, prenaient entre leurs dents leurs petits encore inexpérimentés et les plaçaient ainsi sur leur des. Peut-être aussi étaient ce d'autres animaux. Je vis alors dans ces montagnes beaucoup d'airain, ayant l'éclat de l'or, lequel n'a jamais été exploité et doit un jour être retiré du sein de la terre ; peut-être est-ce quelque autre métal brillant. Il m'est impossible de décrire la manière dont ces montagnes s'enchevêtrent les unes dans les autres. Je vis alors aussi le champ où Joseph fut vendu : c'est dans une gorge en face de la vallée du Jourdain. A deux lieues à l'est de Dothain et au nord d'Aser Michmethath.
J'ai vu cette nuit Marthe délibérer avec les saintes femmes chez la sainte Vierge ; elle veut, si Jésus fait encore quelque part une instruction solennelle, se rendre auprès de Madeleine et essayer de la décider par tous les moyens possibles, à aller avec elle entendre cette instruction : toutes veulent supplier Jésus de lui venir en aide. Elle espère que sa pauvre soeur pourra revenir à Béthanie vers Pâques.

(19 décembre.) Aujourd'hui Jésus, accompagné des apôtres et des disciples, parcourut jusqu'au soir les environs de Saphet ; les apôtres se dispersèrent dans le pays et ils vinrent ensuite le rejoindre, quelquefois deux à deux, quelquefois en plus grand nombre. De Bethanath Jésus se dirigea au nord vers Galgala, un grand et bel endroit situé des deux côtés d'une grande route. Il alla à la synagogue avec plusieurs disciples : il y avait là des Pharisiens, et il parla contre eux en termes très sévères ; il commenta tous les passages du prophète Malachie où il est parlé du Messie, du précurseur et du nouveau sacrifice sans tâche, et il annonça que les temps prédits par le prophète étaient arrivés.
D'ici il se dirigea à l'est vers Elkèse lieu de naissance du prophète Nahum, situé au nord de Saphet ; il y enseigna quelque temps. On trouve dans le voisinage un étang formé par une source dont l'eau se sépare en deux bras qui vont, l'un à l'ouest, l'autre au sud, se jeter dans le Jourdain supérieur et dans la mer de Galilée. Il y a près de cet étang une maison de lépreux : Jésus en guérit sept à huit et leur ordonna d'aller à Saphet se présenter aux prêtres. Il enseigna aussi des bergers. On trouve là des prairies dont l'herbe est d'une hauteur extraordinaire : beaucoup de chameaux vont y paître. Jésus alla encore aujourd'hui près d'une montagne où sont de nombreuses grottes, habitées par des païens qu'il enseigna. Il fut en marche toute la journée enseignant et guérissant, car partout sur sa route on lui amenait des malades.
Vers le soir il arriva à Béthan, bourgade située à l'ouest au-dessous de la montagne de Saphet, à une lieue environ de Bethanath d'où il était parti le matin. Ce petit endroit est une colonie de Bethanath ; car ce sont des habitants de cette ville qui se sont établis là : il est placé au pied du versant occidental de la hauteur escarpée que couronne Saphet, et du haut de laquelle le regard plonge dans l'intérieur de Bethan. Jésus y alla chez des gens alliés à sa famille La fille d'une soeur d'Elisabeth s'était mariée là : je ne la connaissais pas encore. Elle avait cinq enfants dont le plus jeune était une fille âgée d'environ douze ans ; les fils avaient déjà dix-huit à vingt ans. Cette famille et d'autres familles animées des mêmes sentiments s'étaient agglomérées sous les murs de la ville et occupaient une série d'habitations pratiquées dans le mur même ou dans le rocher : tous appartenaient à cette catégorie d'Esséniens qui vivaient dans l'état du mariage, et le mari de la nièce d'Elisabeth était leur chef Cette famille avait ici un bien patrimonial c'étaient des gens très pieux. Ils parlèrent de Jean à Jésus et demandèrent avec inquiétude s'il ne serait pas bientôt mis en liberté. Jésus leur répondit d'une façon qui les rendit pensifs et mélancoliques : toutefois Jean était venu les voir lorsqu'il quitta pour la première fois le désert qui avoisine les sources du Jourdain, et ils étaient allés des premiers recevoir le baptême de sa main. Ils parlèrent aussi à Jésus de leurs fils, disant qu'ils voulaient les envoyer prochainement partager les travaux des pêcheurs de Capharnaüm Jésus dit à ce sujet que les pêcheurs en question avaient entrepris un autre genre de pêche, et que ces jeunes gens se joindraient aussi à lui quand le temps serait venu. Ils ont fait partie en effet des soixante-douze disciples (Lc 10,1). Jésus prêcha et guérit ici Je l'entendis dire, je ne sais plus à quelle occasion, que les autres disciples étaient sur les confins de Tyr et de Sidon, et que lui-même voulait aller en Judée.
Je remarquai que Thomas se réjouissait fort de ce voyage, parce qu'il prévoyait que les Pharisiens de la Judée feraient à Jésus une opposition plus vive et qu'il espérait avoir l'occasion de disputer contre eux. Il parla dans ce sens aux autres disciples, qui ne voyaient pas ce projet d'aussi bon oeil. Mais Jésus blâma son zèle excessif et lui dit que lui-même un jour se refuserait à croire : c'était ce que Thomas ne pouvait pas se figurer.

