Voyages apostoliques 1979


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L'ENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL II 1979





VOYAGE AU MEXIQUE_ 1

VOYAGE EN POLOGNE_ 82

VOYAGE EN IRLANDE_ 175

VOYAGE AUX ETATS-UNIS_ 229

VOYAGE EN TURQUIE_ 343





INTRODUCTION

L'année 1979 s'ouvre, dans le pontificat de Jean Paul II, par le voyage pastoral qu'il entreprend au Mexique pour y participer à l'assemblée de la Conférence épiscopale d'Amérique Latine (C.E.L.A.M.). Il sera suivi par ceux accomplis en Pologne, en Irlande, aux États-Unis et en Turquie.

Ce sont les allocutions prononcées au cours de ces voyages qui constituent le premier tome de cet Enseignement de Jean Paul II —1979. Un deuxième tome suivra qui livrera au lecteur les discours, allocutions et homélies prononcés par le Saint-Père lors du déroulement plus quotidien de ses activités pastorales.

Fidèle à la tradition expérimentée par Paul VI et Jean Paul Ier et poursuivie avec la première période du pontificat de Jean Paul II en 1978, cet ouvrage publie la traduction des discours du pape d'après l'édition hebdomadaire en langue française de l’Osservatore Romano.







VOYAGE AU MEXIQUE


Janvier 1979







Janvier 1979



PRIERE A LA VIERGE DE GUADALUPE





O Vierge Immaculée,

Mère du vrai Dieu et Mère de l'Eglise,

Toi qui, de ce lieu, manifestes

Ta clémence et ta compassion

Envers tous ceux qui sollicitent ton secours ;

Écoute la prière que nous t'adressons avec une confiance filiale

Et présente-la à ton Fils Jésus notre seul Rédempteur.



Mère de miséricorde, qui nous enseignes le sacrifice caché et silencieux,

Toi qui viens à notre rencontre, nous qui sommes pécheurs,

Nous te consacrons en ce jour tout notre être et tout notre amour.

Nous te consacrons aussi notre viennes travaux,

Nos joies, nos maladies, nos douleurs.



Donne la paix, la justice et la prospérité à tous nos peuples ;

Puisque tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes, nous le plaçons sous ta protection, Notre-Dame et notre Mère.



Nous voulons être totalement à toi et suivre avec toi

Le chemin d'une fidélité absolue à Jésus-Christ dans son Église ;

Que ta main aimante ne nous abandonne pas.



Notre-Dame de Guadalupe, Mère des Amériques,

Nous te prions pour tous nos évêques,

Afin qu'ils conduisent les fidèles sur les sentiers

D'une vie chrétienne intense, d'un amour et d'un humble service

De Dieu et des âmes.



Contemple cette moisson  immense et  intercède  pour que  le Seigneur suscite

Dans tout le peuple de Dieu la faim de sainteté

Et obtiens de nombreuses vocations de prêtres et de religieux, forts dans la foi

Et dispensateurs jaloux des mystères de Dieu.



Accorde à nos foyers

La grâce d'aimer et de respecter la vie dès sa conception,

Du même amour avec lequel tu as conçu en ton sein

La vie du Fils de Dieu.

Sainte Vierge Marie, Mère du Bel-Amour, protège nos familles

Pour qu'elles soient toujours plus unies ; et bénis l'éducation de nos enfants.



Toi notre Espérance, regarde-nous avec compassion.

Apprends-nous à marcher continuellement au-devant de Jésus et si nous tombons,

Aide-nous à nous relever, à revenir vers lui en confessant nos fautes et nos péchés

Dans le sacrement de pénitence

Qui soutient notre âme.



Nous t'en supplions accorde-nous un grand amour pour tous les saints sacrements

Qui sont les empreintes que ton Fils nous a laissées sur terre.



Ainsi, Mère très sainte, avec la paix de Dieu dans notre conscience.

Et nos   coeurs délivrés de tout mal et de toutes haines,

Nous pourrons porter à tous la vraie joie et la vraie paix,

Qui proviennent de Ton Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ

Qui vit et règne avec Dieu le Père, dans l'unité du Saint-Esprit,

Pour les siècles des siècles.

Amen



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JOANNES PAULUS PP. II






25 janvier 1979



« UN PELERINAGE DE FOI »





Le jeudi 25 janvier a 8 h, le pape monte dans l'avion qui va te conduire en Amérique latine. Il est accueilli à Fiumicino par les autorités civiles dont M. Giulio Andreotti et par le personnel de l'aéroport et il leur adresse un message.



Je vous exprime de tout coeur mon sincère remerciement pour votre présence en ce lieu, au moment où je m'éloigne pour quelques jours de mon très cher diocèse et de l'Italie, pour me rendre en Amérique latine.



Votre geste, si délicat et empressé, me donne du réconfort, il est de bon augure pour l'heureux succès du voyage qui — vous le savez — veut être avant tout un pèlerinage de foi : le pape va s'agenouiller devant l'image prodigieuse de Notre-Dame de Guadalupe, au Mexique, pour invoquer sa protection et sa maternelle assistance sur son service pontifical ; pour lui redire, avec une force accrue par les nouveaux engagements : Totus tuus sum ego ! et pour déposer dans ses mains l'avenir de l'évangélisation dans l'Amérique latine.



En outre, le pape va en certaines zones du Nouveau Monde comme messager de l'Évangile pour les millions de frères et de soeurs qui croient au Christ ; il veut les connaître, les embrasser, dire à tous — enfants, jeunes, hommes, femmes, ouvriers, paysans et tous les autres — que Dieu les   aime ; et pour recevoir, tout autant, d'eux l'encouragement et l'exemple de leur bonté et de leur foi. Le pape se met donc avant tout idéalement sur les traces des missionnaires, des prêtres, de tous ceux qui depuis la découverte du Nouveau Monde, avec sacrifice, abnégation et générosité ont répandu dans ces immenses terres le message de Jésus, prêchant l'amour et la paix parmi les hommes.



Enfin, le pape accomplit ce voyage afin de participer avec ses frères évêques, à la troisième conférence générale de l'épiscopat latino-américain, qui se déroulera à Puebla. En ce siège seront traités d'importants problèmes qui regardent l'action pastorale du peuple de Dieu. Celle-ci, à la lumière du concile Vatican II, doit se rappeler les complexes situations socio-politiques locales pour insérer en elles les germes féconds de l'annonce évangélique. Le pape ira à Puebla pour aider, « confirmer » (cf. Lc Lc 22,32) ses frères évêques.



Tandis que je m'apprête à entreprendre le vol, après avoir salué le cardinal secrétaire d'État et les autres cardinaux qui sont ici avec lui, j'exprime ma reconnaissance au président du Conseil du gouvernement italien et aux autorités civiles et militaires ; je salue M. le doyen du Corps diplomatique près le Saint-Siège et les ambassadeurs de l'Amérique latine et tous ceux qui sont venus me souhaiter un bon-voyage. De tout coeur je vous bénis tous.






26 janvier 1979



A L'ARRIVÉE A SAINT-DOMINGUE



Accueilli à l’aéroport par une immense foule en fête, le pape a reçu de cordiales paroles de bienvenue de la part du président de la République, Antoine Guzman Fernandez, et il lui a répondu par le discours suivant :



Monsieur le Président, Frères dans l'épiscopat, Frères et soeurs,



Je rends grâces à Dieu qui m'a permis d'arriver sur ce coin de terre américaine, terre aimée de Christophe Colomb, pour la première étape de ma visite sur ce continent vers lequel si souvent s'est envolée ma pensée, pleine d'estime et de confiance, surtout en cette période initiale de mon ministère de pasteur suprême de l'Église.



Ce désir passé devient réalité dans cette rencontre à laquelle participe avec une affection enthousiaste — et tant d'autres l'auraient désiré — un si grand nombre de fils de cette chère terre dominicaine ; en leur nom et en votre nom propre vous avez voulu, Monsieur le Président, me souhaiter cordialement la bienvenue en de nobles et significatives paroles. J'y corresponds par des sentiments de sincère estime et de profonde gratitude, en témoignage de l'amour du pape pour les fils de cette nation hospitalière.



Puis dans les paroles que j'ai écoutées et dans l'accueil joyeux que me réserve aujourd'hui le peuple dominicain, je sens également la voix, lointaine mais présente, de si nombreux autres fils de tous les pays d'Amérique latine. Depuis les terres du Mexique jusqu'à l'extrême sud du continent, ces pays se sentent unis au pape par des liens particuliers qui atteignent les parties les plus secrètes de leur être d'hommes et de chrétiens; A tous et à chacun de ces pays et à leurs fils, j'adresse le salut très cordial et l'hommage du respect et de l'affection du pape, son admiration et le prix qu'il attache aux merveilleuses valeurs de l'histoire et de la culture qu'ils conservent : le désir d'une vie individuelle, familiale et communautaire, dans un croissant bien-être pour les hommes, dans un climat social de moralité, de justice pour tous, de culture intense des biens de l'esprit.



Ce qui m'attire vers ces terres est un événement d'une très grande importance pour l'Église. Je me trouve sur un continent où l'Église a passé en laissant des traces profondes qui pénètrent au coeur de l'histoire et du caractère de chacun des peuples. Je viens vers cette portion vivante de l'Église, la plus nombreuse, et qui est vitale pour l'avenir de l'Église catholique. Cette Église d'Amérique latine, par de belles réalisations, non exemptes d'ombres, au milieu de difficultés et de sacrifices, rend témoignage au Christ et veut répondre au défi des temps actuels en proposant une lumière d'espérance, pour ici-bas et pour l'au-delà, par le moyen, de son oeuvre d'annonce de la Bonne Nouvelle, concrétisée dans le Christ Sauveur, Fils de Dieu et frère aîné des hommes.



Le pape veut être proche de cette Église évangélisatrice pour encourager son effort, pour lui apporter de nouvelles espérances dans ses espérances, pour l'aider à mieux discerner ses chemins, en renforçant et en modifiant ce qui doit l'être afin qu'elle soit toujours plus fidèle à sa mission : celle qu'elle a reçue de Jésus, celle de Pierre et de ses successeurs, celle des Apôtres et de leurs continuateurs.



Et puisque la visite du pape veut être une action évangélisatrice, j'ai désiré arriver ici en suivant la route qu'ont tracée, au moment de la découverte de ce continent, les premiers porteurs de l'Évangile : ces religieux qui sont venus annoncer le Christ Sauveur, défendre la dignité des indigènes, proclamer leurs droits inviolables, favoriser leur promotion intégrale, leur enseigner la fraternité en leur qualité d'hommes et de fils du même Seigneur et Père, Dieu.



Et ceci est un témoignage de reconnaissance que je veux rendre aux artisans de cette admirable geste évangélisatrice, sur la terre même du Nouveau Monde où a été plantée la première croix, où a été célébrée la première messe, où a été récité le premier Ave Maria et où, au milieu de nombreuses vicissitudes, a été propagé le rayonnement de la foi vers les autres îles voisines et de là vers la terre ferme.



C'est donc dans ce lieu évocateur du continent, sur cette terre d'amour fervent à l'égard de la Vierge Marie et dont le dévouement au successeur de saint Pierre a été ininterrompu, que le pape veut réserver son souvenir et son salut le plus aimant aux pauvres, aux paysans, aux infirmes, aux marginaux qui se sentent proches de l'Église, qui l'aiment, qui suivent le Christ même au milieu des obstacles et qui avec un admirable sens de l'homme mettent en pratique la solidarité, l'hospitalité, l'honnêteté joyeuse et l'espérance pour laquelle Dieu prépare sa récompense.



C'est en pensant au plus grand bien de ces peuples bons et généreux, que je nourris l'espoir de voir les responsables, les catholiques et les hommes de bonne volonté de la république Dominicaine et de toute l'Amérique latine engager le meilleur de leurs énergies, élargir les frontières de leur créativité pour construire un monde plus humain et en même temps plus chrétien. C'est cet appel que vous lance le pape en cette première rencontre sur votre terre.






26 janvier 1979



A L’EPISCOPAT ET AUX FIDELES DANS LA CATHEDRALE DE SAINT-DOMINGUE



Jean Paul II a adressé les paroles suivantes, en réponse à l'adresse d'hommage du cardinal Octavio Antonio Beras Rojas, archevêque de Saint-Domingue.

           

Monsieur le Cardinal, Frères dans l'épiscopat, Très aimés fils,



Voici quelques instants que j'ai l'honneur de me trouver dans votre pays et je ressens maintenant une nouvelle allégresse, celle de pouvoir vous rencontrer dans cette cathédrale dédiée à l'Annonciation — la première cathédrale, située à côté de ce qui a été le premier siège archiépiscopal en Amérique — où vous avez voulu venir si nombreux pour voir le pape.



Tout d'abord merci à vous, Monsieur le Cardinal, pour vos paroles pleines de bonté qui ont rempli mon esprit de satisfaction, d'admiration et d'espérance.



Je désire vous dire que le pape lui aussi désire être avec vous pour vous connaître et pour vous aimer encore davantage. Mon unique peine est de ne pouvoir rencontrer et parler avec chacun en particulier.



Mais bien que cela ne soit pas possible, sachez que personne ne reste étranger à l'affection, ni étranger au souvenir du père commun et que même quand il est loin, il pense à vous et prie à vos intentions.



Pour que cette rencontre soit plus intime, demandons au Seigneur, en un instant de prière, et par l'intercession de Notre-Dame d'Altagracia dont l'image est ici présente, qu'il vous accorde d'être toujours de bons fils de l'Église pour que vous grandissiez dans la foi et que votre vie soit digne de chrétiens.



A vous, à votre nation, à vos familles, surtout aux infirmes, à ceux qui souffrent, j'accorde ma bénédiction avec grand plaisir.



Et priez vous aussi pour le pape.






26 janvier 1979



L'EGLISE EXISTE POUR EVANGELISER





Frères en l'épiscopat, très chers Fils,



1. En cette eucharistie où nous partageons la même foi au Christ, l'évêque de Rome et de l'Église universelle, présent parmi vous, vous offre son salut de paix : « La grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu le Père et de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ » (Ga 1,3).



Je viens jusqu'à ces terres américaines comme pèlerin de paix et d'espérance, afin de participer à un événement ecclésial d'évangélisation, sollicité moi aussi par les paroles de l'apôtre Paul : « Si j'évangélise, ce n'est pas pour un motif de gloire, mais une nécessité qui m'est imposée. Malheur à moi si je n'évangélise pas ! » (1Co 9,16).



La période actuelle de l'histoire de l'humanité requiert une transmission ravivée de la foi, afin de communiquer à l'homme d'aujourd'hui le message éternel du Christ, adapté aux conditions concrètes de sa vie.



Cette évangélisation est une constante et une exigence essentielle dé la dynamique ecclésiale. Paul VI dans son encyclique Evangelii nuntiandi affirmait que « évangéliser constitue la félicité et la vocation de l'Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser » (n. 14).



Et le même pontife précise que « le Christ, en tant qu'évangélisateur, annonce avant tout un règne, le règne de Dieu » ; « Comme noyau et centre de sa Bonne Nouvelle, Jésus annonce le salut, ce grand don de Dieu qui est libération de tout ce qui opprime l'homme, mais qui est, avant tout, libération du péché et du Malin » (n. 8-9).



2. L'Église, fidèle à sa mission, continue en présentant aux hommes de chaque temps, avec l'aide de l’Esprit-Saint et sous la direction du pape, le message de salut de son divin fondateur.



Cette terre dominicaine fut un jour la première destinataire, et ensuite propagatrice, d'une vaste entreprise d'évangélisation qui mérite grande admiration et reconnaissance.



Dès la fin du XVe siècle, cette chère nation s'ouvrit à la foi de Jésus-Christ et y est restée fidèle jusqu'à aujourd'hui. Le Saint-Siège, de son côté, fonda les premiers sièges épiscopaux d'Amérique, précisément sur cette île, et ensuite le siège archiépiscopal et primatial de Saint-Domingue.



Dans une période relativement brève, les sentiers de la foi vont sillonner la terre dominicaine et continentale, posant les fondements du message devenu vie, qu'aujourd'hui nous contemplons en ce qui fut appelé le Nouveau Monde.



Dès les premiers moments de la découverte, l'Église se préoccupe de semer le règne de Dieu dans le coeur des nouveaux peuples, racés et cultures, et avant tout chez vos ancêtres.



Si nous voulons attribuer une reconnaissance méritée à ceux qui plantèrent la semence de la foi, il faut rendre cet hommage d'abord aux ordres religieux qui se distinguèrent dans la tâche de l'évangélisation même au prix du martyre, tout d'abord aux religieux dominicains, franciscains, augustins, mercédaires et ensuite les jésuites, qui formèrent un bel arbre de ce qui avait germé sur de petites racines.



Il ne s'agit pas d'autre part, d'une diffusion de la foi séparée de la vie de ses destinataires même si elle doit maintenir son essentielle référence à Dieu. Pour cela, l'Église fut la première dans cette île à revendiquer la justice et à promouvoir la défense des droits de l'homme en ces terres qui s'ouvraient à l’évangélisation.



Ce sont des leçons d'humanisme, de spiritualité et de préoccupation pour la dignité de l'homme que nous enseignent Antonio Montesinos, Cordoba, Bartolomé de las Casas auxquelles feront également écho en d'autres endroits celles de Juan de Zumarraga, Motolinia, Vasco de Quiroga, José de Anchieta, Toribio de Mogrovejo, Nobrega et tant d'autres. Ce sont des hommes en qui vit le souci pour le faible, le sans-défense, l'indigène, sujets dignes de Dieu, destinés à une vocation sublime. De là naîtra le premier Droit international avec Francisco de Vitoria.



3. On ne peut dissocier — c'est la grande leçon, valable même aujourd'hui — l'annonce de l'Évangile et la promotion humaine.



Cependant pour l'Église, celle-là ne peut se confondre ni s'arrêter — comme certains le prétendent — à cette dernière. Ce serait fermer à l'homme les horizons infinis que Dieu lui a ouverts. Et ce serait fausser le sens profond et complet de l’évangélisation, qui est avant tout annonce de la Bonne Nouvelle du Christ Sauveur.



L'Église, experte en humanité, fidèle aux signes des temps, en obéissance à l'invitation pressante du dernier Concile, veut continuer aujourd'hui sa mission de foi et de défense des droits humains. Elle invite les chrétiens à s'engager dans la construction d'un monde plus juste, humain et habitable, qui ne s'enferme pas en lui-même, mais qui s'ouvre à Dieu.



Rendre ce monde plus juste signifie, entre autres faire effort pour qu'il n'y ait plus d'enfants sans nourriture suffisante, sans éducation, sans instruction, qu'il n'y ait plus de jeunes sans préparation convenable, pas de paysans sans terres pour vivre et se développer dignement ; qu'il n'y ait plus de travailleurs maltraités ni diminués dans leurs droits ; qu'il n'y ait plus de systèmes qui autorisent l'exploitation de l'homme par l'homme ou par l'État ; qu'il n'y ait pas de corruption ; qu'il n'y ait pas ceux qui abondent de tout, tandis que d'autres manquent de tout sans que ce soit leur faute ; qu'il n'y ait pas tant de familles mal constituées, brisées, désunies, insuffisamment protégées ; qu'il n'y ait pas injustice et différence dans l'attribution de la justice ; qu'il n'y ait personne sans protection de la loi et que la loi protège également tous les hommes ; que ne prévalent pas la force sur la vérité et le droit sur la force ; et que ne prédomine jamais le plan économique et politique sur l'humain.



4. Cependant ne vous contentez pas de ce monde plus humain. Faites un monde explicitement plus divin, plus selon Dieu, dominé par la foi en lui, qu'elle inspire le progrès moral, religieux et social de l'homme; Ne perdez pas de vue l'orientation verticale de l’évangélisation. Elle possède la force pour libérer l'homme car elle est révélation de l'amour. L'amour du Père pour les hommes, pour tous et chacun des hommes, amour révélé en Jésus-Christ. « Car Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique, afin que celui qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16).



Jésus-Christ a manifesté cet amour d'abord par sa vie cachée — « Il a bien fait toute chose » (Mc 7,37) — puis le mystère pascal dans lequel l'homme trouve sa vocation définitive à la vie éternelle, à l'union avec Dieu, c'est la dimension eschatologique de l'amour.



Chers fils : je termine en vous exhortant à rester toujours dignes de la foi reçue. Aimez le Christ, aimez l'homme pour lui et vivez la dévotion à notre chère Mère du ciel, que vous invoquez sous le très beau nom de Notre-Dame de Altagracia, à qui le pape veut laisser un diadème en hommage de dévotion. Elle vous aidera à cheminer jusqu'au Christ en protégeant et développant en plénitude la semence jetée par vos premiers évangélisateurs. Le pape attend cela de vous. De vous, fils de Cuba, ici présents, de Jamaïque, de Curaçao et des Antilles, de Haïti, du Venezuela et des États-Unis. Surtout de vous, fils de la terre dominicaine. Qu'il en soit ainsi.






26 janvier 1979



AU CORPS DIPLOMATIQUE



Au cours d'une visite de courtoisie au siège de la Nonciature apostolique, le pape a adressé ces quelques mots aux membres du Corps diplomatique accrédités auprès de la république Dominicaine.



Excellence, Mesdames et Messieurs,

           

Je ne voudrais pas que manque à mon bref séjour dans ce pays cette rencontre avec vous qui méritez, pour des motifs multiples et variés, une manifestation spéciale d'attention de la part du pape.



Vous avez voulu venir me présenter vos hommages de respect et d'adhésion en qualité de détenteurs, à différents niveaux, de l'autorité dans la nation dominicaine, en qualité de personnes liées au Saint-Siège par des liens particuliers et en qualité de représentants du monde de la culture.



A vous tous j'exprime ma reconnaissance pour votre bienveillante présence et ma profonde estime pour vos fonctions respectives. Je vous souhaite beaucoup de bien dans vos tâches qui peuvent et doivent avoir une nette orientation au service du bien commun, de la convivence des hommes, du bien-être de la société, et, pour beaucoup d'entre vous, de celui de l'Église. Je vous remercie beaucoup.






26 janvier 1979



VIVEZ AVEC LE CHRIST ET ANNONCEZ-LE



Au clergé, aux religieux et séminaristes de Saint-Domingue

Le pape au lendemain de son arrivée à Saint-Domingue le 26 janvier a célébré la messe en présence seulement des prêtres, religieux et séminaristes du pays.



Très aimés frères et soeurs,



Que soit béni le Seigneur qui m'a conduit ici, sur cette terre de la république Dominicaine où heureusement pour la gloire et la louange de Dieu en ce nouveau continent, se leva aussi le jour du salut. Et j'ai voulu venir en cette cathédrale de Saint-Domingue pour être parmi vous, très aimés prêtres, diacres, religieux, religieuses et séminaristes, pour vous manifester mon affection spéciale à vous en qui le pape et l'Église déposent leurs plus grandes espérances, afin que vous soyez plus joyeux dans la foi et que votre fierté d'être ce que vous êtes déborde sur moi (cf. Ph Ph 1,25).



Avant tout, cependant, je veux m'unir à vous dans Faction de grâce à Dieu. Merci pour la croissance et le zèle de cette Église qui possède tant de belles initiatives et qui démontre tant d'engagement dans son service de Dieu et des hommes. Je rends grâce à Dieu avec une immense joie — pour reprendre les paroles de l'Apôtre — « pour la part que vous avez prise dans l'annonce de la Bonne Nouvelle depuis le premier jour jusqu'à aujourd'hui ; bien persuadé de ceci : celui qui a commencé en vous une oeuvre bonne poursuivra l'achèvement jusqu'au jour du Christ Jésus » (Ibid. 1, 3, 11).



J'aimerai vraiment disposer de beaucoup de temps pour rester avec vous, apprendre votre nom et écouter de vos lèvres « ce qui déborde de votre coeur » (Mt 12,34) ce que vous avez expérimenté de merveilleux dans votre intérieur —fecit mihi magna qui potens est... (Lc l, 49) — ayant été fidèles à la rencontre avec le Seigneur. Une rencontre de choix de sa part.



C'est précisément cela : la rencontre pascale avec le Seigneur, que je désire proposer à votre réflexion pour raviver davantage votre foi et votre enthousiasme en cette eucharistie ; une rencontre personnelle, vivante, les yeux ouverts et le coeur palpitant, avec le Christ ressuscité (cf. Lc Lc 24,34) l'objectif de votre amour et de toute votre vie.



Il arrive parfois que notre syntonie de foi avec Jésus s'affaiblisse ou s'atténue — ce que le peuple fidèle remarque par la suite et ce dont il s'attriste — car nous le portons à l'intérieur, oui, mais parfois mélangé avec nos penchants et nos raisonnements humains (cf. ibid., 15) sans faire briller toute la lumière grandiose qu'il renferme pour nous. En certaines occasions nous parlons peut-être de lui, un peu influencés par certaines préventions et variantes, ou des données à saveur sociologique, politique, psychologique, linguistique au lieu de faire dériver les critères de base de notre vie et de notre activité d'un Évangile vécu également avec joie, avec confiance et avec cette immense espérance que renferme la croix du Christ.



Une chose est bien claire, très chers frères : la foi au Christ ressuscité n'est pas le résultat d'une connaissance technique ou fruit d'un bagage scientifique (cf. 1Co 1,26).



Ce qu'il nous demande est que nous annoncions la, mort de Jésus-Christ et proclamions sa résurrection (cf. Liturgie). Jésus est vivant. « Dieu l'a ressuscité rompant les liens de la mort » (He 2,24). Ce qui au début fut un murmure tremblant parmi les premiers témoins se transforma rapidement en une joyeuse expérience de la réalité de celui « avec lequel nous avons mangé et bu... après qu'il fut ressuscité des morts » (He 10,41-42). Oui, le Christ vit dans l'Église, il est en nous, porteur d'espérance et d'immortalité.



Si ensuite, vous avez rencontré le Christ, vivez le Christ, vivez avec le Christ ! Et annoncez-le à la première personne, comme d'authentiques témoins : « pour moi la vie c'est le Christ » (Ph 1,21). C'est là précisément que se trouve la vraie libération : proclamer Jésus, libre de toute attache, présent dans des hommes transformés, devenus nouvelles créatures. Pourquoi notre témoignage reste-t-il vain parfois ? Parce que nous présentons un Jésus sans toute la force séductrice qu'offre sa personne ; sans révéler les richesses de l'idéal sublime que comporte sa suite ; parce que nous n'arrivons pas toujours à montrer une conviction traduite en termes de vie, au sujet des valeurs merveilleuses de notre engagement à la grande cause ecclésiale que nous servons.



Frères et soeurs : II est important que les hommes voient en nous les dispensateurs des mystères de Dieu (cf. 1Co 4,1) les témoins crédibles de sa présence dans te monde. Pensons fréquemment que lorsque Dieu nous appelle, il ne nous demande pas une partie de notre personne, mais tout notre être avec ses énergies vitales, pour annoncer aux hommes la joie et la paix de la nouvelle vie dans le Christ et pour les guider à leur rencontre avec lui. Pour cela, que notre première préoccupation soit la recherche du Seigneur et une fois rencontré, constater où et comment il vit, demeurant avec lui tout le jour (cf. Jn Jn 1,39).



Restons avec lui d'une façon spéciale dans l'Eucharistie où le Christ se donne à nous, et dans la prière, par laquelle nous nous donnons à lui. L'Eucharistie doit se compléter et se prolonger par l'offrande de notre devoir quotidien comme « un sacrifice de louange » (Missel romain, prière eucharistique 1). Dans la prière, dans nos relations confiantes avec Dieu notre Père, nous discernons mieux où se trouve notre force et où réside notre faiblesse, car l'Esprit vient à notre aide (cf. Rm 8,26). L'Esprit lui-même nous parle et nous plonge peu à peu dans les mystères divins, dans les desseins d'amour pour les hommes que Dieu réalise à travers notre disponibilité à son service.



Comme saint Paul, au cours de la réunion eucharistique à Troade, moi aussi je prolongerai mon discours avec vous jusqu'à minuit (He 20,6 ss). J'aurai beaucoup de choses à vous dire que je ne puis dire maintenant. En attendant je vous recommande la lecture attentive de ce que j'ai dit récemment au clergé, aux religieux, aux religieuses et séminaristes de Rome. Elle élargira notre rencontre qui se prolongera spirituellement avec d'autres semblables dans les prochains jours. Que le Seigneur et notre douce Mère la Vierge Marie vous accompagnent toujours et remplissent votre vie d'un grand enthousiasme dans le service de votre très haute vocation ecclésiale.



Nous allons poursuivre la messe et déposer sur la table des offrandes nos désirs de vivre une nouvelle vie, nos nécessités et nos supplications, les nécessités et les supplications de l'Église et de la nation dominicaine. Mettons-y également les travaux et les fruits de la III° conférence générale de l’épiscopat latino-américain de Puebla.






27 janvier 1979



JE VOIS EN VOUS LA PRESENCE DU SEIGNEUR QUI SOUFFRE



Au quartier populaire de « Los Minas »

La visite du quartier pauvre de «Los Minas » à la périphérie de la capitale dominicaine a marqué avec force l'élan apostolique du Saint-Père à l'égard des pauvres. Il leur a adressé la parole devant l'église paroissiale tenue par les pères lazaristes.



Bien-aimés fils du quartier de « Los Minas »,



Dès le premier instant de la préparation de mon voyage dans votre pays, j'ai donné une place prioritaire à une visite de ce quartier pour pouvoir vous rencontrer.



Et j'ai voulu venir ici précisément parce qu'il s'agit d'une zone pauvre, pour que vous ayez la possibilité — au meilleur titre, dirais-je — d'être avec le pape. Il, voit en vous une présence plus vivante du Seigneur qui souffre dans les hommes les plus nécessiteux, qui continue à proclamer bienheureux les pauvres en esprit, ceux qui souffrent pour la justice et sont purs de coeur, ceux qui travaillent pour la paix, ceux qui sont compatissants et conservent leur espérance dans le Christ Sauveur.



Mais dans cette invitation à cultiver ces valeurs spirituelles et évangéliques, je désire vous faire penser à votre dignité d'hommes et de fils de Dieu. Je veux vous encourager à être riches en humanité, en amour de la famille, en solidarité avec les autres. En même temps, je vous exhorte à développer toujours davantage les possibilités que vous avez d'obtenir une plus grande dignité humaine et chrétienne.






27 janvier 1979



LE PAPE PREND CONGE DE SAINT-DOMINGUE



A l'aéroport de « Las Americas », avant de quitter la république Dominicaine.



Monsieur le Président,



C'est, de ma part, avec une profonde émotion que j'arrive au moment de quitter cette chère terre de la république Dominicaine où la brièveté de mon séjour a été compensée par une grande abondance d'intenses expériences religieuses et humaines.



J'ai pu admirer quelques-unes des beautés de ce pays et quelques-uns de ses monuments historiques et religieux et surtout j'ai pu constater avec une profonde satisfaction le sentiment religieux et humain de ses habitants.



Ce sont des souvenirs inoubliables qui m'accompagneront et qui continueront à me rendre présentes les belles journées vécues dans ce berceau du catholicisme du Nouveau Monde.



Merci, Monsieur le Président, pour les innombrables attentions dont j'ai été entouré et pour votre présence en ce moment. Merci à tout le cher peuple dominicain pour sa réception enthousiaste, pour ses constantes marques d'amour à l'égard du pape et pour sa fidélité à la foi chrétienne.



Mais mon discours ne s'achève pas ici. La vue de la réalité que vous vivez doit faire réfléchir beaucoup de gens à l'action qui peut être réalisée pour remédier efficacement à votre condition.



Au nom de ces frères qui sont les nôtres, je demande à tous ceux qui peuvent le faire de les aider à vaincre leur situation actuelle pour que, surtout par une éducation meilleure, ils puissent perfectionner leurs esprits et leurs coeurs et pour qu'ils soient les artisans de leur propre (progrès et d'une plus fructueuse insertion dans la société.



Par cet urgent appel aux consciences, le pape encourage vos désirs de promotion humaine et bénit avec grande affection vous-même, vos enfants, vos familles et tous les habitants de ce quartier.






27 janvier 1979



HOMELIE DANS LA CATHEDRALE DE MEXICO



Mexico semper fidelis

La messe célébrée dans la cathédrale de Mexico était la première du séjour du pape au Mexique. Devant une énorme foule de fidèles. Jean Paul II a prononcé l'homélie suivante :



Chers Frères dans l’épiscopat et Très chers fils,        :



Voici à peine quelques heures qu'avec une profonde émotion j'ai touché pour la première fois cette terre bénie. Et maintenant j'ai le bonheur de cette rencontre avec vous, avec l'Église et le peuple du Mexique, en ce jour qui veut être la journée du Mexique.



Cette rencontre a commencé avec mon arrivée dans cette belle ville ; elle s'est élargie pendant que je traversais ses rues et ses places et s'est intensifiée au moment de mon entrée dans cette cathédrale. Mais c'est ici, dans la célébration du sacrifice de l'eucharistie, qu'elle arrive à son point culminant.



Mettons cette rencontre sous la protection de la Mère de Dieu, la Vierge de Guadalupe, celle que le peuple mexicain aime de la dévotion la plus enracinée.



A vous, évêques de cette Église ; à vous, prêtres, religieux, religieuses, séminaristes, membres des instituts séculiers, laïcs des mouvements catholiques et apostoliques ; à vous, enfants, jeunes, adultes, personnes âgées ; à vous tous, Mexicains, qui avez un splendide passé d'amour du Christ, même au milieu des épreuves ; à vous qui portez au fond du coeur la dévotion à là Vierge de Guadalupe, le pape veut parler de quelque chose qui est et doit toujours être davantage pour vous une valeur essentielle, valeur chrétienne et mariale : la fidélité à l'Église.



Parmi tant d'autres titres attribués à la Vierge Marie, au long des siècles, par l'amour filial des chrétiens, il y en a un, d'une signification très profonde : Virgo fidelis, Vierge fidèle. Que signifie cette fidélité de Marie ? Quelles sont les dimensions de cette fidélité ?



La première dimension s'appelle recherche, Marie a été fidèle, avant tout quand elle s'est mise à chercher le sens profond du dessein de Dieu en elle et pour le monde : Quomodo fiet ? — Comment cela se fera-t-il ? demandait-elle à l'ange de l'Annonciation » Déjà dans l'Ancien Testament, le sentiment de cette recherche se traduit dans une expression d'une rare beauté et d'un contenu spirituel extraordinaire : « Chercher le visage du Seigneur ». Il n'y aura pas de fidélité s'il n'y a pas à la racine cette ardente, patiente et généreuse recherche ; s'il ne se trouve pas dans le coeur de l'homme une question à laquelle Dieu seul peut donner une réponse, ou mieux, à laquelle Dieu seul est la réponse.



La seconde dimension de la fidélité s'appelle accueil, acceptation. Le Quomodo fiet ? se transforme sur les lèvres de Marie en un Fiat. Que cela se fasse, je suis prête, j'accepte : ceci est le moment crucial de la fidélité, moment dans lequel l'homme perçoit qu'il ne comprendra jamais totalement le comment ; qu'il y a dans le dessein de Dieu davantage de zones de mystère que de zones d'évidence ; que l'homme quels que soient ses efforts ne réussira jamais à le comprendre tout entier. C'est alors que l'homme accepte le mystère, qu'il lui donne une place dans son coeur comme Marie « qui conservait toutes ces choses : dans son coeur » (Lc 2,19 Lc 3,15). C'est le moment où l'homme s'abandonne au mystère, non pas avec la résignation de quelqu'un qui capitule devant une énigme ou devant l'absurde mais bien davantage avec la disponibilité de celui qui s'ouvre pour être habité par quelque chose — par Quelqu'un — de plus grand que son coeur. Cette acceptation s'accomplit en définitive par la foi qui est une adhésion de. tout l'être au mystère qui se révèle.



La cohérence est la troisième dimension de la fidélité. Vivre en accord avec ce que l'on croit Ajuster sa vie à l'objet de son adhésion. Accepter les incompréhensions, les persécutions plutôt que de permettre des ruptures entre ce que l'on vit et ce que l'on croit : ceci est la cohérence. C'est là que l'on trouve le noeud le plus intime de la fidélité.



Par ailleurs toute fidélité doit passer par la preuve la plus exigeante : celle de la durée. C'est pourquoi la quatrième dimension de la fidélité est la constance. Il est facile d'être cohérent pendant un jour ou quelques jours. Il est difficile et important de l'être toute sa vie. Il est facile d'être cohérent en une heure d'exaltation, difficile de l'être à l’heure de la tribulation. Or, on ne peut appeler fidélité qu'une cohérence qui dure tout le long de l'existence. Le fiat de Marie a l'Annonciation trouve sa plénitude dans le fiat silencieux qu'elle répète au pied de la croix. Etre fidèle, c'est ne pas trahir dans les ténèbres ce qui a été accepté en public.



Parmi tous les enseignements que la Vierge dorme à ses fils du Mexique, le plus beau et le plus important est peut-être cette leçon de fidélité. Cette fidélité que le pape se plaît à découvrir et qu'il attend du peuple mexicain.



Dans mon pays, on a l'habitude de dire : « Polonia semper fidelis ». Je veux pouvoir dire aussi : Mexique semper fidelis, toujours fidèle !



De fait, l'histoire religieuse de cette nation est une histoire de fidélité ; fidélité aux germes de foi semés par les premiers missionnaires ; fidélité à une religion simple, mais enracinée, sincère jusqu'au sacrifice ; fidélité à la dévotion mariale, fidélité exemplaire au pape. Je n'avais pas besoin de venir jusqu'au Mexique pour connaître cette fidélité au vicaire de Jésus-Christ, car je la connaissais depuis très longtemps ; mais je remercie le Seigneur de pouvoir en faire l'expérience dans ta ferveur de votre accueil.



En cette heure solennelle, je voudrais vous inviter à consolider cette fidélité, à la renforcer. Je voudrais vous inviter à la traduire en une intelligente et forte fidélité à l'Église aujourd'hui. Et quelles seront les dimensions de cette fidélité sinon les mêmes que celles de la fidélité de Marie ?



Le pape qui vous visite attend dé vous un généreux et noble effort pour connaître toujours mieux l'Église ; Le concile Vatican II a voulu être surtout un concile sur l'Église. Prenez en mains les documents conciliaires, en particulier Lumen Gentium, étudiez-les avec une attention amoureuse, en esprit de prière, pour découvrir ce que l'Esprit a voulu dire sur l'Église. Ainsi, vous pourrez vous rendre compte qu'il n'y a pas — comme certains le prétendent — une « nouvelle Église » différente ou opposée à la « vieille Église », mais que le Concile a voulu révéler avec davantage de clarté l'unique Église de Jésus-Christ, sous des aspects nouveaux, mais c'est toujours la même dans son essence.



