Brentano: Visions de la Bse Emmerich - CHAPITRE SEPTIEME - Décollation de saint Jean- Baptiste (Du 8 janvier au 18 janvier 1823.)


CHAPITRE HUITIÈME. Ensevelissement du corps de S. Jean Baptiste. Jésus à Jérusalem. -- Guérison opérée près de la piscine de Bethesda. (Du 19 au 29 janvier 1823.)

- Jésus à Juta ; -à Libna ; -à Bethsur.
- Enlèvement du corps de Jean à Machérunte.
- Jésus à Béthanie, -à Jérusalem, -à Lebona et à Thirza.
- Retour en Galilée.

(10-20 janvier.) On commence à dire à Juta que Jean-Baptiste est mort. On semble l'induire de l'extrême tristesse des membres de sa famille et des paroles prononcées en public par Jésus.
Jésus alla visiter le tombeau de Zacharie avec le neveu de celui ci et les disciples : il est près de sa maison et même au-dessous en partie. Il ne ressemble pas aux tombeaux ordinaires : c'est un grand caveau soutenu par des piliers comme les catacombes, et c'est un lieu de sépulture très vénéré, réservé pour des prêtres et des prophètes. Il avait été décidé qu'on enlèverait le corps de Jean de Machéronte et qu'on l'enterrerait ici. On arrangeait le caveau à cet effet et on disposait un emplacement. Il était bien touchant de voir Jésus aider à préparer un tombeau pour son ami. Il honora aussi les restes de Zacharie.
Élisabeth n'est pas enterrée ici, mais sur une montagne voisine de la grotte du désert que Jean avait habitée dans son enfance.
Je vis les disciples charger sur un âne des linceuls, des bandelettes, des aromates et une espèce de civière de cuir pour emporter le corps du précurseur. Ils doivent probablement prendre ailleurs d'autres compagnons, car ils suivirent Jésus qui partit aujourd'hui, et conduisirent avec eux la bête de somme.
Jésus, accompagné d'une vingtaine d'amis et de disciples, quitta la maison de Zacharie, se dirigeant du côté du bois de Mambré. Les femmes de la famille de Jean se joignirent à lui avec leurs filles devant la ville et lui firent la conduite. Je vis les hommes prendre les devants. Les femmes allèrent jusqu'à une lieue et demie environ, après quoi elles s'en retournèrent. Elles s'agenouillèrent devant Jésus et voulurent lui baiser les pieds, mais il s'y refusa. Elles pleuraient amèrement ; Jésus les bénit et elles se retirèrent.
Jésus suivit le chemin de Libna : toutefois ils n'allèrent pas aujourd'hui jusqu'à cette ville, mais ils s'arrêtèrent à une hôtellerie située dans un petit endroit en avant de Libna : les gens de Juta et d'Hébron repartirent de là pour retourner chez eux, et des habitants de Libna y reçurent Jésus. Libna est située dans une vallée, assez près d'une petite rivière qui va se jeter dans la mer. La contrée où les gens d'Hébron prirent congé de Jésus est, comme tout ce pays, un plateau élevé couvert de champs de blé : on voit d'ici les montagnes de Jérusalem.
Je vis aussi plusieurs choses touchant d'autres villes, par exemple Caphardagon, qui est à deux lieues de Lydda, à peu de distance de la mer et de Sarona : où est cet endroit ? Des apôtres et des disciples que Jésus avait envoyés en Galilée sont maintenant dans ce pays : ils se réuniront bientôt à Jésus.

(20 janvier.) Aujourd'hui Saturnin, Jude Barsabas et deux autres disciples qui étaient allés de la Galilée à Machéronte et qui ensuite s'étaient rendus ici pour y rejoindre Jésus, vinrent le trouver à l'hôtellerie et lui racontèrent avec beaucoup de tristesse le meurtre de Jean-Baptiste qu'il connaissait déjà. Voici comment la nouvelle leur était arrivée. Lorsqu'Hérode avec sa famille et une escorte de soldats fut parti de Machérunte pour Hésébon, le bruit que Jean avait eu la tête tranchée fut répandu par quelques déserteurs : il parvint aussi à quelques ouvriers blessés par l'écroulement des constructions à Jérusalem, lesquels étaient au service du centurion Zorobabel de Capharnaüm et qui le lui rapportèrent. Zorobabel fit aussitôt connaître ce triste événement à Jude Barsabas qui se trouvait dans le voisinage, sur quoi celui-ci avec Saturnin et deux autres disciples se rendirent en toute hâte dans la contrée de Machérunte où ils reçurent partout, après le départ d'Hérode, la confirmation de la nouvelle qui leur avait été donnée. Alors de Machéronte ils gagnèrent rapidement la patrie de Jean afin de prendre des mesures pour faire enlever son corps, et ayant appris que Jésus était ici, ils allèrent le trouver à l'hôtellerie.
Jésus passa toute la journée avec eux. Le soir quelques personnes de la suite de Jésus, à savoir les fils de Marie d'Héli, Jacques, Eliacin et Sadoch, le neveu de Zacharie, les neveux de Joseph d'Arimathie et les fils de Jeanne Chusa et de Véronique s'associèrent à eux et tous ensemble, conduisant l'âne qui portait les objets dont ils avaient besoin, se rendirent à Machérunte, que tous les hôtes d'Hérode ont quittée et où il n'y a presque personne, sauf une petite garnison de soldats.
J'y vois toujours le corps de Jean couché à la même place et près de lui un ange tenant une épée : tout est inondé de lumière autour de lui.
Jésus s'arrêta quelque temps dans le pays où il se trouvait, pour ne pas rencontrer Pilate qui, accompagné d'une escorte de soldats, se rendait de Jérusalem par Bethsur et Antipatris, à Apollonia où il devait s'embarquer pour Rome. Je crois qu'il y va porter plainte contre Hérode.
Jésus est allé à Libna, mais il n'y est pas resté longtemps. Les Lévites qui l'avaient accueilli amicalement eurent bientôt à le reconduire, car il ne tarda pas à partir pour Bethsur qui est à peu près à dix lieues au nord de Libna et qui n'est qu'à deux lieues de Jérusalem. C'est une forteresse avec des tours, des remparts et des fossés : tout cela est un peu délabré, moins toutefois qu'à Béthulie. La ville n'est pas petite, elle est bien aussi grande que Béthoron. On y arrive presque de plain pied du côté par où venait Jésus : entre Bethsur et Jérusalem il y a une belle vallée. Des points élevés de chacune des deux villes, on peut voir l'autre. Il y a un côté que je n'ai pas encore bien vu, où les abords de Bethsur sont escarpés et faciles à défendre contre des ennemis. Autrefois l'arche d'alliance y séjourna publiquement pendant un certain espace de temps. Je serais étonnée que cela ne fût pas mentionné dans l'Écriture. J'ai oublié à quelle occasion : ce fut, je crois, lorsqu'elle fut rapportée. David est venu plusieurs fois ici. Une fois, après que Saul eut jeté sa lance contre lui, il s'était enfui de l'autre côté du Jourdain ; mais Jonathas s'entremit de nouveau en sa faveur et il vint ici. Je crois qu'il y vint encore à une époque postérieure, lorsqu'il fuyait devant Absalon. Bethsur a été souvent assiégée par les ennemis des Machabées, et Judas Machabée a remporté une grande victoire pendant un de ces sièges (2M 13,19-22 1M 6,31, etc. ; 1M 11,65-66).
Pilate a passé par ici et, si je ne me trompe, par Saron et par Antipatris, pour aller à Apollonia où il s'est embarqué aujourd'hui : il avait avec lui sa femme et une escorte d'une cinquantaine de soldats et d'autres personnes. Il va, je crois, à Rome pour y porter plainte contre Hérode Ils sont partis avec un seul navire. Ordinairement il résidait à Césarée, mais depuis quelque temps il avait établi son séjour à Jérusalem. Je crois que Jésus est allé d'abord à Libna pour ne pas se trouver sur son chemin.
Pilate a déjà eu plusieurs démêlés avec les Juifs, et ils le détestent. Il a fait une fois porter les étendards romains dans la ville, ce qui a excité un soulèvement de la part des Juifs. Une autre fois, lors d'une fête où les Juifs s'abstiennent de porter des armes et de toucher de l'argent, je vis ses soldats entrer dans le temple, briser le tronc des offrandes et prendre tout l'argent qui s'y trouvait. Cela eut lieu lorsque Jean baptisait encore à On près du Jourdain et lorsque Jésus
Jésus et sa suite furent très bien accueillis, ce soir, à Bethsur. Lazare et d'autres amis de Jérusalem s'y étaient déjà rendus. On lui lava les pieds ainsi qu'aux disciples, et on leur offrit en abondance et avec beaucoup de cordialité tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. Il logea dans une hôtellerie voisine de la synagogue.
Les trois rois passèrent près de cet endroit en allant à la crèche : ce fut dans les environs que l'étoile leur apparut de nouveau : ils donnèrent à manger à leurs bêtes près d'un caravansérail. Il y a une bonne route qui va d'ici à Libna et plus loin encore.
Le dimanche, je vis la Mère de Dieu avec sa suite : elle était composée de cinq femmes qui, la robe relevée et tenant leurs bras enveloppés dans leurs voiles, marchaient à grands pas les unes derrière les autres et séparées par des intervalles égaux dans le pays où se trouve l'hôtellerie située sur l'héritage de Joseph. Les serviteurs qui les escortaient avaient pris les devants : je vis les saintes femmes s'asseoir près d'un ruisseau et prendre quelques rafraîchissements. Hier ou aujourd'hui, je les vis à Cana.
Il ne faut pas confondre Bethsur avec un endroit appelé Bethsoron qui est entre Bethléem et Hébron, et près duquel Philippe baptisa le serviteur de la reine Candace. On donne aussi quelquefois le nom de Bethsur à cet endroit.

