Brentano: Visions de la Bse Emmerich - LES SAINTE MARTHE ET MARIE MADELEINE. - 22 juillet 1820.


SAINTE VERONIQUE - 4 février 1821


Le nom de Véronique était Séraphia. Elle était fille d'un frère de Zacharie d'Hébron. Elle avait en outre des rapports de parenté avec le vieux Siméon et connaissait les fils de celui-ci, lesquels tenaient de leur père une inclination pour le Messie qui restait toujours un secret entre eux. Véronique n'était plus une enfant lorsque Jésus, à l'âge de douze ans, resta dans le temple à Jérusalem : toutefois elle n'était pas encore mariée. Les parents de l'enfant Jésus le cherchèrent pendant deux jours parmi leurs proches et leurs amis : il était resté à Jérusalem avec quatre jeunes gens plus âgés que lui, et quand il n'était pas au temple, il se tenait dans cette maison située devant la porte de Bethléem, où Marie, avant la purification, avait passé avec lui un jour et deux nuits chez de vieilles gens. Je vis Véronique lui faire porter là à manger. Cette petite hôtellerie était une espèce de fondation : elle se trouvait à l'est de la montagne des Oliviers. Jésus et les disciples y trouvaient souvent un asile. Je vis que Jésus, lorsqu'il enseigna dans le temple pendant les jours qui précédèrent sa Passion, y fut souvent nourri en secret par Véronique : cette maison était habitée par d'autres personnes.

Le mari de Véronique s'appelait Sirach et descendait de la chaste Suzanne. Au commencement il était opposé aux chrétiens et enfermait souvent Véronique lorsqu'il s'apercevait des soins qu'elle se donnait pour leur venir en aide. Ils avaient trois enfants dont deux furent du nombre des disciples. Sirach fut converti par Joseph d'Arimathie.

Quant au saint suaire, j'ai vu que c'était un de ces linges comme on en portait autour du cou et comme on en avait souvent un second sur les épaules. Véronique en avait un sur les épaules lorsque Jésus passa portant sa croix. On présentait un de ces linges à quelqu'un pour lui témoigner sa sympathie, la part qu'on prenait à son affliction. Lorsque Véronique vit le Seigneur si défiguré et sa face ensanglantée, elle courut à lui en toute hâte et lui essuya le visage qui s'imprima sur un côté du linge avec les marques sanglantes des plaies qui couvraient son front et tout son visage. Véronique n'est jamais allée à Rome. Le suaire resta en la possession des saintes femmes ; lorsque Marthe et Madeleine furent bannies de la Palestine, il passa entre les mains de la mère de Dieu, puis il fut porté à Rome par les apôtres. Pendant cette persécution qu'eurent à subir Lazare et ses soeurs, Véronique qui était une grande femme de belle apparence, eut aussi beaucoup à souffrir. Ils prirent la fuite, mais on se saisit d'eux, et Véronique mourut de faim en prison.


SAINTE THECLE. 22-23 septembre 1820 et 23 septembre 1821.

Lorsque je reçus hier la relique de Sainte Thècle, je vis la sainte descendre d'en haut vers moi : elle était comme revêtue de lumière et portait à la main une branche couverte de fleurs d'un blanc jaunâtre qui étaient fermées. Elle me dit en montrant la relique : " C'est une parcelle de mes ossements ". Je vis après cela jusqu'au soir diverses scènes de sa vie, et ce matin tout son martyre me fut montré dans une vision qui dura à peu près une heure.

Je vis d'abord Thècle dans la maison de ses parents à Iconium : elle était de taille moyenne, ses cheveux étaient bruns. Son visage était grave et beau : elle n'avait pas le teint fleuri, mais brun. Son front et son nez formaient presqu'une ligne droite. Elle avait dans toute sa personne quelque chose de pieux et de grave et portait une longue robe de laine blanche avec une large ceinture dont les extrémités étaient courtes par devant : cette robe était relevée par endroits et formait des plis nombreux. Ses manches étaient larges et attachées avec des rubans cannelés au milieu et garnis de perles sur les bords. Ses cheveux partagés en trois parties et entremêlés d'une étoffe transparente qui brillait comme de l'argent, étaient masses à droite, a gauche et sur le derrière de la tête.

