Brentano: Visions de la Bse Emmerich - SAINT BARTHÉLEMY.


SAINT THOMAS.

Les parents de Thomas demeuraient à Aphéké, ville située au bord d'une petite rivière entre Legio et Jezraël.

Les trois villes, par leur situation respective, figuraient comme une feuille de trèfle. Aphéké était traversée par une grande route sur laquelle passaient les marchands avec leurs chameaux. Le père de Thomas faisait le commerce et avait des intérêts dans la navigation des côtes de la mer Méditerranée ; il envoyait au loin par cette voie les marchandises qu'il achetait aux caravanes. Thomas avait un frère jumeau, et leur mère était morte en les mettant au monde. Leur père se remaria et ce second mariage donna à Thomas une soeur et deux frères. Après la mort du père, la veuve prit un autre époux. Ce nouveau ménage était encore fort jeune, et Thomas fut confié à un frère de son père qui faisait partie d'une secte et qui l'éleva durement. Par suite du commerce que faisaient ses parents et ses alliés, Thomas entra de bonne heure en rapport avec des étrangers, il se familiarisa avec Leurs usages et avec leurs langues, et c'est peut-être pour cela qu'il fut plus tard envoyé dans les contrées si lointaines de l'Inde. Son éducation lui avait donné beaucoup de confiance en lui-même et il voulait avoir des preuves sur toutes choses. Il changea souvent de profession ; il s'occupa de navigation, de commerce, et se livra aussi à la pêche sur la mer de Galilée, où il entra pour la première fois en rapport avec ceux qui devaient être dans la suite ses collègues dans l'apostolat. Plus tard, il commença a étudier à Saphet diverses branches des sciences enseignées en Judée, et il fréquenta les écoles des Pharisiens sans devenir Pharisien lui-même. Il mena ensuite une vie errante, résida tantôt chez lui, tantôt chez Barthélemy et chez Nathanaël, lesquels, à ce que je crois, lui procurèrent un emploi de scribe.

Thomas avait environ trois ans de plus que Jésus. Le Seigneur étant allé au temple vers sa vingtième année, Thomas y alla de son côté et vit Jésus sans pourtant lui parler. Ce voyage fut l'occasion d'un changement dans sa manière d'être, car Thomas entra alors en relations assez intimes avec Jacques le Mineur qui était Essénien et remarquable par sa piété : celui-ci lui raconta beaucoup de choses touchant Jésus, ce qui le porta à une vie plus sérieuse et plus pieuse. Lorsque Jésus atteignit sa trentième année, Thomas résidait à Arimathie où il exerçait un emploi de scribe : il entendit parler de Jésus et de Jean, toutefois il ne crut pas tout d'abord.

Trois ans après le voyage de Jésus dans le pays des rois mages, je vis Thomas arriver dans ce même pays avec l'apôtre Thaddée, les disciples Kaïsar et Silvain, le fils du centurion Achias de Giscala et deux autres encore : tous baptisèrent sur ce chemin que je vois Jésus parcourir dans mes visions actuelles. Il ne prit pas la route par laquelle Jésus était venu : il partit d'un point plus méridional. Je le vis dans le camp de Mensor. On lui fit une réception solennelle, mais moins pompeuse que celle qu'on avait faite à Jésus, car ces gens étaient devenus plus simples dans leurs moeurs. Je vis que tout était changé dans leur temple : il n'y avait plus d'idoles, plus de représentation du ciel étoilé : mais je revis la petite crèche et il y avait encore un âne à côté. Je revis aussi l'image de l'agneau de Dieu et l'autel avec le calice. Je vis la cérémonie du baptême de Mensor, de l'autre vieux roi et des principaux membres de leur famille : ils étaient douze environ. On avait placé un grand bassin devant le château de tentes sur la petite île de la fontaine et on y avait fait couler l'eau de la fontaine jaillissante. L'apôtre bénit cette eau ; ceux qui devaient être baptisés courbèrent la tête au-dessus et deux des compagnons de Thomas posèrent la main droite sur l'épaule de chacun des néophytes. Thomas tenait un bouquet de feuillage qu'il trempa dans le bassin et avec lequel il jeta de l'eau sur la tête des néophytes. Plus tard, lorsque plusieurs d'entre eux furent baptisés, ce furent eux qui imposèrent les mains aux autres.

Je vis baptiser successivement tous ceux qui habitaient cet endroit, y compris Cuppès et les autres femmes. Je vis pendant ce baptême l'Esprit saint planer ou descendre sur les nouveaux chrétiens, sous la forme d'un corps lumineux ailé qui tenait de la colombe et de l'ange.

Note : Anne Catherine vit la vie de saint Thomas, le 21 décembre 1820, pendant le cours des visions mentionnées plus haut touchant la vie de Jésus.

