Brentano: Visions de la Bse Emmerich - SAINT QUADRAT - 10 mai 1821.

Quelques jours auparavant, Anne Catherine avait fait en esprit un voyage à Jérusalem avec un saint dont elle avait une relique à côté d'elle. Elle se souvenait seulement qu'il lui avait montré Jérusalem après la mort de saint Jacques le Mineur, d'où on pouvait conjecturer que ce devait être un contemporain des saints apôtres. Elle garda la relique près d'elle, et le 12 mai elle raconta ce qui suit.

Cette relique est de saint Quadrat, évêque d'Athènes. Dans sa jeunesse il s'appelait Ananie : ses parents étaient de la ville de Thèbes en Grèce. Lors de l'apparition du Seigneur sur la montagne voisine de Thébez, en Galilée, ils se réunirent à la communauté chrétienne. Quadrat était alors un enfant qu'on conduisait par la main, ses parents étaient encore jeunes. Lorsque Jésus, après la résurrection de Lazare, fit son voyage au pays des trois Mages, des gens qui lui étaient dévoués étant allés en Grèce pour leurs affaires ramenèrent avec eux les parents de Quadrat qui s'établirent en Galilée, dans les environs de la ville natale de Pierre. Ils y embrassèrent le judaïsme et l'enfant reçut à la circoncision le nom d'Ananie. Ils vécurent là fort retirés, et lors de l'apparition de Jésus sur la montagne de Thébez, ils se l'adjoignirent. A l'époque de la mort de Jésus, Quadrat était plus jeune que Siméon, le cinquième fils de Marie de Cléophas, qui avait alors dix Ans et avec lequel Je l'ai vu : il pouvait avoir neuf ans.

Voyez ci-dessus. page 235.

Je l'ai vu dans la suite à Ephèse près de Jean : il fut envoyé par celui-ci à Rome auprès de Pierre. Il fut aussi quelque temps avec Paul et connut sainte Thècle. Pierre l'envoya dans un endroit assez voisin d'Athènes, et plus tard il fut élu évêque de cette dernière ville. Les chrétiens y étaient opprimés et se tenaient cachés. S’étant rassemblés secrètement pour procéder à l'élection de leur évêque, ils résolurent de choisir celui sur lequel tous les suffrages se porteraient. Dans ce moment Quadrat entrait dans l'ég1ise inopinément, et tous s'écrièrent qu'ils voulaient l'avoir pour évêque. Je l'ai vu opérer beaucoup de bien. Je vis aussi l'empereur romain venir à Athènes où il avait à régler plusieurs affaires concernant le culte des idoles : on célébrait là des mystères où on se livrait à toute sorte d'infamies inspirées par le démon. Je vis plusieurs fois Quadrat et un autre encore parler à l'empereur et lui présenter des écrits. Il rendit par là de grands services à l'Eglise et la persécution se relâcha.

Je le vis plus tard quitter Athènes où il était persécuté de nouveau. Il alla dans un autre endroit dont j'ai oublié le nom et où il fonda une église. Il partit de là pour aller vivre en anachorète dans les environs d'Éphèse. J'ai vu que le chemin de la croix établi par Marie subsistait encore et que Quadrat le visita. Je l'ai encore vu vivre solitaire dans d'autres endroits, notamment dans le désert qu'avait habité Jean-Baptiste ; quelques compagnons s'y réunirent à lui. En dernier lieu, il se rendit à Jérusalem où il souffrit le martyre : j'ai oublié dans quelles circonstances. J'ai vu encore que ses ossements n'y restèrent pas et furent transportés ailleurs. Il atteignit, à ce que je crois, l'âge de cent neuf ans.

Le 26 mai Anne Catherine eut encore une vision sur toute la vie de saint Quadrat, mais elle n'en put rapporter que peu de chose. Elle dit entre autres choses : " il n'est pas arrivé à CIX ans, mais à IXC, ce qui veut dire cent ans, moins neuf ans. Il fut quinze ans évêque d'Athènes au milieu de nombreuses persécutions. Son prédécesseur se nommait Publius. Lorsque la persécution le força à quitter Athènes, une disposition de la Providence le conduisit dans l'île de Crète où Mensor, l'un des trois rois, s'était établi à une époque antérieure et avait bâti une église qui tomba en ruines après sa mort. Quadrat aussi y construisit une église dont il subsiste encore quelque chose. Il séjourna là sept ans. De l'île de Crète, il alla dans une solitude voisine d'Éphèse ou il resta quelques années avec plusieurs compagnons, parmi lesquels se trouvait le fils d'un pêcheur de Tibériade qui fut plus spécialement son disciple. Il mourut peu de temps avant saint Siméon, évêque de Jérusalem, qu'il alla visiter dans sa prison. Il m'a expliqué lui-même pourquoi saint Luc et saint Jean n'ont rien écrit touchant certains faits qui sont pourtant aussi véritables que toutes les autres choses qu'ils ont rapportées.

