Brentano: Visions de la Bse Emmerich - SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE. 27 décembre 1820.


J'eus plusieurs visions sur Jean, mais je ne puis pas les rapporter d'une manière suivie et j'ai oublié beaucoup de choses. Je n'ai pas vu aujourd'hui son martyre dans une chaudière d'huile bouillante à Rome, mais je l'ai vu plusieurs fois dans d'autres occasions. J'ai vu que Jean resta toujours près de Marie tant qu'elle vécut et ne la quitta jamais. C'était toujours lui qui lui donnait la sainte communion ; il faisait avec elle le chemin de la croix, la bénissait et recevait ensuite sa bénédiction : il était comme un fils pour Marie et par conséquent dans des rapports plus intimes avec elle qu'aucun des autres. Il conduisit Marie à Ephèse dans la cinquième année qui suivit la mort de Jésus-Christ. Jacques le Majeur a souffert le martyre huit ans environ après l'Ascension, mais Marie est morte beaucoup plus tard. Elle est arrivée à un âge très avancé et Jacques le Majeur n'était pas présent à sa mort, je le vois maintenant bien clairement : il y avait à sa place un des anciens disciples.

Je vis une fois Jean aller la nuit avec deux disciples dans une cabane voisine d'Ephèse où l'attendaient des gens qui arrivaient des environs de Cédar : ils étaient de la famille de deux vieux époux que Jésus avait guéris lors du voyage qu'il fit après la résurrection de Lazare (tome V, page 320). Je vis baptiser là deux jeunes gens et un petit garçon d'environ deux ans qui était sur le sein de sa mère et nu jusqu'à la ceinture. Jean versa de l'eau sur lui et la mère l'en frotta comme si elle l'eût lavé. Je vis qu'ayant pris avec lui les deux jeunes gens et quelques disciples, il fit un voyage à Cédar ; toutefois il n'alla pas dans le quartier des païens qui est au delà de la rivière, mais il la remonta du côté où il se trouvait. Je crois qu'il alla alors dans le désert où je le vis écrire, couché sous un arbre : ses disciples avaient des rouleaux et des roseaux dont on se servait pour écrire.

J'eus une vision où je vis Jean surveillé par deux soldats comme un prisonnier, traverser un certain quartier d'Ephèse et visiter une maison où demeuraient des gens de bien et où il allait souvent. Je vis des jeunes gens rassemblés sur une place où il devait passer ; c'étaient je crois des philosophes, quelque chose comme des étudiants. Leur maître avait tenu des discours contre Jean et ils voulaient se railler de lui. Comme Jean avait prêché sur le mépris des richesses, ils avaient échangé ce qu'ils possédaient contre de l'or et des pierres précieuses qu'ils avaient brisés en petits morceaux et ils les semaient sur son passage par dérision, afin de montrer par là qu'ils n'avaient pas besoin d'être chrétiens pour mépriser ce qu'ils possédaient et qu'ils pouvaient le faire tout en restant païens. Je vis que lorsque Jean arriva, ils le poursuivirent de leurs railleries : alors il s'arrêta et leur dit que ce n'était pas là du renoncement mais une folle et ruineuse prodigalité : comme il leur donnait à ce sujet de sages enseignements, l'un d'eux lui dit que s'il pouvait rassembler ces fragments et les rétablir dans leur premier état, ils croiraient à son Dieu. Je vis qu'il leur demanda de les ramasser eux-mêmes et de lui apporter tout ce qu'ils pourraient en retrouver : quand ils l'eurent fait, il se mit en prières : les morceaux reprirent leur première forme et il les leur rendit. Alors ils se prosternèrent devant lui : il leur indiqua des pauvres auxquels ils pourraient donner tout cela et ils embrassèrent la foi chrétienne.

Je vis aussi une histoire dont je ne me rappelle que ce qui suit : deux hommes qui avaient donné leurs biens aux pauvres pour suivre Jean, ayant vu leurs esclaves revêtus de beaux habits, se repentirent de s'être mis à la suite de Jésus-Christ. Je vis Jean par la prière changer en or et en pierreries des branchages coupés dans la forêt et des cailloux ramassés sur le bord de la mer, puis il leur donna tout cela afin qu'ils pussent racheter les biens dont ils s'étaient dépouillés. Comme il leur adressait à ce sujet de graves avertissements, le convoi d'un jeune homme mort récemment vint à passer et les gens qui l'accompagnaient en pleurant supplièrent l'apôtre de le rappeler à la vie. Jean, s'étant mis en prière, le ressuscita et lui ordonna de dire à ces disciples ébranlés dans leur foi, ce qu'il savait de l'état de leur âme. Le ressuscité leur raconta sur l'autre monde des choses si effrayantes, qu'ils résolurent de faire pénitence. L'apôtre leur prescrivit des jeûnes et leur rendit leur place parmi ses disciples : l'or et les pierreries redevinrent des branchages et des pierres et on jeta le tout à la mer.