Je vis les corps des défunts, spécialement celui de l'un des rois, couchés dans leurs tombeaux comme auparavant. Je vis la branche plantée devant la porte du tombeau de ce dernier et la colombe perchée sur cette branche, comme je l'avais déjà vue. Il y avait bien douze ans qu'il était mort : car lorsque Jésus vint ici, j'entendis dire que sa mort remontait à neuf ans. Je vis Thomas entrer dans ce tombeau et, ce que je n'avais pas vu précédemment, l'apôtre retirer une espèce de masque blanc de dessus son visage qu'il lava avec de l'eau bénite. Je ne vis pas dans cette circonstance d'imposition des mains. La tête était encore recouverte d'une peau brunâtre.

J'ai encore vu cette nuit qu'après le baptême, on célébra un service d'actions de grâces, non pas dans le temple, mais en plein air devant cet édifice. J'ai su tous les noms et je les ai oubliés : je me rappelle seulement que Mensor reçut au baptême le nom de Léandre et Théokéno, le vieux roi infirme, celui de Léon. Je vis aussi que plus tard ils laissèrent leur résidence à d'autres qui n'émigrèrent pas avec eux, qu'ils partirent divisés en trois troupes et que celle où se trouvaient les gens les plus considérables arriva dans une île où Denys l'aréopagite résida quelque temps ainsi que Carpus.

Je vis Thomas baptiser sur toute la route et même dans la ville païenne de Cédar : toutefois on ne baptisa personne dans cet endroit de la Chaldée où se trouvait le jardin fermé, non plus que dans la ville où je vois Jésus maintenant (voir page 91). Je crois que Thaddée y donna le baptême plus tard, lorsqu'il alla en Perse après la mort de Marie. Quand Thomas fut au terme de son voyage, il envoya Thaddée avec une lettre au roi Abgare afin qu'il le guérît : le Seigneur lui avait fait connaître par une révélation la maladie de ce prince. Partout, sur son chemin, Thomas fit de grands miracles : il établit des catéchistes pour instruire les habitants des pays qu'il avait parcourus : il y laissa même un disciple. Lui-même continua son voyage et alla jusqu'en Bactriane. Il pénétra très avant dans le nord, au delà du point où la Chine touche à la Russie, et il trouva là des hordes tout à fait sauvages. On lui fit un bon accueil en Bactriane et chez les peuples qui suivent les enseignements de l'étoile brillante (Zoroastre). Il alla aussi dans le Thibet. Ce fut des contrées lointaines situées par delà la Bactriane que Thomas amena avec lui, lorsqu'il vint à Ephèse pour la mort de Marie, ce serviteur qui avait dans ses manières quelque chose de si nouveau pour moi, de si étrange, de si servile, mais en même temps de si docile et de si pieux. Le pays d'où il venait alors n'était pourtant pas le plus reculé de ceux où le conduisirent les courses apostoliques dont je parle maintenant.

J'ai toujours vu par la suite ce serviteur auprès de lui. Il pouvait porter des fardeaux énormes et il traînait de grosses pierres quand Thomas bâtissait une chapelle.

Plus tard j'ai vu Thomas non seulement dans l'Inde mais encore dans une île habitée par des hommes noirs et même au Japon, et je l'ai entendu faire des prédictions sur l'avenir de la religion dans ces pays.

Thomas avait quelque répugnance à partir pour l'Inde. Avant d'y aller, il avait eu souvent des songes où il se voyait bâtissant dans l'Inde de grands et beaux palais. Il ne comprit pas cela d'abord et n'en tint pas compte, se disant qu'il n'était point architecte. Cependant quelque chose lui disait toujours intérieurement qu'il devait aller dans l'Inde, qu'il y ferait beaucoup de conversions et y gagnerait beaucoup d'âmes à Dieu : c'étaient là les beaux palais qu'il devait bâtir. Il en parla à Pierre qui l'encouragea à partir pour l'Inde. Il longea la côte de la mer Rouge ; il alla même dans l'île de Socotora et y prêcha, mais il ne s'y arrêta pas longtemps.

Dans la deuxième ville de l'Inde que Thomas visita, il trouva qu'on faisait les préparatifs d'une grande fête. Il enseigna, guérit des malades, et le roi vint l'entendre ainsi que beaucoup d'autres personnes. Il se fit tant de partisans, qu'un jeune prêtre des idoles en conçut une grande haine pour lui et le frappa au visage pendant qu'il prêchait. Thomas se montra plein de douceur, tendit l'autre joue et le remercia. Cela toucha beaucoup le roi et tout le peuple : ils regardèrent Thomas comme un très saint homme et le prêtre des idoles lui-même se convertit. Sa main s'était couverte de lèpre, mais Thomas le guérit et il devint son plus fidèle partisan. Thomas convertit aussi la fille du roi et le mari de celle-ci qui était possédé du démon, après quoi il quitta ce pays et alla plus à l'est. La fille du roi ayant mis un enfant au monde, son mari et elles firent voeu de chasteté et donnèrent tous leurs biens aux pauvres. Le roi en fut très irrité et voulut Leur persuader que Thomas était un magicien : ils restèrent pourtant fidèles à leur résolution ; ils propagèrent partout la pure doctrine de Jésus-Christ telle qu'ils l'avaient reçue et convertirent beaucoup de monde. Le père lui-même finit par se laisser toucher et fit prier Thomas de revenir. Il revint, car, en prenant congé d'eux, il leur avait dit qu'il les reverrait bientôt. Le roi se fit baptiser avec une grande partie de son peuple : plus tard même il devint diacre et se rendit près des rois mages. Je crois qu'il reçut aussi la prêtrise. Son fils fit bâtir une église.

Je vis Thomas dans une autre ville qui était aussi au bord de la mer et je vis qu'il se disposait à revenir sur ses pas : je crois qu'il n'était pas loin du pays où alla par la suite saint François-Xavier. Mais Jésus lui apparut et lui ordonna de s'enfoncer plus avant dans l'Inde. Thomas n'obéit pas, prenant pour prétexte que ce peuple était trop grossier : alors Jésus lui apparut pour la seconde fois et lui dit qu'il fuyait de devant sa face comme autrefois Jonas, mais qu'il lui fallait obéir : il lui promit qu'il serait avec lui, que de grands prodiges s'opéreraient par lui et qu'au jour du jugement il serait à côté de son maître comme témoin de ce qu'il avait fait pour les hommes. C'est tout ce que je me rappelle de cette apparition.

Dans la ville où il se trouvait, on devait bâtir un palais, tout le monde était obligé d'y travailler. Je vis beaucoup de pauvres gens auxquels on ne donnait aucun salaire : ils étaient horriblement opprimés et vexés. Thomas prêcha devant cette grande multitude d'ouvriers : le roi aussi vint l'entendre plus d'une fois. Comme l'apôtre faisait entrer dans son enseignement de très belles paraboles touchant l'art de bâtir, le roi le prit pour un architecte très habile : il lui confia la construction du palais, lui donna pour cela une grande somme d'argent et partit pour un voyage. Thomas continua à enseigner et à convertir, et il donna l'argent aux pauvres qui auparavant mouraient presque de faim. Le roi tomba malade et voulut savoir où en était la construction du palais : mais on lui dit que les travaux avançaient peu, que l'étranger donnait tout l'argent aux pauvres, qu'il prêchait et baptisait. Thomas fut mandé près du roi qui lui fit de grands reproches, mais il répondit qu'il avait en réalité bâti un beau palais et qu'il en avait vu un pareil (il voulait parler de celui qu'il avait vu dans ses songes, lorsqu'il avait r es u pour la première fois l'ordre d'aller prêcher l'Évangile aux Indes) : il ajouta que le roi ne pouvait pas le voir parce qu'il était aveugle : " Rends-moi donc la vue ", dit le roi, et il demanda à Thomas de lui ouvrir les yeux en les touchant avec ses doigts. L'apôtre répondit qu'il s'agissait des yeux de l'esprit et que s'il voulait faire ce qu'il désirait, il lui ferait voir l'édifice. Alors Thomas décrivit la sainte Église et toute la doctrine de Jésus comme un magnifique édifice ; puis il ordonna au roi, au nom de Jésus, de se lever guéri et de venir avec lui à l'édifice qu'on construisait. Lorsqu'ils y arrivèrent, ils virent près de là un gros tronc d'arbre que la mer y avait déposé et qu'on avait vainement essayé d'enlever à grand renfort de chameaux. Thomas demanda que ce tronc d'arbre lui fût donné pour servir à la construction d'une église, s'il parvenait à l'enlever tout seul. Le roi y ayant consenti, Thomas prit sa ceinture, l'attacha à l'arbre et le traîna ainsi jusqu'à l'emplacement où l'église devait être construite. Ce prodige convertit beaucoup de gens et le roi lui-même se fit baptiser avec une grande partie de son peuple. On vit alors briller sur sa tête une lumière qui se répandit de là sur tous les assistants. Il eut aussi une vision dans laquelle il vit sous la forme d'un édifice les bonnes oeuvres opérées par Thomas. L'église que Thomas bâtit en cet endroit me rappela l'église de saint Jacques à Coësfeld : je trouvais qu'il y avait de la ressemblance.

