Espérance Liban



EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE


UNE ESPÉRANCE NOUVELLE POUR LE LIBAN

DE SA SAINTETÉ


JEAN-PAUL II

AUX PATRIARCHES, AUX ÉVÊQUES, AU CLERGÉ,

AUX RELIGIEUX, AUX RELIGIEUSES

ET À TOUS LES FIDÈLES DU LIBAN




INTRODUCTION

I. Un Synode pour l’espérance

1 UNE ESPÉRANCE NOUVELLE pour le Liban est née au cours de l’Assemblée spéciale du Synode des Evêques.Les catholiques de cette terre sainte sont invités par le Seigneur à vivre dans «l’espérance [qui] ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint- Esprit qui nous fut donné» (Rm 5,5). Ainsi renouvelés par Dieu, les fidèles du Christ qui sont au Liban deviendront pour tous leurs frères les témoins de son amour. L’Eglise catholique a tenu à associer à sa démarche des représentants des différentes communautés libanaises; elle manifeste ainsi que, dans le dialogue respectueux et le partage fraternel, l’édification de la société est une oeuvre commune à tous les Libanais.

Le Liban est un pays vers lequel les regards se tournent souvent. Nous ne pouvons oublier qu’il est le berceau d’une culture antique et un des phares de la Méditerranée. Personne ne peut ignorer le nom de Biblos, qui rappelle les origines de l’écriture. C’est dans cette région du Proche-Orient où Dieu a envoyé son Fils afin d’accomplir le salut de tous les hommes que, pour la première fois, les disciples du Christ reçurent le nom de chrétiens (cf. Ac 11,19-26). Aussi, le christianisme devint-il rapidement un élément essentiel de la culture de la région et, en particulier, de la terre libanaise, riche aujourd’hui de plusieurs traditions religieuses. Des catholiques membres d’Eglises patriarcales différentes, ainsi que du Vicariat apostolique latin, y habitent. De ce fait, dès l’éveil de sa conscience, le jeune catholique libanais baptisé se sait maronite, ou grec-melkite, ou arménien catholique, ou syriaque catholique, ou chaldéen, ou latin. C’est ainsi qu’il s’ouvre à la vie chrétienne et qu’il est appelé à découvrir l’universalité de l’Eglise. Des chrétiens d’autres Eglises et Communautés ecclésiales résident aussi au Liban. L’autre partie importante de la population est constituée de musulmans et de druzes. Pour le pays, ces communautés différentes sont à la fois une richesse, une originalité et une difficulté. Mais pour tous les habitants de cette terre, faire vivre le Liban est une tâche commune.

Lors de la célébration eucharistique de clôture de l’Assemblée synodale, j’ai dit: «Tous ont besoin de [la] dimension sociale de la charité, qui permet aux hommes de construire ensemble. Nous savons combien le Liban a besoin de construire et de reconstruire, spécialement suite aux douloureuses expériences de plusieurs années de guerre, dans la recherche d’une paix juste et de la sécurité dans les rapports avec les pays limitrophes». J’ai souligné aussi que l’engagement des chrétiens est important pour le Liban, «dont les racines historiques sont de nature religieuse. Et c’est précisément en raison de ces racines religieuses de l’identité nationale et politique libanaise que, après les dures années de la guerre, on a voulu et pu mettre en route une Assemblée synodale, afin de rechercher ensemble la voie du renouvellement de la foi, d’une meilleure collaboration et d’un témoignage commun plus efficace, sans oublier la reconstruction de la société» (1). En collaborant avec tous leurs compatriotes, les catholiques sont particulièrement appelés à servir le bien commun de la cité terrestre en tirant de la foi leur inspiration et les principes fondamentaux pour la vie en société.

1) Jean-Paul II, Homélie de la célébration eucharistique de clôture de l’Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques (14 décembre 1995), n. 1: La Documentation catholique 93 (1996), p. 34.