Je la vis d'abord dans la maison de ses parents avec son père, sa mère et son fiance qui était un grand homme de très bonnes manières. Elle avait avec lui les façons les plus amicales. La maison était comme celles de l'ancien temps, bâtie autour d'une cour avec des galeries soutenues par des colonnes. Devant la maison il y avait encore une autre cour entourée d'un mur au haut duquel était une terrasse avec une balustrade à hauteur d'appui. Au-dessus de cette terrasse étaient tendues des tapisseries pour préserver du soleil.

Paul était à Iconium avec un disciple : ce n'était pas Barnabé, autant que je m'en souviens. Il y avait dans la ville une synagogue : mais Paul enseignait aussi publiquement dans des maisons où il avait des amis et même au dehors. Ce fut ainsi qu'il prêcha sur une extrade à l'entrée d'une maison qui faisait face à celle de Thècle. Il avait un nombreux auditoire parmi lequel se trouvaient des jeunes filles. Il enseigna sur le mariage et dit entre autres choses : " Celui qui se marie ne pèche pas, mais celui qui ne se marie pas, fait mieux ; etc ". Thècle était assise sur la terrasse et elle entendit ces paroles de l'autre côté de la rue. Les jeunes filles de la ville venaient souvent s'asseoir ainsi sur leurs terrasses, parées de toute espèce d'atours, innocemment ou à mauvaise intention. Thècle fut très émue des paroles de l'apôtre. Après ce discours, Paul fut mis en prison.

Je vis qu'on préparait les présents de noces de Thècle, qu'un envoyé de son fiance la visita et qu'elle renonça à lui. Je la vis une fois seule dans sa chambre : elle avait un rouleau d'écritures de l'épaisseur du doigt dans lequel elle lisait : c'était un écrit de Paul dans lequel il était question du mariage et de la virginité. Cette lecture l'émut beaucoup. Elle joignit les mains et pria, prit sur sa poitrine un bijou qu'elle avait reçu de son fiancé, puis en prit un autre sur son épaule droite ou à son oreille c'était comme une pierre blanche avec un petit ornement dessus. Elle mit tout cela dans une cassette où étaient renfermés plusieurs autres joyaux. Vers le soir je la vis, ayant sur le bras un voile de couleur sombre, quitter la maison et aller dans la ville à la recherche de quelqu'un. Elle rencontra un homme qu'elle connaissait, auquel elle remit ses bijoux. Lorsqu'elle fut de retour chez elle, cet homme vint lui apporter de petites plaques de métal carrées. Je la vis, accompagnée d'un serviteur, se glisser dans l'obscurité jusqu'à la prison de Paul. Elle avait la tête enveloppée d'un voile brun ; elle longea des murs épais et passa sous des arcades. Il y avait là des gardes auxquels elle ne parla pas : mais elle rencontra un homme qui semblait être le geôlier en chef et auquel elle donna de l'argent. Je vis celui-ci prendre une lampe et conduire Thècle dans la prison : il resta sur le seuil de la porte pour l'éclairer. Saint Paul n'était pas enchaîné : il était enveloppé dans un grand manteau. La prison était spacieuse : Paul avait près de lui des rouleaux d'écritures. Thècle s'entretint avec lui, lui exposa sa situation et les pensées qui l'agitaient. L'apôtre lui donna plusieurs explications : puis elle s'agenouilla et il la baptisa avec l'eau d'un flacon qu'il portait dans les plis de sa robe. Alors une lumière descendit d'en haut et les environna tous les deux. Le geôlier vit cela, et plus tard lui aussi se fit chrétien. Je vis Thècle quitter la prison et rentrer chez elle : j'eus alors des visions où je la vis renoncer à toute espèce de parure, se voiler entièrement et déclarer à ses parents et à son fiancé qu'elle était chrétienne et voulait rester vierge. Je vis là-dessus sa mère hors d'elle-même : Thècle fut conduite dans la maison d'une femme qui devait, à ce qu'on espérait, la faire changer de sentiment, mais elle n'y réussit pas. Cette femme s'appelait Tryphène. Je vis ensuite Thècle traduite devant le tribunal comme chrétienne sur l'accusation de sa propre mère, puis interrogée, condamnée, jetée en prison et enfin conduite au lieu du supplice. On l'avait dépouillée de tous ses vêtements, mais un nuage vint l'entourer et lui servir de voile : on la fit passer au milieu d'un cercle de valets de bourreaux qui la frappèrent à coups de verges jusqu'à ce qu'elle tombât par terre. Je la vis plus tard attachée à un poteau et déchirée avec des ongles de fer : ses longs cheveux pendaient autour de son corps ensanglanté. On alluma un bûcher : quand on l'eût détachée du poteau, elle y sauta d'elle-même et resta les bras étendus au milieu des flammes qui l'environnaient sans lui faire de mal et qui bientôt s'éloignèrent d'elle. Puis la pluie se mit à tomber si abondamment que tout le monde s'enfuit du lieu du supplice et que le feu s'éteignit. Thècle pouvait s'enfuir : elle n'en fit rien et se laissa ramener en prison. Beaucoup de gens se convertirent. Je la vis priant la nuit dans son cachot : je vis aussi saint Paul lui apparaître, la consoler et guérir toutes ses blessures. Paul alors n'était plus prisonnier : on avait écrit à Rome, je crois, à son sujet et il avait été mis en liberté.