Le pape attend de vous, en outre, une loyale acceptation de l'Église, En ce sens, ceux qui resteraient trop attachés à des aspects accidentels de l'Église, valides dans le passé mais désormais dépassés, ne lui seraient pas fidèles. Mais ceux qui au nom d'un prophétisme peu éclairé, se jetteraient dans l'aventureuse et utopique construction d'une Église soi-disant de l'avenir et qui se désincarnerait de celle du présent, ne le seraient pas davantage.



Nous devons être fidèles à l'Église qui, née une fois pour toutes du dessein de Dieu, de la croix, du sépulcre ouvert du Ressuscité et de la grâce de la Pentecôte, naît de nouveau chaque jour, non pas du peuple ou d'autres catégories rationnelles, mais des mêmes sources dont elle est née à son origine. Elle naît aujourd'hui pour construire avec tout le monde un peuple désireux de croître dans la foi, dans l'espérance et dans l'amour fraternel.



Le pape attend également de vous une pleine cohérence de votre vie avec votre appartenance à l'Église. Cette cohérence signifie que vous ayez conscience de votre identité de catholiques, que vous la manifestiez, dans un respect total, mais sans hésitations ni craintes. L'Église a aujourd'hui besoin de chrétiens disposés à donner un témoignage clair de leur condition et qui prennent leur part de la mission de l'Église dans le monde, en étant ferment de religion, de justice, de promotion de la dignité de l'homme, dans tous les milieux sociaux, qui essayent de donner au monde un supplément d'âme pour qu'il devienne un monde plus humain et plus fraternel, à partir duquel on puisse regarder vers Dieu.



Le pape espère aussi que votre cohérence ne sera pas éphémère mais constante et persévérante. Appartenir à l'Église, vivre dans l'Église, être Église est aujourd'hui quelque chose de très exigeant. Parfois, ce n'est pas la persécution claire et directe qui coûte le plus, mais le mépris, l'indifférence et l’émargination. Il est alors facile de tomber dans le péril de la peur, de la fatigue, de l'insécurité. Ne vous laissez pas vaincre par ces tentations. Ne laissez pas s'évanouir, à cause de l'un ou l'autre de ces sentiments, la vigueur et l'énergie spirituelle de votre « être Église », cette grâce qu'il faut demander et qu'il faut être prêt à accueillir avec une grande pauvreté intérieure et qu'il faut recommencer à vivre chaque matin ? Et chaque jour avec davantage de ferveur et d'intensité.



Chers frères et fils : dans cette eucharistie qui scelle la rencontre du serviteur des serviteurs de Dieu avec l'âme et la conscience du peuple mexicain, le nouveau pape voudrait recueillir sur vos lèvres, dans vos mains et dans vos vies un engagement solennel pour l'offrir au Seigneur. Engagement des âmes consacrées, des enfants, des jeunes, des adultes, des personnes âgées, des gens cultivés, des simples, des hommes et des femmes, de tous : l'engagement de la fidélité au Christ, à l'Église d'aujourd'hui. Mettons sur l'autel cette intention et cet engagement.



Que la Vierge fidèle, la Mère de Guadalupe, de qui nous apprenons à connaître le dessein de Dieu, sa promesse et son alliance, nous aide par son intercession à raffermir cet engagement et à l'accomplir jusqu'à la fin de notre: vie, jusqu'au jour où la voix du Seigneur nous dira : « Viens, serviteur bon et fidèle ; entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25,21-23). Ainsi soit-il.






27 janvier 1979



SALUT AUX FIDELES APRES LA MESSE



A l'issue de sa première messe célébrée en terre mexicaine, le pape a salué les fidèles du balcon de la cathédrale :



Bien-aimés fils,

           

Après avoir reçu le salut de bienvenue du cardinal José Salazar et celui de l'archevêque de cette ville Mgr Ernest Corripio, j'achève la célébration de ma première messe en terre mexicaine, offerte en cette cathédrale de la métropole.



Je suis très heureux de vous rencontrer ici et je salue tous et chacun d'entre vous, les prêtres, les religieux, les religieuses, les séminaristes, les adultes, les pères et mères de famille. Puis j'adresse un salut particulièrement cordial aux jeunes, aux enfants, aux personnes âgées et aux malades.



Sachez que le pape a offert la messe à toutes vos intentions et qu'il a demandé au Seigneur de vous conduire par le chemin de la rectitude morale, de l'amour du Christ et de l'Église ; que le Seigneur vous donne sa consolation si vous avez quelque motif de tristesse ou de souffrance et qu'il vous accorde de vivre votre vie chrétienne avec authenticité.



En ces jours où nous serons proches, priez surtout vous-aussi pour le pape et pour l'Église. Et demandons, à la Vierge de Guadalupe de nous aider dans notre cheminement ; qu'elle soit notre guide vers son Fils et notre Frère, Jésus.



Le pape vous donne sa bénédiction à tous avec grande affection.






27 janvier 1979



RESPECTER LES DROITS DE L'HOMME



Au Corps diplomatique

Le Saint-Père, au cours d'une visite de courtoisie à la Délégation apostolique de Mexico, a adressé le discours suivant aux membres du Corps diplomatique accrédités auprès de la république du Mexique.



Excellences,



Très illustres membres du Corps diplomatique,



Je suis vraiment heureux de ce que, au milieu du programme très chargé de ma visite au Mexique, cette rencontre ait pu être placée pour que je salue un groupe si distingué de personnes comme l'est le Corps diplomatique accrédité dans la ville de Mexico.



En de nombreuses occasions, le Saint-Siège a manifesté la haute estime et le prix qu'il attache à la fonction des représentants diplomatiques. Je l'ai fait moi-même au début de mon pontificat. Et c'est avec plaisir que je renouvelle aujourd'hui devant vous mon appréciation positive de cette noble tâche quand elle est mise au service de la grande cause de la paix, de l'entente entre les nations, du rapprochement des peuples et d'un échange réciproquement fructueux dans les si nombreux domaines d'interdépendance qui regardent la communauté internationale.



Vous et moi, Messieurs, nous avons une préoccupation commune : le bien de l'humanité et l'avenir des peuples et de tous les hommes. Si votre mission est en premier lieu la défense et la promotion des légitimes intérêts de vos pays respectifs, l'interdépendance qui lie chaque jour davantage tous les peuples du monde, j'invite tous les diplomates à se faire, dans un esprit toujours renouvelé et original, les artisans de la compréhension entre les peuples, de la sécurité internationale et de la paix entre les nations.



Vous savez très bien que toutes les sociétés humaines, nationales et internationales, seront jugées dans ce domaine de la paix selon la contribution qu'elles auront apportée au développement de l'homme et au respect de ses droits fondamentaux. Si la société doit garantir en premier lieu la jouissance d'un véritable droit à l'existence et à une existence digne, on ne pourra pas séparer de ce droit une autre exigence également fondamentale et que nous pourrions appeler le droit à la paix et à la sécurité.



En effet, tout être humain aspire aux conditions de paix qui permettront un développement harmonieux des générations futures à l'abri du terrible fléau que sera toujours la guerre, à l'abri du recours à la force ou à toute autre forme de violence.



Garantir la paix à tous les habitants de notre planète veut dire chercher, avec toute notre générosité et notre dévouement, avec tout le dynamisme et la persévérance dont sont capables les hommes de bonne volonté, tous les moyens concrets susceptibles de promouvoir des relations pacifiques et fraternelles, non seulement au plan international mais aussi au plan des différents continents et des régions où il sera parfois plus facile d'obtenir des résultats, limités peut-être, mais non moins importants pour cela. Les réalisations de paix au plan régional constituent, en effet, un exemple et une invitation pour la communauté internationale tout entière.



Je voudrais exhorter chacun d'entre vous et, à travers vous, tous les responsables des nations que vous représentez, à éliminer la crainte et le découragement et à les remplacer par une confiance mutuelle, par une vigilance accueillante et par la collaboration fraternelle. Ce nouveau climat dans les relations entre les nations rendra possible la découverte de zones d'entente parfois insoupçonnées.



Permettez au pape, à cet humble pèlerin de la paix que je suis, de rappeler à votre attention l'appel que j'ai fait à tous les responsables de la destinée des nations dans mon message pour la journée de la Paix : n'hésitez pas à vous engager personnellement en faveur de la paix par des gestes de paix, chacun dans son propre milieu et dans sa propre sphère de responsabilité. Donnez vie à des gestes nouveaux et audacieux qui soient des manifestations de respect, de fraternité, de confiance et d'accueil. Par ces gestes, vous engagerez toutes vos capacités personnelles et professionnelles au service de la grande cause de la paix. Et je vous promets que sur le chemin de la paix, vous rencontrerez toujours Dieu qui vous accompagne.



Dans le contexte de cet appel, je voudrais partager également avec vous un désir particulier. Je veux parler du nombre croissant de réfugiés dans le monde entier et de la situation tragique dans laquelle se trouvent les réfugiés du sud-est asiatique. Non seulement ils sont exposés aux risques d'un voyage non exempt de dangers mais aussi au refus de leur demande d'asile ou à une longue attente avant de recevoir la possibilité de commencer une nouvelle vie dans un pays disposé à les accueillir. La solution de ce problème tragique tombe sous la responsabilité de toutes les nations et je voudrais que les organisations internationales compétentes puissent compter sur la compréhension et sur l'aide des pays de tous les continents, surtout ceux d'un continent comme l'Amérique latine qui a, toujours fait honneur à sa tradition séculaire d'hospitalité, pour pouvoir affronter ouvertement ce problème humanitaire.



Permettez-moi donc de vous encourager dans cette tâche, conscient comme je le suis du profond sentiment d'éthique professionnelle qui doit accompagner ce service sacrifié souvent incompris de la société.



Pour que Dieu bénisse vos efforts, vos personnes et vos familles, j'invoque la protection du Tout-Puissant.






27 janvier 1979



JEAN PAUL II EN AMERIQUE LATINE



Le 27 janvier, le pape a prononcé le discours d'ouverture de la conférence épiscopale à Notre-Dame de Guadalupe.



1. Je te salue, Marie !



Quelle joie profonde me fait éprouver, chers frères dans l'épiscopat et fils très aimés, le fait que les premiers pas de mon pèlerinage en tant que successeur de Paul VI et de Jean Paul Ier me conduisent justement ici ! Ils me conduisent à toi, Marie, dans ce sanctuaire du peuple du Mexique et de toute l'Amérique latine, dans lequel depuis tant de siècles, s'est manifestée ta maternité.



Je te salue, Marie !



C'est avec un immense amour et un profond respect que je prononce ces mots à la fois si simples et si merveilleux. Nul ne pourra jamais te saluer d'une manière plus admirable que ne le fit l'archange le jour de l'Annonciation. Ave Maria, gratiaplena, Dominus tecum. Je redis ces mots que tant de coeurs conservent et tant de lèvres prononcent dans le monde entier. Nous tous ici présents les répétons ensemble, sachant que c'est par ces mots que Dieu lui-même, à travers son messager, t'a saluée, toi la Femme promise au paradis terrestre, toi qui a été choisie de toute éternité comme Mère du Verbe, Mère de la Sagesse divine, Mère du Fils de Dieu.



Je te salue, Mère de Dieu !



2. Ton Fils Jésus-Christ est notre Rédempteur et notre Seigneur. Il est notre Maître. Nous tous, réunis ici, sommes ses disciples. Nous sommes les successeurs des Apôtres, de ceux auxquels le Seigneur a dit : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,19-20).



Successeur de Pierre et successeurs des Apôtres assemblés ici, notre présence démontre que ces paroles se sont accomplies d'une manière admirable sur cette terre.



Il y avait en effet à peine vingt ans qu'avait commencé, en 1492, l'oeuvre évangélisatrice dans le Nouveau Monde, lorsque la foi arriva au Mexique. Peu après était créé le premier siège archiépiscopal, régi par Juan de Zumarraga, que viendront seconder d'autres grandes figures d'évangélisateurs : grâce à eux, le christianisme s'étendit à de plus vastes horizons.



D'autres épopées religieuses non moins glorieuses seront écrites dans l'hémisphère sud par des hommes comme saint Toribio de Mongrovejo et bien d'autres qui mériteraient d'être longuement cités. Les chemins de la foi s'étendent sans cesse, si bien qu'à la fin du premier siècle d'évangélisation, les sièges épiscopaux sont plus de soixante-dix, avec quelque quatre millions de chrétiens. C'est une entreprise singulière, qui continuera longtemps à se développer, jusqu'à embrasser aujourd'hui, après cinq siècles d'évangélisation, presque la moitié de l'ensemble de l'Église catholique ; celle-ci, enracinée dans la culture du peuple latino-américain, en est venue à faire partie de son identité propre.



Au fur et à mesure que se réalisait sur ces terres le commandement du Christ, au fur et à mesure que par la grâce du baptême se multipliaient partout les fils de l'adoption divine, on voit apparaître aussi la Mère. Car c'est à toi, Marie, que le Fils de Dieu, montra un homme du haut de la croix et  dit : « Voici ton fils » (Jn 19,26). Et en cet homme il te confiait chaque homme, il te confiait tous les hommes. Et toi qui au moment de l'Annonciation, par ces simples mots : « Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne selon ta parole » (Lc 1,38), as résumé tout le programme de ta vie, tu les embrasses tous, tu veux tous les approcher, tu les cherches tous maternellement. Ainsi s'accomplit ce que le dernier Concile a déclaré au sujet de ta présence dans le mystère du Christ et de l'Église. Tu demeures d'une manière admirable dans le mystère du Christ, ton Fils unique, parce que tu es toujours là où sont les hommes ses frères, là où est l'Église.



2a. De fait, les premiers missionnaires arrivés en Amérique, en provenance de terres d'éminente tradition mariale, enseignent, en même temps que les rudiments de la foi chrétienne, l'amour envers toi, la Mère de Jésus et de tous les hommes. Et à partir du moment où l'Indien Juan Diego a commencé à parler de la douce Dame du Tepeyac, toi, ma Mère de Guadalupe, tu es entrée d'une manière déterminante dans la vie chrétienne du peuple mexicain. Et ta présence n'a pas été moindre en d'autres lieux où tes fils t'invoquent sous de tendres noms comme Notre-Dame de d’Altagracia, de l'Aparecida, de Lujan et tant d'autres non moins chers, dont je ne puis citer la liste interminable, par lesquels en chaque pays et même en chaque région, les populations latino-américaines t'expriment la dévotion la plus profonde, tandis que tu les protèges dans leur cheminement de foi.



Le pape — qui vient d'un pays où tes images, spécialement celle de Jasna Gora, sont également un signe de ta présence dans la vie de la nation, dans son histoire tourmentée — est particulièrement sensible à ce signe de ta présence ici, dans la vie du peuple de Dieu au Mexique, dans son histoire qui n'a pas été facile elle non plus et qui a même parfois été dramatique. Mais tu es présente aussi dans la vie de tant d'autres peuples et nations d'Amérique latine, présidant et guidant non seulement leur passé lointain ou proche, mais également le moment présent, avec ses incertitudes et ses ombres. Le pape perçoit au fond de son coeur les liens particuliers qui t'unissent à ce peuple et qui l'unissent à toi. Ce peuple qui t'appelle affectueusement « la Morenita ». Ce peuple — et indirectement tout cet immense continent — vit son unité spirituelle par le fait que tu es la Mère. Une Mère qui, par amour, crée, conserve, renforce les liens rapprochant ses fils.



Je te salue, Mère du Mexique !



Mère de l'Amérique latine !



3. Nous sommes ici rassemblés, en cette heure exceptionnelle et admirable de l'histoire du monde. Nous sommes conscients d'y arriver à un moment crucial. Par cette réunion d'évêques, nous désirons nous relier à la précédente conférence de l'épiscopat latino-américain qui a eu lieu il y a dix ans à Medellin, en même temps que le congrès eucharistique de Bogota, et à laquelle participa le pape Paul VI d'inoubliable mémoire. Nous sommés venus ici non pas tant pour recommencer à examiner, au bout de dix ans, le même problème, que pour le réenvisager d'une manière nouvelle, en un lieu nouveau et en un nouveau moment historique. Nous voulons prendre comme point de départ tout ce qui est contenu dans les documents et résolutions de cette conférence. Et nous voulons en même temps, en nous fondant sur l'expérience de ces dix années, sur le développement de la pensée et à la lumière des expériences de toute l'Église, faire un juste et nécessaire pas en avant.



La conférence de Medellin a eu lieu peu de temps après la clôture de Vatican II, le concile de notre siècle, et elle a eu pour objectif de reprendre les grandes lignes et le contenu essentiel du Concile pour les appliquer et en faire une force d'orientation dans la situation concrète de l'Église latino-américaine.



Sans le Concile, il n'aurait pas été possible de tenir la réunion de Medellin qui a voulu être un élan de renouveau pastoral, un nouvel « esprit » face à l'avenir, en pleine fidélité ecclésiale dans l'interprétation des signes des temps en Amérique latine. L'intention évangélisatrice était bien claire et reste évidente dans les seize thèmes abordés, regroupés autour de trois grandes idées complémentaires les unes des autres : promotion humaine, évangélisation et croissance dans la foi, Église visible et ses structures.



Par son option en faveur de l’homme latino-américain envisagé dans son intégralité, par son amour préférentiel, bien que non exclusif, pour les pauvres, par son aspiration à une libération intégrale des hommes et des peuples, Medellin, l'Église qui y était présente, fut un appel d'espérance vers:des buts plus chrétiens et plus humains.



Plus de dix ans ont passé. Et on a fait des interprétations parfois contradictoires, pas toujours correctes, pas toujours bienveillantes envers l'Église. C'est pourquoi l'Église cherche les chemins qui lui permettent de comprendre plus profondément et d'accomplir avec plus d'ardeur la mission reçue du Christ Jésus.



Les sessions du Synode des évêques qui se sont tenues ces dernières années ont eu à cet égard une grande importance, surtout celle de 1974 qui était centrée sur l’évangélisation et dont les conclusions ont été reprises ensuite, d'une manière vivante et stimulante, par l'exhortation apostolique Evangelii nuntianti de Paul VI.



C'est justement le thème que nous mettons aujourd'hui sut le tapis, puisque nous nous proposons d'étudier « l'évangélisation dans le présent et dans l'avenir de l'Amérique latine ».



Nous trouvant ici dans ce lieu saint pour commencer nos travaux, nous voyons se présenter à nos yeux le cénacle de Jérusalem, lieu de l'institution de l’Eucharistie. C'est à ce même cénacle que les Apôtres retournèrent après l'Ascension du Seigneur afin que, assidus à la prière avec Marie, Mère du Christ, ils puissent préparer leurs coeurs à recevoir l’Esprit-Saint au moment de la naissance de l'Église.



Nous aussi, nous venons ici pour cela, nous aussi, nous attendons la venue de l’Esprit-Saint qui nous indiquera les chemins de l'évangélisation, par lesquels l'Église doit continuer à renaître dans notre grand continent. Nous aussi, aujourd'hui et ces prochains jours, nous voulons persévérer dans la prière avec Marie, Mère de notre Seigneur et Maître : avec toi, Mère de l'espérance, Mère de Guadalupe.



4. Permets donc qu'en cet instant solennel, moi, Jean Paul II, évêque de Rome et pape, avec mes frères dans l’épiscopat qui représentent l'Église du Mexique, et de toute l'Amérique latine, nous te confiions et t'offrions, ô Servante du Seigneur, tout le patrimoine de l'Évangile, de la Croix, de la Résurrection, dont nous sommes tous témoins, apôtres, maîtres et évoques.



O Mère, aide-nous à être de fidèles dispensateurs des grands mystères de Dieu ! Aide-nous à enseigner la vérité que ton Fils a annoncée et à étendre l'amour qui est le principal commandement et le premier fruit de l'Esprit-Saint ! Aide-nous à confirmer nos frères dans la foi, aide-nous à éveiller l'espérance en la vie éternelle! Aide-nous à conserver les grands trésors enfermés dans les âmes du Peuple de Dieu qui nous a été confié !



Nous t'offrons ce peuple de Dieu. Nous t'offrons l'Église qui est au Mexique et dans tout le continent. Nous te l'offrons comme étant à toi. Toi qui as touché si profondément le coeur des fidèles par le signe de ta présence qu'est ton image dans le sanctuaire de Guadalupe, fais de ces coeurs ta demeure, maintenant et toujours ! Sois chez toi dans nos familles, dans nos paroisses, nos missions, nos diocèses, dans tous les peuples!



Sois-le au moyen de la sainte Église qui, en t'imitant, désire elle aussi être une bonne mère, assister les âmes dans tous leurs besoins, en annonçant l'Évangile, administrant les sacrements, sauvegardant la vie des familles par le sacrement du mariage, réunissant tous ses fils dans la communauté eucharistique par le saint Sacrement de l'autel, les accompagnant avec amour depuis le berceau jusqu'à leur entrée dans l'éternité.



O Mère, suscite chez les jeunes générations la disponibilité au service exclusif de Dieu ! Obtiens-nous sur place d'abondantes vocations au sacerdoce et à la vie consacrée !



O Mère, affermis la foi de tous nos frères et soeurs du laïcat, afin que tous dans tous les domaines de la vie sociale, professionnelle, culturelle et politique, ils agissent en accord avec la vérité et la loi que ton Fils a apportées à l'humanité, pour conduire tous les hommes au salut éternel et, en même temps, pour rendre la vie sur terre plus humaine, plus digne de l'homme.



L'Église qui exerce son activité parmi les nations américaines, l'Église au Mexique, veut servir cette cause sublime de toutes ses forces, avec un esprit missionnaire renouvelé. O Mère, fais que nous sachions la servir dans la vérité et la justice ! Fais que nous suivions nous-mêmes ce chemin et que nous y conduisions les autres, sans jamais dévier ni entraîner les autres vers des chemins tortueux.



Nous t'offrons et nous te confions tous ceux qui sont et tout ce qui est objet de notre responsabilité pastorale, certains que tu seras avec nous et que tu nous aideras à réaliser ce que ton Fils nous a commandé (cf. Jn Jn 2,5). Avec une confiance illimitée, moi, Jean Paul II, avec tous mes frères dans l’épiscopat du Mexique et dé l'Amérique latine, nous voulons t'associer d'une manière plus étroite encore à notre ministère, à l'Église et à la vie de nos pays. Nous désirons mettre en tes mains tout notre avenir, l'avenir de l’évangélisation en Amérique latine.



Reine des Apôtres, accepte notre empressement à servir sans réserve la cause de ton Fils, la cause de l'Évangile et la cause de la paix fondée sur la justice et l'amour entre les hommes et entre les peuples !



Reine de la paix, préserve les nations et les peuples de tout le continent — qui ont tant confiance en toi — des guerres, de la haine et de la subversion !



Fais que tous, gouvernants et citoyens, apprennent à vivre en paix, s'éduquent à la paix, agissent selon les exigences de la justice et le respect des droits de tout homme, afin que se consolide la  paix !



Accepte cet abandon confiant de notre part, ô Servante du Seigneur ! Que ta présence maternelle dans le mystère du Christ et de l'Église devienne source de joie et de liberté pour tous et chacun, source de cette liberté par laquelle « le Christ nous a libérés » (Ga 5,1), source, enfin, de cette paix que le monde ne peut donner mais qui nous vient de lui seul, le Christ (cf. Jn Jn 14,27).



Enfin, ô Mère, reprenant et confirmant le geste de mes prédécesseurs Benoît XIV et Pie X qui te proclamèrent patronne du Mexique et de toute l'Amérique latine, je te présente une couronne au nom de tous tes fils mexicains et latino-américains, afin que tu les tiennes sous ta protection, que tu les gardes unis dans la foi et fidèles au Christ ton Fils. Amen.






27 janvier 1979



POURQUOI DOUTER DE SON IDENTITE ?



Aux prêtres et religieux du Mexique

Le pape s'est entretenu le samedi 27 janvier avec les prêtres et religieux du Mexique dans la basilique de Notre-Dame de Guadalupe.



Très aimés prêtres, diocésains et religieux,

           

Une des rencontres que, durant ma visite au Mexique, j'ai espéré avec grand bonheur, est celle que j'ai avec vous, ici dans le sanctuaire de notre aimée et vénérée Mère de Guadalupe.



Voyez dans cet entretien une preuve de l'affection et de la sollicitude du pape. Lui, en qualité d'évêque de toute l'Église, est conscient de votre rôle irremplaçable et il se sent très proche de ceux qui sont les pièces centrales dans la tâche ecclésiale, comme les principaux collaborateurs des évêques, comme participants des pouvoirs salvifiques du Christ, témoins, annonciateurs de son Évangile, promoteurs de là foi et de la vocation apostolique du peuple de Dieu. Et je ne veux pas oublier ici tant d'autres âmes consacrées, collaboratrices précieuses en de nombreux et importants secteurs de l'apostolat de l'Église même sans le caractère sacerdotal.



Non seulement vous êtes une présence qualifiée dans l'apostolat ecclésial, mais l'amour que vous portez aux hommes pour Dieu trouve une insertion remarquable parmi les étudiants des divers grades, parmi les malades et ceux qui ont besoin d'assistance, parmi les hommes de culture, parmi les pauvres qui réclament compréhension et appui, parmi tant de personnes qui viennent à vous en recherche de conseils et d'encouragement.



Pour le don de votre personne au Seigneur et à l'Église pour votre proximité de l'homme, recevez aujourd'hui ma reconnaissance au nom du Christ.



Serviteurs d'une cause sublime, de vous dépend en grande partie le sort de l'Église dans les secteurs confiés à votre soin pastoral. Il vous impose une profonde conscience de la grandeur de la mission reçue et de la nécessité de vous y adapter toujours plus.



Il s'agit, en effet, chers frères et fils, de l'Église du Christ — celle que vous devez servir joyeusement en sainteté de vie (cf. Ep Ep 4,13). Quel respect et quel amour ceci doit nous inspirer !



Ce service éminent et exigeant ne pourra être rendu sans la conviction claire et enracinée de votre identité comme prêtres du Christ, dépositaires et administrateurs des mystères de Dieu, instruments de salut pour les hommes, témoins d'un règne qui commence en ce monde, mais qui se complète dans celui de l'au-delà. En face de ces certitudes de la foi, pourquoi douter de sa propre identité ? pourquoi vaciller au sujet des valeurs de sa propre vie ? pourquoi hésiter sur le chemin entrepris ?



Pour conserver ou renforcer cette conviction ferme et persévérante, regardez le modèle qu'est le Christ. Ravivez les valeurs surnaturelles de votre existence, demandez la force encourageante d'en haut, dans le colloque assidu et confiant de la prière. Aujourd'hui comme hier, il vous est indispensable. Et soyez fidèles aussi à la pratique fréquente du sacrement de la réconciliation, à la méditation quotidienne, à la dévotion à la Vierge Marie par la prière du chapelet. En un mot, cultivez l'union avec Dieu à travers une profonde vie intérieure. Que ce soit là votre premier devoir. Ne craignez pas que le temps consacré au Seigneur enlève quelque chose à votre apostolat. Bien au contraire, il sera source de fécondité pour votre ministère.



Soyez des personnes qui ont fait de l'Évangile une profession de vie. De l'Évangile vous devriez retirer les critères essentiels de foi — non de simples critères psychologiques ou sociologiques — qui produisent une synthèse harmonieuse entre spiritualité et ministère. Sans permettre le « professionnalisme » de celui-ci, sans diminuer l'estime que doit vous mériter votre célibat ou chasteté consacrée, accepté par amour du-Règne dans une paternité spirituelle illimitée (1Co 4,15) : « A eux (les prêtres) nous devons notre génération bienheureuse — affirme saint Jean Chrysostome — et connaître une vraie liberté » (sur le sacerdoce 4, 6).



Vous êtes participants du sacerdoce ministériel du Christ pour le service et l'unité déjà communauté. Un service qui se réalise en vertu de la puissance reçue pour guider le peuple de Dieu, pardonner les péchés et offrir le sacrifice eucharistique (cf. Lumen Gentium, LG 10 Presbyterorum Ordinis, PO 2). Un service sacerdotal spécifique qui, dans la communauté chrétienne ne peut être remplacé par te sacerdoce commun des fidèles, essentiellement différent du premier (L.G., 10).



Vous êtes membres d'une Église spéciale, dont le centre d'unité est l'évêque (Christus Dominus, CD 28) avec lequel tout prêtre est tenu de maintenir une attitude de communion et d'obéissance. Pour leur part, les religieux, en ce qui regarde les activités pastorales, ne peuvent nier leur loyale collaboration et obéissance à la hiérarchie locale, invoquant une exclusive dépendance envers l'Église universelle (et Christus Dominus, CD 34 et Document commun de la Sacrée Congrégation pour les religieux et instituts séculiers et de la Sacrée Congrégation pour les évêques, 14 mai 1978). Serait encore moins admissible pour des prêtres ou des religieux une pratique de magistères parallèles à ceux des évêques — authentiques et seuls maîtres dans la foi —ou des conférences épiscopales.



Soyez serviteurs du peuple de Dieu, serviteurs de la foi, administrateurs et témoins de l'amour du Christ pour les hommes ; amour qui n'est pas partisan, qui n'exclut personne, même s'il oriente ses préférences vers le plus pauvre. A ce sujet, je veux vous rappeler ce que j'ai dit il y a peu de temps aux supérieurs généraux des religieux à Rome : « L'âme qui vit en contact habituel avec Dieu et se meut dans le rayon ardent de son amour sait se défendre facilement de la tentation de particularismes et d'antithèses qui créent le risque de douloureuses divisions ; elle sait interpréter à la juste lumière de l'Évangile les options pour les plus pauvres et pour chacune des victimes de l'égoïsme humain, sans céder à des radicalismes socio-politiques qui à la longue se révèlent inopportuns et regrettables » (24 novembre 1978).



Soyez des guides spirituels qui s'efforcent d'orienter et d'encourager les coeurs de leurs fidèles afin que, convertis, ils vivent dans l'amour de Dieu et du prochain et s'engagent dans la promotion et une plus grande dignité de l'homme.



Soyez prêtres et religieux : ne soyez pas des dirigeants sociaux, leaders politiques ou fonctionnaires d'un pouvoir temporel. Pour cela je vous redis : « N'ayons pas l'illusion de servir l'Évangile si nous essayons de « diluer » notre charisme par un intérêt exagéré dans le vaste champ des problèmes temporels » (Discours au clergé de Rome). N'oubliez pas que le leadership temporel peut être facilement source de division tandis que le prêtre doit être signe et facteur d'unité et de fraternité. Les fonctions séculières sont le champ propre d'action des laïcs qui doivent animer et parfaire les choses temporelles selon l'esprit chrétien (Apostolicam Actuositatem, AA 4).



Très aimés prêtres et religieux : je pourrais vous dire bien d'autres choses, mais je ne veux pas trop prolonger cette rencontre. Certaines, je vous les dirai ailleurs, et je vous y renvoie.



Je termine en vous exprimant à nouveau ma grande confiance en vous. J'attends beaucoup de votre amour du Christ et des hommes. Il y a tant à faire. Reprenons le chemin avec un nouvel enthousiasme. Unis au Christ, sous le regard maternel de la Vierge, Notre-Dame de Guadalupe, douce Mère des prêtres et religieux. Avec l'affectueuse bénédiction du pape, pour vous et pour tous les prêtres et religieux du Mexique.






27 janvier 1979



CHARISMES DIVERS, EXIGENCE COMMUNE : SUIVRE LE CHRIST



Aux religieuses du Mexique

Le 27 janvier, le pape s'adresse aux religieuses du Mexique réunies pour cette occasion au collège Miguel Angel.



Cette rencontre du pape avec les religieuses mexicaines, qui devait avoir lieu dans la basilique de Notre-Dame de Guadalupe, se tient ici sous sa présence spirituelle. Devant, elle, le modèle parfait de la femme, l'exemple le meilleur d'une vie consacrée entièrement à son Fils le Sauveur, dans une constante attitude intérieure de foi, d'espérance, de dévouement affectueux à une mission surnaturelle.



En ce lieu privilégié et devant cette image de la Vierge, le pape veut passer un moment avec vous, les nombreuses religieuses ici réunies, qui représentez les plus de vingt mille dispersées à travers la terre mexicaine et hors de la Patrie.



Vous êtes une force très importante à l'intérieur de l'Église et de la société elle-même, travaillant en d'innombrables secteurs tel que celui des écoles et collèges, des cliniques et hôpitaux, le champ caritatif et d'assistance, les oeuvres paroissiales, la catéchèse, les groupes d'apostolat et tant d'autres. Vous faites partie de diverses familles religieuses, mais avec un même idéal dans les différents charismes : suivre le Christ, être témoins vivants de la perpétuité de son message.



Hier comme aujourd'hui, votre vocation est une vocation qui mérite la plus grande estime du pape et de l'Église. Pour cela je désire vous exprimer ma joyeuse confiance en vous et vous stimuler à ne pas vous décourager sur le chemin entrepris qu'il vaut la peine de poursuivre avec enthousiasme et un esprit renouvelé. Vous savez que le pape vous accompagne de sa prière et se complaît de votre fidélité à votre propre vocation, au Christ, à l'Église.



En même temps, cependant, vous allez me permettre d'ajouter quelques réflexions que je propose à votre considération et à votre examen.



Il est certain que chez un grand nombre de religieuses domine un louable esprit de fidélité au propre engagement ecclésial et qu'on constate des aspects de grande vitalité dans la vie religieuse avec un retour à une vision plus évangélique, une croissante solidarité entre les familles religieuses, une plus grande proximité des pauvres, objets d'une juste attention prioritaire. Ce sont là des motifs de joie et d'optimisme.



Mais il ne manque pas non plus des exemples de confusion au sujet de l'essence même de la vie consacrée et du propre charisme. Parfois on abandonne la prière, la, remplaçant par l'action ; on interprète les voeux selon la mentalité sécularisante qui voile les motivations religieuses de cet état ; on abandonne avec, une certaine légèreté la vie en commun, on adopte des positions socio-politiques, comme le véritable objectif à poursuivre, y ajoutant des radicalismes idéologiques bien définis.



Et lorsque parfois s'obscurcissent les certitudes delà foi, on allègue des motifs de recherche de nouveaux horizons et expériences, parfois avec le prétexte d'être plus-proche des hommes, au hasard de groupes bien concrets, choisis :avec des critères pas toujours évangéliques.



Chères religieuses : n'oubliez jamais que pour conserver un concept clair de la valeur de votre vie consacrée ,vous avez besoin d'une profonde vision de foi, qui se nourrit et se conserve par la prière (cf. Perfectae caritatis, PC 6). La même qui vous fera surmonter toute incertitude au sujet de votre identité propre, qui vous maintiendra fidèles à cette dimension verticale qui vous est essentielle, pour vous identifier au Christ des. Béatitudes et être des témoins authentiques du Règne de Dieu pour les hommes du monde de ce temps.



C'est seulement avec cette sollicitude pour les intérêts du Christ (cf. 1Co 7,32) que vous serez capables de donner au charisme du prophétisme sa dimension convenable de témoignage du Seigneur. Vous opterez pour les pauvres et les nécessiteux selon les critères de l'Évangile et non pas pour des motifs socio-politiques qui — comme je l'ai dit récemment aux supérieures générales à Rome — à la longue se révèlent inopportuns et regrettables.



Vous avez choisi comme méthode de vie la poursuite de valeurs qui ne sont pas, purement humaines, même si vous devez estimer celles-ci à leur juste mesure. Vous avez opté pour le service du prochain par amour pour Dieu. N'oubliez jamais que le fait d'être frère ne peut s'épuiser dans la seule dimension terrestre. Vous qui êtes remplies de foi et expertes dans la sublime connaissance du Christ (cf. Ph Ph 3,8), ouvrez l'homme à l'appel et à la dimension d'éternité que vous devez vivre vous-mêmes.



Je voudrais vous exprimer beaucoup d'autres choses. Prenez, comme dit à vous-mêmes ce que j'ai indiqué aux supérieures générales religieuses dans mon discours du 16 novembre dernier. Combien vous pouvez faire aujourd'hui pour l'Église et pour l'humanité ! Elles attendent votre généreux engagement, la consécration de votre coeur libre, qui élargit de façon insoupçonnée ses puissances d'amour dans un monde qui perd la capacité d'altruisme, d'amour sacrifié et désintéressé. Souvenez-vous, en effet, que vous êtes les épouses mystiques du Christ et du Christ crucifié (cf. 2Co 4,5).



L'Église vous redit aujourd'hui sa confiance, soyez les témoins vivants de cette civilisation de l'amour, que proclama si heureusement mon prédécesseur Paul VI.



Afin que dans cette entreprise magnifique et pleine d'espérance,4a puissance d'en haut vous fortifie, qu'elle vous conserve dans une jeunesse spirituelle renouvelée, fidèles à ces résolutions, je vous accompagne de ma spéciale bénédiction que j'élargis à toutes les religieuses du Mexique.






28 janvier 1979



PROMOTION ET DEFENSE DE LA FAMILLE



Discours du pape au séminaire de Palafox

Au cours de la messe célébrée le dimanche 28 Janvier dans la cour du séminaire majeur Juan de Palafox pour la population de Puebla de los Angeles, Jean Paul II a prononcé l'homélie suivante :



Bien-aimés fils et filles,



Puebla de los Angeles : le nom sonore et expressif de votre petite ville se trouve aujourd'hui sur les millions de lèvres, tout au long de l'Amérique latine et partout dans le monde. Votre ville devient un symbole et un signal pour l'Église latino-américaine. C'est ici, en effet, qu'à partir d'aujourd'hui les évêques de tout le continent se réunissent, convoqués par le successeur de Pierre, pour une réflexion sur la mission des pasteurs dans cette partie du monde, en ce moment particulier de l'histoire.



Le pape a voulu monter jusqu'à ce sommet d'où semble s'ouvrir toute l'Amérique latine. Et c'est avec l'impression de contempler chacune des nations que le pape a voulu célébrer la sainte messe à cet autel élevé au-dessus des montagnes, pour invoquer sur cette conférence, sur ses participants, sur son travail, la lumière, la chaleur, tous les dons de l'Esprit de Dieu» l'Esprit de Jésus-Christ.

