Espérance Liban 17

Les chrétiens dans la société civile

17 Il est évident que les chrétiens du Liban, comme tous leurs concitoyens, espèrent jouir des conditions nécessaires à l’épanouissement de leur personne, de leur famille, dans le respect de leurs traditions culturelles et spirituelles. En particulier, ils aspirent à la tranquillité, à la prospérité, à une réelle reconnaissance des libertés essentielles, celles qui sauvegardent toute dignité humaine et qui permettent la pratique de la foi; ils aspirent à un respect sincère de leurs droits et de ceux des autres; enfin à une justice qui consacre l’égalité de tous devant la loi et qui permet à chacun de prendre sa part de responsabilité dans la vie sociale. Ils savent bien qu’un tel projet est pour une bonne part conditionné par les années de guerre passées et par la situation grave qui prévaut dans cette région du Moyen-Orient. Je suis conscient des difficultés actuelles les plus importantes: l’occupation menaçante au Sud Liban, la conjoncture économique du pays, la présence de forces armées non libanaises sur le territoire, le fait que demeurent encore non totalement résolus le problème des déplacés, ainsi que le danger de l’extrémisme et l’impression pour certains d’être frustrés dans leurs droits. Tout cela alimente les passions, ainsi que la crainte que les valeurs de démocratie et de civilisation que représente ce pays puissent être compromises. Et de ce fait, la tentation de le quitter guette toujours les Libanais, en particulier les jeunes (23). Pour qu’un avenir plus serein se concrétise, je sais que cela suppose beaucoup de sacrifices, une ascèse personnelle constante qui fait qu’on exige de soi, avant de l’exiger des autres, une présence active, courageuse et persévérante aux affaires de la société; mais il faut aussi compter avec la grâce du Très- Haut qui transforme les coeurs et les volontés, et les oriente vers le bien. L’expérience passée et présente que les fidèles du Christ ont d’eux-mêmes et des autres, autour d’eux et partout ailleurs, est suffisante pour les convaincre de la puissance des forces du mal, toujours actuelle et toujours capable d’obscurcir les intelligences, de durcir les sentiments et de constituer une menace pour l’avenir. Mais l’espérance demeure, malgré tout, vivante en eux. Ils n’ont pas perdu la confiance en eux-mêmes ni l’attachement au pays et à sa tradition démocratique. Le goût de vivre qui les caractérise, et cette fraternité entre tous qui se manifeste surtout dans les moments difficiles qu’ils doivent si souvent traverser, ravivent sans cesse leur volonté de collaborer activement à l’édification de leur pays sur la base des valeurs humaines qui font la richesse de leur patrimoine national.

23) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Lineamenta, n. 4, et surtout Instrumentum laboris, nn. 19-20.


CHAPITRE II

Dans l’Eglise, fonder son espérance sur le Christ

Appel à l’espérance

18 Les Pères du Synode, partant d’un examen attentif de la situation actuelle de l’Eglise dans leur pays, sont sans cesse revenus à deux aspects principaux du Mystère chrétien qu’il leur paraissait nécessaire d’approfondir. Il s’agit pour tous les fidèles de vivre intensément le Mystère de l’Eglise, communion des hommes avec Dieu et entre eux, et de fonder leur espérance sur le Christ. A la suite des réflexions de l’Assemblée spéciale, j’appelle les membres de l’Eglise à méditer sur ces sujets afin de répondre toujours mieux dans leur vie ecclésiale à la volonté du Seigneur. Ils saisiront plus complètement ainsi la portée du thème qui a guidé toute la démarche synodale: «Le Christ est notre espérance: renouvelés par son Esprit, solidaires, nous témoignons de son Amour».



I. L’Eglise, mystère de communion

Dimensions de ce mystère

19 L’Eglise ne se réduit pas à sa dimension visible, qui peut la faire apparaître uniquement comme une communauté confessionnelle organisée; car, dans son mystère, elle est en communion avec la communauté céleste invisible: «L’Eglise de la terre et l’Eglise si richement pourvue de biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux entités, mais elles forment une seule réalité complexe, constituée d’un élément humain et d’un élément divin étroitement liés» (24). Le Concile Vatican II déclare encore que l’Eglise est une institution «dotée des moyens appropriés pour son union visible et sociale» (25), une expression de la communion des hommes avec Dieu et entre eux. Elle «est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain» (26). Le destin de tous se joue dans l’Eglise, car elle est «le mystère de l’union personnelle de chaque homme avec la Trinité divine et avec les autres hommes, commencée par la foi, et orientée vers la plénitude eschatologique dans l’Eglise céleste, tout en étant déjà une réalité en germe dans l’Eglise sur terre» (27).

