Espérance Liban 89


I. Le dialogue islamo-chrétien

90 Ayant vécu côte à côte pendant de longs siècles tantôt dans la paix et la collaboration, tantôt dans l’affrontement et les conflits, les chrétiens et les musulmans au Liban doivent trouver dans le dialogue respectueux des sensibilités des personnes et des différentes communautés la voie indispensable à la convivialité et à l’édification de la société (269).

Les Libanais ne doivent pas oublier cette longue expérience de relations, qu’ils sont appelés à reprendre inlassablement pour le bien des personnes et de la Nation tout entière. Pour des hommes de bonne volonté, il est impensable que des membres d’une même communauté humaine, vivant sur la même terre, en viennent à se méfier les uns des autres, à s’opposer et à s’exclure au nom de leurs religions respectives. Je remercie les délégués fraternels musulmans et druze de leur présence à l’assemblée synodale et de leur participation active au dialogue.

269) Cf. Proposition 39.


91 Ce dialogue doit se poursuivre à plusieurs niveaux. Tout d’abord, dans la vie quotidienne, dans le travail et dans la vie de la cité, les personnes et les familles apprennent à s’apprécier. Les expériences concrètes de solidarité sont une richesse pour tout le peuple et une avancée importante dans la voie de la réconciliation des esprits et des coeurs, sans laquelle aucune oeuvre commune n’est possible à long terme. La sagesse naturelle conduit donc les partenaires à une riche communication humaine et à une entraide par laquelle s’affermit le tissu social.

Le dialogue religieux ne peut être négligé. Il doit aider chacun à regarder avec estime, à discerner et à reconnaître la grandeur des recherches spirituelles de ses frères, recherches qui conduisent à marcher sur la voie de la volonté divine et qui permettent de faire progresser chez les individus comme dans la vie collective les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles.


II. La convivialité

92 Il est particulièrement nécessaire d’intensifier la collaboration entre les chrétiens et les musulmans, dans les domaines où cela est possible, avec un esprit désintéressé, c’est-à-dire pour le bien commun et non pour le bien des personnes privées ou d’une communauté particulière, ou encore dans l’espoir d’obtenir davantage de crédit ou de pouvoir dans la société. Leur considération commune à l’égard de la vie morale et leur aspiration en vue d’un avenir meilleur les rendront tous ensemble responsables de l’édification de la société présente et du monde de demain, en protégeant et en promouvant les valeurs morales, la justice sociale, la paix et la liberté, la défense de la vie et de la famille (270). Cette oeuvre commune ne manquera pas de redonner à tous les Libanais confiance en leurs frères et en l’avenir, en les ouvrant sur le meilleur de la modernité.

Le dialogue islamo-chrétien n’est pas seulement un dialogue d’intellectuels. Il vise, en premier lieu, à promouvoir le vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans, dans un esprit d’ouverture et de collaboration, indispensable pour que chacun puisse s’épanouir en se déterminant librement sur les choix dictés par sa conscience droite. En apprenant à mieux se connaître et à consentir pleinement au pluralisme, les Libanais se doteront des conditions indispensables au véritable dialogue et au respect des personnes, des familles et des communautés spirituelles. Les écoles et les différents instituts de formation ont un rôle essentiel en ce domaine, car, dès le plus jeune âge, l’apprentissage de la vie commune rend les enfants attentifs les uns aux autres et les invite à gérer pacifiquement les conflits qui peuvent se présenter.

270) Cf. ibid.


III. Solidarité avec le monde arabe

93 Ouverte au dialogue et à la collaboration avec les musulmans du Liban, l’Eglise catholique veut aussi être ouverte au dialogue et à la collaboration avec les musulmans des autres pays arabes, dont le Liban est partie intégrante. C’est, en effet, un même destin qui lie les chrétiens et les musulmans au Liban et dans les autres pays de la région; chaque culture particulière est encore marquée par les apports religieux et profanes des différentes civilisations qui se sont succédé sur leur sol (271). Les chrétiens du Liban et de l’ensemble du monde arabe, fiers de leur héritage, contribuent activement au perfectionnement de la culture.