Prier le Saint-Esprit





Rien de plus naturel et nécessaire que de l'invoquer en cette circonstance. La grande assemblée qui vient de s'ouvrir est, en effet, dans son essence la plus profonde, une réunion ecclésiale : ecclésiale en raison de ceux qui se réunissent, des pasteurs de l'Église de Dieu qui est en Amérique latine ; ecclésiale en vertu du thème qu'elle étudie, la mission de l'Église dans ce continent ; ecclésiale parce qu'elle a pour objectif de rendre toujours-plus vive et efficace la contribution originale que l'Église veut offrir au bien-être, à l'harmonie, à la justice et à la paix de ces peuples. Or, il ne saurait y avoir d'assemblée ecclésiale sans-que l'Esprit de Dieu y soit présent dans toute la plénitude de sa mystérieuse action.



Le pape l'invoque de toute la ferveur de son coeur. Que le lieu où se réunissent tes évêques soit un nouveau cénacle bien plus grand que celui de Jérusalem où les Apôtres étaient à peine onze ce matin-là, mais, comme celui de Jérusalem, ouvert aux appels du Paraclet et à la force d'une Pentecôte renouvelée ! Qu'en vous, évêques ici réunis, l'Esprit-Saint accomplisse la multiple mission que le Seigneur Jésus lui a confiée : interprète de Dieu pour faire comprendre son dessein et sa parole, inaccessible à la seule raison humaine (cf. Jn Jn 14,26), éclairer l'intelligence des pasteurs et les conduire vers la vérité tout entière (Jn 16,13) ; témoin du Christ : pour en donner témoignage dans Ja conscience et le coeur des Pasteurs et les transformer à leur tour en témoins cohérents, crédibles et efficaces durant leurs travaux (cf. Jn Jn 15,26) ; avocat ou consolateur pour les pénétrer de courage contre le péché du monde (cf. Jn Jn 16,8) et mettre sur leurs lèvres ce qu'ils auront à dire, surtout au moment où le témoignage coûtera souffrance et fatigue.



Je vous prie donc, bien-aimés fils et filles, de vous unir à moi dans cette Eucharistie, dans cette invocation à l'Esprit. Ce n'est ni pour eux-mêmes ni pour leurs intérêts personnels que se rencontrent ici des évêques venus de tous les pays du continent ; c'est pour vous, peuples de Dieu dans ces territoires, et pour votre bien. Participez donc vous aussi à cette III° conférence en implorant chaque jour, pour tous et pour chacun d'eux, l'abondance des grâces de l’Esprit-Saint.

La place primordiale de la famille





On a dit, d'une manière belle et profonde, que notre Dieu, dans son mystère le plus intime, n'est pas une solitude mais une famille puisqu'il tient en soi-même paternité, filiation et l'essence de la famille qui est amour. Dans la famille divine, cet amour est l'Esprit-Saint. Au sujet de ce thème de la famille, dont les évêques s'occuperont certainement plus d'un jour, permettez que le pape vous dise quelques mots.



Vous savez en quels termes denses et pressants la conférence de Medellin a parlé de la famille. En cette année 1968, les évêques ont vu dans votre grand sentiment de la famille un élément primordial de votre culture latino-américaine. Ils indiquèrent que, pour le bien de vos pays, les familles latino-américaines devaient toujours avoir trois dimensions : être éducatrices dans la foi, formatrices des personnes, promotrices du développement Ils soulignèrent aussi les graves obstacles que les familles rencontraient pour accomplir cette triple mission. C'est « pour cela » qu'ils recommandèrent la sollicitude pastorale à l'égard des familles comme un des soucis primordiaux de l'Église de ce continent.



Dix années se sont écoutées, et l'Église d'Amérique latine se sent heureuse en considérant tout ce qu'elle a pu faire en faveur de la famille. Mais elle reconnaît humblement ce qu'elle a manqué de faire, tout en se rendant compte que la pastorale familiale, loin d'avoir perdu son caractère prioritaire, se révèle aujourd'hui plus urgente que jamais, comme très important élément de l'évangélisation.

Les obstacles à vaincre





L'Église a conscience en effet, qu'à cette époque, la famille est confrontée en, Amérique latine avec de sérieux problèmes. Récemment, certains pays ont introduit le divorce dans, leur législation et ceci constitue une nouvelle menace pour l'intégrité familiale. Dans la plupart de vos pays, on se plaint qu'un nombre alarmant d'enfants, avenir de ces nations et espoir pour le futur, naissent dans des foyers sans la moindre stabilité ou, comme on a coutume de les désigner, « dans des familles incomplètes ». En outre en certains endroits du « continent de l'Espérance », cette espérance elle-même court le risque de s'évanouir, car les enfants y grandissent au sein de familles nombreuses où ils ne sauraient vivre normalement du fait des résultats négatifs du sous-développement qui se répercutent principalement sur elles : s'y révèlent véritablement déprimants les signes apparents de l'insalubrité, de la pauvreté et même de la misère, de l'ignorance et de l'analphabétisme, des conditions inhumaines d'existence, de la sous-alimentation chronique et de tant d'autres réalités non moins tristes.

Une action constructive





Pour défendre la famille contre ces maux, l'Église s'efforce de leur accorder toute son aide et elle invite les gouvernements à mettre au centre de leur action : une intelligente politique sociale-familiale, de l'audace, de la persévérance ; elle les incite à reconnaître que là se trouve, indubitablement l'avenir — « l'espérance » — du continent. Il faudrait ajouter qu'une; telle politique ne saurait être comprise dans le sens d'un effort indiscriminé pour réduire à n'importe quel prix le taux des naissances — ce que mon prédécesseur appelait « diminuer le nombre des invités au banquet de la vie » — alors qu'il est notoire que, pour un réel développement, un taux équilibré de population est indispensable. Il s'agit d'associer les efforts pour créer des conditions qui favorisent l'existence de familles saines et équilibrées : « rendre plus abondante la nourriture à table » de nouveau selon une expression de Paul VI.

La promotion de la famille





A côté de la défense de la famille, nous devons parler également de la promotion de la famille ; une promotion à laquelle doivent collaborer de nombreux organismes : les gouvernements et organismes gouvernementaux, l'école, les syndicats, les moyens de communication sociale, les groupements de quartiers, les diverses associations volontaires ou spontanées qui s'épanouissent chaque jour et de toute part.

Une action spirituelle





La contribution de l'Église doit se faire également au plan de sa mission spirituelle qui est d'annoncer l'Évangile et de conduire les hommes à leur salut ; et ceci a une grande influence sur le bien-être de la famille. Et que peut faire l'Église en unissant ses efforts à ceux des autres ? Soyez certains que vos évoques s'efforcent de donner à, cette question des réponses adéquates, justes et efficaces. Je vous indique ce qu'a de valeur pour la famille tout ce que l'Église a déjà fait en Amérique latine par exemple, pour préparer les futurs époux au mariage ; pour aider les familles quand elles traversent les crises normales de l'existence qui, bien canalisées, peuvent même être fécondes et enrichissantes ; pour faire de chaque famille chrétienne une véritable « église domestique » avec tout ce que cette expression a de riche ; préparer de nombreuses familles: à l'évangélisation d'autres familles ; pour mettre en relief toutes les valeurs de la vie familiale ; pour venir en aide aux «familles incomplètes » ; pour stimuler les autorités à susciter en leur pays cette politique socio-familiale dont nous avons parlé il y a un moment. La conférence de Puebla appuiera certainement ces initiatives et en suggérera qui sait, combien d'autres ! On pense avec joie que l'histoire d'Amérique latine aura ainsi de nouveaux motifs pour rendre grâces à l'Église pour tout ce qu'elle a fait, qu'elle fait et qu'elle fera en faveur de la famille dans ce vaste continent.

Le pape présent au sein de la famille





Très aimés fils et filles : du haut de cet autel, le successeur de Pierre se sent maintenant particulièrement proche de toutes les familles d'Amérique latine. C'est comme si chaque foyer s'ouvrait et que le pape pouvait pénétrer dans chacun d'eux ; les maisons où il ne manque ni le pain ni lé bien-être mais où peut-être il n'y a ni entente ni joie ; les maisons où des familles vivent une existence bien plus modeste, sans aucune sécurité pour le lendemain, où l'on s'aide mutuellement dans cette vie difficile mais digne ; les pauvres habitations des périphéries de vos villes, où il y a beaucoup de souffrance cachée, mais au milieu desquelles existe la joie simple des pauvres ; les modestes chaumières des campesinos, des indigènes, des émigrés, etc. Le pape aimerait pouvoir dire à chaque famille en particulier une parole de réconfort et d'espérance. Quant à vous, les familles qui jouissez du bien-être, ne vous renfermez pas dans votre félicité ; ouvrez-vous aux autres pour partager ce que vous avez en trop et qui leur manque. Familles écrasées par la pauvreté, ne vous découragez pas et sans considérer le luxe comme un idéal, ni la richesse comme un principe de bonheur, cherchez, avec l'aide de tous, à surmonter les moments difficiles, dans l'espérance de jours meilleurs. Familles en proie aux douleurs physiques et morales, angoissées, éprouvées par la maladie ou la misère, n'ajoutez pas à ces souffrances l'amertume ou le désespoir, mais sachez adoucir la douleur au moyen de l'espérance. Et vous toutes, familles d'Amérique latine, sachez que le pape vous connaît et qu'il désire vous connaître toujours plus, parce qu'il vous aime avec une tendresse de père.



Dans le cadre de la visite du pape à Mexico, cette journée est celle de la famille. Accueillez donc, familles latino-américaines, par votre présence ici autour de l'autel, à travers là radio ou la télévision, accueillez la visite que le pape désire faire à chacune d'entre vous. Et accordez au pape la joie de vous voir grandir dans les valeurs chrétiennes qui sont les vôtres, afin que l'Amérique latine trouve dans ses millions de familles des raisons de croire, des raisons d'espérer, de lutter, de construire.



Avec ma bénédiction apostolique !






28 janvier 1979



LE PRESENT ET LE FUTUR DE L'EVANGELISATION EN AMERIQUE LATINE



Le dimanche 28 janvier, au cours d'une audience solennelle au Grand Séminaire de Puebla de los Angeles, le pape Jean Paul II s'est adressé aux représentants de tous les évêques d'Amérique latine, rassemblés en ce lieu pour y commencer les travaux de la III° conférence générale de l'épiscopat américano-latin.



Chers frères dans l'épiscopat !



Cette heure que j'ai la joie de vivre avec vous est certainement historique pour l'Amérique latine. L'opinion publique mondiale en a bien conscience, comme en ont conscience les fidèles de vos Églises locales et surtout vous-mêmes qui en serez les protagonistes et les responsables.



C'est aussi une heure de grâce, marquée par le passage du Seigneur, par une présence et une action tout à fait particulières de l'Esprit de Dieu. C'est pourquoi nous avons invoqué cet Esprit en confiance au début de nos travaux. C'est pourquoi aussi je vous demande maintenant comme un frère à des frères très chers : tous les jours de cette conférence et en chacun de ses actes, laissez-vous conduire par l'Esprit, ouvrez-vous à son inspiration et à son impulsion ; que lui seul — et aucun autre esprit — vous guide et vous encourage.



Sous la direction de cet Esprit, pour la troisième fois depuis vingt-cinq ans, évêques de tous pays, représentant l'épiscopat de l'ensemble du continent latino-américain, vous vous réunissez pour approfondir ensemble le sens de votre mission face aux exigences nouvelles de vos peuples.



La conférence qui s'ouvre maintenant, convoquée par le vénéré pape Paul VI confirmée par mon inoubliable prédécesseur Jean Paul Ier et reconfirmée par moi — ce fut l'un des premiers actes de mon pontificat — se relie à celle, déjà lointaine, de Rio de Janeiro, dont le fruit le plus marquant fut la naissance du C.E.L.A.M. Mais elle se relie plus étroitement encore à la deuxième conférence, celle de Medellin, dont elle célèbre le dixième anniversaire.



En ces dix années, quel immense chemin a parcouru l'humanité et quel immense chemin a parcouru aussi l'Église, avec l'humanité et à son service ! Cette troisième conférence ne peut ignorer une telle réalité. Il faudra donc prendre comme point de départ les conclusions de Medellin, avec tout ce qu'elles ont de positif, mais sans ignorer les interprétations incorrectes qu'on en a faites parfois et qui demandent un discernement serein, une critique opportune et de claires prises de position.



Vous aurez comme guide, dans vos débats, le Document de travail préparé avec tant de soin afin qu'il soit toujours un point de référence.



Mais vous aurez aussi en mains l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI. Avec quelle joie ce grand pontife approuva le thème de la conférence : « Le présent et le futur de l'évangélisation en Amérique latine » !



Ceux qui l'entouraient pendant les mois de préparation de l'assemblée pourront le dire. Ils pourront témoigner aussi de sa gratitude quand il sut que la toile de fond de toute la conférence serait ce texte, dans lequel il a mis toute son âme de pasteur, au soir de sa vie. Maintenant qu'il a « fermé les yeux sur la scène de ce monde » (cf. Testament de Paul VI), ce document devient un testament spirituel que la conférence devra scruter avec soin et amour pour en faire un autre point de référence obligatoire et voir comment le mettre en pratique. L'Église entière vous sait gré de l'exemple que vous donnez, de ce que vous faites et que peut-être d'autres Églises locales feront à leur tour.



Le pape veut être avec vous au début de vos travaux, en remerciant le « Père des lumières de qui descend tout don parfait » (Jn 1,17) d'avoir pu se joindre à vous à la messe solennelle d'hier, sous le regard maternel de la Vierge de Guadalupe, et à la messe de ce matin. Je resterais très volontiers avec vous pour prier, réfléchir et travailler : soyez sûrs que j'y resterai en esprit, tandis que m'appelle par ailleurs le « souci de toutes les Églises » (2Co 11,28). Je désire du moins avant de poursuivre ma visite pastorale à travers le Mexique et avant de rentrer à Rome, vous laisser comme gage dé ma présence spirituelle quelques paroles, prononcées avec un grave souci pastoral et une affection paternelle et qui sont l'écho de mes principales préoccupations à propos du thème que vous avez à traiter et au sujet de la vie de l'Église dans nos chers pays.

I. — Maîtres de la vérité





C'est une grande consolation pour le pasteur universel de constater que vous êtes assemblés ici non comme un symposium d'experts,, non comme un parlement d'hommes politiques, non comme un congrès de savants ou de techniciens, pour importantes- que puissent être de telles réunions mais comme une rencontre fraternelle de pasteurs de l'Église. ,Et comme pasteurs, vous avez vivement conscience de ce que votre devoir principal est d'être des maîtres de la Vérité. Non pas d'une vérité humaine et .rationnelle, mais de la Vérité qui vient de Dieu, qui porte avec elle le principe de la libération authentique de l'homme : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous fera libres » (Jn 8,32), cette vérité qui est la seule à offrir un fondement solide pour une « praxis » adéquate.



1.1. Veiller sur la pureté de la doctrine, fondement de l'édification de la communauté chrétienne, est donc, avec l'annonce de l'Évangile, le devoir premier et irremplaçable du pasteur, du maître de la foi. Saint Paul, convaincu de la gravité de ce devoir, le mettait souvent en relief (cf. 1 Tm l, 3-7, 18-20 ; 4, 16 ; 2Tm 1,4-14). En plus de l'unité dans la charité, nous avons toujours besoin de l'unité dans la vérité. Le très aimé pape Paul VI, dans son exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, le disait : « L'Évangile dont nous avons la charge est aussi parole de vérité. Une vérité qui rend libre et qui seule donne la paix du coeur, c'est ce que les gens viennent chercher lorsque nous leur annonçons la Bonne Nouvelle. Vérité sur Dieu, vérité sur l'homme et sa mystérieuse destinée, vérité sur le monde... Le prédicateur de l'Évangile sera donc quelqu'un qui, même au prix du renoncement personnel et de la souffrance, recherche toujours la vérité qu'il doit transmettre aux autres. Il ne trahit jamais ni ne dissimule la vérité par souci de plaire aux hommes, d'étonner ou de choquer, ni par originalité d'apparaître... Pasteurs ,du peuple fidèle, notre service pastoral nous presse de garder, défendre et communiquer la vérité sans regarder les sacrifices » (n. 78).



1.2. Ce que les fidèles de Vos pays attendent et réclament avant tout de vous, pasteurs, c'est une transmission attentive et zélée de la vérité sur Jésus-Christ. Elle se trouve en effet au centre de l'évangélisation et constitue son contenu essentiel : « II n'y a pas d'évangélisation vraie si le nom, l'enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés » (Evangelii nuntiandi, EN 22).



De la connaissance approfondie de cette vérité dépendra la vigueur de la foi de millions d'hommes et dépendra aussi la valeur de leur adhésion à l'Église et de leur présence active de chrétiens dans le monde. De cette connaissance découleront des options, des valeurs, des attitudes et des comportements capables d'orienter et de créer des hommes nouveaux, et donc une humanité nouvelle, par la conversion de la conscience individuelle et collective (cf. Evangdii nuntiandi, n. 78).



C'est d'une solide christologie que doit venir la lumière sur tant de sujets et de questions doctrinales et pastorales que vous vous proposez d'examiner ces jours-ci.



1.3. Il nous faut donc proclamer notre foi au Christ devant l'histoire et devant le monde, avec une conviction profonde, sentie, vécue, comme Pierre la proclama : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16).



Telle est la Bonne Nouvelle, en un certain sens unique : l'Église vit par elle et pour elle, comme elle reçoit d'elle tout ce qu'elle a à offrir aux hommes, sans aucune distinction de nation, de culture, de race, de temps, d'âge ou de condition. Et c'est pourquoi « à partir d'une telle profession de foi (de Pierre), l'histoire sainte du salut et du peuple de Dieu devait acquérir une nouvelle dimension » (Homélie à l'inauguration solennelle de mon pontificat, 22 oct. 1978).



Tel est l'unique Évangile, et « si nous-même, si un ange venu du ciel vous annonçait un Évangile différent..., qu'il soit anathème ! » comme l'écrivait clairement l'Apôtre (Ga 1,8).



1.4. Or on voit circuler aujourd'hui un peu partout — le phénomène n'est pas nouveau — des « relectures » de l'Évangile, résultant plus de spéculations théoriques que d'une authentique méditation de la parole de Dieu et d'un véritable engagement évangélique. Elles créent de la confusion en s'écartant des critères essentiels de la foi de l'Église et du fait qu'on a la témérité de les exposer comme une catéchèse aux communautés chrétiennes.



Dans certains cas, on passe sous silence la divinité du Christ, ou on tombe en fait dans des formes d'interprétation en opposition avec la foi de l'Église. Le Christ serait seulement un « prophète », un annonciateur du Règne et de l'amour de Dieu, mais pas le véritable Fils de Dieu, et il ne serait donc pas le centre et l'objet du message évangélique lui-même.



Dans d'autres cas, on prétend montrer un Jésus engagé politiquement, un Jésus qui lutte contre la domination romaine et contre les pouvoirs, et qui est donc impliqué dans la lutte des classes. Cette conception du Christ comme politicien, révolutionnaire, le fauteur de subversion de Nazareth, n'est pas en accord avec la catéchèse de l'Église. Confondant le prétexte insidieux des accusateurs de Jésus avec l'attitude — bien différente — de Jésus lui-même, on prétend avoir dans le dénouement d'un conflit politique la cause de sa mort et l'on passe sous silence la volonté d'oblation du Seigneur et même la conscience de sa mission rédemptrice. Les Évangiles montrent clairement que tout ce qui altérait la mission de Jésus comme Serviteur de Yahvé était une tentation pour lui (cf. Mt4, 8 ; LE 4,5). Il n'accepte pas ta position de ceux qui mélangeaient les choses de Dieu avec des attitudes purement politiques (cf. Mt Mt 22,21 Me Mt 12,17 Jn 18,36). Il rejette sans équivoque le recours à la violence. Il ouvre son message de conversion à tous, sans en exclure même les publicains. La perspective de sa mission est beaucoup plus profonde. Elle consiste en un salut intégral par ;un amour qui transforme, pacifie, un amour de pardon et de réconciliation. D'autre part, il n'y a pas de doute que tout cela est fort exigeant pour le chrétien qui veut vraiment servir ses frères les plus petits, les pauvres, les nécessiteux, les marginaux, en un mot tous ceux qui reflètent en leur vie le visage souffrant du Seigneur (cf. Lumen Gentium, LG 8).



1.5. Contre de telles « relectures » et contre, les hypothèses, brillantes peut-être mais fragiles et inconsistantes qui en découlent, « l'évangélisation dans le présent et dans l'avenir de l'Amérique latine» ne peut cesser d'affirmer la foi de l'Église : Jésus-Christ, Verbe, et Fils de Dieu, se fait homme pour se rapprocher de l'homme et lui offrir par la force de son mystère, le salut, comme grand don de Dieu (cf. Evangelii nuntiandi, EN 19 et 27).



Telle est la foi qui a marqué votre histoire et a forgé ce qu'il y a de meilleur dans les valeurs de vos peuples et qui cherchera encore à animer, avec toute son énergie, le dynamisme de son avenir. Telle est la foi qui révèle la vocation de concorde et d'unité qui doit éloigner les périls de guerres dans ce continent de l'espoir, où l'Église a été un facteur si puissant d'intégration. Telle est la foi, enfin, que les fidèles de l'Amérique latine expriment avec tant de vitalité et des modes si variés, à travers la religiosité ou piété populaire.



De cette foi dans le Christ, et du sein de l'Église, nous tirons la capacité de servir nos: peuples, de faire pénétrer l'Évangile dans leur culture, de transformer les coeurs, d'humaniser les systèmes et les structures.



Tout silence, tout oubli, toute mutilation ou accentuation inadéquate, qui affecte l'intégrité du mystère de Jésus-Christ et s'écarte de la foi de l'Église ne peut constituer un contenu valable de l'évangélisation. « Aujourd'hui, sous prétexte d'une piété qui est fausse, sous l'apparence trompeuse d'une prédication évangélique, on essaie de nier le Seigneur Jésus », écrivait un grand évêque lors des graves crises du IVe siècle. Et il ajoutait : « Je dis la vérité, afin que soit connue de tous la cause de la désorientation dont nous souffrons. Je ne puis me taire » (saint Hilaire de Poitiers, Ad Ausentium, 1-4). Vous non plus, évêques d'aujourd'hui, lorsque de telles confusions se produisent, vous ne pouvez pas vous taire.



C'est d'ailleurs la recommandation que faisait le pape Paul VI dans son discours d'ouverture de la conférence de Medellin : « Parlez, parlez, prêchez, écrivez, prenez position, comme on dit, dans l'harmonie des plans et des buts, pour la défense et l'illustration des vérités de la foi, sur l'actualité de l'Évangile, sur les questions qui intéressent la vie des fidèles et la défense des moeurs chrétiennes... » (Discours de Paul VI, 1).



Je ne me lasserai pas moi-même de répéter, accomplissant ainsi mon devoir d'évangélisateur de l'humanité entière : N'ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! A sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des États, des systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement (Homélie à l'inauguration solennelle de mon pontificat, 22 oct. 1978).



1.6. Maîtres de la Vérité, on attend de vous que vous proclamiez inlassablement, et avec une vigueur spéciale en la circonstance présente, la vérité sur la mission de l'Église, objet du Credo que nous professons, et terrain irremplaçable et fondamental de notre fidélité. Le Seigneur l'a instituée comme communauté de vie, de charité, de vérité (cf. Lumen Gentium, LG 9) et comme corps, plénitude et sacrement du Christ en qui habite la plénitude de la divinité (cf. Lumen gentium, LG 7).



L'Église naît de la réponse de foi que nous donnons au Christ. En effet, c'est en accueillant avec sincérité la Bonne Nouvelle que nous réunissons les croyants au nom de Jésus pour chercher ensemble le Règne, le construire, le vivre (cf. E.N., n. 13). L'Église est l'ensemble « de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus auteur du salut, principe d'unité et de paix » (Lumen gentium, LG 9).



Mais d'un autre côté nous naissons de l'Église : elle nous communique la richesse de vie et de grâce dont elle est dépositaire, elle nous engendre par le baptême, nous nourrit par les sacrements et par la Parole de Dieu, nous prépare pour la mission, nous conduit vers le dessein de Dieu, raison de notre existence comme chrétiens. Nous sommes ses fils. Nous l'appelons, avec un légitime orgueil, notre Mère, répétant ainsi un titre qui vient des tout premiers temps et a traversé les siècles. (cf. Henri de Lubac, Méditation sur l'Église).



Il faut donc l'aimer, la respecter, la servir, car « il ne peut prétendre avoir Dieu pour Père celui qui ne veut pas avoir l'Église pour Mère » (saint Cyprien, De Unitate, 6, 8), « on ne peut aimer le Christ; sans aimer l'Église que le Christ aime » (E. N., n. 16), et « on ne possède l’Esprit-Saint que dans la mesure où on aime l'Église du Christ » (saint Augustin, In Ioannem tract., 32, 8).



L'amour pour l'Église doit être un acte de fidélité et de confiance. Dans le premier discours de mon pontificat, soulignant mon désir de fidélité au concile Vatican II et ma volonté de réserver le plus grand soin au secteur de l'ecclésiologie, j'invitais à reprendre en main la constitution dogmatique Lumen Gentium « en vue d'une nouvelle et enrichissante méditation sur la nature et la fonction, sur ta manière d'être et d'agir de l'Église, non seulement pour réaliser toujours mieux cette communion vitale dans le Christ de tous ceux qui croient et espèrent en lui, mais également en vue de contribuer à une plus ample et plus forte unité de la famille humaine tout entière » (Mon premier message à l'Église et au monde, 17 oct. 1978).



Je reprends cette invitation, en cet instant exceptionnel de l’évangélisation en Amérique latine : « L'adhésion à ce texte conciliaire, vu à la lumière de la Tradition et en y intégrant les formulations dogmatiques élaborées, il y a un siècle, par le premier concile du Vatican, sera, pour nous tous ; pasteurs et fidèles ; le secret d'une orientation sûre et un stimulant pour cheminer — répétons-le — dans le sens de la vie et de l'histoire » (ibid.).



1.7. Une action évangélisatrice sérieuse et vigoureuse ne peut être garantie sans une ecclésiologie solidement établie.



D'abord parce que évangéliser est la mission essentielle, la vocation propre, l'identité la plus profonde de l'Église ; qui à son tour est évangélisée (cf. E.N., nn. 14-15 ; L.G., n. 5). Envoyée par le Seigneur, elle envoie elle-même les évangélisateurs pour prêcher « non leurs propres personnes ou leurs idées personnelles, mais un Évangile dont ni eux ni elle ne sont maîtres et propriétaires absolus pour en disposer à leur gré » (E.N., n. 15). Ensuite parce que « évangéliser n'est pour personne un acte individuel et isolé, mais c'est un acte profondément ecclésial » (E.N., n. 60) qui n'est pas sujet à un pouvoir discrétionnaire agissant suivant des critères et des perspectives individualistes, mais qui doit être réalisé en communion avec l'Église et ses pasteurs (cf. E.N., n. 60). Une vision correcte dé l'Église est donc une phase indispensable pour une juste vision de l’évangélisation.



Comment pourrait-il y avoir une authentique évangélisation sans une adhésion prompte et sincère au sacré Magistère, avec fa claire conscience qu'en se soumettant à lui le peuple de Dieu accueille non pas une parole d'hommes, mais la vraie parole de Dieu (cf. 1Th 2,13 L.G. 1Th 12) ? De ce magistère, « l'importance objective doit non seulement être toujours présente à l'esprit, mais, en outre, protégée contre les menaces que l'on voit apparaître aujourd'hui ici et là contre certaines vérités de la foi catholique » (Mon premier message à l'Église et au monde, 17 oct. 1978).



Je connais bien votre adhésion et votre disponibilité envers la chaire de Pierre, et aussi l'amour que vous lui avez toujours montré. Je vous remercie de tout coeur, au nom du Seigneur, de l'attitude profondément ecclésiale que cela implique, et je voudrais que vous aussi vous ayez la consolation de compter sur l'adhésion loyale de vos fidèles.



1.8. Dans l'abondante documentation avec laquelle vous avez préparé cette conférence et particulièrement dans l'apport de nombreuses Églises, on sent parfois un certain malaise au sujet de l'interprétation même de la nature et de la mission de l'Église. On mentionne par exemple la séparation que certains établissent entre Église et Royaume de Dieu. Celui-ci, vidé totalement de son contenu, est entendu en un sens fort sécularisé : on n'entrerait pas dans le Royaume par la foi et l'appartenance à l'Église, mais par un pur changement de structures et par l'engagement politico-social. Là où il y a un certain type d'engagement et d'action pour la justice, là serait déjà présent le Royaume. On oublie ainsi que « l'Église reçoit mission d'annoncer le, royaume du Christ et de Dieu et de l'instaurer dans toutes les nations, formant de ce royaume le germe et le commencement sur la terre » (L.G., n. 5).



Dans une de ses belles catéchèses, le pape Jean Paul Ier donnait cet avertissement à propos de la vertu- d'espérance : « C'est une erreur d'affirmer que la libération politique, économique et sociale coïncide avec le salut en Jésus-Christ ; que le « Règne de Dieu » s'identifie, avec le « Règne de l'homme ».



En certains cas, il arrive que naisse une attitude de défiance envers « l'Église institutionnelle » ou « officielle », qualifiée d'aliénante et à laquelle s'opposerait une autre Église dite « populaire », « qui naît du peuple » et se concrétise dans les pauvres. Ces positions pourraient comporter des degrés différents — pas toujours faciles à préciser — de conditionnements idéologiques connus. Le Concile, a souligné la nature et la mission de l'Église et comment ceux qui portent la charge du ministère de la communauté et doivent compter sur la collaboration de tout le peuple de Dieu, contribuent à l'unité profonde et à l'édification continue de cette Église. En effet, « si l'Évangile que nous proclamons apparaît déchiré par des querelles doctrinales, des polarisations idéologiques ou des condamnations réciproques entre chrétiens, au gré de leurs vues différentes sur le Christ et sur l'Église et même à cause de leurs conceptions diverses de la société et des institutions humaines, comment ceux à qui s'adresse notre prédication ne s'en trouveraient-ils pas perturbés, désorientés sinon scandalisés ? »



1.9. La vérité que nous devons à l'homme est, avant tout, une vérité sur l'homme lui-même. En tant que témoins de Jésus-Christ, nous sommes des hérauts, des porte-voix, des serviteurs de cette vérité que nous ne pouvons réduire aux principes d'un système philosophique, que nous ne pouvons oublier ou trahir.



Peut-être une des faiblesses les plus manifestes de la civilisation actuelle réside-t-elle dans une vision inexacte de l'homme. Notre époque est sans doute celle où l'on a le plus écrit et parte de l'homme, celle des humanismes et de l'anthropocentrisme. Et cependant, de manière paradoxale, elle est l'époque des angoisses les plus profondes de l'homme sur sa propre identité et sur son destin personnel, l'époque des valeurs humaines piétinées comme on ne l'a jamais fait dans le passé.



Comment expliquer ce paradoxe ? On peut dire qu'il s'agit du paradoxe inexorable de l'humanisme athée. C'est le drame de l'homme amputé d'une dimension constitutive de son être propre — sa recherche de l'infini — et ainsi placé en face de la pire réduction de ce même être. La constitution pastorale Gaudium et Spes touche le fond du problème, lorsqu'elle affirme : « Le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (O.S., n. 22).



L'Église possède, grâce à l'Évangile, la vérité sur l'homme. Cette vérité se trouve dans une anthropologie que l'Église ne cesse d'approfondir et de communiquer. L'affirmation primordiale de cette anthropologie est celle de l'homme comme image de Dieu, irréductible à une simple particule de la nature ou à un élément anonyme de la cité humaine (cf. G.S., nn. 12, 3 ; 14, 2). C'est dans ce sens que saint Irénée écrivait : « Dieu est la gloire de l'homme ; mais l'homme reçoit l'oeuvre de Dieu, toute sa sagesse et sa force » (St Irénée, Advenus haereses. L. 3, 20, 2-3).



Je me suis référé à ce fondement irremplaçable de la conception chrétienne de l'homme, spécialement dans mon message de Noël : « Noël est la fête de l'homme... L'homme, objet de calcul, considéré d'après la catégorie de quantité... et en même temps unique, absolument singulier… quelqu'un qui a été pensé de toute éternité et choisi de toute éternité : quelqu'un qui a été appelé et nommé par son propre nom » (Message de Noël, 1).



Face à tant d'autres humanismes, souvent enfermés dans une vision de l'homme strictement économique, biologique ou psychique, l'Église a le droit et le devoir de proclamer la vérité sur l'homme, vérité qu'elle a reçue de son Maître, Jésus-Christ. Dieu veuille qu'aucune coercition extérieure ne l'empêche de le faire ! Mais Dieu veuille surtout qu'elle-même n'omette pas de le faire par crainte, ou par doute, parce qu'elle s'est laissée contaminer par d'autres humanismes, par manque de confiance dans son propre message original.



Quand un Pasteur de l'Église annonce avec clarté et sans ambiguïté la vérité sur l'homme, révélée par Celui qui « savait ce qu'il y a dans l'homme » (Jn 2,25), il doit être animé par la certitude qu'il rend à l'homme le meilleur service.



Cette vérité complète sur l'être humain constitue le fondement de la doctrine sociale/de l'Église, de même qu'elle est la base de la vraie libération. A la lumière de cette vérité, l'homme n'est pas un être soumis aux processus économiques et politiques, mais ces mêmes processus sont ordonnés à l'homme et subordonnés à lui.



De cette rencontre de pasteurs, la vérité sur l'homme, enseignée par l'Église, sortira certainement fortifiée.

IL — Signes et bâtisseurs de l'unité





Votre service pastoral à l'égard de la vérité se complète par un service semblable à l'égard de l'unité.



2. 1. Cette unité; doit exister avant tout entre vous-mêmes, les évêques. « Nous devons garder et maintenir cette unité — écrivait l'évêque saint Cyprien en un moment où la communion entre les évêques de son pays était gravement menacée — nous surtout les évêques qui présidons dans l'Église, afin de témoigner que l'épiscopat est un et indivisible. Que personne ne trompe les fidèles ni n'altère la vérité. L'épiscopat est un... » (De unitate Ecclesiae, 6-8).



Cette unité des évêques ne vient pas de calculs et de manoeuvres humains, mais elle vient d'en haut : du service d'un unique Esprit, de l'amour pour une unique et même Église. C'est l'unité qui résulte de la mission que le Christ nous a confiée, qui s'exerce depuis presque un demi millénaire dans le continent latino-américain et que vous poursuivez vous-mêmes avec générosité en ces temps de profondes transformations, tandis que nous approchons du second millénaire de la Rédemption et de l'action de l'Église. C'est l'unité qui se fonde sur l'Évangile, sur le Corps et le Sang de l'Agneau, sur Pierre vivant en ses successeurs, signes si différents entre eux, mais tous si importants, de la présence de Jésus parmi nous.



Combien vous devez vivrez frères aimés, cette unité de pasteurs, en cette conférence qui est par elle-même signe et fruit d'une unité qui existe déjà, mais en même temps anticipation et principe d'une unité qui doit être encore plus étroite et solide ! Commencez ces travaux dans un climat d'unité fraternelle : que cette unité soit déjà un élément d'évangélisation !



2.2. L'unité des évêques entre eux se prolonge dans l'unité avec les prêtres, les religieux et les fidèles. Les prêtres sont les collaborateurs immédiats des évêques dans la mission pastorale, laquelle serait compromise s'il ne régnait entre eux et les évêques une étroite unité.



Les religieux et religieuses seront aussi à un degré élevé des sujets de cette unité. Je sais combien importante a été et continue à être leur contribution à l'évangélisation en Amérique latine. De tous pays, ils arrivèrent à l'aube de la découverte et des premiers pas sur le continent. Ici, ils ont travaillé continuellement aux côtés du clergé diocésain. Plus de la moitié du presbyterium en certains pays, et même la grande majorité en d'autres, est formée de religieux. Cela suffirait à faire comprendre combien il est important, ici plus que dans d'autres parties du monde, que les religieux non seulement acceptent, mais recherchent loyalement une indissoluble unité de vues et d'action avec les évêques. C'est à ceux-ci que le Seigneur a confié la mission de paître le troupeau. C'est à eux qu'il appartient de tracer les chemins de l'évangélisation. Il ne peut pas, il ne doit pas leur manquer la collaboration à la fois responsable et active, tout en étant docile et confiante, des religieux, que leur charisme rend beaucoup plus disponibles au service de l'Évangile. Dans cette ligne, c'est sur tous, dans la communauté ecclésiale, que pèse le grave devoir d'éviter des magistères parallèles, inacceptables sur le plan ecclésial et stériles sur le plan pastoral.



Les laïcs sont également des sujets de cette unité, qu'ils soient engagés individuellement ou associés à des organismes d'apostolat pour la diffusion du royaume de Dieu. Ce sont eux qui doivent consacrer le monde au Christ au milieu des préoccupations quotidiennes et dans les diverses tâches familiales et professionnelles, en union intime et obéissance aux pasteurs légitimes.



Ce don précieux de l'unité ecclésiale doit être sauvegardé entre tous ceux qui font partie du peuple de Dieu en marche, dans la ligne de la constitution Lumen Gentium.

III. — Défenseurs et promoteurs de la dignité





3. 1. Ceux qui sont familiarisés avec l'histoire de l'Église savent qu'en tout temps, il y a eu d'admirables figures d'évêques profondément engagés dans la promotion et la défense courageuse de la dignité humaine de ceux que le Seigneur leur avait confiés. Ils l'ont toujours fait comme un impératif de leur mission épiscopale, car pour eux la dignité humaine est une valeur évangélique qui ne peut être méprisée sans offenser gravement le Créateur.



Cette dignité est foulée aux pieds, au plan individuel, lorsqu'on ne tient pas dûment compte des valeurs comme la liberté, le droit de professer sa religion, l'intégrité physique et psychique, le droit aux biens essentiels, à la vie... Elle est foulée aux pieds, ait plan social et politique, lorsque l'homme ne peut exercer son droit de participation ou est soumis à des contraintes injustes et illégitimes, ou à des tortures physiques, psychiques, etc.



Je n'ignore pas combien de problèmes se posent aujourd'hui à ce sujet en Amérique latine. Comme évêques, vous ne pouvez vous en désintéresser. Je sais que vous vous proposez de faire une sérieuse réflexion survies relations et implications existant entré évangélisation et promotion humaine ou libération, en considérant, en ce vaste et important domaine, l'aspect spécifique de la présence de l'Église.



C'est là que nous retrouvons, sur le plan de l'application concrète, les thèmes que nous avons abordés en parlant de la vérité sur le Christ, sur l’Eglise et sur l'homme.