Le concept de communion est important pour prendre une juste conscience de la nature de l’Eglise. Il implique toujours une double dimension: verticale (communion avec Dieu) ethorizontale (communion entre les hommes), et un double aspect: visible (condition corporelle et sociale de l’homme) et invisible (union de grâce avec Dieu et, en Lui, avec tous les hommes) (28).

24) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gentium, n.
LG 8.
25) Ibid., n. LG 9.
26) Ibid., n. LG 1.
27) Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre aux évêques de l’Eglise catholique sur certains aspects de l’Eglise comprise comme communion Communionis notio (28 mai 1992), n. 3: AAS 85 (1993), p. 839.
28) Cf. Ibid., nn. 3-4: loc. cit., pp. 839-840.


20 L’Eglise, à l’image de son Seigneur, est une réalité «divine et humaine qui se vit dans le temps et le lieu avec tout ce que cela entraîne comme conditionnement historique, géographique, social et culturel. Elle s’enracine dans cette réalité tangible à laquelle elle doit les traits de son visage propre et de son caractère particulier» (29). La figure du «corps» signifie à la fois que l’Eglise est «rassemblée autour [du Christ], unifiée en Lui, dans son Corps» (30), et que cette «unité du corps n’abolit pas la diversité des membres: “dans l’édification du Corps du Christ règne une diversité de membres et de fonctions. Unique est l’Esprit qui distribue des dons variés pour le bien de l’Eglise à la mesure de ses richesses et des exigences des services”» (cf. 1Co 12,1-11) (31). L’Eglise se présente tout entière, comme à l’échelle de chaque communauté paroissiale, «avec une grande diversité qui provient, à la fois, de la grande variété des dons de Dieu et de la multiplicité des personnes qui les reçoivent. Dans l’unité du peuple de Dieu, se rassemblent les diversités des peuples et des cultures. Entre les membres de l’Eglise existe une diversité de dons, de charges, de conditions et de modes de vie» (32).

Le mystère de l’Eglise se manifeste dans les Eglises particulières car, «au sein de la communion ecclésiale, il existe légitimement des Eglises particulières, jouissant de traditions propres» (33). L’«Eglise particulière», appelée aussi «diocèse» ou «éparchie», désigne de façon précise la «portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’avec l’aide de son presbytérium il en soit le pasteur» (34). Et l’évêque, parce que successeur des Apôtres, est principe et fondement visible de l’unité de son Eglise (35) dont il assure la solidité et la croissance en enseignant fidèlement la parole de Dieu, en présidant, personnellement ou par une personne déléguée, le culte sacré, en particulier l’Eucharistie, et en gouvernant sagement et en toute charité les fidèles du troupeau qui lui est confié (36).

29) Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Lineamenta, n. 16.
30) Catéchisme de l’Eglise catholique, n. CEC 789.
31) Ibid., n. CEC 791 citant Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gentium, n. LG 7.
32) Ibid., n. CEC 814.
33) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 13.
34) Conc. oecum. Vat. II, Décret Christus Dominus, n. CD 11; cf. Code des Canons des Eglises orientales, can. CIO 177, § 1. 35) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 23.
36) Cf. ibid., nn. LG 25-27.


21 Au Liban comme dans tout l’Orient, à l’exception du vicariat apostolique latin, les Eglises particulières sont traditionnellement regroupées en patriarcats.«L’institution patriarcale est en vigueur dans l’Eglise depuis les temps les plus anciens et elle était déjà reconnue par les premiers conciles oecuméniques» (37). «Comme père et chef» (38), c’est au patriarche, que «revient la juridiction sur tous les évêques, y compris les métropolites, sur le clergé et le peuple de son propre territoire ou rite, selon les normes du droit et restant sauve la primauté du Pontife romain» (39). Il est donc le symbole de l’unité de son Eglise patriarcale; il garantit la fidélité à la tradition liturgique, théologique, spirituelle et disciplinaire de l’ensemble de son patriarcat, ainsi que la communion avec le Successeur de Pierre. «Les patriarches avec leurs synodes constituent l’instance supérieure pour toutes les affaires du patriarcat» (40).