Siméon ne devint évêque de Jérusalem que cinq ans après la mort de Jacques le Mineur : jusque-là il n'avait que la qualité d'ancien disciple. Avant lui un cousin de Pierre qui s'appelait Joas ou Joïas, avait gouverné quelque temps l'Eglise de Jérusalem : celui-ci mourut peu après l'élection de Siméon. Siméon quitta Jérusalem avec les chrétiens avant la destruction de la ville. Il resta douze ans sans y rentrer : ensuite il fut martyrisé, quatre vingt-sept ans après la mort du Sauveur : Quadrat l'avait été trois ans avant lui.


SAINT CARPUS. - 12-13 octobre 1820.

C'était un homme de grande taille qui portait de longs vêtements : il était païen et natif de Troade : j'ai oublié beaucoup de choses qui le concernent. Lorsqu'il n'était pas encore baptisé, je le vis dans une grande perplexité par suite de ce qu'il avait entendu dire de la doctrine de Jésus-Christ : elle lui semblait trop difficile à pratiquer et trop au-dessus des forces humaines, et il était en proie à de grands combats intérieurs. Il était d'un naturel très passionné. Je le vis dans son impatience aller pendant la nuit sur une montagne, se dépouiller de ses habits et, revêtu seulement de son vêtement de dessous, appeler à grands cris Celui qui était la vérité, quel qu'il pût être. Pendant cette lutte intérieure et cette prière ardente, je le vis avoir une vision. Il descendit du ciel devant lui une échelle de lumière qui n'avait pas d'échelons : mais en même temps il vit sortir d'une nuée brillante un livre où était écrit en caractères lumineux ce qu'il lui fallait faire pour mettre des échelons à cette échelle où il lui semblait d'abord impossible de monter. Il lut aussi dans ce livre qu'il avait en lui-même deux ennemis à vaincre.

J'ai vu plus tard que Paul vint à Troade, le convertit et le baptisa. Je vis aussi que Paul le recommanda à Jean qui n'était pas alors à Éphèse, mais en Syrie et qu'il suivit à Jérusalem et en Perse : Jean avait avec 1ui plusieurs autres disciples. Je vis qu'il se sépara de ceux-ci et qu'ayant gal de Carpus avec lui, il s'enfonça plus avant dans la solitude. Je vis Jean écrire son Évangile, couché sous un arbre au bord du Tigre : un orage survint et Carpus ne voulait pas se séparer de lui : mais il l'envoya à Smyrne avec des recommandations par suite desquelles on le fit évêque. L'apôtre avait parlé de ce qu'il allait avoir bientôt à souffrir pour Jésus-Christ et il avait ajouté que Carpus, lui aussi, recevrait la grâce du martyre. Je vis encore beaucoup de choses touchant l'Évangile de saint Jean, comment il l'écrivit tout d'un trait et sous la dictée du Saint Esprit et comment il le reçut du Ciel sous la voûte du ciel. Je vis que la plupart du temps il ne rapporta pas les faits qui s'étaient répétés et qu'il laissa beaucoup de lacunes dans sa narration quant à l'ordre chronologique.

Je vis Carpus à Smyrne où, pendant une persécution, on l'attacha à une croix et on lui disloqua les membres avec des cordes : mais il survécut à ce supplice et alla de là à Éphèse. Il partit ensuite pour Rome ; mais il mourut dans une île, assassiné, je crois, par des ennemis secrets.

Je me souviens qu'il perdit tout son sang. J'ai oublié une partie de cette scène. J'ai vu encore Carpus avec Luc et avec Denys l'Aréopagite : je ris un échange de lettres entre lui et Paul. Il eut un très grand nombre de visions, une, entre autres, dans un moment où il était vivement irrité contre deux chrétiens qui avaient apostasié. Il vit Jésus entouré de ses anges, au-dessous de lui une fosse profonde pleines de bêtes hideuses et sur le bord les deux apostats que ces bêtes tiraient à elles pour les y faire tomber. Comme il se réjouissait de leur châtiment, il vit Jésus descendre du ciel et ses anges retirer de là ces malheureux ; puis le Seigneur lui dit : " Tu veux laisser tomber ces hommes dans la fosse, et moi je mourrais volontiers pour eux encore une fois " ! Ce qui modéra le zèle trop ardent de Carpus.