2 Lorsque, le 12 juin 1991, j’ai convoqué une Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, la situation du pays était dramatique. Le Liban avait été profondément ébranlé dans toutes ses composantes. J’ai invité les catholiques présents sur cette terre à entreprendre un cheminement de prière, de pénitence et de conversion, qui leur permettrait de s’interroger, devant le Seigneur, sur leur fidélité à l’Evangile et sur leur engagement effectif à la suite du Christ. Par un retour sur soi lucide, accompli dans la foi, les pasteurs et les fidèles devaient pouvoir mieux discerner et préciser les priorités spirituelles, pastorales et apostoliques qu’ils avaient à promouvoir dans le contexte actuel du pays.

Dès le début, j’ai demandé aux autres Eglises et Communautés ecclésiales de bien vouloir s’associer à cet effort, manifestant aussi l’intention oecuménique de l’Assemblée synodale, car pour l’avenir du Liban l’espérance est aussi liée à celle de l’unité des chrétiens. J’ai également invité les communautés musulmanes et druze à prendre leur part dans le projet; bien qu’il fût question avant tout d’un renouveau propre à l’Eglise catholique, il s’agissait en même temps de la reconstruction matérielle et spirituelle du pays, qui était un souci essentiel de tous; et cela n’était possible qu’avec la participation active de l’ensemble de ses habitants.

Ces appels ont été entendus et j’en rends grâce au Seigneur, qui agit dans le coeur des hommes de bonne volonté. Une large consultation des catholiques a été entreprise. Plus de la moitié des réponses à cette consultation provenaient de chrétiens laïcs, qui voulaient ainsi manifester leur intérêt, souvent critique d’ailleurs, pour l’effort de renouveau ecclésial qu’il était opportun de réaliser dans ce cadre.

Le Conseil préparatoire du Synode étudia les réponses reçues et proposa comme thème du Synode: «Le Christ est notre espérance. Renouvelés par son Esprit, solidaires, nous témoignons de son amour». Très volontiers, j’ai fait mien ce thème et je l’ai annoncé et commenté dans un message adressé à tous les Libanais en juin 1992.

A partir des réponses reçues, le Conseil préparatoire a rédigé un premier document important, lesLineamenta, qui a bénéficié de nombreuses collaborations. Ce document avait pour but de stimuler la prière et la réflexion de toutes les personnes concernées, notamment en posant sur chaque sujet une série de questions. La réflexion critique qui a été ainsi lancée était déjà porteuse de promesses. La conversion commence lorsque chacun accepte de s’interroger sur ses façons d’être et d’agir, en les confrontant sincèrement au message évangélique. Ce long travail de maturation a abouti à de nombreuses réponses de qualité. Des symposiums ont été organisés sur différents sujets et leurs travaux rendus publics. Beaucoup de paroisses ont réuni des groupes de réflexion, où l’on a travaillé les Lineamenta, chapitre par chapitre. Des groupes de personnes, spécialisées dans l’un ou l’autre domaine, ont envoyé des contributions élaborées.

Le Conseil de préparation s’est remis au travail pour rédiger un texte qui tienne compte de l’ensemble des réponses reçues. Ce document, l’Instrumentum laboris, allait fournir le programme de travail de l’Assemblée synodale.


3 A la suite de ce travail préparatoire, l’Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques s’est réunie à Rome le dimanche 26 novembre 1995. Elle a commencé par une concélébration eucharistique dans la Basilique patriarcale Saint- Pierre. Cette liturgie a bien montré ce qu’est un Synode: une célébration en Eglise. L’unité dans la diversité, thème si souvent repris durant les débats, a d’abord été exprimée par l’Eucharistie solennelle dans la Basilique Saint-Pierre, à laquelle étaient présents tous les participants à l’Assemblée synodale. Durant les travaux du Synode, nous avons continué à prier en commun selon les traditions diverses de l’Orient et de l’Occident, demandant au Seigneur d’être présent au milieu de nous et de nous envoyer son Esprit pour que nous soyons ensemble son Eglise et que nous fassions sa volonté.