(20 décembre.) Le matin Jésus guérit et enseigna à Béthan en compagnie des disciples. Il expliqua dans l'école la seconde béatitude Dans l'après-midi il donna des instructions aux disciples sur la manière dont ils devaient enseigner. Cependant des Pharisiens de Saphet étaient descendus pour l'inviter au sabbat. Il expliqua encore la parabole des différents terrains sur lesquels tombe la semence : ils ne voulurent pas comprendre ce qu'il disait du terrain pierreux, et ils disputèrent contre lui à ce sujet ; mais il les réduisit au silence, et quand ils l'invitèrent pour le sabbat, il répondit qu'il irait avec eux à cause de la brebis égarée, mais qu'eux, les Sadducéens (il y en avait parmi eux), se scandaliseraient à son sujet. " Maître, lui répondirent-ils, c'est notre affaire ". Il leur dit encore qu'il les connaissait bien, et qu'il savait combien ils commettaient d'iniquités dans le pays. Il sortit ensuite de Bethan en compagnie nombreuse et monta à Saphet qui, de ce côté, est bâtie sur la pente escarpée de la montagne, de façon que les maisons sont les unes au-dessus des autres. Les chemins se trouvent plus bas que les maisons, auxquelles on monte par des degrés taillés dans le rocher ; il y a bien une demi-lieue à faire pour arriver jusqu'au sommet, où se trouve la synagogue : il y a là un plateau d'une certaine étendue, après lequel la montagne s'abaisse vers le nord-est par une pente moins escarpée. A l'entrée de la ville, les meilleurs d'entre les habitants firent à Jésus une réception solennelle : ils portaient des branches d'arbre à la main et chantaient des cantiques ; on lui lava les pieds ainsi qu'à ses disciples, et on leur offrit des rafraîchissements. Il se rendit alors à la synagogue, où une foule nombreuse était rassemblée ; car on faisait la clôture de la fête des Lumières, en même temps qu'on célébrait celle de la nouvelle lune et le sabbat : d'ailleurs on était venu de toutes parts pour voir Jésus et ses disciples.
Il y avait à Saphet beaucoup de Pharisiens, de Sadducéens et de Scribes : il s'y trouvait aussi de simples Lévites. La ville possédait une espèce d'école pour l'enseignement de la loi, où un grand nombre de jeunes gens s'instruisaient dans les arts libéraux et la théologie judaïque. Thomas y avait été deux ans auparavant en qualité d'étudiant, et il rendit visite à un Pharisien qui avait été son principal professeur, et qui s'étonna fort de le voir en compagnie de gens de cette sorte. Mais Thomas parla avec tant de chaleur de la doctrine de Jésus et de ses actions qu'il le réduisit au silence. Des Pharisiens et des Sadducéens de Jérusalem s'étaient introduits dans cette école : ils s'y montraient fort arrogants, et ils étaient à charge même aux Pharisiens et aux docteurs de l'endroit. Quelques-uns d'entre eux s'étaient joints à ceux qui étaient allés inviter Jésus, et ils parlaient d'un ton doucereux de sa réputation et de ses miracles, mais en ajoutant qu'il devait bien prendre garde de causer ici du désordre et de l'agitation ; car ils avaient vu avec dépit qu'on lui eût fait une réception aussi solennelle. Jésus leur répondit à ce sujet devant tout le peuple ; c'était dans le vestibule, avant l'ouverture du sabbat : il parla en termes sévères du trouble et du scandale qu'ils excitaient dans le pays, mais sans s'expliquer plus clairement, et il les somma de s'expliquer et de dire s'ils avaient à lui reprocher quelque violation de la loi, à lui qui était envoyé par son Père pour lui donner son accomplissement. Pendant qu'il était en discussion avec eux, sept ou huit lépreux qu'il avait guéris la veille à Elkèse vinrent, suivant son ordre, se présenter à l'examen des prêtres, et Jésus dit : "voyez comment j'accomplis la loi ! J'ai commandé à ces gens de se présenter devant vous, quoiqu'ils n'y soient pas obligés ayant été guéris en un instant par l'ordre de Dieu et non par la médecine humaine. "Cette coïncidence irrita fort les Pharisiens, et ils allèrent examiner ces gens : on se contentait, en pareil cas, de regarder leur poitrine ; s'il n'y avait plus de lèpre, c'était un signe qu'ils étaient entièrement purifiés. Les Pharisiens, surpris et irrités de les trouver parfaitement sains, furent obligés de les déclarer libres.
Jésus enseigna dans la synagogue sur la lecture du sabbat, puis sur la Genèse et sur le premier livre des Rois et aussi sur les dix commandements : il toucha plusieurs points à propos desquels les Pharisiens et les Sadducéens ne purent se dissimuler qu'il faisait allusion à eux. Il parla encore de l'accomplissement des promesses, et annonça les jugements de Dieu qui allaient frapper tous ceux que l'exhortation à la pénitence trouverait insensibles. Il parla de la destruction du temple et de la dévastation de plusieurs villes. Il parla de la loi véritable qu'ils ne comprenaient pas et de leur loi datant d'hier, comme il l'appelait, qu'il rejeta complètement. J'eus l'impression qu'il entendait par là quelque chose de semblable aux livres actuels des Juifs, au Talmud par exemple, parce que les gens d'ici étudiaient des livres de ce genre et y attachaient beaucoup d'importance.
Après la synagogue il alla avec les disciples prendre son repas chez un Pharisien de l'endroit qui était chargé d'héberger les docteurs et les rabbins : les autres Pharisiens mangèrent avec lui. Pendant ce repas Jésus réprimanda sévèrement les Pharisiens parce qu'ils reprochaient aux disciples de ne pas se laver les mains en se mettant à table et d'omettre diverses observations relatives aux aliments, et parce qu'ils rudoyaient les gens de service à propos de quelques petites négligences touchant la préparation des mets et la propreté de la vaisselle. Ce fut quelque chose de tout à fait analogue à ce qui est rapporté dans certains passages de l'Ecriture (par exemple Mt 15,1, etc. Mc 7).
Dans la matinée on avait amené de la ville avec beaucoup de peine, à cause de la difficulté des chemins, beaucoup de gens atteints de maladies graves, dont quelques-uns étaient très âgés ; on les avait fait entrer dans la cour de la maison où Jésus logeait, et il les guérit les uns après les autres. Il y avait des sourds, des aveugles, des paralytiques, des boiteux, des infirmes de toute espèce. Jésus opéra ses guérisons d'aujourd'hui par la prière, par l'imposition des mains, par des onctions d'huile bénite, et en général avec plus de cérémonies qu'à l'ordinaire, il s'entretint à ce sujet avec les disciples et leur apprit comment ils devaient faire usage de ces procédés : puis il donna aux malades des avis appropriés à l'état de chacun.