Je vis de nouveau conduire Thècle de la prison au tribunal et de là dans une enceinte circulaire où elle devait combattre contre les bêtes féroces. On la dépouilla encore de ses vêtements et sa pudeur fut encore protégée miraculeusement. On attacha à ses côtés avec des chaînes un ours et une lionne. Elle avait une chaîne de chaque côté du corps et une à chaque bras, et ces quatre chaînes retenaient près d'elle les deux bêtes féroces. Une secousse violente qu'elles lui donnèrent la fit tomber à la renverse. Alors la lionne brisa les chaînes sans faire aucun mal à la sainte : elle marcha dessus et passa sa tête au-dessous en sorte qu'elles se rompirent. L'ours était assis à quelque distance, plein de rage, mais intimidé : la lionne se jeta sur lui et l'étrangla, puis, comme un chien caressant, elle revint à Thècle qui s'était débarrassée de ses chaînes et se mit à lui lécher les pieds, pendant que la sainte la dressait et lui passait la main sur la tête et même dans la gueule. Tout le peuple cria au miracle, le juge déclara qu'il ne ferait plus rien contre elle et se convertit.

Mais d'autres conduisirent Thècle couverte d'une souquenille brune dans le voisinage d'un cours d'eau. Il y avait là une profonde citerne revêtue en maçonnerie au fond de laquelle il y avait de la vase toute remplie d'affreux serpents. Les valets du bourreau s'étant saisis de la sainte pour l'y précipiter la tête la première, elle s'échappa de leurs mains, fit le signe de la croix sur la citerne et sauta dedans : mais les serpents se retirèrent devant elle et se serrèrent contre les parois. Alors les bourreaux ouvrirent une écluse et la citerne se remplit de l'eau de la rivière voisine ; mais Thècle s'éleva avec l'eau sans quitter la position verticale et n'en ayant que jusqu'à mi-corps. Les serpents de leur côté grimpèrent contre les parois sans se rapprocher d'elle et l'on fut obligé d'arrêter l'eau, car autrement ils seraient sortis et se seraient jetés sur le peuple. La pieuse vierge qui n'avait eu aucun mal rendit grâce à Dieu : on la retira de là et il y eut beaucoup de conversions. Elle fut alors ramenée chez Tryphène qui se convertit, elle aussi.

Comme après tout cela beaucoup de personnes et surtout de jeunes filles venaient se joindre à Thècle, on la bannit de la ville et je la vis parmi des rochers dans une grotte couverte de gazon. Plusieurs femmes et jeunes filles l'avaient suivie. Elle était tout enveloppée dans un vêtement de couleur brune : elle avait sur la tête un capuchon qui lui couvrait le cou et la poitrine et qui faisait des plis quand elle tournait la tête. La grotte était dans un lieu très retiré. Je la vis errer dans les environs et mendier sa subsistance. Elle instruisait les gens du voisinage sans faire d'éclat, priait auprès des malades et les guérissait par l'imposition des mains. Elle faisait tout cela très simplement et sans s'attribuer aucune autorité, mais comme une personne pieuse favorisée de grands dons surnaturels. Plus tard je la vis à Séleucie chez cette même Tryphène dont il a déjà été parlé. Elle partit de la pour aller rejoindre saint Paul et elle fit des prédications ; mais il la renvoya, disant que cela n'était pas convenable. Une fois pourtant il lui fit une visite.

