Voyages apostoliques 1979 50679

A JASNA GORA : JEAN PAUL II A LA CONFERENCE EPISCOPALE POLONAISE





1. Je désire avant tout vous exprimer ma joie et ma profonde émotion pour notre rencontre d'aujourd'hui. La Conférence de l'épiscopat polonais est la communauté et le milieu d'où le Christ — dans son dessein insondable — m'a appelé le 16 octobre 1978 à là chaire de saint Pierre à Rome, manifestant sa volonté par l’intermédiaire des votes du Sacré Collège rassemblé en conclave dans la chapelle Sixtine. Ayant aujourd'hui le bonheur de participer de nouveau à l'assemblée plénière de la Conférence de l'épiscopat polonais à Jasna Gôra, je ne peux pas ne pas exprimer avant tout mes sentiments de gratitude et de solidarité fraternelle, qui remontent au moment de ma nomination comme évêque en 1958. Je me souviens que la première conférence à laquelle j'ai participé comme évêque-élu eut lieu à Jasna Gôra, durant les premiers jours de septembre.



Au cours des vingt aimées de mon appartenance à la Conférence de l'épiscopat polonais et de ma participation à ses travaux, j'ai énormément appris, aussi bien de chacun des membres de cette communauté épiscopale ; à commencer par l'éminentissime primat de Pologne, que de toute cette communauté comme telle. Ce qui caractérise en effet d'une manière particulière la Conférence de l'épiscopat polonais, c'est cette unité qui est source de force spirituelle. L'épiscopat polonais, justement par son unité, sert d'une manière toute particulière l'Église en Pologne et aussi l'Église universelle. La société s'en rend bien compté et nourri envers l'épiscopat polonais une confiance juste et méritée. Cette confiance s'adresse à tout l'épiscopat, à tous les archevêques et évêques dans leurs diocèses, et particulièrement au primat de Pologne, au sujet duquel je désire dire aujourd'hui ce que j'ai eu déjà l'occasion de dire plusieurs fois, qu'il est un homme providentiel pour l'Église et pour la Patrie. Ceux qui disent cela ne sont pas seulement les Polonais, mais aussi des personnes appartenant à d'autres nations d'Europe et du monde, qui remercient avec moi le Seigneur d'avoir donné un tel pouvoir à l'homme (cf. Jn Jn 1,12).



Au cours des vingt années de mon ministère épiscopal pendant lesquelles j'ai pu servir l'Église de Cracovie — d'abord aux côtés de l'archevêque Eugène Baziak de sainte mémoire (métropolitain de l'archidiocèse actuellement orphelin de Lwow), puis comme successeur du métropolitain de Cracovie, le cardinal Adam Stefan Sapieha, dans la cathédrale de saint Stanislas — une grande dette de reconnaissance s'est accumulée dans mon coeur. Je cherche à m'en acquitter comme je le puis, dans le souvenir et dans la prière pour tes cardinaux, archevêques et évêques polonais vivants ou défunts. Ces défunts ne s'effacent pas de ma mémoire : tout spécialement ceux avec lesquels il m'a été donné de collaborer de plus près, dans la sphère d'influence de leur personnalité, comme c'est le cas des archevêques de Cracovie que j'ai déjà nommés, du regretté cardinal Boleslas Kominek, métropolitain de Poznan, et de tant de figures magnifiques et inoubliables d'évêques résidentiels et auxiliaires, pleins d'originalité humaine et d'authenticité chrétienne, que le Seigneur a rappelés à lui au cours de ces vingt ans. Je ne peux pas non plus ne pas évoquer le souvenir du regretté cardinal Boleslas Filipiak, qui a servi le Saint-Siège durant de longues années et que j'ai rencontré si souvent à Rome.



La participation aux travaux de l'épiscopat polonais m'a permis de me familiariser avec les problèmes de l'Église contemporaine dans sa dimension universelle. Ceci s'est produit grâce surtout au Concile, auquel j'ai eu le bonheur de participer du premier au dernier jour. En entrant dans cette vaste problématique que Vatican II a actualisée dans tous ses documents, j'ai pu me rendre compte de tout ce que comporte comme particularité et comme responsabilité la place que la Pologne, et spécialement l'Église polonaise, tient sur la grande carte du monde contemporain auquel nous sommes tous envoyés comme les Apôtres avaient été envoyés lors de l'Ascension du Christ, qui leur disait : « Allez donc, et enseignez toutes les nations » (Mt 28,19). Cette conscience s'est approfondie ensuite, au cours des années de l'après-Concile, grâce en particulier, aux travaux du Synode des évêques, aux congrégations du Siège apostolique et grâce aussi aux rencontres que j'ai eues avec les représentants de divers épiscopats européens ou hors de l'Europe. Parmi ces occasions, il y a eu les visites aux émigrés polonais que j'ai faites plusieurs fois au nom de l'épiscopat polonais.



Je rappelle aujourd'hui tout cela avec gratitude. L'appartenance à la Conférence épiscopale polonaise et la participation à ses multiples travaux ont été confirmées par la Providence comme la voie la plus adaptée pour la préparation à ce ministère que, depuis le 16 octobre, je dois exercer à l'égard de toute l'Église universelle. Je désire dire tout cela en commençant mon allocution, devant cette assemblée plénière insolite de la Conférence épiscopale polonaise, qui se déroule ici aujourd'hui.



2. L'année 1979 est dans l'Église de ma patrie l'année de saint Stanislas. Neuf cents ans se sont écoulés depuis qu'il reçut la mort des mains du roi Boleslas le Hardi à Skalka. La mort de l'évêque qui annonçait à tous — y compris au roi — la vérité de la foi et de la morale chrétienne a eu le sens d'un témoignage particulier rendu à l'Évangile et au Christ. Stanislas de Szczepanow a subi la mort de manière à être compté, dans la tradition de l'Église, au nombre des martyrs. Au commencement de notre histoire, au second siècle du christianisme en Pologne, cet évêque-martyr, sang du sang et os des os de la nation, est venu s'associer à un autre évêque-martyr qui appartenait encore à la génération missionnaire et à l'époque du baptême : à saint Adalbert, d'origine tchèque. Je rappelle son souvenir parce que, dans la mémoire du peuple de Dieu en terre polonaise, ces deux figures sont unies et entourées d'une vénération et d'une dévotion particulières.



Stanislas de Szczepanow a été évêque de Cracovie et membre de l’épiscopat polonais d'alors, et c'est pourquoi l’épiscopat polonais actuel a des raisons particulières pour entourer sa figure d'une vénération spéciale et de célébrer avant tout l'anniversaire de son martyre. Cela se fait dans l’archidiocèse de Cracovie depuis 1972 et on célèbre au contraire, dans le diocèse de Tarnow, sur le territoire duquel se trouve Szczepanow — lieu de ta naissance du saint — l'« Année de saint Stanislas ». Comme évêque et comme pasteur sur la chaire de Cracovie, saint Stanislas fut un des piliers de cet ordre hiérarchique qui s'est établi sur les terres des Piast depuis l'an 1000. Nous avons des raisons particulières de remercier Dieu continuellement pour les bases solides de cet ordre, institué au Congrès de Gniezno (Poznan) sur lé fondement de la mission apostolique de saint Adalbert et sur son Martyre. C'est vers ce corps martyrisé, transféré avec vénération à Gniezno (Poznan) par Boleslas le Vaillant, que sont venus les légats du pape Sylvestre II et de l'empereur Otton III. La Pologne des Piast, qui depuis 968 cepit habere episcopum à Poznan — relativement tôt, puisque ce fut à peine trente-quatre ans après le baptême de Miesko — a obtenu son organisation ecclésiastique propre : métropolitain à Gniezno (Poznan) avec les sièges épiscopaux à Cracovie, Wroclaw (Breslau) et Kolobrzeg.



Ces faits sont universellement connus. Il est impossible, cependant, de ne pas. les rappeler en cette circonstance extraordinaire que nous vivons ensemble aujourd'hui et de ne pas m'y référer.



L'ordre hiérarchique est un élément constitutif de l'Église du Christ,  comme  la constitution  dogmatique  sur  l'Église Lumen gentium nous l'a magistralement rappelé. L'Église qui, comme peuple de Dieu, a été édifiée sur les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption et qui naît continuellement par la descente du Saint-Esprit, est la réalité visible d'une organisation hiérarchique clairement définie. Cette organisation détermine l'Église comme communauté et société bien définie qui, à travers l'organisation hiérarchique qui lui est propre, s'inscrit dans l'histoire de l'humanité, dans l'histoire de chaque peuple et de chaque nation. Nous vénérons donc ajuste titre saint Adalbert comme le patron de l'ordre hiérarchique dans notre patrie. Nous commémorons et nous admirons à juste titre les grands coryphées de l'assemblée de Gniezno (Poznan). L'Église s'est solidement insérée dans l'histoire de la nation à travers la structure hiérarchique formelle qu'elle a obtenue en ce temps-là en Pologne. L'an 1000 est une date que nous lions, avec des raisons bien fondées, à la date du baptême qui eut lieu en 966.



La connaissance de l'histoire de la Pologne nous, apprendra encore davantage :,non seulement l'organisation hiérarchique de l'Église a été inscrite de manière décisive dans l'histoire de la nation en l'an 1000, mais l'histoire de la nation a été aussi enracinée de manière providentielle dans la structure de l'Église en Pologne, structure que nous devons à l'assemblée de Gniezno (Poznan). Cette, affirmation trouve sa vérification dans les diverses périodes de l'histoire de la Pologne, et particulièrement dans les périodes les plus difficiles. Lorsque les structures de la nation et de l'État ont fait défaut, la société, catholique pour sa plus grande partie, a trouvé l'appui de l'organisation hiérarchique de l'Église, qui l'a aidée ainsi à, surmonter les temps de la partition du pays et de l'occupation ; elle l’a aidée à maintenir, et même à approfondir, la. conscience de son identité. Peut-être y aura-t-il des étrangers pour, estimer que cette situation est « atypique », mais elle a pour les Polonais une éloquence irrésistible. Elle est simplement une partie de la vérité de l'histoire de la patrie.

L'épiscopat de la Pologne contemporaine est d'une manière particulière l'héritier et le représentant de cette vérité. Le fait que, au long d'un millénaire d'histoire, le patronage des saints évêques et martyrs Adalbert et Stanislas ait accompagné les pensées et les coeurs des Polonais est une motivation profonde.



3. Lorsque, en l'an 1000, la structure fondamentale de l'organisation hiérarchique de l'Église a été établie en Pologne, elle a été établie, depuis le commencement, dans l'unité de la hiérarchie avec l'organisation de l'Église universelle — c'est-à-dire avec le Siège apostolique. C'est dans un tel rapport que la structure de l'Église demeure ininterrompue dans notre patrie jusqu'à aujourd'hui. Grâce à cela, la Pologne est catholique et « toujours fidèle ». L'unité de la structure hiérarchique, le lien de l'épiscopat polonais avec le Siège de Pierre constitue la base de cette unité dans sa dimension universelle. L'Église en Pologne, au long des siècles, a été fortement et inébranlablement enracinée dans cette universalité, qui;est un des signes de l'Église du Christ. La constitution Lumen gentium a approfondi ce point :de manière exhaustive sous divers aspects, montrant en même temps comment la dimension universelle de l'Église est liée à la mission et au ministère de Pierre.



Nous savons bien que cet enracinement de l'Église en Pologne dans sa catholicité — depuis le moment du baptême et de l'assemblée de Gniezno (Poznan) et tout au long de l'histoire — a une signification particulière pour la vie spirituelle de la nation. Et il a aussi une signification pour sa culture, qui est marquée non seulement par la tradition de liens visibles avec Rome, mais qui possède encore les caractéristiques de l'universalité propres au catholicisme et de l'ouverture à tout ce qui, dans l'échange universel des biens, devient le lot de chacun de ceux qui y participent. Cette affirmation pourrait être étayée par d'innombrables arguments tirés de notre histoire. Un de ces arguments pourrait même être le fait que nous nous trouvons ensemble aujourd'hui, qu'un pape polonais rencontre aujourd'hui l'épiscopat polonais.



On affirme généralement que la participation du peuple polonais à l'héritage spirituel de l'Église, qui découle de son unité universelle, est devenue un élément d'union et de sécurité pour l'identité et l'unité de la nation dans les périodes particulièrement difficiles. Ces périodes étaient aussi particulièrement marquées par le rayonnement de l'esprit chrétien. Le XIX° siècle en est la preuve, comme en sont la preuve, pour nous, les dernières décennies du siècle actuel. Après la période de l'occupation qui, comme on le sait, a été une menace terrible et mortelle pour la survie de la Pologne, est venue une période de grandes transformations qui ont trouvé une expression extérieure, par exemple dans l'organisation complètement nouvelle des frontières de l'État.



Dans ce contexte, le lien expérimenté depuis des siècles entre la vie de la nation et l'activité de l'Église, s'est encore une fois manifesté à nos yeux. La normalisation des rapports ecclésiastiques à l'intérieur des nouvelles limites de l'État polonais, et en particulier dans les territoires de l'ouest et du nord, a confirmé clairement ce qu'ont représenté l'an 1000 ou les temps de saint Adalbert et de saint Stanislas. L'organisation hiérarchique de l'Église est devenue non seulement le centre de sa mission pastorale, mais aussi un appui manifeste pour toute la vie de la société, pour la nation consciente de ses droits à l'existence et qui, comme nation en très grande majorité catholique, cherche aussi cet appui dans les structures hiérarchiques de l'Église. Telle est la portée des événements qui ont commencé!durant le pontificat du pape Pie XII en 1945, peu après la fin de la guerre et de l'occupation, avec la mission mémorable du cardinal Auguste Hlond, primat de Pologne, et qui se sont achevés avec les dernières décisions du pape Paul VI en juin 1972, lorsque dans l’archidiocèse de Cracovie a commencé le jubilé de sept années dit service pastoral de saint Stanislas. Il est significatif que c'est durant la conférence plénière de Cracovie, le 28 juin, que ces décisions importantes de Paul VI ont été rendues publiques.



L'ordre hiérarchique de l'Église trouve sa clé de voûte dans la mission et le ministère de Pierre. Le Siège apostolique tire de cette mission et de ce ministère le caractère qui lui est propre. Ce n'est pas un caractère de structure laïque et politique, même si, pour des raisons qui sont encore valables aujourd'hui, une survivance de l'ancien État pontifical est encore liée au Siège romain. Cependant, comme cet État, qui a cessé d'exister du point de vue historique en 1870, de même ce qu'il en reste actuellement, et qui est seulement symbolique, est une garantie de la souveraineté du Siège apostolique par rapport au monde et constitue une base sur laquelle s'appuie ce qui est essentiel à ce Siège apostolique : cela découle uniquement et exclusivement de la nature de l'Église, de sa mission apostolique, du service évangélique de la vérité et de l'amour, de la mission pastorale au service de laquelle est surtout l'organisation hiérarchique de l'Église. Les chapitres consacrés à cette organisation hiérarchique et à ses raisons d'être se trouvent dans la constitution Lumen gentium, après les chapitres qui traitent du mystère de l'Église et de la mission universelle du peuple de Dieu.



C'est seulement en ayant devant les yeux cette image adéquate et correcte de l'Église et, dans son ensemble organique, l'image propre du Siège apostolique, que nous pouvons établir d'une manière exacte la signification de la question qui est devenue depuis de nombreuses années d'une grande actualité en Pologne, c'est-à-dire la question de la normalisation des rapports entre l'Église et l'État. Il faut parler ici de cette actualité qui a de nouveaux aspects, puisque cette question a en arrière-plan, pour des raisons compréhensibles, une longue et riche histoire à laquelle on ne peut pas ne pas se référer. L'épiscopat polonais, en étroite collaboration avec le Siège apostolique, particulièrement durant les pontificats de Jean XXIII et de Paul VI, a fait énormément pour la cause de cette normalisation. Avant tout, il a établi une série d'éléments concrets sur lesquels la fonder. L'aide fondamentale pour ce travail d'avant-garde a été la doctrine contenue dans les documents du concile Vatican II et avant, tout d'avoir pu s'appuyer sur la Déclaration sur la liberté religieuse, document qui coïncide directement avec les principes promulgués dans des documents fondamentaux, nationaux et internationaux, parmi lesquels la constitution de la république populaire de Pologne. Il est clair que l'application concrète de ces principes ne peut répondre à l'idée de la « liberté religieuse » que lorsqu'elle prend en considération les besoins réels de l'Église qui sont liés à ses multiples activités.



De ce thème, comme aussi de la disponibilité de l'Église à collaborer avec tous les pays et tous les hommes de bonne volonté, j'ai parlé le 12 janvier dernier au Corps diplomatique prés le Saint-Siège. En voici un passage :



« En prenant des contacts — entre autres par le moyen des représentations diplomatiques — avec tant d'États aux profils si divers, le Siège apostolique désire avant tout exprimer sa profonde estime pour chaque nation et chaque peuple, pour sa tradition, sa culture, son progrès en tout domaine, comme je l'ai déjà dit dans les lettres adressées aux chefs d'État à l'occasion de mon élection au Siège de Pierre. L'État, comme expression de l'autodétermination souveraine des peuples et nations, constitue une réalisation normale de l'ordre social. C'est en cela que consiste son autorité morale. Fils d'un peuple à la culture millénaire qui a été privé durant un temps considérable de son indépendance comme État. Je sais, par expérience, la haute signification de ce principe.



« Le Siège apostolique accueille avec joie tous les représentants diplomatiques, non seulement comme porte-parole de leurs propres gouvernements, régimes et structures politiques, mais aussi et surtout comme représentants des peuples et des nations qui, à travers ces structurés politiques, manifestent leur souveraineté, leur indépendance politique et la possibilité de décider de leur destinée de façon autonome. Et il le fait sans aucun préjugé quant à l'importance numérique de la population : ici, ce n'est pas le facteur numérique qui est décisif.



« Le Siège apostolique se réjouit de la présence de si nombreux représentants ; il serait même heureux d'en voir beaucoup d'autres, spécialement des nations et populations qui avaient parfois à cet égard une tradition séculaire : je pense surtout ici aux nations qu'on peut considérer comme catholiques. Mais aussi à d'autres. Car, actuellement, de même que se développe l’oecuménisme entre l'Église catholique et les autres Églises chrétiennes, de même qu'on tend à nouer des contacts avec tous les hommes en faisant appel à la bonne volonté, de même ce cercle, s'élargit... Le Siège apostolique veut être, conformément à la mission de l’Elise, au centre de ce rapprochement fraternel. Il désire servir la cause de la paix, non pas à travers une activité politique, mais en servant les valeurs et les principes qui conditionnent la paix et le rapprochement et qui sont à la base du bien commun international...



« Nous Voyons bien que l'humanité est divisée de multiples façons. Il s'agit aussi, et peut-être par-dessus tout, de divisions idéologiques liées aux divers systèmes étatiques. La recherche de solutions permettant aux sociétés humaines d'accomplir leurs propres tâches, de vivre dans la Justice, est peut-être le principal signe de notre temps... Il faut tirer avantage des expériences réciproques...



« Le Siège apostolique, qui en a déjà donné la preuve, est toujours prêt à manifester son ouverture à l'égard de tout pays ou régime, en cherchant le bien essentiel qui est le véritable bien de l'homme. Un bon nombre d'exigences corrélatives à ce bien ont été exprimées dans la Déclaration des droits de l'homme et dans les pactes internationaux qui en permettent concrètement l'application ». (AAS 71, 1979, p. 354-357).



L'épiscopat polonais a ses expériences propres en ce domaine important. En se fondant sur la doctrine de Vatican II, il a élaboré un ensemble théorique de documents connus du Siège apostolique, et il a élaboré en même temps un ensemble d'attitudes pastorales pratiques qui confirment sa disponibilité au dialogue, en montrant clairement que le dialogue authentique doit respecter les convictions des croyants et assurer tous les droits des citoyens et les conditions normales pour l'activité de l'Église comme communauté religieuse à laquelle appartient la très grande majorité des Polonais. Nous nous rendons compte que ce dialogue ne peut être facile, car il se déroule entre deux conceptions du monde diamétralement opposées ; mais il doit être possible et efficace si le bien de l'homme et de la nation l'exige. D faut que l'épiscopat polonais ne cesse d'entreprendre avec sollicitude des initiatives importantes pour l'Église aujourd'hui. