Jean-Paul Ier


III- DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES






27 août 1978



L'ESQUISSE D'UN PROGRAMME



Première allocution du Saint-Père

Au terme de la concélébration du dimanche 27 août, à 9.30, dans la Chapelle Sixtine, et à laquelle tous les cardinaux ont participé, le Pape a prononcé, en latin, l'allocution dont voici la traduction :



Vénérables Frères !

Chers Fils et Filles du monde catholique tout entier !



Appelé par la miséricordieuse et paternelle bonté de Dieu à la très grave responsabilité du Souverain Pontificat, Nous vous adressons à tous notre salutation et immédiatement Nous la pré­sentons à tous les hommes du monde qui nous écoutent en ce moment et en qui, selon les enseignements de l'Evangile, il Nous plaît de voir uniquement des amis, des frères. A vous tous, santé, paix, miséricorde, amour : « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec tous » (2Co 13,13).

Notre âme est encore accablée à la pensée du terrible ministère pour lequel nous avons été choisi : comme Pierre, il Nous semble d'avoir posé le pied sur l'eau périlleuse, et, secouée par un vent impétueux Nous avons crié avec lui vers le Seigneur : « Seigneur, sauve-moi » (Mt 14,30). Mais Nous avons également senti que s'adressait à Nous la voix du Christ, encourageante et aimablement exhortatrice : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté » (Mt 14,31). Si les forces humaines, à elles seules, ne sont pas adé­quates à supporter un tel fardeau, l'aide de Dieu tout-puissant, qui guide son Eglise à travers les siècles au sein de tant de contra­dictions et de difficultés, ne Nous manquera certes pas moins, à Nous humble et dernier Serviteur des serviteurs de Dieu. Gardant Notre Main dans celle du Christ, Nous appuyant à Lui. Nous avons, Nous aussi accédé au timon de ce navire, qu'est l'Eglise ; Elle est stable et sûre, même au milieu des tempêtes, parce que la présence réconfortante et dominatrice du Fils de Dieu l'accompagne. Selon la parole de St Augustin, qui reprend une image chère à l'ancienne Patristique, la barque de l'Eglise ne doit pas craindre, parce qu'elle est guidée par le Christ et par son Vicaire : « parce que même si la barque ,est secouée elle reste cependant une barque. Elle seule porte les disciples et reçoit le Christ. Elle est mise en péril dans la mer, mais sans elle tous périssent immédiatement » ( Sermon 75, 3 ; PL 38, 475).

En Elle seule se trouve le salut : « sine illa peritur » !

C'est dans cette foi que Nous poursuivrons la route. L'aide de Dieu ne nous fera pas défaut, selon la promesse indéfectible : « Et moi je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). Votre réponse unanime et la collaboration pleine de bonne volonté de votre part à tous, Nous rendra plus léger le poids de notre devoir quotidien. Nous Nous préparons à cette ter­rible tâche avec la conscience que l'Eglise catholique est irrem­plaçable, cette Eglise dont l'immense force spirituelle est une ga­rantie de paix et d'ordre, et comme telle, elle est présente dans le monde, comme telle, elle est reconnue dans le monde. L'écho que sa vie suscite chaque jour est le témoignage que, malgré tout, elle est vivante dans le coeur des hommes, également de ceux qui ne partagent pas sa vérité et n'acceptent pas son message. Comme l'a dit le Concile Vatican II, selon les enseignements duquel nous voulons orienter tout Notre ministère de prêtre, de maître et de pasteur, « l'Eglise, qui doit s'étendre à toute la terre, entre dans l'histoire des hommes, mais transcende également les temps et les confins des peuples. Parmi les tentations et les tribulations de son cheminent, l'Eglise est soutenue par la force de la grâce de Dieu, qui lui a été promise par le Seigneur, afin que, à cause de la faiblesse humaine, elle ne manque pas à la parfaite fidélité, mais qu'elle reste la digne épouse de son Seigneur et ne cesse pas de se rénover sous l'action de l'Esprit Saint, jusqu'à ce que, par la Croix, elle arrive à la lumière sans déclin » (Lumen Gentium, LG 9). Selon le plan de Dieu, qui « a rassemblé tous ceux qui regardent avec foi vers Jésus, auteur du salut et principe d'unité et de paix, l'Eglise a été voulue par Lui « afin qu'elle soit pour tous et pour chacun sacrement visible de cette unité salvifique » (ib.).