23-24 septembre. -- Je vis cette nuit sainte Thècle avec environ sept autres femmes et jeunes filles établie près de Séleucie dans un ermitage très bien arrangé. Plusieurs cellules très propres avaient été pratiquées dans des rochers formant une enceinte semi-circulaire. Au milieu de cette enceinte était une colonne hexagone ou octogone soutenant un toit qui abritait tout l'espace compris entre la colonne et les cellules : il était couvert de gazon et de verdure. La partie antérieure était fermée par des arbres et des rochers : il y avait des deux côtés une entrée étroite. Le toit s'appuyait sur ces arbres et s'engageait dans leurs branches. La lumière arrivait dans l'enceinte couverte et dans les cellules par des ouvertures pratiquées dans le haut du toit. Tout cet ensemble avait beaucoup de grâce, d'élégance et de distinction. Les cellules étaient taillées dans des roches veinées de diverses couleurs : il y avait dans chacune un banc recouvert de mousse sur lequel ces femmes dormaient : on y avait aussi pratiqué des niches où se trouvaient des croix de bois ayant cette forme \I/ : quelques-unes portaient une image du Christ qui semblait découpée dans du parchemin ; sur d'autres c'était une image faite à l'aiguille ressemblant un peu à une poupée. Ces niches se fermaient au moyen de trappes, qui en s'abaissant, présentaient une petite table devant l'image. Je vis en outre chez les habitantes de l'ermitage des verges et des cordes de crin dont elles se servaient pour se mortifier. Je vis des petits plats bruns qui semblaient façonnés avec de la terre, mais pas de foyers pour faire du feu : je crois qu'elles ne mangeaient que des fruits et des aliments crus. Les portes des cellules étaient en clayonnage. Il y avait une source devant l'ermitage. Autour de la colonne centrale régnait un ressaut formant une espèce d'autel : elle était entièrement revêtue de tapis sur lesquels étaient brodées à l'aiguille des figures d'un travail fort simple, représentant entre autres certains apôtres et la sainte Vierge. Il me parut aussi qu'il y avait à l'intérieur de cette colonne comme une espèce d'armoire : je ne me rappelle plus ce qu'on y renfermait. Thècle et ses compagnes priaient ensemble autour de cette colonne. Une de leurs occupations était de tresser des couvertures.

Je vis Thècle, qui n'avait que dix-sept ans à l'époque de son martyre, couchée ici sur son lit de mort à l'âge de quarante. Ses compagnes étaient agenouillées autour d'elle et un prêtre, qui me parut aussi être un anachorète, lui donna la communion. Il portait la sainte Eucharistie dans une boîte oblongue de forme quadrangulaire, laquelle s'ouvrait à moitié. C'était un morceau de pain de forme ovale enveloppé dans un linge. Le prêtre avait une longue barbe et le corps ceint d'une corde. Thècle ne mourut pas tout de suite ; avant d'expirer elle resta longtemps encore étendue sur sa couche, silencieuse et immobile comme la sainte Vierge Marie au moment de sa mort. Plus tard j'eus une vision touchant ses funérailles. Ses compagnes l'enveloppèrent entièrement avec des bandelettes, comme on le faisait pour les morts dans ce pays. On la coucha sur une planche et celle-ci fut placée sur une autre qui était garnie de poignées pour l'aider à la porter. On déposa ensuite le corps dans une grotte sépulcrale où plusieurs autres reposaient déjà. Je crois que par la suite on bâtit là une chapelle.

Je me souviens encore que, me trouvant dans une chapelle près de son tombeau, la sainte m'apparut, me revêtit d'un vêtement blanc et me mit notamment sur la tête une coiffe blanche, très belle quoique fort simple et semblable à un capuchon qui recouvrait aussi la poitrine : elle était élégamment plissée et cachait presque entièrement je visage. J'ai oublié pourquoi Thècle m'habillait ainsi, mais je crois qu'il s'agissait d'une mission que je devais remplir quelque part dans ce costume pour n'être pas reconnue.

La pieuse Anne Catherine avait vu toute la vie de sainte Thècle, mais elle ne put communiquer que ce qui précède. Il lui fut dit encore que sainte Thècle, en qualité de première martyre, avait été comparée à la sainte Vierge par des Pères de l'Eglise.


L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX PAR SAINTE HELENE - 2 mai 1820.