Ces antiques Eglises patriarcales ont un patrimoine vénérable, dont il convient non seulement de respecter et de sauvegarder, mais encore d’affermir et d’encourager «la vitalité, la croissance et la vigueur [...] dans l’accomplissement de la mission qui leur est confiée (cf. Orientalium Ecclesiarum
OE 1)» (41). Le Concile Vatican II a clairement reconnu leur légitimité: «La divine Providence a fait que les diverses Eglises, établies en divers endroits par les Apôtres et leurs successeurs, se sont unies, au cours des temps, en plusieurs groupes liés organiquement qui, étant sauve l’unité de la foi et l’unique constitution divine de l’Eglise universelle, jouissent d’une discipline propre, d’un usage liturgique propre, d’un patrimoine théologique et spirituel. Certaines d’entre elles, notamment les antiques Eglises patriarcales, telles des matrices de la foi, en ont engendré d’autres en quelque sorte comme leurs filles, avec lesquelles elles sont jusqu’à nos jours liées d’un lien plus étroit de charité dans la vie sacramentelle et dans le respect mutuel des droits et des devoirs. Cette variété des Eglises locales montre avec plus d’éclat, par leur convergence dans l’unité, la catholicité de l’Eglise indivise» (42).

Dans ce cadre, les Eglises patriarcales catholiques au Liban peuvent revêtir un caractère prophétique (43) si chacune d’elles réussit à développer, en harmonie avec les autres et dans une fidélité absolue à l’unité de l’Eglise universelle — et même grâce à cette unité —, sa propre identité et les richesses qui la distinguent. L’unité n’est pas à chercher dans l’uniformité mais dans l’amour mutuel, dans le don de soi et de ses richesses, dans la charité qui unit toutes les Eglises. C’est ce que les Eglises sui iuris et le vicariat apostolique latin s’efforcent de vivre au Liban, notamment grâce à l’activité de l’Assemblée des Patriarches et des Evêques catholiques au Liban (APECL), créée «pour que la vie de l’Eglise au Liban devienne source d’harmonie et de richesse pour ses fils, mais aussi témoignage permanent d’entente et de coopération fructueuse entre tous les Libanais» (44).

37) Conc. oecum. Vat. II, Décret sur les Eglises orientales catholiques Orientalium Ecclesiarum, n. OE 7; cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 23.
38) Ibid., n. OE 9.
39) Ibid., n. OE 7.
40) Ibid., n. OE 9.
41) Jean-Paul II, Allocution pour la présentation aux Pères du Synode du nouveau Code des Canons des Eglises orientales (25 octobre 1990), n. 4: La Documentation catholique 87 (1990), p. 1085.
42) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 23.
43) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Rapport avant la discussion, n. 22: La Documentation catholique 93 (1996), p. 31.
44) Proposition 22.


Communion dans l’Esprit Saint, souffle divin d’unité dans la diversité

22 Pour saisir la réalité profonde de la vie dans l’Eglise, il convient de méditer sur la présence en elle de l’Esprit Saint qui la vivifie: «Les saints Pères ont pu comparer son rôle à la fonction que remplit dans le corps humain le principe de la vie, c’est-à-dire l’âme» (45).

L’Esprit est le grand don du Père (cf.
Ac 2,1-4) et de son Fils, Jésus Christ (cf. Jn 20,22) à l’Eglise. Ce don gratuit est le fruit de la glorification du Seigneur, dans sa mort sur la Croix et dans sa Résurrection (cf. Jn 12,16 Jn 13,31-32). Le Christ l’avait promis la veille de sa mort à ses disciples: «C’est votre intérêt que je parte; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous; mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16,7).

L’effusion de l’Esprit à la Pentecôte suggère une re-création. Au soir de la Résurrection, Jésus souffla sur les disciples et leur dit: «Recevez l’Esprit Saint» (Jn 20,22). Il leur donne un seul coeur et met en eux un esprit nouveau (cf. Ez Ez 11,19). Ce geste rappelait la première création de l’homme: «Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il “insuffla” dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint être vivant» (Gn 2,7); à la Pentecôte, ce geste manifeste la création nouvelle.

Le don de l’Esprit transforma les disciples en envoyés, à l’image de leur Maître: «Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie» (Jn 20,21). Ils se voient confier une mission de pardon et de réconciliation (cf. Jn 20,23), mission restauratrice de l’unité perdue depuis les temps anciens. A la Pentecôte, le Seigneur rassembla les hommes autour des Apôtres qui publiaient ses louanges, et «chacun les entendait parler en son propre idiome, [...] Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, [...] Crétois et Arabes» (Ac 2,6 Ac 2,9 Ac 2,11).

45) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 7.