Dans cette lumière, Nous Nous mettons entièrement, de toutes Nos forces physiques et spirituelles, au service de la mission uni­verselle de l'Eglise, ce qui signifie pareillement : au service du mon­de, c'est-à-dire au service de la vérité, de la justice, de la paix, de la concorde, de la collaboration à l'intérieur des nations ainsi que dans les rapports entre les peuples.

Nous invitons avant tout les fils de l'Eglise à prendre de plus en plus conscience de leur responsabilité : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,13 s.). Surmon­tant les tensions internes, qui ont pu surgir ça et là, triomphant des tentations qui poussent à se conformer aux goûts et aux usa­ges du monde, tout comme aux chatoiements des applaudissements faciles, unis par l'unique lien de la charité qui doit animer la vie intime de l'Eglise ainsi que les formes extérieures de sa discipline, les fidèles doivent être prêts à rendre témoignage de leur propre foi face au monde : « toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous » (1 Pr 3, 15).

L'Eglise, dans cet effort commun d'une prise de conscience acti­ve et de réponse aux problèmes lancinants du moment, est ap­pelée à donner au monde ce « supplément d'âme » qu'on invoque de toute part et qui seul peut assurer le salut. C'est cela que le monde attend aujourd'hui : il sait bien que la sublime perfection qu'il a atteinte grâce à ses recherches et ses techniques — et dans laquelle il est certes juste de reconnaître l'accomplissement du pre­mier commandement de Dieu : « emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1,28) a gagné une ligne de faîte au delà de laquelle se trouve le vertige de l'abîme ; la tentation de se substituer à Dieu au moyen d'une décision autonome qui fait abstraction des lois mo­rales, porte l'homme moderne au risque de réduire la terre à un désert, la personne à un automate, la communauté fraternelle à une collectivisation planifiée, introduisant souvent la mort là où, au contraire veut naître la vie.

L'Eglise, pleine d'admiration et tendrement penchée sur les conquêtes humaines, veut d'ailleurs sauvegarder le monde, assoiffé de vie et d'amour, des dangers qui le menacent ; l'Evangile appelle tous ses fils à mettre leurs propres forces, et leur vie elle-même, au service des frères, au nom de la charité du Christ : « Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). En ce moment solennel, Nous voulons consacrer tout ce que Nous sommes et tout ce dont Nous sommes capables à cet objectif suprême, jusqu'au dernier soupir, conscients de la tâche que le Christ nous a souvent confiée : « Confirme tes frères » (Lc 22,32).

Pour animer Nos forces dans cette tâche ardue, le souvenir très cher de Nos Prédécesseurs viendra à Notre secours. Leur aimable douceur et leur force intrépide nous servira d'exemple dans Notre programme pontifical: rappelons en particulier les grandes leçons du gouvernement pastoral laissées par les Papes qui Nous sont les plus proches, tels que Pie XI, Pie XII, Jean XXIII, qui, grâce à leur sagesse, à leur dévouement, à leur bonté et leur amour en­vers l'Eglise et envers le monde, ont laissé un sillon indestructible dans Notre temps tourmenté et magnifique. Mais l'élan ému de coeur et de la vénération s'adresse surtout au regretté Pontife Paul VI, Notre prédécesseur immédiat. Sa mort rapide, qui a laissé le monde stupéfait selon le style des gestes prophétiques dont il a constellé son inoubliable pontificat, a mis en juste lu­mière l'envergure extraordinaire de cet homme humble et grand, auquel l'Eglise doit son rayonnement formidable, même parmi les contradictions et les hostilités, atteint au cours de ces quinze an­nées, tout comme c'est à lui qu'elle doit l'oeuvre énorme, infa­tigable, sans répit qu'il a accomplie dans la réalisation du Concile et pour assurer la paix au monde, « tranquillitas ordinis ».