Je vis qu'un très grand nombre de personnes se convertirent et que Jean fut arrêté. Un prêtre des idoles lui déclara que s'il buvait une coupe remplie de poison, il croirait en Jésus et lui rendrait la liberté. On lui lia les mains et deux soldats le conduisirent, attaché par des cordes, sur une place où siégeait le juge entouré d'une grande foule. Je vis aussi qu'on fit boire le poison à deux condamnés à mort, et qu'ils tombèrent morts après l'avoir bu. Je vis deux hommes habillés d'une façon bizarre préparer le poison dans une salle. Tous les autres étaient revêtus d'amples manteaux qui les enveloppaient : mais ces hommes avaient un vêtement court et serré, des lanières autour des jambes et des espèces de poches suspendues à la ceinture : ils portaient aussi des capuchons Je les vis écraser avec un pilon des fruits rouges, des plantes vertes et de petites tranches de roseau grosses comme le doigt dans un vase qui avait quelque ressemblance avec le calice dont Jésus s'était servi à la sainte cène : ils portèrent la coupe aux lèvres de Jean pour qu'il y bût, car ayant les mains liés, il ne pouvait pas la prendre lui-même. Je vis que Jean avant prié et prononcé quelques paroles sur la coupe, il en sortit une vapeur noire en même temps qu'une lumière descendit du ciel sur lui, Jean but le poison sans s'émouvoir et il ne lui fit aucun mal. Je vis le prêtre des idoles lui demander en outre de ressusciter les deux hommes qu'on avait fait mourir, Jean lui donner son manteau pour qu'il le jetât sur eux en prononçant certaines paroles qu'il lui indiqua, et enfin les deux morts ressusciter. Je vis qu'alors la ville se convertit presque tout entière et qu'on remit Jean en liberté.

Je vis aussi un temple s'écrouler à Ephèse, un jour qu'on voulait forcer Jean à sacrifier. Il vint comme un orage sur le temple, le toit s'effondra, il sortit de toutes les ouvertures des nuages de poussière et de vapeur et les idoles fondirent.

Je vis à Ephèse une païenne dont le mari avait été converti au christianisme par Jean peu de temps auparavant. Elle n'avait pas d'enfants et c'était une femme d'une grande beauté. Elle s'était montrée faible envers un jeune homme de distinction de la ville qui l'aimait passionnément, s'était souvent entretenue avec lui pendant l'absence de son mari, lui avait fait certaines promesses incompatibles avec ses devoirs : cependant elle n'en était pas encore venue à une infidélité formelle. La passion de ce jeune homme la mettait dans une grande perplexité : sur ces entrefaites elle se convertit, reçut le baptême, et confessa ses péchés à Jean, qui lui en donna l'absolution. Elle était pénétrée de repentir et désireuse d'expier ses fautes par la pénitence : son mari qui n'en savait pas la raison s'en chagrinait beaucoup. Le jeune homme, en païen qu'il était, ne voulut pas tenir compte du changement qui s'était fait en elle et il trouva moyen de s'introduire dans son appartement par des voies dont il avait fait usage antérieurement : il la trouva assise sur un lit de repos. Il lui fit de vifs reproches et la somma, avec toutes sortes de menaces et d'emportements de tenir la promesse qu'elle lui avait faite. Elle le conjura de s'éloigner et se comporta tout à fait en chrétienne. Tout à coup elle entendit venir son mari. Le jeune homme s'enfuit et elle fut saisie d'une telle terreur qu'elle en tomba malade et mourut bientôt après. Son mari fut très affligé, d'autant plus que sa femme était morte dans des sentiments de tristesse profonde. La sépulture où on déposa son corps se composait de plusieurs galeries souterraines : on voyait là, couchés sur des bancs de pierre, plusieurs cadavres que l'on recouvrait ensuite. Il s'y trouvait aussi un petit autel de pierre sur lequel on disait la messe pour les défunts ainsi déposés, pendant les premiers jours qui suivaient leur mort, après quoi on recouvrait les couches funéraires. Le jeune homme poussé par sa folle passion gagna à prix d'argent l'intendant du mari pour se faire introduire dans le sépulcre. Ce méchant homme fit ce qu'il désirait et resta pour l'attendre dans une galerie latérale. Je vis le jeune homme se précipiter les bras ouverts sur le corps de la défunte, mais je vis près d'elle une figure brandir contre lui comme une épée flamboyante et disparaître. Alors le jeune homme tomba mort en poussant un cri. L'intendant accourut et fut tellement terrifié à cette vue qu'il tomba à son tour sans connaissance. Jean étant venu avec le mari et d'autres chrétiens pour célébrer l'office des morts et offrir le saint sacrifice, ils trouvèrent à leur grand étonnement ces deux corps inanimés. Je vis Jean se mettre en prière et ressusciter le jeune homme qui, touché d'un profond repentir, confessa sa faute à Jean et à tous les assistants et raconta ce qui lui était arrivé. Il se trouva entièrement guéri de sa passion, se convertit et devint un excellent chrétien : plus tard même il souffrit le martyre. Après le saint sacrifice de la messe, la femme aussi fut ressuscitée par les prières de Jean. Quant à l'intendant, il n'avait eu qu'un coup de sang : et il reprit connaissance, quoiqu'ayant encore les membres paralysés. Cet homme était un grand scélérat : il ne se convertit pas et mourut misérablement.

La femme vécut encore quelque jours : elle donna des avertissements à plusieurs autres personnes et raconta ce qu'elle avait vu après sa mort, ce qui amena la conversion d'un grand nombre de païens. Elle tint des discours très énergiques et dit des choses très effrayantes.

Je vis encore une autre histoire, celle d'un Juif converti qui n'était que catéchumène et qui était tombé dans la misère pendant l'absence de Jean. Comme il avait des créanciers qui le tourmentaient cruellement, un méchant Juif lui dit qu'il ferait bien de s'empoisonner, car sans cela il était menacé de rester jusqu'à sa mort dans la prison pour dettes. Je vis ce malheureux dans son désespoir boire trois fois du poison dans une coupe de bronze : mais Jean lui avait appris à faire le signe de la croix sur tout ce qu'il buvait et mangeait, et ce breuvage ne lui fit aucun mal, malgré l'intention qu'il avait de s'empoisonner. Cependant Jean étant revenu, il exposa sa détresse à l'apôtre qui lui fit connaître à quel point il avait été criminel et il fut saisi d'un repentir très vif. Alors Jean fit le signe de la croix sur ce vase de bronze où il avait bu le poison et le lui rendit changé en or pour payer ses dettes. Cet homme est devenu par la suite disciple de Jean et évêque de cette ville où Jean rencontra pour la première fois le jeune garçon qu'il alla plus tard chercher au milieu d'une bande de voleurs.