Les Pharisiens et les Sadducéens venus ici de Jérusalem se scandalisèrent fort à ce sujet : ils voulaient renvoyer les nouveaux malades qui arrivaient et ils commencèrent à contester vivement, disant qu'ils ne pouvaient pas tolérer ces violations du sabbat. Comme ils faisaient grand bruit, Jésus les interpella et leur demanda ce qu'ils voulaient. Ils entrèrent alors en dispute avec lui sur son enseignement, où il ne cessait de parler du père et du fils, tandis qu'on savait bien quels étaient ses parents. Jésus répondit, à sa manière accoutumée, que celui qui faisait la volonté du Père était le fils du Père, tandis que celui qui n'observait pas les commandements n'avait pas le droit de rien décider et devait se trouver heureux de n'être pas chassé de la maison comme un étranger et un intrus ; mais ils mirent encore en avant des griefs de toute espèce contre ses guérisons ; ils lui firent aussi un crime de ne s'être pas lavé la veille avant le repas et, comme ils réclamaient vivement contre le reproche qu'il leur avait fait de ne pas observer la loi, la chose alla si loin que Jésus écrivit sur la muraille en caractères qu'eux seuls pouvaient lire, leurs péchés et leurs prévarications secrètes, ce qui les frappa de terreur.
Je ne me souviens plus bien comment il fit cela : je crois que ce fut avec le doigt : peut-être avait-il à la main la boîte de couleurs dont il s'était servi pour écrire sa lettre à Abgare. Il demanda aux Pharisiens s'ils voulaient que cela restât écrit et vînt à la connaissance de tous, ou s'ils aimaient mieux le laisser opérer tranquillement ses guérisons, auquel cas ils pourraient l'effacer. Cela les effraya beaucoup : alors il se remit à guérir et eux ils effacèrent ce qu'il avait écrit et se retirèrent. Ils avaient commis diverses malversations avec l'argent de certaines fondations pour les veuves et les orphelins, qu'ils avaient appliqué à des bâtisses de toute espèce. Saphet était pourvu de plusieurs fondations de ce genre et pourtant il s'y trouvait beaucoup de gens dans la détresse.
Le soir Jésus acheva d'enseigner dans la synagogue et il passa la nuit dans la maison où il avait mangé. Près de la synagogue il y a une source d'eau jaillissante. La montagne de Saphet est couverte de bocages et de jardins déjà verdoyants : on rencontre sur le chemin qui y mène une grande quantité de myrtes qui répandent une odeur très agréable. Il y a ici beaucoup de grandes maisons carrées et des substructions sur lesquelles on dresse des tentes. On confectionne dans la ville beaucoup de vêtements sacerdotaux et il s'y trouve un grand nombre d'étudiants et de savants.

(22-24 décembre.) Ce matin Jésus a visité les dépendances extérieures de la ville qui est disséminée sur un grand espace, et il a guéri beaucoup de malades qu'on lui amenait sur son chemin devant les maisons. Un neveu de Joseph d'Arimathie et un fils de Séraphia étaient déjà partis dès l'aurore pour Kiriathaim, ville située au sud-ouest, à trois lieues d'ici, afin d'y préparer les logements. Jésus lui-même partit vers le midi de Saphet. Les disciples quand ils sont en route se dispersent de côté et d'autre : Jésus enseigne et guérit, s'arrêtant souvent. Il se dirigea vers l'ouest entre Bethan et Elkèse, puis il prit sa route vers le midi.
Un peu en arrière d'Elkèse, où il y a une belle fontaine, on rencontre un petit lac ovale, grand comme celui des bains de Béthulie : il en sort un cours d'eau qui descend au midi et arrose la vallée qui va rejoindre au sud-est, en avant de Kiriathaim, celle de Capharnaüm. Cette vallée, dont la largeur varie souvent, s'étend jusqu'à Capharnaüm sur une longueur de sept lieues. En allant à Kiriathaim, Jésus eut à passer la petite rivière qui sort du lac. Il vint à lui sur le chemin quelques démoniaques qui le prièrent de les secourir. Ils dirent que les disciples n'avaient pas pu les délivrer. Ils croyaient qu'il y réussirait mieux. Jésus leur répondit qu'ils ne devaient pas s'en prendre aux disciples, mais à eux-mêmes et à leur manque de foi, et il leur commanda d'aller à Kiriathaim et de jeûner jusqu'à ce qu'il lui plut de les guérir. Ils devaient l'attendre en faisant pénitence. A une demi-lieue environ de Kiriathaim les Lévites de l'endroit vinrent à sa rencontre, ainsi que beaucoup de gens de bien et les maîtres d'école en compagnie des enfants. Les deux disciples qui avaient retenu les logements s'y trouvaient aussi. On le reçut près d'un jardin d'agrément. C'était un endroit où l'on prenait des bains et où l'eau du petit cours d'eau arrivait par un canal. Il y avait dans ce jardin beaucoup de beaux arbres, de bosquets et d'allées couvertes : il était entouré d'un terrassement et d'une haie extrêmement épaisse. On lava les pieds à Jésus et aux disciples et on leur offrit une réfection.
Jésus : enseigna quelque temps les enfants et les bénit. Il pouvait être cinq heures lorsqu'ils allèrent à la ville. Elle est située sur une colline et domine une vallée. En allant à la synagogue il guérit dans les rues des malades de toute espèce rangés sur son passage. A la synagogue Jésus enseigna de nouveau sur les béatitudes : il parla aussi du châtiment des Lévites qui avaient porté la main à l'arche d'alliance et dit qu'un châtiment encore plus terrible était réservé à ceux qui porteraient la main sur le fils de Dieu dont l'arche n'était que la figure.
Il logea ici dans l'hôtellerie qu'on avait louée pour lui. Elle était vide et je vis les disciples la garnir d'objets appartenant à la communauté qu'on avait envoyés ici. On leur portait leur nourriture d'une maison de la ville où l'on faisait aussi la cuisine pour des malades. Les Lévites mangèrent avec eux.