Notre programme sera donc de continuer le sien, dans le sillage déjà tracé avec un tel consentement par le grand coeur de Jean XXIII :

—  Nous voulons donc poursuivre en continuant l'héritage du Concile Vatican II, dont les normes pleines de sagesse doivent en­core être conduites à pleine application, veillant à ce qu'une im­pulsion, peut-être généreuse mais imprévoyante, n'en déforme les contenus et les significations, et d'autre part que des forces freinan­tes et timides n'en ralentissent pas le magnifique élan de renouveau et de vie ;

— Nous voulons conserver intacte la grande discipline de l'Egli­se, dans la vie des prêtres et des fidèles, telle que l'a assurée la ri­chesse éprouvée de son histoire, au cours des siècles, par des exem­ples de sainteté et d'héroïsme, tant dans l'exercice des vertus évangéliques, que dans le service des pauvres, des humbles, des « sans défense » ; et à ce propres Nous poursuivrons la révision des deux Codes de droit canonique, tant de la tradition orientale que latine, pour assurer à la sève intérieure de la sainte liberté des enfants de Dieu, la solidité et la fermeté des structures hiérarchiques ;

— Nous voulons rappeler à l'Eglise entière que son premier devoir reste celui de l'évangélisation, dont les lignes maîtresses ont déjà été résumées par Notre Prédécesseur Paul VI dans un mé­morable document, animée par la foi, nourrie par la parole de Dieu et soutenue par l'aliment céleste de l'Eucharistie ; l'évangélisation doit examiner chaque voie, rechercher chaque moyen, « à temps et à contre-temps » (2Tm 4,2), pour semer le Verbe, pour proclamer le message, pour annoncer le salut, qui suscite dans les âmes l'inquiétude de la recherche du vrai et l'y assiste grâce à l'aide d'en-haut. Si tous les fils de l'Eglise deviennent capables d'être d'infatigables missionnaires de l'Evangile, un nouvel épanouissement de sainteté et de renouveau surgira dans le monde, assoiffé d'amour et de vérité ;

— Nous voulons continuer l'effort oecuménique, que nous con­sidérons être l'extrême recommandation de nos Prédécesseurs im­médiats, veillant avec une foi inchangée, avec une espérance invin­cible et avec un amour indéfectible à la réalisation du grand com­mandement du Christ : « Que tous soient un » (Jn 17,21), dans lequel vibre l'anxiété de son coeur à la veille de son immolation au Calvaire. Les relations mutuelles entre les Eglises de diverses dénominations ont connu des progrès constants et prodigieux, qui sont perçus par tout le monde ; mais la division ne cesse pas pour autant d'être occasion de perplexité, de contradiction et de scandale aux yeux des non-chrétiens et des non-croyants ; et pour cela Nous entendons consacrer notre attention réfléchie à tout ce qui peut fa­voriser l'unité, sans fléchissements doctrinaux mais également sans hésitations ;

— Nous voulons poursuivre avec patience et fermeté la voie du dialogue, sereine et constructive, dont Paul VI — qu'on ne pourrait assez regretter — avait fait le fondement et le programme de son action pastorale, alors qu'il en indiquait les lignes majeures dans sa grande encyclique « Ecclesiam Suam », en vue d'une con­naissance réciproque, d'homme à homme, également à l'égard de ceux qui ne partagent pas notre foi, toujours disposés à leur rendre témoignage de la foi qui est en nous, et de la mission que le Christ Nous a confiée « afin que le monde croie » (Jn 17,21) ;

— Nous voulons enfin favoriser toutes les initiatives louables et bonnes qui puissent garantir et consolider la paix dans ce mon­de troublé : invitant à la collaboration tous ceux qui sont bons, justes, honnêtes, au coeur droit, pour endiguer, à l'intérieur des nations la violence aveugle qui ne fait que détruire et sème ruines et deuils, et, au sein de la vie internationale, afin de porter les hommes à la compréhension mutuelle, à l'union des efforts pour favoriser le progrès social, pour combattre la faim du corps et l'igno­rance de l'esprit, pour promouvoir le développement des peuples moins favorisés quant aux biens économiques mais riches d'énergies et de volonté.

Très chers frères et fils,

En cette heure angoissante pour Nous, mais réconforté par les promesses divines, Nous adressons Notre salutation à tous nos fils : Nous aimerions qu'ils soient tous ici présents, pour pouvoir les regarder, dans les yeux et pour les embrasser, en leur inspirant courage et confiance et en leur demandant compréhension et prières à Notre égard.