Je vis Thomas partir de là accompagné de beaucoup de personnes, guérir, chasser des démons et baptiser près d'une fontaine. Il dit aux gens du pays de lui apporter leurs plus beaux pains : puis il les bénit et les distribua. Il y avait là un homme qui, lorsqu'il voulut en prendre sa part, fut attaqué d'une maladie soudaine et Thomas lui demanda quelle faute il avait à se reprocher. Il répondit qu'ayant entendu Thomas enseigner que les adultères n'entreraient pas dans le royaume de Dieu, il avait surpris sa femme en adultère et l'avait tuée : et qu'il avait cru se délivrer de son péché en mangeant de ce pain. Or ce n'était pas sa femme qu'il avait tuée, mais une personne avec laquelle il avait commerce ainsi que plusieurs autres et il lui avait donné la mort par jalousie. Thomas convainquit cet homme de mensonge et lui fit comprendre combien il s'était rendu coupable : puis il le guérit et lui fit faire pénitence : il ressuscita aussi la femme, sur quoi beaucoup de gens se convertirent.

Il vint aussi un personnage de distinction, très homme de bien et très savant qui vivait toujours au milieu des livres. Il pria Thomas de lui venir en aide. Sa femme et sa fille étaient possédées du démon et frénétiques. Elles vivaient auparavant dans le désordre et le mari les ayant maudites dans sa colère, le démon avait pris possession d'elles. Thomas suivit cet homme jusque dans sa maison où il trouva les deux femmes dans un état effrayant : elles firent mine de se jeter sur lui pour le déchirer : mais il leur lia les mains à un poteau avec sa ceinture, prit un fouet et les en frappa vigoureusement. Elles se tinrent alors parfaitement tranquilles et Thomas donna à cet homme l'autorisation de les soumettre chaque jour au même traitement. Plus tard lorsque les jeûnes et les flagellations les eurent rendues tout à fait maniables, l'apôtre chassa l'esprit immonde qui les possédait et les convertit.

Cet homme devint un disciple zélé de Thomas. Il avait une nièce admirablement belle et très riche qui était mariée à un cousin du roi. Elle avait entendu parler des miracles de Thomas et désirait vivement l'entendre. Elle pénétra jusqu'à lui à travers la foule et se jeta à ses pieds en le priant de la convertir. Thomas l'instruisit et la bénit : elle fut très touchée, fondit en larmes et dès lors elle s'adonna à la prière et à des jeûnes continuels. Son mari qui l'aimait tendrement s'en chagrina fort et voulut la distraire, mais elle le pria de la laisser libre encore quelque temps. Elle allait tous les jours entendre prêcher Thomas et elle devint une chrétienne très zélée. Cela irrita son mari qui se présenta devant le roi revêtu d'habits de deuil et porta plainte contre Thomas. Le roi fit flageller et emprisonner l'apôtre que le mari de la femme convertie lui avait amené lié avec des cordes. Ce fut le premier supplice qu'il eut a subir dans le cours de ses longs voyages et il en rendit grâces à Dieu.

La femme coupa ses cheveux, pleura, pria, donna tout son bien aux pauvres et renonça à toute espèce de parure. Les femmes de ce pays portaient les cheveux bouclés, mais celles qui se faisaient chrétiennes coupaient quelques boucles pour s'humilier. Pendant une absence de son mari elle gagna les gardes à prix d'argent et alla la nuit avec d'autres personnes se faire instruire par Thomas dans la prison. Sa nourrice l'accompagnait et elles demandèrent le baptême. Thomas leur dit de tout préparer à cet effet dans sa maison : il sortit de la prison pour aller les trouver et il la baptisa, elle et beaucoup d'autres. Les geôliers s'étaient endormis par un effet de la bonté divine. Thomas revint avant qu'ils se fussent réveillés.

Il y eut dans la famille royale elle-même des personnes qui changèrent de vie et se firent instruire par l'apôtre : alors le roi le fit amener devant lui. Thomas, l'ayant vainement exhorté à se convertir, lui demanda à prouver par le jugement de Dieu la vérité de ses enseignements. Le roi fit placer devant lui des épieux rougis au feu : Thomas marcha dessus sans en éprouver aucun mal et une source jaillit à l'endroit où on les avait mis. Thomas lui dit que lui-même avait eu des doutes, ce que du reste il racontait partout, qu'il avait vu pendant trois ans les miracles de Jésus et que pourtant il avait souvent douté : c'est pourquoi il croyait maintenant et avait pour mission d'annoncer la vérité aux infidèles. Il publiait partout sa faute. Le roi le fit ensuite renfermer dans une salle de bains remplie d'une vapeur brûlante (Anne Catherine décrit cette salle avec assez de détails) : il aurait dû y mourir étouffe, mais il n'y ressentit aucune chaleur et y respira un air toujours frais. Il voulut après cela le contraindre à adorer son idole et Thomas lui dit : " Si Jésus ne brise pas votre idole, je lui sacrifierai ". On fit alors les préparatifs d'une grande fête et tous se rendirent au temple avec un cortège de chanteurs et de joueurs d'instruments. L'idole était en or et assise sur un char, mais Thomas s'étant mis en prière, il partit du ciel comme un trait de feu qui fondit l'idole principale et en brisa plusieurs autres. Il s'éleva alors un grand tumulte dans le peuple et parmi les prêtres, et Thomas fut de nouveau jeté en prison.