(23 décembre.) Kiriathaim est une ville de Lévites. Il n'y a pas de Pharisiens. Il s'y trouve deux familles alliées à celle de Zacharie. Jésus les visita : ils étaient inquiets de Jean. Jésus leur exposa tout ce qui avait précédé la naissance de Jean, tout ce qui l'avait accompagnée, ainsi que son genre de vie merveilleux et sa mission. Il rappela aussi à leur souvenir beaucoup de choses relatives à la naissance du fils de Marie, et leur fit voir que ce qui arrivait à Jean était dans les desseins de Dieu et qu'il devait mourir quand il aurait accompli sa mission. Il les prépara ainsi à sa mort prochaine.
Jésus rencontra près de la synagogue les deux possédés qui étaient venus la veille et beaucoup d'autres malades qui le conjurèrent de les guérir. Il en guérit plusieurs, il en renvoya d'autres, après leur avoir imposé un certain nombre de jeûnes, d'aumônes et de prières. Il donna ici de ces sortes d'injonctions plus qu'il ne le faisait ordinairement : ce fut peut-être parce qu'on y observait la loi plus strictement qu'ailleurs. Il alla ensuite avec les disciples au jardin où on l'avait reçu hier. Il y enseigna et les disciples baptisèrent. Il y avait dans le voisinage quelques troupes de païens campés sous des tentes qui l'attendaient ici. De Capharnaüm on les avait adressés ici. On baptisa aussi quelques Juifs guéris par Jésus : il y eut bien en tout une centaine de personnes. Ils se tenaient dans l'eau autour d'un bassin. Pierre et Jacques le Mineur administrèrent le baptême, les autres imposèrent les mains.
Le soir, Jésus revint à la ville : il enseigna sur les huit béatitudes et aussi sur les assurances trompeuses des faux prophètes qui avaient contredit aux menaces des prophètes véritables, tandis que les prédictions de ceux-ci s'étaient toujours accomplies. Il répéta ses avertissements prophétiques touchant ceux qui ne recevraient pas l'envoyé de Dieu. Les parents de Zacharie qui étaient Lévites, mangèrent avec lui ainsi que d'autres personnes.

(24 décembre.) Aujourd'hui vers midi, Jésus est parti de Kiriathaim avec les disciples, se dirigeant vers le midi. Les Lévites et les enfants des écoles l'escortèrent solennellement à son départ comme ils l'avaient fait pour son entrée. Il y a dans cet endroit un transit considérable de marchandises : les habitants confectionnent des habits sacerdotaux et travaillent la soie qui leur vient de l'étranger. Ils ont aussi de l'autre côté de la vallée, sur le coteau méridional ou se trouve un endroit appelé Naasson, des plantations de cannes à sucre dont ils font le commerce. Jésus traversa la vallée et franchit ce coteau. Les disciples se dispersèrent et se rendirent soit à la ville qui est près de là, soit dans quelques endroits qui sont dans la vallée plus au levant. Jésus enseigna sur une éminence près de Naasson : il rencontra encore des gens venant de Capharnaüm, notamment des païens. Souvent des troupes entières l'accompagnaient assez longtemps. Je le vis encore chez des bergers et ailleurs guérir plusieurs personnes, parmi lesquelles deux hommes tout contrefaits qui étaient couchés au bord de la route, ayant une de leurs jambes toute contractée et l'autre étendue dans toute sa longueur. Il les prit par la main et leur commanda de se lever. Ils auraient désiré le suivre, mais il ne le leur permit pas. Il traversa encore une vallée et arriva sur une hauteur devant une ville : je crois que ce peut être Abram sur le territoire de la tribu d'Aser. Il s'arrêta à l'entrée dans une hôtellerie. Il y a devant la ville de beaux jardins et des espaliers. Il entra dans l'hôtellerie avec deux disciples seulement : je crois que les autres ne le rejoindront pas encore. La hauteur se prolonge à l'est entre la vallée de Magdalum et le village du centurion Zorobabel, qui est bien à sept ou huit lieues. Cette contrée, située au levant d'un contrefort du Liban qui descend vers la vallée de Zabulon, est très agréable et très riche en pâturages : beaucoup de bestiaux et de chameaux paissent dans le gazon touffu. Au levant du côté du lac il y a surtout des arbres fruitiers.
Lorsque Jésus alla de Bethanath à Galgala, il avait Thisbé à sa droite : on laisse cette ville à gauche quand on va de Saphet à Adama qui est près du lac Mérom.
Beaucoup de partisans d'Hérode sont déjà en route pour Machérunte à l'occasion de la fête de ce Prince.Je crois que Jésus fera bientôt une grande instruction en Galilée, et que c'est peut-être là que Madeleine se convertira. Abram est à trois lieues environ au midi de Kiriathaim. Mais Jésus n'a pas pris le chemin direct et il a fait au moins cinq lieues.

(25 décembre.) La ville devant laquelle Jésus est arrivé hier, est Abram : elle est située dans l'angle qui termine au nord le territoire de la tribu d'Aser, tout prés de l'extrémité nord-ouest de celui de la tribu de Zabulon. Dans la vallée au nord se trouve la limite entre Nephtali et Zabulon, qui court de l'ouest à l'est. La ville s'étend sur la montagne au nord et au levant et elle est traversée par une arête élevée qui sépare Aser et Zabulon.
Sur le soir, Thomas, Jean et Nathanaël revinrent trouver.Jésus à l'hôtellerie. Les autres disciples étaient encore dans les villes d'alentour. La limite qui sépare les tribus d'Aser et de Nepthali ; divise dans sa longueur la montagne sur laquelle Abram est située : je crois l'avoir portée trop au nord hier.
Jésus resta hier soir dans l'hôtellerie qui est devant la ville et il y enseigna. Beaucoup de personnes s'y étaient rassemblées. Ce matin, le maître de l'hôtellerie soumit à sa décision une contestation relative à un puits voisin qui servait à abreuver les troupeaux et dont il avait la surveillance. Le voisinage des tribus et la grande quantité de pâturages qui se trouvaient sur la hauteur occasionnaient des disputes fréquentes concernant le puits. Le maître de l'hôtellerie lui dit : " Seigneur, nous ne vous laisserons point partir que vous n'ayez tranché notre contestation. "Jésus rendit une décision que je ne me rappelle plus bien, mais dont voici à peu près le sens. On devait de chaque côté laisser en liberté la même quantité de bétail, et le droit principal à l'usage du puits devait échoir à ceux dont les bestiaux s'y rendraient d'eux-mêmes en plus grand nombre. Il prit occasion de là pour leur donner des enseignements très profonds sur l'eau vive qu'il voulait leur donner et qui devait appartenir à ceux qui la désireraient le plus ardemment. C'était un enseignement plus profond encore que celui qu'il avait donné près du puits de Jacob, à Dina, la Samaritaine. Il enseigna encore jusque vers dix heures devant la ville, puis il y entra. Abram est divisée en deux parties situées sur deux rues et qui forment comme deux gros bourgs : il s'y trouve beaucoup de jardins et de champs cultivés. Les habitants et les docteurs préposés aux écoles vinrent encore à la rencontre de Jésus devant la ville : ils lui lavèrent les pieds, lui offrirent une réfection et le conduisirent à la synagogue.