J'ai vu aussi comment Jean rencontra, à l'entrée d'une ville, un jeune garçon qui gardait un troupeau : s'étant entretenu avec lui, il reconnut sous ses dehors incultes et sauvages des qualités précieuses et il lui dit d'appeler ses parents. Je vis venir le père et la mère, qui étaient de pauvres bergers : tous deux avaient des houlettes à la main. Jean leur demanda l'enfant pour l'élever et il l'obtint facilement. Il avait dix ans. Il le conduisit à l'évêque de Berce qu'il chargea de son éducation et auquel il dit qu'il le lui redemanderait un jour. Au commencement tout alla bien : mais plus tard on laissa l'adolescent courir de côté et d'autre et il finit par se joindre à une bande de brigands. Lorsque Jean revint et le redemanda ; on lui dit qu'il était dans la montagne parmi les brigands. L'apôtre monta sur un mulet, car il était vieux et le chemin de la montagne était escarpé, et lorsqu'il eut trouvé le jeune homme qui avait alors environ vingt ans, il le supplia à genoux de se convertir. Il le ramena avec lui, institua un autre évêque et fit faire pénitence au jeune homme qui dans la suite devint lui-même évêque.

Le 28 décembre Anne Catherine raconta ce qui suit : Jean prit avec lui pour aller en Asie les deux frères de l'enfant qu'il avait baptisé sous le nom de Fidèle : il remonta la rivière qui passe à Cédar jusqu'à l'endroit où, trois ans avant sa mort, il écrivit son Évangile dans la solitude. Les disciples n'étaient pas auprès de lui pendant qu'il écrivait, ils s'en étaient retournés à quelque distance et ils venaient seulement de temps en temps lui apporter des aliments. Je le vis écrire, couché sous un arbre : la pluie tombait autour de lui : mais l'endroit où il se trouvait restait sec et le ciel était serein au-dessus de sa tête. Il est resté longtemps dans ce pays, il y a prêché et converti beaucoup de personnes dans les villes voisines. J'ai oublié les noms de ces villes. Je crois que cette contrée était plus au nord que celle où Jésus passa lors de son voyage chez les rois mages.

De là Jean revint à Ephèse. La plupart des compagnons des rois mages étaient allés en Crète après avoir été baptisés par Thomas : les autres s'étaient établis ailleurs.

Thomas avait institué en Arabie plusieurs évêques pris parmi les sujets des trois rois il y eut un moment où ces évoques ne purent plus suffire à leur tâche parce que beaucoup de gens retombaient dans leur ancienne idolâtrie. Ils écrivirent alors à Jean et il leur envoya les deux frères du jeune Fidèle qui avaient été baptisés sous les noms de Macaire et de Caius ; ils étaient arrives à l'âge d'homme et ils étaient devenus ses disciples. Mais ces évêques lui adressèrent des instances si pressantes qu'il se mit en route lui-même, malgré son grand âge, pour se rendre auprès d'eux. Ils demeuraient encore au delà de la contrée où avait été le camp de Mensor. Je vis Jean chez l'un d'eux, dans le pays de ces Chaldéens qui avaient dans leur temple le jardin fermé, symbole de Marie. Le temple n'existait plus : il y avait là une petite église sur le modèle de la maison de la sainte Vierge à Ephèse : elle avait un toit plat, comme toutes les églises que j'ai vues dans ces premiers temps. Les autres évêques se réunirent en cet endroit : ils prièrent Jean d'écrire chez eux la vie de Jésus et voulurent lui raconter tout ce qu'ils en savaient. Mais il leur répondit qu'il l'avait déjà écrite et qu'il y avait mis tout ce qu'il pouvait écrire sur la terre touchant sa divinité. Pendant qu'il l'écrivait, leur dit-il, il avait presque toujours été comme dans le ciel : il ne pouvait rien y changer. Il leur dit que Macaire et Caïus pouvaient compléter ce qu'avait écrit à ce sujet un disciple, appelé d'abord Eremenzear et plus tard Hermès, lequel avait été le compagnon de voyage de Jésus. Il m'a été dit qu'ils l'avaient fait et que le travail de Macaire s'était perdu, tandis que celui de Caïus existe encore. J'ai su encore beaucoup de choses que j'ai oubliées sur ces livres et sur saint Jean. Il se rendit de là à Jérusalem, puis à Rome et il revint enfin à Ephèse. J'ai oublié une grande partie de tout cela, notamment en ce qui touche les évêques arabes et les écrits de Macaire et de Caius.