L’unité dans la diversité s’est manifestée par la qualité même des participants. Les Pères synodaux comprenaient tous les patriarches catholiques d’Orient, les archevêques et les évêques des différents diocèses catholiques du Liban, les Cardinaux des Dicastères du Saint- Siège concernés par les questions de l’Eglise au Liban, des Evêques libanais de la diaspora, des Supérieurs généraux prêtres des Ordres fondés et présents au Liban, des représentants des Supérieurs majeurs et des Evêques représentants des autres patriarcats catholiques du Proche- Orient, de même que quelques personnalités ecclésiastiques particulièrement intéressées par les objectifs du Synode.

Etaient également présents des délégués fraternels des autres Eglises et Communautés chrétiennes au Liban. J’ai aussi été heureux d’accueillir les représentants des communautés sunnite, chi’ite et druze. Il y avait enfin des auditeurs, prêtres, religieux, religieuses et laïcs. Tous ont participé aux travaux et se sont exprimés avec liberté, pertinence et enthousiasme, dans les réunions plénières comme dans les réunions restreintes des carrefours. Par ailleurs, des experts que j’avais nommés ont très utilement contribué au bon déroulement des travaux du Synode.


4 Malgré le nombre nécessairement limité d’invités à une telle Assemblée, des membres de toutes les catégories de chrétiens et de toutes les composantes de la société libanaise étaient là, accompagnés par des représentants de l’Eglise catholique venus d’autres régions du monde. Ainsi les Eglises locales et tous les habitants du Liban étaient portés par la sollicitude du monde catholique envers ce pays.


5 La conclusion des travaux de l’Assemblée ouvre une nouvelle étape de la démarche synodale. Un ensemble de propositions a été formulé et voté par les Pères synodaux. Sur la base de ces propositions et des autres documents du Synode, les Pères m’ont demandé de rédiger une Exhortation apostolique post-synodale, d’abord à l’intention des catholiques libanais, mais s’adressant aussi à l’ensemble des Libanais et à tous ceux qui prennent à coeur la situation de ce pays (2). Un Conseil post-synodal nommé par mes soins, assisté par le Secrétariat général du Synode, a contribué à la préparation du présent document.

2) Cf. Proposition 1.

6 Voici les grandes lignes de cette Exhortation. Après avoir porté dans le premier chapitre un regard sur la situation actuelle de l’Eglise catholique au Liban, le deuxième chapitre esquisse la réflexion théologique qui sous-tend l’ensemble des orientations qui seront tracées ensuite de manière concrète. Le troisième chapitre regroupe tout ce qui concerne le renouveau interne de l’Eglise catholique au Liban. Le quatrième chapitre concerne la communion entre les différentes Eglises patriarcales au Liban et même autour du Liban. Un cinquième chapitre traite de la place de l’Eglise au Liban aujourd’hui. Le sixième chapitre évoque la dimension sociale et nationale. En effet, le Synode n’a pas porté son attention exclusivement sur les questions internes à l’Eglise catholique au Liban, mais il a eu tout le pays présent à l’esprit, car le destin des catholiques est profondément lié au destin du Liban et à sa vocation si particulière.


7 Chers frères et soeurs du Liban, le présent document donne des principes de réflexion, des orientations pour le renouveau et des suggestions concrètes. Il pourra vous servir dans les années qui viennent pour vous guider dans un renouveau constant. Vous chercherez les moyens de mettre en oeuvre ce qui dans ce document est souvent exprimé sous la forme de souhaits. Vous compléterez les réflexions proposées, car, dans bien des cas, l’Assemblée synodale n’a fait qu’ouvrir des perspectives d’ensemble.