En y allant il guérit encore plusieurs malades couchés le long du chemin : la plupart étaient estropiés : il y avait aussi quelques vieillards d'une maigreur effrayante et quelques démoniaques qui n'étaient pas furieux, mais qui erraient ça et là murmurant entre leurs dents, répétant des mots sans suite, toujours les mêmes, ou bien injuriant les passants : c'étaient des gens de même espèce que ces idiots, souvent assez méchants, qu'on voit parfois errer dans nos villes. Ils vinrent comme malgré eux aux endroits où était Jésus, et ils répétaient sans cesse les mêmes paroles : " Jésus de Nazareth ! Jésus prophète ! Fils de Dieu ! Jésus de Nazareth ! " Il les délivra en les bénissant. Dans la synagogue il enseigna et commenta une des béatitudes, et en outre des textes du prophète Malachie sur Jean, sur le Messie, sur le nouveau sacrifice, etc.
Il y avait ici des Pharisiens, des Sadducéens et des Lévites, et deux synagogues dans les deux parties de la ville. Les Sadducéens avaient leur synagogue particulière où Jésus n'enseigna pas. Les Pharisiens furent tout à fait convenables à son égard. Le soir, il retourna à son hôtellerie : elle était à un bon quart de lieue de l'entrée méridionale de la ville.
C'est une hôtellerie spéciale établie ici par Lazare pour Jésus et ses disciples. Lazare est venu ici récemment : il s'est rendu avec Marthe de Judée en Galilée, pour préparer des logements en divers lieux : toutefois il est revenu sans accompagner sa soeur à Capharnaüm. L'hôtellerie est tenue par des gens de la vallée de Zabulon, alliés à la famille de Jésus. Ce sont des Esséniens vivant dans l'état du mariage. Le mari descend de la famille d'un Zacharie qui fut tué entre le temple et l'autel : la femme est petite-fille d'une des soeurs de sainte Anne, dont le nom ne me revient pas maintenant. Ils ont de grands enfants. Ils sont propriétaires de troupeaux et ils possèdent des pâturages dans le voisinage de Jazer, près du champ où Joachim pria avant la conception de Marie. Comme ils ont peu d'occupation chez eux en ce moment, ils sont venus ici : d'autres les remplaceront plus lard. L'hôtellerie était comme le sont toutes les autres, bien tenue, mais modestement. On y avait pour nourriture du pain, du miel, des fruits et du poisson. Il y a dans ses dépendances un jardin, un champ et un puits. A Abram comme à Saphet on rencontre souvent des substructions en pierre sur lesquelles on peut dresser des tentes : il en est de même à Kiritbaïn1 et à Naasson. Il n'y a pas de païens dans la ville, mais seulement sur la pente de la montagne dans quelques groupes de maisons.

(26 décembre.) Ce matin, de bonne heure, quelques-uns des apôtres et des disciples qui s'étaient séparés de Jésus devant Kiriathaim, sont venus ici : André et Matthieu, qui faisaient partie d'une autre troupe, sont aussi revenus, et Thomas et Jacques le Mineur sont allés les remplacer près des autres, lesquels sont maintenant à Achzib, ville maritime de la tribu d'Aser, qui est à dix ou douze lieues à l'ouest d'ici. Il est venu avec André quinze à vingt personnes, étrangers ou malades récemment guéris qui veulent entendre la prédication de Jésus. Les deux apôtres ont raconté en détail ce qui s'est passé : tout leur a réussi partout où ils sont allés : guérisons, expulsions de démons, prédications et baptêmes. Il vint dans la matinée, à l'hôtellerie de Jésus, un très grand nombre de malades et de gens avant besoin de conseils ou de consolations. C'étaient encore pour la plupart des boiteux avec les membres tordus, de vieilles gens tout décharnés, des démoniaques murmurant des paroles inarticulées : il y avait aussi des femmes malades qui se tenaient dans un endroit séparé. Les paralytiques guéris hier par Jésus voulaient se faire ses aides auprès des autres malades, mais il les remercia en disant qu'il était venu pour servir et non pour être servi. Jésus guérit et enseigna toute la matinée, et il eut ensuite à apaiser une contestation concernant un puits. Comme les frontières des trois tribus d'Aser, de Nephtali et de Zabulon se touchaient ici, et que l'on y faisait paître beaucoup de troupeaux, il y avait sans cesse des démêlés à propos des puits. Un de ces bergers se plaignait que d'autres que lui fissent usage d'un puits creuse par ses pères : il consentait du reste à se soumettre à la décision de Jésus, mais il ne voulait pas aliéner complètement les droits de ses descendants. Jésus décida (j'ai oublié sur quels motifs) qu'il devait creuser un puits dans un autre endroit qu'il lui désigna, disant qu'il y trouverait de meilleure eau et en plus grande abondance. Les disciples et Jésus prirent encore un petit repas dans l'hôtellerie, après quoi ils allèrent à la ville. Sur le chemin et jusqu'à la synagogue Jésus guérit encore plusieurs malades. J'ai oublié de dire que, dans la matinée on a baptisé vingt à trente Juifs et parmi eux, de ceux qui étaient venus avec André et Matthieu. Il n'y avait pas ici de pièce d'eau où l'on pût descendre : on les baptisa rangés en cercle et agenouillés, avec de l'eau prise dans un bassin.