3. 2. Si l'Église se rend présente dans la défense ou dans la promotion de la dignité de l'homme, elle le fait dans la ligne de sa mission qui, tout en étant de caractère religieux et non social ou politique, ne peut pas ne pas considérer l'homme dans l'intégralité dé son être. Le Seigneur a décrit dans la parabole du bon Samaritain vie modèle de l'attention à toutes les nécessités humaines (cf. Lc Lc 10,29 ss), et il a déclaré qu'en fin de compte il s'identifiera avec les déshérités — les malades, les prisonniers, ceux qui ont faim, sont dans la solitude — auxquels on a tendu la main (cf. Mt Mt 25,31 ss.). Dans ces pages et dans bien d'autres de l'Évangile (cf. Me 6, 35-44) l'Église a appris que sa mission évangélisatrice comporte pour une part indispensable l'action pour la justice et les tâches de promotion de l'homme (cf. Document final du Synode des évêques, octobre 1971) et qu'entre évangélisation et promotion humaine il y a des liens profonds d'ordre anthropologique, théologique et de charité (cf. E.N. n. 31), de sorte que « l'évangélisation ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte des rapports concrets et permanents qui existent, entre l'Évangile et la vie personnelle et sociale de l'homme » (E.N, n. 29).



Il faut penser par ailleurs que l'action de l'Église dans des Romaines comme la promotion humaine, le développement, la justice, les droits de la personne, veut être toujours un service de l'homme, et de l'homme tel qu'elle le voit dans la vision chrétienne de l'anthropologie qu'elle adopte. Elle n'a donc pas besoin de recourir à des systèmes et des idéologies pour aimer, défendre l'homme et collaborer à sa libération ; au centre du message dont elle est le dépositaire et le héraut, elle trouve l'inspiration voulue pour agir en faveur de la fraternité, de la justice, de la paix, et contre toutes les dominations, esclavages, discriminations, violences, attentats à la liberté religieuse, agressions contre l'homme et tout ce qui attente à la vie. (cf. G..S.. nn. 26,27 et 29).



3. 3. Ce n'est donc pas par opportunisme ou par faim de nouveauté que l'Église « experte en humanité » (cf. Paul VI, discours à l'O.N.U., 5 oct. 1965), se fait le défenseur des droits humains. C'est par un authentique engagement évangélique, lequel, comme pour le Christ, est un engagement envers ceux qui sont le plus dans le besoin. Fidèle à cet engagement, l'Église veut se maintenir libre vis-à-vis des systèmes opposés, de façon à opter seulement pour l'homme. Quelles que soient les misères ou les souffrances qui affligent l'homme, le Christ est avec les pauvres, non à travers la violence, les jeux du pouvoir, les systèmes politiques, mais au moyen de là vérité sur l'homme, chemin vers un avenir meilleur.



3. 4. De là naît la constante préoccupation de l’Église pour la délicate question de la priorité. On en trouve un témoignage dans les écrits des Pères de l'Église au cours du premier millénaire du christianisme (saint Ambroise, De Nabuthe, c. 12, n. 53 ; PL 14, 747). On en trouve aussi une démonstration claire dans la vigoureuse doctrine de saint Thomas d'Aquin, tant de fois réaffirmée. En notre temps, l'Église a fait appel aux mêmes principes dans des documents de très large diffusion tels que les encycliques sociales des derniers papes. De ce thème, le pape Paul VI: a parlé, avec une force et une profondeur particulières, dans son encyclique Populorum Progressio. (nn. 23-24 ; cf. aussi encyclique Mater et Magistra, MM 106).



Cette voix de l'Église, écho de celle de la conscience humaine, n'a pas cessé de résonner au cours des siècles au milieu des systèmes et des conditions socio-culturelles les plus variés : elle mérite et exige d'être écoutée aussi à notre époque, tandis que la richesse croissante d'un petit nombre va de pair avec la misère croissante des masses.



C'est alors que prend un caractère d'urgence l'enseignement de l'Église selon lequel toute propriété privée est grevée d'une hypothèque sociale. En relation avec cet enseignement, l'Église a une mission à accomplir : elle doit prêcher, éduquer les personnes et les collectivités, former l'opinion publique, orienter les responsables dès peuples. De cette manière, elle travaillera en faveur de la société, dans laquelle s'insérera ce principe chrétien et évangélique en entraînant une distribution plus juste et plus équitable des biens non seulement à l'intérieur de chacune des nations, mais aussi dans le monde international en général, en évitant que les pays les plus forts utilisent leur propre pouvoir au détriment des plus faibles.



Ceux sur lesquels retombe la responsabilité de, la vie publique des États et des nations devront comprendre que la paix intérieure comme la paix internationale ne seront assurées que si l'on a mis en vigueur un système social et économique fondé sur la justice.



Le Christ n'est pas demeuré indifférent en face de cet impératif de la morale sociale qui couvre un large champ et qui est exigeant. Et l'Eglise non plus ne saurait le demeurer. Dans l'esprit de l'Église, qui est l'esprit du Christ, et en nous appuyant sur sa doctrine étendue et solide, mettons-nous au travail en ce domaine.



Il faut ici souligner, à nouveau que la sollicitude de l'Église s'adresse à l'homme dans son intégrité.



Pour cette raison, pour qu'un système économique soit juste, une condition indispensable est qu'il favorise le développement et la diffusion de l'instruction publique et de la culture. Plus l'économie sera juste, plus profonde sera la conscience de la culture. Cela se trouve dans la ligne de l'affirmation du Concile : pour obtenir une vie digne de l'homme, il n'est pas possible de se limiter à avoir plus, il faut aspirer à être plus (O.S., n. 35).



Buvez donc, frères, à ces sources authentiques. Parlez le langage du Concile, de Jean XXIII, de Paul VI : c'est le langage de l'expérience, de la souffrance, de l'espérance de l'humanité contemporaine.



Quand Paul VI déclarait que « le développement est le nouveau nom de la paix » (Populorum progressio. PP 76), il pensait aussi aux liens d'interdépendance qui existent non seulement à l'intérieur des nations, mais également à l'extérieur d'elles, au niveau mondial. Il prenait en considération les mécanismes qui, étant imprégnés non d'authentiques humanisme, mais de matérialisme, produisent, au niveau international des riches toujours plus riches à côté de pauvres toujours plus pauvres.



Il n'existe pas de règle économique capable de changer par elle-même de tels mécanismes. Il faut faire appel, dans la vie internationale aux principes de l'éthique, aux exigences de la justice, au premier des commandements qui est celui de l'amour. Il faut donner le primat à la morale, au spirituel, à ce qui naît de la pleine vérité sur l'homme.



J'ai désiré vous faire part de ces réflexions, que j'estime fort importantes bien qu'elles ne doivent pas vous distraire du thème central de la conférence : nous rejoindrons l'homme, la justice, à travers l’évangélisation.



3. 5. Au regard de ces propos, l'Église voit avec une profonde douleur « l'accroissement, parfois massif, des violations des droits de l'homme dans toutes les parties de la société et du monde... Qui pourrait dire qu'aujourd'hui des personnes individuelles et des pouvoirs civils violent impunément les droits fondamentaux de la personne humaine : droits tels que le droit à la naissance, le droit à la vie, te droit à une procréation responsable, le droit au travail, à la paix, à la liberté et à la justice sociale, le droit de participer aux décisions qui concernent les peuples et les nations ? Et que dire en face des différentes formes de violence collective comme la discrimination raciale dirigée contre les individus et des groupés, l'usage de la torture physique et psychologique perpétrée contre des prisonniers ou des opposants politiques ? Cette liste s'allonge si nous tournons notre regard vers les exemples de séquestration de personnes pour des raisons politiques et si nous considérons les actes d'enlèvement pour un profit matériel, actes qui frappent si dramatiquement la vie familiale et les structures sociales (cf. mon message à l'O.N.U. pour LE 30 le 30e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, 2 décembre 1978).



Encore une fois, nous le disons avec force : respectez l'homme. Il est à l'image de Dieu ! Évangélisez afin que ceci devienne une réalité. Afin que le Seigneur transforme les coeurs et humanise les systèmes politiques et économiques, à partir de l'engagement responsable de l'homme.



3. 6. Les engagements pastoraux dans ce domaine doivent être inspirés par une exacte conception chrétienne de la libération. L'Église a le devoir d'annoncer la libération de millions d'êtres humains, le devoir d'aider à consolider cette libération (cf. E.N., n. 30) ; mais elle a aussi le devoir correspondant de proclamer la libération dans sa signification intégrale, profonde telle que Jésus l'a annoncée et réalisée (cf. E.N., n. 31). « Libération de tout ce qui opprime l'homme, mais surtout libération du péché et du Malin, dans la joie de connaître Dieu et d'être connu de lui » (E.N., n. 9). Libération faite de réconciliation et de pardon. Libération qui découle de cette réalité que nous sommes fils de Dieu, que nous pouvons appeler Dieu « Abba », Père (cf. Rm Rm 8,15), et en vertu de laquelle nous reconnaissons en tout homme quelqu'un qui est notre frère, dont le coeur peut être transformé par la miséricorde de Dieu. Libération qui nous pousse, avec la force de la charité, à la communion, dont nous trouvons le sommet et la plénitude dans le Seigneur. Libération, en tant qu'elle domine les diverses servitudes et idoles que l'homme se forge et qu'elle fait grandir l'homme nouveau.



Libération qui, dans la mission propre de l'Église, ne se réduit pas à la pure et simple dimension économique, politique, sociale ou culturelle, qui ne se sacrifie pas aux exigences d'une stratégie quelconque, d'une « praxis » ou d'une échéance à court terme (cf. E.N., n. 33).



Pour sauvegarder l'originalité de la libération chrétienne et les énergies qu'elle est capable de développer, il est nécessaire, à tout prix, comme le demandait le pape Paul VI, d'éviter réductions et ambiguïtés : « L'Église perdrait sa signification foncière. Son message de libération n'aurait plus aucune originalité et finirait par être facilement accaparé et manipulé par des systèmes idéologiques et des partis politiques » (E. N., n. 32). Il y a de nombreux signes qui aident à discerner quand il s'agit d'une libération chrétienne, ou quand, au contraire, elle se nourrit surtout d'idéologies qui lui enlèvent sa cohérence avec une vision évangélique de l'homme, des choses, des événements (cf. E.N., n. 35). Ces signes dérivent soit du contenu de ce qu'annoncent les évangélisateurs, soit des attitudes concrètes qu'ils prennent. C'est un devoir de regarder, au niveau du contenu, quelle est la fidélité à la parole de Dieu, à la Tradition vivante de l'Église, à son magistère. En ce qui concerne les attitudes, il convient de peser quel est leur sens de la communion avec les évêques d'abord, puis avec les autres éléments du peuple de Dieu ; quelle est la contribution que l'on apporte à la construction effective de la communauté et de quelle manière on exprime avec amour le souci des pauvres, des malades, des déshérités, de ceux qui sont sans défense, des opprimés, et comment, découvrant en eux l'image de Jésus pauvre et souffrant, on s'efforce de soulager leur misère et en eux de servir le Christ (cf. L.G., n. 8). Ne nous faisons pas d'illusions : les fidèles humbles et simples sentent spontanément, comme par un instinct évangélique, ce qui, dans l'Église, sert l'Évangile et ce qui le vide de sa signification et l'étouffé sous d'autres intérêts.



Comme vous le voyez, l'ensemble des observations faites par l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi sur le thème de la libération conserve toute sa valeur.



3. 7. Tout ce que nous avons rappelé ci-dessus constitue un patrimoine riche et complexe, que l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi appelle « Doctrine sociale » ou « Enseignement Social » de l'Église (cf. E.N., n. 39). Elle se forme, à la lumière de la Parole de Dieu et de renseignement du Magistère authentique, à partir de la présence des chrétiens au milieu des situations changeantes du monde, au contact des défis qui en proviennent. Cette doctrine sociale comporte par conséquent des principes de réflexion, mais aussi des normes de jugements et des directives d'action (cf. Octogesima adveniens, n. 4).



Faire confiance de manière responsable à cette doctrine sociale, même si certains cherchent a semer le doute et la défiance à son égard, l'étudier sérieusement, chercher à l'appliquer, l'enseigner, lui être fidèle est, pour un fils de l'Église, une garantie de l'authenticité de son engagement dans les devoirs sociaux difficiles et exigeants, et de ses efforts en faveur de la libération ou de la promotion de ses frères.



Permettez donc que je recommande à votre toute spéciale attention pastorale l'urgence qu'il y a à sensibiliser vos fidèles à cette doctrine sociale de l'Église.



Il importe d'apporter un soin particulier à la formation d'une conscience sociale à tous les niveaux et à tous les secteurs. Lorsque les injustices augmentent et que la distance entre les pauvres et les riches s'accroît douloureusement, la doctrine sociale, d'une manière créative et ouverte aux vastes domaines de la présence de l'Église, doit être un instrument précieux de formation et d'action. Ceci vaut particulièrement pour les laïcs : « Aux laïcs reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières » (O.S., n. 43). Il est nécessaire d'éviter les interférences indues et d'étudier sérieusement quand des formes déterminées de suppléance ont leur raison d'être. Les laïcs ne sont-ils pas ceux qui sont appelés, en vertu de leur vocation dans l'Église, à apporter leur contribution dans les domaines politiques, économiques, et à être présents de manière efficace pour protéger et promouvoir les droits de l'homme ?

IV. — Quelques tâches prioritaires





4. 1. Vous vous apprêtez à étudier de nombreux thèmes pastoraux de grande importance. Le temps me manque pour en traiter. Je me suis déjà référé ou je me référerai à certains d'entre eux dans mes rencontres avec les prêtres, les religieux, les séminaristes, les laïcs.



Les thèmes que je vous signale ont, pour divers motifs, une grande importance. Vous ne manquerez pas de les étudier, parmi tant d'autres que votre clairvoyance pastorale vous suggérera.



a) La famille. Faites tous vos efforts pour qu'il y ait une pastorale de la famille. Consacrez-vous à ce domaine absolument prioritaire avec la certitude que l’évangélisation dans l'avenir dépend en grande partie de 1' « Église domestique ». Elle est l'école de l'amour, de la connaissance de Dieu, du respect de la vie, de la dignité de l'homme. Cette pastorale est d'autant plus importante que la famille est l'objet de plus de menaces. Pensez aux campagnes en faveur du divorce, de l'usage des pratiques anticonceptionnelles, de l'avortement, qui détruisent la société.

b) Les vocations sacerdotales et religieuses. Dans la plus grande partie de vos pays, malgré un réveil des vocations plein d'espérance, leur manque provoque un problème grave et chronique. La disproportion est immense entre le nombre croissant des habitants et celui des ouvriers de l’évangélisation. Ceci est de la plus grande importance pour la communauté chrétienne. Toute communauté doit fournir ses vocations, comme signe de sa vitalité et de sa maturité. Il est besoin de relancer une activité pastorale intense qui, partant de la vocation chrétienne en général, d'une pastorale de la jeunesse enthousiaste, donne à l'Église les serviteurs dont elle a besoin. Les vocations laïques si indispensables, ne peuvent pas être une compensation. Plus encore, une des preuves de l'engagement des laïcs est la fécondité dans les vocations à la vie consacrée.



c) La jeunesse. Quelle espérance l'Église ne met-elle pas en elle ! Combien d'énergies, dont l'Église a besoin, sont à l'oeuvre dans la jeunesse en Amérique latine ! Et combien nous, pasteurs, devons être proches d'elle, afin que le Christ et l'Église, afin que l'amour fraternel pénètrent profondément dans son coeur.

Conclusion





4. 2. Au terme de ce message, je ne peux faire moins que d'invoquer encore une fois la protection delà Mère de Dieu sur vos personnes et sur votre travail durant ces jours. Le fait que notre rencontre a lieu avec la présence spirituelle de Notre-Dame de Guadalupe, vénérée au Mexique et dans tous les autres pays comme la Mère de l'Église en Amérique latine, est pour moi un motif de joie et une source d'espérance. « Étoile de l'évangélisation », que ce soit elle votre guide dans les réflexions que vous ferez et dans les décisions que vous prendrez. Qu'elle obtienne pour vous de son divin Fils :

— une audace de prophètes et une prudence évangélique de pasteurs ;

— une clairvoyance de maîtres et une sûreté de guides et d'orientateurs ;

— une force d'âme comme témoins, et une sérénité, une patience et une douceur de pères.



4. 3. Que le Seigneur bénisse vos travaux. Vous êtes accompagnés de représentants choisis : prêtres, diacres, religieux, religieuses, laïcs, experts, observateurs, dont la collaboration vous sera très utile. Toute l'Église a les yeux fixés sur vous avec confiance et espérance. Veuillez répondre à cette attente avec une pleine fidélité au Christ, à l'Église, à l'homme. L'avenir est dans les mains de Dieu mais, en un certain sens, cet avenir d'un nouvel élan de l'évangélisation, Dieu le met aussi dans vos mains : « Allez donc, enseignez toutes les nations » (Mt 28,19).






30 janvier 1979



RENCONTRE OECUMENIQUE A PUEBLA



Dans l'après-midi du dimanche 28, à Puebla ; avant le début des travaux de la III° conférence épiscopale d'Amérique latine, Jean Paul II a adressé ces paroles à un groupe oecuménique :



Chers frères dans le Christ,



Permettez-moi avant tout de vous exprimer ma sincère gratitude pour votre amabilité et pour les expressions d'estime et de déférence que vous m'avez adressées.



Je désire vous assurer que moi aussi je me sens très heureux de me trouver avec vous et de partager cette expérience spirituelle ; je ressens la présence au milieu de nous du Christ notre maître et Seigneur, le Rédempteur, le Christ notre espérance. Il continue à nous exhorter par son pressant commandement : qu'ils soient un, Père, comme toi et moi nous sommes un.



Pour ma part, j'ai déjà dit depuis le début de mon pontificat que la préoccupation oecuménique sera l'un de mes objectifs.



Frères, demandons au Seigneur Jésus qu'il nous donne de lui être fidèles, d'être fidèles à l'unité qu'il a demandée pour nous, pour que le monde croie.



Et pour qu'il en soit ainsi, je vous invite à réciter tous ensemble le Notre Père.






30 janvier 1979



VISITE A L'HOPITAL DES ENFANTS DE LA VILLE DE MEXICO



Le pape prie pour vous

Au cours d'une brève visite à l'hôpital des enfants de la ville de Mexico, le pape leur a adressé ces paroles :



Chers fils,



En venant passer ces instants parmi vous, je veux saluer les dirigeants du centre et tous les enfants qui souffrent chez eux en quelque endroit du Mexique.



La maladie ne vous permet pas de jouer avec vos amis ; c'est pour cela qu'un autre ami, le pape, a voulu venir vous voir lui qui si souvent pense à vous et prie pour vous.



Je salue aussi vos parents, frères, soeurs, vos familles et tous ceux qui s'occupent de votre santé et vous entourent avec tant de soins et d'affection.

Je vous invite maintenant à dire un Ave Maria à là Vierge de Guadalupe dans vos intentions puisque si jeunes vous rencontrez la douleur et l'infirmité dans votre vie.



Chers petits enfants : le pape continuera à se souvenir de vous et il emporte le souriant salut de vos bras ouverts, en vous embrassant et en vous donnant sa bénédiction.






30 janvier 1979



ARRIVÉE A OAXACA



A l'aéroport d'Oaxaca, le Saint-Père a été reçu par l'archevêque de la ville, Mgr Bartolomé Carasco, qui lui a adressé des paroles de bienvenue. Le pape lui a répondu par ces mots :



Monseigneur l'Archevêque, frères et fils très chers,



Merci beaucoup à vous tous pour cet accueil si cordial que vous m'avez réservé à mon arrivée dans cette terre de Oaxaca. Je remercie vivement aussi Mgr l'Archevêque pour ses paroles de bienvenue.



Je ne cache pas mon admiration, mon émotion et ma gratitude en voyant avec quelle affabilité, avec combien d'enthousiasme vous m'accueillez parmi vous : c'est un signe indubitable de votre sentiment d'être depuis toujours très proches dans l'affection du vicaire du Christ, pasteur de l'Église universelle et par conséquent le vôtre également.



Dans cette première rencontre avec vous, je désire seulement vous exprimer mon profond respect et mon estime pour cette terre de Oaxaca, riche d'histoire, de traditions et de sentiment religieux ; berceau en outre de différents peuples nés dans cette région et qui ont laissé une trace ineffaçable dans l'histoire du Mexique. Peuples et hommes qui vous ont laissé en héritage quelque chose que vous cultivez comme un patrimoine authentique : une profonde estime pour les valeurs morales et spirituelles.



Je salue aussi très cordialement tous ceux qui n'ont pas pu venir à cause d'un empêchement, en particulier les infirmes et les personnes âgées. A eux tous et à vous ma meilleure bénédiction.

29 Janvier 1979



LE MONDE RURAL DANS LE PLAN HUMAIN ET DIVIN



Jean Paul II chez les Indios

Le Saint-Père a passé, le lundi 29 janvier, une heure et demie au milieu d'une des populations les plus déshéritées du monde: les « Indios » vivant dans la région de Cuilapan, pour porter, à ces « laissés-pour-compte » son message d'encouragement et d'espoir. Voici la traduction du discours du pape :



Frères très aimés, indigènes et campesinos,



C'est avec joie et gratitude que je salue votre présence enthousiaste et que je vous remercie des paroles de bienvenue que vous m'adressez. Pour exprimer les sentiments qui maintenant débordent de mon coeur, je ne trouve pas de salut meilleur que celui de saint Pierre, le premier pape de l'Église : « Paix à vous qui êtes dans le Christ ! » Paix à vous tous qui formez un groupe si nombreux !

Les héritiers d'un riche passé





Vous tous, habitants de Oaxaca, de Chiapos, de Culiacan, à vous aussi qui êtes venus de tant d'autres régions, héritiers de sang et de culture dé vos nobles ancêtres, surtout les Mixtèques et les Zapotèques, vous êtes « appelés à être saints avec tous ceux qui en tout lieu invoquent le nom de Jésus-Christ, Nôtre-Seigneur » (l Co 1, 2).



Le Fils de Dieu « a habité parmi nous » pour faire fils de Dieu ceux qui croient en son nom (cf. Jn Jn 1,11 sq.) et confier à l'Église le soin de continuer sa mission salvatrice partout où se trouvent des hommes. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'un jour de ce lointain XVI° siècle soient venus, pour le bienfait de l'Église, d'intrépides missionnaires, désireux d'assimiler votre genre d'existence et vos habitudes pour mieux vous révéler et mieux vous présenter l'image du Christ. Je salue donc avec une particulière gratitude le premier évêque de Oaxaca, Juan José Lopez de Zaraté et tous les missionnaires — franciscains, dominicains, augustins et jésuites — hommes admirables pour leur foi et leur générosité humaine. Ces missionnaires connaissaient l'importance de la culture comme véhicule pour transmettre la foi et permettre aux hommes de progresser dans la connaissance de Dieu. En eux, il ne pouvait y avoir de distinction entre les races et les cultures, « là il n'y a plus de Grec ni de Juif... d'esclave, d'homme libre, mais Christ qui est tout en tous » (Col 3,9-11). Ceci est un stimulant pour l'Église car, pour être fidèle, au message pur et total du Christ elle doit comprendre et interpréter toute la réalité humaine pour l'imprégner de la force de l’Evangile  (cf. Evangelii nuntiandi, EN 20-40).



Bien-aimés frères, ma présence parmi vous est un signe vivant, digne de foi, de cette préoccupation universelle de l'Église. Le pape et l'Église sont avec vous et vous aiment, ils aiment vos personnes, votre culture, vos traditions ; ils admirent votre merveilleux passé, vous encouragent dans le présent et espèrent beaucoup pour l'avenir.

La promotion du monde rural





Pourtant, ce n’est pas seulement de-cela que je veux vous parler. A travers vous, campesinos et indigènes, apparaît à mes yeux cette immense multitude du monde agricole, partie si importante de ce continent latino-américain et qui constitue encore aujourd'hui un secteur essentiel de notre planète.



Alors que devant moi s'impose cette vision, je ne peux moins faire que d'invoquer ce que, dans un cadre identique, il y a dix ans, mon prédécesseur le pape Paul VI, lors de sa visite mémorable en Colombie a dit concrètement dans sa rencontre avec les campesinos. Je veux répéter après lui, et si possible avec des accents encore plus forts, que le pape actuel veut être « solidaire de votre cause, une cause qui est d'ailleurs celle des humbles, des pauvres gens » (Discours de Paul VI du 23 août 1968). Le pape est avec ces masses de populations, « presque toujours abandonnées à un niveau de vie absolument indigne souvent traitées et exploitées durement » (ibidem). Faisant sienne la conduite de Jean XXIII et de Paul VI, ainsi que l'attitude du concile Vatican II (cf. Mater et Magistra, Populorum Progressio, Gaudium et Spes, GS 9, 71, etc.), devant une situation qui continue à être alarmante, rarement meilleure et souvent encore pire, le pape veut-être votre voix, la voix de ceux qui ne peuvent pas parler, la voix de ceux qu'on a fait taire ; il veut être la conscience des consciences ; il veut inviter à l'action pour récupérer le temps perdu qui est trop souvent un temps de souffrance prolongée et d'espérance non satisfaite.



Le monde rural ne peut pas attendre plus longtemps que l'on reconnaisse de manière pleine et efficace que sa dignité n'est pas moindre que celle de n'importe quel autre secteur social. Il a le droit d'être respecté ; il a droit à ce qu'on ne le prive pas, par des manoeuvres qui souvent sont de véritables spoliations, du peu qu'il possède. On ne peut plus s'opposer à son désir de participer directement à sa propre élévation. Il a droit à ce que tombent les barrières de l'exploitation, faites bien souvent des égoïsmes intolérables auxquels se heurtent les meilleurs efforts de promotion. Il a droit à une aide efficace qui ne soit plus une aumône ou des miettes de justice, une aide qui lui permette d'atteindre le développement que mérite sa dignité d'homme et de fils de Dieu.

Agir rapidement





Pour cela, il faut agir rapidement et en profondeur. Il faut mettre en pratique des transformations audacieuses, profondément novatrices. Il faut entreprendre sans tarder les réformes urgentes (Populorum Progressio, PP 32). L'Église défend, certes, le droit à la propriété privée, mais elle enseigne également que toute propriété privée est grevée d'une hypothèque sociale, parce que les biens doivent servir à la destination générale que Dieu leur a donnée. Et si le bien commun l'exige, il n'y a pas à hésiter, même devant l'expropriation faite dans les formes régulières (Populornm Progressio, 24).



Le monde rural a une immense importance et une grande dignité. Il donne à la société les produits nécessaires à sa nourriture. C'est une tâche qui mérite d'être appréciée et largement estimée par tous. Il s'agit d'un sentiment de reconnaissance à la dignité de ceux qui accomplissent cette fonction.



Une dignité qui peut et doit se développer par la contemplation de Dieu favorisée parle contact avec la nature, reflet de l'action divine, qui prend soin de l'herbe des champs, la fait croître, la nourrit et féconde la terre en lui envoyant pluie et vent pour qu'elle alimente aussi les animaux qui aident l'homme, comme nous le lisons au début de la Genèse.



Le travail des champs comporte de sérieuses difficultés en raison de l'effort qu'il exige, du mépris dont il est parfois entouré ou des obstacles qu'il rencontre et que seule une action de large envergure peut résoudre. Sans cela, l'exode des campagnes vers les villes se poursuivra, créant bien souvent des problèmes de prolétarisation étendue et angoissante, avec un, entassement dans des habitations indignes de l'être humain, etc.

Obstacles et richesses du monde rural





Un mal assez diffus parmi les paysans est la tendance à l'individualisme, alors qu'une action mieux coordonnée et solidaire pourrait être de grand secours. Pensez vous aussi à cela, chers fils.



Tout bien pesé, le monde rural possède des richesses humaines et religieuses des plus enviables : un amour enraciné de la famille, le sens de l'amitié, la solidarité avec les plus nécessiteux, une profonde humanité, l'amour de la paix et de la coexistence pacifique, une vive expérience de la dimension religieuse, la confiance en Dieu, l'amour envers la Vierge et beaucoup d'autres encore. C'est un tribut de reconnaissance que vous apporte le pape, à vous qui apportez tant à la société. Merci campesinos, pour votre valeureux apport au bien social. L'humanité vous doit beaucoup et vous pouvez être fiers de ce que vous apportez au bien commun.

Appel à tous





En ce qui vous concerne, vous les responsables des pays, les classes possédantes qui gardez parfois improductives des terres où se cache le pain qui manque à tant de familles, la conscience humaine, la conscience des peuples, le cri de l'homme dévolue et par-dessus tout la voix de Dieu, la voix de l'Église vous répètent avec moi : il n'est pas juste, il n'est pas humain, il n'est pas chrétien de laisser persister des situations si nettement injustes. Il faut mettre en pratique des mesures réellement efficaces; aux niveaux local, national, international, telles que celles indiquées dans l'encyclique Mater et Magistra, III° partie. Il est évident qu'en ceci, c'est celui qui a le plus qui doit le plus collaborer.



Bien-aimés frères et fils, travaillez à votre élévation humaine, mais ne vous arrêtez pas là. Efforcez-vous chaque jour d'être plus dignes sur le plan moral et religieux. N'entretenez pas des sentiments de haine et de violence, mais levez les yeux vers le Père et Seigneur de tous qui récompense chacun selon ses actes. L'Église est à vos côtés ; elle vous exhorte à vivre votre condition de fils de Dieu, en union avec le Christ, sous le regard de Marie, votre bien-aimée Mère.



Le pape vous demande vos prières et vous promet les siennes. Et en vous bénissant tous, il prend congé de vous avec les paroles de l'apôtre saint Paul : « Saluez tous les frères par un saint baiser ».



Que ce soit là un appel à l'espérance !



Amen !






30 janvier 1979



SOYEZ DE VRAIS TEMOINS DU CHRIST



Homélie à la cathédrale d'Oaxaca

Au cours d'une concélébration, célébrée dans la cathédrale d'Oaxaca avec tous les évêques et de nombreux prêtres de la région du Sud-Pacifique, le pape a prononcé l'homélie suivante :



Très chers frères et soeurs,



Cette cérémonie au cours de laquelle, avec une immense joie, je vais conférer certains ministères sacrés à des descendants des anciennes races de cette terre d'Amérique latine, confirme la vérité de ce qui a été dit par une haute personnalité de votre pays à mon vénéré prédécesseur Paul VI : depuis le commencement de l'histoire des nations américaines, ce fut surtout l'Église qui étendit sa protection aux plus humbles, affirmant leur dignité et leur valeur de personnes humaines.



La vérité de cette affirmation reçoit aujourd'hui une nouvelle confirmation, puisque l'évêque de Rome et le pasteur de l'Église universelle appellera quelques-uns d'entre eux à collaborer avec ses pasteurs au service de la communauté ecclésiale et pour sa plus grande croissance et sa vitalité (cf. Evangelii nuntiandi, EN 73).



1. On le sait bien, ces ministères ne transforment pas les laïcs en clercs ; ceux qui les reçoivent continuent à être des laïcs et ne quittent pas l'état dans lequel ils vivaient quand ils ont été appelés (cf. l Co 7, 20). D'ailleurs, quand ils collaborent comme suppléants ou comme aides avec les ministres consacrés, ces laïcs sont surtout les collaborateurs de Dieu (cf. 1Co 3,9) qui se prévaut de leur action pour accomplir sa volonté de salut pour tous les hommes (cf. 1Tm 2,4).



Bien plus, parce que ces laïcs s'engagent d'une façon délibérée dans le dessein de salut, au point que cet engagement est pour eux la raison ultime de leur présence dans le monde (cf. St Jean Chrysostome, in Act. Ap. 20, 4), ils doivent être considérés comme les archétypes de la participation de tous les fidèles à la mission salvifique de l'Église.



2. En réalité, tous les fidèles, en vertu de leur baptême et du sacrement de la confirmation, ont à professer publiquement la foi qu'ils ont reçue de Dieu par l'intermédiaire de l'Église, ils ont à la répandre et à la défendre comme de véritables témoins du Christ (cf. Lumen Centium, n. 11). Ou encore, ils sont appelés à l'évangélisation qui est un devoir fondamental de tous les membres du peuple de Dieu (cf. Ad Gentes, AGD 35), qu'ils aient ou n'aient pas de fonctions particulières en lien plus intime avec les devoirs des pasteurs (Apostolicam actuositatem, AA 24).



A ce propos, permettez au successeur de Pierre de faire un fervent appel, à tous et à chacun, pour que l'on assimile et que l'on pratique les enseignements et les directives du concile Vatican II qui a consacré aux laïcs le chapitre IV de la constitution dogmatique Lumen Gentium ainsi que le décret Apostolicam actuositatem.



3. Je désire également, comme souvenir de mon passage parmi vous, et le regard également posé sur tous les fidèles du monde entier, faire une brève allusion à ce qu'il y a de particulier dans la coopération des laïcs à l'unique apostolat, à ses expressions soit individuelles soit en associations, à ses caractéristiques déterminantes. Et pour cela, je veux m'inspirer de l'invocation au Christ que nous lisons dans la prière des Laudes de ce lundi de la quatrième semaine du temps liturgique ordinaire : « Toi qui oeuvres avec le Père dans l'histoire de l'humanité, renouvelle les hommes et les choses par la force de ton esprit. »



En effet, les laïcs qui, par vocation divine participent à toute la réalité du monde, injectent en elle leur foi, devenue réalité dans leur vie publique et privée (cf. Jc Jc 2,17) ; ils sont les protagonistes les plus immédiats du renouvellement des hommes et des choses. Par leur présence active de croyants, ils travaillent à la consécration progressive du monde à Dieu (cf. Lumen Gentium, LG 34). Cette présence est conforme à toute l'économie de la religion chrétienne qui est une doctrine mais surtout un événement : l'événement de l'Incarnation, Jésus, homme-Dieu, qui a récapitulé l'univers (cf. Ep l, 10) ; cette présence correspond à l'exemple du Christ qui a également fait du contact physique le véhicule de la communication de sa puissance restauratrice (cf. Mc Mc 1,41 et 7, 33 ; Mt 9,29 suiv. et 20, 34 ; Lc 7,14 et 8, 54) ; cette présence est inhérente au caractère sacramentel de l'Église laquelle, faite signe et instrument de l'union de tous les hommes avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain (cf. Lumen gentium, LG 1), a été appelée par Dieu à être en permanente communion avec le monde pour être en lui le levain qui le transforme de l'intérieur (cf. Mt Mt 13,33).



L'apostolat des laïcs, ainsi compris et mis en pratique, confère un sens plein à toutes les manifestations de l'histoire humaine, en respectant son autonomie et en favorisant le progrès exigé par la nature propre de chacune d'entre elles. En même temps nous est donnée la clef d'une interprétation en plénitude du sens de l'histoire puisque toutes les réalités temporelles, comme les événements qui les manifestent, acquièrent leur signification la plus profonde dans la dimension spirituelle qui établit une relation entre le présent et l'avenir (cf. He He 13,14). La méconnaissance ou la mutilation de cette dimension se transformerait de fait en une atteinte portée à l'essence même de l'homme.



4. En quittant cette terre, j'emporte de vous un souvenir qui m'est cher. C'est celui d'avoir rencontré des âmes généreuses qui à partir de maintenant offriront leur vie pour la diffusion du royaume de Dieu. Et en même temps je suis certain que, comme des arbres plantés au bord de l'eau d'un fleuve, vous donnerez des fruits abondants en leur temps (cf. ps l, 3) pour la consolidation de l'Évangile.



Courage! Soyez le levain dans la masse! (Mt 13,33). Faites l'Église ! Que votre témoignage éveille partout d'autres annonciateurs du salut : « Comme ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la bonne nouvelle !» (Rm 12,15). Rendons grâces à Dieu qui « a commencé cette bonne oeuvre et qui la portera à son accomplissement jusqu'au jour de Jésus-Christ » (Ph 1,6).






29 janvier 1979



PROMOTION DES LAICS ET DU LAICAT



Aux représentants des organisations catholiques

Le 29 janvier, le Saint-Père a reçu à la résidence de la Délégation apostolique à Mexico , les représentants des Organisations catholiques nationale du Mexique.



Bien-aimés fils des organisations catholiques nationales du Mexique !



Béni soit le Seigneur qui, durant mon séjour dans cette chère terre de Notre-Dame de Guadalupe, m'accorde la joie d'une rencontre avec vous.



Je vous remercie pour ces vives démonstrations de filiale affection et je tiens à vous dire combien j'aimerais m'entretenir avec chacun de vous pour vous connaître personnellement, pour en savoir plus sur votre service ecclésial, pour parler longuement de tous les aspects fondamentaux de votre apostolat. Je désire, de toute manière, que ces paroles venant de celui qui, comme successeur de Pierre, a été appelé au service de tous les serviteurs du Seigneur soient un éloquent témoignage de solidarité, de satisfaction, d'encouragement et d'orientation de vos meilleurs efforts en tant que laïcs et en tant que laïcat catholique organisé.

La promotion du laïcat





Vous savez parfaitement que le concile Vatican II a recueilli ce grand courant historique contemporain de « promotion du laïcat », l'examinant attentivement dans ses fondements théologiques, l'éclairant et l'intégrant justement dans l'ecclésiologie de Lumen Gentium, demandant et encourageant la participation active des laïcs à la vie et à la mission de l'Église. Dans le Corps du Christ, caractérisé par la « pluralité des ministères mais l'unité de la mission » (Apostolicam Actuositatem, AA 2 cf. Lumen Gentium, LG 10,32 Lumen Gentium, LG 10, Lumen Gentium, LG 10, Lumen Gentium, ), les laïcs, en tant que fidèles chrétiens « incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu et participant à leur manière à la fonction sacerdotale, prophétique et royale de Jésus-Christ sont appelés à exercer leur apostolat en particulier « dans tous et chacun des emplois du monde et dans les conditions ordinaires de la vie familiale et sociale, qui sont comme le tissu de leur vie » (Lumen gentium, LG 31)

De nouvelles et vastes perspectives





Dans le cadre global des enseignements conciliaires, et spécialement à la lumière de la constitution sur l'Église, de nouvelles, vastes et impérieuses perspectives d'action se sont ouvertes pour les catholiques dans de nombreux domaines de la vie ecclésiale et séculière. Sans faire abstraction de l'apostolat individuel, considéré comme une condition inéluctable, le décret Apostolicam Actuositatem signale également la prédilection de l'Église pour l'apostolat organisé, correspondant à la nature communautaire de l'Église et l'impérieuse nécessité d'évangéliser le monde contemporain.