Note : Cette assertion a de l'importance, car le plus souvent on prend Bethsur pour Bethoron, et on place près de Bethsur le baptême en question.

(22 janvier.) Je vis aujourd'hui Jésus à Bethsur guérir dans quelques maisons, sans que personne le dérangeât, de vieilles gens affligées de maladies graves, entre autres des hydropiques. Les habitants de la ville étaient très bien disposés et je vis les chefs de la synagogue conduire eux-mêmes Jésus dans les maisons. Il enseigna aussi dans l'école et je le vis bénir une grande quantité d'enfants, d'abord les garçons, puis les filles. Il s'occupait beaucoup des enfants : il en guérit quelques-uns. Je ne sais pas encore bien s'il ira à Jérusalem. Devant Bethsur il y a une belle avenue.
Je vis dès hier soir les disciples arriver devant Machérunte ; ils étaient dix : Saturnin, Jude Barsabas, Jacques de Cléophas, Éliacin, Sadoch, les deux neveux de Jeanne Chusa, les fils de Jeanne Chusa et de Véronique et le neveu de Zacharie. Ils laissèrent l'âne chez un paysan et prirent avec eux les objets qu'il portait. C'étaient trois barres larges comme la main, faites d'un bois très fort et très léger et qu'ils portaient sous le bras, une espèce de sac de cuir fort mince divisé en deux compartiments, des outres de cuir, des boîtes, des linges roulés, des éponges et quelques outils. Ils montèrent ainsi la montagne du palais. Quelques-uns des disciples de Jean, les plus anciens et les plus connus ici, notamment les cousins de Jésus, qui avaient eu autrefois la permission d'y pénétrer et d'en sortir librement, prièrent la garde du palais de les laisser entrer. Les soldats répondirent qu'ils ne le pouvaient pas, quelques bonne volonté qu'ils eussent à cet égard.
Alors ils se retirèrent, firent le tour du rempart et, arrivés à l'endroit qui correspondait à la prison de Jean, ils montèrent sur les épaules les uns des autres et franchirent trois murs et trois fossés. Il semblait que Dieu les aidât, car ils firent cela très promptement et sans trouver d'obstacles. Ils descendirent alors dans la prison par une ouverture ronde qui était en haut, et lorsque les deux soldats qui montaient la garde dans les vestibules, les aperçurent et s'approchèrent avec des torches, ils allèrent à leur rencontre et leur dirent : " Nous sommes les disciples de Jean-Baptiste qu'Hérode a fait mettre à mort, et nous voulons enlever son corps ". Les soldats ne firent pas de résistance, mais leur ouvrirent la prison, soit parce qu'ils n'étaient pas les plus forts, soit peut-être parce qu'indignés contre Hérode à cause de la mort de Jean, ils voulaient participer à cette bonne oeuvre : depuis quelques jours déjà plusieurs soldats avaient pris la fuite.
Lorsqu'ils entrèrent dans la prison, leur torche s'éteignit et je vis toute la prison remplie de lumière. Je ne sais pas si tous virent cette lumière, mais je suis portée à croire qu'il en fut ainsi, car ils firent ce qu'ils avaient à faire aussi promptement et aussi facilement qu'à la clarté du jour. Je vis tous les disciples se précipiter vers le corps de Jean et se courber sur lui en versant des larmes. Je vis en outre apparaître dans la prison une grande figure de femme, brillante de lumière ; elle ressemblait un peu à la Mère de Dieu au moment de sa mort, et je ne reconnus que plus tard que c'était sainte Elisabeth qui apparaissait ainsi : car au commencement tout me parut si naturel dans la manière dont elle prenait part à ce qu'ils faisaient, alors je me demandai plus d'une fois qui pouvait être cette personne et comment elle était entrée avec eux.
Le corps était, comme au premier jour, recouvert de sa peau de mouton et les disciples procédèrent en toute hâte à l'ensevelissement. Ils étendirent des draps sur lesquels ils placèrent le corps pour le laver. Ils avaient apporté de l'eau dans des outres et les soldats Leur fournirent quelques écuelles de couleur brune. Jude Barsabas, Jacques et Eliacin se chargèrent des arrangements principaux : les autres les aidèrent. Je vis toujours l'apparition travailler avec eux et il semblait qu'elle fît tout, soit qu'il s'agît de découvrir ou de recouvrir, de poser, de retourner ou d'envelopper : elle prenait part à tout ce que faisait chacun d'eux : il semblait qu'on lui dût la promptitude et la régularité avec laquelle leur travail s'accomplissait. Je les vis ouvrir le corps et en retirer les entrailles qu'ils mirent dans une outre : ensuite ils entassèrent autour de lui des aromates de toute espèce et l'enveloppèrent tout entier avec des bandelettes fortement serrées. Il était extrêmement mince : du reste son corps était comme desséché.
Je vis pendant ce temps les autres disciples laver la place où la tête était tombée pour recueillir le sang qui y avait coulé en abondance : ils en remplirent les boîtes vides qui avaient contenu les aromates. Ils mirent ensuite le corps dans le sac de cuir qu'ils fermèrent avec un bâton placé en travers de l'ouverture, et ils passèrent leurs deux barres de bois dans des courroies attachées au sac : elles devaient être de ce bois si fort dont j'ai parlé ailleurs, car quoique très minces, elles ne fléchirent pas. Ils placèrent au-dessus la peau de mouton qui était le vêtement ordinaire de Jean, et d'eux d'entre eux portèrent le saint corps. Les autres portaient l'outre de cuir où étaient les entrailles et les boîtes qui contenaient le sang. Les soldats quittèrent Machérunte avec eux et les conduisirent hors des remparts en leur faisant suivre cet étroit passage souterrain par lequel Jean avait été conduit dans sa prison. Tout cela se fit avec une promptitude extraordinaire et une émotion indicible de la part de tous. Je les vis d'abord sans lumière descendre la montagne à grands pas : plus tard je les vis éclairés par une torche : deux d'entre eux portaient le corps à l'aide des bâtons qu'ils plaçaient sur leurs épaules, et les autres marchaient à leur suite Je ne puis exprimer tout ce qu'il y avait de touchant dans ce cortège qui s'avançait rapidement et silencieusement à travers la nuit à la lumière de la torche. Je m'y suis jointe plusieurs fois en divers lieux. On eût dit qu'ils ne touchaient pas la terre. Quels torrents de larmes ils versèrent, lorsqu'à la faible lueur du crépuscule du matin, ils le transportèrent au delà du Jourdain, à l'endroit où il avait commencé à baptiser et où eux-mêmes s'étaient mis à sa suite Ils longèrent toujours de près la mer Morte, suivant des chemins écartés ou passant par le désert.

