Gaudete in Domino FR 5

V. Une joie pour tout le peuple


5


En écoutant cette voix multiple et consonante des Saints, aurions-nous oublié la condition présente de la société humaine, en apparence si peu tournée vers les biens surnaturels ? Aurions-nous surestimé les aspirations spirituelles des chrétiens de ce temps ? Aurions-nous réservé notre exhortation à un petit nombre de savants et de sages ? Nous ne pouvons oublier que l’Evangile a d’abord été annoncé aux pauvres et aux humbles, avec sa splendeur si simple et son contenu plénier.

Si Nous avons évoqué cet horizon lumineux de la joie chrétienne, ce n’est donc point dans la pensée de décourager qui que ce soit parmi vous, Frères et Fils très chers, qui sentez votre coeur partagé lorsque l’appel de Dieu vous atteint. Bien au contraire, Nous sentons que notre joie, comme la vôtre, ne sera complète que si nous regardons ensemble, avec pleine confiance, vers « le Chef de notre foi, qui la mène à la perfection, Jésus qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix dont il méprisa l’infamie, et qui est assis désormais à la droite du trône de Dieu. Songez à celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir par lassitude de vos âmes » (
He 12,2-3).

L’invitation adressée par Dieu le Père à participer pleinement à la joie d’Abraham, à la fête éternelle des Noces de l’Agneau, est une convocation universelle. Chaque homme, pourvu qu’il se rende attentif et disponible, peut la percevoir au fond de son coeur, très particulièrement en cette Année Sainte où l’Eglise ouvre plus largement à tous les trésors de la miséricorde de Dieu. « Car c’est pour vous qu’est la promesse, ainsi que pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera » (Ac 2,39).

Nous ne saurions penser au Peuple de Dieu de façon abstraite. Notre regard se porte d’abord sur le monde des enfants. Tant qu’ils trouvent dans l’amour de leurs proches la sécurité dont ils ont besoin, ils ont une capacité d’accueil, d’émerveillement, de confiance, de spontanéité dans le don. Ils sont aptes à la joie évangélique. Qui veut entrer dans le Royaume, nous dit Jésus, doit d’abord les regarder (Cf. Mc 10,14-15).

Nous rejoignons davantage encore tous ceux qui exercent une responsabilité familiale, professionnelle, sociale. Le poids de leurs charges, dans un monde extrêmement mouvant, leur ôte trop souvent la possibilité de goûter les joies quotidiennes. Elles existent pourtant. L’Esprit Saint veut les aider à les redécouvrir, à les purifier, à les partager.

Nous pensons au monde des souffrants, Nous pensons à tous ceux qui arrivent au soir de la vie. La joie de Dieu frappe à la porte de leurs souffrances physiques et morales, non par ironie certes, mais pour y opérer son oeuvre paradoxale de transfiguration.

Notre esprit et notre coeur se tournent également vers tous ceux qui vivent au-delà de la sphère visible du Peuple de Dieu. En accordant leur vie aux appels les plus profonds de leur conscience, qui est l’écho de la voix de Dieu, ils sont sur le chemin de la joie.

Mais le Peuple de Dieu ne peut avancer sans guides. Ce sont les pasteurs, les théologiens, les maîtres spirituels, les prêtres et ceux qui coopèrent avec eux à l’animation des communautés chrétiennes. Leur mission est d’aider leurs frères à prendre les sentiers de la joie évangélique, au milieu des réalités qui font leur vie et qu’ils ne sauraient fuir.