Il faudra que soit poursuivi et sans cesse affermi l’élan suscité par la préparation et par la tenue de cette Assemblée spéciale. Le Synode a inauguré une méthode de travail fondée sur l’écoute attentive de toutes les composantes de la population libanaise en général et des diverses catégories et institutions catholiques en particulier. Poursuivez ce travail et ne considérez surtout pas que le Synode est clos avec la publication de cette Exhortation apostolique. Je vous recommande vivement de chercher par tous les moyens à rendre fraternelle et effective la réception de ce document et à mettre en application ce que je vous propose ici, dans un souci constant de l’unité entre les catholiques et du bien de tout le peuple. Continuez votre discernement critique, soyez disponibles à l’action de l’Esprit Saint et laissez-vous inspirer par l’Evangile de notre Seigneur. Ainsi le Christ sera vraiment votre espérance et son Esprit vous renouvellera. Alors, solidaires, vous continuerez à témoigner de son amour.



CHAPITRE I


Situation actuelle de l’Eglise catholique au Liban

Unité et Diversité

8 L’une des caractéristiques les plus obvies de l’Eglise catholique au Liban est d’être à la fois une et multiple. Elle consiste moins en une juxtaposition territoriale de diocèses, qu’en une imbrication d’Eglises patriarcales sui iuris et d’un vicariat apostolique latin, tous unis par la même foi, les mêmes sacrements et une totale communion de foi et de charité avec l’Evêque de Rome, Successeur de l’Apôtre Pierre.

Vous savez les liens d’affection qui m’unissent à cette «terre bien-aimée », comme j’ai eu l’occasion de le rappeler en plusieurs circonstances et en particulier dès le début de mon pontificat (3). Tous les fidèles catholiques éprouvent aussi un profond attachement envers leurs frères de ce pays cher à leur coeur de disciples du Seigneur et envers toute la terre que Notre Seigneur a foulée et a rendue sainte.

La diversité de l’Eglise catholique au Liban est loin d’être purement juridique. Elle est le résultat de la longue histoire propre à chacune de ses traditions spirituelles. Aussi, les Eglises patriarcales, dont plusieurs se réclament de l’Eglise d’Antioche, conservent chacune un patrimoine culturel propre et des traditions ecclésiales, liturgiques, théologiques, spirituelles et disciplinaires spécifiques (4).

Il est vrai que les Eglises orientales catholiques continuent à se développer selon des perspectives diverses, liées à la situation socio-politique actuelle des pays où elles sont présentes, ainsi qu’à l’importance numérique et à la vitalité des fidèles dans les pays d’émigration. Mais en même temps, au Liban, les différentes Eglises sui iuris et le vicariat apostolique latin sont une seule Eglise et font partie de la seule et même Eglise catholique autour du Successeur de Pierre, dans une communauté de vie et de destin, partagée depuis très longtemps pour certaines d’entre elles, en cette région de l’Orient et dans ce pays, le Liban. Elles se trouvent face aux mêmes exigences nationales et aux mêmes dangers; elles ont les mêmes espoirs et surtout la même mission confiée par le Christ.

3) Cf. Jean-Paul II, Premier message (17 octobre 1978): AAS 70 (1978), p. 925; Allocution au Corps diplomatique (12 janvier 1979), n. 6: AAS 71 (1979), pp. 355-357; Discours à la XXXIVe Assemblée générale de l’Organisation des Nations-Unies (2 octobre 1979), n. 10: AAS 71 (1979), pp. 1150-1151; Allocution au Sacré-Collège (22 décembre 1981), n. 11: AAS 74 (1982), pp. 304-305.
4) Cf. Code des Canons des Eglises orientales, can.
CIO 28.

9 La façon de vivre la diversité du patrimoine ecclésial n’est pas toujours perçue comme un élément positif. Cela a même pu susciter entre les Eglises locales des sentiments de méfiance, jusqu’à devenir un véritable obstacle sur le chemin de l’entente et de la collaboration. Ainsi, l’interpénétration des juridictions a parfois provoqué de réels conflits de pouvoir (5) qui ont paralysé l’action pastorale commune et porté par là un contre-témoignage. De telles difficultés ne peuvent être surmontées que dans la foi et grâce à un respect mutuel sincère.

Aujourd’hui, les Eglises patriarcales souhaitent dépasser toute étroitesse de vues et s’ouvrir à une collaboration de plus en plus intense entre elles, par fidélité à la parole du Seigneur: «A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (
Jn 13,35).