23 La communion des hommes entre eux et avec Dieu est essentiellement l’oeuvre de l’Esprit Saint, qui nous donne d’être l’image de Dieu. C’est Lui qui donne de croire au Christ Seigneur (cf. 1Co 12,3). Par le baptême, l’Esprit est conféré aux croyants, en qui il habite comme dans un temple (cf. Ac 2,38 Rm 8,9 1Co 3,16 1Co 6,19) et leur donne de devenir «fils adoptifs» de Dieu «et donc héritiers; héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ» (Rm 8,17 cf. Ga 4,1-7). Cette adoption n’est pas simple accession légale à l’héritage, mais don de la vie divine dans lequel les Trois Personnes sont associées: «La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie: “Abba, Père”» (Ga 4,6) et nous configure au Christ. «Nous pouvons adorer le Père parce qu’il nous a fait renaître à sa Vie en nous adoptant comme ses enfants dans son Fils unique: par le Baptême, il nous incorpore au Christ et à son Corps, et, par l’Onction de son Esprit qui s’épanche de la Tête dans les membres, il fait de nous des “christs”» (46).

46) Catéchisme de l’Eglise catholique, n. CEC 2782, qui cite S. Cyrille de Jérusalem, Catéchèse mystagogique 3, 1: «Dieu, en effet, qui nous a prédestinés à l’adoption de fils, nous a rendus conformes au Corps glorieux du Christ. Désormais donc, participants du Christ, vous êtes à juste titre appelés “christs”». Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Message, n. 7: «Cette résurrection est le fondement de notre foi et de notre espérance, qui nous pousse constamment au renouveau, thème principal de notre Synode, afin de nous configurer au Christ»: La Documentation catholique 93 (1996), p. 36.


24 Le jour de son Ascension, le Christ donna à ses disciples leur mission: «Allez: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28,19-20). En d’autres termes, l’Eglise est envoyée sur les routes du monde, afin d’«annoncer le Royaume du Christ et de Dieu et de l’instaurer parmi toutes les nations, et elle constitue sur terre le germe et le commencement de ce Royaume» (47). «L’Eglise, dans son ensemble apparaît comme “le peuple uni de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint”» (48) sous un seul chef, le Christ, par qui et pour qui Dieu s’est tout réconcilié, «[ayant établi] la paix par le sang de sa croix» (Col 1,20 cf. Ep 1,10). En relation avec le don de l’Esprit Saint, l’Eglise ne cesse de proclamer dans le Credo sa foi en la rémission des péchés, pouvoir que le Seigneur a confié à ses ministres (49). Par «la communion avec Lui, l’Esprit Saint rend spirituel, [...] ramène au Royaume des Cieux et à l’adoption filiale, donne confiance pour appeler Dieu Père et pour participer à la grâce du Christ, être appelé enfant de lumière et avoir part à la gloire éternelle» (50).

L’Assemblée spéciale du Synode des Evêques a été l’occasion d’un examen de conscience d’abord destiné à préparer l’Eglise au Liban à recevoir une plus grande effusion de l’Esprit. Car seul l’Esprit peut conduire à la métanoia, à la conversion qui amènera cette Eglise à mieux percevoir sa vocation et à reprendre sa route avec une vitalité nouvelle, dans un esprit de réconciliation entre les chrétiens eux-mêmes et entre les chrétiens et leurs compatriotes (51).

47) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 5.
48) Ibid., n. 4 citant S. Cyprien, De oratione dominica, 29: PL 4, 553.
49) Cf. S. Jean Chrysostome, De sacerdotio, 3, 5: PG 48, 643; Catéchisme de l’Eglise catholique, nn. CEC 976-987.
50) S. Basile de Césarée, Liber de Spiritu Sancto, 15, 36: PG, 32, 132.
51) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Instrumentum laboris, nn. 32-34.

25 Sur des points importants, touchant la foi dans le mystère de l’Eglise, nous tenons avec les Eglises orthodoxes des positions communes. Les théologies et les spiritualités des Eglises d’Orient se sont développées au cours des siècles, essentiellement autour du thème de la divinisation de l’homme, divinisation déjà commencée ici-bas. Ce souffle est celui-là même qui anima l’Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques: «Nous nous engageons àrépondre fidèlement à l’oeuvre de déification que Dieu opère en nous, et à l’expansion du règne de Dieu sur la terre» (52). Les Eglises patriarcales catholiques au Liban sont donc bien enracinées dans la Tradition (53).

52) Proposition 2; cf. Jean-Paul II, Lettre apost. Orientale lumen, n. 6: AAS 87 (1995), p. 750.
53) Cf. Jean-Paul II, Lettre apost. Orientale lumen, n. 6: AAS 87 (1995), pp. 749-751.