A tous Nos salutations :

— aux cardinaux du Sacré Collège, avec lesquels Nous avons partagé des heures décisives et sur lesquels nous comptons mainte­nant et à l'avenir, en les remerciant pour leur sage conseil et l'in­tense collaboration qu'ils voudront bien continuer à Nous offrir, comme conséquence de leur consentement qui Nous a conduit, par la volonté de Dieu, à ce sommet du Ministère apostolique ;

— à tous les évêques de l'Eglise de Dieu, « qui représentent leur propre Eglise, et tous ensemble avec le Pape représentent l'Eglise entière dans le lien de la paix, de l'amour et de l'unité » (Lumen Gentium, LG 23), et dont Nous voulons fortement confirmer la collé­gialité, recourant à leur contribution pour le gouvernement de l'Eglise universelle, tant au moyen de l'organe synodal, qu'à tra­vers les structures de la Curie, auxquels ils participent de droit selon les normes établies ;

— à tous nos collaborateurs, appelés à une stricte application de Notre volonté, et à l'honneur d'une activité qui les engage à vivre saintement, à un esprit d'obéissance, à l'oeuvre d'apostolat et d'amour exemplaire et radical envers l'Eglise. Nous les aimons un par un. En leur demandant de continuer, à Nous assurer, comme à Nos prédécesseurs, leur fidélité éprouvée, Nous sommes certains de pouvoir compter sur leur précieuse collaboration qui Nous sera toujours de grande utilité ;

— Nous saluons les prêtres et les fidèles du diocèse de Rome, auxquels Nous sommes lié par la succession de Pierre et par la charge unique et singulière de cette Chaire Romaine « qui préside à la charité universelle » ;

— Nous saluons ensuite, de manière particulière, les membres de Nos Diocèses de Venise et Belluno, et tous ceux qui Nous ont été confiés comme des fils très chers et très aimés, auxquels Nous pensons maintenant avec un sincère regret, en Nous rappelant leur magnifique oeuvre ecclésiale et leurs énergies consacrées à la bonne cause de l'Evangile ;

— et Nous embrassons encore tous les prêtres, spécialement les curés et tous ceux qui ont directement charge d'âmes, vivant sou­vent dans des conditions de gêne ou de vraie pauvreté, mais lumi­neusement soutenus par la grâce de la vocation et suivant héroïque­ment le Christ « pasteur de nos âmes » (1 Pr 2, 25) ;

— Nous saluons les religieux et les religieuses de vie tant con­templative qu'activé, qui continuent à faire rayonner sur le monde l'enchantement de l'adhésion intacte aux idéaux évangéliques, les suppliant de continuer à « prendre tous soins possibles afin que, grâce à eux, l'Eglise puisse, de jour en jour, mieux présenter le Christ aux fidèles et aux infidèles » (Lumen Gentium, LG 46) ;

— Nous saluons toute l'Eglise missionnaire et Nous envoyons aux hommes et aux femmes, qui se consacrent à leurs frères en occupant les avant-postes de l’évangélisation, Notre encouragement et Notre approbation la plus affectueuse. Qu'ils sachent que parmi tous ceux qui Nous sont chers, c'est à eux que Nous tenons le plus. Nous ne les oublierons jamais dans Nos prières et dans Nos sollicitudes, parce qu'ils ont une place privilégiée dans Notre coeur ;

— aux associations d'Action Catholique, ainsi qu'aux mouve­ments de diverses dénominations qui contribuent avec de nou­velles énergies à la vivification de la société et à la « consecratio mundi » comme le levain dans la pâte (cf. Mt Mt 13,33), Nous offrons tout soutien et Notre appui, pour qu'ils soient convaincus que leur oeuvre, en collaboration avec la Hiérarchie sacrée, est indispensable à l'Eglise aujourd'hui ;

— et Nous saluons les jeunes, espoir d'un demain plus clair, plus sain, plus constructif, afin qu'ils sachent distinguer le bien du mal, et accomplir le bien avec les énergies fraîches dont ils sont en pos­session, pour la vitalité de l'Eglise et l'avenir du monde ;

—  Nous saluons les familles, qui sont « le sanctuaire domesti­que de l'Eglise » (Apostolicam Actuositatem, AA 11), et mieux en­core, qui sont une véritable « Eglise domestique » (Lumen Gentium ), dans laquelle s'épanouissent les vocations religieuses et les saintes décisions, et où se prépare l'avenir du monde ; puissent-elles opposer une barrière contre les idéologies destructrices de l'hédonisme qui éteint la vie, et puissent-elles former des énergies palpitantes de générosité, d'équilibre et de dévouement au bien commun.