Il n’est donc pas étonnant que l’Assemblée spéciale ait considéré comme prioritaire pour le renouveau de l’Eglise catholique au Liban cet appel: «Convertissons-nous et vivons l’unité de l’Eglise» (6). Le Message du Synode insistait en soulignant que plus qu’une nouvelle organisation, ce qu’il faut promouvoir c’est une nouvelle mentalité qui doit résolument marquer chaque Eglise patriarcale et «non plus le constant souci d’affirmer les différences, mais le constant souci de souligner l’unité tout en respectant la diversité» (7).

Un tel engagement implique à la fois un aveu, des sentiments de repentir et un cri d’espérance; l’aveu d’avoir manqué d’esprit de communion dans l’Eglise; le repentir sincère pour avoir contristé l’Esprit Saint (cf. Ep 4,30), ferment divin d’unité; un cri d’espérance dans le Christ mort et ressuscité, vivant avec nous, parmi nous et pour nous. C’est en s’engageant franchement dans ce sens que les membres des différentes Eglises locales sont appelés à se renouveler intérieurement afin d’ouvrir leur âme aux dimensions de la charité du Christ, dans une sainte émulation avec leurs frères des autres traditions spirituelles.

5) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Lineamenta, n. 37.
6) Idem, Message, titre du chapitre I.
7) Ibid., n. 15: La Documentation catholique 93 (1996), p. 37.


L’Eglise catholique au Liban à la suite des événements récents

10 L’Eglise catholique au Liban a beaucoup pâti de la division de ses fils, particulièrement durant les récentes années de guerre. Elle en a été déchirée même de l’intérieur. En 1993, ceux qui ont préparé l’Assemblée spéciale écrivaient dans les Lineamenta: «L’Eglise au Liban [...] fut, comme les autres composantes du pays, blessée dans sa chair. Mais c’est surtout dans sa conscience qu’elle fut profondément éprouvée. Elle a vu ses fils tués, tuant et s’entre-tuant. Elle continue à souffrir de leurs querelles toujours vivaces; la meurtrit vivement le fossé profond que ces années troublées ont creusé entre nombre de ses fidèles et entre ceux-ci et l’autorité ecclésiastique» (8).

Depuis, des signes de rapprochement entre les membres des Eglises sui iuris se dessinent, aussi bien dans les esprits que dans les structures. De fait, le synode des évêques de chaque Eglise patriarcale (9) est appelé à traiter des problèmes de l’heure et à veiller à l’unité du patriarcat, avec le souci d’une union toujours plus forte avec les autres patriarcats (10).

Par ailleurs, les Eglises orientales catholiques au Liban se sentent plus que jamais attachées à leur structure patriarcale, en vertu de laquelle le patriarche préside le synode des évêques de son patriarcat. Leurs concertations contribuent à rendre visible le mystère de l’Eglise communion (11), aussi bien à l’intérieur de chaque patriarcat que dans la relation de celui-ci avec les autres Eglises patriarcales dans le pays et au sein de l’Eglise universelle.

La collaboration se fait plus intense entre les membres d’une même Eglise patriarcale, le patriarche, les évêques, les prêtres, les diacres, les religieux, les religieuses et les laïcs. Les fidèles laïcs en particulier font preuve d’une généreuse disponibilité et sont prêts à répondre aux appels de la hiérarchie, à ses demandes de coopération à l’intérieur des différents conseils diocésains ou paroissiaux, dans l’administration des waqfs ou en d’autres services de l’Eglise. En ce qui concerne le clergé, la volonté de coordination et de collaboration doit se manifester dans le cadre des nombreuses structures, telles que les réunions de prêtres, de prêtres avec des laïcs, par secteurs géographiques ou par centres d’intérêt, à des fins pastorales ou spirituelles. Une telle volonté est soutenue par la grâce de l’Esprit Saint qui assiste et soutient l’Eglise. Elle mérite d’être vivement encouragée; elle est un appel au dialogue et à des modes sains et efficaces de travail commun; elle demande aussi que tous aient une bonne connaissance de la nature authentique de l’Eglise et du sens véritable du service chrétien. Ainsi que je l’écrivais dans l’exhortation sur la vie consacrée, la doctrine de l’Eglise comme communion permet «de mieux comprendre que ses diverses composantes peuvent et doivent unir leurs forces, dans un esprit de collaboration et d’échange des dons, pour participer à la mission ecclésiale. Cela contribue à donner une image plus juste et plus complète de l’Eglise » (12)

8) Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Lineamenta, n. 4.
9) Cf. Code des Canons des Eglises orientales, can.
CIO 102-113.
10) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Lineamenta, n. 37.
11) Cf. Conseil des Patriarches catholiques d’Orient, IVe Lettre pastorale Mystère de l’Eglise (Noël 1996), nn. 17- 22.
12) Exhort. apost. post-synodale Vita consecrata, n. VC 54: AAS 88 (1996), pp. 426-427.


11 D’ailleurs, les Eglises orientales catholiques du Liban ont déjà créé entre elles des structures de concertation, de coordination et de coopération. Le modèle en est l’«Assemblée des Patriarches et des Evêques catholiques au Liban» (APECL) (13). Cette Assemblée siège régulièrement pour animer la réflexion et guider l’action commune en fonction des nécessités pastorales. Selon les désirs de l’Assemblée synodale, elle s’est réorganisée, pour une plus grande efficacité pastorale, en prenant soin de faire participer de manière plus effective les prêtres et les laïcs au travail commun et aux décisions ecclésiales. L’expérience vécue par les participants à l’Assemblée spéciale pour le Liban a montré combien les pasteurs et les fidèles catholiques se savent et se veulent une Eglise, et à quel point ils s’admettent et s’estiment mutuellement dans leur diversité. Ce temps de grâce demeurera une source intarissable d’énergie, aussi bien pour l’élan vers le renforcement de leur unité que pour l’épanouissement toujours plus authentique de leurs spécificités.

13) Conc. oecum. Vat. II, Décret sur la charge pastorale des Evêques dans l’Eglise Christus Dominus, nn.
CD 36-38; Code des Canons des Eglises orientales, can. CIO 322.


Avec les autres Eglises et Communautés chrétiennes au Liban

12 Au terme de l’Assemblée spéciale, après avoir déclaré que l’unité au sein de l’Eglise catholique ne suffisait pas, les Pères ont manifesté leur détermination en faveur du «dialogue avec les autres Eglises chrétiennes, pour répondre à la volonté du Seigneur exprimée dans sa prière au Père: «Père Saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés pour qu’ils soient un comme nous sommes un. [...] Qu’ils soient parfaitement un afin que le monde croie que tu m’as envoyé!» (Jn 17,11 Jn 17,21)» (14).

Cet engagement des Pères du Synode reflète une prise de conscience de la gravité de la division des chrétiens. Il exprime aussi la douleur concrètement ressentie face à une telle infidélité à la volonté du Seigneur. En effet, la division des chrétiens sépare souvent des personnes qui se côtoient tous les jours et qui s’aiment, qui partagent la même foi au Christ et au Baptême. Pour ce qui est des orthodoxes et des catholiques, ils ont des conceptions convergentes sur des points essentiels concernant l’Eglise et les sacrements. Bien des chrétiens unis par les liens du mariage souffrent cependant, eux-mêmes et leurs enfants, d’être tiraillés entre des doctrines différentes sur l’Eglise et sur leurs devoirs à son égard. La division entre les chrétiens n’est pas sans conséquences parfois pénibles dans la vie sociale et elle constitue un contre-témoignage aux yeux de beaucoup de compatriotes.