Les gens que Jésus guérit dans la ville étaient presque tous affectés des maladies décrites plus haut : ces maladies devaient tenir à certains égards à la situation élevée de la ville et à la manière de vivre de ses habitants. Il entra encore dans deux maisons pour y guérir et il s'occupa beaucoup des enfants qui se tenaient rangés pour l'attendre au coin des rues et partout où ils trouvaient de la place. Il les questionna, leur donna des instructions et les bénit. Des mères lui apportèrent aussi quelques enfants malades qu'il guérit. Il s'était rassemblé ici beaucoup de gens des environs.
Dans la synagogue les Pharisiens furent pleins d'égards pour lui : ils lui cédèrent la première place, firent ranger ses disciples autour de lui et lui présentèrent un volume des Ecritures. Il enseigna encore sur l'une des huit béatitudes ; il parla en outre des grandes persécutions auxquelles lui et les siens seraient en butte, ainsi que des terribles châtiments et de la destruction dont Jérusalem et le pays étaient menacés. Les Pharisiens l'interrompirent plusieurs fois pour le prier d'expliquer telle ou telle de ses paroles. C'est chose assez ordinaire.
Les gens d'ici sont très laborieux, ils apprêtent du coton pour le vendre et fabriquent de larges pièces d'étoffe de moyenne finesse ; ils filent aussi une plante qui ressemble au lin. La tige est plus grosse que celle du lin : on la divise dans le sens de la longueur en parties très minces qu'on passe sur un os ou sur un morceau de bois pointu de manière à en tirer des fils très longs et très fins. Ils sont d'un jaune brillant et on les file pour faire des robes. Ce n'est pas du lin ni du chanvre comme il y en a chez nous. Ils font aussi des couvertures de tentes et des cloisons légères en nattes.

(27 décembre.) Pendant toute la matinée et une partie de l'après-midi, Jésus et les apôtres visitèrent différentes maisons du quartier méridional de la ville ; ils enseignèrent, consolèrent, réconcilièrent et exhortèrent à l'union, à la charité, à la concorde, etc. Quand la famille était nombreuse, l'enseignement était pour elle seule : le plus souvent les disciples convoquaient plusieurs familles voisines à se réunir. Tous les commensaux de la maison étaient présents. Il pacifiait alors toutes les querelles et réglait tous les différends. Ces visites se faisaient la plupart du temps dans des maisons où se trouvaient de très vieilles gens qui ne pouvaient pas quitter leurs lits pour aller l'entendre à la synagogue. Je vis aussi des hommes très âgés recevoir le baptême sur leurs couches. Il y en avait deux qui ne pouvaient se mettre sur leur séant qu'avec le secours d'autrui : ils furent baptisés avec de l'eau qu'on prit dans un bassin.
Dès le premier jour de son arrivée à Abram, Jésus exhorta deux couples de fiancés et assista aux fiançailles. Aujourd'hui trois couples se réunirent dans une maison : les pères et mères étaient présents ainsi que les plus proches parents : les Pharisiens s'y trouvaient aussi et Jésus fit une instruction sur le mariage. Il parla de la soumission de la femme comme prescrite par le décret divin rendu après le péché de nos premiers parents : il ajouta que les hommes devaient honorer dans leurs femmes la promesse ; " que la semence de la femme écraserait la tête du serpent ". Maintenant surtout que le temps de l'accomplissement était proche et que la grâce allait prendre la place de la loi, les femmes devaient obéir par un sentiment de respect et d'humilité et les hommes commander avec amour et avec indulgence. Il dit encore dans cette instruction qu'il ne fallait pas demander comment le péché était entré dans le monde ; qu'il était entré par la désobéissance, comme le salut par l'obéissance et par la foi. Je ne puis pas bien répéter cela comme il le dit. Il parla aussi du divorce : et que le mari et la femme n'étaient qu'une seule chair et qu'ils ne devaient pas être séparés : que dans le cas où il résulterait un grand mal de leur cohabitation, ils pouvaient vivre à part l'un de l'autre, mais sans pouvoir se remarier. Les lois, disait-il sont faites, à certains égards, pour les peuples enfants et grossiers : mais maintenant que l'enfance est passée et que la plénitude des temps est arrivée, les époux séparés ne peuvent se remarier sans violer les lois éternelles de la nature : quant à la séparation, elle peut être tolérée pour éviter un plus grand mal, mais seulement après une épreuve sérieuse. Il adressa cette exhortation dans une maison de belle apparence appartenant aux parents de l'un des couples de fiancés : tous les couples étaient rassemblés et un rideau séparait les hommes des femmes. Jésus se tenait à l'extrémité de ce rideau et enseignait : les pères et les mères se tenaient aussi là, rangés, selon leur sexe, derrière leurs enfants : quelques disciples et quelques Pharisiens étaient debout à côté de Jésus.
Ce fut à propos de cet enseignement sur le mariage qu'il eut pour la première fois à éprouver quelques contradictions de la part des Pharisiens. (Toutefois ce ne fut pas ici qu'ils commencèrent à entrer en discussion à ce sujet) mais le soir, à la synagogue, après la lecture du sabbat. Il enseigna à la synagogue sur l'oppression des enfants d'Israël en Egypte et sur le passage d'Isaïe relatif à la pierre angulaire. Je ne sais plus à propos de quoi il présenta dans son explication une comparaison où figurait un manteau, mais cela donna lieu pour moi à une vision qui me fut montrée pendant qu'il parlait. Je vis comme un manteau, d'abord de petite dimension mais qui allait s'élargissant toujours et qui finit par embrasser tout un monde avec ses habitants. Cette vision symbolique pendant que je la regardais s'étendit jusqu'au temps actuel et je vis des ecclésiastiques faire une déchirure dans le manteau et regarder à travers : j'en reconnus plusieurs. J'eus aussi une vision sur la pierre angulaire, mais je ne m'en souviens plus bien. Dans la synagogue les Pharisiens commencèrent à contester la doctrine qu'il avait exposée aujourd'hui sur le mariage. Elle était selon eux trop indulgente en ce qui touche la soumission des femmes à leurs maris, trop rigoureuse à l'endroit du divorce : ils avaient compulsé des écrits de toute espèce et, malgré les explications données par lui sur son enseignement, ils se refusaient à l'accepter. Cependant leur opposition quoique vive resta dans la limite des convenances.