J'ai vu souvent cette scène dans le cours de ma vie, spécialement dans ma jeunesse : je voyais à cette occasion tous les lieux et tous les chemins avec les changements qu'ils avaient subis : mais je ne m'en rappelle plus que peu de chose. J'étais alors tellement occupée du chemin sacré de la croix et du saint Sépulcre que, par un effet de la bonté de Dieu, je les voyais habituellement dans le plus grand détail. Le jardin du saint Sépulcre descendait en pente douce, à partir de l'éminence qui renfermait le caveau sépulcral. Je vis un jour raser cette éminence et jeter dans le jardin la terre qu'on en avait retirée : tout fut comblé et obstrué par de nouvelles constructions. Cette nuit encore j'ai vu en vision tous ces saints lieux : la montagne du Calvaire et le tombeau avaient subi des changements qui les rendaient méconnaissables : beaucoup de chemins étaient encombres et coupés par d'autres. La montagne du Calvaire, autour de laquelle s'élevaient jadis d'autres collines entremêlées de sites agréables était notablement abaissée et la plate-forme qui la terminait très élargie. Je vis sur l'emplacement du saint Sépulcre un temple dans le haut duquel étaient pratiquées des ouvertures rondes. Les chemins qui conduisaient là n'étaient plus les mêmes : en quelques endroits les pentes douces étaient coupées à pic et l'on voyait du sable blanc et des pierres blanches. Il y avait aussi à l'entour de méchantes cabanes et des constructions élevées terminées en pointe. Je vis aujourd'hui tout cela au commencement de la vision : mais plus tard quand je vis Hélène faire faire des fouilles pour retrouver la croix, le temple était démoli. Je me souviens d'après une vision antérieure que lors de cette démolition je vis un vent d'orage déjouer la mauvaise volonté des ouvriers employés à ce travail, en balayant par-dessus leur tête d'énormes nuages de poussière et de débris et en déblayant ainsi ces saints lieux qu'ils auraient volontiers laissés enfouis sous les décombres.

J'ai aussi vu le saint Sépulcre dans d'autres circonstances très diverses : à une certaine époque il n'y avait au-dessus qu'une petite coupole ronde. Je le vis déjà en honneur lorsque l'entrée était encore comme dans le principe en face de la couche où avait reposé le corps. Plus tard je vis cette entrée murée : on y avait adossé une petite construction où étaient déposés des objets sacrés. Maintenant l'entrée n'est plus la même qu'autrefois : on entre du côté où reposait la tête de Notre Seigneur.

Cette nuit, hier au soir et même déjà dans la journée, je vis une grande femme d'un port majestueux, très verte encore quoiqu'avancée en âge, et portant sur la tête un voile qui recouvrait une petite couronne, visiter les unes après les autres, comme pour y faire des recherches, de misérables habitations et des caves obscures attenantes au mur d'enceinte de Jérusalem. Je vis aussi un vieux Juif à longue barbe, petit et maigre, tout enveloppé dans une fourrure parsemée de longues queues d'animaux, se glisser successivement de l'une de ces maisons dans l'autre pour échapper aux recherches de cette femme. Je la vis une autre fois convoquer toute une assemblée de Juifs. J'eus encore, au milieu des tourments de cette nuit sans sommeil, une vision où je vis cette même femme, accompagnée du vieux Juif et de deux hommes qui portaient un instrument à forer de très grande dimension, se rendre au lieu où était enfouie la sainte croix. Le temple païen était déjà démoli. Le vieux Juif ne savait pas bien exactement où il fallait fouiller : on sonda d'abord en décrivant un cercle, et puis en se rapprochant de plus en plus du centre jusqu'au moment où l'instrument donna une indication dont je ne me souviens plus. Ce fut là qu'on commença les fouilles. Je vis l'impératrice Hélène lorsqu'elle arriva à cet endroit, déposer sa couronne et laisser flotter ses cheveux : elle retira aussi quelque chose de son cou et de sa poitrine, ôta sa chaussure et déposa tout cela sur une pierre blanche très propre qui se trouvait là. Il leur fallut creuser profondément avant de rien rencontrer. Ils trouvèrent d'abord la croix d'un des larrons, puis à peu de distance la croix de Jésus-Christ, puis enfin une autre croix. Je n'ai jamais pu comprendre qu'on raconte qu'ils ne purent pas distinguer la sainte croix des deux autres, car j'y ai toujours vu une grande différence Les croix des larrons étaient faites de pièces de bois rondes : les traverses étaient assujetties par un coin en bois qui faisait saillie. La croix du Christ, au contraire, était faite d'une pièce de bois régulièrement équarrie, et qui avait un peu plus de largeur que d'épaisseur : on y avait ajusté des bras qui s'élevaient obliquement en forme d'y. Il y avait en outre une planchette pour les pieds, fixée par un gros clou qui était je crois rivé par derrière. Lors de l'invention de la croix, je vis cette planchette retournée. Ils dressèrent la sainte croix et Hélène l'embrassa. Je vis qu'ils démontèrent les deux autres croix, et les laissèrent là comme du bois mutile : je me disais alors dans ma simplicité qu'ils auraient bien du conserver celle du bon larron. Je ne me souviens pas d'avoir vu trouver aujourd'hui l'écriteau ni les clous : mais cette vision a été interrompue par trop de souffrances pour que j'aie pu tout remarquer. Ce dont je me souviens encore, c'est que le peuple accourut en foule et qu'on plaça sur le chemin des soldats chargés de maintenir l'ordre. Je vis aussi transporter la croix en grande pompe : on amena sur son passage des boiteux et des malades qu'on soutenait sous les bras ou qu'on portait sur des civières, ils furent guéris par son attouchement. Je crois qu'on a considéré ces miracles comme servant à constater que c'était bien la vraie croix, mais non comme un moyen de la distinguer des deux autres.