Puis, vous êtes les signes et les protagonistes de cette « promotion du laïcat » qui, au cours de ces années d'application du Concile, a donné tant de fruits à la vie ecclésiale. Je vous invite, vous et, au-delà de vous, tous les laïcs et toutes les associations laïques d'Amérique latine, à renouveler une double dimension de votre engagement laïc et ecclésial. D'une part, à témoigner courageusement le Christ, à confesser avec allégresse et docilité votre pleine fidélité au Magistère ecclésial, à assurer vos pasteurs de votre obéissance, de votre collaboration filiale, à rendre la plus adéquate possible l'insertion organique et dynamique de votre apostolat dans la mission de l'Église et, en particulier, dans la pastorale de vos Églises locales. Le laïcat mexicain en a donné et en donne toujours de nombreux et valables exemples. C'est avec joie et satisfaction que j'aime rappeler notamment la commémoration en cette année 1979 du cinquantième anniversaire de l'Action catholique mexicaine, colonne vertébrale du laïcat organisé de ce pays.



La III° conférence générale de l'épiscopat latino-américain est un moment fort de la grâce ; un moment qui exige une conversion personnelle et communautaire pour renouveler votre communion ecclésiale, la confiance en vos Pasteurs, votre vigueur et votre nouvel élan apostolique.

« Evangelii Nuntiandi », charte de l'évangélisation





D'autre part, à partir de cette perspective ecclésiale, je désire vous inviter à raviver votre sensibilité humaine et chrétienne sur l'autre versant de votre engagement : la participation aux besoins, aux aspirations, aux défis cruciaux sur lesquels la situation réelle de votre prochain interpelle votre action évangélisatrice de laïcs chrétiens.



Parmi les nombreux et amples domaines qui exigent la présence du laïcat dans le monde et que relève l'exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi — cette « Carta Magna » de l'évangélisation — j'aime signaler quelques espaces fondamentaux et urgents dans le processus accéléré et inégal d'industrialisation, d'urbanisation et de transformation culturelle intéressant la vie de votre peuple.



La sauvegarde, la promotion, la sanctification et la projection apostolique de la vie familiale doivent compter les laïcs catholiques parmi leurs artisans les plus décidés et cohérents. Cellule de base du tissu social, considérée par le concile Vatican II comme « Église domestique » la famille exige un effort évangélisateur pour renforcer ses facteurs de croissance humaine et chrétienne et pour surmonter les obstacles qui entravent son intégralité et ses fins.



Les « mondes » émergents et complexes des intellectuels et universitaires, du prolétariat, des techniciens et dirigeants d'entreprise, des vastes secteurs de la campagne et des faubourgs populaires soumis à l'impact des rapides transformations économiques, sociales et culturelles réclament une particulière participation apostolique, parfois missionnaire, de la part du laïcat, dans les projets pastoraux de l'ensemble de l'Église.



Comment ne pas signaler au milieu de cette foule, la présence de la jeunesse qui nous interpelle avec ses espérances et ses inquiétudes, ses révoltes et ses frustrations, ses aspirations illimitées et parfois utopiques, ses sensibilités et recherches religieuses, et, également, avec sa tentation de suivre les idoles de la consommation ou de certaines idéologies ? Les jeunes aspirent à des témoignages clairs, cohérents et joyeux de la foi ecclésiale pour être aidés à restructurer leurs généreuses énergies disponibles et à les canaliser dans de solides options de vie personnelle et collective.



La charité, sève primordiale de la vie ecclésiale, se répand également par l'intermédiaire des laïcs chrétiens dans la solidarité fraternelle devant des états d'indigence, d'oppression, d'abandon ou de solitude des plus pauvres, les préférés du Seigneur, libérateur et rédempteur.



Et comment pourrait-on oublier le monde de l'enseignement où se forgent les hommes de demain ? celui de la politique pour qu'il s'aligne toujours sur des critères de bien commun ? le champ des organisations internationales pour qu'elles soient toujours des « forums » de justice, d'espérance et d'entente entre les peuples ? le monde de la médecine et du service sanitaire où sont possibles tant d'interventions qui touchent de près l'ordre moral ? le champ de la culture et de l'art, de fertiles terrains pour contribuer à la promotion de l'homme dans l'humain et dans le spirituel ?

Fidélité à l'Église





Sur ce double versant d'un engagement chrétien renouvelé, votre fidélité ecclésiale — reconnaissant et renforçant la tradition du laïcat mexicain — vous relancera, avec de nouvelles énergies, pour opérer comme un ferment, vers de plus amples perspectives de coexistence sociale.



La tâche est immense. Vous êtes appelés à y participer, assumant et poursuivant ce qu'il y a de mieux dans l'expérience de participation ecclésiale et séculière de ces dernières années ; laissant progressivement de côté les crises d'identité, les contestations stériles et les idéologies étrangères à l'Évangile.



Un des phénomènes de ces dernières années dans lequel s'est manifesté avec une vigueur croissante le dynamisme des laïcs, tant en Amérique latine qu'ailleurs est celui de ce qu'on appelle les communautés de base qui ont surgi avec la;crise des associations catholiques.



Les communautés de base peuvent être un excellent instrument de formation et une manière de vivre la vie religieuse au sein d'un nouveau climat d'impulsion chrétienne et peuvent avoir leur utilité, notamment, pour une pénétration capillaire de l'Évangile dans la société.



Toutefois, pour que ceci soit possible il importe de ne jamais perdre de vue les critères si clairement exprimés dans l'exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi (n. 58), afin que ces communautés se nourrissent de la Parole de Dieu dans la prière et restent unies — jamais séparées et moins encore opposées — à l'Église, aux Pasteurs et aux autres groupes ou organisations ecclésiales.

Le rôle des associations





Que vos associations soient comme jusqu'à présent, et même mieux encore, des centres de formation chrétienne avec une vocation à la sainteté, solides dans leur foi, sûrs dans la doctrine enseignée par le Magistère authentique, fermes et actifs dans l'Église, cimentés par une dense vie spirituelle nourrie par la fréquentation des sacrements de la pénitence et de l'Eucharistie, persévérants dans le témoignage et l'action évangélique, cohérents et courageux, dans leurs engagements temporels. Que vos associations soient constamment promotrices de paix et de justice contre toute violence ou oppression, perspicaces dans le discernement critique des situations et des idéologies à la lumière des enseignements sociaux de l'Évangile, confiantes dans les promesses du Seigneur.



Recevez ma bénédiction apostolique, vous et tous les laïcs de vos associations, vos assistants ecclésiastiques ; que la reçoive aussi tout l'ensemble du laïcat mexicain, de même que les millions de laïcs latino-américains qui élèvent leurs prières et mettent tout leur espoir en Puebla.



Je vous recommande tous à la protection maternelle de la Vierge Marie, dans son sanctuaire de Guadalupe.






31 janvier 1979



ENGAGEMENT EN FAVEUR DE L'ALPHABETISATION ET DE LA CULTURE



A des élèves catholiques

Au cours d'une visite de l'institut « Michel-Ange », le Saint-Père a adressé la parole à environ huit mille jeunes étudiants catholiques.



Chers jeunes,



Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer aujourd'hui dans cette école catholique, « l'institut Michel-Ange ». Vous formez un groupe nombreux de tous les âges, aussi bien ceux d'entre vous qui font ici leurs études que ceux qui viennent d'autres écoles catholiques. Dans votre jeunesse, je vois et je sens la présence de tous les collégiens du pays. Je vous salue tous avec une affection spéciale, car je vois en vous l'espérance prometteuse de l'Église et de la nation mexicaine de demain.



Je veux également saluer affectueusement vos professeurs et les représentants des institutions de formation ainsi que vos parents. Vous méritez tous mon respect puisque vous assurez la formation des nouvelles générations.



1. Les difficultés que les écoles catholiques du Mexique ont su surmonter dans l'accomplissement de leur mission sont pour moi un motif de plus pour remercier le Seigneur. En même temps, j'y vois un stimulant pour votre responsabilité : le but est que l'école catholique mène à bien la formation intégrale des futurs citoyens sur une base authentiquement humaine et chrétienne.



L'Église, du fait de sa mission spécifique doit promouvoir et transmettre l'éducation chrétienne à laquelle tous les baptisés ont droit pour atteindre leur maturité dans la foi. Comme servante de tous les hommes, l'Église cherche à collaborer par l'intermédiaire de ses membres, spécialement les laïcs, aux tâches de promotion de la culture humaine sous toutes les formes qui intéressent la société » (Medellin, Éducation, n. 9).



La tradition chrétienne est très ancienne dans cette ville du Mexique ; elle a même été pionnière en ce qui concerne l'introduction de la doctrine sociale de l'Église dans les programmes d'études scolaires. Ceci a été le germe d'un plus grand respect des droits de tous les hommes, en particulier de ceux qui souffrent de la misère ou de l’émargination sociale.



2. L'Église regarde vers la jeunesse avec optimisme et une profonde espérance. Vous, les jeunes, vous représentez la plus grande part de la population mexicaine, dont les 50 pour cent n'ont pas vingt ans. Au cours des moments les plus difficiles du christianisme dans l'histoire du Mexique, les jeunes ont donné un témoignage héroïque et généreux.



L'Église voit dans la jeunesse une énorme force de renouvellement que notre prédécesseur le pape Jean XXIII considérait comme le symbole de l'Église elle-même car celle-ci est appelée à un constant renouvellement, c'est-à-dire à un incessant rajeunissement.



Préparez-vous à la vie avec sérieux et zèle. En cette période de la jeunesse si importante pour la pleine maturation de votre personnalité, sachez donner toujours une place convenable à l'élément religieux de votre formation car c'est ce qui permet à l'homme d'atteindre sa pleine dignité: être fils de Dieu. Souvenez-vous toujours que c'est seulement appuyés, comme dit saint Paul, sur l'unique fondement qui est Jésus-Christ (cf. 1Co 3,11) que vous pourrez construire quelque chose de vraiment grand et durable.



3. Comme souvenir de cette rencontre si cordiale et joyeuse, je veux vous laisser une considération concrète.



Avec la vitalité qui caractérise votre âge, avec l'enthousiasme généreux de votre coeur, allez à la rencontre du Christ : lui seul est la solution de tous vos problèmes ; lui seul est la voie, la vérité et la vie ; lui seul est le véritable salut du monde ; lui seul est l'espérance de l'humanité.



Cherchez Jésus en vous efforçant d'arriver à une profonde foi personnelle qui informe et oriente toute votre vie ; mais surtout que votre engagement et votre projet soient d'aimer Jésus d'un amour sincère, authentique et personnel. Il doit être votre ami et votre appui sur la route de la vie. Lui seul a les paroles de la vie éternelle (cf. Jn Jn 6,68).



Votre soif d'absolu ne peut être étanchée par les succédanés des idéologies qui mènent à la haine, à la violence et au désespoir. Seul le Christ, cherché et aimé d'un amour sincère est source de joie, de sérénité et de paix.



Puis, après avoir rencontré le Christ, après avoir découvert qui il est, on ne peut pas ne pas sentir la nécessité de l'annoncer. Sachez être des témoins authentiques du Christ : sachez vivre et proclamer votre foi, par vos actes et par vos paroles.



Très chers jeunes, vous devez avoir la hantise et le désir d'apporter le Christ à la société actuelle qui a plus que jamais besoin de lui, qui le cherche plus que jamais même si les apparences peuvent parfois faire croire le contraire.



« Il est nécessaire — a écrit mon prédécesseur Paul VI dans son exhortation Evangelii Nuntiandi — que les jeunes bien formés dans la foi et enracinés dans la prière, se transforment toujours davantage en apôtres de la jeunesse » (n. 72). Chacun de vous est attendu par la tâche enthousiasmante d'être un annonciateur du Christ parmi ses compagnons d'école et de détente. Chacun de vous doit avoir dans le coeur le désir d'être un apôtre de ceux qui l'entourent.



4. Je veux maintenant vous confier une question qui me tient très à coeur. L'Église est consciente du sous-développement culturel qui existe dans de nombreuses zones du continent latino-américain et de votre pays. Mon prédécesseur Paul VI, dans son encyclique Populorum progressio déclarait: « ... l'éducation de base est le premier objectif d'un plan de développement » (n. 36).



Dans la dynamique de changement accéléré qui caractérise la société actuelle, il est nécessaire et en même temps urgent que nous sachions créer un climat de solidarité humaine et chrétienne à propos du problème crucial de la scolarisation. Le Concile le rappelait déjà dans son document sur l'éducation : « Tous les hommes, de quelque race, condition ou âge qu'ils soient, pour posséder la dignité de la personne, ont un droit inaliénable à recevoir une éducation... » (n. 1).



Il n'est pas possible de rester indifférent devant le grave problème de l'analphabétisme ou du semi-alphabétisme.



En un moment décisif pour l'avenir de l'Amérique latine, je lance fortement un appel au nom du Christ à tous les hommes et d'une façon particulière à vous les jeunes pour que vous donniez, aujourd'hui et demain, votre aide, votre service et votre collaboration à cette tâche de scolarisation. Ma voix, ma supplication de Père s'adresse aussi aux éducateurs chrétiens pour que, par leur contribution, ils favorisent l'alphabétisation et le partage de la culture dans une vision intégrale de l'homme. N'oublions pas qu'un « analphabète est un esprit sous-alimenté » (P.P., n. 35).



J'ai confiance en la collaboration de tous pour aider à résoudre ce problème qui touche un droit si essentiel de l'être humain.



Jeunes, engagez-vous humainement et chrétiennement dans des actions qui méritent l'effort, le désintéressement et la générosité ! l'Église attend cela de vous et espère en vous !



5. Mettons cette intention aux pieds de Marie, celle que les Mexicains invoquent comme Notre-Dame de Guadalupe. Elle a été étroitement associée au mystère du Christ et elle est un exemple d'amour généreux et d'engagement au service des autres. Sa vie de foi profonde est le moyen de renforcer la nôtre et elle nous enseigne à rencontrer Dieu dans l'intimité de notre être.



En retournant chez vous, dans vos associations déjeunes ou vos groupes d'amis, dites à tous que le pape compte sur les jeunes. Dites que les jeunes sont la consolation et la force du pape qui désire être auprès d'eux pour leur faire parvenir ses paroles d'encouragement au milieu de toutes les difficultés que comporte leur insertion dans la société.



Que la bénédiction apostolique vous aide et vous stimule dans l'accomplissement de vos projets ; je vous la donne de tout coeur à vous, à ceux qui vous sont chers et à tous ceux qui se consacrent à votre formation.






30 janvier 1979



ARRIVE A GUADALAJARA



A son arrivée à l'aéroport de Guadalajara, après avoir écouté une adresse d'hommage du cardinal José Lopez Salazar, archevêque de la ville, le Saint-Père a prononcé les paroles suivantes :



Monsieur le Cardinal, frères très aimés,



Je remercie de tout coeur Mgr l'Archevêque de Guadalajara, du salut qu'il a tenu à m'adresser au moment de mon arrivée dans ce cher archidiocèse. Le pape se sent ému devant cet accueil si humain, si chrétien et si familier. Il me semble être chez moi, parmi les miens.



Dans l'histoire de ce grand pays, vous, les habitants de cet État et de cette ville, vous vous êtes toujours distingués par votre sens religieux et par votre sens du travail. Vous avez su réunir le spirituel et le matériel en une synthèse qui suppose que vous vivez le message du Fils de Dieu d'une façon authentique.



Très chers amis : mon salut s'adresse à tous ceux qui sont ici présents et d'une manière particulière aux prêtres, aux religieux et à tous ceux qui travaillent à la construction du royaume de Dieu dans cet archidiocèse, riche de témoignages de vie chrétienne, manifestés de bien des manières et en particulier dans les vocations à la vie religieuse.



Merci de cette occasion que vous offrez à votre Père d'être avec vous, mes fils, en cette visite.



Que le Seigneur vous bénisse !






30 janvier 1979



VOUS EES LES PREFERES DE DIEU



Visite au quartier pauvre de Sainte-Cécile

Au cours d'une visite dans un quartier pauvre de Guadalajara, celui de Sainte-Cécile, le pape a prononcé les paroles suivantes :



Très chers frères et soeurs,



J'ai vivement désiré cette rencontre avec vous, habitants du quartier de Sainte-Cécile, parce que je me sens solidaire avec vous et parce que, puisque vous êtes pauvres, vous avez droit à une sollicitude particulière de ma part.



Je vous en dis tout de suite le motif : le pape vous aime parce que vous êtes les préférés de Dieu. Lui-même quand il a fondé sa famille, l'Église, il avait en vue une humanité pauvre et nécessiteuse. Pour la racheter, il a envoyé précisément son Fils qui naquit pauvre et vécut parmi les pauvres pour les enrichir par sa pauvreté (cf. 2Co 8,9).



Comme conséquence de cette rédemption réalisée par celui qui s'est fait l'un d'entre nous, maintenant nous ne sommes plus de pauvres esclaves, mais des fils et nous pouvons appeler Dieu : Père (cf. Ga Ga 4,4-6). Nous ne sommes plus abandonnés puisque, si nous sommes fils de Dieu, nous sommes aussi héritiers des biens qu'il offre en abondance à ceux qui l'aiment (Mt 11,28). Pouvons-nous douter qu'un père ne donne de bonnes choses à ses enfants ? (cf. Mt Mt 7,7 suiv.). Jésus lui-même, notre Sauveur, nous attend pour nous soulager dans la fatigue (cf. Mt Mt 11,28). En même temps, il compte sur notre collaboration personnelle pour que nous devenions toujours plus dignes parce que nous sommes les artisans de notre propre élévation humaine et morale.



En même temps, devant votre situation angoissante, j'invite de toutes mes forces ceux qui en ont les moyens et qui se sentent chrétiens, à se renouveler dans leur esprit et dans leur coeur pour que, en cherchant à promouvoir une plus grande justice et finalement en donnant de leurs biens, ils contribuent à faire que personne ne manque de la nourriture nécessaire, de vêtements, de maison, de culture, de travail ; bref de tout ce qui donne sa dignité à la personne humaine. L'image du Christ sur la croix, prix du rachat de l'humanité, est un pressant appel à dépenser sa vie pour se mettre au service des pauvres, en harmonie avec la charité qui est généreuse et qui ne pactise pas avec l'injustice, mais avec la vérité (cf. 1Co 13,2 suiv.).



Je vous bénis tous, et je demande au Seigneur d'illuminer toujours vos coeurs et vos actions.






30 janvier 1979



ETRE DES TEMOINS ET DES ARTISANS DE LA JUSTICE ET DE LA VRAIE LIBERTE



Aux ouvriers de Guadalajara

Au cours de sa visite à Guadalajara, le pape s'est rendu au stade Jalisco où l'attendaient environ  cent mille personnes. Il s'agissait surtout d'ouvriers avec leurs familles. Jean Paul II leur a adressé le discours suivant :



Chers frères et soeurs, Chers ouvriers et ouvrières,



Me voici dans ce cadre merveilleux de Guadalajara où nous nous rencontrons au nom de celui qui a voulu être connu comme le fils d'un artisan.



En venant jusqu'à vous j'ai encore devant les yeux et dans mon coeur l'image de Notre-Dame de Guadalupe, votre patronne envers laquelle vous professez un amour filial que j'ai pu constater non seulement dans son sanctuaire mais aussi en traversant les rues et les villes du Mexique. Là où il y a un Mexicain, là est la Mère de Guadalupe. Quelqu'un me disait que 96 pour cent des Mexicains sont catholiques, mais que 100 pour cent sont « Guadalupéens ».



J'ai voulu venir rendre visite aux familles ouvrières de Guadalajara et autres lieux de cet archidiocèse qui se distingue par son adhésion à la foi, par son unité familiale et par ses efforts pour répondre aux grandes exigences humaines et chrétiennes de la justice, de la paix, du progrès selon Dieu.



Je me présente devant vous comme un frère avec joie et amour, après avoir eu la possibilité de parcourir les routes du Mexique et après avoir été le témoin de l'amour que l'on y professe envers le Christ, envers la Très Sainte Vierge et envers le pape, pèlerin et messager de foi, d'espérance et d'union entre les hommes.



Dès ce premier instant, je désire vous exprimer le plaisir du pape pour cette rencontre avec des ouvriers, avec des familles d'ouvriers, avec des familles chrétiennes qui, dans leurs lieux de travail, à l'atelier, à l'usine, en n'importe quel endroit ou en n'importe quelle maison, savent être les agents du bien de la société, du respect et de l'amour de Dieu.



Je pense à vous, garçons et filles, jeunes des familles ouvrières ; et je me prends à penser à celui qui vint au monde dans une famille d'artisans, qui y croissait en âge, en sagesse et en grâce, lui qui apprit de sa Mère à se comporter en homme et qui trouva un maître pour la vie et le labeur quotidiens en l’homme juste que Dieu lui avait donné pour père. L'Église vénère cette Mère et cet homme, ce saint ouvrier, homme et ouvrier modèle.



Nôtre-Seigneur Jésus-Christ a reçu les caresses de ses rudes mains d'ouvrier, mains durcies par le travail, mains ouvertes à la bonté et aux besoins de ses frères. Permettez-moi d'entrer dans vos maisons, veuillez voir le pape comme votre hôte et votre ami et donnez-lui la consolation de voir dans vos foyers l'union, l'amour familial qui détend après une journée de fatigue par cette mutuelle et chaude affection qui régnait dans la sainte famille. Ceci me montre, chers enfants et chers jeunes, que vous vous préparez sérieusement à l'avenir ; je vous le répète, vous êtes l'espérance du pape.,



Ne me refusez pas la joie de vous voir cheminer sur des sentiers qui vous conduisent à devenir d'authentiques disciples du bien et des amis du Christ. Ne me refusez pas la joie de voir votre sens de la responsabilité dans vos études, dans vos activités, dans vos distractions. Vous êtes appelés à être porteurs de générosité et d'honnêteté, à lutter contre l'immoralité, à préparer un Mexique plus juste et plus sain, plus heureux pour les fils de Dieu et les fils de notre Mère, Marie.



Vous savez très bien que le travail de vos parents est présent dans l'effort commun pour la croissance de cette nation et pour tout ce qui contribue à ce que les bienfaits de la civilisation contemporaine parviennent à tous les Mexicains. Soyez fiers de vos parents, et collaborez avec eux à votre propre formation de jeunes dans la dignité et la foi chrétienne ; mon affection et mes encouragements vous accompagnent.



L'affection du pape s'adresse également aux mères et aux épouses qui travaillent à celles qui sont ici et à celles qui écoutent mes paroles grâce aux moyens de communication sociale. Souvenez-vous de la Vierge Mère qui a su être une cause de joie pour son époux et une guide attentive pour son fils dans les moments de difficulté et d'épreuve. Quand se présentent des préoccupations et des limitations, rappelez-vous que Dieu s'est choisi une mère pauvre et qu'elle a su demeurer ferme dans le bien, même dans les heures les plus dures.

Beaucoup d'entre vous travaillent aussi dans l'une ou l'autre des multiples activités qui s'ouvrent aujourd'hui aux capacités féminines ; beaucoup d'entre vous sont ainsi un soutien pour de nombreux foyers et une aide continuelle pour que la vie familiale soit toujours plus digne. Soyez présentes par votre créativité dans la transformation de cette société. Le style de la vie contemporaine offre aux femmes des occasions et des emplois toujours plus importants. Apportez votre contribution, illuminée par votre sentiment religieux, à tous les vôtres et jusque dans les plus hautes magistratures.



Mes amis, frères travailleurs, il existe une notion chrétienne du travail, de la vie familiale et sociale qui renferme de grandes valeurs et exige des critères et des normes morales susceptibles d'orienter ceux qui croient en Dieu et en Jésus-Christ afin que le travail soit réalisé comme une véritable vocation de transformation du monde dans un esprit de service et d'amour des frères, afin que la personne humaine puisse se réaliser dès ici-bas et puisse contribuer à l'humanisation croissante du monde et de ses structures.



Le travail n'est pas une malédiction, c'est une bénédiction de Dieu qui appelle l'homme à dominer la terre et à la transformer afin que, par l'intelligence et l'effort des hommes, l'oeuvre créatrice de Dieu se poursuive. Je puis vous dire de tout mon coeur et de toutes mes forces que je souffre du manque de travail, que je souffre des idéologies, de haine et de violence qui ne sont pas évangéliques et qui causent tant de blessures dans l'humanité contemporaine.



Pour un chrétien, il ne suffit pas de dénoncer les injustices, il lui est demandé d'être un témoin et un agent de la justice ; celui qui travaille a des droits qu'il doit défendre selon la loi, mais il a également des devoirs à remplir généreusement. Comme chrétiens, vous êtes appelés à être les artisans de la justice et de la vraie liberté en même temps que forgerons de la charité sociale. La technique contemporaine crée toute une nouvelle problématique et elle produit parfois le chômage, mais elle ouvre aussi de grandes possibilités qui exigent du travailleur une formation toujours meilleure et un apport de ses capacités humaines et de son imagination créatrice. De ce fait, le travail n'est pas une simple nécessité, il doit être considéré comme une véritable vocation, un appel de Dieu pour la construction d'un monde nouveau, en qui habitent la justice et la fraternité, anticipation du royaume de Dieu où il n'y aura ni carences ni limitations.



Le travail doit être le moyen de soumettre tout le créé à la dignité de l'être humain et du Fils de Dieu.



Ce travail offre la possibilité de s'engager avec toute la communauté sans ressentiment, sans amertume, sans, haine, mais au contraire avec l'amour universel du Christ qui n'exclut personne et qui embrasse tous les hommes.



Le Christ nous a annoncé l'Évangile par lequel nous savons que Dieu est amour, qu'il est le Père de tous les hommes et que nous sommes tous frères.



Le mystère central de notre vie chrétienne qui est celui de la Pâque, nous fait contempler les cieux nouveaux et la terre nouvelle. Dans le travail doit exister cette mystique pascale qui fait accepter les sacrifices et tes^peines dans un élan chrétien pour que resplendisse plus clairement l’ordre nouveau voulu par le Seigneur et pour que se construise un monde qui réponde à la bonté de Dieu dans l'harmonie, l'amour et  la paix.



Fils et filles très aimés, je prie le Seigneur pour vous tous et pour vos familles, je prie le Seigneur pour l'unité et la stabilité des mariages et pour que la vie des foyers soit toujours pleine et joyeuse. La foi chrétienne doit être plus forte en face de tous les facteurs de la crise contemporaine. L'Église et le Concile nous ont clairement enseigné que nous devons être la grande famille où est vécue la dynamique d'unité de vie, de joie et d'amour qui est la Sainte-Trinité.

Le même Concile a appelé la famille « la petite Église ». C'est en effet de la famille chrétienne que l'action évangélisatrice de l'Église tire son principe. Les familles sont les premières écoles de l'éducation dans la foi ; ce n'est que si cette unité chrétienne est conservée qu'il sera possible à l'Église d'accomplir sa grande mission dans la société et dans:l'Église elle-même.



Amis et frères, merci de m'avoir offert la possibilité de participer à cette grande rencontre avec le monde ouvrier, avec qui je me sens en si grande sympathie. Vous êtes pour le pape des amis et des compagnons. Merci.



Cette ville de Guadalajara s'est distinguée dans tout le Mexique par l'impulsion qu'elle a donnée aux activités sportives, activités qui procurent à la famille une croissance physique et spirituelle, la joie d'un esprit sain dans un corps sain.



La couronne des footballeurs qui nous accompagne apporte une couleur nouvelle à notre grande réunion. Le pape vous donne sa bénédiction à tous et à chacun. Qu'elle vous encourage dans votre engagement apostolique, dans un généreux dévouement fraternel et dans la certitude que Dieu travaille avec vous pour que vous construisiez un monde plus beau, plus aimable, plus juste, plus humain, plus chrétien. Ainsi soit-il.






30 janvier 1979



PRESENCE CONTEMPLATIVE ET LIEN AVEC LE MONDE



Le pape aux religieuses cloîtrées

Le mardi 30 janvier, au cours de sa visite entre le quartier de Sainte Cécile et la basilique de Notre-Dame de Zapopan, le pape s'est arrêté dans la cathédrale de Guadalajara où l'attendaient un groupe nombreux de religieuses cloîtrées. Le Saint-Père leur a parlé en espagnol.



Chères religieuses cloîtrées,



Je veux dans cette cathédrale de Guadalajara vous saluer par les belles et expressives paroles que nous redisons souvent dans les assemblées liturgiques : « Le Seigneur soit avec vous » (Missel romain). Oui, que le Seigneur, à qui vous avez consacré toute votre vie, soit toujours avec vous !



Comment au cours de sa visite au Mexique, le pape pourrait-il manquer une rencontre avec les religieuses contemplatives ? Si je désire voir tant de personnes, vous occupez une place spéciale pour votre particulière consécration au Seigneur et à l'Église. Pour ce motif, le pape aussi désire être près de vous.



Cette rencontre veut être la continuation de celle que j'eus avec les autres religieuses mexicaines ; bien des choses que je leur ai dites je les disais également pour vous, cependant je désire maintenant me référer à ce qui est plus spécifiquement vôtre.



Combien de fois le Magistère de l'Église a prouvé sa grande estime et son appréciation pour votre vie consacrée à là prière, au silence et à un engagement particulier à Dieu ! En ce moment où tant de transformations se font jour, ce genre de vie conserve-t-il sa signification ou est-ce quelque chose de dépassé ?



Le pape vous dit : Oui, votre vie est plus importante que jamais, votre consécration totale est de pleine actualité. Dans un monde qui est en train de perdre le sens du divin devant la surévaluation du matériel, vous, chères Religieuses, engagées de par votre cloître à être signe de valeurs pour lesquelles vous vivez, vous êtes témoins du Seigneur pour le monde d'aujourd'hui. Par votre prière, vous communiquez un souffle nouveau de vie dans l'Église et chez l'homme de nos jours.



D'une façon spéciale dans la vie contemplative, il s'agit de réaliser une unité difficile : manifester en face du monde le mystère de l'Église dans le monde présent et goûter déjà ici-bas en l'enseignant aux hommes « les choses d'en haut » (Col 11,13), comme dit saint Paul.



Etre contemplative ne signifie pas séparation radicale avec le monde, avec l'apostolat La contemplative doit trouver sa manière spécifique d'étendre le Règne de Dieu, de collaborer à l'édification de la cité terrestre, non seulement par ses prières et ses sacrifices, mais aussi par son témoignage silencieux il est vrai, qui peut cependant être-compris par les hommes de bonne volonté, avec qui elle est en contact.



Pour cela vous devez trouver votre style propre qui, dans une vision contemplative vous fasse partager avec vos frères le don gratuit de Dieu.



Votre vie consacrée provient de la consécration baptismale et l'exprime avec une plus grande plénitude. Par une réponse libre à l'appel de l'Esprit-Saint, vous avez décidé de suivre le Christ en vous consacrant totalement à lui. « Cette consécration sera d'autant plus parfaite, dit le Concile, que par des liens plus forts et plus stables, elle représente mieux le Christ, uni à son Église par un lien indissoluble » (Lumen Gentium, LG 44).



Les religieuses contemplatives éprouvent une attraction qui entraîne vers le Seigneur. Appuyées sur Dieu, vous vous abandonnez à son action paternelle qui vous élève vers lui et vous transforme en lui, tandis qu'il vous prépare pour la contemplation éternelle qui constitue notre terme ultime pour tous. Comment pourriez-vous avancer au large de ce chemin et être fidèles à la grâce qui vous anime, si vous ne répondiez pas de tout votre être, par un dynamisme dont l'impulsion est l'amour, à cet appel qui vous oriente de façon permanente vers Dieu ? Considérez ensuite n'importe quelle activité comme un témoignage offert au Seigneur, de votre intime communion avec lui, pour qu'il vous accorde cette pureté d'intention, si nécessaire pour le rencontrer dans l'oraison elle-même. De cette manière vous contribuerez à l'expansion du Royaume de Dieu par le témoignage de votre vie et « par une mystérieuse fécondité apostolique » (Perfectae Caritatis. PC 7).



Réunies au nom du Christ, vos communautés ont pour centre l'Eucharistie, « sacrement d'amour, signe d'unité, lien de charité » (Sacrosanctum Concilium, SC 41).



Par l'Eucharistie, le monde est également présent au centre de votre vie de prière et d'offrande, comme l'a expliqué le Concile : « Il ne faut pas penser que les religieux du fait de leur consécration deviennent étrangers aux hommes ; ou inutiles dans la cité terrestre. Même si parfois ils n'apportent pas une aide directe à leurs contemporains, ils leur sont cependant, présents de manière plus profonde dans la tendresse du Christ et ils collaborent spirituellement avec eux afin que l'édification de la cité terrestre soit toujours donnée dans le Seigneur et dirigée vers lui, et que ceux qui l'édifient ne travaillent pas en vain » (Lumen Gentium, LG 46).



En vous regardant avec la tendresse du Seigneur lorsqu'il appelait ses disciples « petit troupeau » (cf. Lc 12,32), et leur annonçait que son Père s'était complu à leur donner le Royaume, moi je vous supplie : conservez la simplicité des « plus petits » de l'Évangile. Sachez la pratiquer dans vos rapports intimes et profonds avec le Christ et dans le contact avec vos frères. Vous connaîtrez alors « le bonheur caché de l'action du Saint-Esprit » que goûtent ceux qui sont introduits dans les secrets du Royaume (cf. Exhortation apostolique sur la rénovation de la vie religieuse, n. 54).



Que la Mère très aimante du Seigneur, qu'au Mexique vous invoquez sous le doux nom de Notre-Dame de Guadalupe, et à l'exemple de laquelle vous avez consacré à Dieu votre vie, vous obtienne dans votre chemin quotidien cette joie inaltérable que seul Jésus peut donner.



Comme un grand salut de paix qui ne s'arrête pas à vous ici présentes, mais qui s'élargit invisiblement à toutes vos soeurs contemplatives du Mexique, recevez de tout coeur ma bénédiction apostolique.






30 janvier 1979



NOUS SOMMES RESPONSABLES LES UNS DES AUTRES



Homélie au sanctuaire, de Zapopan

Le 30 janvier à 16 heures, Jean Paul II a célébré la messe dans la basilique de Notre-Dame de Zapopan.



Chers frères et soeurs,



1. Nous voici réunis aujourd'hui dans ce beau sanctuaire de Notre-Dame de l'Immaculée Conception de Zapopan du grand archidiocèse de Guadalajara. Je ne voulais ni ne pouvais omettre cette rencontre, autour de l'autel de Jésus et aux pieds de la Très Sainte Marie, avec le peuple de Dieu qui chemine en ce Heu. Ce sanctuaire de Zapopan est, en effet, une preuve de plus, palpable et consolatrice, de l'intense dévotion que, depuis des siècles, le peuple mexicain et, avec lui, le peuple d'Amérique latine, professe à l'égard de la Vierge Immaculée. Comme celui de Guadalupe; ce sanctuaire date de l'époque de la colonisation ; comme lui, ses origines remontent au vaillant effort d'évangélisation des missionnaires (en ce cas, les fils de saint François) chez les Indiens si bien disposés à recevoir le message du salut dans le Christ et à vénérer sa Très Sainte Mère, conçue sans la tache du péché. Ainsi, ces peuples comprennent la place unique et exceptionnelle de Marie dans la réalisation du plan de Dieu (cf. Lumen Gentium, LG 53 suiv.), son éminente sainteté et sa relation maternelle envers nous (ibid., 61, 66). Depuis ce temps-là, elle, l'Immaculée, représentée par cette petite image toute simple, est incorporée à la piété populaire du peuple de cet archidiocèse, de la nation mexicaine et de toute l'Amérique latine, selon les paroles prophétiques de Marie elle-même dans son chant du Magnificat : « Toutes les générations m'appelleront bienheureuse » (Lc 1,48).

2. Si ceci est vrai de tout le monde catholique, combien plus du Mexique et de l'Amérique latine. On peut dire que la foi et la dévotion à Marie et à ses mystères appartiennent à l'identité propre de ces peuples et caractérisent sa piété populaire dont mon prédécesseur Paul VI fait mention dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi (n. 48). Cette piété populaire n'est pas nécessairement un sentiment vague manquant de bases doctrinales solides, comme une forme inférieure de manifestation religieuse. Combien de fois, au contraire, n'est-elle pas l'expression véritable de l'âme d'un peuple, touchée par la grâce et forgée par l'heureuse rencontre entre l'oeuvre d'évangélisation et la culture locale, ce dont parle également l'exhortation déjà citée plus haut (n. 20). Ainsi guidée et soutenue et, s'il y a lieu, purifiée par l'action constante des pasteurs, elle s'exerce quotidiennement dans la vie du peuple ; la piété populaire est vraiment la piété « des pauvres et des simples » (ibid., n. 48). C'est de cette manière que ces préférés du Seigneur vivent et traduisent dans leurs attitudes humaines et dans toutes les dimensions de la vie, le mystère de la foi qu'ils ont reçue.



Cette piété populaire, au Mexique et dans toute l'Amérique latine, est essentiellement mariale. La Très Sainte Marie y occupe la même place prééminente qu'elle occupe dans la totalité de la foi chrétienne. Elle est la mère, la reine, la protectrice et le modèle. On vient à elle pour apprendre à l'imiter, pour apprendre à être un vrai disciple de Jésus. Car comme le dit le Seigneur lui-même, « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère » (Me 3, 35).



Loin de faire ombre à la médiation irremplaçable et unique du Christ, cette fonction de Marie, accueillie par la piété populaire, la met en relief et « sert à démontrer sa puissance » comme l'enseigne le concile Vatican II (Lumen Gentium, LG 60), car .tout ce qu'elle est et possède lui vient de la « surabondance des mérites du Christ, s'appuie sur sa médiation » et y conduit (ibid.). Les fidèles qui accèdent à ce sanctuaire le savent bien et le mettent en pratique quand ils disent sans cesse avec elle, en contemplant Dieu le Père dans le don de son Fils bien-aimé rendu présent en nous par l'Esprit : « mon âme glorifie le Seigneur» (Lc 1,46).



3. Précisément, quand les fidèles viennent à ce sanctuaire comme j'ai voulu y venir aussi aujourd'hui, pèlerin en cette terre du Mexique, que font-ils d'autre que glorifier et honorer Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, dans la personne de Marie unie par des liens indissolubles avec les trois personnes de la Très Sainte Trinité, comme l'enseigne également le concile Vatican II (cf. Lumen Gentium, LG 53). Notre visite au sanctuaire de Zapopan, la mienne aujourd'hui, la vôtre si souvent, signifie par le fait même la volonté et l'effort de s'approcher de Dieu et de se laisser inonder par lui par l'intercession, le secours et le modèle de Marie.