Oui, c’est l’immense amour de Dieu qui appelle à converger vers la Cité céleste ceux qui arrivent des divers points de l’horizon, qu’ils soient, en ce temps de l’Année Sainte, proches ou encore loin. Et parce que tous ces convoqués — nous tous, en somme — demeurent à quelque degré pécheurs, il nous faut aujourd’hui, cesser d’endurcir notre coeur, pour écouter la voix du Seigneur et accueillir la proposition du grand pardon, telle que Jérémie l’annonçait : « Je les purifierai de tout péché qu’ils commirent à mon égard, je pardonnerai tous les péchés par lesquels ils m’ont offensé et se sont révoltés contre moi. Et Jérusalem me deviendra un sujet de joie, d’honneur et de gloire devant toutes les nations du monde » (Jr 33,8-9). Et comme cette promesse de pardon et tant d’autres prennent leur sens définitif dans le sacrifice rédempteur de Jésus, le Serviteur souffrant, c’est Lui, et Lui seulement, qui peut nous dire, en ce moment crucial de la vie de l’humanité : « Convertissez-vous et croyez en l’Evangile » (Mc 1,15). Le Seigneur veut surtout nous faire comprendre que la conversion demandée n’est en aucune façon un retour en arrière, ainsi qu’il en va pour le péché. Elle est, au contraire, mise en route, promotion dans la vraie liberté et dans la joie. Elle est réponse à une invitation provenant de lui, aimante, respectueuse et pressante à la fois : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11,28-29).

En effet, quel fardeau plus accablant que celui de la faute ? Quelle détresse plus solitaire que celle du prodigue, décrite par l’évangéliste Saint Luc ? Par contre, quelle rencontre plus bouleversante que celle du Père, patient et miséricordieux, et du fils revenu à la vie ? « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir » (Lc 15,7). Or, qui est sans péché, en dehors du Christ et de sa Mère immaculée ? Ainsi, par son invitation à revenir au Père dans le repentir, l’Année Sainte — promesse de jubilation pour tout le Peuple — est aussi un appel à retrouver le sens et la pratique du sacrement de la Réconciliation. Dans la foulée de la meilleure tradition spirituelle, Nous rappelons aux fidèles et à leurs pasteurs que l’accusation des fautes graves est nécessaire et que la confession fréquente demeure une source privilégiée de sainteté, de paix et de joie.



VI. La joie et l’espérance au coeur des jeunes


6

Sans rien ôter de la ferveur de notre message à l’ensemble du Peuple de Dieu, Nous voulons prendre le temps de nous adresser plus longuement au monde des jeunes, et avec une particulière espérance.

Si, en effet, l’Eglise, régénérée par l’Esprit Saint, constitue en un certain sens la véritable jeunesse du monde, pour autant qu’elle demeure fidèle à son être et à sa mission, comment ne se reconnaîtrait-elle pas spontanément, de préférence, dans la figure de qui se sent porteur de vie et d’espoir, et chargé d’assurer les lendemains de l’histoire présente ? Et réciproquement, comment ceux qui, en chaque période de cette histoire, perçoivent en eux-mêmes plus intensément l’élan de la vie, l’attente de ce qui vient, l’exigence des vraies rénovations, ne seraient-ils pas secrètement en harmonie avec une Eglise animée par l’Esprit du Christ ? Comment n’attendraient-ils pas d’elle la communication de son secret de permanente jeunesse, et donc la joie de leur propre jeunesse ?

Nous pensons qu’en droit et en fait une telle correspondance existe, non pas toujours visiblement, mais certainement en profondeur, malgré maintes contrariétés contingentes. C’est pourquoi, en cette Exhortation sur la joie chrétienne, la raison et le coeur Nous invitent à Nous tourner très résolument vers les jeunes de ce temps. Nous le faisons au nom du Christ et de son Eglise que Lui-même veut, malgré les humaines défaillances, « resplendissante, sans tache ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (
Ep 5,27).

Ce faisant, Nous ne cédons pas à un culte sentimental. Considérée du seul point de vue de l’âge, la jeunesse est chose éphémère. La célébration qui en est faite devient vite nostalgique ou dérisoire. Mais il n’en va pas de même en ce qui concerne le sens spirituel de ce moment de grâce qu’est la jeunesse authentiquement vécue. Ce qui retient notre attention, c’est essentiellement la correspondance, transitoire et menacée, certes, mais pourtant significative et riche de généreuses promesses, entre l’essor d’un être qui s’ouvre naturellement aux appels et exigences de sa haute destinée d’homme, et le dynamisme de l’Esprit Saint, de qui l’Eglise reçoit inépuisablement sa propre jeunesse, sa fidélité substantielle à elle-même et, au sein de cette fidélité, sa vivante créativité. De la rencontre entre l’être humain qui a, pour quelques années décisives, la disponibilité de la jeunesse, et l’Eglise en sa jeunesse spirituelle permanente, surgit nécessairement, de part et d’autre, une joie de haute qualité et une promesse de fécondité.