Le 18 août 1820, jour de la fête de sainte Hélène, Anne-Catherine eut la vision qui suit :

Je vis beaucoup de choses touchant cette sainte impératrice : Je raconterai ce dont je me souviens encore. Je la vis dans la ville principale d'une contrée assez déserte où il n'y avait pas beaucoup d'autres villes : elle habitait une maison bâtie en pierre, mais fort simple ; son père s'appelait Cléol ou Cloel : je crois que le pays en question était la Dacie. Je vis que l'empereur Constance, étant en voyage, passa par là et logea dans un palais peu éloigné de la maison d'Hélène. Il vit Hélène qui était belle, intelligente et de manières agréables. Il alla chez elle plusieurs fois et elle consentit à l'épouser avec l'agrément de son père. Il la quitta bientôt, lui laissant beaucoup d'argent et de bijoux. Je vis qu'alors elle s'établit dans une maison de plus d'apparence, mena une vie conforme à son rang, mit au monde un fils qui reçut le nom de Constantin. Je vis que, quand cet enfant eut deux ans, on le conduisit à une cour où il devait être élève. Hélène et ses parents continuèrent à vivre dans l'abondance. Mais elle resta dans son pays et n'alla pas rejoindre son mari qui venait quelquefois la voir. Je vis qu'elle avait de l'aversion pour l'idolâtrie et qu'elle frayait beaucoup avec des Juifs : elle croyait que ce peuple pour lequel Dieu avait tant fait devait être le premier peuple du monde. J'eus des visions où je vis que Constance était un homme excellent et qu'il traitait avec bonté les chrétiens eux-mêmes. Il était grand, il avait de l'embonpoint et le visage très pâle. Il semblait exercer l'autorité suprême dans le pays d'Hélène.