Il fut délivré de cette prison comme Pierre l'avait été de la sienne, et il alla dans une île où il resta longtemps. Enfin il s'embarqua sur un navire, mais bientôt une tempête éclata et ils virent de loin un bâtiment japonais échoué sur un banc de sable et exposé aux plus grands dangers : il était couché sur le côté, hors d'état de marcher et déjà à moitié rempli de sable et d'eau. Thomas dit aux marins qui le conduisaient : " Il faut que nous allions porter secours à ces gens ". Ils s'y refusèrent pour ne pas s'exposer aux mêmes périls. Mais Thomas Leur dit : " Si vous voulez de bon coeur aller les secourir, mon maître que j'ai vu souvent commander aux flots nous frayera la route vers ce navire ". Quand ils eurent donné leur assentiment, Thomas pria et commanda aux vagues au nom de Jésus : alors la mer se calma devant eux et ils arrivèrent près du navire sans difficulté. Thomas travailla avec les autres à l'alléger, à le retirer du sable et à le remettre à flot. Il n'était pas gravement endommagé et quand tout fut remis en ordre, le commandant de ce bâtiment qui avait appris le miracle opéré par Thomas et la charité qu'il avait montrée, le pria de venir avec lui au Japon. Mais les gens de l'autre navire ne voulurent pas le laisser aller que le Japonais n'eût promis de le ramener lui-même. Thomas laissa dans le pays qu'il quittait des disciples chargés de continuer son enseignement, et il partit avec cet homme pour le Japon où il resta environ six mois.

Ils entrèrent avec leur bâtiment jusque dans l'intérieur d'une ville : elle est bâtie en triangle sur chaque rive du fleuve ou du canal qui la traverse et on peut en faire le tour par eau.

Note : Elle donna le nom de cette ville japonaise, mais sans en être bien sûre : ce nom serait Kivivia.

Derrière la ville s'élèvent au bord de l'eau des tours et des murailles ou remparts bâtis en pierres d'un noir brillant. Avant de se rembarquer, Thomas grava une prophétie sur ces murs : il se servit pour cela d'un instrument dont on faisait usage sur le navire et avec lequel on pouvait fendre la pierre. Les lettres étaient très grandes et chacune d'elles faisait tout un mot. C'était un abrogé de la doctrine chrétienne : il ajoutait qu'elle avait été prêchée dans cet endroit. mais qu'elle disparaîtrait sans laisser presque aucune trace : qu'ensuite un autre viendrait et la ferait revivre, mais qu'elle disparaîtrait de nouveau. Il disait aussi pourquoi les choses se passeraient ainsi et annonçait que les habitants du pays le fermeraient entièrement aux étrangers. Il devait toutefois y venir des gens à moitié chrétiens au moyen desquels il se conserverait quelques vestiges du christianisme : puis enfin les Japonais devaient recevoir de nouveau la doctrine de vérité. J'ai vu tout cela très en détail : des noms d'empereurs et des noms de lieux m'ont été montrés, mais je les ai oubliés. Cette inscription a été engloutie dans un tremblement de terre avec la croix qui était gravée au-dessus. Anne Catherine dit encore quelque chose du caractère des Japonais, et raconta qu'à cette époque ils étaient déjà très méthodiques, très curieux et très passionnés. Elle indiqua aussi les causes de l'apostasie, mais en termes peu clairs. Elle croyait que les Jésuites avaient été précédés au Japon par d'autres missionnaires, et elle parla assez vaguement de gens auxquels elle attribuait la ruine du christianisme dans le pays.

En racontant ce qui précède touchant le vaisseau japonais et son commandant, elle dit : " Ce n'est pas un marchand, il est seulement chargé du transport régulier des marchandises : il fait ce voyage tous les ans. Je l'avais oublié : mais maintenant je vois tout cela en même temps que le navire, l'inscription et la ville : c'est pourquoi j'en puis parler. "

Cet homme ramena Thomas à l'endroit d'où il était venu. Plusieurs membres de la famille royale se convertirent encore par la suite. Les prêtres étaient singulièrement irrités contre lui. L'un d'eux avait un fils malade qu'il pria Thomas de guérir : mais ensuite il étrangla ce fils et accusa Thomas de sa mort. Thomas fit apporter le cadavre et lui ordonna au nom de Jésus de dire qui l'avait fait mourir. Le mort se redressa et répondit : " C'est mon père " ; ce qui donna lieu à beaucoup d'autres conversions.