Je vis à cette occasion beaucoup de choses concernant tous les apôtres. Je vis aussi Luc dans une grande salle, couché sur un banc garni d'un dossier, près d'une table qui avait la forme d'un autel. Il peignait une tête de la sainte Vierge sur une plaque de métal jaune. C'était la face seule sans le cou : elle était peinte avec des couleurs assez pâles et avait beaucoup de ressemblance avec le portrait qui appartient au Pèlerin : c'étaient bien les mêmes yeux et la même bouche, seulement le nez me parut un peu moins long. Il me sembla aussi, lorsque je vis Luc peindre ce portrait, que celui du pèlerin sortait de mon armoire et venait à moi. Luc voulut aussi faire le portrait de Jésus ; mais comme il ne pouvait pas en venir à bout, il fut ravi en extase et, en revenant à lui, il le trouva achevé miraculeusement. Sur sa table, qui ressemblait à un autel, il y avait comme une espèce de tabernacle avec un couronnement surmonté d'une figure qui tenait quelque chose à la main : il y avait encore là une image brodée. Le tabernacle était fait de manière à pouvoir tourner sur lui-même et Luc y renfermait ses couleurs et son pinceau : c'était comme un faisceau de baguettes formant éventail. Il avait aussi sur cette table tout ce qu'il fallait pour écrire.


SAINT CLEMENT DE ROME - 22 novembre 1819

Je vis saint Clément, qui alors était pape, peu avant la persécution dont il fut victime. Il était extraordinairement pâle et défait : il y avait sur son visage une expression de souffrance qui me rappela Notre Seigneur portant sa croix : ses joues étaient creuses et sa bouche contractée par la tristesse que lui causaient l'aveuglement des hommes et leur duplicité. Je le vis enseigner dans une salle : il était assis sur un siège et ses auditeurs étaient affectés très différemment. Les uns étaient tristes et émus ; quelques-uns feignaient seulement de l'être et ressentaient une joie secrète à la pensée des maux qui le menaçaient ; d'autres étaient hésitants et incertains. Je vis alors entrer des soldats romains qui se saisirent de Clément. Ils le traînèrent hors de la maison et le placèrent sur un chariot qui avait une tout autre apparence que les nôtres. Il était long et bas, les roues étaient comme des rondelles coupées dans un tronc d'arbre et extraordinairement épaisses : elles ressemblaient aux roulettes d'un chariot d'enfant et étaient percées de quatre ouvertures. Il y avait sur le derrière un siège couvert et sur le devant plusieurs sièges découverts. Le saint était assis par derrière : cinq à six soldats montèrent avec lui ; d'autres en plus grand nombre marchaient à côté du char. Les chevaux étaient plus petits et plus ramassés que les nôtres et tout autrement harnachés : il n'y avait pas dans leurs harnais une aussi grande quantité de courroies. Je vis le saint voyager jour et nuit : il était triste, mais plein de résignation. Quand ils furent arrivés au bord de la mer, on le fit monter sur un navire et le chariot s'en retourna. Le pape saint Martin fut aussi emmené sur un navire, avec cette différence qu'il ne fut pas mis sur un chariot, mais qu'il fut porté en litière jusqu'au bord de la mer.

C'était une contrée pauvre, déserte, stérile : on y voyait beaucoup de fosses profondes semblables à nos tourbières : tout y était triste et même On rencontrait par intervalles de rares emplacements cultivés sur lesquels étaient aussi quelques habitations. Je vis beaucoup d'excavations dans la terre, comme s'il y eût eu là des mines qu'on exploitait. Clément fut conduit dans un bâtiment composé de deux corps de logis dont l'un partait du milieu de l'autre. Tous deux étaient entourés d'une galerie soutenue par des colonnes. Clément fut conduit par une de ces galeries, d'abord dans le corps de logis où demeuraient les surveillants, puis dans celui où étaient les détenus. Ce dernier avait dans la partie supérieure des ouvertures par où il recevait l'air et la lumière et qui donnaient sur un péristyle où étaient rangées des figures nues dans diverses attitudes. Je vis souvent des gens qui priaient dans ce péristyle. Ces Figures, malgré leur nudité, n'avaient rien de choquant ; cependant le démon y résidait. Quelques unes avaient le bras relevé sur la tête, d'autres étendaient les deux bras en avant : il y en avait une qui tenait à la main un globe ou une espèce de pomme, d'autres avaient une coiffure surmontée d'un cimier élevé. Leurs poses étaient très naturelles et n'avaient rien de raide. Sur les côtés du corps de logis où habitaient les détenus la galerie était murée : il me sembla qu'il y avait là un amas de débris et aussi des ossements. L'édifice était dans n fond et les alentours étaient tristes et déserts. La mer était à une certaine distance.

J'eus une autre vision sur le tombeau de saint Clément. C'était comme un rocher que les eaux avaient découvert en se retirant. Il était au bord de la mer, mais à quelque distance. Il y avait une entrée conduisant dans une chambre intérieure où se trouvait un cercueil de pierre. Je ne vis pas s'il y avait encore des ossements. Quand la mer arrivait jusqu'à la plage, on voyait à peine la partie supérieure du rocher. Je ne sais pas si cette dernière vision ne se rapportait pas à un temps postérieur : tout était du reste comme je l'avais toujours vu. J'eus aussi le pressentiment qu'un autre saint reposait de l'autre côté de l'île (le pape saint Martin).