— mais Nous voulons adresser une salutation particulière à ceux qui souffrent en ce moment, aux malades, aux prisonniers, aux exi­lés, aux persécutés ; à ceux qui ne trouvent pas de travail, ou qui s'épuisent dans la dure lutte pour la vie ; à ceux qui souffrent en raison de la contrainte où se trouve leur foi catholique, qu'ils ne peu­vent plus librement professer, sinon au prix de leurs droits primor­diaux d'hommes libres et de citoyens loyaux et animés de bonne volonté. Nous pensons en particulier à la terre martyrisée du Liban, à la situation de la Terre de Jésus, à la zone du Sahel, à l'Inde tant éprouvée, et à tous ces fils et ces frères qui subissent de doulou­reuses privations, soit en raison des conditions sociales et politi­ques, soit comme conséquence de désastres naturels.

Frères du monde entier !

Nous sommes tous engagés dans l'oeuvre d'élever le monde vers une justice de plus en plus grande, vers une paix plus stable vers une plus sincère collaboration : et c'est pourquoi nous vous invi­tons et Nous vous supplions tous, depuis les couches sociales les plus humbles qui forment le tissu connectif des nations, jusqu'aux chefs responsables de chaque peuple, à vous faire les instruments efficaces et responsables d'un ordre nouveau, plus juste et plus sincère.

Une aube d'espérance s'élève sur le monde, même si un épais man­teau de ténèbres, aux reflets sinistres de haine, de sang et de guerre, menace parfois de l'obscurcir : l'humble vicaire du Christ, qui, in­quiet et confiant, commence sa mission, se met à la totale disposi­tion de l'Eglise et de la société civile, sans distinction de race ou d'idéologie, afin d'assurer au monde l'aube d'un jour plus doux et plus serein. Le Christ seul pourra faire surgir la lumière sans déclin, parce qu'il est « le soleil de justice » (cf. Ma 4, 2) : mais Il attend aussi la collaboration de tous. La nôtre ne fera pas défaut.

Nous demandons à tous nos fils l'aide de leur prière, parce que Nous ne comptons que sur celle-ci ; et Nous Nous abandonnons avec confiance à l'aide du Seigneur, qui, Nous ayant appelé à la charge de Le représenter sur cette terre, ne Nous laissera pas manquer de sa grâce toute-puissante. La Très Sainte Vierge Marie, Reine des Apôtres, sera l'étoile resplendissante de Notre pontificat : Que St Pierre, Ecclesiae firmamentum (S. Ambroise, Exp. Ev. sec. Lucam, IV, 70 : CSEL 32, 4, p. 175), Nous soutienne par son inter­cession et par son exemple de foi invincible et de générosité hu­maine. Que St Paul nous guide dans l'élan apostolique, élargi à tous les peuples de la terre ; que nos saints Patrons Nous assistent.

Et au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint Nous donnons au monde Notre première et très affectueuse bénédiction aposto­lique.






30 août 1978



« AYEZ CONFIANCE, J'AI VAINCU LE MONDE »



Au Sacré Collège

Mercredi matin, 30 août, à 11 heures, Jean Paul I a reçu dans la Salle du Consistoire du Palais Apostolique le Sacré Collège des cardinaux. Le Pape a prononcé un discours en italien dont voici la traduction :



Vénérables frères, c'est avec une grande joie que Nous vous voyons rassemblés autour de Nous, pour cette rencontre que Nous avons vivement désirée et dont il Nous est consenti à présent, grâce à Votre amabilité, de goûter la douceur et le récon­fort. Nous avons en effet ressenti l'urgent besoin, non seulement de vous exprimer à nouveau Notre gratitude pour le choix — qui, en vérité, ne cesse de Nous surprendre et de Nous confondre — que vous avez fait de Notre humble personne, mais aussi de vous témoigner la confiance que Nous avons dans votre collaboration fraternelle et assidue. Le poids que le Seigneur, dans les desseins impénétrables de sa providence, a voulu poser sur Nos fragiles épaules, Nous apparaîtrait vraiment trop lourd si Nous ne savions pouvoir compter, non seulement sur la force toute-puissante de sa grâce, mais également sur la compréhension affectueuse et sur la solidarité opérante de frères d'une telle renommée quant à la doc­trine et quant à la sagesse, d'une telle expérience dans le gouver­nement pastoral, et aussi pénétrés des choses de Dieu et des choses des hommes.