26 La méditation sur l’Eglise, mystère de communion, est inséparable de celle du mystère de la Trinité qui est son origine et vers laquelle elle s’achemine. Par la communion de l’Esprit Saint (cf. 2Co 13,13), l’Eglise participe à la vie intime de Dieu dont l’essence est communication ineffable d’amour entre les Trois Personnes. Elle est aussi appelée à communiquer cette vie divine au monde et à y prolonger la mission du Fils et de l’Esprit. En elle s’accomplit l’oeuvre de la Trinité. Aussi est-elle, dans l’Esprit Saint, inséparablement communion, communication et mission: ce sont des caractères qui se développent en une chaîne continue. C’est cela qui fonde les aspects pastoraux de la mission de l’Eglise, et plus précisément de la présente Exhortation post-synodale, car c’est l’unité trinitaire qui ouvre à l’action ecclésiale dans le monde.

Le Dieu de Jésus Christ n’est pas enfermé dans une solitude éternelle mais il est relation dans l’unité de l’essence entre les Trois Personnes divines et, par grâce, don de soi au monde. Notre connaissance du mystère de Jésus Christ nous apprend que la vie interne de Dieu est don total de la nature divine entre le Père, le Fils et l’Esprit, le Père comme source éternelle de la divinité s’épanchant sans réserve dans le Fils qu’il engendre, le Fils s’offrant éternellement au Père en hymne d’action de grâce, dans l’Esprit Saint, forme subsistante de cet échange d’amour, parfait et éternel.

A la lumière du mystère de la vie intime de Dieu Trinité, nous comprenons mieux le mystère de l’Eglise, mystère accompli par l’envoi du Fils aux hommes, et parfait par le don de l’Esprit à l’Eglise cheminant sur cette terre en vue de la glorification du Père dans l’achèvement du Règne dans les cieux.


II. Le Christ est l’espérance des chrétiens

Le Christ, Bon Pasteur de son Peuple

27 C’est primordialement dans le Christ, Verbe de Dieu incarné, mort et ressuscité, mystérieusement présent parmi eux et avec eux sur les chemins du monde, que se fonde l’espérance des fidèles de toute l’Eglise. Sur ces chemins, il est leur Bon Pasteur, leur vraie Lumière et la puissance de Dieu parmi eux. Cette figure du Bon Pasteur, qui se retrouve dans les plus anciennes traditions, a été aussi l’un des thèmes les plus constants du Christianisme. Le Seigneur lui-même s’est ainsi désigné (cf. Jn 10,11). Les chrétiens reconnaissent là une image remarquablement expressive de la personne de Jésus Christ. Il est Celui qui les a aimés jusqu’à l’extrême de l’amour (cf. Jn 13,1). «Nul n’a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis» (Jn 15,13). Sa vie, il l’a livrée par amour, librement et volontairement (cf. Jn 10,18). Jésus était tout entier pénétré de son amour infini de Fils envers son Père. Ce n’est pas pour faire sa propre volonté qu’il est descendu du ciel mais pour faire la volonté de Celui qui l’a envoyé (cf. Jn 6,38). Jésus a dit lui-même: «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle» (Jn 3,16) et «telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour» (Jn 6,40). Méditons sans cesse l’hymne antique que nous rapporte saint Paul: «Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix» (Ph 2,6-8). La Lettre aux Hébreux montre en termes vigoureux le sens du Sacrifice du Seigneur: «C’est en vertu de cette volonté [celle du Père] que nous sommes sanctifiés par l’oblation du Corps de Jésus Christ, une fois pour toutes» (He 10,10).