(23 janvier.) Ce matin Jésus est allé de Bethsur à Béthanie avec Lazare et les disciples. Ils firent une route de plusieurs lieues, car ils contournèrent Jérusalem par le côté du nord. Ils passèrent près de plusieurs endroits, notamment près d'Emmaüs. Jésus enseigna ça et là sur le chemin. Ils rencontrèrent à diverses reprises des gens occupés à attacher et à tresser les haies, qui du reste étaient déjà vertes.
A une lieue à peu près de Béthanie, Marthe et Madeleine vinrent à leur rencontre avec une veuve du nom de Salomé, qui depuis longtemps habitait chez Marthe. Cette femme étant comme Suzanne, la fille illégitime d'un des frères de saint Joseph, se trouve ainsi alliée à la sainte Famille. Je ne sais plus bien son histoire. Je sais qu'elle assista à la mise au tombeau du Sauveur. Ces femmes vinrent au devant de Jésus jusqu'à l'hôtellerie que Lazare possède dans le désert. Jésus s'y arrêta quelque temps avec elles et il y enseigna. Ils partirent ensuite pour Béthanie où ils arrivèrent à la chute du jour et où ils prirent un repas.
Les quatre apôtres et plusieurs disciples auxquels Jésus avait donné leur mission près du Thabor, vinrent le soir le rejoindre à Béthanie : ce fut là qu'ils eurent pour la première fois des nouvelles certaines de la mort de Jean qui les affligea beaucoup. Ils racontèrent à leur tour qu'ils avaient enseigné et guéri selon les instructions que Jésus leur avait données, et que dans un endroit on les avait poursuivis à coups de pierre, mais sans les atteindre. Ils avaient été en dernier lieu à Saron, tout près de Lydda. Caphardagon non plus n'est pas loin de là. Lorsque Pierre alla à Lydda après la mort de Jésus, on l'engagea aussi à venir à Saron. J'ai vu dernièrement plusieurs choses concernant la position de ces lieux, mais j'étais trop malade pour pouvoir en faire part.
Lorsque tout le monde fut allé se reposer dans la maison de Lazare, je vis encore Jésus se rendre seul la nuit au mont des Oliviers, et prier dans un lieu solitaire. Il n'allait pas toujours dans ce cas au jardin de Gethsémani qui était trop éloigné de Béthanie. Le mont des Oliviers était tout couvert de verdure et planté de beaucoup d'arbres d'espèces précieuses : il s'y trouvait beaucoup d'endroits solitaires.
Madeleine occupe le logement de sa défunte soeur Marie la Silencieuse. L'appartement est composé de petites chambres : je vois souvent Madeleine assise dans une toute petite pièce ; on dirait l'intérieur d'une tourelle : c'est je crois un réduit ou elle fait pénitence. Elle pleure encore beaucoup. Elle n'est plus malade à la vérité, mais elle est amaigrie, pâle et défaite : c'est l'effet de son repentir et de sa vie pénitente.
Il y a eu dernièrement deux jours de jeûne, dont l'un était en mémoire de la mort des vieillards qui avaient survécu à Josué (Jg 2,10). On va célébrer maintenant une fête qui donnera lieu à des réjouissances de toute espèce. Elle vient tout de suite après le prochain sabbat et dure trois jours : j'en ai vu beaucoup de circonstances que je ne me rappelle plus bien. Ils l'ont remise jusqu'à ce jour, autrement elle serait tombée trop tôt. C'est une fête où l'on rend grâces de tous les bienfaits reçus, à dater des préliminaires de la sortie d'Égypte. Il n'y a pas d'obligation de la célébrer à Jérusalem : on peut la célébrer partout. Du reste, la plupart des princes des prêtres et des plus grands ennemis de Jésus sont en voyage hors de Jérusalem, parce que, Pilate étant absent, ils n'ont rien à craindre et ne sont pas obligés d'être toujours sur leurs gardes comme lorsqu'il y est.
Il me revient à cette occasion que Pilate une fois (c'était, je crois, lorsque Jésus quitta le désert), avait fait apporter la nuit à Jérusalem les drapeaux romains avec les figures qui les surmontent, et qu'il en résulta un grand soulèvement, ce qui l'obligea à les retirer. Une autre fois pendant le sabbat où il est interdit aux Juifs de se défendre, il fit briser par ses soldats le tronc des offrandes et enlever une grande bourse pleine d'or.
Hérode est à Hésebon : la méchante femme n'est pas avec lui : elle est allée faire un voyage ailleurs avec sa fille. Cette femme ressemble tout à fait à une des déesses favorites de l'ancien monde païen : il y a dans tout son extérieur quelque chose de lubrique et de provoquant, où se trahit je ne sais quel venin et qui pourtant attire et séduit.
Le mont des Oliviers a trois sommités : il s'y trouve beaucoup de jardins. Les abords de Jérusalem ne sont pas très abruptes du côté du nord, tandis qu'au midi la ville est bornée par des escarpements à pic. Au levant du mont des Oliviers se trouve une vallée où coule un torrent qui est quelque fois à sec et qui se jette dans le Cédron.
Aujourd'hui, vers midi, j'ai vu les disciples arriver avec le corps de Jean à la vallée des bergers par des chemins peu fréquentés. A une demi-lieue à peu près de Bethléhem, à l'endroit où finit la vallée des bergers, ils le portèrent dans une grotte et firent une halte.
Ce soir ils le porteront jusqu'à Juta, où quelques-uns d'entre eux sont allés d'avance pour faire les préparatifs nécessaires. Ils n'ont cessé de suivre des sentiers peu fréquentés autour de la mer Morte et à travers le désert. J'ai encore vu souvent apparaître Elisabeth sur le chemin près du cortège. Je ne puis dire à quel point ce cortège était touchant : ils allaient si vite qu'ils semblaient planer au-dessus du sol.
(24 janvier.) Ce matin je vis Jésus aller à Jérusalem avec les disciples et entrer chez Jeanne Chusa. Marthe et Madeleine n'étaient pas à Jérusalem. Vers dix heures du matin, je vis Jésus dans le temple avec les disciples. Il enseigna et lut le livre de la loi du haut d'une chaire placée dans le parvis des femmes. Sa doctrine et sa sagesse excitèrent l'admiration générale. Il n'y avait là personne qui cherchât à l'empêcher de parler ou qui lui adressât des objections. Parmi les prêtres présents, les uns le connaissaient à peine, les autres qui le connaissaient ne lui étaient pas contraires : ses principaux ennemis, les Pharisiens et les Sadducéens, étaient pour la plupart en voyage. Il y avait bien encore quelques espions, mais sans importance. Il enseigna jusqu'à l'après-midi, après quoi ils allèrent prendre un petit repas dans la maison de Jeanne Chusa.
Vers trois heures. Jésus accompagné de quelques disciples, alla à la piscine de Bethesda. Il entra à l'extrémité la plus éloignée du centre par une porte qui était toujours fermée et dont on ne se servait plus. C'étaient là qu'étaient relégués les malades les plus pauvres et les plus délaissés : tout près de cette porte, à l'angle le plus reculé, était confiné un homme qui était paralytique depuis trente-huit ans : il était couché dans l'une des chambres assignées aux hommes.
Lorsque Jésus arriva à la porte fermée, il y frappa et elle s'ouvrit devant lui. Il passa devant les malades et descendit jusqu'aux degrés qui conduisaient à la piscine et où étaient assis et couchés des malades de toute espèce. Il y donna des enseignements à ces malades et les disciples distribuèrent aux plus pauvres du pain, des vêtements, des couvertures et du linge que les saintes femmes leur avaient donnés. Ces consolations et ces offices charitables étaient quelque chose de tout nouveau pour ces malades qui gisaient là, laissés à eux-mêmes ou à leurs serviteurs : ils furent extrêmement touchés. Quand Jésus les eut enseignés, ce qu'il fit en divers endroits, il demanda à plusieurs d'entre eux s'ils croyaient que Dieu pouvait les secourir, s'ils désiraient être guéris, et s'ils voulaient se repentir de leurs péchés, faire pénitence et recevoir le baptême. Comme il avait dit à plusieurs de quels péchés ils s'étaient rendus coupables, ils furent très troublés et lui dirent : " Maître, vous êtes un prophète ! C’est vous sans doute qui êtes Jean "! Car la mort du précurseur n'était pas encore généralement connue, et même dans plusieurs endroits le bruit courait qu'il avait été remis en liberté. Mais Jésus leur dit en termes généraux qui il était et en guérit plusieurs, notamment des aveugles : il leur ordonna de se laver les yeux avec de l'eau de la piscine à laquelle il mêla de l'huile et leur dit de retourner tranquillement chez eux et de ne pas parler de ce qui leur était arrivé jusqu'après le sabbat. Les disciples opérèrent aussi des guérisons dans d'autres endroits : mais il fut enjoint à tous de se laver dans la piscine.