Dans tous les pays et dans toutes les cultures où ils sont répandus, «les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par la langue, ni par les coutumes. [...] Ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre» (272). Je voudrais insister sur la nécessité pour les chrétiens du Liban de maintenir et de resserrer leurs liens de solidarité avec le monde arabe. Je les invite à considérer leur insertion dans la culture arabe, à laquelle ils ont tant contribué, comme un lieu privilégié pour mener, de concert avec les autres chrétiens des pays arabes, un dialogue authentique et profond avec les croyants de l’Islam. Vivant dans une même région, ayant connu dans leur histoire des heures de gloire et des heures de détresse, chrétiens et musulmans du Moyen- Orient sont appelés à construire ensemble un avenir de convivialité et de collaboration, en vue du développement humain et moral de leurs peuples. De plus, le dialogue et la collaboration entre chrétiens et musulmans au Liban peut aider à ce que, dans d’autres pays, se réalise la même démarche.

271) Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Instrumentum laboris, n. 99.
272) Lettre à Diognète, 8, 5: SC 33, Paris (1965), p. 70.


IV. L’édification de la société

94 Je voudrais à nouveau soutenir et encourager le peuple libanais dans sa vie sociale. Des divergences subsistent entre les habitants du pays. Mais elles ne doivent pas être un obstacle à une vie commune et à une paix véritable, c’est-à-dire à une paix qui soit plus qu’une absence de conflit.

Comme tous les peuples, parce qu’ils aiment tout particulièrement leur terre, les Libanais sont appelés à prendre soin de leur pays, à maintenir inlassablement la fraternité et à édifier un système politique et social juste, équitable et respectueux des personnes et de toutes les tendances qui le composent, afin de construire ensemble leur maison commune. Personne ne peut se soustraire à l’engagement moral et civique qu’il doit légitimement remplir au sein de son peuple. En outre, toute personnalité publique, politique ou religieuse, et «tout groupe [doivent] tenir compte des besoins et des légitimes aspirations des autres groupes, et plus encore du bien commun de l’ensemble de la famille humaine» (273). En effet, l’action dans la vie publique est d’abord un service responsable de ses frères — de tous ses frères —, afin de faire en sorte par tous les moyens que tous travaillent en harmonie; ceux qui acceptent de s’engager dans le service public, dans la vie politique, économique et sociale, ont le devoir impérieux de respecter certaines obligations morales et de subordonner leurs intérêts particuliers ou de groupe au bien de leur nation. En vivant ainsi, ils seront des exemples pour leurs compatriotes et ils s’attacheront à tout mettre en oeuvre pour faire concourir leurs actions au bien commun. Cela suppose de dépasser en permanence des attitudes égoïstes (274), afin de vivre dans un désintéressement qui peut aller jusqu’à l’abnégation, afin de guider le peuple tout entier vers le bonheur, par la juste conduite de lares publica.

273) Conc. oecum. Vat II, Const. past. Gaudium et spes, n.
GS 26; cf. Jean XXIII, Encycl. Mater et magistra, II: AAS 53 (1961), p. MM 418.
274) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. GS 30.


95 Dans la vie sociale, «on ne peut mépriser impunément les droits, les devoirs» (275) des personnes, des communautés culturelles ou spirituelles et des peuples. En ce domaine, le progrès humain, personnel et collectif, suppose le sens du partage, de la responsabilité et du sacrifice. L’ignorer ne peut que conduire à un profond ébranlement de l’ordre dans les relations publiques en livrant chacun aux arbitraires de toutes sortes et, de la part de tout le peuple, à une perte inévitable de confiance dans les institutions nationales. Comme je l’ai déjà dit en plusieurs circonstances, «le droit des gens et les institutions qui le garantissent constituent des références irremplaçables et défendent l’égale dignité des peuples et des personnes» (276). Nous avons là une des expressions authentiques de ce qu’est le bien commun, fondement de la légitimité politique et morale de l’autorité et des lois auxquelles les personnes doivent se soumettre.

J’invite donc tous les Libanais à entretenir et à faire grandir en eux-mêmes, et particulièrement dans les jeunes générations, «la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun: c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous» (277). Dans le même temps, il est souhaitable que se développe un partage équitable des responsabilités au sein de la nation, pour que tous puissent mettre leurs talents et leurs capacités au service de leurs frères et sentir qu’ils ont une contribution spécifique à apporter à leur pays, selon le principe de subsidiarité (278), par leur créativité personnelle et par l’exercice de leur esprit d’initiative qui constituent un droit (279).