Voici que je place une pierre dans les fondements de Sion, une pierre éprouvée, angulaire, précieuse, fortement établie dans les fondements. " (Is 28,16,)
Jésus accompagné de deux disciples assista aujourd'hui en qualité de témoin au mariage des couples dont il a été parlé plus haut. Ils furent conduits devant le coffre qui renfermait le livre de la loi ; cela se fit en plein air, car on avait enlevé la coupole qui recouvrait la synagogue. Je vis les fiancés faire couler dans un verre de vin où ils burent, quelques gouttes de sang tiré du doigt annulaire. Il y eut un échange d'anneaux et encore d'autres cérémonies. Après la synagogue, les noces commencèrent par des danses, des jeux et un festin où Jésus et les disciples furent invités. Cela eut lieu dans la maison destinée aux fêtes publiques, bel édifice soutenu par des colonnes. Les couples de fiancés n'étaient pas tous de la ville : plusieurs demeuraient dans le voisinage : il y en avait qui appartenaient à la classe pauvre. Mais tous aujourd'hui célébrèrent ici leurs noces ensemble : ils avaient pris leurs mesures pour cela à la nouvelle de l'arrivée de Jésus. Quelques-uns des jeunes époux et des parents avaient assisté à ses prédications à Capharnaüm. Du reste, les habitants de la ville étaient bons et hospitaliers, et les noces des pauvres célébrées avec celles des riches furent par là plus solennelles et entraînèrent moins de frais.
Je remarquai que les conviés apportaient certains cadeaux et que Jésus aussi fit un présent en argent pour lui et pour ses disciples : il lui fut renvoyé à son logis avec quelques corbeilles remplies de pains de belle qualité : le tout fut distribué aux pauvres par ses ordres.
On commença par des danses nuptiales très modestes et avec des allures très lentes : les fiancées étaient voilées, les couples se tenaient vis-à-vis les uns des autres, et chaque fiancé dansait une fois avec sa fiancée. Les danseurs ne se touchaient pas, mais prenaient seulement en passant le bout de certains morceaux d'étoffe que tous avaient à la main. La danse dura jusqu'à ce que chacun eût dansé avec tous ; puis ils dansèrent tous ensemble. Cela dura bien une heure à cause de la lenteur des mouvements. Le banquet vint ensuite ; alors les hommes et les femmes se séparèrent. Les musiciens étaient des enfants des deux sexes, portant aux bras et sur la tête des bandelettes de laine. Ils avaient des fifres, des cors recourbés et d'autres instruments. Les tables étaient séparées de façon à ce qu'on pût s'entendre, mais non se voir. Jésus vint près de la table des fiancées, et leur raconta une parabole dans le genre de celle des Vierges sages et des Vierges folles et il l'appliqua à la fois à la vie domestique et à la vie spirituelle. Il dit à chacune comment elle devait soigner son nouveau ménage et l'approvisionner de telle ou telle chose ; ses paroles, en outre, avaient toujours un sens spirituel, et se rapportaient parfaitement au caractère et au défaut de chacune : le symbole de la lampe y figurait aussi.
Après le repas, on joua à des jeux où il s'agissait de deviner des énigmes. Les énigmes proposées tombaient dans des bourses par les trous d'une planche sur laquelle on les jetait, et chacun devait deviner celle qui était tombée dans sa bourse ou payer une amende. Les énigmes qui n'étaient pas devinées étaient remises au jeu, et celui qui en trouvait le mot gagnait ce qu'elles avaient fait perdre à d'autres. Jésus les regardait jouer, et il faisait continuellement des applications aussi agréables qu'instructives. Malheureusement, je suis si malade et j'ai été tellement dérangée par des visites, que j'ai oublié les détails : sans cela je rapporterais certainement quelqu'une de ces énigmes, car il m'a semblé cette nuit que je prenais part au jeu.
Après la fête, Jésus alla à son hôtellerie avec les disciples, et plusieurs personnes lui firent la conduite avec des torches.
La ville a d'épaisses murailles et des tours. Il y a eu un jour de jeûne depuis le jeudi soir jusqu'à l'ouverture du sabbat, et j'ai vu que, pendant tout ce temps, on ne fit aucun repas : on se borna à boire et à prendre une légère réfection.

(28 décembre.) Le matin, Jésus enseigna dans la synagogue, puis il visita l'école des petits garçons et des adolescents, les interrogea et les enseigna : après quoi il alla faire ses adieux à plusieurs personnes. Après le repas, pendant le temps consacré d'ordinaire à la promenade du sabbat, il visita avec deux disciples une école de jeunes filles, qui était en même temps un atelier de broderie. Les jeunes filles avaient de six à quatorze ans : elles étaient en grand nombre : toutes aujourd'hui avaient leurs beaux habits. Il y avait aussi là deux maîtres qui leur donnaient tous les jours des enseignements sur la loi. Ils étaient également en habits de fête, portaient de larges ceintures et avaient au bras de longs manipules avec des franges. Une dizaine de veuves étaient à la tête de l'établissement. Les jeunes filles apprenaient à lire la loi, à écrire et à compter : en outre, elles faisaient des broderies qu'on mettait en vente. On voyait, tendues tout le long d'une enfilade de salles, de longues bandes de diverses étoffes, de la largeur d'une aune ou plus étroites : car quelques-unes n'avaient que la dimension d'une large ceinture. La partie achevée était toujours repliée. Les modèles d'après lesquels elles travaillaient étaient devant elles, peints sur des étoffes. C'étaient des fleurs, des feuilles, des arbustes et de grandes arabesques. L'étoffe était un tissu de laine très fine, semblable à celui dont étaient faits les manteaux légers des trois rois, seulement un peu plus fort et de couleurs variées. Elles travaillaient avec de la laine fine de diverses nuances, et aussi avec de la soie Le jaune était une des couleurs les plus employées Elles ne se servaient pas d'aiguilles, mais de petits crochets. Quelques-unes travaillaient aussi sur des bandes d'étoffe blanche plus étroites. D'autres faisaient des ceintures sur lesquelles elles brodaient des lettres : les jeunes filles se livraient à ces occupations les unes à côté des autres : Le travail était divisé et réparti suivant l'âge et le talent. Je vis les plus jeunes apprêter des fils, d'autres carder de la laine ou la filer : c'étaient toujours les plus petites qui présentaient aux brodeuses tous les fils et les outils dont elles avaient besoin. Aujourd'hui on ne travaillait pas : mais pendant que les enfants faisaient voir leurs ouvrages à Jésus, et qu'il parcourait les salles avec les maîtresses, toute l'organisation de l'atelier me fut représentée dans une vision. J'en vis quelques-unes montrer des figures de diverses grandeurs brodées sur des pièces d'étoffes séparées. C'étaient des ouvrages commandés et qui allaient être livrés. Les païens les recherchaient et donnaient en échange des étoffes et d'autres objets.