(1820) Hier et aujourd'hui lorsque je partis de l'Arabie où était Jésus pour visiter le pays ou saint Clément avait souffert le martyre, j'allai toujours en descendant dans la direction du nord. Je vis saint Clément prier dans un désert et demander à Dieu de lui faire trouver de l'eau. Il partit alors du ciel un rayon qui s'étendit en forme de porte-voix : il en sortit un petit agneau qui semblait présenter avec l'une de ses pattes un bâton terminé par une pointe aiguë comme une flèche. Plus bas un autre agneau était couché par terre. Clément prit le bâton et en frappa le sol d'où jaillit une source. Les deux agneaux disparurent aussitôt. Clément avait adressé sa prière au très saint Sacrement de l'autel. tous ceux qui buvaient de l'eau de cette source se sentaient vivement attirés vers la sainte eucharistie. Clément convertit et baptisa beaucoup de personnes.

Lors de son martyre je le vis jeté au bord de la mer dans une fosse pleine de serpents ou l'on fit entrer de l'eau : mais il en sortit au moyen d'une échelle. Je vis qu'on le mit sur un poteau d'où on le précipita dans la mer, après lui avoir attaché une ancre au cou. Son corps tomba sur un fond de rocher qui se creusa et forma un tombeau que la mer laissa à découvert en se retirant. Les chrétiens firent du rocher où était le tombeau une chapelle que les eaux couvraient souvent.

Je n'ai pas vu Clément en compagnie de Paul, mais je l'ai vu souvent avec Barnabé, avec Timothée, avec Luc et avec saint Pierre. Il était romain, mais ses ancêtres étaient des Juifs de la frontière d'Égypte. Il était marié, mais avant son mariage, il reçut d'en haut l'ordre de vivre dans la continence ainsi que sa femme, qui, à ce que je crois, fut aussi martyrisée plus tard. Il fut le troisième pape après saint Pierre.


SAINT IGNACE D'ANTIOCHE - 4 août 1820.

J'ai eu une vision de saint Ignace de Loyola qui me dit que je devais aussi honorer son patron, le saint martyr Ignace dont il y avait une relique près de moi : je vis alors cette relique et toute la vie de ce bon saint dont je me rappelle encore quelque chose.

Je vis, comme je l'avais déjà vu, Jésus dans une petite ville (Capharnaüm) (voir tome IV, page 278). Il se tenait avec ses disciples sous une galerie, devant une maison, et il envoya l'un de ses compagnons dans une autre maison située vis-à-vis pour dire à une femme qui l'habitait de venir le trouver avec son enfant : cette femme vint en effet, portant dans ses bras le petit garçon qui pouvait avoir trois ou quatre ans. Lorsque l'enfant fut devant le Seigneur, le cercle formé par les apôtres, qui s'était ouvert pour le laisser passer, se resserra autour de Jésus. Jésus parla de lui, lui posa la main sur la tête, le bénit et le serra dans ses bras. La mère s'était retirée et on le lui ramena. Cet enfant était le futur martyr saint Ignace.

Je vis des scènes de sa jeunesse qui me touchèrent beaucoup. C'était un excellent enfant que la bénédiction de Jésus avait comme transformé. Je le vis souvent aller en secret à l'endroit où Jésus l'avait béni, baiser la terre et dire : " C'est ici qu'était le saint homme. "Je le vis dans ses jeux avec d'autres enfants choisir des apôtres et des disciples, aller de côté et d'autre, faire des instructions enfantines, enfin imiter le Seigneur à sa manière. Je le vis réunir les autres enfants à l'endroit où la bénédiction lui avait été donnée leur raconter ce qui s'était passé et leur faire aussi baiser la terre. Son père et sa mère vivaient encore ; je vis que la manière d'être de l'enfant fit impression sur eux et que plus tard ils devinrent chrétiens ; j'ai vu beaucoup de choses semblables de la jeunesse d'Ignace, et j'en fus singulièrement touchée. Je le vis lorsqu'il eut atteint l'âge d'homme, s'associer aux disciples du Seigneur ; il s'attacha surtout très étroitement à Jean qui l'ordonna prêtre. Lors des premières épreuves que Jean eut à subir, Ignace l'accompagna et ne voulut pas les quitter.