La vie fraternelle et solidaire au sein de la communauté nationale suppose de ne pas envisager sa place particulière comme la recherche de privilèges pour soi-même et pour sa propre communauté, en écartant éventuellement d’autres personnes. Elle est fondée sur l’assurance que chacun a, de droit, son rôle dans la vie sociale, politique, économique, culturelle et associative, dans la fidélité à ses traditions spirituelles et culturelles, dans la mesure où cela ne s’oppose pas au bien commun et ne met pas en danger la vie nationale.

275) Jean-Paul II, Lettre apost. sur la situation au Liban (7 septembre 1989), n. 4: AAS 82 (1990), p. 61.
276) Ibid.
277) Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, n.
SRS 38: AAS 80 (1988), pp. 565-566.
278) Cf. Pie XI, Encycl. Quadragesimo anno, I: AAS 23 (1931), pp. 181-190; Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus, n. CA 48: AAS 83 (1991), pp. 852-854.
279) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, n. SRS 15: AAS 80 (1988), pp. 528-530.


96 J’invite tous les Libanais à porter une attention spéciale aux jeunes, qui sont la plus grande richesse de leur pays et qui, pour cela, doivent recevoir une formation professionnelle et une éducation humaine, morale et spirituelle de qualité. Il importe aussi qu’ils aient leur part dans les décisions qui engagent la nation, qu’ils se sentent accueillis et soutenus dans leur insertion professionnelle et sociale et qu’ils puissent bénéficier de formations leur permettant d’envisager sereinement leur avenir personnel et la construction d’une famille. Mais les changements de structures sont liés à un changement des coeurs, pour que tous aient le souci de participer à la vie commune, dans le respect de la justice sociale (280). Dans cet esprit, tous auront soin de promouvoir la valeur de justice entre les personnes et entre les générations, car les iniquités engendrent la violence, la méfiance et l’égoïsme. En même temps, il importe d’offrir du travail à un maximum de personnes, pour éviter que certains Libanais demeurent pour toujours en marge de la société, voient leur niveau de vie baisser dangereusement ou connaissent des situations d’extrême pauvreté, et que d’autres se désintéressent de la vie de leur pays et soient poussés à «une sorte d’émigration “psychologique”» (281), parce qu’ils ont le sentiment qu’ils ne peuvent pas participer à la vie de la collectivité et parce qu’ils n’entrevoient aucun avenir sur leur terre d’origine.

280) Cf. Ibid., n.
SRS 44: loc. cit., pp. 575- 577.
281) Ibid., n. SRS 15: loc. cit., p. 529.


V. La paix et la réconciliation

97 Dans les années passées, le Liban a été marqué par l’épreuve de la guerre. Aujourd’hui, ces souffrances demandent une réelle purification des mémoires et des consciences. Il convient de développer «une paix patiemment édifiée et durable » (282), car elle seule peut être la source véritable du développement et de la justice.

«Je vous laisse la paix; c’est ma paix que je vous donne; je ne vous la donne pas comme le monde la donne» (
Jn 14,27). Parce qu’ils ont reçu du Christ, Prince de la Paix, ce don qui les transforme intérieurement, les chrétiens ont le devoir d’en être les premiers témoins et les artisans (283); l’Evangile de la paix est une invitation permanente au pardon et à la réconciliation. La paix passe par la pratique assidue de la fraternité humaine, exigence fondamentale qui vient de notre commune ressemblance divine et découle donc d’une exigence liée à la Création et à la Rédemption. Là où la fraternité entre les hommes est fondamentalement méconnue, c’est la paix qui est ruinée à sa base même (284). Construire la paix devient un service de la charité, signe prophétique du Royaume des Cieux.