28 L’Espérance chrétienne se fonde sur la foi en Jésus Christ et sur le don de son amour. Par «la foi [qui] est la garantie des biens que l’on espère [et] la preuve des réalités qu’on ne voit pas» (He 11,1), nous tendons vers l’accomplissement des promesses du Seigneur. Cette espérance «répond à l’aspiration au bonheur placée par Dieu dans le coeur de tout homme; elle assume les espoirs qui inspirent les activités des hommes; elle les purifie pour les ordonner au Royaume des cieux; elle protège du découragement; elle soutient en tout délaissement; elle dilate le coeur dans l’attente de la béatitude éternelle. L’élan de l’espérance préserve de l’égoïsme et conduit au bonheur de la charité» (54). Et c’est l’amour qui donne tout son dynamisme à l’espérance. Il ne s’agit pas tant de rechercher une félicité individuelle que de rechercher le bonheur de ceux que l’on aime, de toute la communauté humaine dans laquelle on vit. L’amour, en effet, est à l’origine de l’Incarnation du Verbe de Dieu, de la venue de l’Esprit Saint et de la fondation de l’Eglise, communion des hommes avec Dieu et entre eux. Nous mettons notre espérance dans la personne même de Jésus, Emmanuel, Dieu-avec-nous. Le désir d’être uni au Seigneur et d’être en communion avec ses frères est l’expression la plus haute de l’espérance et de l’amour chrétiens. Nous sommes en général loin de vivre pleinement ce désir dont la source est en Celui qui nous a sauvés par son sang et revivifiés par sa Résurrection. Il est, en effet, la tête du Corps dont nous devenons les membres par le baptême et auquel nous nous conformons de plus en plus par l’Eucharistie; il est la vigne dont nous sommes les sarments et sa vie divine coule en nous. C’est l’Esprit qui a inspiré à son Eglise de se laisser gagner par cette «espérance qui nous pousse constamment au renouveau, [...] afin de nous configurer au Christ» (55). Dans l’espérance de l’accomplissement final du dessein de Dieu, l’Esprit et l’Eglise disent: «“Viens!” Et que l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie, gratuitement. [...] Amen, viens, Seigneur Jésus» (Ap 22,17 Ap 22,20). Bon Pasteur de son peuple, le Verbe Incarné l’est à jamais. Il est venu retrouver la brebis perdue et la ramener auprès du Père (cf. Lc 15,4-7). Du haut du ciel où il est allé nous préparer une place (cf. Jn 14,2), Il intercède pour nous auprès du Père (cf. Rm 8,34 1Jn 2,1 He 2,17). Il a confié à Pierre (cf. Jn 21,15-17), aux autres Apôtres et après eux à leurs successeurs, de veiller fidèlement sur son troupeau en attendant son retour à la fin des temps. A son Eglise, il a envoyé l’Esprit Saint et, en se dérobant à ses yeux (cf. Ac 1,9) le jour de l’Ascension, il l’a assurée de sa présence: «Voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde» (Mt 28,20).

54) Catéchisme de l’Eglise catholique, n. CEC 1818.
55) Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Message, n. 7: La Documentation catholique 93 (1996), p. 36.


Le Christ, lumière véritable du monde

29 Les multiples difficultés que les fidèles du Liban ont dû affronter au long des siècles et qu’ils continuent de connaître sous diverses formes — qu’elles soient dues à leur propre faiblesse ou aux circonstances extérieures — constituent souvent une entrave sérieuse à leur espérance (56). Je souhaite que tous puissent entendre l’appel des Pères synodaux, en conclusion de leur Message. Leur point de départ était la méditation d’une page majeure des Evangiles du Seigneur ressuscité (cf. Lc 24,13-35): «Nous sommes ces disciples d’Emmaüs. [...] Nous aussi, nous avions douté de la présence du Christ ressuscité parmi nous. Mais il nous a rejoints sur notre route [...]. Nous aussi, nous l’avons prié: “Reste avec nous car la nuit vient”. Et puis nous l’avons reconnu au partage du pain, car il est celui qui partage et fait partager. Alors nous retournons vers vous pour vous dire: “Frères et Soeurs n’ayez pas peur, le Christ est ressuscité; nous l’avons retrouvé; nous ne le quitterons plus”» (57). Oui, c’est Jésus qui ouvre les yeux des hommes pour qu’ils reconnaissent sa présence. Dans sa Lumière, les disciples comprennent qu’il leur demande de vivre une espérance exigeante: «Espérer, c’est s’engager» au partage et à la communion, ainsi que le demande l’Assemblée spéciale (58).

56) Cf. idem, Instrumentum laboris, nn. 19-21.
57) Idem, Message, n. 63: La Documentation catholique 93 (1996), p. 43.
58) Ibid., n. 3: loc. cit., p. 36.


30 Lumière véritable qui ravive en nous l’espérance selon toutes ses dimensions, le Christ l’est par sa Personne, par son oeuvre et par son enseignement. En sa Personne, nous découvrons le sens de notre être et de notre mission. Parce qu’il est «le même, vraiment Dieu et vraiment homme [...], consubstantiel au Père selon la divinité et consubstantiel à nous selon l’humanité» (59), nous apprenons que la soif d’absolu, qui caractérise notre nature humaine, n’est pas vaine. Avec Lui et en Lui, le Royaume des cieux, nom biblique de la rencontre intime de l’humanité avec son Seigneur et de son union à Lui, est déjà parmi nous (cf. Mt 12,28). Dans notre histoire, à travers ses petits et grands événements, commence déjà notre rencontre de Dieu et sont vécus des engagements constructifs qui ont une vraie valeur d’éternité. Le Concile Vatican II a enseigné que «l’importance des tâches terrestres n’est pas dépréciée par l’espérance eschatologique, mais que, bien plutôt, grâce à cette espérance, l’accomplissement de celles-ci peut s’appuyer sur de nouveaux motifs» (60).