Il succéda sur le siège d'Antioche à Evodius qui lui-même avait succédé à Pierre, et il fut sacré évêque dans cette ville par Jean ou par Pierre lui-même, à ce que je crois. Je vis un empereur passer par Antioche : on amena saint Ignace sur son chemin et il lui demanda si ce n'était pas lui qui, comme un esprit malfaisant, excitait tant de troubles dans la ville ; Ignace lui demanda à son tour comment il pouvait traiter de démon celui qui portait Dieu en lui, qui portait Jésus dans son coeur. J'entendis encore l'empereur lui demander s'il savait à qui il parlait, et le saint lui répondre qu'il était le premier que l'esprit malin eut envoyé pour outrager le serviteur de Jésus. Alors l'empereur le condamna à être martyrisé à Rome et Ignace l'en remercia plein de joie. Je le vis conduire chargé de chaînes dans une autre ville, où on l'embarqua sur un navire. Il y avait près de lui des soldats qui le tourmentaient beaucoup. Je le vis aussi débarquer : dans les endroits par où il passait, beaucoup d'évêques et de chrétiens venaient au devant de lui, le saluaient et lui demandaient sa bénédiction. Je le vis à Smyrne chez l'évêque Polycarpe qui avait été son condisciple : ils eurent une grande joie de se retrouver ensemble et Ignace exhorta et consola tous les fidèles. Je vis que dans ses discours et ses lettres il leur demandait de prier afin que les bêtes féroces le broyassent et fussent pour lui comme un moulin, où il serait moulu ainsi que du froment pour être offert en sacrifice comme le pain très pur de Jésus-Christ. Je le vis ensuite conduire à Rome : les chrétiens, là aussi, vinrent à sa rencontre, s'agenouillèrent devant lui en pleurant et lui demandèrent sa bénédiction. Il répéta qu'il voulait être broyé et offert en sacrifice au Seigneur. Toute sa marche fut comme une marche triomphale. Aussitôt après son arrivée, on le conduisit au lieu du supplice où il demanda à Dieu que les lions le laissassent prier quelque temps, qu'ensuite ils le dévorassent tout entier, n'épargnant que son coeur et quelques ossements qui pourraient encore faire quelque chose sur la terre pour le service de Jésus-Christ. Il me fut parlé à cette occasion de l'importance et de la valeur de ses reliques. Les choses se passèrent comme il l'avait demandé dans sa prière : à peine fut-il arrivé au lieu du supplice qu'il s'agenouilla et pria : bientôt les lions se précipitèrent sur lui pleins de fureur et sa mort fut très prompte. Ils le dévorèrent en quelques moments et léchèrent son sang : il ne resta de lui que quelques gros ossements et son coeur. On emmena les lions, et les spectateurs se retirèrent : mais les chrétiens accoururent et se disputèrent vivement ses ossements. En regardant son coeur ils y virent les lettres du nom de Jésus, comme sur l'écriteau de la croix, indiquées par des espèces de nerfs ou de veines de couleur bleuâtre.


LES SAINTE MARTHE ET MARIE MADELEINE. - 22 juillet 1820.

J'ai eu une grande vision touchant Marie-Madeleine. J'ai vu encore cette fois, comme je l'avais toujours vu, que Marie-Madeleine la pécheresse et la femme qui versa trois fois des parfums sur Jésus sont une seule et même personne, soeur de Marthe et de Lazare. Je l'ai vue d'abord à Béthanie dans la maison de Lazare qui était la plus grande et la plus belle de l'endroit : c'est la même que celle où j'ai vu le Seigneur prendre un repas avant d'aller pour la dernière fois à Jérusalem et où beaucoup de personnes mangèrent dans la cour et sous des galeries. Cette maison était un héritage que Lazare tenait de son père.

Je vis cette nuit le frère et les deux soeurs vivant encore ensemble. Lazare et Marthe menaient une vie très simple et faisaient beaucoup d'aumônes : Madeleine au contraire vivait dans l'oisiveté et étalait un luxe scandaleux, ce qui leur donnait beaucoup de chagrin. Elle habitait à l'étage supérieur : elle avait deux suivantes et deux serviteurs. Je la vis extraordinairement occupée de sa toilette : elle cherchait toujours à attirer les regards du public et rougissait de son frère et de sa soeur. Elle avait un siège couvert de tapis qui ressemblait à un petit trône : elle le faisait porter sur le toit en terrasse de la maison et s'asseyait là en grande parure pour recevoir des visiteurs parmi lesquels étaient plusieurs hommes et plusieurs femmes de Jérusalem. Elle était grande et forte, avait des cheveux blonds très longs et très épais, de très belles mains et un très beau teint.