Le message de paix, que Jésus a profondément exprimé dans les Béatitudes qu’ont pu entendre «des gens de toute la Judée et de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon » (Lc 6,17), doit être transmis par les disciples du Seigneur à tous leurs frères. Aussi les fidèles du Christ doivent-ils se laisser conduire par l’Esprit, qui met en lumière le péché, péché personnel et péché du monde, pour se convertir et pour recevoir la grâce qui les dispose à préparer les chemins du Seigneur. «Puisque le chemin de la paix passe en définitive par l’amour et tend à créer la civilisation de l’amour, l’Eglise tient son regard fixé vers Celui qui est l’amour du Père et du Fils et, malgré les menaces croissantes, elle ne cesse d’avoir confiance, elle ne cesse d’implorer et de servir la paix de l’homme sur la terre. Sa confiance se fonde sur celui qui, étant l’Esprit d’amour, est aussi l’Esprit de la paix et qui ne cesse d’être présent dans notre monde humain, à l’horizon des consciences et des coeurs, pour remplir l’univers d’amour et de paix» (285).

282) Jean-Paul II, Lettre apost. sur la situation au Liban (7 septembre 1989), n. 2: AAS 82 (1990), p. 60.
283) Cf. Jean-Paul II, Lettre apost. sur la situation au Liban. Message à tous les Libanais (1er mai 1984): AAS 76 (1984), pp. 704-707.
284) Cf. Paul VI, Message pour la Journée mondiale de la Paix 1971: AAS 63 (1971), pp. 5-9.
285) Jean-Paul II, Encycl. Dominum et vivificantem, n. DEV 67: AAS 78 (1986), p. 900.


98 Aujourd’hui, j’exhorte donc tous les catholiques, et j’invite en même temps les autres chrétiens et les hommes de bonne volonté à poser des gestes prophétiques et à prendre les armes de la paix et de la justice. Il est urgent de développer et de promouvoir entre toutes les composantes de la nation libanaise une véritable éducation des consciences à la paix, à la réconciliation et à la concorde. Dans les relations oecuméniques et inter-religieuses, le sens de la paix est aussi un élément fondamental du dialogue fraternel. Il ne faut jamais oublier qu’un geste de paix peut désarmer l’adversaire et invite souvent ce dernier à répondre positivement à la main tendue, car la paix, qui est un bien par excellence, tend à se communiquer. L’histoire religieuse nous présente de nombreux saints qui ont été source de réconciliation par leur attitude pacifique fondée sur la prière et l’imitation de Jésus Christ

Ainsi, au seuil du troisième millénaire du christianisme, s’ouvrira une ère nouvelle pour le pays et pour la région, grâce à des démarches de pardon et à une coopération toujours plus profonde entre toutes les composantes de la société nationale. Ce sont les conditions primordiales pour que se construise et survive «un Liban démocratique, ouvert aux autres, en dialogue avec les cultures et les religions» (286), capable d’assurer à tous ses membres une existence digne et libre. Un Etat de droit ne peut se fonder sur la force pour se faire respecter. Il est reconnu dans la mesure où les dirigeants et le peuple tout entier sont soucieux des droits de l’homme et aptes à créer entre eux des relations humaines et des échanges dans la confiance et la liberté (287).

La paix suppose de la part de tous la ferme volonté de respecter ses frères, de faire des pas vers eux, et elle s’obtient donc essentiellement en sauvegardant le bien des personnes et des communautés humaines constituant une même patrie, dans ce qu’on peut appeler une économie de la paix (288). Dans cette démarche, la famille et l’école ont un rôle primordial à jouer (289). Ce sont des lieux où les personnes sont appelées à faire une expérience privilégiée d’un «vivre ensemble» sur la même terre. «Ceux qui travaillent à éduquer les nouvelles générations dans la conviction que tout homme est notre frère construisent, à partir des fondations mêmes, l’édifice de la paix» (290).

L’engagement en faveur de la paix de tous les hommes de bonne volonté conduira à une réconciliation définitive entre tous les Libanais et entre les différents groupes humains du pays. La réconciliation est le point de départ de l’espérance d’un avenir nouveau pour le Liban. La guerre est finie et la réconciliation doit être considérée comme la voie de la paix profonde qui doit s’instaurer entre tous les Libanais. Que la fin de la guerre armée soit aussi la fin de la guerre entre les différents particularismes, la fin des conflits d’intérêts personnels, qui parfois sont plus terribles parce qu’ils peuvent devenir des luttes de tous contre tous. Que chacun se rappelle qu’avec la guerre on ne peut rien obtenir. Tout le monde ressort blessé, car la blessure d’un frère est toujours aussi celle de tous ses compatriotes. Seules la paix et la réconciliation sont le cadre propice à une place réelle et reconnue de chaque Libanais dans son pays, et à la résolution des problèmes des personnes et des groupes au sein de la nation.