J'ai eu aussi une belle vision sur la mort de saint Jean. Il était arrivé à un très grand âge, mais son visage était toujours beau, doux et jeune. Je le vis à Ephèse, dans l'église, si je ne me trompe, rompre le pain et le distribuer pendant trois jours de suite. Je crois aussi que Jésus lui était apparu et lui avait annoncé sa mort prochaine : je ne me souviens de cela que confusément, mais j'ai souvent vu Jésus lui apparaître. Je le vis ensuite devant la ville, entouré de ses disciples, enseigner en plein air sous un arbre ; bientôt il alla seul avec deux d'entre eux dans un joli bosquet situé derrière une petite colline. Il y avait là de beau gazon et on pouvait voir la mer dont l'azur se confondait à l'horizon avec celui du ciel. Il leur montra la terre du doigt : il leur indiquait qu'ils devaient creuser son tombeau ou plutôt y mettre la dernière main ; car cela fut fait si promptement que presque tout le travail devait avoir été fait antérieurement : les outils nécessaires se trouvaient là d'avance. Je le vis retourner près des autres disciples : il leur donna quelques instructions d'un ton très affectueux, fit une prière et leur recommanda de s'aimer les uns les autres. Je vis aussi les deux premiers revenir et l'un d'eux lui dire : " Ah ! mon père, nous croyons que vous allez nous quitter ". Ils se pressèrent tous autour de lui, se prosternèrent à terre et versèrent des larmes : il les exhorta, pria et les bénit. Je vis ensuite qu'il leur ordonna de rester là et qu'accompagné de cinq d'entre eux, il se rendit à l'endroit où était le tombeau. La fosse n'était pas très profonde et sa forme était celle-ci : ()
Elle était revêtue de gazon : il y avait un couvercle en clayonnage, au-dessus duquel l'herbe poussa plus tard et qu'on recouvrit d'une pierre, si je ne me trompe.

Jean, debout sur le bord du tombeau, pria quelque temps les bras étendus ; ensuite il étendit son manteau dans la fosse, y descendit, s'y coucha et pria encore. Je vis une lumière éclatante descendre sur lui. Il dit encore quelque chose : les disciples s'étaient jetés par terre, priant et fondant en larmes. Je vis alors une chose merveilleuse : pendant que Jean couché dans le tombeau s'affaissait doucement et rendait le dernier soupir, je vis une figure lumineuse, tout à fait semblable à lui, se dégager de son corps, comme d'une grossière enveloppe, entrer dans la lumière qui était au-dessus du tombeau et disparaître avec elle. Je vis alors les autres disciples arriver, se prosterner près du corps de l'Apôtre et enfin le recouvrir. Au moment où cette scène venait de disparaître à mes veux, j'eus une vision de la montagne des Prophètes et je vis cette figure que j'y vois si souvent assise sous une tente.


SAINT JEAN (suite.)

Saint Jean dans la chaudière d'huile bouillante à Rome. -- Saint Aquila. -- Le Jeune martyr saint Fidèle.

Lorsque Jean fut jeté dans l'huile bouillante, il prêchait l'Evangile en Italie où l'on s'était saisi de lui. De Pathmos où il était très aimé et où il avait converti beaucoup de personnes, il fit plusieurs excursions, accompagné de ses gardiens, il vint même dans les environs d'Ephèse. Il n'a pas eu à la même époque toutes les visions dont se compose l'Apocalypse et il ne les a pas écrites en une seule fois : il y a eu des intervalles. Il n'écrivit son Evangile que trois ans avant sa mort, étant alors dans l'intérieur de l'Asie. J'ai eu plusieurs visions touchant son martyre à Rome. Je le vis dans une cour ronde entourée d'un simple mur, où il fut dépouillé de ses vêtements et flagellé : il était déjà vieux, mais il avait quelque chose de délicat et de jeune dans son extérieur. Je le vis aussi conduire, près d'une porte de la ville, dans une grande salle circulaire où une haute chaudière assez étroite était placée sur un foyer rond en pierre dans le bas duquel étaient pratiqués des trous. Jean portait un manteau blanc agrafé sur la poitrine, assez semblable au manteau de pourpre dont on revêtit le Seigneur par dérision. Il y avait là un nombre considérable de spectateurs ; on lui retira son manteau : son corps était couvert de plaies saignantes par suite de la flagellation. Deux hommes l'élevèrent au-dessus de la chaudière où il descendit lui-même. L'huile était bouillante : on entretenait le feu avec des rondins de couleur foncée qu'on avait apportés en fagots. Jean y étant resté quelque temps sans qu'il se manifestât chez lui ni souffrance ni lésion, on l'en retira. Son corps était sans brûlure et comme renouvelé : toutes les traces de la flagellation avaient disparu. Plusieurs des assistants se précipitèrent sans crainte vers la chaudière et y puisèrent de l'huile dans de petits vases : je fus étonnée qu'ils ne se brûlassent pas. Jean fut reconduit à l'endroit d'où on l'avait amené. J'ai vu dans des visions précédentes, et entre autres cette nuit, qu'on conserve encore de cette huile en différents lieux. Je vis plus tard bâtir à l'endroit du martyre une grande église où l'on conservait de cette huile.

Note : Anne-Catherine vit ce martyre le 6 mai 1820, jour de la fête de saint Jean devant la porte Latine.

Le 20 juillet 1821, Anne Catherine, parmi plusieurs reliques qui lui avaient été apportées, en reconnut une comme provenant de cet évêque voisin d'Ephèse auquel Jean avait confié l'enfant qui plus tard se fit brigand. Cet évêque était un homme de bien qui eut beaucoup à lutter contre les hérétiques, mais il fut négligent à l'endroit du jeune homme. Il ne fut évêque que six ans, il était en quelque sorte comme un vicaire par rapport à Jean. Son nom est Aquila (elle épela successivement les lettres). Il mourut de mort naturelle. Comme il pleura lorsque Jean lui reprocha sa négligence. Comme il s'agenouilla humblement devant lui ! C'était pendant les dernières années de la vie du saint apôtre : Aquila exerçait les fonctions épiscopales, non pas à Ephèse, mais dans une ville plus éloignée. Il était de Corinthe, et il était marié : il fabriquait des couvertures, des perches et des cloisons en clayonnage. Paul logea chez lui, le convertit, l'emmena avec lui à Ephèse ainsi que sa femme et l'y laissa en qualité de catéchiste. Sa femme instruisait les personnes de son sexe : elle alla jusqu'à Cédar et convertit beaucoup de personnes. Aquila se sépara de sa femme et fut longtemps près de l'évêque d'Ephèse qui succéda à Timothée et qui s'appelait Onésime.