Comme plusieurs de ces malades guéris avaient attiré sur eux l'attention générale par l'empressement avec lequel les uns et les autres couraient de divers côtés à la piscine pour s'y laver, Jésus, accompagné des disciples, revint à cette issue écartée dont il a été question, et il arriva à l'endroit où était couché l'homme malade depuis trente-huit ans. C'était un jardinier, un de ceux que je vois souvent travailler aux haies ; il s'était aussi occupé autrefois de la culture des baumiers. Mais il était depuis si longtemps malade et sans secours qu'il se trouvait dans la plus extrême détresse, n'ayant de ressource que la mendicité et se nourrissant des restes des autres malades. Comme il était là gisant depuis nombre d'années, il était connu de tout le monde sous le nom du malade incurable. Jésus lui ayant demandé s'il voulait recouvrer la santé, cet homme qui n'avait pas l'idée que Jésus voulût le guérir, crut qu'il lui demandait seulement en termes généraux pourquoi il restait couché là ; il répondit qu'il n'avait personne pour venir à son secours, pas de serviteur ni d'ami qui pût l'aider à descendre dans la piscine quand l'eau était agitée, et qu'avant qu'il eût pu se tramer jusque-là, d'autres le prévenaient et occupaient les marches des escaliers qui y conduisaient. Jésus s'entretint quelque temps avec lui, lui mit ses péchés devant les yeux, excita son repentir et lui dit qu'il ne devait plus vivre dans l'impureté ni blasphémer contre le temple, car c'était par là qu'autrefois il s'était attiré le châtiment qui l'avait frappé. Il lui dit aussi que Dieu accueillait tous ceux qui revenaient à lui et secourait quiconque se tournait vers lui avec un repentir sincère. Ce pauvre homme qui n'avait jamais rencontré personne pour le consoler, qui croupissait dans sa misère invétérée et qui murmurait souvent de ce que personne ne venait à son secours, fut profondément touché de ces paroles du Seigneur : alors Jésus lui dit : " Levez-vous, prenez votre lit et marchez " ! Toutefois, ce n'est là que le résumé de ce que lui dit Jésus, car il lui commanda aussi de descendre à la piscine pour s'y laver ; il avait dit en outre à un disciple qui se trouvait là, de conduire cet homme à l'une des petites habitations disposées pour recevoir des pauvres par les soins des amis de Jésus et attenantes au cénacle de la montagne de Sion où Joseph d'Arimathie avait son atelier de sculpteur.
Cet homme qui, l'instant d'auparavant, était complètement paralytique et affligé en outre d'un mal impur au visage, ramassa son grabat en lambeaux, descendit parfaitement guéri à la piscine et s'y lava : il était si joyeux et si empressé qu'il avait failli oublier son lit. Le sabbat était déjà commencé, et Jésus, accompagne de Jean, sortit sans être remarqué par la porte voisine de l'endroit où se tenaient les malades. Le disciple chargé de guider le paralytique prit les devants pour l'annoncer, car cet homme connaissait l'endroit où il avait à se rendre. Lorsqu'il sortit des bâtiments qui entouraient la piscine de Bethesda, quelques Juifs voyant qu'il était guéri, crurent que c'était l'effet de la grâce attachée à la piscine et ils lui dirent : " Ne sais-tu pas que c'est jour de sabbat et que tu ne dois pas porter ton lit "? il leur répondit : " Celui qui m'a guéri m'a dit de me lever, de prendre mon lit et de marcher ". Alors ils lui demandèrent quel était l'homme qui lui avait dit cela ; mais il ne sut pas le leur dire, car il ne connaissait pas Jésus et ne l'avait jamais vu auparavant. Jésus était déjà parti et les disciples aussi.
On lit à la vérité dans le récit que l'Evangile fait de ce miracle (Jn 5,15, etc.) que cet homme voyant Jésus dans le temple, le désigna comme celui qui l'avait guéri et que Jésus eut à ce propos une dispute avec les Pharisiens et les Sadducéens touchant les guérisons opérées le jour du sabbat ; mais cela n'arriva qu'à une autre fête, quoique saint Jean ait fait du tout un seul récit. C'est ainsi que la chose m'a été positivement expliquée.
Cependant après que Jésus eut quitté Jérusalem, ces Juifs qui avaient reproché au malade guéri de porter son lit le jour du sabbat, répandirent la nouvelle de la guérison de cet homme que beaucoup de gens connaissaient et tenaient pour incurable, et la chose fit grand bruit. On ne fit pas grande attention aux autres malades que le Sauveur et ses disciples avaient guéris près de la piscine de Bethesda, parce qu'on attribua leur guérison à la vertu miraculeuse des eaux de la piscine : elle n'avait pas eu lieu le jour du sabbat et d'ailleurs l'on n'avait pas vu Jésus entrer ni sortir par les portes où se tenaient les gardiens ou les surveillants de la piscine. En outre, peu de gens s'étaient trouvés alors dans l'enceinte des bâtiments attenants à la piscine, si l'on excepte les pauvres malades qui restaient couchés dans les cellules pratiquées dans les murs. Ceux qui avaient de l'aisance s'étaient pour la plupart déjà fait reconduire dans leurs maisons, car à cette époque l'eau ne s'agitait plus que rarement et cela n'arrivait guère qu'au lever du soleil : c'était donc avant l'aurore que ceux qui avaient des serviteurs se faisaient porter là. Du reste on ne recourait plus guère à ce moyen de guérison et une partie des murs de l'établissement était en assez mauvais état. Il n'y venait plus la plupart du temps que des gens animés d'une fois vive, comme ceux qui chez nous fréquentent les lieux de pèlerinage.
Cet étang était celui où Néhémie avait enfoui le feu sacré : une pièce de bois qui avait servi à le recouvrir avait été plus tard jetée au rebut et elle entra dans la construction de la croix de Jésus-Christ. La vertu miraculeuse de la piscine s'était manifestée, lorsque le feu sacré y eut été déposé. Dans les premiers temps, certains malades pieux et doués de l'esprit de prophétie virent un ange descendre du ciel et agiter l'eau. Plus tard cela ne fut plus visible que pour un petit nombre ou même pour personne, et enfin l'esprit du temps devint tel que ceux qui voyaient encore quelque chose se gardaient bien d'en parler : toutefois un grand nombre voyait toujours l'eau s'agiter et bouillonner. Cette piscine servit de baptistère aux apôtres après la descente du Saint-Esprit et la piscine elle-même avec l'ange qui la remuait était une figure mystérieuse et symbolique du sacrement de baptême en même temps que l'agneau pascal était la figure prophétique de la sainte croix et de la mort du rédempteur.
Ce matin, Jésus a encore guéri quelques malades devant le temple, à l'endroit où se tiennent les vendeurs.
Après la guérison du paralytique, Jésus alla avec les disciples dans une synagogue voisine de la montagne du temple où Nicodème et ses autres amis célébraient le sabbat. Jésus n'y enseigna pas aujourd'hui, mais il pria et écouta avec l'assistance les lectures du sabbat. On lut dans l'Exode le récit de la sortie d'Egypte et du passage de la mer Rouge (Ex 13,17-15,27), et dans le livre des Juges, l'histoire de la prophétesse Débora (Jg 4,4-5,32) ; On chanta en outre un cantique sur le passage de la mer Rouge, où étaient rappelés successivement tous les bienfaits de Dieu envers les Juifs, ceux surtout qui se rapportaient au culte divin et au temple. On y trouva une longue énumération des vêtements et des ornements prescrits par Dieu sur le mont Sinaï ; il est aussi question de Salomon et de la reine de Saba, etc. Le sabbat de ce jour s'appelle Beschallah, et immédiatement après commence la fête dont je parlais hier. (Cette fête dure plusieurs jours, trois, si je ne me trompe, et elle a un nom qui ressemble à Ennoroum. J'ai vu beaucoup de choses qui s'y rapportent, mais l'état où je me suis trouvée me les a encore fait oublier.
C'est à la fois une fin et un commencement ; on y rend des actions de grâces pour tout et pour toutes les fêtes. On chante des cantiques où l'on remercie Dieu pour beaucoup de grâces qu'il a faites aux Israélites depuis le commencement, pour la sortie d'Egypte et le passage de la mer Rouge, pour la loi, l'arche d'alliance le tabernacle, les vêtements sacerdotaux, pour le temple, pour le sage roi Salomon, et on le prie de donner encore un roi aussi sage. A cette fête, qui fut instituée par un prophète, avant Salomon et la fondation du temple, se lient des réjouissances établies par Salomon à l'occasion des présents que lui fit la reine de Saba lorsqu'elle vint lui rendre hommage. Au moyen de ces présents, il avait donné un divertissement aux prêtres et au peuple, et on en avait consacré le souvenir par des espèces de vacances qui subsistent encore, et pendant lesquelles on s'amuse et on se récrée. Comme on peut célébrer cette fête partout, les Pharisiens et les employés du temple qui peuvent profiter de la liberté qu'elle donne voyagent et font des visites afin de prendre de nouvelles forces pour les grandes fêtes des Purim et de Pâques qui viennent ensuite.