286) Jean-Paul II, Lettre apost. sur la situation au Liban, 1er mai 1984: AAS 76 (1984), p. 705.
287) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n.
GS 78.
288) Cf. Paul VI, Message au Secrétaire général des Nations Unies (26 mai 1966): «Le développement est le nouveau nom de la paix»: AAS 58 (1966), pp. 479-480.
289) Cf. Proposition 40, 1.
290) Paul VI, Message pour la Journée mondiale de la Paix 1970: AAS 63 (1971), p. 8.


99 La paix dans le pays pourrait porter des fruits dans toute la région et permettre aussi à tous ceux qui ont été déplacés de retourner dans leur lieu d’origine dans des conditions convenables, grâce à l’aide de leurs compatriotes et de la communauté internationale. En effet, au cours des dernières décennies, à cause de la guerre, des familles libanaises ont fui la terre qui assurait leur subsistance, et, en raison des divers foyers de conflits dans la région, d’autres personnes ont aussi été déplacées. En attendant que puisse se réaliser leur retour sur leur terre, elles ne doivent pas être laissées sans assistance et vivre dans l’indifférence de la population auprès de laquelle elles vivent souvent dans des situations de précarité et de pauvreté, ni éventuellement dans l’indifférence des organisations d’aide humanitaire ou des autorités internationales. Les personnes déplacées demeurent en toute circonstance des êtres humains, avec leur dignité et leurs droits inaliénables (291).

291) Cf. Jean XXIII, Encycl. Pacem in terris, n.
PT 105: AAS 55 (1963), p. 286.


CHAPITRE VI

L’Eglise au service de la société

Portée sociale de la mission de l’Eglise

100 Partout dans le monde, l’Eglise a la mission de faire connaître le Christ, Fils de Dieu, et d’annoncer le salut offert à tous les hommes. En contemplant son Seigneur, homme parfait, elle a aussi toujours eu conscience qu’elle avait une place spécifique dans la société, en faveur de la libération des personnes de tout ce qui entrave leur croissance humaine et spirituelle, car «la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant» (292).

292) S. Irénée, Adversus haereses, 4, 20, 7: SC 100, 2, Paris (1965), p. 649.


I. Le service social

101 Dans son action au sein de la société, le chrétien doit s’inspirer de la parole de Dieu qui l’invite tout d’abord à faire sienne la préoccupation du Seigneur pour les orphelins et les pauvres, qui «ont revêtu le visage du Christ» et qui sont les «bien-aimés de Dieu» (293). Depuis les origines, le peuple de l’Alliance et la communauté chrétienne ont toujours eu conscience du droit primordial du pauvre, du faible et de l’émigré (cf. Dt Dt 24,17-18). En venant en aide à ses frères dans le besoin, le chrétien participe au rétablissement de la fraternité perdue à cause du péché et il demande au Christ de réaliser la pleine fraternité dont l’Eglise constitue les prémices. «Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux; ils seront son peuple et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux: de mort, il n’y en aura plus; de pleurs, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé » (cf. Ap 21,3-4). Je fais donc appel à la conscience des fidèles, leur rappelant que nous serons jugés sur la qualité de notre accueil du pauvre, de l’étranger et de celui qui est dans l’épreuve. Si nous les avons accueillis et aidés, au soir de notre vie, nous entendrons le Seigneur nous dire: «Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume. [...] Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, [...] j’étais étranger et vous m’avez accueilli» (Mt 25,34-35).

Pour que cette forme de témoignage de l’amour de Dieu puisse être comprise comme un témoignage d’Eglise, il est indispensable que tous les catholiques travaillent en communion avec l’Eglise tout entière et pas seulement en leur nom propre. «L’esprit de pauvreté et de charité est, en effet, la gloire et le témoignage de l’Eglise du Christ» (294).