Lorsqu'Aquila vint à Ephèse avec Paul, il était très zélé et sa femme l'était encore davantage. Celle-ci était grande et forte, elle avait le teint brun et quelque chose d'un peu masculin dans je visage. Elle portait sur la tête une coiffure très haute, enveloppée de fine étoffe de laine : cela ressemblait à un verre à boire dans lequel on aurait fait entrer les cheveux et autour duquel on aurait roule des bandes d'étoffe : Thècle aussi était coiffée de la sorte. Plus tard le zèle d'Aquila se ralentit un peu. Avant son voyage, Jean l'établit comme évêque dans un endroit qui était à plusieurs lieues d'Ephèse. Jean était le pasteur suprême pour tout ce pays qu'il visitait régulièrement. Comme il se rendait chez Aquila, il s'arrêta pour enseigner et rencontra ce bel enfant délaissé qu'il confia à Aquila. Au bout de neuf ou dix ans, il le redemanda, et comme il s'était enfui, il alla lui-même le chercher parmi les voleurs. Aquila pleura beaucoup et se corrigea de sa négligence. L'adolescent aussi devint un homme pieux.

J'ai vu, touchant Onésime, qu'il était à Smyrne près d'Ignace lorsqu'on conduisait celui-ci à Rome pour y être martyrisé. Il fut emmené, lui aussi, et souffrit le martyre.

Anne-Catherine eut la vision suivante, provoquée par une relique d'un enfant martyr qu'on avait posée près d'elle le 12 décembre 1820.

Le petit garçon que saint Jean baptisa dans les bras de sa mère était l'arrière-petit-fils de ces deux vieux époux que Jésus avait guéris entre Cédar et l'autre endroit où ils le suivirent ensuite pour assister à une noce (tome V, page 321). Le bisaïeul s'appelait Benjamin et descendait de Ruth en droite ligne : j'ai vu dans une longue série de tableaux l'histoire de celle-ci et de tous ses descendants. Les parents du petit garçon s'appelaient Arab et Mara, ses deux frères aînés Jehu et Machar. Ceux-ci habitaient près d'Ephèse, parmi des chrétiens qui étaient venus là, chassés de la Terre Sainte, et qui s'étaient établis dans un rayon d’à peu près une lieue autour de la maison de Marie. Cette maison leur servait d'église : tous les saints apôtres qui venaient dans le voisinage la visitaient, ainsi que le chemin de la croix et le tombeau de la sainte Vierge qui était encore en très bon état et où les fidèles aimaient il aller prier.

Arab, et Mara avaient été baptisés par Jude Thaddée. J'eus une charmante vision du baptême de leur plus jeune enfant par Jean : après avoir été jeté dans l'huile bouillante à Rome, il était revenu à Éphèse et s'était rendu avec Eremenzear et quelques compagnons dans le district dont il vient d'être parlé : il s'y tint caché quelques jours, ne visitant les habitations que la nuit et célébrant souvent le service divin dans l'habitation de Marie. Je vis Arab et Mara attendre Jean très impatiemment : il était nuit et une lampe brûlait dans la maison qui était faite de matériaux légers : il y avait là quelques autres chrétiens. Je vis Jean frapper à la porte : la joie des parents fut inexprimable. La mère prit l'enfant, qui paraissait être encore à la mamelle ; elle le plaça debout sur elle, le découvrit jusqu'à la ceinture et un homme et une femme lui mirent les mains sur les épaules. L'enfant était très vif et portait ses mains de côté et d'autre. Jean lui versa sur la tête, avec la main, de l'eau puisée dans un bassin : la mère prit un linge et étendit cette eau sur toute la partie supérieure de son corps comme si elle l'eût lavé : Jean prit ensuite dans une petite boîte quelque chose qu'il lui mit dans la bouche en récitant une prière. Il donna à l'enfant le nom de Fidèle. I1 fut ainsi baptisé en bas âge, parce que Jean devait s'éloigner, et que la persécution sévissait contre les chrétiens. Jean prédit que cet enfant serait très fidèle au Seigneur. Il s'en alla d'ici à Pathmos, où je crois qu'il eut beaucoup à souffrir. Il me semble que les frères de Fidèle l'accompagnèrent. Plus tard, lorsque Fidèle eut environ sept ans, je vis tous ces gens aller à Jérusalem pour fuir une persécution : je les y vis vivant pieusement et rendant un culte particulier aux lieux sanctifies par les traces des pas de Jésus. On avait fait beaucoup de dégâts et le Saint Sépulcre était enfoui sous des décombres de toute espèce, mais les chrétiens recherchaient toutes les places sanctifiées pour y prier. Dans une de ces occasions, Fidèle fut saisi avec d'autres enfants : on chercha par tous les moyens possibles à les faire apostasier : on les fouetta en présence de leurs parents pour arracher à ceux-ci des actes de faiblesse. Je vis Fidèle mourir joyeux dans un supplice de ce genre. Les chrétiens enterrèrent plus tard tous ces enfants près du Calvaire. Mais j'ai vu que dans la suite leurs corps furent exhumés et transportés à Rome. Le jour de leur martyre est celui de la fête des Saints Innocents.

Lorsque Jean baptisa cet enfant, il était déjà vieux et d'une extrême maigreur. Il portait une longue robe blanche et il avait une petite mèche blonde au menton.


SAINT BARTHÉLEMY.