Note : La fête d'Ennoroum est en effet une fin et un commencement : elle termine le cycle des fêtes pour l'année ecclésiastique qui finit, et l'ouvre pour celle qui commence.

On fait aussi beaucoup d'aumônes à l'occasion de cette fête : on fait cuire de beaux Pains très blancs qu'on distribue aux pauvres en mémoire de la manne dans le désert. Cette fête est comme l'Amen des autres fêtes, la fête du commencement et de la fin. En terminant, après avoir rendu grâce pour tous les bienfaits accordés au temple, on remercie aussi Dieu d'avoir fait mourir un certain homme méchant et dissolu qui fit placer de force à l'entrée du temple, à l'endroit où se tiennent les marchands, des images de prostituées, les statues de ses maîtresses. Cet homme n'était pas un Juif ; il vivait au temps du roi Sennachérib. Il mourut d'une façon miraculeuse : comme il voulait aller au temple, je le vis tomber mort à l'entrée de cet édifice : son ventre creva tout à coup. (Il s'agit évidemment d'un homme du nom de Niscalenus dont la mort est célébrée par une fête de réjouissance marquée pour le 22 Sebath dans les calendriers juifs : Cette fête, à ce que dit la Soeur, venait après la fête d'Ennoroum.)
En quittant la synagogue, Jésus alla encore au temple avec quelques disciples ; il s'y trouvait peu de monde. Les Lévites allaient de côté et d'autre, mettaient tout en ordre pour le lendemain et versaient de l'huile dans les lampes. Jésus alla les chercher dans des endroits réservés où il n'était pas d'usage que d'autres qu'eux pénétrassent. Il alla jusque dans le parvis du sanctuaire où se trouve la grande chaire. Il tint aux Lévites des discours pleins de choses très profondes ; ils l'écoutèrent un certain temps ; puis ils reprochèrent d'avoir osé venir à une heure indue dans des endroits où il n'était pas permis d'entrer. Ils le traitèrent de vil Galiléen, etc. Jésus leur parla en termes sévères des droits qu'il avait dans la maison de son père, après quoi il se retira. Ils se moquèrent de lui, et pourtant ils éprouvaient, en sa présence, une terreur secrète Jésus resta cette nuit dans la ville.
Hier, à midi (c'était le jeudi, 6 du mois de Sebath), je vis les disciples qui ramenaient le corps de Jean dans une grotte voisine de Bethléem. Ils y restèrent jusqu'à la nuit : alors ils le portèrent dans la direction de Juta, et je vis encore, à diverses reprises. Elisabeth apparaître près du cortège. Aujourd'hui, avant l'aurore, je les vis porter le corps dans une caverne peu éloignée du tombeau d'Abraham et voisine des cellules des Esséniens, dont quelques-uns étaient présents et firent la garde près du corps pendant la journée.
Vers le soir, à l'heure où Notre Seigneur, lui aussi, fut embauma et mis au tombeau (c'était aussi un vendredi), je vis les Esséniens porter le corps au caveau où reposent Zacharie et plusieurs prophètes, et que Jésus a fait disposer récemment. Ce caveau est entre la maison de Zacharie et le puits de Marie : celui-ci se trouve entre la maison et la vigne de Zacharie. La vigne est située sur un point plus élevé que la maison : elle est au sud-ouest a une demi-lieue.
Les hommes et les femmes de la famille du précurseur étaient tous rassemblés dans le caveau, pleins de tristesse : les disciples qui avaient apporté le corps s'y trouvaient également, ainsi que les deux soldats qui étaient venus avec eux de Machérunte et plusieurs couples d'Esséniens, parmi lesquels des gens très âgés en longs vêtements blancs. Il y en avait là quelques-uns qui avaient pourvu à la subsistance de Jean dans les premiers temps de son séjour dans le désert. Les femmes, vêtues de blanc, avaient de longs manteaux et elles étaient voilées ; les hommes portaient des habits de deuil de couleur noire' et ils avaient autour du cou d'étroites bandes d'étoffe qui s'effilaient en franges à une de leurs extrémités. Plusieurs lampes brûlaient dans le caveau.
Le corps fut placé sur un tapis, on défit les linges qui l'enveloppaient, et on l'embauma avec de l'onguent, des aromates et de la myrrhe ; tout cela se fit avec beaucoup de larmes. Lorsqu'ils virent ce corps sans tête, ce fut un spectacle déchirant : ils étaient inconsolables de ne pouvoir pas voir son visage, et leurs désirs le cherchaient encore au loin. Chacun des assistants déposa sur le corps un bouquet de myrrhe ou d'autres aromates, puis ses disciples, l'ayant fortement enveloppé, le déposèrent dans le sépulcre taillé pour lui dans le roc au-dessus de celui de son père, lequel avait été nettoyé récemment, et où les ossements de Zacharie avaient été enveloppés dans un nouveau linceul.
Il y eut alors une espèce de service religieux célébré par les Esséniens, qui regardaient Jean comme un des leurs ou plutôt encore comme un prophète qui leur avait été promis. Ils se formèrent sur deux rangs, des deux côtés d'un autel portatif, et l'un d'eux fit la cérémonie avec deux assistants. Tons déposèrent des petits pains sur l'autel au centre duquel était la figure d'un agneau pascal : ils jetèrent sur cet agneau des herbes et des petites branches de toute espèce. L'autel était recouvert d'un drap rouge et blanc. Je ne me souviens plus bien comment il se fit que la figure de l'agneau parut d'abord rouge et ensuite blanche, peut-être y avait-il au-dessous des lampes, dont la lueur passait successivement à travers la couverture rouge et à travers la blanche. Le prêtre lut des passages des Écritures, encensa, bénit et aspergea avec de l'eau. Tous chantaient une espèce de choeur : les disciples de Jean et ses parents étaient aussi ranges alentour et chantaient avec les autres. Le plus vieux fit un discours sur l'accomplissement des prophéties, dit des choses vraiment surprenantes sur le rôle de Jean et d'autres encore qui avaient trait au Messie. Je me souviens qu'il parla de la mort des prophètes et de celle du grand-prêtre Zacharie, tué entre le temple et l'autel. Il dit que Zacharie, le père de Jean, avait aussi été mis à mort entre le temple et l'autel, en prenant la chose dans un sens plus relevé : mais que Jean était le véritable martyr égorgé entre le temple et l'autel. Il faisait par là allusion à la vie et à la mort du Christ. Je ne puis plus rapporter tout cela bien exactement, mais c'était à peu près le sens de son discours.
La cérémonie de l'agneau se rattachait à une vision prophétique que Jean, dans le désert, avait communiquée à un Essénien, et qui avait pour objet l'agneau pascal, l'agneau de Dieu, Jésus, la sainte Cène, la Passion et le sacrifice sanglant. Je ne crois pas qu'ils eussent la parfaite intelligence de tout cela, ils le faisaient dans un sens symbolique et figuratif, sous l'influence d'un esprit prophétique qui se manifestait parmi eux dans bien des occasions.
Après la cérémonie le vieillard leur distribua les petits pains qui avaient été déposés sur l'autel, et leur donna une petite branche qui avait repose sur l'agneau. Les assistants de la famille de Jean reçurent aussi un rameau, mais non de ceux de l'agneau. Les Esséniens mangèrent les pains. Après cela, tous se retirèrent pour aller célébrer le sabbat et le sépulcre fut fermé.
Il y avait chez certains Esséniens, plus avancés que les autres dans les voies de la sainteté, de grandes connaissances et des vues prophétiques touchant le Messie futur, comme aussi sur la signification spirituelle des observances religieuses des Juifs et sur leurs rapports avec le Messie. Quatre générations avant la naissance de la sainte Vierge, ils cessèrent d'offrir des sacrifices sanglants parce qu'ils connurent que l'agneau de Dieu était proche. Leur chasteté et leur continence étaient aussi un culte qu'ils rendaient au Sauveur futur. Ils voyaient dans l'humanité, son temple dans lequel il allait venir bientôt, et ils voulaient tout faire pour maintenir ce temple pur et sans tache ils savaient que souvent déjà l'avènement du salut avait été retardé par les vices des hommes et par leur penchant à l'impureté, et ils voulaient, par leur austérité et leur chasteté, satisfaire pour les péchés des autres.
Tout cela avait été établi dans leur ordre d'une façon mystérieuse, par l'intermédiaire de divers prophètes ; toutefois, du temps de Jésus, les Esséniens, pris en masse, ne s'en rendaient pas compte bien clairement. Ils étaient en ce qui touche les moeurs et le culte divin, des précurseurs de l'Eglise future. C'était surtout chez eux, qu'à une époque antérieure, les ancêtres de Marie et d'autres races de saints avaient trouvé des guides et des directeurs spirituels : le soin qu'ils avaient pris de Jean, dans sa jeunesse, avait été leur dernière oeuvre considérable.
Tous ceux d'entre eux qui avaient des lumières Particulières, à l'époque de Jésus, se joignirent à ses disciples ou plus tard à la communauté chrétienne : ils y servirent de modèles à certains égards, par l'Esprit de renoncement et de régularité auquel une longue habitude les avait formés, et ils y apportèrent les principes sur lesquelles devait être basée la vie des premiers ermites et des premiers cénobites chrétiens. Toutefois, un grand nombre d'entre eux qui n'appartenaient pas aux fruits de l'arbre, mais à son bois mort, restèrent cantonnés dans leurs observances, et, s'y pétrifiant en quelque sorte, ils formèrent une secte où s'introduisirent des rêveries païennes de toute espèce, et qui fut une pépinière d'hérésies dès les premiers temps de l'Eglise.
Jésus n'eut jamais ni relations intimes avec leur ordre, ni ressemblance avec eux dans la manière de vivre. Les rapports qu'il eut avec des individus appartenant à leur communauté ne furent pas plus étroits que ceux qu'il entretint avec beaucoup d'autres personnes pieuses et bien disposées en sa faveur. Il connaissait surtout plusieurs Esséniens mariés qui avaient été les amis de sa famille terrestre.
Comme les Esséniens ne le contredisaient pas, il n'avait jamais à lutter contre eux et il n'en est pas fait mention dans l'Evangile parce qu'il n'avait rien d'autre à leur reprocher qu'à tous les hommes en général. On n'y a pas dit non plus qu'il y avait beaucoup à louer chez eux, parce que dans ce cas les Pharisiens n'auraient pas manqué de dire que Jésus était de cette secte, etc.

(25 janvier.) Samedi dans la matinée Jésus et les autres guérirent une grande quantité de malades dans les dépendances du cénacle, lequel s'élève sur la montagne de Sion, au centre d'une grande cour. Joseph d'Arimathie le tient à loyer : il a là son atelier de sculpture. Les saintes femmes de Jérusalem étaient toutes présentes : elles avaient apporté des dons de toute espèce et exerçaient tous les offices de charité possibles envers les malades. C'était particulièrement à cause des malades assembles là que Joseph d'Arimathie était allé a Hébron inviter Jésus à se rendre à Jérusalem. La plupart étaient de braves gens pleins de foi, connus des saintes femmes et des amis de Jésus ils avaient été amenés pendant la nuit dans la cour du cénacle et Jésus les guérit depuis le matin jusqu'à midi sans que rien vint le déranger. Il se trouvait là des malades de toute espèce, hommes, femmes et enfants : des boiteux, des aveugles, des paralytiques, des hydropiques, des gens dont les mains étaient desséchées ou estropiées, d'autres qui étaient couverts d'ulcères. Plusieurs étaient des hommes blessés par la chute de l'aqueduc, et qui avaient la tête meurtrie ou quelque membre endommagés.
A Jérusalem, on s'occupe activement de déblayer la vallée où tant de décombres se sont amoncelés. Les murs qui retenaient l'eau se sont écroulés et on a fait descendre des ouvriers dans le ravin pour creuser et remettre les choses en état. Ils y jettent des arbres entiers avec de grosses pierres par derrière pour servir de digues. Dans d'autres endroits où il doit y avoir un écoulement, le canal est encombré et les eaux débordent de tous les côtés. On a travaillé jusqu'au jour du sabbat.
Dans l'après-midi Jésus et les disciples prirent un petit repas dans le cénacle : on distribua aussi aux malades des aliments que Jésus bénit.
Après la réfection Jésus alla au temple avec les disciples ; il monta dans la chaire publique où étaient les livres de la loi et il demanda les saintes Ecritures, disant qu'il voulait enseigner. On ne fit pas de difficultés à les lui donner : il fit la lecture du sabbat et y ajouta des explications. L'instruction roula sur le passage de la mer Rouge et sur Débora : on chanta aussi quelques cantiques ayant trait à la fête. Il y a écrit dessus : " à chanter de grand matin ou la veille au soir ".