Nous profitons donc de cette circonstance pour déclarer que Nous comptons surtout sur l'aide de ces cardinaux, qui resteront à Nos côtés, dans cette Cité bien-aimée, à la direction des divers dicastères, dont se compose la Curie romaine. Les charges pasto­rales, auxquelles la providence divine Nous a appelé jour après jour, au cours des années passées, ont toujours été exercées loin de ces organismes complexes, qui offrent au Vicaire du Christ la possibilité concrète d'accomplir le service apostolique, dont il est rede­vable à toute l'Eglise, et assure de cette manière l'articulation organique des autonomies légitimes, dans l'indispensable respect de cette unité essentielle non seulement de discipline mais aussi de foi, pour laquelle le Christ a prié à la veille même de sa passion (Jn 17,11 Jn 21-23). Nous n'avons aucune peine à reconnaître Notre inexpérience dans un secteur aussi délicat de la vie ecclésiale. Nous Nous proposons donc de faire trésor des suggestions qui Nous seront faites par des collaborateurs d'une telle valeur, en Nous faisant, si l'on peut dire, élève de ceux qui, en raison des mérites acquis dans un service d'une telle importance, ont droit à Notre pleine confiance et à Notre reconnaissante estime.

Nous pensons ensuite à ceux d'entre vous, vénérables frères, qui se préparent à retourner à leurs sièges épiscopaux, pour re­prendre la charge pastorale des Eglises, que l'Esprit leur a confiée (cf. At 20, 28), et qui anticipent déjà dans leur âme la joie de la rencontre avec un grand nombre de leurs fils, qu'ils connaissent bien et aiment tendrement. C'est là une joie qui ne Nous sera pas concédée. Le Seigneur connaît le regret que ce renoncement suscite en Notre coeur. Mais, dans sa bonté, il peut tempérer l'amertume du détachement par la perspective d'une paternité plus vaste. En particulier, il Nous réconforte par le don inestimable de votre cordiale et sincère dévotion, dans laquelle il Nous semble que vibre la dévotion de tous les évêques du monde, unis à ce Siège apostolique par les liens fermes d'une communion, qui franchit les espaces, ignore la diversité de races, s'enrichit des valeurs authentiques présentes dans les diverses cultures, et fait des peuples distants l'un de l'autre en raison de leur situation géographique, linguistique ou de mentalité, une grande et unique famille. Comment ne pas se sentir envahis par une vague de confiance rassérénante face à ce spectacle merveilleux, qui est offert à l'absorbante contemplation de l'esprit, et qui, par votre présence, est destiné à s'étendre en direction des cinq continents, dont vous êtes les représentants particulièrement significatifs et dignes ?

Votre splendide assise évoque à Nos yeux une image éloquente de l'Eglise du Christ, dont l'unité catholique avait déjà ému le grand Augustin, et le poussait déjà à mettre en garde les « petits rameaux » de chaque Eglise particulière afin qu'ils ne se détachent pas de « ce grand arbre qui étend ses rameaux au monde entier » (lettre 185 ad Bonifacium n. 8, 32). Nous sommes conscients d'être constitués signe et instrument de cette unité (cf. Const. Dogm. Lumen Gentium, n. os 22, 2 ; 23, 1) ; et Nous voulons consacrer toute Notre énergie à lui assurer sa défense et son essor, encou­ragés par la conscience de pouvoir faire confiance à l'action éclai­rée et généreuse de chacun d'entre vous. Nous ne voulons pas rappeler ici les grandes lignes de Notre programme, que vous connaissez déjà. Nous aimerions seulement réaffirmer en ce mo­ment, avec vous tous, l'engagement d'une disponibilité totale aux inspirations de l'Esprit pour le bien de l'Eglise, que chacun parmi nous, au moment de son élévation à la pourpre cardinalice, a promis de servir « jusqu'à l'effusion du sang ».