Barthélémy qui était Essénien, était un bel homme, leste et adroit. Il avait le front élevé, le teint blanc, de grands yeux, des cheveux noirs frisés et une barbe courte et crépue, divisée en deux parties. Il était bien fait, et de tous les apôtres c'était celui qui avait le plus d'aisance et de distinction dans les manières. Il y avait dans toute sa personne quelque chose de digne, de noble et d'élégant, il marchait vite et se tenait très droit ; enfin il faisait parmi eux l'effet d'un jeune seigneur avant reçu une éducation distinguée. Les autres, spécialement Pierre et André, avaient au commencement je ne sais quoi de gauche et d'embarrassé dans Leurs manières. Son père s'appelait Tholmaï et descendait d'un autre Tholmaï, roi de Gessur, dont David avait épousé la fille. Il habitait sur le territoire de Gessur où il avait de grandes propriétés et de nombreux troupeaux. Ce pays étant malsain, Tholmaï dont la santé était altérée, alla à Cana t n Galilée où il avait un frère marié à la tante de Nathanaël (le fiancé de Cana). Il y fit un long séjour et fit usage des bains qui sont dans les environs : plus tard, il vendit les biens qu'il avait près de Gessur et s'établit dans la vallée de Zabulon où habitait un frère aîné de saint Joseph, nommé Sadoch : c'était un homme pieux qui avait deux fils et deux filles. Je crois que ce furent des motifs religieux et son amitié pour Sadoch qui attirèrent là Tholmaï. Les enfants de Sadoch étaient en relation avec la sainte Famille et lorsqu'on perdit Jésus à Jérusalem, ils furent de ceux parmi lesquels Marie et Joseph le cherchèrent. Je vis souvent les fils avec Jésus pendant sa jeunesse. Barthélémy entendit parler de Jésus de bonne heure, comme d'un jeune homme remarquable par sa sainteté et ses rares qualités. Lorsque le Seigneur commença sa carrière de prédication, Barthélémy se sentit plus d'une fois intérieurement attiré vers Jésus, à tel point qu'un jour étant occupé avec son père à cultiver son verger, il interrompit tout à coup son travail et se tourna en soupirant vers l'endroit où Jésus se trouvait alors avec ses disciples. Son père l'interrogea à ce sujet et il répondit qu'il aspirait à aller trouver le maître qui enseignait dans cet endroit. Son père était un homme excellent et il ne fit point d'objection : il fut même si satisfait de ce que son fils lui rapporta de Jésus et du désir qu'il témoignait de le suivre qu'à la Pâque suivante, il conduisit dix agneaux au Temple. Barthélémy alla avec son père à Jérusalem, mais il n'y vit pas encore Jésus. Le père ne fut baptisé qu'après l'Ascension par l'apôtre saint Jean. Lorsque Jésus (près de la fontaine de Béthanie) passa devant Nathanaël et le regarda sous le figuier (Jn 1,48 tome I, page 147), Barthélémy était présent et Jésus jeta aussi sur lui un regard qui l'émut vivement. Je crois aussi que Barthélémy était avec Nathanaël lorsque Philippe vint chercher celui-ci et le conduisit à Jésus sur le chemin (tome I, page 398). Barthélémy l'accompagna ; mais il resta à quelque distance ; et Jésus dit à cette occasion qu'il ne tarderait pas à se rapprocher de lui. Une autre fois je vis Luc s'arrêter à Dabbeseth chez Barthélémy ; il y enceignît et ils parlèrent ensemble de Jésus (tome I, page 331). Barthélémy avait là un emploi de scribe : une proche parente de son père ou de sa mère tenait son ménage. Ses fonctions l'avaient mis en rapports fréquents avec Nathanaël Thomas et Simon le Chananéen. Lorsque Jésus, avant la première Pâque, ayant déjà sept ou huit apôtres avec lui, alla dans un endroit peu éloigné de Dabbeseth, pour y prêcher dans la synagogue, Philippe, Nathanaël et Simon se séparèrent de lui sur le chemin et se rendirent à Dabbeseth. Ils visitèrent Barthélémy qu'ils engagèrent à venir avec eux pour voir les miracles qu'opérait leur maître et l'entendre prêcher, et il les suivit. Jésus traversait alors un pays boisé et l'on avait placé sous des tentes à droite et à gauche du chemin de longues rangées de malades dont il guérit un très grand nombre en passant devant eux. Barthélémy vit ces miracles, il assista aussi à l'instruction que Jésus fit dans l'école : toutefois il ne lui parla pas encore et ne resta pas près de lui, mais retourna à Dabbeseth.

Lorsque Jésus, après la première fête de Pâques, partant de l'endroit où Jean baptisait près du Jourdain, traversa la Samarie avec ses disciples, Barthélémy vint trouver les disciples sur le chemin : André lui parla de Jésus, puis il alla au Seigneur lui-même et lui dit quelques mots de Barthélémy, car il lui proposait volontiers pour disciples des gens instruits. Comme Barthélemy passait devant Jésus, André le lui montra du doigt et Jésus dit : " Je le connais, il viendra " (tome II, page 90). Plus tard Barthélémy raconta cela à Thomas et ils parlèrent souvent ensemble de Jésus. Thomas avait un frère nommé Thaddée qui avait pris le commerce de bois de son père à Aphéké. Quant à Thomas lui-même, il étudiait et c'était un homme d'un caractère entier et opiniâtre. Ils avaient des relations fréquentes avec Dabbeseth par suite de leur commerce. Je vis une fois Thomas et Simon le Chananéen rendre visite à Barthélémy le jour du sabbat Ils allèrent près de la synagogue de Dabbeseth se promener dans un jardin de plaisance et leur entretien roula sur les miracles de Jésus et sur la captivité de Jean-Baptiste. Dabbeseth était un petit endroit commerçant : il y passait une route qui menait à la mer. On y fabriquait beaucoup de soieries et il y avait un grand nombre de couturières qui confectionnaient des franges, des galons, des habits sacerdotaux, des tapis et des ornements de toute espèce.