En ces lieux de grâce, si caractéristiques de la géographie religieuse du Mexique et de l'Amérique latine, le peuple de Dieu, convoqué en Église avec ses pasteurs et, en cette heureuse occasion, avec celui qui préside humblement à la charité dans l'Église (cf. Ignace d'Antioche ad Rom. prol.) se réunit autour de l'autel et sous le regard maternel de Marie pour donner un témoignage : ce qui compte en ce monde et dans la vie humaine, c'est notre Sauveur, et qui nous vient par Marie. C'est cela qui donne à notre existence terrestre sa véritable dimension transcendante, comme Dieu l'a voulue depuis le commencement, comme Jésus-Christ l'a restaurée par sa mort et sa résurrection et comme elle resplendit dans la Vierge très sainte.



Elle est le refuge des pécheurs, refugium peccatorum. Le peuple de Dieu est conscient de sa condition de péché. C'est pourquoi, sachant qu'il a besoin d'une constante purification « recherche constamment la pénitence et la réconciliation » (L.G., n. 8). Chacun d'entre nous a conscience de cela : Jésus recherchait les pécheurs : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin mais les infirmes, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (Lc 5,31-32). Avant de guérir le paralytique, il lui dit : « Homme, tes péchés te sont pardonnes » (Lc 5,20) et à la pécheresse : « Va et ne pèche plus » (Jn 8,11).



Si notre conscience du péché nous écrase, nous recherchons instinctivement celui qui a le pouvoir de pardonner les péchés (cf. Lc Lc 5,24) et nous le cherchons par l'intermédiaire de Marie, dont les sanctuaires sont des lieux de conversion, de pénitence, de réconciliation avec Dieu.



Elle éveille en nous l'espérance de l'amendement et de la persévérance dans le bien, même si parfois cela peut paraître humainement impossible.



C'est elle qui nous permet de surmonter les multiples « structures de péché» qui enveloppent notre vie personnelle, familiale et sociale. C'est elle qui nous permet d'obtenir la grâce de la véritable libération, de cette liberté que le Christ a apportée à tout homme.



4. C'est de là que jaillit, comme de sa véritable source, notre engagement authentique envers les autres hommes, nos frères, spécialement envers les pauvres et les malheureux, et pour la nécessaire transformation de la société. Car c'est cela que Dieu veut de nous et à quoi il nous invite, par la voix et la force de son Évangile : que nous nous rendions responsables les uns des autres. Marie, comme l'enseigne mon prédécesseur Paul VI dans son exhortation apostolique Marialis Cultus (n. 37) est aussi le modèle, fidèle dans l'accomplissement de la volonté de Dieu, de ceux qui n'acceptent pas passivement l'adversité dans les circonstances de leur vie personnelle et sociale et qui ne sont pas victimes de « l'aliénation » — comme on le dit aujourd'hui — mais qui proclament avec elle que Dieu est le « vengeur des humbles,» et qu'il dépose, s'il y a lieu, « les puissants de leur trône » pour citer de nouveau le Magnificat (cf. Le LE 1,51-53). Ainsi Marie est le « type du parfait disciple du Christ, qui est artisan de la cité terrestre et temporelle mais en même temps tendu vers la cité céleste et éternelle, qui travaille à la promotion de la justice, qui porte la libération à ceux qui en ont besoin, mais qui est surtout le témoin de cet amour actif qui construit le Christ dans les âmes » (Marialis Cultus, ibid.).



Voilà ce qu'est Marie Immaculée pour nous dans ce sanctuaire de Zapopan. C'est cela que nous venons aujourd'hui, apprendre d'elle, afin qu'elle soit toujours pour ces fidèles de Guadalajara, pour la nation mexicaine et pour toute l'Amérique latine dans son existence chrétienne et catholique, la véritable « étoile de l'évangélisation ».



5. Mais je ne voudrais pas terminer cet entretien sans ajouter quelques mots que j'estime importants dans le contexte de ce que je viens de dire.



Ce sanctuaire de Zapopan et les si nombreux autres qui sont disséminés sur la carte géographique du Mexique et de l'Amérique latine et où convergent chaque année des millions de pèlerins dans un sentiment profond de religion, peuvent et doivent être des lieux privilégiés pour la rencontre d'une foi toujours plus purifiée qui mènera ces pèlerins au Christ.



Pour cela, il sera nécessaire de veiller avec une grande attention et un grand zèle à la pastorale de ces sanctuaires de Marie, ceci par une liturgie appropriée et vivante, par une prédication assidue et une catéchèse solide, par un souci du ministère du sacrement de pénitence et par une purification prudente d'éventuelles formes de religiosité qui présentent des éléments moins adaptés.



Il faut profiter pastoralement de ces occasions, parfois sporadiques, de rencontrer des personnes qui ne sont pas toujours fidèles à un programme complet de vie chrétienne, mais qui sont conduites ici par une vision parfois incomplète de la foi et que l'on pourra essayer de conduire au centre de toute piété solide, Jésus-Christ, Fils du Dieu Sauveur.



De cette manière, la religiosité populaire ira en se perfectionnant, si c'est nécessaire, et la dévotion mariale pourra acquérir son sens plein dans une orientation vers la Trinité, le Christ et l'Église, comme l'enseigne judicieusement l'exhortation apostolique Marialis Cultus (n. 25-27).



J'invite les prêtres chargés des sanctuaires, ceux qui y conduisent des pèlerins, à une mûre réflexion sur le grand bien que cela peut faire aux fidèles s'ils savent mettre eh oeuvre un système d'évangélisation convenable.



Ne perdez aucune occasion de prêcher le Christ, d'éclairer la foi du peuple, de la rendre forte, de la seconder dans sa marche vers la Trinité. Que Marie soit la voie. Et qu'en cela la Vierge Immaculée de Zapopan vous vienne en aide. Ainsi soit-il.






30 janvier 1979



SE DONNER AU CHRIST, SE DONNER A L'HOMME POUR LE CHRIST



Aux séminaristes de Guadalajara

A l'issue de la messe dans la basilique de Zapopan, Jean Paul II s'est rendu en visite au séminaire majeur de Guadalajara où l'attendaient les séminaristes — diocésains et religieux — venus de tout le Mexique.



Chers séminaristes, diocésains et religieux, du Mexique,



Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous !



L'enthousiasme débordant et affectueux avec lequel vous me recevez ce soir m'émeut profondément. J'éprouve une joie immense à partager avec vous ces instants qui, de votre part, confirment sans aucun doute possible l'estime que vous avez pour le pape devant Dieu, et qui, quant à moi, me remplit de consolation et d'un nouveau courage (cf. 2Co 7,13).



A travers vous, ma joie intérieure s'étend à mes chers frères dans l'épiscopat, aux prêtres, aux religieux et à tous les fidèles. Qu'elle leur porte à tous ma plus cordiale gratitude pour tant d'attentions et tant de sentiments filiaux, et plus encore pour leur souvenir dans leurs prières au Seigneur. Je puis vous assurer que votre correspondance unanime à ma « visite pastorale » au Mexique a donné consistance en moi, au cours de ces journées, à un agréable pressentiment. Je vous l'exprimerai avec les paroles de l'apôtre : « Je me réjouis de pouvoir en tout compter sur vous » (2Co 7,16).



1. C'est pour moi un motif de satisfaction de savoir que les séminaristes du Mexique ont derrière eux une longue et glorieuse tradition qui remonte au temps du concile de Trente, avec la création du collège « Saint-Pierre » dans cette ville de Guadalajara en 1570. A celui-ci se sont ajoutés avec le temps de nombreux autres centres de formation sacerdotale, disséminés dans tout le territoire national, démonstration persistante d'une puissante et fraîche vitalité ecclésiale. Je ne puis passer sous silence le déjà centenaire collège mexicain de Rome qui a une mission si importante : maintenir vivant le lien entre le Mexique et la chaire de Pierre. Je considère que c'est un devoir inéluctable pour tous de l'aider et de le soutenir pour qu'il puisse accomplir une tâche si primordiale dans une pleine fidélité aux normes du Magistère et aux orientations données par le siège de Pierre.



Cet empressement historique à créer de nouveaux séminaires suscite en moi des sentiments de satisfaction et des félicitations ; mais ce qui me remplit spécialement d'espérance est la continuelle floraison de vocations sacerdotales et religieuses. Je me sens heureux de vous voir ici, vous jeunes qui débordez de la joie d'avoir dit oui à l'invitation du Seigneur qui vous appelle à le servir en vous donnant, corps et âme, dans son Église par le sacerdoce ministériel. Comme saint Paul, je veux vous ouvrir complètement mon coeur et vous dire : «Mon coeur s'est grand ouvert… payez-moi donc de retour » (2Co 6,11-13).



2. Il y a à peine plus de deux mois, au début de mon pontificat, j'ai vécu une « audience eucharistique » avec les séminaristes de Rome. Comme eux, je vous invite aujourd'hui à écouter avec attention le Seigneur qui vous parle au coeur, surtout dans la prière et dans la liturgie, pour que vous puissiez découvrir et enraciner dans le fond de votre être le sentiment de la valeur de la vocation.



Dieu qui est vérité et amour s'est manifesté à nous dans l'histoire de la création et dans l'histoire du salut : c'est l'histoire encore incomplète de l'humanité qui « attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (cf. Rm Rm 8,18). C'est le même Dieu qui nous a choisis qui nous a appelés pour infuser de nouvelles forces, dans cette histoire, sachant bien dès maintenant que le salut « est un don qui ne vient pas de nos oeuvres... nous sommes son ouvrage, créés dans le Christ Jésus » (Ep 2,8-10). Cette histoire, par conséquent, est dans le dessein de Dieu ; mais elle est également la nôtre puisqu'il nous veut ouvriers dans sa vigne (Mt 20,1-16), il nous veut ses ambassadeurs pour aller à la rencontre de tous les hommes et les inviter à entrer dans la salle du banquet (ibid. 22, 1-14), il nous veut bons samaritains qui usent de miséricorde envers le prochain abandonné (Lc 10,30 suiv.).



3. Déjà ceci suffirait pour entrevoir de près combien la vocation est grande. Mais en faire l'expérience est une joie unique, indicible qui ne se perçoit que comme un souffle suave qu'éveillent les touches de la grâce ; un souffle de l'Esprit qui en même temps qu'il donne un profil authentique à notre fragile réalité humaine — vase d'argile dans les mains du potier (cf. Rm Rm 9,20-21) — allume en nos coeurs une lumière nouvelle, infuse en nous une force extraordinaire qui, en cimentant en nous l'amour, incorpore notre existence à l'oeuvre de Dieu, à son plan de re-création de l'homme dans le Christ, c'est-à-dire à la formation de sa nouvelle famille de rachetés. Vous êtes donc appelés à construire l'Église — communion avec Dieu — chose qui est infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir (cf. Ep Ep 3,14-21).



4. Chers, séminaristes qui serez un jour les ministres de Dieu pour planter et arroser le domaine du Seigneur : profitez de ces années de séminaire pour vous remplir des sentiments du Christ lui-même par l'étude, la prière, l'obéissance, la formation de votre caractère. Vous verrez comment, à mesure que mûrit votre vocation à cette école, votre vie assumera progressivement et joyeusement, un caractère spécifique, une orientation bien précise : vous vous tournerez vers les autres, comme le Christ qui « est passé en faisant le bien et en guérissant tout le monde » (Ac 10,38). De cette manière, ce qui humainement pourrait sembler un échec, se convertit en un radieux projet de vie déjà envisagé et approuvé par Jésus : ne pas vivre pour être servi mais pour servir (Mt 20,28).



Vous le comprenez bien, rien n'est plus éloigné de la vocation que l'attrait des avantages terrestres ou la recherche de bénéfices, ou d'honneurs : elle est très loin également d'être une évasion hors d'un climat d'illusions frustrées ou hors d'un milieu qui se présente comme hostile ou aliénant. La bonne nouvelle pour celui qui est appelé au service du peuple de Dieu est, en plus d'un appel à changer et à améliorer sa propre existence, un appel à une vie déjà transformée dans le Christ qu'il faut annoncer et propager.



Que ceci vous suffise, chers séminaristes. Le reste, vous l'ajouterez vous-mêmes avec votre coeur ouvert et généreux. Je veux seulement ajouter une chose : aimez vos directeurs, éducateurs et supérieurs. C'est à eux qu'incombe la belle mais difficile tâche de vous prendre par la main sur le chemin qui conduit au sacerdoce. Ils vous aideront à acquérir le goût de la vie intérieure, l'habitude exigeante du renoncement pour le Christ, du désintéressement et surtout ils vous communiqueront par contagion « le parfum suave de la connaissance du Christ » (cf. 2Co 2,14). N'ayez pas peur. Le Seigneur est avec nous et à tout moment il est notre meilleure garantie : « Je sais en qui j'ai cru » (2Tm 1,12).



Avec cette confiance dans le Seigneur, ouvrez votre coeur à l'action de l'Esprit-Saint ; ouvrez-le à un projet d'engagement qui ne connaît pas de réserve : ouvrez-le au monde qui vous attend et a besoin de vous ; ouvrez-le à l'appel que déjà vous adressent tant d'âmes, celles à qui un jour vous pourrez donner le Christ dans l'eucharistie, dans la pénitence, dans la prédication de la Parole révélée, dans votre conseil bienveillant et désintéressé, dans un joyeux témoignage de vies d'hommes qui sont dans le monde sans être du monde.



Il vaut la peine de se consacrer à la cause du Christ qui veut des coeurs courageux et décidés ; il vaut la peine de se consacrer à l'homme pour le Christ pour le porter au Christ pour l'élever, pour l'aider sur le chemin qui mène à l'éternité ; il vaut la peine de faire une option pour un idéal qui vous procurera de grandes joies tout en exigeant de vous également de nombreux sacrifices. Le Seigneur n'abandonne pas les siens.



Il vaut la peine de vivre pour le royaume cette valeur précieuse du christianisme : le célibat sacerdotal, patrimoine pluriséculaire de l'Église ; de le vivre en pleine responsabilité encore qu'il exige des sacrifices non négligeables. Cultivez la dévotion à Marie, la Mère Vierge du Fils de Dieu, pour qu'elle vous aide et vous encourage à le réaliser pleinement.



Mais je voudrais vous réserver également un mot spécial à vous, éducateurs et supérieurs de maisons de formation pour les séminaristes. Vous tenez entre vos mains un trésor de l'Église. Veillez sur lui avec le plus grand soin et la plus grande diligence pour qu'il puisse produire les fruits espérés. Formez ces jeunes dans une joie saine, dans une culture de leur riche personnalité qui devra s'adapter à notre temps. Mais formez-les bien solidement dans la foi, selon les critères de l'Évangile, dans la conscience de la valeur des âmes, dans un esprit de prière qui leur permette d'affronter les assauts de l'avenir.



Ne raccourcissez pas la vision verticale de la vie et ne rabattez pas les exigences qu'imposé une option pour le Christ. Si nous proposons un idéal affaibli, ce sont les jeunes les premiers qui n'en voudront pas car ils désirent quelque chose qui vaille la peine, qui soit un idéal digne de lui consacrer leur existence. Même s'il en coûte.



Responsables des vocations, prêtres, religieux, pères et mères de familles ! C'est à vous que j'adresse ces paroles. Engagez-vous avec générosité dans la tâche d'éveiller des vocations qui sont si importantes pour l'avenir de l'Église. Le petit nombre des vocations exige un effort conscient pour y remédier. Et nous n'obtiendrons pas cette grâce si nous ne savons pas prier, si nous ne savons pas reconnaître à la vocation au sacerdoce, diocésain ou religieux, le prix et l'estime qu'il mérite.



Je vous donne à tous ma bénédiction. Jeunes séminaristes, le Christ vous attend ! Vous ne pouvez le décevoir.






31 janvier 1979



AUX UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES DU MEXIQUE



Le mercredi 31 janvier, sur l'esplanade du sanctuaire de Guadalupe, Jean Paul II a

rencontré des dizaines de milliers d'étudiants des universités catholiques du Mexique. Il leur a adressé, en espagnol, le discours dont voici la traduction française :



Chers frères et soeurs du monde universitaire catholique,



1. C'est avec une immense joie et une immense espérance que je viens à votre rencontre dans cette ville, étudiants, professeurs et assistants des universités catholiques du Mexique. En vous, je vois également le monde universitaire de toute l'Amérique latine.



Recevez mon salut le plus cordial. C'est le salut de quelqu'un qui aime beaucoup se trouver au milieu des jeunes, en qui il fonde de si grandes espérances surtout quand il s'agit de secteurs aussi qualifiés que ceux que vous traversez dans les salles des universités en vous préparant à un avenir qui sera déterminant pour la société.



Permettez-moi en premier lieu de mentionner les membres de l'Université catholique La Salle dans l'enceinte de laquelle devait se dérouler cette rencontre. Mais ce n'est pas moins cordialement que je rappelle le nom des autres universités catholiques : du Mexique : Université ibéro-américaine, Université Anahuac, ; Université de Monterrey, Institut supérieur de sciences de l'éducation de la ville de Mexico, Faculté d'administration publique de Vera Cruz, Institut technologique et d'études supérieures d'Occident à Guadalajara, Université Motolinia, Université féminine de Puebla, Faculté canonique de philosophie de cette ville même et Faculté de théologie — encore en gestation — également dans cette ville.



Il s'agit d'universités jeunes. Vous avez sans doute un ancêtre vénérable dans « l'Université royale et pontificale du Mexique », fondée le 21 septembre 1551 dans le but explicite « d'instruire les naturels du pays et les fils des Espagnols dans les choses de la sainte foi catholique et dans les principales disciplines ».



Il y a en outre parmi vous — et ils sont certainement très nombreux dans tout le territoire du Mexique — des professeurs et des étudiants catholiques qui enseignent ou font leurs études dans des universités de diverses dénominations. Je leur adresse également mon salut affectueux et je leur exprime ma joie profonde de savoir qu'ils sont tous engagés de la même manière en vue de l'instauration du règne du Christ.



Élargissons maintenant notre regard vers le vaste horizon latino-américain. Ainsi mon salut, ma pensée et ma sympathie s'étendront aux si nombreux autres centres universitaires catholiques qui sont un motif de légitime, orgueil pour chaque nation, où convergent tant de regards d'espérance et d'où rayonnent la culture et la civilisation chrétienne. C'est là, en effet, que se forment les personnes dans un climat où la conception intégrale de l'être humain est abordée avec rigueur scientifique et dans une vision chrétienne de l'homme, de la vie* de la société et des valeurs morales et religieuses.



2. Et maintenant, que puis-je vous dire en ces instants qui doivent nécessairement être brefs ? Que peut attendre le monde universitaire d'Amérique latine de la parole du pape ?



Je pense pouvoir le résumer, d'une façon assez synthétique en trois observations qui suivent la ligne de pensée de mon vénéré prédécesseur Paul VI.

a) La première est que l'Université catholique doit offrir un apport spécifique à l'Église et à la société, en se situant à un niveau élevé de la recherche scientifique, de l'étude approfondie des problèmes, d'un sens historique convenable. Mais ceci ne suffit pas pour une Université catholique. Celle-ci doit trouver sa signification dernière et profonde dans le Christ, dans son message de salut qui embrasse l'homme dans sa totalité et dans l’enseignement de l'Église.



Tout ceci suppose la promotion d'une culture intégrale ; c'est-à-dire d'une culture qui vise le développement complet de la personne humaine et qui mette en relief les valeurs de l'intelligence, de la volonté, de la conscience, de la fraternité, toutes fondées en Dieu créateur et merveilleusement élevées dans le Christ (cf. Gaudium et Spes, GS 61) : bref, une culture orientée d'une façon désintéressée et authentique vers le bien de la communauté et celui de toute la société.

b) La seconde observation est que l'Université catholique doit être composée d'hommes réellement remarquables par leur savoir, prêts à exercer des fonctions engagées dans la société et à témoigner de leur foi devant le monde (Graviss. educat., 10). Cette finalité est aujourd'hui sans aucun doute décisive. A la formation scientifique des étudiants, il convient ensuite d'ajouter une profonde formation morale et chrétienne qui ne soit pas considérée comme quelque chose que l'on ajoute de l'extérieur, mais bien comme un aspect dont l'institution académique est, pour ainsi dire, spécifiée et vivifiée. Il s'agit de promouvoir et de réaliser chez les professeurs et chez les étudiants une synthèse toujours mieux harmonisée entre la foi et la raison, entre la foi et la culture, entre la foi et la vie. Cette synthèse doit se vérifier non seulement au niveau des recherches et de l'enseignement, mais aussi au niveau éducatif et pédagogique.



c) La troisième observation est que l'Université catholique doit être un milieu dans lequel le christianisme soit vivant et actif. C'est une vocation inaliénable de l'Université catholique de rendre témoignage, d'être une communauté sérieusement et sincèrement engagée dans la recherche scientifique, mais également une communauté visiblement caractérisée par une vie chrétienne authentique. Ceci suppose, entre autres choses, une révision de la physionomie du professeur qui ne peut être considéré uniquement comme un simple transmetteur de savoir, mais aussi et surtout comme un témoin et un éducateur de vie chrétienne authentique. Dans ce milieu privilégié de formation, vous êtes appelés, chers étudiants, à une collaboration consciente et responsable, libre et généreuse, pour réaliser votre formation elle-même.



3. L'implantation d'une pastorale universitaire, soit comme pastorale des intelligences, soit comme source de vie liturgique et qui doit être attentive à tout le secteur universitaire de la nation, ne manquera pas de produire les précieux fruits d'une élévation humaine et chrétienne.



Chers fils qui vous consacrez complètement ou partiellement au secteur universitaire catholique de vos pays respectifs, et vous tous qui, en quelque milieu universitaire que ce soit, vous êtes engagés dans l'implantation du royaume de Dieu :



— créez une véritable famille universitaire, engagée dans la recherche, pas toujours facile, de la vérité et du bien, aspirations suprêmes de l'être raisonnable et bases d'une structure morale solide et responsable ;



— poursuivez une sérieuse activité de recherche qui oriente les nouvelles générations vers la vérité, vers une maturité humaine et religieuses .



— travaillez infatigablement en vue du progrès authentique et complet de vos patries. Sans aucun préjugé de quelque ordre que ce soit, tendez la main à ceux qui se proposent, comme vous, la construction de l'authentique bien commun ;



— unissez vos forces d'évêques, de prêtres, de religieux et de religieuses, de laïcs, pour la programmation et la réalisation de vos centres académiques et de-leurs activités ;



— cheminez joyeusement et infatigablement sous la direction de votre sainte Mère l'Église, dont le magistère, prolongement du Christ, est l'unique garantie qui vous permet de ne pas perdre la voie exacte, et un guide sûr vers l'héritage impérissable que le Christ réserve à ceux qui lui sont fidèles.



Je vous recommande tous à l'éternelle Sagesse : « La Sagesse brille et ne se flétrit pas, elle se laisse voir aisément par ceux qui l'aiment et trouver par ceux qui la cherchent » (Sa. 6,12).



Que Marie, siège de la Sagesse, que le Mexique et toute l'Amérique latine vénèrent au sanctuaire de Guadalupe, vous protège tous sous son manteau maternel ! Ainsi soit-il ! Et grand merci pour votre présence. »






31 janvier 1979



SERVIR LA VERITE



Jean Paul II aux Journalistes

Avant de quitter le Mexique, le 31 janvier, Jean Paul II a voulu recevoir les représentants de ta presse internationale qui l'ont suivi durant son pèlerinage en Amérique latine. Aux journalistes réunis au collège Florida de Mexico, il a adressé une brève allocution.



Chefs amis du monde de l'information,



Durant ces journées que l'enthousiasme des Mexicains a rendues fébriles et émouvantes, des moments pleins de beauté et de signification religieuse passés dans des lieux et des milieux inoubliables, j'ai eu souvent l'occasion de vous observer alors que vous alliez d'une place à l'autre, avec la détermination et le zèle qui caractérisent votre tâche d'information.



Maintenant, je suis sur le point de retourner à Rome après avoir assisté aux débuts de ta conférence de Puebla — ce grand événement ecclésial, merveilleux en raison de sa profonde signification d'unité et de créativité pour l'avenir de l'Église — et après avoir pérégriné à travers les terres inoubliables de la Vierge de Guadalupe. Je remercie la Providence qui m'offre en ce moment l'occasion espérée de rencontrer, les professionnels de l'information qui ont voulu m'accompagner dans ce voyage.



Nombreux sont parmi vous ceux qui resteront ici pour informer l'opinion publique sur l'événement de Puebla ; d'autres me suivront dans mon vol de retour ; d'autres encore se verront appelés à de nouvelles tâches. Il valait de toute façon la peine d'enlever à nôtre très strict horaire quelques minutes pour nous trouver ensemble, face à face, cette fois, pour réfléchir et bavarder quelque peu. Pour une fois, sans l'intervention parmi nous de quelque moyen de transmission destiné à rendre spirituellement présents des auditeurs lointains. Goûtons donc sans plus la joie d'être ensemble.



Et d'abord je n'oublie pas que derrière la caméra on trouve une personne, qu'il y a une personne qui parle au micro, qu'il y a une personne qui aménage et corrige chaque ligne de l'article que publiera le journal du lendemain. Dans cette brève rencontre, j'aimerais manifester à tous ma reconnaissance et mon respect et appeler chacun par son nom. J'éprouve le désir et le besoin de remercier chacun pour le travail accompli ces jours-ci et celui qui se poursuivra à Puebla, un travail qui donnera l'image d'une Église qui accueille toutes les cultures, les façons d'être et les initiatives, du moment qu'elles sont orientées vers la construction du peuple de Dieu.



Je comprends les tensions et les difficultés au milieu desquelles se déroule votre travail. Je sais, quel effort exige la transmission de la nouvelle. J'imagine la fatigue que provoquent le montage, le démontage et le transfert d'un endroit à l'autre de votre matériel compliqué. Et je me rends compte également que votre travail est un de ceux qui imposent de longs déplacements et qu'il vous sépare de vos familles, de vos amis. Ce n'est certes pas une vie facile, mais en compensation votre tâche vous apporte un enrichissement tout spécial comme le fait toute activité créatrice et particulièrement celle qui permet de servir autrui. Je suis convaincu que Vous en avez tous acquis l'expérience.



Je me souviens en ce moment d'une circonstance analogue quand j'eus, il y a quelques semaines, l'occasion de bavarder avec des journalistes venus à Rome pour informer le public sur mon élection et sur l'inauguration de mon pontificat. J'ai dit alors que votre profession est une vocation. Un des documents les plus importants de l'Église, concernant les communications sociales, déclare : « Il est nécessaire que l'homme de notre temps connaisse les choses pleinement et fidèlement, de manière adéquate et exacte » (Communio et Progressio, 34) et il proclame que lorsque cette information est fournie par les moyens de la communication sociale « tous les hommes participent aux affaires de l'humanité tout entière » (ibid., 19).



Je vous assure que dans la mesure où vous poursuivrez cet idéal, l'Église sera toujours à vos côtés parce que cet idéal est également le sien. Elle aime la vérité et la liberté : liberté de connaître la vérité, de la prêcher, de la communiquer à autrui.



Le moment est venu de nous saluer et de vous renouveler l'expression de ma gratitude pour les services que vous avez rendus à la diffusion de la vérité qui se manifeste dans le Christ et qui est en train, ces jours-ci, de s'exprimer par des actes de la plus haute importance pour la vie de la Foi dans ces pays latino-américains, si proches de l'Église. Nous nous séparons avec respect et amitié, prêts à être cohérents avec nos idéaux les meilleurs. C'est avec grand plaisir que le pape vous salue et vous bénit, sans oublier ni les mass média que vous représentez : journaux, chaînes de télévision ; stations radiophoniques, ni vos propres familles. Pour vous-mêmes et pour eux j'offre fréquemment ma prière.



Que le Seigneur soit avec vous !






31 janvier 1979



POUR QUE LE TRAVAIL CONTRIBUE A LA DIGNITE DE L’HOMME



Jean Paul II aux ouvriers de Monterrey

Le 31 janvier, le pape s'est arrêté à la ville de Monterrey dans le nord du Mexique. Il y a rencontré des travailleurs à qui il s'est adressé.



Travailleurs des champs, employés, et vous surtout, ouvriers de Monterrey,



Merci pour tout ce que j'ai pu voir. Merci pour tout ce que j'ai pu entendre. A tous et à chacun de vous, mille et mille merci.

En frère, en ami, en compagnon





Je vous suis cordialement reconnaissant pour cet accueil si chaleureux dans votre cité industrielle de Monterrey. C'est là que se passe votre existence et que s'accomplit votre travail quotidien pour gagner votre pain et le pain de vos enfants. Elle est aussi le témoin de vos peines et de vos aspirations. Elle est votre oeuvre, oeuvre de vos mains et de votre intelligence et, en ce sens, le symbole de votre fierté de travailleurs et un signe d'espérance en un progrès nouveau et une vie de plus en plus humaine. Je suis heureux de me trouver parmi vous en frère et en ami, en compagnon de travail, dans cette ville de Monterrey qui est, pour le Mexique, ce qu'est Nueva Hulta pour ma lointaine et chère Cracovie. Je n'oublie pas les années difficiles de ta guerre mondiale, durant lesquelles j'ai moi-même fait l'expérience directe d'un travail physique comme le vôtre, d'une fatigue quotidienne, de sa sujétion, de sa pesanteur et de sa monotonie.



J'ai partagé les besoins des travailleurs, leurs justes exigences et leurs légitimes aspirations. Je sais bien que le travail ne doit absolument pas entraîner de spoliation ni des frustrations mats qu'il doit, au contraire, correspondre à la dignité supérieure de l'homme. Je puis témoigner d'une chose : « à l'heure des plus grandes épreuves, le peuple de Dieu a trouvé une lumière plus forte que les ténèbres et une espérance inébranlable dans sa foi en Dieu, dans sa confiance en la Vierge Marie, Mère de Dieu, dans la communauté ecclésiale unie autour de ses pasteurs. Je sais que je parle ici à des travailleurs conscients de leur condition de chrétien et qui veulent vivre cette condition avec toutes les énergies et conséquences. Aussi le pape désire-il vous soumettre quelques réflexions qui ont trait à votre dignité d'homme et de fils de Dieu.

Homme et fils de Dieu





De cette double source jaillira la lumière qui donnera forme à votre vie personnelle et sociale. En effet si l'esprit du Christ habite en nous, nous devons nous soucier en tout premier lieu de ceux qui n'ont pas suffisamment de nourriture, de vêtements, de moyens d'existence et qui n'ont pas accès aux biens de la culture. Du fait qu'il est la source de notre propre subsistance, le travail est une collaboration avec Dieu dans le perfectionnement de la nature ; il est un service rendu à nos frères qui ennoblit l'homme ; les chrétiens ne sauraient se désintéresser du problème du chômage forcé de tant d'hommes et de femmes, surtout des jeunes et des chefs de famille que le manque de travail conduit au découragement et au désespoir. Ceux qui ont le bonheur d'avoir dû travail aspirent à pouvoir le faire dans des conditions plus humaines, plus sûres, et à participer plus équitablement au fruit de l'effort commun qu'il s'agisse du salaire, de la sécurité sociale ou des possibilités de développement culturel et spirituel. Ils demandent à être traités comme des hommes libres et responsables, appelés à prendre part aux décisions qui concernent leur vie et leur avenir. Ils ont un droit fondamental : celui de créer librement des organisations destinées à défendre et promouvoir leurs intérêts et à contribuer efficacement au bien commun. La tâche est immense et complexe. Elle est rendue encore plus compliquée aujourd'hui par la crise économique mondiale, par le désordre des organismes commerciaux et financiers injustes, par l'épuisement rapide de certaines ressources, par les risques de contamination irréversible du milieu physique.

A réalités nouvelles, attitude nouvelle





Les peuples latino-américains exigent avec raison, pour participer réellement à l'effort solidaire de l'humanité, qu'on leur restitue leurs justes et propres droits sur les biens que la nature leur a donnés et que l'on crée les conditions générales qui leur permettent d'atteindre un développement conforme à leur propre mentalité, un développement auquel puissent prendre part tous, les groupes humains qui les composent. Des innovations hardies et transformatrices se révèlent indispensables pour qu'il soit possible de surmonter les graves injustices héritées du passé et de relever victorieusement  le défi des prodigieuses transformations de l'humanité.



A tous les niveaux, national et international et de la part de tous les groupes sociaux, de tous les systèmes, les réalités nouvelles exigent des aptitudes nouvelles. La dénonciation unilatérale « de l'autre » et le facile prétexte d'idéologies étrangères, quelles qu'elles soient, sont des alibis toujours plus ridicules. Si l'humanité veut contrôler une évolution qui lui échappe des mains, si elle veut se soustraire aux tentations matérialistes qui gagnent du terrain dans une fuite désespérée en avant, si l'on veut assurer aux hommes et aux peuples un développement authentique, il importe de réviser radicalement les concepts de progrès qui, sous des noms divers, ont laissé s'atrophier les valeurs, spirituelles.

L'Église offre son aide





L'Église offre son aide. Elle ne craint pas de dénoncer vigoureusement les attentats à la dignité humaine. Mais elle garde l'essentiel de ses énergies pour aider les hommes et les groupes humains, les chefs d'entreprise et les travailleurs, à prendre conscience des immenses réserves de bonté qu'ils ont en eux-mêmes, qu'ils ont déjà fait fructifier durant leur histoire et qui doivent aujourd'hui donner de nouveaux fruits.



Le mouvement ouvrier auquel l'Église et les chrétiens ont apporté une contribution originale et variée, spécialement dans ce continent, a sa juste part de responsabilité dans la construction d'un nouvel ordre mondial. Il a recueilli les aspirations communes à la liberté et à la dignité. Il a développé les valeurs de solidarité, de fraternité et d'amitié. Dans l'expérience communautaire, il a suscité des formes originales d'organisation, améliorant de manière substantielle le sort de nombreux ouvriers et, même si l'on refuse souvent de le dire, il a aidé à laisser des traces dans le monde industriel, Il devra, en s'appuyant sur ce passé, engager sa propre expérience à la recherche de nouvelles voies et contribuer de manière encore plus décidée à construire l'Amérique latine de demain.



Il y a dix ans que mon prédécesseur Paul VI est allé en Colombie. Il voulait apporter la consolation du Père commun aux populations de l'Amérique latine. Il voulait montrer à l'Église universelle la richesse de ce continent. Quelques années plus tard, célébrant le quatre-vingtième anniversaire de la première encyclique sociale Rerum Novarum, il écrivait : « L'enseignement social de l'Église soutient de tout son dynamisme les hommes dans leur recherche. Même si elle n'intervient pas pour donner de l'authenticité à une structure déterminée ou pour proposer un modèle préfabriqué, elle ne se limite pas à rappeler simplement quelques principes. Cet enseignement évolue grâce à une réflexion mûrie au contact des situations changeantes, sous l'impulsion de l'Évangile comme source de renouvellement, du moment que son message est accepté dans sa totalité et dans ses exigences. Il se développe avec la sensibilité propre de l'Église caractérisée par une volonté désintéressée de service et une attention aux plus pauvres. Il se nourrit enfin d'une expérience riche de nombreux siècles qui lui permet d'assumer dans la continuité de ses préoccupations permanentes l'audacieuse innovation créatrice que requiert la situation actuelle du monde ». Ce sont les paroles de Paul VI.

Le problème des migrants





Chers amis, par fidélité à ces principes, l'Église veut, aujourd'hui, attirer l'attention sur un grave phénomène de grande actualité : le problème des migrants. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur la situation de millions d'hommes qui, dans leur recherche de travail et de pain, doivent abandonner leur patrie et bien souvent leur famille et affronter les difficultés d'un nouveau milieu pas toujours agréable et accueillant, une langue inconnue et des conditions générales qui les plongent dans la solitude et parfois provoquent un isolement absolu pour eux-mêmes, leur femme et leurs enfants ; quand on n'arrive pas jusqu'à profiter de ces circonstances pour offrir des salaires plus bas, réduire les bénéfices de la sécurité et de l'assistance sociales et proposer des logements indignes de la personne humaine. Il y a des cas où le critère mis en pratique consiste à tirer le plus grand rendement possible du travailleur émigré, sans aucune considération pour sa personne. En présence de ce phénomène, l'Église ne cesse de proclamer que le critère à suivre en ce domaine comme en d'autres est, non pas de faire prévaloir l'économique, le social, le politique sur l'homme, mais bien — et au contraire — de placer la dignité de la personne humaine au-dessus de toute chose : tout le reste doit être conditionné par cette attitude.

Appel pour plus de dignité et d'amour





Nous créerions un monde vraiment peu habitable si nous n'avions que le seul souci de posséder plus, sans penser avant tout et en premier lieu à la personne du travailleur, à sa qualité d'être humain et fils de Dieu, appelé à une vocation éternelle, ni avoir l'idée de l'aider à être plus.



Il est évident, d'autre part, que le travailleur a des devoirs à accomplir loyalement, faute de quoi il ne saurait exister un ordre social juste.



Aux pouvoirs publics, aux chefs d'entreprise et aux travailleurs, j'adresse de toutes mes forces un appel pour les inciter à réfléchir sur ces principes et à en déduire les lignes de conduite qui s'imposent. Les exemples ne manquent pas — il faut le reconnaître — de gens qui mettent admirablement en pratique ces principes de la doctrine sociale de l'Église. Je m'en réjouis. Je loue ces employeurs et j'encourage à imiter leur exemple. La cause de la coexistence et de la fraternité entre groupes sociaux et nationaux y trouvera largement son avantage. L'économie elle-même y gagnera. Mais y gagnera surtout la cause de l'humanité.