59) Conc. oecum. de Chalcédoine: DS 301. Cf. ibid., n. DS 302: «Un seul et même Christ, Seigneur, Fils Unique, que nous devons reconnaître en deux natures (divine et humaine), sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation. La différence des natures n’est nullement supprimée par leur union, mais plutôt les propriétés de chacune sont sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule hypostase».
60) Conc. oecum. Vat. II, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. GS 21.


31 Le Royaume de Dieu, préparé dans l’Ancien Testament, inauguré dans le Nouveau, atteindra sa plénitude à la fin des siècles. Dès à présent, «constitué Seigneur par sa résurrection, le Christ, à qui tout pouvoir a été donné, au ciel et sur la terre, agit désormais dans le coeur des hommes par la puissance de son Esprit» (61). A la fin des temps, lorsque le Christ aura récapitulé toutes choses en Lui-même (cf. Ep 1,10), afin qu’ainsi «Dieu soit tout en tous» (1Co 15,28), la réalisation définitive du dessein divin nous surprendra. Cependant, tout comme dans l’homme Jésus la divinité n’a pas dissout l’humanité mais l’a élevée à sa plus haute perfection, de même notre incorporation au Christ et la récapitulation du temps et de l’histoire en lui n’aboliront pas les valeurs de ce monde mais les parachèveront: «Ces biens de la dignité humaine, de la communion fraternelle et de la liberté, tous ces fruits excellents de notre nature et de notre activité, après que nous les aurons propagés sur terre, selon le commandement du Seigneur et dans l’Esprit du Seigneur, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés et transfigurés [...]. Ce Royaume est déjà présent sur terre dans le mystère; il connaîtra son achèvement lors de l’avènement du Seigneur» (62). Dans le «nouveau ciel» et la «nouvelle terre» qui remplaceront alors les nôtres, nous reconnaîtrons, avec joie, les traces de ce qu’il y avait de plus beau en ce monde et de ce que nous y aurons accompli de meilleur.

61) Ibid., n. GS 38.
62) Ibid., n. GS 39.


32 L’appel du Synode, «Espérer c’est s’engager», signifie que les chrétiens ont une responsabilité effective pour hâter la réalisation des desseins de Dieu; ils peuvent et ils doivent compter sur la présence actuelle du Ressuscité parmi eux et sur l’action silencieuse de l’Esprit dans le monde; guidés et soutenus par la Parole de Dieu et par la grâce, ils doivent eux-mêmes agir. Dieu poursuit l’économie du salut avec le concours librement consenti des justes. C’est le «oui» de Marie qui nous a valu l’Incarnation du Fils et c’est grâce à la réponse volontaire des Apôtres à l’appel du Seigneur que sa Parole divine nous est parvenue. Celui qui annonce l’Evangile est «coopérateur de Dieu» (1Co 3,9). Par la médiation de l’Eglise et aidés par le témoignage de nos frères, nous continuons, selon la volonté expresse de Jésus (cf. Mt 28,18-20 Jn 20,21-23) à recevoir la vie divine, à être unis au Corps du Christ et à être réconciliés avec Dieu. Aujourd’hui encore, c’est la volonté du Christ que les chrétiens du Liban fassent connaître et aimer son Nom.

Dans cette perspective, les Pères du Synode n’ont négligé aucun aspect de la vie, personnelle et publique, religieuse et politique, de leurs fidèles: «Dans nos prières et nos réflexions, aucune question essentielle n’a été exclue, aucune catégorie de personnes n’a été négligée, aucune difficulté n’a été atténuée » (63). Ils synthétisaient ainsi les efforts qu’ils avaient déployés avec tous leurs fidèles, clergé et laïcs, tout au long de leur démarche synodale, pour discerner les «signes des temps» inscrits dans la vie des personnes et des Eglises locales, à la lumière de la vie et de l’enseignement de leur Maître et Seigneur, notre ultime référence: «Seigneur à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu» (Jn 6,68-69). Dans la clarté de l’Evangile, ils proclamaient que l’espérance devait stimuler les fidèles dans leurs engagements, sans hésitation, en esprit et en vérité, en communion avec Dieu et avec les membres de l’Eglise, pour rendre quotidiennement la vie sociale et nationale plus fraternelle et plus juste.

63) Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Message, n. 2: La Documentation catholique 93 (1996), p. 36.