Mais, si elle est en elle-même un scandale du point de vue de la nature même de l’Eglise indivise et du point de vue de sa mission à l’égard du monde, cette situation semble pouvoir, en nos temps, devenir une occasion de grâce: elle fait office de stimulant et elle incite les chrétiens à mettre toute leur conviction et toute leur énergie pour oeuvrer en faveur de la communion de l’Eglise et pour accomplir des gestes de pardon mutuel. De fait, les orthodoxes et les catholiques reprennent conscience des antiques traditions ecclésiales et sociales qui les rassemblent et de leur fraternité dans le Christ, même si parfois, dans les temps passés, leur cohabitation a revêtu un caractère orageux. Il est cependant «clairement apparu que la méthode à suivre vers la pleine communion est le dialogue de la vérité, nourri et soutenu par le dialogue de la charité» (15). Ce processus devra être mené avec une grande prudence et une attitude de foi, sous la conduite de l’Esprit Saint (16). Les Communautés ecclésiales issues de la Réforme, bien que beaucoup plus récentes au Liban, se retrouvent, elles aussi, incluses de leur plein gré dans ce mouvement de rapprochement. Tous les chrétiens du pays souhaitent ardemment que se réalise leur pleine unité. Avec eux et en communion avec tous nos frères dans la foi, partout dans le monde, nous nous sentons conviés à redoubler de ferveur dans la prière, afin que s’accomplisse ce voeu, si cher au coeur de notre Seigneur. D’ailleurs, dès le premier instant de la démarche synodale, les Pères ont déployé leurs efforts pour que, dans leur pays, tous les croyants au Christ, Verbe de Dieu incarné, participent, au moins par la prière, au renouveau dans l’Eglise (17).

14) Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Message, n. 18: La Documentation catholique 93 (1996), p. 37.
15) Jean-Paul II, Encycl. Ut unum sint, n. UUS 60: AAS 87 (1995), pp. 957-958.
16) Cf. Ibid., n. UUS 80: loc. cit., p. 969.
17) Cf. Jean-Paul II, Annonce de la convocation de l’Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques (Audience générale du 12 juin 1991): La Documentation catholique 88 (1991), p. 714.


Relations avec les fidèles des religions monothéistes, et en particulier avec les musulmans

13 L’Eglise a le souci de promouvoir l’unité et la charité entre les hommes et entre les peuples. En effet, «nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l’image de Dieu» (18). Nous formons une seule et même communauté humaine, que Dieu a fait habiter «sur toute la surface de la terre» (Ac 17,26 cf. Gn Gn 1,26-30); le Seigneur veut conduire les hommes «à la connaissance de la vérité» (1Tm 2,4) et réaliser leur soif de bonheur éternel (cf. Ps 63,2 [62]).

L’Eglise catholique considère avec attention la quête spirituelle des hommes et reconnaît volontiers la part de vérité qui entre dans la démarche religieuse des personnes et des peuples, tout en affirmant que la vérité parfaite se trouve dans le Christ, qu’il est le commencement et le terme de l’histoire qui, par Lui, parvient à sa plénitude. D’autre part, par sa raison, l’homme connaît ce qui est bien et, poussé par la voix de sa conscience, il est tenu de l’accomplir et d’éviter le mal. «L’exercice de la vie morale atteste la dignité de la personne» (19). L’Eglise manifeste un grand respect à l’égard de ceux qui, chaque jour, s’efforcent de vivre dans la rectitude, selon les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles fondamentales, en accordant du prix à leur propre vie morale. L’Islam et le Christianisme ont en commun un certain nombre de valeurs humaines et spirituelles incontestables. Le Concile Vatican II en a résumé l’essentiel: «L’Eglise regarde avec estime les musulmans qui adorent le Dieu unique, Vivant et Subsistant, Miséricordieux et Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes, et aux décrets duquel, même s’ils sont cachés, ils s’efforcent de se soumettre de toute leur âme, comme s’est soumis à Dieu Abraham, à qui la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent cependant comme prophète, et ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. En outre, ils attendent le jour du jugement, lors duquel Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. C’est pourquoi ils accordent du prix à la vie morale et ils rendent un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne» (20).