Quelques-unes des jeunes filles avaient leur logement dans la maison, d'autres venaient de la ville.
La maison avait deux étages et tout y était disposé en vue de l'établissement. Il y avait une salle pour les leçons : Jésus y enseigna et interrogea les enfants, qui tenaient à la main leurs petits rouleaux. Les plus petites étaient en avant : les maîtresses se tenaient derrière. Elles s'approchèrent les unes après les autres de la chaire de Jésus. Après avoir béni les enfants et leur avoir donné des avis sous forme de paraboles relatives à leurs occupations, il sortit de la maison, et elles lui envoyèrent en présent des étoles et des ceintures qui furent ensuite données à la synagogue.
Jésus fit la clôture du sabbat à la synagogue. La ville était remplie de gens qui étaient venus de tous les environs. Plusieurs disciples avaient visité aujourd'hui des maisons isolées dispersées autour de la ville. A la synagogue, Jésus prit congé de tous les assistants et répéta ce qu'il avait enseigné précédemment. Les auditeurs étaient tous très émus et désiraient qu'il restât encore.
Après cela Jésus alla de nouveau au lieu où l'on célébrait les noces : il y eut encore des jeux, des instructions et un repas ; tous les restes de ce repas et de celui de la veille furent distribués aux pauvres, car le lendemain tout devait être servi sur nouveaux frais. On ne dansa pas, mais les enfants firent encore de la musique : ils avaient de petites robes jaunes, faites d'une seule pièce, attachées par devant avec des courroies et des cordons d'étoffe bariolée. Ici aussi Jésus prit congé : il bénit l'assemblée et retourna à l'hôtellerie.
Aussitôt après le sabbat deux apôtres sont partis pour Capharnaüm avec un message ; deux autres se sont dirigés au sud-est, vers Cydessa, si je ne me trompe. D'autres disciples sont allés en avant. Jésus n'a près de lui qu'André et Matthieu, avec deux des plus jeunes parmi les nouveaux disciples. Je crois qu'il fera prochainement une grande instruction sur une montagne qui n'est pas loin de Cana : elle est située à deux lieues au nord de Thabor et domine la vallée où sont les bains de Béthulie.
A Machéronte, beaucoup d'invités sont déjà arrivés et les fêtes commencent. Il est venu des visiteurs chez la femme d'Hérode, qui habite dans un château séparé. Jean est plus libre qu'il ne l'était : il enseigne et se promène dans le château ; cela fait croire à tout le monde qu'il sera remis en liberté le jour où l'on fêtera la naissance d'Hérode.

(29 décembre) Jésus suivit aujourd'hui pendant environ cinq lieues le plateau de la montagne, se dirigeant au sud-est vers Dothaïm ; il n'était accompagné que d'un petit nombre de disciples : une partie d'entre eux était allée au nord-est, vers Nephtali ; une autre partie à Arbel, qui est à deux lieues au sud-ouest d'Abram. Sur le chemin je vis plusieurs fous à moitié nus sortir de derrière les rochers et les buissons, en murmurant des mots qu'ils répétaient sans cesse, et lui crier : « Fils de Dieu ! Tu es le Fils de Dieu, le prophète ! Jésus prophète de Nazareth ! » etc. Il ne les guérit pas et leur commanda de se taire. Souvent des gens se joignirent à lui sur la route : il s'arrêtait de temps en temps pour enseigner. A la fin je le vis devant Dothaïm, entouré de beaucoup de personnes : je crois qu'ils étaient sortis de la ville pour aller à sa rencontre. Il y avait parmi eux beaucoup de Pharisiens. Du reste, les gens de ce pays se montrèrent assez froids à l'égard de Jésus.
(30 décembre.) Dothaïm, où Jésus est entré hier soir, est située sur un plateau élevé entouré de deux collines : la vigne et l'olivier y croissent. La ville est grande, mais les maisons ne sont pas agglomérées : il y a beaucoup de jardins. Les gens que je vis hier en grand nombre près de Jésus, à son arrivée devant Dothaïm, sont venus de toute la Galilée ; car Jésus doit faire une grande prédication près d'ici Dothaïm est à environ deux lieues de Magdalum, à deux lieues et demie ou trois lieues de Capharnaüm, à une lieue de Damna, à une demi-lieue au nord-est de la montagne de Béthulie : c'est sur cette montagne qu'est située Cydessa ; Holopherne y avait établi une partie de son camp. Dothaim est à environ trois lieues au nord de Béthulie.
Marthe est allée voir Madeleine avec sa suivante ; Marie est venue ici avec les autres femmes. Je ne me rappelle plus rien de ce que fit Jésus aujourd'hui, sinon qu'il s'occupa avec les disciples de toute espèce de préparatifs, à cause de la grande prédication qu'il doit faire demain sur une hauteur voisine d'ici il loge dans une hôtellerie établie spécialement pour lui : il y a rencontré Lazare, qui est venu avec deux disciples de Jérusalem, fils des frères de sa mère Je ne sais pas si j'ai déjà fait mention de ces deux parents de Lazare : peut-être l'ai je fait à l'occasion d'un certain Obed. Les saintes femmes de Jérusalem étaient venues aussi en compagnie de Lazare : elles avaient fait le voyage, soit pour préparer les hôtelleries, soit à cause de Madeleine.


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - CHAPITRE QUATRIEME - Prédication et miracles de Jésus.