293) S. Grégoire de Nysse, De l’amour des pauvres: PG 46, 460 B-465 B.
294) Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. GS 88.


102 Les séquelles de la guerre pèsent lourdement sur la société libanaise et engendrent une crisesocio- économique qui touche les individus et les familles; elles se font sentir dans les questions du logement, de la santé, de l’éducation et du travail. Je voudrais ici saluer l’engagement inlassable de nombreux laïcs et d’Instituts religieux dans les services éducatifs, dans les services médicaux et sociaux et dans l’aide aux plus pauvres. Ils manifestent ainsi la sollicitude de Dieu et l’amour du Christ à l’égard de tous les petits qui sont ses frères. En me réjouissant de ce qui existe déjà dans le pays, j’appelle tous les Libanais à poursuivre et à développer des gestes concrets de solidarité et de partage, dans tous les domaines de la vie sociale, confirmant ainsi l’interdépendance indispensable entre citoyens d’un même pays, le principe de la destination universelle des biens de la terre et l’option préférentielle pour ceux qui sont démunis.

Personne ne doit être exclu des réseaux de relations économiques et sociales. Les pauvres, lespersonnes marginalisées, les handicapés physiques et mentaux, doivent pouvoir bénéficier d’une attention fraternelle et d’une solidarité accrue. En ce qui les concerne, les Eglises patriarcales ont le devoir de s’organiser pour proposer des aides effectives, matérielles, spirituelles et morales, à tous ceux qui en ont besoin, en prenant soin de gérer correctement leur patrimoine.

La solidarité nationale doit aussi se développer dans le domaine de la santé. Toute personne doit pouvoir bénéficier des soins et de l’assistance médicale nécessaires, indépendamment de ses ressources. J’invite l’Eglise à réfléchir à ce qui peut se réaliser en ce domaine, comme dans celui de la pastorale des malades qui ont besoin d’être accompagnés durant leur maladie. Je propose à la hiérarchie catholique de réaliser une étude sérieuse et profonde de l’organisation des services de la santé dans ses institutions, avec le souci d’en faire des lieux de témoignage toujours plus grand de l’amour envers les hommes. En particulier, on sera attentif à rendre les institutions de soins accessibles aux plus défavorisés.


103 L’aide que l’Eglise peut apporter à la vie sociale est bien plus large que les points qui viennent d’être soulignés. Les problèmes, souvent complexes, doivent être étudiés avec soin et faire l’objet d’actions concertées entre les patriarcats. Durant le Synode, on a souvent évoqué la responsabilité des laïcs, des religieux et des religieuses au sein des instances ecclésiales chargées d’envisager et de mettre en oeuvre les actions en matière sociale. Dans ce domaine comme dans les autres évoqués au cours des chapitres précédents, je demande aux responsables de l’Eglise catholique au Liban de les associer plus étroitement à la mission de l’Eglise universelle au bénéfice de tous. Les Eglises patriarcales trouveront aussi les modalités de collaboration confiante avec les autres organismes de la société travaillant dans les mêmes secteurs d’activité, dans le respect des responsabilités propres et des spécificités. En particulier, les catholiques s’attacheront à faire régner dans leurs institutions un esprit vraiment chrétien et développeront une pastorale adaptée aux besoins des personnes qui ont recours à leurs services (295).

295) Cf. Proposition 35, 4.


II. La gestion des biens de l’Eglise

104 Les biens d’Eglise sont des moyens pour l’apostolat, pour l’action sociale et pour les services que les chrétiens ont à accomplir, dans une perspective de développement et de justice. En effet, «l’essentiel, c’est la foi et la charité auxquelles rien n’est préférable» (296). Dans le même sens, écoutons l’exhortation de saint Grégoire de Nysse: «Partagez avec les pauvres qui sont les préférés de Dieu. Tout appartient à Dieu, notre commun Père. Et nous sommes tous les frères d’une famille unique» (297). Dans le domaine de leur gestion, en vertu de ma mission de «suprême administrateur de tous les biens temporels de l’Eglise» (298), je demande un engagement radical de toutes les communautés catholiques orientales, pour qu’elles aient constamment le souci de réaliser une administration rationnelle, transparente et orientée clairement vers les buts pour lesquels les biens ont été acquis. Selon le Code des Canons des Eglises orientales, il appartient aux évêques de veiller à ce qu’une gestion saine et moderne des biens soit assurée dans un esprit de désintéressement total par des personnes compétentes, intègres et particulièrement habilitées pour un service ecclésial et social; elles ont à rendre compte de leur gérance et de leurs décisions (299). Il demeure évident que l’administration du patrimoine de l’Eglise est un service apostolique qui ne peut pas avoir comme fin un enrichissement personnel, familial ou de groupe.