Un jour, Jésus étant venu dans la contrée de Dabbeseth, entra chez Barthélémy et l'admit au nombre de ses apôtres. Il lui donna sa bénédiction et lui imposa les mains.

Barthélemy quitta aussitôt son emploi qu'il transmit an frère de sa parente, et suivit Jésus. Il reçut le nom de Barthélemy parce que Jésus l'appelait toujours le fils de Tholmaï. Le nom qu'il portait auparavant était celui d'une des douze tribus d'Israël : il s'appelait Nephthali. Je crois qu'il fut le neuvième parmi les apôtres : car Matthieu, Thomas et Judas ne furent appelés qu'après lui.
Lorsque les apôtres et les disciples se dispersèrent après l'arrestation de Jésus, Barthélemy se réfugia chez son père: il avait perdu sa mère. Après la séparation des apôtres, je l'ai vu d'abord à l'extrémité orientale de l'Inde, dans ce pays dont les habitants ont un si grand respect pour leurs parents. Ils l'appelaient leur père et l'avaient accueilli avec la plus grande bienveillance. Il convertit un très- grand nombre de personnes et laissa derrière lui des disciples. Il passa ensuite par le Japon où Thomas est allé aussi : cependant celui ci s'avança plus au nord dans l'Inde. Barthélemy traversa ensuite l'Arabie et passa de l'autre côté de la mer Rouge en Abyssinie où il convertit le roi du pays. Il s'appelait Polymius : il était blanc ainsi que ses courtisans et plusieurs de ses sujets : mais le peuple pris en masse était noir. Le père de ce roi était originaire de l'empire de Babylone et il avait divisé ses états entre ses trois fils. J'eus une vision touchant ce roi qui parcourut tous ses états pour les partager entre ses fils. Il était de la race de ce prince qui avait si cruellement persécuté les derniers prophètes et qui ne régna que cinq ans. C'était un homme de bien et il voyagea, notamment, dans cette partie de l'Egypte où il y a de vieux édifices d'une énorme dimension et aussi dans Je pays où l'on a des maisons si hautes et ou l'on traite ses parents si respectueusement, ce qu'il vit avec beaucoup de plaisir. Ce roi adorait tous les malins le soleil levant. Je me souviens d'avoir entendu, dans toute cette vision et spécialement dans ce qui avait rapport an partage, prononcer les noms de Médie, d'Arabie, d'Égypte et d'autres semblables : j'entendis aussi nommer l'Abyssinie, si je ne me trompe. Il me semble que ce roi avait entendu parler du royaume du Christ, qu'il en avait dit quelque chose à ses fils et qu'un d'eux avait répondu qu'il désirait pour sa part ce royaume du Christ s'il pouvait l'obtenir. Après la mort du père, je vis les pays partagés entre les fils. Je vis Barthélemy arriver dans une contrée où Matthieu alla plus tard par un autre côté. Je le vis, dans une ville de ce pays qui était, je crois, l'Abyssinie, ressusciter un mort qu'on emportait. Je le vis aussi délivrer deux époux possédés du démon de l'impureté et chasser plusieurs démons d'une troupe de frénétiques.
Je le vis ensuite dans une autre ville qui n'avait pas de maisons auxquelles on pût donner ce nom, à l'exception du palais du roi et de quelques grands édifices : la plupart étaient des espèces de tentes et de légères constructions en branches tressées. Dans les temples d'une de leurs divinités il y avait beaucoup de malades qui autrefois étaient guéris par l'idole ; mais depuis que Barthélemy était arrivé, le faux dieu était devenu muet. Les prêtres en interrogèrent un autre qui leur dit qu'il y avait chez eux un serviteur du vrai Dieu qui forçait l'idole à se taire : en même temps il leur décrivit Barthélemy qu'ils cherchèrent et qu'ils trouvèrent, grâce à un possédé qui poussa des cris cri le voyant et dit que cet homme lui faisait souffrir le supplice du feu. Comme il criait ainsi, Barthélemy chassa le démon de son corps. Le roi du pays ayant entendu raconter la chose se fit amener Barthélemy afin qu'il guérît sa fille qui était énergumène et enchaînée. Barthélemy la fit venir devant lui et ordonna qu'on lui ôtât ses chaînes. On s'y refusa d'abord, car personne n'osait la toucher parce qu'elle se précipitait sur les gens pour les mordre. Mais Barthélemy insista, disant que le démon était lié. Ils lui ôtèrent donc ses liens : le démon fut forcé de se retirer et elle tomba sans connaissance : ensuite on l'emmena, et sur l'ordre de Barthélemy on lui fit prendre un bain. Elle en sortit parfaitement guérie, renonça à l'idolâtrie et se fit baptiser.
Je vis une maison remplie de femmes possédées, blanches et noires ; elles étaient couchées tout le long d'une grande salle, attachées au mur les unes par le bras, les autres par le pied ; elles avaient souvent de terribles accès de frénésie, se jetaient par terre et s'y démenaient. La fille de Polymius était seule dans la partie antérieure de cette maison. Les malades avaient des intervalles de calme : alors elles étaient conduites au dehors par les surveillants et on les attachait de nouveau quand leurs accès revenaient. Barthélémy les guérit toutes et je vis qu'elles lui furent amenées sur une place où il les instruisit et leur fit abjurer l'idolâtrie. Après cela il les baptisa près d'une grande fontaine jaillissante qui était devant le palais du roi. Il y avait un bassin très spacieux avec un couronnement en métal d'une forme très élégante d'où l'eau jaillissait par plusieurs ouvertures. Celles qui avaient été baptisées les premières devaient toujours imposer les mains sur celles que l'on baptisait après elles. Je vis le peuple dans l'admiration à la vue de ces miracles ; mais les prêtres des idoles étaient furieux.