Je vis ensuite comment Constantin devint empereur après la mort de son père et comment il alla à Rome après sa seconde campagne. Il y embrassa le Christianisme et il fit venir sa mère près de lui. Par suite de plusieurs apparitions il avait une grande confiance dans le signe de la sainte croix et il le faisait porter avec de grands honneurs devant son armée comme un étendard mais il agissait ainsi par pure superstition, comme font bien des gens de notre temps qui portent des amulettes sans être pieux. Il croyait que ce signe avait une vertu : il n'avait du reste que des idées grossières sur le Christ qu'il regardait comme un Dieu semblable aux autres dieux. Aussi, quoique souvent bien intentionné, il faisait beaucoup de mauvaises choses, persécutait souvent les chrétiens parce qu'on le trompait sur leur compte et il se contentait d'honorer la croix comme un signe de victoire qui portait bonheur. Le pape Sylvestre et beaucoup de prêtres s'enfuirent de Rome pour échapper a ses poursuites et se cachèrent dans les flancs d'une montagne. Il en fit tant que Dieu le châtia : il fut atteint de la lèpre et les prêtres des idoles lui dirent qu'il guérirait en se baignant dans du sang de petits enfants. Ce conseil lui ayant fait horreur, il se fit amener le pape Sylvestre qui l'instruisit dans la religion chrétienne. Il fit pénitence pendant sept jours, et j'ai vu le pape Sylvestre lui donner le baptême. Il se plongea entièrement dans l'eau et en sortit parfaitement guéri. Voyant alors ce que c'était que le christianisme, il envoya à sa mère par un homme de confiance une lettre où il lui disait qu'il avait été guéri en se faisant chrétien et où il l'engageait à venir le joindre et à se faire chrétienne. Or Hélène, sa mère, connaissait fort peu le christianisme. Elle avait une certaine vénération pour le Messie ; on lui avait dit que le Fils de Dieu était venu dans le monde pour les Juifs, et c'est pourquoi elle les regardait comme un peuple d'élite et avait de fréquents rapports avec des Juifs instruits. Lorsqu'elle leur dit que l'empereur avait embrassé la religion chrétienne, ils accueillirent cette nouvelle par des exclamations bruyantes et furent saisis d'un grand effroi. Elle écrivit alors à son fils, que, voulant renoncer au paganisme, il aurait mieux fait d'embrasser la religion des Juifs. L'empereur ayant parlé de cela au pape, celui-ci l'engagea à faire venir sa mère à Rome avec des docteurs juifs et à assister à une conférence entre eux et lui. Constantin lui écrivit en ce sens : elle chercha partout des Juifs savants et vint à Rome avec les deux plus instruits qu'elle était pu trouver. La conférence eut lieu en présence de plusieurs autres Juifs et de deux philosophes païens choisis comme arbitres. Je vis Sylvestre réfuter victorieusement toutes les objections de ses adversaires : les deux Juifs se convertirent et je vis l'impératrice Hélène partir avec eux pour Jérusalem à la recherche de la sainte croix. Les deux convertis laissèrent croire qu'ils n'avaient pas changé de religion et ils obtinrent des Juifs de la ville les renseignements nécessaires sur l'emplacement du tombeau du Christ et du Calvaire. L'impératrice trouva au-dessus du saint Sépulcre un temple de Vénus orné de statues païennes ; l'idole d'Adonis avait été placée au haut de la montagne du Calvaire. Cependant les Juifs ne voulaient pas dire où était enfouie la croix du Christ et ils renvoyaient ceux qui les interrogeaient à ce vieux Juif que j'ai vu à l'invention de la sainte croix. Je ne sais plus comment on finit par décider celui-ci à donner les renseignements qu'on voulait avoir. Lorsqu'on eut creusé à l'endroit désigné, on trouva les bras de la croix séparés de la pièce principale, mais rangés à côté : l'écriteau, sur lequel était cloué un parchemin portant l'inscription, était enfoui à quelque distance. Les trois clous étaient placés les uns à côté des autres, sur l'un des bras de la croix : celui qui avait traversé les pieds était long d'une palme et demie, les deux autres d'une palme seulement. Hélène envoya le grand clou à son fils. Je vis aussi déterrer les croix des larrons qui étaient plus grossièrement travaillées.

Le vieux Juif aussi devint chrétien et grand zélateur de la croix : il portait toujours une croix figurée sur le côté droit de sa robe. Il est devenu plus tard évêque de Jérusalem. Je vis qu'Hélène se fit baptiser à Jérusalem. Je vis aussi qu'elle fit démolir les temples d'idoles élevés sur l'emplacement du saint Sépulcre. Au commencement les Juifs ne voulaient pas s'y employer sérieusement, mais il s'éleva un orage terrible, le vent balaya tous les décombres et renversa de fond en comble plusieurs habitations juives qui recouvraient tout le terrain d'alentour. Les Juifs furent saisis de terreur et ils se mirent au travail avec une ardeur incroyable. L'entrée primitive du saint Sépulcre était fermée, mais on y entra par un des côtés : Hélène avait alors plus de cinquante ans : c'était une grande et belle femme, pleine encore de vigueur et d'agilité. Je la vis plus tard occupée à faire bâtir là une grande église. Les chrétiens à cette époque avaient encore la leur sur la montagne de Sion à l'endroit où avait eu lieu l'institution de la sainte Eucharistie.









Brentano: Visions de la Bse Emmerich - LES SAINTE MARTHE ET MARIE MADELEINE. - 22 juillet 1820.