Dieu vous aime





Mais ne nous arrêtons pas seulement à l'homme. Le pape vous apporte également un autre message. Un message qui s'adresse à vous, travailleurs du Mexique et de l'Amérique latine : ouvrez-vous à Dieu. Dieu vous aime. Le Christ vous aime. La Mère de Dieu, la Vierge Marie, vous aime. L'Église et le pape vous aiment et vous invitent à suivre la force irrésistible de l'amour qui peut tout surmonter et construire. Quand, il y a près de deux mille ans, Dieu nous envoya son Fils, il n'avait pas attendu que les efforts humains aient d'abord éliminé tous les genres d'injustice. Jésus-Christ est venu partager notre condition humaine avec ses souffrances, avec ses difficultés, avec sa mort. Avant de transformer l'existence quotidienne, il sut parler au coeur des pauvres, les libérer du péché, ouvrir leurs yeux à un horizon de lumière et les combler de joie et d'espérance. C'est encore cela que fait aujourd'hui Jésus-Christ, présent dans vos églises, dans vos familles, dans vos coeurs, dans toute votre vie. Ouvrez-lui toutes les portes. Tous unis en ce moment, célébrons avec joie l'amour de Jésus et de sa Mère. Personne n'est exclu et moins encore les plus déshérités, parce que cette joie vient du Christ et n'insulte aucune peine. Elle a la saveur et la chaleur de l'amitié de celui qui a souffert plus que nous ; qui mourut pour nous sur une croix, qui nous prépare une demeure éternelle à ses côtés et qui, déjà en cette vie, proclame et affirme notre dignité d'hommes, de fils de Dieu.



Je me trouve ici avec des amis ouvriers et je voudrais m'entretenir bien plus longuement avec vous. Mais je dois conclure.



A vous tous ici présents, à vos compagnons du Mexique et à tous vos compatriotes qui travaillent loin de leur patrie, à tous les ouvriers de l'Amérique latine, je laisse un salut d'amitié, ma bénédiction et mon souvenir.



A tous, à vos enfants et à vos familles, mon étreinte fraternelle.






31 janvier 1979



MESSAGE DU PAPE AUX EVEQUES DE L'AMERIQUE CENTRALE ET DES ANTILLES



Avant de quitter le Mexique

Avant son départ du Mexique, le 31 janvier, Jean Paul II a adressé à l'épiscopat centre-américain et antillais un message :



Chers frères,



Avant de quitter la terre mexicaine, j'éprouve le besoin de vous adresser, à vous et, par votre intermédiaire, à tous les fidèles confiés à vos soins pastoraux, un paternel salut.



Je vous salue tout en ressentant la tristesse de n'avoir pu rendre visite à ces chers fils, alors que j'étais si peu éloigné de vos pays.



Une tristesse qui se traduit en une expression plus profonde d'amour.



Dites-leur que durant les jours qu'il a vécus dans le nouveau continent, le pape a beaucoup pensé à eux et a beaucoup prié pour eux.



La proximité physique due à ma visite à Mexico m'a fait ressentir plus vivement l'affection et l'intérêt que je porte à toute l'Amérique latine et, durant ma brève étape à Saint-Domingue je me suis souvenu tout particulièrement et avec grand amour de l'archipel des Antilles.



Maintenant que je pense plus spécialement à vous, il me revient en mémoire le souvenir des catastrophes naturelles qui ont frappé récemment vos pays, surtout le Nicaragua et le Guatemala. Rendons grâces à Dieu de ce que le processus de reconstruction continue à se réaliser de manière satisfaisante.



Si vous pouviez savoir combien le pape désire que les populations soient comprises dans toute leur dimension d'êtres humains et que les autorités qui en ont la faculté et le pouvoir les exercent avec authentique justice, ce qui est la condition de la paix et du progrès des peuples !



Le pape retourne à Rome, mais ses paroles demeurent avec vous : qu'elles vous stimulent à poursuivre votre travail dans un effort chaque jour renouvelé pour que votre grand amour de la patrie s'exprime par votre engagement en faveur du bien et de la coexistence fraternelle de cette grande famille qui compose tous et chacun des pays du continent américain.



En donnant la bénédiction aux évêques, et par eux à tous les peuples de cette terre, le pape désire consolider, accroître et rendre plus étroits ces liens qui se sont établis grâce à son ministère pastoral.



Loué soit le Dieu Tout-Puissant qui nous a permis, en raison de la conférence de l'épiscopat latino-américain, de situer pour quelques jours le centre de l'Église dans les terres américaines, quelques jours si importants pour le présent et l'avenir de l'évangélisation dans ce grand et bien-aimé continent.






31 janvier 1979



UNIS DANS LA SOLIDARITE DE L'AMOUR



Aux chrétiens des Bahamas

Au cours d'une escale technique à l'aéroport de Nassau, le pape a adressé un discours aux autorités et à la population venues l'accueillir à son passage.



Je vous suis reconnaissant de votre accueil. C'est une grande joie pour moi, sur ma route de retour à Rome, d'avoir la possibilité de m'arrêter à Nassau — ce m'est une grande joie de rencontrer le bien-aimé peuple des Bahamas.



Mon premier salut va aux autorités de cette jeune nation qui vient d'acquérir son indépendance. Vous avez aimablement facilité ma visite et je désire vous assurer de ma cordiale gratitude. Je vous assure également de mes prières en faveur de votre fidèle accomplissement des hautes charges que vous êtes appelés à remplir au service de tous les hommes et de toutes les femmes de cette nation.



Puisque je me trouve ce soir au milieu de vous, c'est l'occasion pour moi de formuler les meilleurs voeux pour la population entière des Bahamas. Mon espoir pour chacun d'entre vous est qu'il réalise un progrès constant en vue d'une promotion humaine intégrale. Dans une profonde conviction de l’éminente dignité de la personne humaine, puisse toute la population de ces îles apporter la contribution unique de chaque individu au bien commun, ce qui comporte la prise en compte des droits et des devoirs personnels de tous les citoyens.



Être avec vous, c'est aussi partager l'espoir qu'en qualité de nation souveraine dans la famille des nations, vous pourrez apporter votre contribution spécifique à la société ; que vous pourrez aider à construire l'édifice de la paix dans le monde sur les solides colonnes de la vérité et de la justice, de la charité et de la liberté. Et que Dieu bénisse tous vos efforts, qu'il vous aide à remplir ce rôle important pour le bien de cette génération et de celles qui suivront.



Cette rencontre est une excellente occasion pour moi d'adresser un salut spécial à tous les fils et à toutes les filles de l'Église catholique. Je vous assure de mon affection en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ et je suis sûr que ma présence est une indication réelle pour vous des liens profonds de foi et de charité qui vous unissent aux catholiques, partout dans le monde. Je prie pour que vous puissiez trouver force et joie dans cette solidarité et cette amitié, et pour que vous donniez avec persévérance le témoignage de votre foi par l'authenticité de votre vie de chrétiens. Les paroles de Jésus constituent pour nous tous un défi permanent : « Que votre lumière brille devant les hommes pour qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père des cieux » (Mt 5,16).



Avec grand respect et amour fraternel, je désire aussi saluer tous les autres frères chrétiens des Bahamas — tous ceux qui confessent avec nous que « Jésus-Christ est le Fils de Dieu » (l Jn 4,15). Soyez assurés de notre désir de loyale et persévérante collaboration dans le but d'atteindre par la grâce de Dieu l'unité voulue par le Christ Seigneur. L'expression de mon amitié va également à tous les hommes et femmes de bonne volonté qui résident dans cette région de l'océan Atlantique. Comme enfants du même Père des cieux, nous sommes unis dans la solidarité de l'amour et dans la promotion de la plénitude de l'incomparable dignité de la personne.



En ce moment donc, pendant cette courte escale, je ressens l'espoir qui est en chacun de vous, membres de la population des Bahamas — un espoir pour l'avenir et qui est aussi vaste que la mer qui vous entoure. C'est un privilège pour moi de partager avec vous cet espoir et de vous l'exprimer maintenant, dans la confiance que ce sera pour vous un soutien dans tous les efforts que vous entreprenez comme peuple uni. Je demande à Dieu de vous conduire vers le plein accomplissement de votre destinée. Qu'il daigne accorder aux Bahamas de fécondes et durables bénédictions. Qu'il daigne venir en aide aux pauvres, encourager les malades, guider les jeunes et apporter la paix à tous les coeurs.



Que Dieu bénisse les Bahamas, aujourd'hui et pour toujours.







VOYAGE EN POLOGNE


Juin 1979







2 juin 1979



AVANT DE QUITTER ROME





Au moment de quitter le sol aimé d'Italie pour me diriger vers celui également aimé de la Pologne, j'ai la vivante impression que ce voyage se déroule comme entre deux patries et, presque par un contact physique, qu'il sert à les unir encore plus dans mon coeur. Je laisse ma patrie d'élection où la, volonté du Seigneur m'a appelé pour un singulier service pastoral et je me rends dans ma patrie d'origine que j'ai quittée il y a quelques mois ; c'est donc un retour, qui sera suivi sous peu d'un autre retour, après avoir parcouru un itinéraire qui — à l'exemple de mon précédent voyage au Mexique — s'inspire avant tout d'un motif religieux et pastoral.



En effet, c'est l'anniversaire du jubilé de saint Stanislas, évêque et martyr qui guide mes pas : son holocauste pour la foi, survenu il y a neuf siècles, s'inscrit — d'une façon égale au précédent et fondamental « Millénaire de la Pologne » — parmi les plus importants événements historico-religieux de ma terre natale, si bien que depuis longtemps il fut décidé de le commémorer par des célébrations solennelles et appropriées. Et moi qui avais déjà participé à la préparation d'un vaste programme d'animation spirituelle en vue d'une telle date, je ne pouvais manquer à ce rendez-vous avec les miens, et je suis d'autant plus reconnaissant de cette invitation à l’Épiscopat polonais, avec en premier lieu le primat cardinal Stefan Wyszynski.



S'il plaît à Dieu, je rejoindrai d'abord Varsovie, la glorieuse capitale autrefois si éprouvée et maintenant ressuscitée, laborieuse et palpitante de vie. Je visiterai ensuite Gniezno, la ville qui pour la nation polonaise fut le berceau de la foi chrétienne, parce que là fut baptisé le souverain Mieszko en 996, et qu'elle se distingue pour le culte envers le protecteur saint Wojciech ; ensuite le célèbre sanctuaire marial de Czestochowa ; et encore Cracovie, que par une affection immuable je continue à appeler « ma Cité » : antique capitale de la Pologne, elle fut le siège épiscopal du martyr Stanislas et pour moi, à côté de Wadowice, ville de ma jeunesse et champ d'un apostolat de trente ans. A Cracovie prend relief le motif, je dirai, personnel du présent voyage, parce que là je rencontrerai l'Église de laquelle je proviens.



Mais il s'y trouve aussi un motif international et à ce sujet, je désire rappeler le message si prévenant et délicat, qui m'est arrivé de la part du professeur Henryk Jablonsky, président du Conseil d'État de la république populaire de Pologne qui, également au nom du Gouvernement polonais a voulu m'exprimer la satisfaction de l'entière communauté nationale pour le « fils du peuple polonais » qui, appelé à la direction de l'Église universelle, se prépare à visiter la mère-patrie. Ce geste m'a été et reste encore un motif de grande satisfaction. Pour cela, je renouvelle ma plus sincère estime aux autorités de l'État polonais, tandis que je confirmé ce que j'ai exprimé dans ma lettre de réponse, c'est-à-dire mon attachement aux causes de la paix, de la coexistence et de la coopération entre les nattons ; le souhait que ma visite raffermisse l'unité intérieure parmi mes compatriotes très aimés et serve également à un ultérieur développement des rapports entre l'État et l'Église.



C'est avec ces sentiments et ces pensées que je me dispose à partir, emportant avec moi le voeu même de mon prédécesseur Paul VI. Je garde avec moi l'image de vos personnes, autorités et vous tous Messieurs qui, avec tant d'amabilité — dont je vous suis sincèrement reconnaissant — êtes venus me présenter vos salutations et vos voeux.

Par-dessus tout j'emporte avec moi le lien d'affection qui m'unit à la chère Italie et à ses citoyens.






2 juin 1979



A SON ARRIVEE A VARSOVIE





1. Je vous remercie vivement des salutations que vous venez de m'adresser, au début de mon séjour en Pologne. Je vous remercie de ce que vous avez voulu dire au sujet du Siège apostolique et aussi de ma personne. En vos mains, Monsieur le Présidence dépose l'expression de mon estime pour les autorités de l'État, et je renouvelle une fois encore mes sentiments de cordiale reconnaissance pour l'attitude bienveillante qui a été adoptée envers ma visite en Pologne, « patrie aimée de tous les Polonais », ma patrie.



Je voudrais rappeler ici encore une fois la lettre courtoise que j'ai reçue de vous en mars dernier, par laquelle vous avez voulu, en votre nom personnel et au nom du Gouvernement de la république populaire de Pologne, exprimer votre satisfaction pour le fait que « le fils de la nation polonaise appelé à la dignité suprême dans l'Église » désirait visiter la patrie. C'est avec gratitude que je rappelle ces paroles. En même temps, j'aime répéter ce que j'ai déjà fait connaître : que ma visite a été dictée par des motifs strictement religieux. Je souhaite vivement aussi que mon présent voyage en Pologne puisse servir la cause du rapprochement et de la collaboration entre les nations ; qu'il serve à la compréhension réciproque, à la réconciliation et à la paix dans le monde contemporain. Je désire enfin que le fruit de cette visite soit l'unité interne de mes compatriotes et aussi un développement ultérieur favorable des relations entre l'État et l'Église dans ma patrie tant aimée.



Éminentissime cardinal primat de Pologne,



Je vous remercie de vos paroles de bienvenue qui me sont particulièrement chères eu égard à la personne qui les a prononcées et aussi en pensant à l'Église en Pologne dont elles expriment les sentiments et les pensées.



Je voudrais répondre à ces paroles en vous servant selon le programme prévu, pendant ce séjour que la Providence divine et votre cordiale bienveillance me permettent de passer en Pologne.



Très chers frères et soeurs, chers compatriotes,



2. J'ai embrassé le sol polonais sur lequel j'ai grandi : la terre de laquelle — par un dessein insondable de la Providence — Dieu m'a appelé à la chaire de Pierre à Rome ; la terre sur laquelle j'arrive aujourd'hui en pèlerin.



Permettez-moi donc de m'adresser à vous pour vous saluer tous et chacun avec le même salut que j'ai adressé, le 16 octobre de l'année dernière, à tous ceux qui étaient présents sur la place Saint-Pierre : Loué soit Jésus-Christ !



3. Je vous salue au nom du Christ, comme j'ai appris à saluer les gens ici, en Pologne :



— en Pologne, ma terre natale, à laquelle je demeure profondément attaché par les racines de ma vie, de mon coeur, de ma vocation ;



— en Pologne, ce pays dans lequel, comme l'a écrit le poète Cyprien Norwid, « on recueille, par respect pour les dons du ciel, la moindre miette de pain tombée à terre... », où le premier salut est comme une permanente confession du Christ : « Loué soit Jésus-Christ !



— en Pologne qui, par son histoire millénaire, appartient à l'Europe et à l'humanité contemporaine ;



— en Pologne qui s'est attachée tout au long de son histoire à l'Église du Christ et au siège romain par un lien particulier d'union spirituelle.



4. Oh, frères et soeurs très aimés, oh, chers compatriotes !



J'arrive vers vous en tant que fils de cette terre, de cette nation, en en même temps — par un dessein insondable de la Providence — comme successeur de saint Pierre sur le siège de Rome.



Je vous remercie de ne pas m'avoir oublié et de ne pas cesser, depuis le jour de mon élection, de m'aider par vos prières, en me manifestant en même temps tant de bienveillance humaine.



Je vous remercie de m'avoir invité.



Je salue et j'embrasse avec affection tout homme qui vit sur la terre polonaise.



Je salue aussi tous les hôtes qui sont venus de l'extérieur pour ces journées et d'une manière particulière les représentants de l’émigration polonaise du monde entier.



5. Quels sentiments ne suscitent pas dans mon coeur la mélodie et les paroles de l'hymne national (que nous venons d'écouter avec tout le respect qui convient !). Je vous remercie parce que ce Polonais, qui vient aujourd'hui « de la terre italienne à la terre polonaise » (hymne national polonais), est accueilli au seuil de son pèlerinage en Pologne par cette mélodie et par ces paroles dans lesquelles s'est toujours exprimée l'inlassable volonté de la nation de vivre : « tant que nous vivons » (hymne national polonais).



Je désire que mon séjour en Pologne contribue à renforcer cette inlassable volonté de mes compatriotes de vivre sur la terre qui est notre commune mère et notre commune patrie. Qu'il serve au bien de tous les Polonais, de toutes les familles polonaises, de la nation et de l'État.



Puisse ce séjour, je veux le répéter encore une fois, être bénéfique pour la grande cause de la paix, pour la coexistence amicale des nations et pour la justice sociale.






2 juin 1979



A VARSOVIE : A LA CATHEDRALE





Loué soit Jésus-Christ !



1. Au commencement de mon pèlerinage à travers la Pologne, je salue l'Église de Varsovie rassemblée dans sa cathédrale : je salue la capitale et l'archidiocèse.



Je salue cette Église dans la personne de son évêque, le primat de Pologne.



Saint Ignace d'Antioche avait déjà célébré l'unité que l'Église trouve dans son évêque. La doctrine de ce grand Père apostolique et de ce grand martyr est passée dans la Tradition. Elle a eu une résonance ample et puissante dans la constitution Lumen Gentium du concile Vatican II.



Cette doctrine a trouvé une magnifique application ici précisément : à Varsovie, dans l'Église de Varsovie. D'une telle unité, le cardinal primat est devenu une clé de voûte particulière. La clé de voûte est ce qui structure l'arc, ce qui reflète la force des fondements de l'édifice. Le cardinal primat manifeste la force du fondement de l'Église qui est Jésus-Christ. C'est en cela que consiste sa force. Le cardinal primat enseigne, depuis plus de trente ans, que cette force, il la doit à Marie, Mère du Christ. Tous, nous savons bien que grâce à Marie on peut faire resplendir la force de ce fondement, qui est le Christ et que l'on peut devenir efficacement clé de voûte de l'Église.



Voilà ce que nous enseignent la vie et le ministère du primat de Pologne.



C'est lui la clé de voûte de l'Église de Varsovie et la clé de voûte de toute l'Église de Pologne. En cela consiste la mission providentielle qu'il remplit depuis plus de trente ans. Je veux le dire, en ce début de mon pèlerinage, ici, dans la capitale de la Pologne, et je désire encore une fois, avec toute l'Église et la nation, en remercier la très Sainte Trinité. L'Église, en effet, dans toutes ses dimensions dans le temps et dans l'espace, dans ses dimensions géographiques et historiques, tire son unité de l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit, comme nous l'a rappelé encore le Concile (Lumen Gentium, LG 4).



2. C'est donc au nom de la très Sainte Trinité que je désire saluer tous ceux qui forment cette Église dans la communion de leur évêque, le primat de Pologne. Les évêques : le vétéran, Mgr Wenceslas, Mgr Georges, Mgr Bronislas, secrétaire de la conférence épiscopale polonaise, Mgr Ladislas et Mgr Sbigniew, le chapitre métropolitain, tout le clergé diocésain et religieux, les soeurs de toutes les congrégations, le séminaire, l'institution académique ecclésiastique, qui est la continuation de la faculté de théologie de l'université de Varsovie.



Je désire aussi — en union avec l'archevêque de l'Église de Varsovie — regarder et embrasser de la manière la plus totale toute la communauté du peuple de Dieu représenté par presque trois millions de laïcs.



L'Église est présente « dans le monde » grâce aux laïcs. Je désire donc vous embrasser, vous tous qui formez l'Église pérégrinante ici même, en terre polonaise, à Varsovie, en Masovie.



Vous, pères et mères de famille, vous qui êtes seuls, vous, personnes âgées, vous, jeunes et enfants !



Vous qui travaillez la terre, qui travaillez dans l'industrie, dans les bureaux, dans les écoles, dans les athénées, dans les hôpitaux, dans les instituts culturels, dans les ministères et en quelque lieu que ce soit. Hommes de toutes les professions qui construisez par votre travail la Pologne contemporaine, héritage aimé, héritage qui n'est pas facile, grande responsabilité ; « grand devoir communautaire » pour nous Polonais, la patrie (C.K. Norwid).

Vous tous qui êtes en même temps l'Église, cette Église de Varsovie. Vous qui confirmez le droit de cité millénaire de cette Église dans la vie actuelle de la capitale, de la nation, de l'État.



3. En union avec l'Église archidiocésaine, je salue aussi tous les évêques suffragants du métropolitain de Varsovie, les Ordinaires de Lodz, de Sandomierz, de Lublin, de Siedice, de Warmia et de Plock, leurs évêques auxiliaires et les représentations des diocèses.



4. La cathédrale de Varsovie, dédiée à saint Jean Baptiste, a été presque complètement détruite pendant l'insurrection. Celle dans laquelle nous nous trouvons est un édifice totalement nouveau. C'est aussi un signe de vie nouvelle, polonaise et catholique, qui trouve son centre dans la cathédrale. C'est le signe de ce que le Christ a dit autrefois : Détruisez ce temple et, en trois jours. Je le rebâtirai (Jn 2,19).



Frères et soeurs très aimés !



Chers compatriotes !



Vous savez que je viens ici, en Pologne, pour le neuvième centenaire du martyre de saint Stanislas. Il est, entre autres, le patron principal de l’archidiocèse de Varsovie. C'est donc ici, à Varsovie, que je commence à le vénérer, au cours de la première étape de mon pèlerinage jubilaire.



Lui qui était autrefois évêque de Cracovie (qui a été durant tant de siècles la capitale de la Pologne), il semble qu'il ait dit de lui-même au roi Boleslas : « Détruis cette Église et le Christ, au long des générations — la reconstruira. » Et il le dit « du temple de son corps » (Jn 2,21).



C'est sous ce signe de la construction nouvelle et de la vie nouvelle, qui est le Christ et qui vient du Christ, que je vous rencontre aujourd'hui, bien-aimés, et je vous salue en tant que premier pape issu de la souche polonaise, au seuil du second millénaire du baptême et de l'histoire de la nation. :



« Le Christ... ne meurt pas, sur lui, la mort n'a plus de pouvoir » (Rm 6,9).






2 juin 1979



A VARSOVIE : AUX AUTORITES CIVILES





Messieurs,



Monsieur le Premier Secrétaire,



1. « Une Pologne prospère et sereine sert aussi l'intérêt dé la tranquillité et de la bonne collaboration entre les peuples d'Europe. » Je me permets de commencer par ces paroles prononcées par l'inoubliable Paul VI dans sa réponse à votre discours, Monsieur le Premier Secrétaire, pendant votre rencontre au Vatican le 1er décembre 1977 (O.R. du 2 décembre 1977). Je suis convaincu que ces paroles constituent le meilleur point de départ pour ma réponse à votre discours d'aujourd'hui que nous avons tous écouté avec la plus profonde attention. En vous répondant, je désire cependant avant tout vous remercier de toutes les paroles bienveillantes adressées aussi bien au Siégé apostolique qu'à moi-même. J'y ajoute aussi un remerciement aux Autorités d'État de la république populaire de Pologne pour leur attitude si aimable face à l'invitation de l’épiscopat polonais qui exprime la volonté de la société catholique de notre patrie et qui m'ont aussi ouvert pour leur part les portes de la terre natale. Je renouvelle mes remerciements, et je les étends en même temps, en ayant présent à l'esprit tout ce dont je suis devenu débiteur, aux divers organes des Autorités centrales et locales, étant donné leur contribution à la préparation et à la réalisation de cette visite.



2. En passant le long des rues dé Varsovie, si chère à tous les coeurs polonais, je ne pouvais résister à l'émotion en pensant à l'itinéraire historique, grand mais aussi douloureux, que cette cité a parcouru au service tout à la fois de l'histoire et de notre nation. Les boucles les plus remarquables de ce parcours constituent le palais du Belvédère et surtout le château royal qui est en reconstruction. Ce dernier possède une éloquence vraiment particulière. Les siècles y parlent de l'histoire de la patrie, depuis que la capitale de l'État a été transférée de Cracovie à Varsovie. Siècles particulièrement difficiles et particulièrement chargés de responsabilités. Je veux exprimer ma joie, bien plus, je veux exprimer mes remerciements pour tout cela et pour ce que le château représente, lui qui a été réduit en ruines — comme presque tout Varsovie — pendant l'insurrection et qui se reconstruit rapidement comme un symbole de l'État et de la souveraineté de la patrie.



Ce fait que la raison d'être de l'État est la souveraineté de la société, de la nation, de la patrie, nous autres Polonais, nous le ressentons de manière particulièrement profonde. Nous l'avons longuement appris tout au cours de notre histoire et spécialement à travers les dures épreuves historiques des derniers siècles. Nous ne pouvons jamais oublier la terrible leçon historique qu'a été la perte de l'indépendance de la Pologne depuis la fin du XVIII° siècle jusqu'au début de celui-ci. Cette expérience douloureuse et, dans son essence, négative, est devenue comme un creuset où s'est forgé à nouveau le patriotisme polonais. Le mot « Patrie » a pour nous une telle signification, intellectuelle et en même temps affective, qu'on dirait que les autres nations de l'Europe et du monde ne la connaissent pas, particulièrement celles qui n'ont pas expérimenté, comme notre nation, les ravages, les injustices et les menaces de l'histoire. Et c'est pourquoi la dernière guerre mondiale et l'occupation que la Pologne a vécue furent pour notre génération une si grande secousse encore maintenant que la guerre est finie sur tous les fronts depuis trente-cinq ans. A ce moment, une nouvelle période de l'histoire de notre patrie a commencé. Nous ne pouvons pas cependant oublier tout ce qui a influé sur les expériences de la guerre et de l'occupation ; nous ne pouvons pas oublier le sacrifice de leur vie qu'ont fait tant d'hommes et de femmes de Pologne. Nous ne pouvons pas non plus oublier l'héroïsme du soldat polonais qui a combattu sur tous les fronts du monde « pour notre liberté et pour la vôtre ».



Nous avons du respect et de la reconnaissance pour toute aide que nous avons alors reçue des autres, tandis que nous pensons avec amertume aux déceptions qui ne nous ont pas été épargnées.



3. Dans les télégrammes et dans les lettres que les plus hauts représentants des Autorités d'État polonaises ont daigné m'envoyer, soit à l'occasion de l'inauguration du pontificat, soit à celle de l'actuelle invitation, revenait la pensée de la paix, de la vie en commun, du rapprochement entre les nations dans le monde contemporain. Le désir exprimé dans cette pensée a évidemment un profond sens éthique. Derrière lui se trouve aussi l'histoire de la science polonaise, à commencer par Paul Wlodkowic. La paix et le rapprochement entre les peuples ne peuvent se construire que sur le principe du respect des droits objectifs de la nation, qui sont : le droit à l'existence, à la liberté, à être un sujet socio-politique et le droit aussi à la formation de sa propre culture et de sa propre civilisation.



Je me permets encore une fois de répéter les paroles de Paul VI qui, dans la rencontre inoubliable du 1er décembre 1977, s'est exprimé en ces termes : « ... Nous ne nous lasserons jamais de travailler encore et toujours, dans la mesure où nos possibilités nous le permettront, à ce que les conflits entre les nations n'éclatent pas ou soient équitable-ment résolus, et pour que soient assurées et améliorées les bases indispensables permettant aux pays et aux continents de vivre ensemble dans la paix, notamment : un ordre économique mondial plus juste, l'abandon de la course à des armements toujours plus menaçants, en particulier les armements nucléaires, comme préparation à un désarmement progressif et équilibré ; le développement de meilleurs rapports économiques, culturels et humains entre les peuples, les individus et les groupes associés » (L'Osservatore romano, 2 décembre 1977, p. 2).



Dans ces paroles s'exprime ta doctrine sociale de l'Église qui, donne toujours son appui au progrès authentique et au développement pacifique de l'humanité ; c'est pourquoi — tandis que toutes les formes du colonialisme politique, économique et culturel demeurent en contradiction avec les exigences de l’ordre international — il faut apprécier toutes les alliances et les pactes qui se fondent sur le respect réciproque et sur la reconnaissance du bien de chaque nation et de chaque État dans le système des relations réciproques. Il est important que les nattons et les État, s'unissant entre eux pour une collaboration volontaire et conforme à ce but, trouvent en même temps dans cette collaboration l'accroissement de leur bien-être et de leur prospérité. C'est précisément un tel système de relations internationales et de telles résolutions entre chacun des États que souhaite le Siège apostolique au nom des principes fondamentaux de la justice et de la paix dans le monde contemporain.



4. L'Église désire servir aussi les hommes dans la dimension temporelle de leur vie et de leur existence. Étant donné que cette dimension se réalise à travers l'appartenance de l'homme à diverses communautés — nationales et d'État, et donc en même temps sociales, politiques, économiques et culturelles — l'Église redécouvre continuellement sa propre mission par rapport a ces secteurs delà vie et de l'action de l'homme. La doctrine du concile Vatican II et des derniers papes le confirme.



En établissant un contact religieux avec l'homme, l'Église le fortifie dans ses liens sociaux naturels. L'histoire de la Pologne a confirmé d'une manière éminente que, dans notre patrie, l'Église a toujours cherché, par diverses voies, a former des fils et des .filles de valeur pour la nation, de bons citoyens et des travailleurs utiles et créateurs dans les divers domaines de la vie Sociale, professionnelle, culturelle. Et cela découle de la mission fondamentale de l'Église qui a toujours et partout l'ambition de rendre l'homme meilleur, plus conscient de sa dignité, plus dévoué à ses engagements familiaux, sociaux, professionnels, patriotiques. De rendre l'homme plus confiant, plus courageux, conscient de ses droits et de ses devoirs, socialement responsable, créateur et utile.



Pour cette activité, l'Eglise ne désire pas de privilèges, mais seulement et exclusivement ce qui est indispensable à l'accomplissement dé sa mission. Et c'est dans cette direction qu'est orientée l'activité de l'épiscopat, conduit depuis déjà plus de trente années par un homme d'une intelligence inhabituelle, le cardinal Stefan Wyszynski, primat de Pologne. Si le Siège apostolique cherche un accord en ce domaine avec les autorités de l'État, il a bien consciente que, outre les motifs concernant la mise en place dès conditions d'une activité intégrale de l'Église, un tel accord correspond aux raisons historiques de la nation dont les fils et les filles, dans leur très grande majorité, sont fils et filles de l'Église catholique. A la lumière de ces prémisses indubitables, nous voyons un tel accord comme un des éléments de l'ordre éthique et international dans l'Europe et dans le monde contemporain, ordre qui provient du respect des droits des nations et des droits de l'Homme. Je me permets donc d'exprimer l'opinion qu'on ne peut pas abandonner les efforts et les recherches dans cette direction.



5. Je me permets aussi d'exprimer ma joie pour tout le bien auquel participent mes compatriotes qui vivent dans notre patrie, de quelque nature que soit ce bien et de quelque inspiration qu'il provienne. La pensée qui engendre le Vrai bien doit porter sur elle un signe de vérité.



Ce bien que constitue tout succès à venir, je désire le souhaiter à la Pologne en très grande abondance et dans tous les secteurs de la vie. Permettez, Messieurs, que je continue à considérer ce bien comme mien et que je ressente la part que j'y prends aussi profondément que si j'habitais encore cette terre et comme si j'étais encore citoyen de cet État.



Et avec la même intensité, peut-être même avec une intensité encore accrue par la distance, je continuerai à ressentir dans mon coeur tout ce qui pourrait menacer la Pologne, ce qui pourrait lui nuire, ce qui pourrait lui porter préjudice, c'est-à-dire tout ce qui pourrait signifier une stagnation ou une crise.



Permettez-moi de continuer à sentir ainsi, à penser ainsi, à former ces souhaits et de prier à cette intention.



C'est un fils de la même patrie qui vous parle.



Est particulièrement proche de mon coeur tout ce qui exprime la sollicitude pour le bien et pour la consolidation de la famille, pour la santé morale de la jeune génération.



Messieurs,



Monsieur le Premier Secrétaire,



Je désire vous renouveler, encore une fois en finissant un cordial remerciement et vous exprimer mon estime pour toutes vos préoccupations ayant pour but le bien commun de nos compatriotes et l'importance qui revient à la Pologne dans la vie internationale, J'ajoute l'expression de ma considération envers vous tous, distingués représentants des Autorités, et envers chacun, d'entre vous en particulier, selon la fonction que vous exercez et selon la dignité que, vous revêtez, comme aussi selon la part importante de responsabilité qui pèse sur chacun de vous devant l'Histoire et devant sa propre conscience.






2 juin 1979



A VARSOVIE : L'HOMELIE PLACE DE LA VICTOIRE





Chers compatriotes, Frères et soeurs très chers,



Vous tous qui participez au Sacrifice eucharistique que nous célébrons aujourd'hui à Varsovie, sur la place de la Victoire.



1. Avec vous, je voudrais chanter un hymne de louange à la divine Providence qui me permet de me trouver ici en qualité de pèlerin.



Nous savons que Paul VI, récemment disparu — premier pape pèlerin depuis tant de siècles — désirait ardemment fouler le sol polonais et en particulier venir à Jasna Gora (Clair-Mont). Jusqu'à la fin de sa vie, il a conservé ce désir dans son coeur et il est descendu dans la tombe avec lui. Et nous sentons maintenant que ce désir — si puissamment et si profondément enraciné qu'il a survécu à son pontificat — se réalise aujourd'hui et d'une façon que l'on pouvait difficilement prévoir. Remercions donc la divine Providence d'avoir donné à Paul VI un désir aussi fort. Et remercions-la pour ce style de pape-pèlerin qu'il a instauré avec le concile Vatican II. En effet, lorsque l’Église entière eut pris conscience d'une manière renouvelée d'être le peuple de Dieu, un peuple qui participe à la mission du Christ, un peuple qui traverse l'histoire avec cette mission, un peuple « en marche », le pape ne pouvait plus rester prisonnier du Vatican. Il devait devenir à nouveau le Pierre pérégrinant, comme le premier du nom qui, de Jérusalem et en passant par Antioche, était arrivé à Rome pour y donner au Christ un témoignage scellé de son propre sang.



Ce désir du défunt pape Paul VI, il m'est donné aujourd'hui de l'accomplir parmi vous, très chers fils et filles de ma patrie. En effet, lorsque — par un dessein insondable de la divine Providence, après la mort de Paul VI et le bref pontificat d'à peine quelques semaines de mon prédécesseur immédiat Jean Paul Ier — je fus appelé, par le vote des cardinaux, de la chaire de Saint-Stanislas à Cracovie à celle de Saint-Pierre à Rome, j'ai compris immédiatement qu'il était de mon devoir d'accomplir ce voeu, cette année où l'Église en Pologne célèbre le IXe centenaire de la mort de saint Stanislas, n'est-il pas un signe particulier de notre pèlerinage polonais à travers l'histoire de l'Église, non seulement au long des routes de notre patrie mais aussi au long de celles de l'Europe et du monde ? Laissant de côté ma propre personne, je n'en dois pas moins me poser avec vous tous la question concernant le motif pour lequel c'est justement en 1978 (après tant de siècles, d'une tradition bien établie dans ce domaine) qu'a été appelé sur la chaire de Saint-Pierre un fils de la nation polonaise, de la terre polonaise. Le Christ exigeait de Pierre et des autres Apôtres qu'ils fussent ses « témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). En nous référant donc à ces paroles du Christ, n'avons-nous pas le droit de penser que la Pologne est devenue, en notre temps, une terre d'un témoignage particulièrement lourd de responsabilité ? Que d'ici précisément — de Varsovie et aussi de Gniezno, de Jasna Gora, de Cracovie, de tout cet itinéraire historique que j'ai, tant de fois parcouru dans ma vie et que je suis heureux de parcourir à nouveau ces jours-ci — il faut annoncer le Christ avec une singulière humilité, mais aussi avec conviction. Que c'est précisément ici qu'il faut venir, sur cette terre, sur cet itinéraire, pour relire le témoignage de sa croix et de sa résurrection. Mais si nous acceptons tout ce que je viens d'oser affirmer, combien grands sont les devoirs et les obligations qui en découlent ! Sommes-nous capables d'y répondre ?



2. Il m'est donné aujourd'hui, en cette première étape de mon pèlerinage papal en Pologne, de célébrer le Sacrifice eucharistique à Varsovie, sur la place de la Victoire. La liturgie de ce samedi soir, veille de la Pentecôte, nous transporte au Cénacle de Jérusalem, où les Apôtres — réunis autour de Marie, Mère du Christ — recevront, le jour suivant, l’Esprit-Saint. Ils recevront l'Esprit que le Christ, à travers sa croix, a obtenu pour eux afin que dans la force de cet Esprit ils puissent accomplir son commandement. « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28,19-20). Par ces paroles, le Christ Seigneur, avant de quitter ce monde, à transmis aux Apôtres son ultime recommandation, son « mandat missionnaire ». Et il a ajouté : « Et moi, je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20).



C'est une bonne chose que mon pèlerinage en Pologne, à l'occasion du IXe centenaire du martyre de saint Stanislas, tombe dans la période de la Pentecôte, et en la solennité de la Sainte Trinité. Je puis ainsi, accomplissant le désir posthume de Paul VI, vivre encore une fois le millénaire du baptême en la terre polonaise et inscrire le jubilé de saint Stanislas de cette année dans ce millénaire qui rappelle le début de l’histoire de la nation et de l'Église. Et justement la solennité de la Pentecôte et celle de la Sainte Trinité nous rapprochent de ce commencement. Dans les Apôtres qui reçoivent l'Esprit-Saint au jour de la Pentecôte sont déjà en quelque sorte spirituellement présents tous leurs successeurs, tous tes évoques, y compris ceux qui ont eu la charge, depuis mille ans, d'annoncer l'Évangile en terre polonaise. Y compris ce Stanislas Szczepanow qui a payé de son sang la mission sur la chaire de Cracovie il y a neuf siècles.



Et ce ne sont pas seulement les représentants des peuples et des langues énumérés par le livre des Actes des Apôtres qui sont réunis le jour de la Pentecôte en ces Apôtres et autour d'eux. Déjà alors se trouvent rassemblés autour d'eux divers peuples et nations qui, par la lumière de l'Évangile et la force de l'Esprit-Saint, entreront dans l'Église au cours des époques et des siècles. Le jour de la Pentecôte est le jour de la naissance de la foi et de l'Église en notre terre polonaise aussi. C'est le début de l'annonce des merveilles du Seigneur, en notre langue polonaise aussi. C'est le début du christianisme dans la vie de notre nation aussi : dans son histoire, dans sa culture, dans ses épreuves.



3a. L'Église à apporté à la Pologne le Christ, c'est-à-dire la clef permettant de comprendre cette grande réalité, cette réalité fondamentale qu'est l'homme. On ne peut en effet comprendre l'homme à fond sans le Christ. Ou plutôt l'homme n'est pas capable de se comprendre lui-même à fond sans le Christ. Il ne peut saisir ni ce qu'il est, ni quelle est sa vraie dignité, ni quelle est sa vocation, ni son destin final. Il ne peut comprendre tout cela sans le Christ.