L’Eglise, comme Peuple de Dieu pérégrinant vers le Royaume à venir doit pouvoir se perpétuer, et donc se renouveler à travers les générations humaines ; c’est pour elle une condition de fécondité, et même simplement de vie. Il importe donc qu’en chaque moment de son histoire, la génération qui se lève exauce, en quelque sorte, l’espérance des générations précédentes, l’espérance même de l’Église, qui est de transmettre sans fin le don de Dieu, Vérité et Vie. C’est pourquoi, en chaque génération, des jeunes chrétiens ont à ratifier, en pleine conscience et inconditionnellement, l’alliance contractée par eux dans le sacrement du Baptême, et renforcée dans le sacrement de la Confirmation.

A cet égard, notre époque de profonde mutation ne va pas sans graves difficultés pour l’Eglise. Nous en avons une très vive conscience, Nous qui portons, avec tout le Collège épiscopal, « le souci de toutes les Eglises » (2Co 11,28) et la préoccupation de leur proche avenir. Mais Nous considérons en même temps, dans la foi et dans l’espérance qui ne déçoit pas (Cf. Rm 5,5), que la grâce ne manquera pas au Peuple chrétien. Et Nous souhaitons que ce dernier ne manque pas à la grâce, et ne renie pas, comme certains sont aujourd’hui tentés de le faire, l’héritage de vérité et de sainteté parvenu jusqu’à ce moment décisif de son histoire séculaire. Et — c’est bien de cela qu’il s’agit — Nous pensons avoir toutes raisons de faire confiance à la jeunesse chrétienne : elle-même ne manquera pas à l’Eglise si, dans l’Eglise, il se trouve assez d’aînés capables de la comprendre, de l’aimer, de la guider et de lui ouvrir un avenir, en lui transmettant en toute fidélité la Vérité qui demeure. Alors des ouvriers nouveaux, résolus et fervents entreront à leur tour, pour le travail spirituel et apostolique, dans les champs qui blanchissent pour la moisson. Alors semeur et moissonneur partageront la même joie du Royaume (Cf. Jn 4,35-36).

Il Nous semble en effet que la crise présente du monde, caractérisée, par un grand désarroi de beaucoup de jeunes, dénonce, pour une part, un aspect sénile, définitivement anachronique, d’une civilisation mercantile, hédoniste, matérialiste, qui tente encore de se donner pour porteuse d’avenir. Contre cette illusion, la réaction instinctive de nombreux jeunes revêt, dans ses excès mêmes, une portée certaine. Cette génération est en attente d’autre chose. Privée soudain de traditions tutélaires, puis amèrement déçue par la vanité et le vide spirituel des fausses nouveautés, des idéologies athées, de certains mysticismes délétères, n’en viendra-t-elle pas à découvrir ou à retrouver la nouveauté sûre et inaltérable du mystère divin révélé en Jésus-Christ ? Celui-ci n’a-t-il pas — selon la belle formule de Saint Irénée — « apporté toute nouveauté en apportant sa propre personne » (St Irénée, Adversus haereses, IV, 34, 1 ; éd. « Sources chrétiennes », n. 100, PP 846-847).

Et c’est pourquoi il Nous plaît de vous dédier plus expressément, à vous, jeunes chrétiens de ce temps, promesse de l’Eglise de demain, cette célébration de la joie spirituelle. Nous vous convions cordialement à vous rendre attentifs aux appels intérieurs qui vous visitent. Nous vous pressons de lever vos yeux, votre coeur, vos énergies neuves, vers les sommets, d’accepter l’effort des ascensions de l’âme. Et Nous voulons vous donner cette assurance : autant peut être débilitant le préjugé, aujourd’hui partout répandu, de l’impuissance où serait l’esprit humain de rencontrer la Vérité permanente et vivifiante, autant est profonde et libératrice la joie de la Vérité divine reconnue enfin dans l’Eglise : gaudium de Veritate (St Augustin, Confessions, X, 23). Cette joie-là vous est proposée. Elle se donne à qui l’aime assez pour la chercher obstinément. En vous disposant à l’accueillir et à la communiquer, vous assurerez ensemble votre propre accomplissement selon le Christ, et la prochaine étape historique du Peuple de Dieu.