J'ai vu que Thomas priait habituellement devant la ville à une assez grande distance de la mer ; il s'agenouillait sur une pierre et ses genoux y avaient laissé leur empreinte. Il prédit une fois que lorsque la mer qui était pourtant fort éloignée arriverait jusqu'à cette pierre, il viendrait d'un pays très lointain un homme qui prêcherait, lui aussi, la doctrine de Jésus. Je ne pouvais pas me figurer que la mer dût venir jusque-là mais dans la suite saint François-Xavier débarqua dans cet endroit et y érigea une croix de pierre.

Je vis Thomas à genoux sur cette pierre où il priait, ravi en extase, lorsque les prêtres des idoles vinrent l'assaillir et le percèrent par derrière avec une lance. Son corps fut transporté à Edesse : j'y vis célébrer une fête en son honneur. Il resta pourtant au lieu de son martyre une de ses côtes avec la lance qui l'avait percé. Il y avait auprès de la pierre un jeune olivier qui fut arrosé de son sang : je vis qu'il en suintait de l'huile tous les ans le jour de son martyre et que, quand cela n'arrivait pas, les gens du pays s'attendaient à une année malheureuse. Je vis que les idolâtres essayèrent inutilement d'arracher cet l arbuste qui repoussait toujours, qu'on bâtit là une église l et que, lorsqu'on célébrait la sainte messe le jour de la fête de l'apôtre, l'arbrisseau avait un suintement d'huile. La ville s'appelle Méliapour : elle est aujourd'hui dans un triste état, mais le christianisme y refleurira.

J'ai su que Thomas était arrivé à l'âge de quatre-vingt-treize ans. Il était très brun, très maigre et il avait des cheveux rougeâtres. Au moment de sa mort le Seigneur lui apparut et lui dit qu'il siégerait à ses côtés au jour du jugement.

Il a passé par un coin de l'Allemagne : si je ne me trompe pas en ce qui touche ses nombreux voyages, il alla en Egypte aussitôt après la séparation des apôtres, puis en Arabie : avant d'arriver au désert, il avait envoyé un disciple à l'apôtre Thaddée pour lui dire d'aller visiter le roi Abgare. Il baptisa ensuite les rois mages, puis il alla en Bactriane, en Chine, au Tibet et jusque dans un pays qui fait aujourd'hui partie de l'empire russe : ce fut de là qu'il revint pour la mort de Marie. Il partit ensuite de la Terre-Promise pour aller en Italie, passa par un coin de l'Allemagne, traversa une partie de la Suisse et de la France, passa en Afrique, arriva à travers l'Abyssinie près du pays où réside Judith et gagna Socotora par l'Ethiopie. De là il se rendit dans l'Inde et à Méliapour où il fut délivré de sa prison par un ange ; alla par terre jusqu'en Chine dont il traversa une partie et pénétra jusqu'à l'extrême nord, aujourd'hui soumis à la Russie. Il passa de là dans la principale des îles du Japon au centre de laquelle s'élèvent des montagnes d'une hauteur extraordinaire. (Anne Catherine décrivit alors la configuration de l'île de Jesso ou Matsmai et indiqua la situation des autres îles et des pays environnants : elle en traça les contours avec le doigt sur la couverture de son lit, et cela on lignes aussi arrêtées que celles du patron le mieux découpé.)


Thomas avait une demi-soeur qui s'appelait Lysia. Son frère aîné (lui-même était le cadet de deux jumeaux) faisait le commerce à Joppé : Pierre, lors du séjour qu'il fit dans celle ville après l'Ascension, le décida à se joindre à la communauté chrétienne ; il y réussit surtout en lui racontant l'incrédulité de Thomas et ce qui en avait été la suite. Après la mort du Sauveur, Thomas avait passé quelque temps dans sa famille : il fit de même avant son départ pour l'Inde.

Le frère de Thomas était un homme de grande taille ; il alla avec Pierre à Damas. Lysia ne se convertit qu'à l'époque du martyre d'Etienne. C'était une riche veuve : elle donna son bien à la communauté et se réunit aux saintes femmes à Jérusalem. Plus tard ses deux fils furent du nombre des disciples.


SAINT SIMON ET SAINT JUDE THADDEE. octobre 1820.