Sa toilette était extraordinairement compliquée et surchargée d'ornements. Je la vis une fois assise sur cette plate-forme : elle avait sur la tête une coiffure garnie de perles et faite d'une étoffe d'un gris jaunâtre qui ressemblait à de la dentelle ; tout cela entremêlé de perles, d'objets brillants et de boucles de cheveux artistement frisés. Du haut de cette coiffure tombait par derrière jusqu'à terre un long voile transparent. Elle avait autour du cou une collerette très ouvragée dont les plis montaient jusqu'au menton. Sa poitrine était serrée dans une espèce de corset d'une étoffe luisante brochée de fleurs rouges et blanches : la jupe de même étoffe était plissée transversalement. Elle portait en outre une robe de dessus à fleurs d'or, qui ne fermait que sous la poitrine. Les manches froncées aux épaules, étaient attachées au-dessus et au-dessous du coude par de larges fermoirs de perles : enfin aux coudes et aux poignets pendaient de longs festons dont la couleur tirait sur le jaune et qui avaient l'air de dentelles. La robe avait une longue queue. Dans cet attirail qui lui permettait à peine de se mouvoir, Madeleine ; elle avait tout l'air d'une poupée.

Peu après l'ascension de Jésus-Christ, Madeleine s'était retirée dans le désert, un peu au delà de l'endroit où avait résidé Jean-Baptiste. Au commencement elle s'arrêtait dans des lieux où il y avait quelques cabanes dont les habitants lui procuraient des aliments. Elle avait des vêtements qui l'enveloppaïent tout entière. Ensuite elle s'enfonça plus avant dans un, contrée sauvage hérissée de rochers et vécut loin des hommes dans une grotte : je vis alors que Satan cherchait à l'effrayer en lui apparaissant sous la forme d'un dragon et qu'il vomissait des flammes sur elle, mais elles se retournaient toujours contre lui et il était obligé de se retirer. Dans les premiers temps la Mère de Dieu résida à Béthanie près de Marthe et de Lazare. Lazare se tenait caché le plus souvent et ne se montrait que la nuit. Personne ne s'attaquait à la sainte Vierge Marie. Plus tard elle alla à Ephèse. Lazare s'était tout à fait adjoint aux disciples. Trois ou quatre ans après la mort du Sauveur, Marthe et lui furent mis en prison par les Juifs : Madeleine ayant voulu leur rendre visite pendant la nuit, on se saisit aussi d'elle sur le chemin. Avec Lazare qui avait été ordonné prêtre, on arrêta encore un jeune homme nommé Maximin et un autre dont j'ai oublié le nom, puis Marcelle, ancienne servante de Madeleine et la servante de Marthe. Ils étaient sept : trois hommes et quatre femmes. Je vis les Juifs les conduire au bord de la mer, avec toutes sortes de mauvais traitements, et les faire monter dans une petite embarcation dont les planelles étaient toutes disjointes et qui n'avait ni voiles, ni rames. On l'amarra à un plus grand navire qu'on conduisit en pleine mer et là on la détacha. Je vis cette barque, pendant que Lazare et ses compagnons priaient et chantaient des cantiques, aborder sur les côtes de France dans un endroit où les flots venaient mourir doucement sur la plage. Ils débarquèrent et repoussèrent loin du bord leur petite embarcation. Je les vis faire plus d'une lieue avant d'arriver à une grande ville où ils entrèrent. Leur traversée s'était faite avec une vitesse miraculeuse. Ils n'avaient avec eux que quelques unes de ces petites cruches qu'on porte ordinairement sur soi dans la Palestine et où ils trouvèrent de quoi se désaltérer. Je les vis arriver dans la grande ville de Massilia. Personne ne les molesta : on les regarda, mais on les laissa passer. Je vis qu'on célébrait la fête d'une fausse divinité et que les sept étrangers s'assirent sous le péristyle d'un temple situé sur une grande place. Ils restèrent là longtemps, et quand ils se furent un rafraîchis à l'aide de leurs petites cruches, Marthe, la première, adressa la Parole au peuple qui se rassemblait autour d'eux, raconta comment ils étaient venus et dit aussi quelque chose de Jésus. Son discours fut très animé et très vif. Je vis plus tard que le peuple leur jeta des pierres pour les chasser de là : mais les pierres ne leur firent aucun mal et ils restèrent tranquillement assis à la même place jusqu'au lendemain matin. Les autres aussi s'étaient mis à parler et déjà plusieurs personnes leur montraient de la sympathie. Le lendemain, je vis sortir d'un grand édifice qui me fit l'effet d'une maison de ville, des gens qui vinrent leur adresser diverses questions : ils restèrent encore toute la journée sous le péristyle et s'entretinrent avec les passants qui se rassemblaient autour d'eux. Le troisième jour on les conduisit à cette maison devant le magistrat : je vis alors qu'on les sépara. Les hommes restèrent près du magistrat ; les femmes se rendirent dans une maison de la ville : on leur fit un bon accueil et on leur donna à manger. Je vis qu'ils prêchaient l'Evangile là où ils allèrent et que le magistrat fit notifier par toute la ville qu'on ne les maltraiter en rien. Je vis que bientôt beaucoup de personnes se firent baptiser : Lazare baptisa dans un grand bassin qui se trouvait sur la place, devant le temple, et le temple ne tarda pas à être fort délaissé. Je crois que le premier magistrat de la ville fut de ceux qui reçurent le baptême. Je vis aussi qu'ils ne restèrent pas longtemps réunis dans cette ville où Lazare continua à prêcher l'Évangile en qualité d'évêque.