Note : Cette indication, mise en tête de certains psaumes, excite au plus haut degré la surprise du Pèlerin : il l'a soulignée en rouge dans son journal après l'avoir recueillie de la bouche de la narratrice, et l'a accompagnée d'un point d'interrogation très accentué. De même quelques pages plus haut, la fête appelée Ennoroum le surprend tellement qu'il n'en écrit pas le nom sans le faire suivre chaque fois de points d'interrogation. On pourrait ainsi mentionner une foule de cas où les communications de la voyante le plongeaient dans l'étonnement, ce qui pourtant ne l'empêchait pas de rapporter avec une fidélité scrupuleuse ce qu'il recueillait de sa bouche et de le donner absolument comme il le recevait. Cela prouve d'une manière frappante combien tout le théâtre des visions était peu connu du Pèlerin, et combien peu il eut été en état d'ajouter quelque chose de son propre fonds, ou d'exercer une influence décisive sur la voyante ou sur ses visions.

Jésus enseigna d'une façon qui étonna tout le monde. Personne n'osa le contredire : cependant à la fin du sabbat quelques Pharisiens s'approchèrent et lui demandèrent où il avait étudié, qui lui avait donné le droit d'enseigner et pourquoi il prenait cette liberté. Jésus leur répondit en termes si forts et si sévères qu'ils ne trouvèrent rien à répliquer : alors il quitta le temple et se rendit à Béthanie avec les disciples et ses amis.
Son séjour à Jérusalem fut peu remarque cette fois parce que ses principaux ennemis étaient absents. Ce ne fut que lorsqu'il termina l'instruction du sabbat que la multitude apprit qui il était et qu'on se mit à parler çà et là du Galiléen. En ce moment il n'était question à Jérusalem que de l'écroulement de l'aqueduc, de l'inimitié d'Hérode et de Pilate et du départ de celui-ci pour Rome : on ne parlait guère d'autre chose, Pas même de la mort de Jean. De même on ne s'occupait pas beaucoup de Jésus quand il n'y avait pas quelque incident qui fît du bruit. Les choses se passaient là comme dans d'autres villes. Quelques-uns disaient : " il paraît que Jésus le Galiléen est ici en ce moment " : à quoi d'autres répondirent que s'il n'avait pas avec lui des milliers d'hommes, il ne pourrait rien faire à Jérusalem.
Avant le départ de Pilate, j'entendis un entretien qu'il eut avec ses fonctionnaires ; on parla de Jésus le Galiléen qui opérait de si grands prodiges ; il devait être, disait-on, dans le voisinage de Jérusalem. " Traîne-t-il beaucoup de monde à sa suite et sont ce des gens armés "? demanda Pilate. " Non, " lui répondit-on, " il n'est accompagné que d'un petit nombre d'écoliers paisibles et de gens sans emploi et de petite condition : souvent aussi il va tout seul, il prêche sur des montagnes ou dans des synagogues ! Il guérit des malades et donne des aumônes. Il vient souvent un peuple nombreux à ses prédications, cela va quelquefois à plusieurs milliers d'hommes ! - " Ne prêche-t-il pas contre l'empereur "? demanda encore Pilate. " Non ", répondirent-ils, " il prêche la réforme des moeurs et la miséricorde. Il dit aussi qu'on doit donner à l'empereur ce qui est à lui et à Dieu ce qui est à lui, mais il paraît qu'il parle souvent de son royaume et annonce qu'il est proche ". Là-dessus Pilate répondit : " Tant qu'il ne parcourt pas le pays pour faire ses miracles avec des gens de guerre ou une nombreuse multitude armée, il n'y a pas à s'inquiéter de lui. Quand il aura quitte l'endroit où il aura fait des prodiges pour aller dans un autre, on l'oubliera et on en dira du mal : j'entends dire que les prêtres juifs eux-mêmes déblatèrent contre lui. Il n'est pas dangereux. Mais s'il courait le pays avec un grand nombre de gens armes, il faudrait y mettre ordre ".
Hérode se préoccupa davantage de Jésus, il témoigna le désir de le voir et demanda si ce n'était pas Jean Baptiste ressuscité d'entre les morts. (Mt 14,1-2 Mc 6,14 Lc 9,7.) Mais ce ne fut, à ce que je crois, que lorsque Jésus se montra de nouveau en Galilée.
Je vis ce soir, après leur retour à Béthanie, Jésus, ses disciples et ses amis assister à un repas dans la maison de Simon. Simon n'y était pas présent, la lèpre commençait à l'envahir, il était couvert de taches rouges et se tenait renferme dans un appartement retiré, enveloppé d'un manteau blanc. Jésus s'entretint avec lui. Simon avait l'air de ne pas vouloir encore faire connaître sa maladie, mais il ne pourra pas la cacher bien longtemps. Il ne se montrait qu'avec réserve. Je vis ensuite Jésus dans la maison de Lazare où il s'entretint avec les saintes femmes et prit congé d'elles.
Les disciples ne revinrent de Juta qu'à une heure avancée de la nuit : ils étaient partis après la clôture du sabbat. Ils racontèrent à Jésus comment ils avaient enlevé de Machérunte le corps de Jean et comment ils l'avaient enterré près de son père. Les deux soldats de Machérunte étaient avec eux et Jésus leur parla. Lazare les tint cachés chez lui et voulut se charger d'eux.
Jésus dit à ses disciples : "Nous allons nous retirer dans un lieu solitaire pour prendre un peu de repos et pleurer, non sur la mort de Jean, mais sur ce qu'il a fallu que les choses en vinssent là. "Je me demandai alors comment il allait se reposer : car j'avais vu que les apôtres et les autres disciples étaient arrivés aujourd'hui chez Marie, à Capharnaüm, qu'il était venu une foule de peuple innombrable de tous les endroits où ils étaient allés, ainsi que de contrées plus éloignées, de la Syrie et de Basan, et que près de Chorozaim, la montagne des Béatitudes était couverte de gens qui y campaient attendant Jésus.

(26 janvier.) Aujourd'hui Jésus quitta Béthanie de très bonne heure avec les six apôtres et plusieurs disciples : ils étaient plus d'une vingtaine. Ils marchèrent sans faire de séjour nulle part, se reposant rarement et évitant tous les lieux habités : ils firent ainsi environ onze lieues jusqu'à Lebona, située au pied du mont Garizim du côté du midi. Saint Joseph a travaillé là en qualité de charpentier avant ses fiançailles avec Marie et il avait conservé des relations l'amitié dans cet endroit.
Je vis Jésus avec sa nombreuse suite arriver assez tard au lieu où saint Joseph avait eu son atelier. Il y avait d'un des côtés de la ville, sur un contrefort de la montagne, un château isolé où l'on allait de Lebona par un chemin montant qui passait entre des maisons et de vieilles murailles. L'atelier de Joseph était sur ce chemin. Ce fut dans cet endroit solitaire, que Jésus entra avec tous ses disciples chez des gens de bien qui ne l'attendaient pas, mais qui, malgré l'heure avancée, l'accueillirent avec une grande joie et un grand respect : je crois que c'était une famille de Lévites. La synagogue était un peu plus haut : l'hôte de Jésus était un Lévite.

(Lundi 27 janvier.) Jésus et les disciples quittèrent Lebona de grand matin : ils marchèrent tout le jour à grands pas, traversant la Samarie et se dirigeant au nord-ouest vers le Jourdain. Ils passèrent par Aser-Michmethath et s'arrêtèrent quelque temps dans Leur hôtellerie à Aser ; cette ville est à une lieue du Jourdain et à deux lieues de Thirza. Le soir, ils allèrent jusqu'à Thirza, ville située dans une charmante contrée, à une demi-lieue du Jourdain et à deux lieues d'Abelmehola.