VII. La joie du pèlerin en cette Année Sainte


7

Dans ce cheminement de tout le Peuple de Dieu s’inscrit naturellement l’Année Sainte, avec son pèlerinage. La grâce du Jubilé s’obtient en effet au prix d’une mise en route et d’une marche vers Dieu, dans la foi, l’espérance et l’amour. En diversifiant les moyens et les moments de ce Jubilé, Nous avons voulu faciliter pour chacun ce qui peut être l’essentiel, reste la décision intérieure de répondre à l’appel de l’Esprit, de manière personnelle, en disciple de Jésus, en fils de l’Eglise catholique et apostolique et selon l’intention de cette Eglise. Le reste est de l’ordre des signes et des moyens. Oui, le pèlerinage souhaité est, pour le Peuple de Dieu dans son ensemble, et pour chaque personne au sein de ce Peuple, un mouvement, une Pâque, c’est-à-dire un passage, vers le lieu intérieur où le Père, le Fils et l’Esprit l’accueillent dans leur propre intimité et unité divine : si quelqu’un m’aime, dit Jésus « mon Père l’aimera, et nous ferons chez lui notre demeure » (
Jn 14,23). Rejoindre cette présence suppose toujours un approfondissement de la conscience véritable de soi, comme créature et fils de Dieu.

N’est-ce pas un renouveau intérieur de cette sorte qu’a voulu fondamentalement le récent Concile (Paul VI, Discours pour l’ouverture de la deuxième session du Concile, 1e partie, 29 sept. 1963 : AAS 55, 1963, PP 845 ss. ; Encyclique Ecclesiam Suam : AAS 56, 1964, PP 612,614-618) ? Or c’est là, assurément, une oeuvre de l’Esprit, un don de Pentecôte. Aussi faut-il reconnaître une intuition prophétique chez notre prédécesseur Jean XXIII envisageant comme fruit du Concile une sorte de nouvelle Pentecôte (Cf. Jean XXIII, Allocution pour la clôture de la première session, 3e partie, 8 déc. 1962 ; AAS 55, 1963, p 38 ss.). Nous-mêmes avons voulu nous situer dans la même perspective et dans la même attente. Non que la Pentecôte ait jamais cessé d’être actuelle tout au long de l’histoire de l’Eglise, mais si grands sont les besoins d’une humanité portée à la coexistence mondiale et impuissante à la réaliser, qu’il n’y a de salut pour elle qu’en une nouvelle effusion du Don de Dieu. Que vienne donc l’Esprit Créateur pour renouveler la face de la terre !

En cette Année Sainte, Nous vous avons invités à accomplir, matériellement ou en esprit et intention, un pèlerinage à Rome, c’est-à-dire au coeur de l’Eglise catholique. Mais c’est trop évident, Rome ne constitue pas le terme de notre pèlerinage dans le temps. Aucune ville sainte d’ici-bas ne constitue ce terme. Celui-ci est caché au-delà de ce monde, au coeur du mystère de Dieu pour nous encore invisible : car c’est dans la foi que nous cheminons, non dans la claire vision, et ce que nous serons, n’a pas encore été manifesté. La Jérusalem nouvelle, dont nous sommes dès à présent les citoyens et les fils (Cf. Ga 4,26), c’est d’en haut qu’elle descend, d’auprès de Dieu. De cette seule Cité définitive, nous n’avons pas encore contemplé la splendeur, sinon comme dans un miroir, d’une manière confuse, en tenant ferme la parole prophétique. Mais dès à présent nous en sommes les citoyens, ou nous sommes invités à le devenir ; tout pèlerinage spirituel reçoit son sens intérieur de cette destination ultime.

Ainsi en était-il de la Jérusalem célébrée par les psalmistes. Jésus lui-même, et Marie sa mère, ont chanté sur terre, montant à Jérusalem, les cantiques de Sion : « beauté parfaite, joie de toute la terre » (Ps 50,2 Ps 48,3). Mais c’est du Christ, désormais, que la Jérusalem d’en haut reçoit son attrait, c’est vers Lui que nous marchons d’une marche intérieure.