Le roi voulut faire à Barthélémy des présents magnifiques en or et en vêtements ; mais il se cacha et plus tard tout cela fut distribue aux pauvres sur sa demande. Je vis Barthélémy s'entretenir souvent et longtemps avec le roi Polymius qui l'interrogeait avec beaucoup de soin et le quittait souvent pour feuilleter divers écrits très volumineux. Mais l'apôtre avait avec lui un rouleau où était l'Évangile de saint Matthieu et il y prenait la réponse aux questions qui lui étaient adressées. Il dit aussi au roi que le démon qui était dans l'idole rendait d'abord les gens malades et les guérissait ensuite afin de les mieux asservir aux abominations de son culte. Mais maintenant, ajouta-t-il, le démon était lié par le nom de Jésus-Christ et ne pouvait plus opérer dans l'idole. L'apôtre offrit au roi de lui faire voir tout cela s'il consentait à consacrer le temple au vrai Dieu et à se faire baptiser avec son peuple. Le roi convoqua tout le peuple au temple, et comme les prêtres sacrifiaient, Satan leur cria par la bouche de l'idole de cesser leurs sacrifices parce qu'il était enchaîné par le Fils de Dieu. Barthélémy lui ordonna de confesser tout ce qu'il y avait d'illusoire et de mensonger dans ses guérisons, et Satan avoua tout. Ensuite Barthélémy prêcha en plein air devant le temple et ordonna à Satan de se montrer dans sa vraie forme, afin qu'ils vissent quel dieu ils adoraient. Ils virent alors un affreux monstre noir à figure humaine qui s'engloutit dans la terre devant eux. Là-dessus le roi fit détruire toutes les idoles, Barthélémy consacra le temple pour en faire une église et baptisa le roi avec sa famille et toute son armée. Il enseigna, guérit les malades et le peuple le prit en grande affection. Je le vis leur administrer le baptême. Il bénit la fontaine et les néophytes ranges en cercle courbèrent la tête sous le jet d'eau. Deux baptisés Imposaient les mains à chacun des nouveaux néophytes et l'apôtre les bénissait en récitant une prière.

Ce fut peu après que Barthélémy fut convoque par un avertissement d'en Haut à se rendre près de la très sainte Vierge. Pendant ce temps, les prêtres des idoles s'adressèrent à Astyage, frère de Polymius, et accusèrent Barthélemy de sortilèges. Lorsque celui-ci, après la nouvelle séparation des apôtres, voulut revenir dans le pays d'où il était parti, il ne put pas y arriver ; car il fut saisi par des gens apostés et mené devant Astyage qui lui dit : " Tu as séduit mon frère jusqu'à lui faire adorer ton Dieu : je vais t'apprendre à sacrifier au mien ". Barthélémy répondit : " Le Dieu qui m'a donné le pouvoir de faire voir Satan à votre frère et de le renvoyer dans l'enfer en sa présence, me donne aussi le pouvoir de briser vos idoles et de vous forcer a croire ". En ce moment, un messager apporta la nouvelle que l'idole du roi était tombée brisée en morceaux. Le roi furieux déchira ses vêtements et ordonna de flageller Barthélémy. Il fut attache à un arbre et écorché : mais il ne cessa de prêcher à haute voix jusqu'au moment où on lui enfonça dans la gorge une épée très courte. Les bourreaux l'écorchèrent de la tête aux pieds et lui mirent sa propre peau dans la main. Quand il fut mort, ils jetèrent son corps aux bêtes, mais il fut enlevé la nuit par de pauvres gens qu'il avait convertis. Je vis que le roi Polymius vint le prendre avec une suite nombreuse et qu'il lui donna la sépulture. Une chapelle fut construite au-dessus de son tombeau. Quant au roi païen et aux prêtres qui avaient livré Barthélémy, ils tombèrent treize jours après dans un état de folle furieuse, et coururent au tombeau de l'apôtre, criant au secours. Le roi se convertit, mais les prêtres des idoles moururent d'une mort affreuse. On doit avoir écrit quelque part sur tout cela, mais ces relations sont devenues inintelligibles et n'ont trouvé aucune créance par suite de l'ignorance de leurs auteurs touchant les pays dont il s'agissait et à cause des additions faites postérieurement par des gens mal renseignés. Les savants ne veulent pas y croire parce qu'ils ignorent que les miracles opérés chez les païens étaient d'une tout autre espèce et bien plus frappants que ceux qui étaient opérés chez les Juifs, parce que chez les premiers il s'agissait de lutter contre toute la puissance de la magie et contre les innombrables prestiges du démon. J'ai vu comment le roi qui était devenu chrétien tomba plus tard dans la pauvreté et comment, dans son délaissement, il se souvint du royaume du Christ qu'il avait demandé à son père pour sa part. Je le vis prier dans une église en même temps qu'une femme riche qui avait fait voeu de donner la moitié de ses biens au premier qu'elle rencontrerait. Ce fut ainsi qu'il sortit de la misère ; plus tard il fut ordonné prêtre et évêque par Matthieu qui vint dans le pays qu'il habitait. Je crois qu'il termina sa vie par le martyre.

Il me fut montré en outre que saint Barthélémy a reçu de Dieu un pouvoir spécial pour guérir les malades désespérés et, en particulier, ceux qui sont atteints de paralysie.


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE. 27 décembre 1820.