(28 janvier.) La fête qui avait commencé à Jérusalem se célébrait partout sur le chemin : hier, à Bezech on se livrait à toute espèce de réjouissances : il en était de même aujourd'hui à Thirza lorsque Jésus entra dans une hôtellerie, située devant la ville. Il y avait des jeux publics et des arcs de triomphe très ornés. Les gens de l'endroit jouaient en plein air et sautaient à l'envi par-dessus des guirlandes de feuillage, comme font les enfants chez nous. Ils avaient près d'eux de grands tas de blé et de fruits et en faisaient des distributions aux pauvres. Thirza est divisée en deux parties : elle est située sur un plateau élevé où le sol est très accidenté. Depuis la destruction de cette ville, qui a eu lieu à une époque antérieure, les habitations y sont très disséminées, si bien qu'un quartier qui en dépend s'étend jusqu'au Jourdain sur une longueur d'une demi-lieue. Le site est extraordinairement agréable. Les environs sont couverts de ; verdure, et il y a tant d'arbres et de vergers qu'on ne peut voir la ville que lorsqu'on est arrivé à l'entrée. Thirza est tellement coupée de jardins et d'emplacements vides que le quartier le plus éloigné du Jourdain ressemble bien moins à une ville qu'à des groupes de maisons séparées, dispersées entre des jardins et des restes de murs La partie qui s'étend vers le Jourdain est la mieux conservée et elle forme une agglomération qui est bien aussi considérable que Dulmen. Elle est bâtie à une telle hauteur au-dessus d'une vallée qu'elle repose sur des piliers et qu'une grande route passe au dessus comme au-dessous d'un pont. Ce chemin est charmant ; la vallée, toute plantée d'arbres touffus, offre sous ses ombrages des abris pleins de fraîcheur par delà lesquels l'oeil se perd dans un horizon lointain
Thirza est située sur une plate-forme de peu de largeur : on y a une vue extraordinairement belle sur les montagnes qui sont au delà du Jourdain. On voit vis-à-vis de soi la ville de Jogbeha, cachée dans les bois et située un peu plus au nord : " droite le regard plonge dans la Pérée et on peut voir par-dessus la mer Morte une vaste étendue de pays jusqu'à Machérunte. On a plusieurs points de vue sur le Jourdain : on voit ça et là, aux endroits où il change de direction, ses eaux briller au milieu de la verdure de ses rives comme de longs rubans argentés. Au couchant s'élèvent de hautes montagnes qui séparent Thirza de Dothan. Abelmehola est à deux lieues au nord-ouest, dans une gorge située au midi de celle où Joseph fut vendu par ses frères. Tout autour de Thirza on voit une quantité de jardins verdoyants et de vergers pleins d'arbres fruitiers, de baumiers étalés en espaliers le long des terrasses, et aussi de ces arbres ou croissent les pommes de paradis (Esroghim) qui figurent à la fête des Tabernacles. Il faut à ces arbres des terrains excellents et exposés au soleil : ils viennent bien ici. On cultive en outre la canne à sucre, une espèce de lin à longs filaments jaunes qui ressemblent à de la soie, le cotonnier et une sorte de céréale à tiges très épaisses où il y a de la moelle. La culture de ces vergers est l'occupation principale des habitants de ce pays : plusieurs aussi livrent au commerce du lin, de la laine et des cannes à sucre, après leur avoir lait subir une première préparation grossière. La route qui passe sous la ville est la route militaire et commerciale qui conduit dans la vallée du Jourdain à Tarichée et à Tibériade : elle s'enfonce souvent entre des collines comme un chemin creux et il en est de même ici où la ville est bâtie au-dessus d'elle sur des piliers.
Au centre de la ville, c'est-à-dire dans son ancienne enceinte, se trouve, à une assez grande hauteur, une immense place vide au milieu de laquelle s'élève un bâtiment d'une étendue considérable avec des murs épais, plusieurs cours et des espèces de tours rondes, dans l'intérieur desquelles il y a aussi des cours. C'est l'ancien palais en ruines des rois d'Israël : une partie couvre le sol de ses décombres, l'autre est disposée de manière à servir d'hôpital et de prison. Certaines portions de l'édifice ne sont plus que des ruines recouvertes de végétation et au milieu desquelles on a même établi des jardins. Sur la place qui est devant ce bâtiment il y a un puits : l'eau monte dans des outres de cuir à l'aide d'une roue qu'un âne fait tourner, et elle se déverse dans un grand bassin d'où elle coule de tous les côtes par des rigoles dans des réservoirs placés à une grande distance, en sorte que chaque quartier de la ville a le sien.
Jésus et sa suite rencontrèrent près de ce puits cinq disciples d'au delà du Jourdain : c'étaient les deux jeunes gens guéris d'une possession incomplète, ces deux autres hommes desquels Jésus avait chassé les démons qui étaient entrés dans les pourceaux, et encore un cinquième. Conformément aux ordres de Jésus, ils avaient parcouru les pays des Géraséniens et la Décapole, racontant leur guérison et le prodige des pourceaux, guérissant eux-mêmes des malades et annonçant l'avènement du royaume de Dieu. Ils embrassèrent les disciples et se lavèrent les pieds les uns aux autres près du puits. Jésus venait d'une maison située en avant de la ville où il avait passé la nuit avec les autres disciples. Les nouveaux arrivés apportèrent la nouvelle que tous les disciples qu'il avait envoyés dans la haute Galilée étaient de retour à Capharnaüm : ils dirent aussi qu'une grande foule de peuple était campée dans les environs et l'attendait.
Jésus entra avec ses disciples dans le palais pour parler au directeur de l'hôpital et il témoigna le désir d'être introduit auprès des malades. Le directeur l'introduisit, et Jésus parcourut les salles et les cours, entrant dans les cellules et les réduits où se trouvaient des malades de toute espèce ; il enseigna, consola et guérit. Quelques-uns des disciples se tenaient près de lui : d'autres aidaient à lever, à porter et à conduire les malades, d'autres enfin étaient dans d'autres pièces, guérissaient eux-mêmes et préparaient les malades. Il y avait dans une cour plusieurs possédés enchaînés : ils crièrent et firent du bruit quand Jésus entra dans la maison et il leur commanda de se tenir tranquilles.
Plus tard il alla à eux, les guérit et chassa les démons. Il y avait aussi des lépreux dans une partie du bâtiment tout à fait séparée du reste et il les guérit, mais il alla seul les visiter. Les gens qui étaient de Thirza même furent recueillis par leurs familles. Jésus leur fit donner à boire et à manger, et il fit aussi distribuer aux pauvres des vêtements et des couvertures qui avaient été apportés de Bezech, par les disciples, d'abord à l'endroit où Jésus avait passé la nuit devant Thirza, de là enfin à l'hôpital.
Jésus alla aussi à la tour des femmes. C'est un édifice circulaire très élevé avec une cour au centre. De cette cour, comme aussi de l'extérieur de l'édifice, on monte aux étages supérieurs à l'aide de marches encastrées dans le mur et faisant saillie au dehors. Dans l'intérieur du bâtiment il y a de petits escaliers semblables aux nôtres. Les chambres qui donnaient sur l'extérieur étaient occupées par des femmes affligées de maladies de toute espèce. Jésus en guérit beaucoup. Dans les chambres qui donnaient sur la cour intérieure, laquelle est fermée par une porte, se trouvaient les détenues : les unes étaient en prison pour cause de désordres scandaleux, les autres pour avoir parlé avec trop de liberté : d'autres n'étaient coupables d'aucun délit. Ce bâtiment renfermait aussi beaucoup de malheureux hommes condamnés à un emprisonnement plus ou moins rigoureux, les uns pour dettes, les autres comme prévenus d'avoir pris part à des mouvements séditieux : il y en avait aussi plusieurs qui étaient victimes d'inimitiés ou de vengeances particulières, ou qu'on avait mis là pour s'en débarrasser. Plusieurs étaient tout à fait oubliés et dépérissaient dans leurs cachots. Les malades guéris et d'autres personnes adressèrent à ce sujet de vives plaintes à Jésus. Il savait bien ce qui en était, et s'il était venu là, c'était principalement à cause de toutes les misères qui s'y trouvaient réunies.
Il y a dans cette ville beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens, et parmi ces derniers plusieurs sont Hérodiens. Quant à la prison, elle est gardée par des soldats romains et elle a un préposé romain. Devant les diverses prisons se trouvent des habitations de surveillants et de soldats. Jésus s'adressa à eux et ils le laissèrent voir ceux des prisonniers avec lesquels il était permis de communiquer : Jésus écouta les plaintes de tous sur ce qu'ils avaient à souffrir, leur fit donner des rafraîchissements, les enseigna, les consola, et comme plusieurs lui firent l'aveu de leurs péchés, il les leur remit. Il promit aux prisonniers pour dettes et à beaucoup d'autres qu'ils seraient délivrés ; aux autres que leur sort serait adouci.
Jésus alla ensuite voir le commandant romain qui n'était pas un méchant homme : il lui parla des prisonniers d'une façon très grave et très touchante, s'engagea à payer leurs dettes et à donner caution pour quelques-uns dont il affirma l'innocence ou garantissait l'amendement. Il demanda en outre à parler à un certain nombre d'entre eux qui étaient condamnés à une détention longue et rigoureuse. Le préposé écouta Jésus avec beaucoup de déférence, mais il lui représenta que tous ces prisonniers étaient des Juifs et que leur détention tenait à des circonstances à raison desquelles il ne pouvait accepter ses offres, et l'autoriser à voir ces gens avant de s'être entendu avec les magistrats juifs et les Pharisiens de la ville. Jésus lui dit qu'il viendrait le voir avec les magistrats lorsqu'il aurait enseigné à la synagogue. Il alla ensuite visiter les femmes prisonnières, qu'il consola et qu'il exhorta, reçut aussi les aveux et les protestations de repentir de plusieurs d'entre elles, auxquelles il remit leurs péchés ; puis enfin leur fit distribuer des présents et leur promit de les réconcilier avec leurs familles.