Madeleine se sépara de tous les autres et se retira dans une solitude assez éloignée : elle y avait une grotte pour demeure.

Marthe se retira avec Marcelle et l'autre servante dans une contrée sauvage, couverte de rochers et située plus à l'est. Il y avait là plusieurs femmes qui s'étaient bâties de petites cabanes adossées à des cavernes. Elle y reçut d'elles un très bon accueil et dans la suite il s'établit là un couvent.

J'ai vu aussi où étaient allés les hommes qui étaient avec Lazare, mais je l'ai oublié. J'ai vu plusieurs fois Madeleine aller à moitié chemin de sa retraite à la rencontre de l'un d'eux (c'était je crois, Maximin), qui lui donnait la sainte communion. Marcelle avait été au service de Madeleine pendant qu'elle menait encore une vie mondaine. Les femmes auxquelles Marthe se joignit étaient, comme elle, des personnes bannies de leur pays.

Le troisième des hommes qui étaient venus avec Madeleine s'appelait Chelitonius : c'était l'aveugle né guéri par Jésus ; Il était resté constamment avec les disciples, une vision touchant sa guérison m'a fait savoir qui il était. J'entendis prononcer son nom.

Je vis sainte Marthe lorsqu'elle eut quitté Massilia : accompagnée de Marcelle, de l'autre servante et de quelques femmes qui s'étaient attachées à elles, elle était arrivée dans une contrée sauvage, d'un accès difficile, où plusieurs femmes païennes habitaient des cabanes adossées aux autres des rochers. C'étaient des captives que les gens du pays avaient enlevées pendant une guerre et qu'ils avaient établies là : elles étaient soumises à une surveillance particulière. Marthe et ses compagnes s'établirent dans leur voisinage : elles se construisirent d'abord de petites cabanes près des leurs : plus tard elles bâtirent un couvent et une église. L'église, au commencement, n'avait que les quatre murs avec une toiture en branches tressées recouvertes de gazon : toutes y travaillèrent. Elles convertirent d'abord les captives dont quelques-unes s'adjoignirent à elles : d'autres au contraire leur donnèrent beaucoup de chagrins et par des dénonciations perfides attirèrent sur elles des persécutions de toute espèce de la part des habitants du pays.
Il y avait dans le voisinage une ville qui s'appelait Aquae à ce que je crois. Il semblait y avoir là des sources d'eau chaude, car on voyait de ce côté s'élever continuellement des masses de vapeur.

Note : Aquae Sextia, aujourd'hui Aix.

J'ai vu Marthe près d'un fleuve très large, faire périr un monstre qui se tenait dans ce fleuve et qui faisait beaucoup de ravages. Il renversait les barques ; souvent aussi il venait à terre et dévorait des hommes et du bétail. C'était comme un porc d'une grandeur démesurée : il avait une tête énorme, des pattes très courtes, semblables à celles d'une tortue, la partie inférieure du corps comme celle d'un poisson, et des ailes membraneuses garnies de griffes. Marthe le rencontra dans un bois sur le bord du fleuve, comme il venait de dévorer un homme. Il y avait plusieurs personnes avec elle. Elle dompta le monstre en lui jetant sa ceinture autour du cou au nom de Jésus, puis elle l'étrangla. Le peuple l'acheva à coups de pierres et d'épieux. Je la vis souvent prêcher l'Évangile devant un nombreux auditoire, soit en plein champ, soit au bord du fleuve. Elle avait coutume alors, avec l'aide de ses compagnes, d'élever avec des pierres une espèce de tertre sur lequel elle montait. Elles disposaient ces pierres en forme de degrés : l'intérieur était creux comme un caveau : elles plaçaient en haut une large pierre sur laquelle Marthe se tenait. Elle faisait ce travail mieux qu'un maçon de profession, grâce à son activité et à son adresse extraordinaire.

Je la vis un jour prêcher au bord du fleuve du haut d'un de ces amas de pierres : un jeune homme qui était sur l'autre rive voulut traverser la rivière à la nage pour venir l'entendre : mais le courant l'emporta et il se noya. J'eus alors une vision où je vis les gens du pays lui adresser force injures à ce sujet et lui reprocher en outre d'avoir converti à sa foi les femmes esclaves. Je vis aussi le père du jeune homme noyé retrouver son corps le lendemain, l'apporter devant Marthe en présence d'une foule nombreuse et lui dire qu'il croirait à son Dieu si elle rendait la vie à son fils. Je vis alors Marthe lui ordonner au nom de Jésus de revenir à la vie : il ressuscita en effet et se fit chrétien ainsi que son père et plusieurs autres : toutefois il y eut des gens qui traitèrent Marthe de magicienne et la persécutèrent. Je vis aussi qu'un de ceux qui étaient venus de la Palestine avec elle (c'était je crois, le disciple Maximin), s'était établi dans le voisinage : il visitait Marthe en qualité de prêtre et lui donnait la sainte communion. Marthe travailla beaucoup à propager l'Evangile et opéra un très grand nombre de conversions.