C'est pourquoi on ne peut exclure le Christ de l'histoire de l'homme en quelque partie que ce soit du globe, sous quelque longitude ou latitude géographique que ce soit Exclure le Christ de l'histoire de l'homme est un acte contre l'homme. Sans lui, il est impossible de comprendre l'histoire de la Pologne et surtout l'histoire des hommes qui sont passés ou passent par cette terre. L'histoire des hommes. L'histoire de la nation est surtout l'histoire des hommes. Et l'histoire de chaque homme se déroule en Jésus-Christ. En lui, elle devient l'histoire du salut.



L'histoire de la nation doit être jugée en fonction déjà contribution qu'elle a apportée au développement de l'homme et de l'humanité, à l'intelligence, au coeur, à la conscience. C'est là le courant le plus profond de la culture. Et c'est son soutien le plus solide. Sa moelle épinière, sa force, Il n'est pas possible de comprendre et d'évaluer, sans le Christ, l'apport de la nation polonaise au développement de l'homme et de son humanité dans le passé, et son apport également aujourd'hui. « Ce vieux chêne a poussé ainsi, et aucun vent ne l'a abattu parce que sa racine est le Christ » (Piotr Skarga, Kazania Sejmowe, Biblioteka Narodowa, 1, 70, p. 92). Il faut marcher sur les traces de ce que fût (ou plutôt de qui fut) le Christ, au long des générations, pour les fils et les filles de cette terre. Et cela, non seulement pour ceux qui ont cru ouvertement en lui et l'ont professé avec la foi de l'Église, mais aussi pour ceux qui étaient apparemment loin, hors de l'Église. Pour ceux qui doutaient ou s'opposaient.

3b. S’il est juste de saisir l'histoire de la nation à travers l'homme, chaque homme de cette nation, en même temps on ne peut comprendre, l'homme en dehors de cette communauté qu'est la nation. Il est naturel qu'elle ne soit pas l'unique communauté ; toutefois, elle est une communauté particulière, peut-être la plus intimement liée à la famille la plus importante pour l'histoire spirituelle de l'homme. Il n'est donc pas possible de comprendre sans le Christ l'histoire de la nation polonaise — de cette grande communauté millénaire — qui décide si profondément de moi et de chacun de nous. Si nous refusons cette clef pour la compréhension de notre nation, nous nous exposons à une profonde équivoque. Nous ne nous comprenons plus nous-mêmes. Il est impossible de saisir sans le Christ cette nation au passé si splendide et en même temps si terriblement difficile. Il n'est pas possible de comprendre cette ville, Varsovie, capitale de la Pologne, qui en 1944 s'est décidée à une bataille inégale avec l'agresseur, à une bataille dans laquelle elle a été abandonnée par les puissances alliées, à une bataille dans laquelle elle a été ensevelie sous ses propres ruines — si on ne se rappelle pas que sous ces mêmes ruines il y avait aussi le Christ Sauveur avec sa croix qui se trouve devant l'église à Krakowskie Przedmiescie. Il est impossible de comprendre l'histoire de la Pologne, de Stanislas en Skalka à Maximilien Kolbe à Auschwitz, si on ne leur appliqueras encore ce critère unique et fondamental qui porte le nom de Jésus-Christ.



Le millénaire du baptême de la Pologne dont saint Stanislas est le premier fruit mûr — le millénaire du Christ dans notre hier et notre aujourd'hui — est le motif principal de mon pèlerinage, de ma prière d'action de grâces avec vous tous, chers compatriotes auxquels Jésus-Christ ne cesse d'enseigner la grande cause de l'homme, avec vous pour lesquels Jésus-Christ ne cesse d'être un livre toujours ouvert sur l'homme, sur s'a dignité, sur ses droits, et en même temps un livre de science sur la dignité et sur les droits de la nation.



Aujourd'hui, sur cette place de la Victoire, dans la capitale de la Pologne, je demande, à travers la grande prière eucharistique avec vous tous, que le Christ ne cesse pas d'être pour nous un livre ouvert de la vie pour l'avenir. Pour notre demain polonais.

4, Nous nous trouvons devant le tombeau du soldat inconnu. Dans l'histoire de la Pologne — ancienne et contemporaine — ce tombeau a un fondement et une raison d'être particuliers. En combien de lieux de la terre natale n'est-il pas tombé, ce soldat ! En combien de lieux de l'Europe et du monde n'a-t-il pas crié, par sa mort, qu'il ne peut y avoir d'Europe juste sans l'indépendance de la Pologne, marquée sur les cartes de géographie ! Sur combien de champs de bataille n'a-t-il pas témoigné des droits de l'homme, profondément gravés dans les droits inviolables du peuple, en tombant pour « nôtre liberté et la vôtre » !



« Où sont leurs tombes, ô Pologne ? Où ne sont-elles pas ! Tu le sais mieux que tous, et Dieu le sait au ciel » (A. Oppman, Pacierz za zmarlych).



Je veux m'agenouiller près de cette tombe pour vénérer chaque semence qui, tombant en terre et y mourant, porte des fruits. Ce sera la semence du sang du soldat versé sur le champ de bataille ou le sacrifice du martyr dans les camps de concentration ou dans tes prisons. Ce sera la semence du dur travail quotidien, la sueur au front, dans le champ, l'atelier, la mine, les fonderies et les usines. Ce sera la semence d'amour des parents qui ne refusent pas de donner la vie à un nouvel homme et assument le devoir de rééduquer. Ce sera la semence du travail créateur dans les universités, les instituts supérieurs, les bibliothèques, les chantiers de la culture nationale. Ce sera la semence de la prière, de l'assistance aux malades, à ceux qui souffrent ou sont abandonnés : « Tout ce qui constitue la Pologne».



Tout cela dans les mains de la Mère de Dieu — au pied de la croix sur le Calvaire et au Cénacle de la Pentecôte !



Tout cela : l'histoire de la patrie formée pendant un millénaire par les générations successives — y compris la présente et la future — par chacun de ses fils et de ses filles, même anonymes et inconnus comme ce soldat devant le tombeau duquel nous nous trouvons en ce moment...



Tout cela, même l'histoire des peuples qui ont vécu avec nous et parmi nous, comme ceux qui sont morts par centaines de milliers entre les murs du ghetto de Varsovie.



Tout cela, je l'embrasse par la pensée et par le coeur en cette Eucharistie, et je l'inclus dans cet unique saint Sacrifice du Christ, sur la place de la Victoire.



Et je crie, moi, fils de la terre polonaise, et en même temps que moi, le pape Jean Paul II, je crie du plus profond de ce millénaire, je crie à la veille de la Pentecôte :



Que descende ton Esprit !



Que descende ton Esprit !



Et qu'il renouvelle la face de la terre, de cette terre !



Amen.






3 juin 1979



A VARSOVIE : A LA JEUNESSE UNIVERSITAIRE





Mes très chers !



1. Je désire ardemment que notre rencontre d'aujourd'hui marquée par la présence de la jeunesse universitaire corresponde à la grandeur de cette journée et de sa liturgie.



La jeunesse universitaire de Varsovie et celle des autres sièges universitaires de cette région centrale et métropolitaine est l'héritière de traditions spécifiques qui, au travers des générations, remontent aux « écoliers » du Moyen Age surtout ceux de l'université Jagellonica, la plus ancienne de la Pologne. Aujourd'hui chaque grande ville de Pologne a son université. Et Varsovie en a de nombreuses. Celles-ci voient la concentration de milliers d'étudiants qui se forment en différentes branches de la science et se préparent à des professions intellectuelles et à des tâches particulièrement importantes dans la vie de la nation.



Je désire vous saluer tous, vous qui êtes réunis ici. Je désire en même temps saluer en vous et par vous tout le monde universitaire et académique polonais : tous les instituts supérieurs, les professeurs, les chercheurs, les étudiants... Je vois en vous, en un certain sens, mes collègues plus jeunes, car moi aussi je dois à l'université polonaise les bases de ma formation intellectuelle. J'ai été régulièrement lié aux bancs du travail universitaire de la faculté de philosophie et de théologie de Cracovie et de Lublin. La pastorale des universités a été de ma part l'objet d'une prédilection particulière. Je désire donc, saisissant cette occasion, saluer également tous ceux qui se consacrent à cette pastorale, les groupes des assistants spirituels de la jeunesse académique et la commission pour la pastorale universitaire de l'épiscopat polonais.



2. Nous nous rencontrons aujourd'hui en la fête de la Pentecôte. Devant les yeux de notre foi s'ouvre le cénacle de Jérusalem, d'où est sortie l'Église et dans lequel l'Église demeure toujours. C'est exactement là que l'Église est née comme communauté vivante du peuple de Dieu, comme communauté consciente de sa mission propre dans l'histoire de l'homme.



L'Église prie en ce jour « Viens Esprit-Saint », remplis les coeurs de tes fidèles et allume en eux le feu dé ton amour ! (liturgie de la Pentecôte) : paroles si souvent répétées, mais qui résonnent aujourd'hui avec une ardeur, particulière.



Remplis les coeurs ! Pensez, jeunes amis, à la mesure du coeur humain, si Dieu est le seul à pouvoir le remplir de l'Esprit-Saint.



Par les études universitaires, s'ouvre devant vous le monde merveilleux de la science humaine dans ses multiples ramifications. En même temps que cette science du monde se développe certainement aussi votre autoconnaissance. Vous vous posez certainement déjà depuis longtemps la question :« Qui suis-je ? » C'est cela, dirais-je, la question la plus intéressante. Avec quelle mesure peut-on mesurer l'homme ? Le mesure-t-on selon la mesure des forces physiques dont il dispose ? Ou bien. le mesure-t-on avec la mesure des sens qui lui permettent d'entrer en contact avec le monde extérieur ? Ou bien avec la mesure de son intelligence vérifiée par différents tests ou examens ?



La réponse d'aujourd'hui, celle de la liturgie de la Pentecôte indique deux mesures : « il faut mesurer l'homme à la mesure de son coeur... » Le coeur dans le langage biblique indique l'intériorité spirituelle de l'homme, il signifie en particulier la conscience... Il faut donc mesurer l'homme avec la, mesure de sa conscience, avec la mesure de son esprit ouvert à Dieu. Seul l'Esprit-Saint peut remplir ce coeur, c'est-à-dire l'amener à se réaliser par l'amour et par la sagesse.



3. Permettez-moi par conséquent, de faire surtout de cette rencontre avec vous, aujourd'hui, en face du cénacle de notre histoire, de l'histoire de l'Église et de la nation, une rencontre de prière pour obtenir les dons de l'Esprit-Saint.



Comme autrefois mon père m'a mis dans les mains un petit livre qui m'indiquait la prière pour recevoir les dons du Saint-Esprit — ainsi aujourd'hui, moi-même que vous appelez aussi « Père », je désire prier avec la jeunesse universitaire de Varsovie et de la Pologne : pour le don de la sagesse, d'intelligence, de conseil, de force, de science, de piété, c'est-à-dire du sens de la valeur sacrale de la vie, de la dignité humaine, de la sainteté de l'âme et du corps humain, et enfin le don de crainte de Dieu, dont le psalmiste dit qu'elle est le commencement de la sagesse (cf. Ps. Ps 111,10).



Recevez de moi cette prière que mon père m'a enseignée et demeurez-lui fidèles. Ainsi vous resterez dans le cénacle de l'Église, unis au courant le plus profond de l'histoire.



4. Cela dépendra beaucoup de la mesure que vous choisirez pour mesurer votre propre vie et votre propre humanité. Vous savez très bien que les mesures sont diverses. Vous savez que les critères d'évaluation de l'homme sont nombreux, selon lesquels on l'estime au cours de ses études, puis dans son travail professionnel, dans ses différents contacts personnels, etc.

Ayez le courage d'accepter la mesure que nous a donnée le Christ, au cénacle de la Pentecôte, ainsi que dans le cénacle de notre histoire. Ayez le courage de garder votre vie dans une perspective prochaine et en même temps détachée, en acceptant comme vérité ce que saint Paul a écrit dans sa lettre aux Romains : « Vous savez bien, en effet, que toute la création gémit et souffre jusqu'à ce jour dans les douleurs de l'enfantement » (Rm 8,22). Ne sommes nous pas les témoins de cette douleur ? En effet, « la création elle-même attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,19).



Elle attend non seulement que les universités et les différents instituts supérieurs préparent des ingénieurs, des médecins, des juristes, des philologues, des historiens, des hommes de lettres, des mathématiciens et des techniciens, mais elle attend la révélation des fils de Dieu. Elle attend de vous cette révélation, de vous qui demain serez des médecins, des techniciens, des juristes, des professeurs...



Cherchez à comprendre que l'homme créé par Dieu à son image et à sa ressemblance est en même temps appelé dans le Christ, afin qu'en lui se révèle ce qui est de Dieu ; afin qu'en chacun de nous se révèle dans une certaine mesure Dieu lui-même.



5. Réfléchissez à cela ! Je m'acheminé sur la route de mon pèlerinage à travers la Pologne vers la tombe de saint Wojciech (saint Adalbert) à Gniezno, de saint Stanislas à Cracovie, vers Jasna Gora. Partout je demanderai de tout coeur à l'Esprit-Saint qu'il vous accorde :



cette conscience,

cette connaissance de la valeur et du sens de la vie,



cet avenir pour vous,



cet avenir pour la Pologne.



Et priez pour moi afin que l'Esprit-Saint vienne en aide à notre faiblesse !






3 juin 1979



A GNIEZNO : AUX FIDELES





Éminentissime et très cher primat de Pologne !



1. « Dieu vous rende » les paroles de salutation que vous m'avez adressées ici, sur la route qui conduit à Gniezno. Voici le champ, les vastes prairies où nous nous rencontrons pour commencer ce pèlerinage. Ce pèlerinage doit nous conduire à Gniezno, et ensuite de Gniezno, — en passant par Jasna Gôra — à Cracovie, comme se déroule l'itinéraire de l'histoire de la nation, et en même temps l'itinéraire de nos saints patrons Adalbert et Stanislas, unis dans la sollicitude pour le patrimoine chrétien de cette terre, autour de la Mère de Dieu de Jasna Gôra.



Ici, sur ces vastes prairies, je salue avec vénération le berceau des Piast, origine de l'histoire de la patrie et berceau aussi de l'Église, en qui nos aïeux se sont unis par le lien de la foi avec le Père, avec le Fils et avec Je Saint-Esprit.



Je salue ce lien ! Je le salue avec une grande vénération, car il remonte aux commencements mêmes de l'histoire et, après mille ans, il continue à être intact. Je salue donc ici, avec l'illustrissime primat de Pologne, l'archevêque métropolitain de Poznan et les évêques ordinaires de Szczecin-Kamien, Koszalin-Kolobrzeg, Gdansk, Pelplin et Wloclawek, ainsi que les évêques auxiliaires de ces sièges. Je salue le clergé de tous les diocèses qui appartiennent à la communauté métropolitaine du siège primatial de Gniezno. Je salue les familles religieuses masculines et féminines. Je salue tous ceux qui, si nombreux se sont rassemblés ici. Tous ensemble, nous sommes « la race élue, le peuple acquis » (1P 2,9). Tous ensemble nous formons aussi « la race royale des Piast ».

2. Frères et soeurs très chers ! Mes compatriotes ! Je voudrais que mon pèlerinage à travers la terre polonaise, en communion avec vous tous, devienne une catéchèse vivante, une intégration de cette catéchèse que des générations entières d'aïeux ont inscrite dans l'histoire. Que ce soit la catéchèse de toute l'histoire de l'Église et de la Pologne, et en même temps la catéchèse de notre époque.



La tâche fondamentale de l'Église est la catéchèse. Nous le savons bien, en nous fondant non seulement sur les travaux du dernier Synode des évoques, mais aussi sur nos expériences nationales. Nous savons combien, dans le domaine de cette oeuvre de la foi toujours plus consciente, qui est toujours introduite à nouveau dans la vie de chaque génération, elle dépend de l'effort commun des parents, de la famille, de la paroisse, des prêtres pasteurs d'âmes, des catéchistes, du milieu, des moyens de communication sociale, des usages. De fait, les murs, les clochers des églises, les croix des carrefours, les images saintes sur les murs des maisons et à l'intérieur de celles-ci, tout cela catéchise d'une certaine façon. La foi des générations futures dépend de cette grande synthèse de la: catéchèse de la vie, du passé et du présent.



Je veux donc me trouver avec vous aujourd'hui ici, dans le berceau des Piast, dans ce berceau de l'Église ; ici où ; voici plus de mille ans, la catéchèse a commencé en terre polonaise.



Et saluer d'ici toutes les communautés de l'Église en terre polonaise, dans lesquelles s'accomplit aujourd'hui la catéchèse. Tous les groupes de catéchèse dans les églises, les chapelles, les grandes et les petites salles...



Je veux saluer ici toute là Pologne jeune, tous les enfants polonais et toute la jeunesse rassemblée dans ces groupes, où elle se réunit avec persévérance et de façon, systématique... Oui, dis-je, la Pologne jeune ; mon coeur se tourne vers tous les enfants polonais, vers ceux qui sont présents en ce moment, comme vers tous ceux qui vivent, sur le sol polonais.



Aucun de nous ne peut jamais oublier les paroles suivantes de Jésus : « Laissez venir à moi les petits enfants, ne les empêchez pas » (Lc 18,16). Je veux être devant vous, très chers enfants polonais, un vivant écho de ces paroles de notre Sauveur, particulièrement en cette année où, dans le monde entier, on célèbre l'année de l'enfant.

Par la pensée et par le coeur, j'embrasse tous les enfants qui sont encore dans les bras de leur père et de leur mère. Que ces bras pleins d'amour des parents ne viennent jamais à manquer ! Qu'ils soient le moins nombreux possible, sur cette terre polonaise, les orphelins que l'on appelle « sociaux » de familles désagrégées ou incapables d'éduquer leurs fils!



Que tous les enfants d'âge préscolaire aient un accès facile au Christ. Qu'ils se préparent avec joie à l'accueillir dans l'eucharistie.



Qu'ils croissent « en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,52), comme lui-même grandissait dans la maison de Nazareth.



Et pendant qu'ils croissent ainsi en âge, pendant qu'ils passent de l'enfance à l'adolescence, qu'aucun de nous, très chers frères et soeurs, ne soit jamais coupable à leur égard de ce scandale dont parle aussi sévèrement Jésus. Méditons de temps en temps ses paroles. Qu'elles nous aident à accomplir la grande oeuvre d'éducation et de catéchèse avec un zèle plus grand et un plus grand sens de notre responsabilité.



3. Le cardinal primat m'a salué au nom de la Pologne toujours fidèle. La preuve première et fondamentale de cette fidélité, la condition essentielle pour l'avenir est justement cette jeunesse, ces enfants polonais et, près d'eux, les parents, les pasteurs d'âmes, les religieuses, les catéchistes, réunis dans l'oeuvre quotidienne de la catéchèse dans toute la terre polonaise.



Que Dieu vous bénisse tous, comme il l’a fait, il y a si longtemps pour nos aïeux, nos souverains Mieszko et Boleslas, ici, sur le trajet de Poznan à Gniezno. Qu'il vous bénisse tous !



Recevez ce signe de bénédiction des mains du pape-pèlerin qui vous rend visite.






3 juin 1979



A GNIEZNO : HOMELIE A LA CATHEDRALE





Éminentissime et très cher primat de Pologne, Chers frères archevêques et évoques de Pologne !



1. En vos personnes, je salue tout le peuple de Dieu qui vit sur ma terre natale, prêtres, religieux et religieuses et laïcs !



Je salue la Pologne, baptisée voici maintenant plus de mille ans !



Je salue la Pologne, insérée dans les mystères de la vie divine par les sacrements de baptême et de confirmation. Je salue l'Église qui est sur la terre de mes aïeux, dans sa communion et son unité hiérarchique avec le successeur de Pierre. Je salue l'Église en Pologne qui, dès ses origines, a été guidée par les saints évêques et martyrs Adalbert et Stanislas, très attachés à la reine de Pologne, Notre-Dame de Jasna Gôra (Clair-mont - Czestochowa).



Venu au milieu de vous comme pèlerin du grand jubilé, je vous salue tous, frères et soeurs très chers, d'un fraternel baiser de paix.



2. A nouveau, nous célébrons le jour de la Pentecôte et en esprit nous nous trouvons au Cénacle de Jérusalem ; mais en même temps nous sommes ici, en ce cénacle de notre millénaire polonais, dans lequel nous parle toujours aussi fortement la mystérieuse date de ce début, à partir duquel nous commençons à compter les années de l'histoire de notre patrie et de l'Église qui est sur son sol. L'histoire de la Pologne toujours fidèle.



Oui, en ce jour de la Pentecôte, au Cénacle de Jérusalem, s'accomplit la promesse scellée dans le sang du Rédempteur répandu sur le Calvaire : « Recevez l'Esprit-Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn 20,22-23). L'Église naît précisément de la force de ces paroles. Elle naît de la force de ce souffle. Préparée par toute la vie du Christ, elle naît définitivement lorsque les Apôtres reçoivent du Christ le don de la Pentecôte, en recevant de lui I''Esprit-Saint. Sa descente marque le commencement de l'Église qui, à travers toutes les générations, doit introduire l'humanité — les individus et les nations — dans l'unité du Corps mystique du Christ. La descente de l'Esprit-Saint signifie le début et la continuité de ce mystère. La continuité est en effet le continuel retour aux commencements.



Nous comprenons comment, au Cénacle de Jérusalem, les Apôtres remplis de l'Esprit-Saint « commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer » (Ac 2,4). Les différentes langues devinrent les leurs, devinrent leurs propres langues, grâce à la mystérieuse action de l'Esprit-Saint qui « souffle où il veut » (Jn 3,8)et renouvelle « la face de la terre » (Ps 103,30).



Bien que l'auteur des Actes n'énumère pas, parmi les langues que les Apôtres commencèrent à parler en ce jour, notre propre langue, il devait venir un moment où les successeurs des Apôtres auraient commencé à parler également la langue de nos aïeux et à annoncer l'Évangile au peuple, qui ne pouvait le comprendre et l'accepter que dans cette langue.



3. Les noms des châteaux des Piast sont significatifs. C'est en eux que se vérifia cette translation historique de l'Esprit et que fut allumée en même temps la flamme de l'Évangile sur la terre de nos aïeux. La langue des Apôtres résonna pour la première fois, comme en une première version, en notre langue, que le peuple habitant sur les rives de la Warta et de la Vistule comprit et que nous comprenons encore aujourd'hui.



De fait, les châteaux auxquels sont liés les débuts de la foi sur la terre des Polonais, nos ancêtres, sont celui des Poznan — où depuis les temps tes plus anciens, c'est-à-dire deux ans après le baptême du roi Mieszko, résidait l'évêque — et celui de Gniezno — où en l'an 1000 eut lieu le grand acte de caractère religieux et civil. Près des reliques de saint Adalbert se rencontrèrent les envoyés du pape Sylvestre II de Rome, l'empereur romain Otton III et le premier roi polonais (seulement prince à ce moment-là) Boleslas le vaillant fils et successeur de Mieszko, constituant la première métropole polonaise et posant ainsi, les fondements de l'ordre hiérarchique pour toute l'histoire de la Pologne. Dans le cadre de cette métropole, nous trouvons en l'an 1000, les sièges épiscopaux de Cracovie, Wroclaw, Kolobrzeg, reliés en une organisation ecclésiastique unique.



Chaque fois que nous venons ici, en ce lieu, nous devons voir le Cénacle de la Pentecôte nouvellement ouvert. Et nous devons écouter le langage des aïeux, dans lequel l'annonce des « merveilles de Dieu » (Ac 2,11) commença à retentir.



C'est ici également que l'Église de Pologne en 1966 a entonné son premier Te Deum d'action de grâces pour le millénaire du baptême. En tant que métropolitain de Cracovie, j'ai eu le bonheur d'y participer. Permettez-moi aujourd'hui, comme premier pape d'origine polonaise, de chanter encore une fois avec vous ce Te Deum du millénaire. Qu'ils sont mystérieux et admirables les décrets du Seigneur qui tracent les voies conduisant à ce lieu, de Sylvestre II à Jean Paul II !



4. Après tant de siècles, le Cénacle de Jérusalem s'est de nouveau ouvert, et ce ne sont plus seulement les populations de la Mésopotamie et de la Judée, de l'Egypte et de l'Asie ; ou celles qui venaient de Rome, qui s'en émerveillent, mais les peuples slaves et les autres peuples qui habitent dans cette partie de l'Europe, lesquels ont entendu les Apôtres de Jésus-Christ parler leur langue et raconter dans leur langue « les grandes oeuvres de Dieu».



Lorsque, historiquement, le premier souverain de Pologne voulut introduire le christianisme dans sa nation et s'unir au siège de Pierre, il se tourna surtout vers les peuples qui avaient des affinités avec le sien et prit pour épouse Dobrawa, fille du prince tchèque Boleslas. Celle-ci étant chrétienne, devint la marraine de son propre mari et de tous ses sujets. En même temps qu'elle, vinrent en Pologne des missionnaires en provenance des différentes nations d'Europe, comme l'Irlande, l'Italie,  l'Allemagne, telle saint évêque et martyr saint Bruno de Querfurt. Dans les souvenirs de l'Église, sur les terres de Boleslas s'est gravé de manière plus incisive le nom de saint Adalbert, fils et pasteur de la nation tchèque amie. Son histoire, pendant la durée de son épiscopat à Prague, est bien connue, ses pèlerinages à Rome également, et particulièrement son séjour à la cour de Gniezno, qui devait le préparer à son dernier voyage missionnaire dans le nord. Aux abords de la mer Baltique, cet évêque exilé, ce missionnaire infatigable devint cette semence qui, tombée en terre, doit mourir pour porter beaucoup de fruit (Jn 12,24). Le témoignage du martyre, le témoignage du sang versé scella de façon particulière le baptême que nos aïeux reçurent voici mille ans. La dépouille torturée de l'apôtre Adalbert fut déposée dans les fondations du christianisme en terre polonaise.



5. Lorsque aujourd'hui, en cette commémoration de la descente de l'Esprit-Saint en cette année du Seigneur 1979, nous remontons aces tout premiers moments, nous ne pouvons pas ne pas entendre — à côté de la langue de nos ancêtres — les autres langues slaves et voisines dans lesquelles commença alors à parler le cénacle largement

ouvert de l'histoire. Et surtout le premier pape slave dans l'histoire de l'Église ne peut pas ne pas entendre ces langues. C'est peut-être justement pour cela que Dieu l'a choisi, c'est peut-être pour cela que l'Esprit-Saint l'a guidé, afin qu'il introduise dans la communion de l'Église la compréhension des paroles et des langues qui semblent encore étrangères aux oreilles habituées aux sons romains, germaniques, anglo-saxons, celtes. Le Christ ne veut-il pas que l'Esprit-Saint fasse en sorte que l'Église Mère, à la fin du second millénaire du christianisme, se penche avec un amour compréhensif, avec une sensibilité particulière, vers les sons de ce langage humain qui s'entrelacent dans une racine commune, dans une étymologie commune et qui — malgré leurs différences notoires (jusque dans l'orthographe) — ont entre elles des sons voisins et familiers ?



Le Christ ne veut-il pas, l'Esprit-Saint ne dispose-t-il pas que ce pape — qui porte profondément imprimée dans son coeur l'histoire de sa nation depuis ses origines et aussi l'histoire des peuples frères et limitrophes — manifeste et confirme d'une façon spéciale, à notre époque, leur présence dans l'Église et leur contribution particulière à l'histoire de la chrétienté ?



N'est-ce pas un dessein de la Providence qu'il soit appelé à faire connaître les développements que la riche architecture du temple de l'Esprit-Saint a connus précisément ici, dans cette partie de l'Europe ?



Le Christ ne veut-il pas, l'Esprit-Saint ne dispose-t-il pas que ce pape polonais, ce pape slave, manifeste justement maintenant l'unité spirituelle de l'Europe chrétienne qui, débitrice des deux grandes traditions de l'ouest et de l'est, professe grâce aux deux  « une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Ep 4,5-6), le Père de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ?



Oui, le Christ veut et l'Esprit-Saint dispose que ce que je dis soit dit justement ici, maintenant, à Gniezno, sur la terre des Piast, en Pologne, près des reliques de saint Adalbert et de saint Stanislas, devant l'image de la Vierge Mère de Dieu, Notre-Dame de Clair-Mont, Mère de l'Église.



A l'occasion du baptême de la Pologne, il faut que soit rappelée la christianisation des Slaves : des Croates et des Slovènes parmi lesquels, dès les environs de l'an 650, travaillèrent les missionnaires, achevant en grande partie l’évangélisation vers l'an 800 des Bulgares, dont le prince Boris I° reçut le baptême en 864 ou en 865 ; des Moraves et des Slovaques, chez qui parvinrent les missionnaires avant 850, suivis en 863 des saints Cyrille et Méthode, lesquels vinrent de la Moravie pour consolider la foi des jeunes communautés, des Tchèques, dont le prince Borivoi fut baptisé par saint Méthode. Dans la zone évangélisée par saint Méthode et ses disciples, on trouve aussi les Vislans et les Slaves de Serbie. Il faut rappeler également le baptême de la Russie à Kiev, en 988. Il faut enfin rappeler la christianisation des Slaves qui demeuraient le long de l'Elbe : les Oborites, les Wielètes et les Serbes lusaciens. La christianisation de l'Europe s'acheva avec le baptême de la Lituanie dans les années 1386 et 1387.



Le pape Jean Paul II — Slave, fils de la nation polonaise — sent combien sont profondément enfoncées dans le sol de l'histoire les racines dont lui-même prend son origine, combien de siècles a derrière elle cette parole de l’Esprit-Saint qu'il annonce de la colline du Vatican près de Saint-Pierre, ici à Gniezno, de la colline de Lech, et à Cracovie des hauteurs du Wawel.



Ce pape — témoin du Christ, qui a un grand amour de la croix et de la résurrection —   vient aujourd'hui en ce lieu pour rendre témoignage au Christ vivant dans l'âme de sa propre nation, au Christ vivant dans l'âme des nations qui depuis longtemps l'ont accueilli comme « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Il vient pour parler devant toute l'Église, l'Europe et le monde, de ces nations et de ces populations souvent oubliées. Il vient pour crier « à voix forte ». Il vient pour indiquer les routes qui, de diverses façons, conduisent au Cénacle de la Pentecôte, à la croix, à la résurrection. Il vient pour embrasser tous ces peuples— en même temps que sa propre nation — et pour les presser sur le coeur de l'Église, sur le coeur de la Mère de l'Église, en laquelle il met une confiance illimitée.



D'ici peu prendra fin, ici, à Gniezno, la visite de la sainte icône.



L'image de Notre-Dame de Jasna Gôra, l'image de la Mère, exprime d'une façon singulière sa présence dans le mystère du Christ et de l'Église qui vit depuis tant de siècles en terre polonaise. Cette image qui, depuis plus de vingt ans, visite chacune des églises, des paroisses, chacun des diocèses de cette terre, est sur le point d'achever sa visite à Gniezno, siège antique des primats, et passe à Jasna Gôra pour commencer son pèlerinage dans le diocèse de Czestochowa.



C'est pour moi une grande joie de pouvoir accomplir cette étape de mon pèlerinage en même temps que Marie, et en même temps qu'elle de me trouver le long du grand itinéraire historique que souvent j'ai parcouru, de Gniezno à Cracovie, en passant par Jasna Gôra, de saint Adalbert à saint Stanislas, en passant par la « Vierge Mère de Dieu, comblée de gloire par Dieu, Marie ».



Itinéraire principal de notre histoire spirituelle sur lequel cheminent tous les Polonais, ceux de l'ouest et ceux de l'est comme ceux aussi qui sont à l'extérieur de la patrie dans les différentes nations, dans les divers continents.

Itinéraire principal de notre histoire spirituelle et en même temps l'un des grands itinéraires de l'histoire spirituelle de tous les slaves, et l'un des principaux itinéraires spirituels de l'histoire de l'Europe !



Ces jours-ci, pour la première fois, le pape ira en pèlerinage sur cet itinéraire, lui, l'évêque de Rome, le successeur de Pierre, de ce Pierre qui fut le premier à sortir du Cénacle de la Pentecôte à Jérusalem, en chantant : « Seigneur, mon Dieu, tu es si grand ! / Vêtu de faste et d'éclat, / drapé de lumière comme d'un manteau... / Que tes oeuvres sont nombreuses, Seigneur ! / toutes avec sagesse tu les fis, / la terre est remplie de ta richesse. / ... Tu envoies ton souffle, ils sont créés. / Tu renouvelles la face de la terre » (Ps 103-104, 1-2, 24, 30).



Ainsi chantera avec vous, très chers compatriotes, ce pape sang de votre sang, os de vos os, et il s'exclamera avec vous : « A jamais soit la gloire du Seigneur, / que le Seigneur se réjouisse en ses OEuvres ! / ... La gloire du Seigneur soit pour toujours ! / ... Puisse mon langage lui plaire ! » (Ps 103-104, 31, 34).



Nous irons ensemble sur cette route de notre histoire, de Jasna Gôra vers le Wawel, vers saint Stanislas. Nous irons en nous souvenant du passé, mais l'esprit tendu vers l'avenir...



Nous ne retournerons pas au passé !

Nous irons vers l'avenir !



« Vous recevrez l'Esprit-Saint ! » (Jn 20,22). Amen !






3 juin 1979



A GNIEZNO : AUX JEUNES





Très chers amis,



1. Le document le plus ancien de la littérature polonaise est Bogurodzica (« Mère de Dieu »). La tradition fait remonter son origine à saint Adalbert. L'histoire de la littérature nous permet de fixer au XVe siècle la date des plus anciens textes de ce chant-message. Je dis chant-message parce que la « Bogurodzica » n'est pas seulement un chant : c'est aussi une profession de foi, un symbole du Credo polonais, c'est une catéchèse, et même un document d'éducation chrétienne. Les principales vérités de foi et les principes de la morale y sont contenus. Ce n'est pas seulement un objet historique. C'est le document de la vie. Jakub Wujek l'a appelé le « catéchisme polonais ».



Nous le chantons toujours avec une profonde émotion, avec exaltation, en nous rappelant qu'il était chanté dans les moments solennels et décisifs. Et nous le lisons aussi avec une profonde émotion. Il est difficile de lire autrement ces versets si antiques quand on pense qu'avec eux ont été éduquées les générations de nos aïeux. Le chant « Bogurodzica » n'est pas seulement un document antique de culture. Il a donné à la culture polonaise son ossature fondamentale et primitive.



2. La culture est l'expression de l'homme, c'est la confirmation de l'humanité. L'homme la crée et, par elle, l'homme se crée lui-même. Il se crée lui-même par l'effort intérieur de l'esprit, de la pensée, de la volonté, du coeur. Et en même temps il crée la culture en communion avec les autres. La culture est l'expression de la communication de la pensée commune et de la collaboration mutuelle des hommes. Elle naît du service du bien commun et devient un bien essentiel des communautés humaines.



La culture est surtout un bien commun de la nation. La culture polonaise est un bien sur lequel s'appuie la vie spirituelle des Polonais. Elle nous distingue comme nation. Elle décide de nous tout au long de l'histoire, elle est plus décisive encore que la force matérielle. Et même plus encore que les frontières politiques. On sait que la nation polonaise est passée par la dure épreuve de la perte de l'indépendance pendant plus de cent ans. Et au milieu de cette épreuve, elle est restée toujours elle-même. Elle est restée spirituellement indépendante parce qu'elle a eu sa propre culture. Bien plus, dans la période des démembrements elle l'a encore beaucoup enrichie et approfondie, car ce n'est qu'en créant une culture qu'elle peut se conserver,



3. La culture polonaise, depuis ses débuts, porte des marques chrétiennes bien claires. Le baptême qu'ont reçu les générations de nos compatriotes, pendant tout le millénaire, ne les introduisait pas seulement dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, ne les faisait pas seulement devenir fils de Dieu par la grâce, mais il trouvait une grande résonance dans l'histoire de la pensée et dans la créativité artistique, dans la poésie, dans la musique, dans le théâtre, dans les arts plastiques, dans la peinture et dans la sculpture.



Et il en a été ainsi jusqu'à aujourd'hui. L'inspiration chrétienne ne cesse pas d'être la source principale de la créativité des artistes polonais. La culture polonaise est toujours parcourue d'un large courant d'inspirations qui ont leur source dans l'Évangile. Cela contribue aussi au caractère profondément humaniste de cette culture. Cela la rend profondément et authentiquement humaine, car, comme l'écrit A. Mickiewicz dans les livres du pèlerinage polonais, la « civilisation vraiment digne de l'homme doit être chrétienne ».



Dans les oeuvres de la culture polonaise se reflète l'âme de la nation. En elles vit son histoire, qui est une école permanente de patriotisme solide et loyal. C'est pourquoi elle sait imposer des exigences et soutenir des idéaux, sans lesquels il est difficile pour l'homme de croire en sa propre dignité et de s'éduquer lui-même.



4. L'homme qui vous adresse ces paroles doit sa propre formation spirituelle, depuis les débuts, à la culture polonaise, à sa littérature, à sa musique, à ses arts plastiques, au théâtre, à l'histoire de la Pologne, aux traditions chrétiennes polonaises, aux écoles polonaises, aux universités polonaises.



En vous parlant ainsi à vous qui êtes jeunes, cet homme désire surtout payer la dette contractée envers ce merveilleux héritage spirituel qui a commencé avec « Bogurodzica ». En même temps, cet homme désire se présenter aujourd'hui devant vous avec cet héritage, qui est un bien commun de tous les Polonais et qui constitue une parcelle éminente de la culture européenne et mondiale.



Et il vous demande :

Restez fidèles à ce patrimoine ! Faites qu'il soit le fondement de votre formation ! Faites-en l'objet de votre noble fierté ! Conservez et multipliez ce patrimoine ; transmettez-le aux générations futures !



Viens, Esprit-Saint, envoie-nous du haut du ciel un rayon de ta lumière !

Viens, père des pauvres, viens dispensateur des dons, viens lumière de nos coeurs ! (liturgie de la Pentecôte).

Lumière des jeunes consciences polonaises, viens ! Et fortifie en eux l'amour d'où est né le premier chant polonais, « Bogurodzica », message de foi et de dignité de l'homme sur notre terre !






4 juin 1979 A CZESTOCHOWA : HOMELIE AU SANCTUAIRE MARIAL DE JASNA GORA ET ACTE DE CONSECRATION A LA MADONE


Voyages apostoliques 1979