Jésus avait travaillé depuis neuf heures du matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi dans cette maison pleine de douleurs et de misères ; il l'avait rempli de joie et de consolation dans un jour où elle seule était condamnée à la tristesse pendant que tout le reste de la ville était dans la jubilation : car c'était le premier des jours de réjouissance que Salomon avait ajoutés à la fête d'Ennoroum à l'occasion des présents de la reine de Saba, et hier soir déjà, Jésus avait vu célébrer à Bezech le sabbat de ce premier jour. Ici aussi, les réjouissances étaient générales dans le quartier le plus habité de Thirza : il y avait également des arcs-de-triomphe ; des luttes à qui sauterait le mieux et courrait le plus vite, et des monceaux de blé dont on faisait des distributions. Au contraire, un même silence régnait dans la demeure des malades et des prisonniers : Jésus seul pensa à eux et leur apporta la joie véritable. Il mangea avec les disciples dans la maison située devant la ville un peu de pain, de fruits et de miel : il en envoya quelques-uns à la prison avec des provisions et des rafraîchissements de toute espèce pendant qu'il se rendait à la synagogue avec les autres.
Le bruit de ce qu'il avait fait à l'hospice s'était déjà répandu dans toute la ville. Beaucoup de malades guéris par lui y étaient revenus et allèrent à la synagogue, d'autres étaient rassemblés devant cet édifice et Jésus ainsi que les apôtres en guérirent encore là un grand nombre. Il se trouvait dans la synagogue des Pharisiens et des Sadducéens et parmi eux plusieurs qui étaient en secret Hérodiens. Il y en avait quelques-uns qui étaient venus de Jérusalem pour se récréer et tous étaient pleins de fiel et de ressentiment contre lui, parce que sa manière d'agir était pour eux un sanglant reproche. L'école était pleine de monde : il était même venu à sa suite des gens de Bezech. Jésus parla de la fête et de son but, qui était de se récréer soi-même et de réjouir les autres en leur faisant du bien. Il enseigna aussi sur celle des huit béatitudes où il est dit : " Bienheureux les miséricordieux ", et raconta la parabole de l'enfant prodigue qu'il avait déjà racontée aux prisonniers : il parla aussi de ceux- ci et des malades, dit combien ils étaient négligés et oubliés et comment d'autres s'enrichissaient de ce qui était destiné à leur entretien. Il parla en termes sévères des administrateurs de ces établissements, dont quelques-uns se trouvaient parmi les Pharisiens présents, et l'écoutèrent avec une colère muette. Il appliqua la parabole de l'enfant prodigue à ceux qui étaient en prison pour leurs méfaits et qui s'en repentaient, afin de leur concilier ceux de leurs proches qui se trouvaient présents : tout le monde fut très ému. Il raconta aussi la parabole du roi miséricordieux et du serviteur sans pitié et l'appliqua à ceux qui laissaient languir les pauvres gens en prison pour de petites dettes, tandis que Dieu jusqu'à présent leur en avait remis à eux-mêmes de si considérables.
Il y avait là beaucoup d'Hérodiens cachés qui avaient contribué par des chicanes de toute espèce à faire mettre ces pauvres gens en prison. Jésus les désigna indirectement dans le discours qu'il fit le soir contre les Pharisiens et où il s'exprima en ces termes : " il y en a plusieurs parmi vous qui savent peut-être ce qu'on a fait de Jean ". Les Pharisiens se déchaînèrent encore contre Jésus et dirent entre autres choses qu'il faisait la guerre avec l'aide des femmes et parcourait le pays avec elles, mais qu'il ne conquerrait pas de grand royaume avec une pareille armée
Cependant Jésus exigea des magistrats qu'ils allassent avec lui trouver le fonctionnaire romain chargé de la surveillance des prisonniers et il demanda à payer les dettes de ceux qui étaient tout à fait abandonnés. Tout cela fut dit publiquement devant une nombreuse assistance et les Pharisiens ne purent pas s'y opposer. Lorsque Jésus avec ses disciples alla trouver les surveillants romains, il fut suivi par beaucoup de personnes qui le vantaient hautement. L'inspecteur se montra beaucoup mieux disposé que les Pharisiens qui, par malice, exagérèrent beaucoup le montant des dettes : Jésus fut obligé de payer pour plusieurs le quadruple de ce qu'ils devaient. Comme il n'avait pas avec lui la somme nécessaire, il remit en gage une pièce de monnaie triangulaire à laquelle était suspendu un morceau de parchemin sur lequel il écrivit quelques mots, s'engageant à paver le tout à l'aide de ce que devait rapporter la vente du bien de Magdalum dont Lazare avait l'intention de se défaire. Tout ce qui devait en revenir était destiné par Madeleine et par Lazare à secourir des pauvres, des prisonniers pour dettes. et des pécheurs. Or, Magdalum était un bien plus considérable que Béthanie. Les côtés de la pièce de monnaie triangulaire avaient bien trois pouces de longueur : une inscription gravée au milieu en indiquait la valeur. Elle était suspendue par une de ses extrémités à une espèce de chaîne de métal qui n'avait qu'un petit nombre d'anneaux et à laquelle l'écrit était attaché.
Quand ceci fut fait, le surveillant fit élargir les pauvres prisonniers, auxquels Jésus et ses disciples donnèrent charitablement leurs soins. Plusieurs furent retirés de sombres cachots : leurs vêtements étaient en lambeaux ; ils étaient à moitié nus et couverts de leurs longs cheveux. Les Pharisiens se retirèrent pleins de rage. Plusieurs de ces gens étaient affaiblis et malades ; ils se jetèrent en pleurant aux pieds de Jésus, qui les consola et leur fit des exhortations. Il leur donna des vêtements, leur fit prendre un bain et de la nourriture, et s'occupa de leur procurer, dans l'enceinte de l'édifice où étaient la prison et l'hospice, des logements où ils devaient être libres, quoique soumis à une certaine surveillance, jusqu'à ce que le payement fût soldé, ce qui ne devait pas tarder au delà de quelques jours. Il en fut de même pour les femmes détenues. Tous prirent de la nourriture : Jésus et les disciples les servirent et racontèrent de nouveau la parabole de l'enfant prodige.
C'est ainsi qu'il y eut un jour de joie pour cette maison ; tout ce qui se passa en cette occasion sembla être une figure prophétique de la délivrance des patriarches retenus dans les limbes, ou Jean, après sa mort, annonça l'approche du Rédempteur. Jésus et les disciples passèrent encore la nuit dans la maison qui est devant Thirza.
Ce qui s'était passé à Thirza fut rapporté à Hérode, et ce fut là ce qui attira son attention sur Jésus, si bien qu'il dit de lui : " C'est Jean ressuscité d'entre les morts ", et que plus tard il témoigna le désir de le voir. Hérode, il est vrai, avait su quelque chose de Jésus soit par Jean, soit par le bruit public ; toutefois, il ne s'en était pas beaucoup préoccupé ; mais à présent, que sa conscience le tourmentait, il faisait attention à tout. Il réside à Hésebon, et il a réuni autour de lui tous ses soldats ; il a aussi des soldats romains qu'il paie. Ceux qui tenaient garnison à Giscala, à Tibériade et ailleurs, sont tous campés autour de sa résidence. Je m'imagine qu'il sera bientôt en guerre avec Arétas, le père de sa première femme.
(29 janvier.) Ce matin, Jésus, accompagné de ses disciples, se mit de très bonne heure en route pour Capharnaüm ; il y a dix-huit lieues de chemin. Ils ne remontèrent pas la vallée du Jourdain, mais passèrent plus à l'ouest au pied des montagnes de Gelboë et traversèrent la vallée à l'endroit où se trouve Abez. Ils marchèrent ainsi, évitant toutes les villes et laissant le Thabor à gauche, jusqu'à une des hôtelleries qui sont près du lac de Béthulie. Ils avaient fait à peu près autant de chemin qu'il y en a de Billerbeck à Bockholt. Quelques-uns des Pharisiens de Thirza partirent aussi pour Capharnaüm où beaucoup sont déjà arrivés pour y prendre leurs vacances. Pendant ce voyage, il y eut un peu de brouillard dans la montagne.
Hier, Jeanne Chusa, Séraphia (Véronique), et une parente de Jean-Baptiste sont arrivées à Machérunte, venant d'Hébron. Jeanne Chusa a là beaucoup de connaissances parmi les femmes des employés. Elles ont fait des tentatives pour obtenir, par de bonnes paroles et des présents, la tête de Jean ; car il leur est douloureux de penser que cette sainte tête gît ignominieusement dans un cloaque immonde au lieu d'être réunie à son corps. On a su où elle était par ce qu'ont rapporté les servantes d'Hérodiade, mais on ne peut pas y parvenir, car c'est un cloaque souterrain On leur a pourtant assuré, sous main, qu'elles pourraient l'avoir quand le cloaque serait ouvert et vidé ; ce qui doit se faire aussitôt que la chose sera possible, sans exciter l'attention. J'ai vu la tête : elle n'est pas enfouie sous les immondices, mais elle s'est arrêtée sur une pierre qui fait saillie hors du mur, comme si on l'y avait déposée à dessein.


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - CHAPITRE SEPTIEME - Décollation de saint Jean- Baptiste (Du 8 janvier au 18 janvier 1823.)