33 L’espérance des chrétiens du Liban est donc essentiellement de répondre aux exigences du Christ, là où il les a placés, ainsi que le disait la Lettre à Diognète: «Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel» (64) et s’attachent à rendre perceptible l’amour du Seigneur. Je rappellerai ici de sages paroles du Conseil des Patriarches catholiques d’Orient, à l’adresse des fidèles du Liban: «Les situations difficiles auxquelles nous sommes confrontés ne doivent pas nous porter à fuir, à nous mettre à l’écart de notre univers, ou à nous y dissoudre. Elles doivent nous ramener plutôt aux racines de notre foi pour y trouver la force, la constance, la confiance et l’espérance» (65). Dans cette région perturbée du monde, les chrétiens ont à prendre conscience de la gravité de leur mission: «Notre présence chrétienne — ont dit encore les patriarches — ne veut pas être une présence pour nous-mêmes. Car le Christ n’a pas fondé son Eglise pour qu’elle soit au service d’elle-même, mais pour qu’elle soit une Eglise confessante et porteuse d’une mission, la mission même de son Fondateur et Maître. La mise en échec du témoignage et de la mission dans notre vie chrétienne et dans notre cheminement ecclésial reviendrait à un renoncement à nous-mêmes et à la mission pour laquelle notre Sauveur nous a appelés» (66).

Les chrétiens sont sans cesse appelés à dépasser leurs inquiétudes pour leur propre sort, afin d’éprouver la véritable crainte des sages de Dieu (cf.
Pr 1,7 Ps 111,10 (Ps 111) Ac 10,34-35), celle de lui être infidèle et de manquer à sa Justice: «Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme» (Mt 10,28). Avoir confiance en Dieu signifie essentiellement se consacrer sans retard au service du Royaume du Christ: «Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. [...] Cherchez d’abord [le] Royaume [de Dieu] et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît» (Mt 6,25 Mt 6,33).

64) V, 8-9: SC 33bis, Paris (1951), pp. 63-65.
65) Conseil des Patriarches catholiques d’Orient, Message Un temps décisif pour les Eglises du Moyen-Orient (24 août 1991): La Documentation catholique 88 (1991), p. 938.
66) Idem, Lettre pastorale La présence chrétienne en Orient. Témoignage et mission (Pâques 1992), n. 18: La Documentation catholique 89 (1992), p. 599.


34 Au long de sa route, toute personne humaine rencontre la souffrance. Le disciple n’est pas plus grand que son Maître; comme Lui, il doit accepter la Croix. Le chrétien ne recherche pas la souffrance, il doit lutter contre elle, pour lui-même et pour les autres (67), parce qu’il sait qu’elle est un mal, une conséquence du péché des hommes depuis les origines (cf. Gn Gn 3,16-19). Mais quand elle est inéluctable, il la porte dans la foi, en réponse à cet appel du Seigneur: «Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive » (Mt 16,24).

Cette croix comprend d’inévitables douleurs dans la vie des hommes, mais elle comprend aussi pour le croyant la souffrance d’être soi-même un obstacle à l’amour du Christ, un reflet défiguré de son visage. Par la grâce de Celui qui a vaincu la mort et le péché, une autre logique doit désormais guider le chrétien: «Si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle» (2Co 5,17) qui obéit à la «Loi du Christ» (Ga 6,2), celle des Béatitudes et de la Charité qui ne connaît pas de limites. Cette «Loi du Christ» est fruit de l’Esprit Saint, elle est «charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi» (Ga 5,22-23). Elle est à l’opposé de la loi du monde soumis à la force du péché, qui produit «fornication, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions, sentiments d’envie, orgies, ripailles, et choses semblables » (Ga 5,19-21). Comme le rappelle saint Paul, toute personne fait dans sa chair et dans son esprit l’expérience de cette tension caractéristique de la condition des créatures pécheresses: «Je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l’homme intérieur; mais j’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres» (Rm 7,22-23). Et les conséquences de l’emprise du péché peuvent compromettre gravement la paix sociale et entretenir des affrontements destructeurs. Dans toute croix qu’il accepte de porter par amour pour le Christ, le croyant sait qu’il participe avec lui au salut du monde: «Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise» (Col 1,24). Il sait aussi que le dernier mot de cette confrontation avec le mal, lorsqu’elle est menée dans le Christ, est le triomphe de la résurrection: «Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable » (Rm 6,5 cf. Ph 3,10-11). A la lumière de la Personne, de la vie et de l’enseignement du Sauveur, l’Eglise catholique au Liban est appelée à se renouveler, avec le dynamisme de l’espérance et la générosité de l’amour, au prix de réels sacrifices s’il le faut (68), dans une fidélité absolue au Seigneur, à la mission qu’il lui a confiée et à l’Esprit dans lequel il veut qu’elle l’accomplisse.

67) Cf., par ex., Conc. oecum. Vat. II, Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. AA 8.
68) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Veritatis splendor, nn. VS 90-93: AAS 85 (1993), pp. 1205-1207.



Espérance Liban 17