Je vis de nouveau que Marie de Cléophas était fille de la soeur aînée de la très sainte Vierge. Lorsque Marie fut conduite au temple, cette nièce, qui était plus âgée qu'elle, assistait avec d'autres enfants en grande parure aux adieux qui se firent dans la maison de sainte Anne. Le père de Marie de Cléophas s'appelait Cléophas : son mari Alphée. Ses fils, Simon, Jude Thaddée, Jacques le Mineur et José Barsabas n'avaient point été compagnons d'enfance de Jésus, parce qu'ils n'habitaient pas la même ville que lui. Ils le connaissaient bien et l'avaient vu plus d'une fois lors des visites que se rendaient les parents. Les compagnons d'enfance de Jésus étaient presque tous de Nazareth et ne lui restèrent pas fidèles pour la plupart.
Simon le zélé avait un emploi au tribunal de Tibériade l'ardeur avec laquelle il exerçait ses fonctions lui avait fait donner le nom de zélé (Chananéen). Je l'ai vu dans ce tribunal lorsque le Seigneur enseigna à Tibériade : son frère Jacques le Mineur entra et l'appela pour qu'il vînt voir le Seigneur. Il ne revint pas reprendre son poste, mais il quitta tout sur-le-champ et suivit le Seigneur : Je vis un autre prendre sa place.

Je vis assez longtemps après la mort de Jésus, Jude Thaddée envoyé près d'Abgare, roi d'Edesse, par Thomas, à la suite d'une vision. Je vis que la lettre écrite par Thomas était absolument conforme à ce que Jésus avait promis d'écrire à ce prince. Je vis Abgare couché sur un lit de repos lorsque Thaddée apporta la lettre : je vis, près de Thaddée, Jésus apparaître lumineux, et tel qu'il était sur la terre. Le roi ne regarda pas l'apôtre, ni la lettre, mais il s'inclina profondément devant cette apparition. Thaddée avait guéri quelqu'un dans la ville avant de se faire annoncer au roi. Ce prince, qui était un homme plein de droiture, était atteint de la lèpre. Après qu'il se fût entretenu avec Thaddée, celui-ci lui imposa les mains et il fut guéri. Thaddée guérit et convertit encore beaucoup de personnes. Je vis avec beaucoup de joie que Thaddée a parcouru, enseignant et baptisant, toutes les contrées que Jésus traverse maintenant : il était accompagné de Silas, l'un des jeunes gens qui étaient avec Jésus 2. Je vis que, dans le pays où se trouve Jésus à présent, dans les montagnes voisines de Cédar et dans tous les environs presque tout le monde se fit baptiser, et que des villages entiers, sauf quelques vieillards infirmes, émigrèrent et allèrent former ailleurs des tribus de bergers chrétiens habitant sous la tente.

Note : Comme Anne-Catherine voyait ordinairement la vie des saints dans de grandes visions ou l'ordre chronologique n'était pas indiqué, elle vit ici Simon suivre Jésus immédiatement après le premier appel qui lui fut fait.

2 C'est ce même voyage qu'elle décrivit eu racontant la vie de l'apôtre saint Thomas qui avait entrepris cette course apostolique en compagnie de Jude Thaddée.

Je vis aussi que dans la suite la plupart moururent martyrs à la suite d'une invasion de peuples païens. Je vis Thaddée et Silas parcourir tout le chemin qu'avait suivi Jésus à travers l'Arabie jusqu'à l'Egypte. Je vis aussi l'apôtre chez des noirs : c'était, je crois, en Afrique : car je vis le pays où réside aujourd'hui Judith, c'est-à-dire les montagnes de la Lune. Il y eut une ville où les habitants le prirent tellement en amitié qu'ils se soulevèrent pour le tirer de la prison où l'avaient jeté les magistrats. Je vis un disciple qui était avec lui mourir dans cette prison ; je ne crois pas que ce fût Silas, car j'ai vu plus tard celui-ci près de Paul.