18) Conc. oecum. Vat. II, Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra aetate, n. NAE 5.
19) Catéchisme de l’Eglise catholique, n. CEC 1706.
20) Conc. oecum. Vat. II, Déclaration Nostra aetate, n. NAE 3.


14 Au Liban, les relations entre catholiques et avec les musulmans ont été difficiles en différentes occasions; et, pour certains citoyens libanais, elles pourraient être encore aujourd’hui teintées de méfiance à cause de diverses incompréhensions alimentées par de douloureux souvenirs. Des préjugés fortement ancrés dans les mentalités contribuent à entretenir un manque de confiance réciproque. Le réveil de formes variées d’extrémisme est aussi profondément inquiétant et ne pourrait que desservir l’unité du pays, freiner le nouvel élan qu’il convient de lui donner et gêner la convivialité entre toutes les composantes de sa société.

Pour le dialogue constructif et pour la reconnaissance réciproque, au-delà des divergences importantes entre les religions, il importe de s’attacher à discerner d’abord et avant tout ce qui unit les Libanais en un seul peuple, dans une même fraternité qui, au Liban, se manifeste chaque jour, spécialement dans la convivialité. En outre, chrétiens et musulmans du Liban se considèrent les uns et les autres comme les partenaires de la construction du pays; et le désir de renforcer l’entente et la collaboration entre eux est de plus en plus vif dans les esprits. Effectivement, desinstances de rencontre se mettent en place pour se connaître réciproquement de manière toujours plus approfondie et pour servir ensemble le pays.


Sécularisation et monde moderne

15 Le Liban, traditionnellement ouvert à toutes les cultures qui le traversent, est, par le fait même, ouvert aux idées qui se développent dans le monde moderne. L’Eglise est naturellement appelée à être attentive aux cultures d’aujourd’hui afin de distinguer le bon grain de l’ivraie. Cependant, il est important que le pays et la région ne se laissent pas gagner par le phénomène de la sécularisation. Certains pensent cependant que pour l’instant il y a même plutôt un «retour du religieux », face auquel il reste à être vigilant et à exercer un discernement attentif des attitudes religieuses. S’il s’agit de puiser aux sources premières de la foi et de l’espérance, cela peut être l’occasion d’une «nouvelle évangélisation» auprès du peuple et à travers lui (21), sinon, le mouvement risque de demeurer superficiel et ambigu. Il demeure pourtant qu’un style de vie permissif semble progressivement contaminer les moeurs, en particulier par le biais des moyens de communication sociale et par l’intermédiaire de personnes qui, longtemps éloignées de leurs références culturelles, ont pu altérer leur sens moral et spirituel. Beaucoup de personnalités, tant chrétiennes que musulmanes, s’inquiètent d’une telle évolution.

21) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Rapport avant la discussion, n. 9: La Documentation catholique 93 (1996), p. 28; Instrumentum laboris, n. 22.


16 Ces aspects de la situation où se trouve actuellement l’Eglise au Liban n’ont été rappelés ici que pour inviter les fidèles à reprendre une conscience plus claire des fondements de leur foi et à comprendre devant Dieu la mission qu’ils ont reçue du Seigneur. En fonction des conditions concrètes qu’ils connaissent actuellement, les catholiques libanais ont à distinguer en eux-mêmes et dans leurs Eglises locales ce qui devrait être gardé et ce qui devrait être émondé (cf. Jn 15,2). Tel est le sens de l’appel que j’ai lancé dès la convocation de l’Assemblée spéciale: «L’Eglise au Liban écoutera attentivement «ce que l’Esprit dit aux Eglises» (Ap 3,22) et scrutera soigneusement les signes des temps pour y discerner les desseins actuels de Dieu sur le monde» (22) et sur elle-même.

22) Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Instrumentum laboris, n. 33; cf. Jean-Paul II, Message télévisé aux Libanais (11 juillet 1991): La Documentation catholique 88 (1991), p. 772; Lettre aux patriarches, archevêques et évêques catholiques au Liban (8 juillet 1991): La Documentation catholique 88 (1991), pp. 770-771.



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