296) S. Ignace d’Antioche, Lettre aux Smyrniotes, VI, 1: SC 10, Paris (1969), p. 137.
297) De l’amour des pauvres: PG 46, 466.
298) Code des Canons des Eglises orientales, can.
CIO 1008.
299) Cf. Ibid., can. CIO 1022 CIO 1031.


105 Le principe des waqfs, de leur régime juridique et de leur mode de gestion et d’exploitationdoit être réexaminé et réévalué. Pour rendre possible leur administration, il faut d’abord dresser un inventaire de l’état actuel et des finalités réelles de chacune des formes de waqfs, leurs différentes sortes de biens temporels (300), et en vérifier la rentabilité et l’exploitation. Il est également nécessaire d’établir une planification d’ensemble des besoins et un usage correct des waqfs, correspondant aux quatre finalités des biens d’Eglise: le culte, les oeuvres d’apostolat, les oeuvres de charité et le juste soutien des pasteurs (301).

Dans la ligne fixée par mes prédécesseurs, en particulier par le Pape Paul VI, j’ai confirmé de manière explicite qu’aucun bien d’Eglise (302) au Moyen-Orient ne puisse être acquis ou aliéné, sinon selon les normes juridiques du droit commun (303), et celles émanées tout spécialement par le Saint-Siège pour le Moyen-Orient (304). Dans ce domaine, les évêques exerceront leur vigilance et prendront soin de donner à tous les membres du peuple de Dieu, spécialement aux séminaristes, aux prêtres et aux membres des Instituts religieux, la formation nécessaire (305.

Je sais que, grâce aux waqfs, de nombreuses réalisations ont déjà été faites et je m’en réjouis. Je salue en particulier les initiatives prises par des patriarcats, des éparchies et des instituts religieux, spécialement la construction d’appartements pour des jeunes couples et pour des personnes défavorisées. De même, j’encourage les initiatives désintéressées prises en ce domaine par des laïcs. Il importe que les différents projets en faveur des familles qui ont le moins de moyens financiers pour vivre soient poursuivis et intensifiés.

300) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Instrumentum laboris, n. 81.
301) Cf. Proposition 36; Code des Canons des Eglises orientales, can.
CIO 1007.
302) Cf. Code des Canons des Eglises orientales, can. CIO 1009, § 2; Code de Droit canonique, can. CIC 1257, § 1.
303) Cf. Code des Canons des Eglises orientales, can. CIO 1035, § 1; CIO 1036,18; Code de Droit canonique, can. CIC 1290-1298.
304) On entend par là l’aliénation, la location, la vente ou la spoliation d’un bien quelconque sans l’autorisation du Siège apostolique. Le non respect de ces normes entraîne de facto la nullité des actes.
305) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum Ordinis, n. PO 17; Décret sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse Perfectae caritatis, n. PC 13; Décret Apostolicam actuositatem, n. AA 10; Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad gentes, n. AGD 16.


III. Le service éducatif

Les écoles et les centres académiques catholiques au Liban (306)