Vénérables frères, samedi dernier, quand Nous Nous sommes trouvés face au péril de la décision d'un « oui » qui aurait posé sur Nos épaules le poids formidable du ministère apostolique, un d'entre vous Nous a murmuré, à l'oreille des paroles qui invitaient à la confiance et au courage. Qu'il Nous soit permis, maintenant, constitué à présent Vicaire de Celui qui donna à Pierre le mot d'ordre « confirme tes frères » (Lc 22,32), qu'il Nous soit permis de vous adresser, à vous qui vous préparez à reprendre vos charges ecclésiales respectives, l'encouragement de garder con­fiance avec une fermeté virile, même au milieu des troubles de l'heure présente, dans l'immanquable aide du Christ, qui Nous répète également aujourd'hui, les paroles prononcées quand les ténèbres de la Passion se concentraient déjà sur Lui et sur le premier noyau des croyants : « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde » (Jn 16,33).

Au nom du Christ et en gage de Notre paternelle bienveillance, Nous vous donnons avec une particulière émotion, à Vous, à vos collaborateurs et à toutes les âmes qui sont confiées à votre charge pastorale, les prémices de Notre bénédiction apostolique propitiatrice.






31 août 1978



« ... SANS CONFUSION DES COMPÉTENCES »





Au Corps diplomatique

Le jeudi 31 août, le Pape a reçu en audience les membres du Corps diplomatique accrédités près du Saint Siège. Répondant à l'adresse du Doyen, Jean Paul Ier a prononcé en français le discours suivant :



Excellences, Mesdames, Messieurs,

Nous remercions vivement votre digne interprète de ses paroles remplies de déférence, mieux encore, de bienveil­lance et de confiance. Notre premier mouvement serait de vous avouer notre confusion devant ces propos qui Nous honorent et ces sentiments qui Nous réconfortent. Mais Nous savons bien que cet hommage et cet appel s'adressent, à travers notre personne, au Saint-Siège, à sa mission hautement spirituelle et humaine, à l'Eglise catholique dont les fils sont particulièrement désireux d'édifier, avec leurs frères, un monde plus juste et plus harmonieux.

Nous n'avons pas encore eu l'honneur de vous connaître. Notre ministère était jusqu'ici circonscrit aux diocèses qui nous étaient confiés et aux devoirs pastoraux qu'il comportait, autour de Vittorio Veneto et de Venise. Il était déjà, cependant, participation à celui de l'Eglise universelle.

Mais désormais, en ce Siège de l'Apôtre Pierre, notre mission est devenue effectivement universelle, et elle Nous met en rap­port, non seulement avec tous nos fils catholiques, mais avec tous les peuples, avec leurs représentants qualifiés, et notamment avec les diplomates des pays qui ont voulu établir des relations de cet ordre avec le Saint-Siège. A ce titre, Nous sommes très heureux de vous accueillir ici, de vous dire notre estime et notre confiance, la compréhension que Nous avons de votre noble fonction, heureux aussi de saluer, à travers vos personnes, chacune des nations que vous représentez et que Nous regardons avec respect, avec sym­pathie, en formant des souhaits fervents de progrès et de paix. Ces nations prendront pour Nous un visage encore plus concret au fur et à mesure que Nous en rencontrerons, non seulement les évêques et les fidèles, mais aussi les responsables civils.

Chacun sait tout ce que notre vénéré Prédécesseur a réalisé dans ce domaine des relations diplomatiques. Sous son pontificat, les Missions dont vous êtes les Chefs se sont multipliées. Nous souhaitons Nous aussi que de telles relations soient toujours plus cordiales et fructueuses, pour le bien de vos concitoyens, pour le bien de l'Eglise en vos pays, pour le bien de la concorde univer­selle. Par ailleurs, les rapports que vous pouvez avoir entre vous, autour du Saint-Siège, servent aussi la compréhension et la paix. Nous vous proposons notre sincère collaboration, selon les moyens qui nous sont propres.