Ainsi en est-il de Rome, où les saints Apôtres Pierre et Paul rendirent par le sang leur ultime témoignage. La vocation de Rome est de provenance apostolique, et le ministère qu’il Nous revient d’y exercer est un service au bénéfice de l’Eglise entière et de l’humanité. Mais c’est un service irremplaçable, car il a plu à la Sagesse de Dieu de placer la Rome de Pierre et de Paul, pour ainsi dire, sur la route conduisant à la Cité éternelle, du fait qu’elle a choisi de confier à Pierre — qui unifie en lui le Collège épiscopal — les clés du Royaume des Cieux. Ce qui demeure ici, non par l’effet de la volonté de l’homme, mais par une libre et miséricordieuse bienveillance du Père, du Fils et de l’Esprit, c’est la soliditas Petri, telle que notre prédécesseur Saint Léon le Grand célébra en termes inoubliables : « Saint Pierre ne cesse de présider à son Siège, et conserve une participation sans fins avec le Souverain Prêtre. La fermeté qu’il reçut de la Pierre qui est le Christ, lui devenu aussi Pierre, il la transmet également à ses héritiers; et partout où paraît quelque fermeté, se manifeste indubitablement la force du Pasteur (...). Voici qu’est en pleine vigueur et vie, dans le Prince des Apôtres, cet amour de Dieu et des hommes que n’ont effrayé ni la réclusion du cachot, ni les chaînes, ni les pressions de la foule, ni les menaces des rois ; et il en est de même de sa foi invincible, qui n’a pas lâché pied dans le combat, et ne s’est pas attiédie dans la victoire » (Sermon 96 (5e sermon prononcé le jour anniversaire de son élection au pontificat) : éd. « Sources chrétiennes », n. 200, pp. 284-285).

Nous souhaitons en tout temps, mais plus encore en cette célébration catholique de l’Année Sainte, que vous éprouviez avec Nous, soit à Rome, soit en toute Eglise consciente de devoir s’accorder avec l’authentique tradition conservée à Rome (Cf. St Irénée, Advenus haereses, III, 3, 2 : éd. « Sources chrétiennes », n. 34, PP 102-103), « combien il est bon, combien il est doux d’habiter en frères tous ensemble » (Ps 133,1).

Joie commune, véritablement surnaturelle, don de l’Esprit d’unité et d’amour, qui n’est possible en vérité que là où la prédication de la foi est actuelle intégralement, selon la norme apostolique. Car alors cette foi, l’Eglise catholique, « bien que dispersée dans le monde entier, la garde soigneusement, comme si elle habitait une seule maison, et elle y croit unanimement, comme si elle n’avait qu’une âme et qu’un coeur; et d’un parfait accord, elle la prêche, l’enseigne et la transmet, comme si elle n’avait qu’une seule bouche » (Adversus haereses, I, 10, 3 : ).

Cette « seule maison », ce « coeur » et cette « âme » uniques, cette « seule bouche », voilà qui est indispensable à l’Eglise et à l’humanité dans son ensemble, pour que puisse s’élever en permanence ici-bas, en consonance avec la Jérusalem d’en haut, le cantique nouveau, l’hymne de la divine joie. Et c’est la raison pour laquelle il Nous faut Nous-même rendre témoignage, humblement, patiemment, obstinément, fût-ce au milieu de l’incompréhension de beaucoup, à la charge reçue du Seigneur, de guider le troupeau et d’affermir nos frères (Cf. Lc 22,32). Mais en combien de manières il Nous arrive d’être, à notre tour, conforté par nos frères, par la seule pensée de vous tous, pour accomplir notre mission apostolique au service de l’Eglise universelle, à la gloire de Dieu le Père !



Conclusion


8


Au milieu de cette Année Sainte, Nous avons pensé être fidèle aux inspirations de l’Esprit Saint en demandant aux chrétiens de revenir ainsi aux sources de la joie.