Madeleine était plus à l'ouest dans une grotte presque inaccessible et elle faisait une rude pénitence. Lazare était encore à Marseille. J'ai vu que Madeleine mourut peu de temps avant Marthe. Sa grotte était dans une montagne sauvage dont les sommets faisaient de loin l'effet de deux tours penchées. Cette grotte s'appuyait sur des piliers formés par la nature et il y avait dans les parois des trous où l'on pouvait placer divers objets. Il s'y trouvait un autel de gazon surmonté d'une grande croix formée naturellement par des branches qui avaient poussé là. Il n'y avait pas d'image du Sauveur : une couronne était suspendue au milieu. La couche de Madeleine n'était pas dans la grotte, mais à coté dans une paroi de rocher ou elle l'avait taillée elle-même. C'était comme un tombeau pratiqué dans la montagne et on pouvait la fermer avec une porte en clayonnage. Elle n'était pas facile à trouver.

Je vis Madeleine étendue sur cette couche après sa mort. Elle était couverte d'un vêtement de feuilles et portait sur la tête une sorte de bonnet fait aussi avec des feuilles. Ses cheveux étaient roulés autour de sa tête une partie seulement retombait sur le derrière du cou. Elle était couchée s le des et tenait une croix entre ses bras qui étaient croisés sur sa poitrine. Elle n'était pas maigre, elle avait plutôt de l'embonpoint, seulement sa peau était brunie et durcie par les intempéries de l'air. Il y avait par terre auprès d'elle deux petits plats d'argile fort propres. La porte qui fermait la couche avait été retirée. Je vis arriver deux ermites portant des bâtons entre lesquels une grande couverture était assujettie avec des cordes. Ils enveloppèrent décemment le corps et le portèrent assez loin delà au couvent de sainte Marthe. Madeleine avait encore une couverture de couleur brune.

Anne Catherine raconta en outre qu'elle avait vu une église bâtie par Maximin conservait des reliques de Madeleine : sa tête à laquelle il manquait une mâchoire et où il restait encore un peu de chair d'un côté, un de ses bras, des cheveux et aussi un vase avec de la terre : mais elle ne savait pas ce que c'était que cette terre. Elle avait vu d'autres endroits où il y avait de ses reliques.
Madeleine aussi a dompté un dragon qui s'était placé devant sa grotte comme s'il eut voulu y entrer. J'ai vu souvent des dragons. Ils sont autrement conformés que les lézards ailés ou les crocodiles leur corps est plus arrondi : il a une croupe recourbée et quelque ressemblance avec celui du cheval. Ils ont le cou épais, sans être court, la tête large et longue ; leur gueule est effrayante, et s'agrandit beaucoup lorsqu'elle s'ouvre, car elle est garnie des deux côtés d'une large peau plissée et pendante. A la jonction des épaules et de la poitrine sont attachées des ailes membraneuses semblables à celles de la chauve-souris. Leurs jambes ne sont pas plus grosses qu'une jambe de vache : la partie supérieure en est courte : ils ont de longues griffes et une longue queue. Lorsqu'ils volent ils replient leurs pieds de devant sous le ventre et étendent les pieds de derrière. Ils volent ordinairement droit devant eux : je les ai vus pourtant s'enlever par-dessus de grandes forêts de cèdres.

Ces animaux ont quelque chose d'affreux, de diabolique. Je ne les ai jamais vus en grand nombre : je n'ai pas vu non plus de nids où ils eussent leurs petits. Je ne les ai vus que dans des contrées tout à fait sauvages et désertes, au milieu de rochers affreux et dans de grandes cavernes ; quelquefois aussi au pied de vieux arbres ou au bord de fleuves et de lacs solitaires. Les plus grands que j'aie vus avaient la grosseur d'un poulain : d'autres celle d'un porc. Ils n'attaquaient que les hommes isolés. Je vis souvent sortir de leur gosier comme un trait de feu qui tombant à terre se changeait en une noire vapeur.

Dans les temps anciens, surtout avant Jésus-Christ, le règne animal produisait parfois des êtres différents de ceux que nous connaissons. Dans les temps plus rapprochés de nous, je n'en ai vu aucun.


Brentano: Visions de la Bse Emmerich - SAINT QUADRAT - 10 mai 1821.