106 Dans le domaine éducatif, l’Eglise a une tradition qu’il convient de sauvegarder. Elle est appelée à être éducatrice des personnes et des peuples. Les écoles catholiques ont le souci de participer efficacement à la mission de l’Eglise et de fournir un enseignement de qualité. Pour cela, tous les acteurs doivent y être étroitement associés: enseignants, élèves, parents, personnels techniques et administratifs, prêtres, religieux et religieuses concernés, associations spécifiques de parents d’élèves, d’enseignants et d’anciens élèves qui apportent leur soutien aux institutions scolaires, sous la responsabilité des évêques. J’encourage les communautés éducatives à poursuivre leurs actions au service des jeunes, qui ont besoin de recevoir les bases culturelles, spirituelles et morales qui feront d’eux des chrétiens actifs, des témoins de l’Evangile et des citoyens responsables dans leur pays; cela suppose que s’intensifient les collaborations et que se développe la coordination entre les services compétents des différents patriarcats catholiques. Les diverses institutions doivent être fidèles à leur mission d’établissements catholiques, en se mettant avant tout à la disposition de la communauté chrétienne, mais aussi plus largement de l’ensemble du pays, dans un esprit de dialogue avec toutes les composantes de la société, sans toutefois perdre de vue leur spécificité d’enseignement catholique. Il convient que la dimension religieuse de l’enseignement catholique soit toujours plus évidente; la façon d’aborder les matières profanes, la proposition d’une vision de l’homme et de l’histoire illuminée par la foi, le lien avec l’Eglise et le style de vie d’enseignants qui soient des exemples par leurs comportements, l’invitation à une vie morale droite, la proposition d’une vie spirituelle profonde, les connaissances inculquées aux jeunes: ce sont là autant de points d’attention pour une éducation intégrale de la jeunesse. Que tous se rappellent que «l’école catholique [...] a l’ambition de proposer simultanément l’acquisition d’un savoir aussi large et profond que possible, l’éducation exigeante et persévérante de la véritable liberté humaine et l’entraînement des enfants et des adolescents qui lui sont confiés vers l’idéal concret le plus élevé qui soit: Jésus Christ et son message évangélique» (307).

306) Cf. Propositions 26; 28.
307) Jean-Paul II, Discours au Conseil de l’Union mondiale des Enseignants catholiques (18 avril 1983): La Documentation catholique 80 (1983), p. 561.


107 Comme toutes les structures scolaires, les établissements catholiques ont conscience de participer à la construction de la société, par l’éducation qui est l’art de former les personnes et de leur proposer les valeurs qui méritent d’être défendues et qui doivent être transmises. La communauté éducative participe à l’approfondissement de la culture libanaise, au développement des relations entre les générations et des rapports des jeunes avec leurs parents. Il ne faut pas oublier non plus qu’elle permet aux jeunes d’envisager sereinement leur avenir et de trouver des raisons de vivre et d’espérer.

Dans la mesure où les circonstances concrètes le lui permettent, l’Eglise au Liban s’efforce d’être toujours présente à cette activité humaine de première importance; elle sait l’estime que lui portent la grande majorité des Libanais et elle est fière de pouvoir scolariser de très nombreux enfants dans l’ensemble du pays, sans aucune distinction ou discrimination (308). Forte de la confiance qui lui est accordée, elle doit poursuivre ses tâches, en prenant des mesures pour rendre ses établissements d’enseignement accessibles à tous ceux qui peuvent être formés, en particulier aux plus pauvres économiquement, afin de leur permettre d’accéder à la formation de base nécessaire à la vie en société et à la culture. Dans cet esprit, avec les Pères du Synode, je demande aussi aux institutions catholiques d’enseignement de reconsidérer, autant que faire se peut, la question des frais de scolarité dans leurs établissements, pour ne pas pénaliser les familles les plus démunies. Nombre d’entre elles y veillent déjà. En effet, accueillir des jeunes pauvres dans ses écoles constitue une longue tradition de l’Eglise catholique. J’encourage les communautés catholiques à développer une réelle solidarité entre elles et avec les jeunes dont elles ont la charge, afin qu’aucun jeune n’interrompe sa formation pour des raisons uniquement matérielles ou financières. Dans ce domaine, on apprécie la générosité des institutions éducatives et des fidèles et on souhaite qu’ils poursuivent le partage, dans le cadre de la formation aussi bien scolaire qu’universitaire, en faveur des élèves et des étudiants nécessiteux, de ceux qui viennent des régions rurales et qui ont souvent des difficultés à se loger et à subvenir à leurs besoins primordiaux (309). En réalisant cela, les écoles catholiques contribueront à l’intégration des jeunes dans une société culturellement riche et les aideront à envisager un avenir meilleur.

308) Cf. Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, Message, n. 33: La Documentation catholique 93 (1996), p. 39.
309) Cf. Proposition 28.



Espérance Liban 89