Frères et Fils très chers, n’est-il pas normal que la joie nous habite, lorsque nos coeurs en contemplent ou en redécouvrent, dans la foi, les motifs fondamentaux qui sont simples : Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique : par son Esprit, sa Présence ne cesse de nous envelopper de sa tendresse et de nous pénétrer de sa Vie; et nous marchons vers la transfiguration bienheureuse de nos existences dans le sillage de la résurrection de Jésus. Oui, il serait bien étrange que cette Bonne Nouvelle, qui suscite l’alléluia de l’Eglise, ne nous donne pas un visage de sauvés.

La joie d’être chrétien, relié à l’Eglise, « dans le Christ », en état de grâce avec Dieu, est vraiment capable de combler le coeur humain. N’est-ce pas cette exultation profonde qui donne un accent bouleversant au Mémorial de Pascal : « Joie, joie, joie, pleurs de joie » ? Et tout près de nous, combien d’écrivains savent exprimer, sous une forme nouvelle — Nous pensons par exemple à Georges Bernanos — cette joie évangélique des humbles qui transparaît partout dans un monde qui parle du silence de Dieu ?

La joie naît toujours d’un certain regard sur l’homme et sur Dieu. « Si ton oeil est sain, ton corps tout entier est aussi dans la lumière » (
Lc 11,34). Nous touchons ici la dimension originale et inaliénable de la personne humaine : sa vocation au bonheur passe toujours par les sentiers de la connaissance et de l’amour, de la contemplation et de l’action. Puissiez-vous rejoindre ce meilleur qui est dans l’âme de votre frère, et cette Présence divine si proche du coeur humain !

Que nos fils de certains groupes rejettent donc les excès de la critique systématique et annihilante ! Sans se départir d’une vue réaliste, que les communautés chrétiennes deviennent des lieux d’optimisme, où tous les membres s’entraînent résolument à discerner la face positive des personnes et des événements ! « La charité ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité : elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1Co 13,6-7).

L’éducation d’un tel regard n’est pas seulement une affaire de psychologie. Elle est également un fruit de l’Esprit Saint. Cet Esprit, qui habite en plénitude la personne de Jésus, le rendait pendant sa vie terrestre si attentif aux joies de la vie quotidienne, si délicat et si persuasif pour remettre les pécheurs sur le chemin d’une nouvelle jeunesse de coeur et d’esprit ! C’est ce même Esprit qui animait la Vierge Marie, et chacun des Saints. C’est ce même Esprit qui donne aujourd’hui encore à tant de chrétiens la joie de vivre chaque jour leur vocation particulière, dans la paix et l’espérance qui surpassent les échecs et les souffrances. C’est l’Esprit de Pentecôte qui emporte aujourd’hui de très nombreux disciples du Christ sur les chemins de la prière, dans l’allégresse d’une louange filiale, et vers le service humble et joyeux des déshérités et des marginaux de notre société. Car la joie ne peut se dissocier du partage. En Dieu lui-même, tout est joie parce que tout est don.

Ce regard positif sur les personnes et sur les choses, fruit d’un esprit humain éclairé et fruit de l’Esprit Saint, trouve chez les chrétiens un lieu privilégié de ressourcement : la célébration du mystère pascal de Jésus. Dans sa Passion, sa Mort et sa Résurrection, le Christ récapitule l’histoire de tout homme et de tous les hommes, avec leur poids de souffrances et de péchés, avec leurs possibilités de dépassement et de sainteté. C’est pourquoi notre dernier mot, en cette Exhortation, est un appel pressant à tous les responsables et animateurs des communautés chrétiennes : qu’ils ne craignent pas d’insister à temps et à contre temps sur la fidélité des baptisés à célébrer dans la joie l’Eucharistie dominicale. Comment pourraient-ils négliger cette rencontre, ce banquet que le Christ nous prépare dans son amour ? Que la participation y soit à la fois très digne et festive ! C’est le Christ, crucifié et glorifié, qui passe au milieu de ses disciples, pour les entraîner ensemble dans le renouveau de sa résurrection. C’est le sommet, ici-bas, de l’Alliance d’amour entre Dieu et son peuple : signe et source de joie chrétienne, relais pour la Fête éternelle.

Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit vous y conduisent ! Et Nous, de grand coeur, Nous vous bénissons.



Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 9 mai 1975, douzième année de notre Pontificat.









Gaudete in Domino FR 5