Après la séparation des apôtres, je vis les deux frères Simon et Thaddée aller ensemble avec leurs compagnons jusqu'à l'endroit où Jésus Christ avait maudit le figuier stérile dans son dernier voyage (Bétharan). Alors ils se séparèrent ; Simon alla du côté de la mer Noire et dans la Scythie, Thaddée se dirigea au levant. Après la mort de Marie à laquelle il était venu assister, celui-ci partit pour la Perse : il avait avec lui un disciple nommé Abdias et d'autres encore. Abdias devint évêque de Babylone et il a écrit des livres où se trouvent beaucoup de choses empruntées à des relations erronées et mensongères. Les deux frères, après avoir parcouru des pays très éloignés les uns des autres, se rencontrèrent de nouveau, par une disposition de la Providence, dans un camp d'hommes de guerre.
J'ai vu leur mort dans une grande vision sur la vie de Thaddée dont je ne me rappelle que ce qui suit. Je vis qu'au commencement il avait une houlette de berger comme tous les autres apôtres : mais lorsqu'il s'enfonça plus avant dans ces contrées, il portait un gros bâton que je remarquai pour la Première fois dans une courte vision où je le vis courir à travers le désert. Je les vis Simon et lui, amenés par une troupe d'hommes dans un camp formé d'une multitude de tentes. On voyait dans ce camp une grande diversité de costumes : beaucoup de gens portaient des vêtements longs et amples ; d'autres des habits courts et étroits : plusieurs avaient sur le derrière de la tête une coiffure garnie d'une longue crinière : beaucoup portaient une hache passée dans la ceinture. Lorsque Thaddée et ceux qui l'accompagnaient arrivèrent dans ce camp, je vis sortir précipitamment des tentes de petits personnages tout nus, noirs et basanés, avec des têtes crépues affreusement grosses et aussi larges que leurs épaules : je vis qu'ils s'éloignèrent du camp pour aller se cacher dans des endroits ténébreux, des marais, des murs en ruines et pour ainsi dire dans le sein de la terre. Je vis l'un d'eux s'élancer tout furieux vers Thaddée, lui faire en ricanant d'affreuses grimaces, puis s'enfuir en courant. Je me souviens que ces personnages travaillaient de toutes leurs forces à exciter les esprits contre Thaddée ; qu'ainsi par exemple ils tinrent aux gens qui entouraient l'apôtre des discours qui les rendirent furieux. Thaddée et ses compagnons furent conduits en divers endroits et amenés enfin devant l'homme le plus considérable du camp. Après cette visite, on les traita mieux et on les conduisit dans un logement plus solidement construit et qui n'était pas une tente. Il y avait là plusieurs autres personnes. Après cela je vis encore divers individus qui n'étaient pas des soldats exciter les esprits au point qu'il y eut presque un soulèvement.

Je vis alors les deux apôtres se rendre, suivis d'une nombreuse escorte, dans une grande ville située au bord d'un fleuve (Babylone). Il y avait dans le pays de nombreux canaux, et dans la ville des édifices d'une grandeur démesurée, très spacieux et très massifs. Ils y furent bien traités et je vis plusieurs incidents que je ne me rappelle plus bien. Je me souviens seulement qu'il y eut en présence du roi une assemblée où les prêtres des idoles s'élevèrent fortement contre les apôtres et que, parmi ces prêtres, les uns tenaient des deux mains un paquet de serpents longs comme le bras, les autres en avaient quelques-uns dans chaque main. Ces serpents étaient ronds comme des anguilles, mais un peu plus minces : ils avaient de petites têtes arrondies et de leurs gueules ouvertes ils dardaient au dehors des langues pointues comme des flèches. On les lança contre les apôtres, mais je les vis revenir comme des traits rapides sur ceux qui les avaient apportés, se rouler autour d'eux et les mordre malgré leurs cris jusqu'au moment où les apôtres leur ordonnèrent de lâcher prise. Je vis beaucoup de gens de la ville et le roi lui-même embrasser le christianisme. J'ai quelque idée que le disciple qui accompagnait les apôtres (Abdias) resta dans la ville. Quant à eux, ils allèrent dans une autre grande cité et ils logèrent chez un homme qui était chrétien. Il y eut un soulèvement à leur occasion et je vis qu'ils furent conduits avec cet homme à un temple où il y avait des idoles d'or et d'argent placées sur des roues ou plutôt sur une espèce de trône que ces roues supportaient. Un peuple innombrable s'était rassemblé dans le temple et au dehors. Je me souviens que les idoles se brisèrent, qu'une partie du temple s'écroula et que les deux saints, sans opposer de résistance, furent traînés ça et là dans la foule, que le peuple et les prêtres les frappèrent avec toutes les armes qu'ils avaient sous la main et qu'ils furent ainsi mis a mort. Je vis l'un d'eux (c'était, je crois, Thaddée) dont la tête fut fendue en deux par une de ces haches que les gens du pays portaient à la ceinture. Je vis au-dessus des apôtres des apparitions célestes. Lorsqu'ils eurent expiré, je vis de nouveau les affreuses figures noires dont j'ai parlé plus haut se mêler parmi la foule.

Dans la scène des serpents les choses se passèrent ainsi : ces serpents furent posés par terre, les disciples les ramassèrent et les mirent dans les plis de leur manteau : d'autres qui étaient là, dressés sur leurs queues, devaient être pris par les prêtres des idoles, ils les prirent en effet, mais les serpents les mordirent et se pendirent à leurs mains, ce qui leur fit pousser des cris horribles.


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - SAINT BARTHÉLEMY.