Certes, dans l'éventail des postes de diplomates, la fonction qui est ici la vôtre est « sui generis », comme le sont la mission et la compétence du Saint-Siège. Nous n'avons évidemment aucun bien temporel à échanger, aucun intérêt économique à discuter, comme en ont vos Etats. Nos possibilités d'interventions diplomatiques sont limitées et particulières. Elle ne s'immiscent pas dans les affaires purement temporelles, techniques et politiques, qui relèvent de vos Gouvernements. En ce sens, nos Représentations diplo­matiques auprès des plus hautes Autorités civiles, bien loin d'être une survivance du passé, témoignent à la fois de notre respect pour le pouvoir temporel légitime, et de l'intérêt très vif porté aux causes humaines que ce pouvoir est destiné à promouvoir. De même, vous êtes ici les porte-parole de vos Gouvernements et les témoins vigilants de l'oeuvre spirituelle du Saint-Siège. Des deux côtés, il y a présence, respect, échange, collaboration, sans confu­sion des compétences.

Nos services, dès lors, sont de deux ordres. Ce peut être, si nous y sommes invités, une participation du Saint-Siège comme tel, au niveau de vos Gouvernements ou des instances internationales, à la recherche des meilleures solutions aux grands problèmes où sont en jeu la détente, le désarmement, la paix, la justice, les mesures ou les secours humanitaires, le développement... Nos repré­sentants ou délégués y interviennent, vous le savez, avec une parole libre et désintéressée. C'est une forme appréciable de concours ou d'entraide que le Saint-Siège a la possibilité d'apporter, grâce à la reconnaissance internationale dont il jouit, et à la représentation de l'ensemble du monde catholique qu'il assure. Nous sommes prêt à poursuivre en ce domaine l'activité diplomatique et interna­tionale déjà entreprise, dans la mesure où la participation du Saint-Siège s'avère désirée, fructueuse et correspond à nos moyens.

Mais notre action au service de la communauté internationale se situe aussi — et Nous dirions surtout — à un autre plan, qu'on pourrait qualifier plus spécifiquement de pastoral et qui est propre à l'Eglise. Il s'agit de contribuer, par les documents et engagements du Siège Apostolique et de nos collaborateurs dans toute l'Eglise, à éclairer, à former les consciences, des chrétiens d'abord, mais aussi des nommes de bonne volonté — et par eux, une plus large opinion publique — sur les principes fondamentaux qui garantissent une véritable civilisation et une réelle fraternité entre les peuples : respect du prochain, de sa vie, de sa dignité, souci de son progrès spirituel et social, patience et volonté de réconciliation dans l'édification si vulnérable de la paix, disons, en bref, tous les droits et devoirs de la vie en société et de la vie internationale, tels que les ont exposés la Constitution conciliaire « Gaudium et Spes » et tant de messages du regretté Pape Paul VI. De telles attitudes, que les fidèles chrétiens adoptent ou devraient adopter pour leur salut, dans la logique de l'amour évangélique, contribuent à transformer de proche en proche les rapports humains, le tissu social et les institutions ; elles aident les peuples et la communauté internationale à mieux assurer les conditions du bien commun et à trouver le sens ultime de leur marche en avant. Elles ont un impact civique et politique. Vos pays cherchent à construire une civilisation moderne, avec des efforts souvent ingé­nieux et généreux qui ont toute notre sympathie et nos encoura­gements, tant qu'ils se conforment aux lois morales inscrites par le Créateur dans le coeur humain.

Or cette civilisation n'a-t-elle pas besoin d'une énergie spiri­tuelle nouvelle, d'un amour sans frontière, d'une espérance ferme ?

Voilà ce que, avec toute l'Eglise, et à la suite de notre Prédéces­seur, Nous voulons contribuer à donner au monde. Certes, Nous sommes bien petit et bien faible pour cela. Mais Nous avons con­fiance en l'aide de Dieu. Le Saint-Siège s'y emploiera de toutes ses forces. Cela aussi mérite votre intérêt.

Dès aujourd'hui, nos voeux les plus cordiaux vous accompa­gnent dans la mission que vous allez poursuivre auprès de Nous, comme vous l'avez fait auprès du Pape Paul VI. Et Nous invoquons sur chacune de vos personnes, de vos familles, des pays que vous représentez, et sur tous les peuples du monde, les Bénédictions abondantes du Très-Haut.






1° septembre 1978




Jean-Paul Ier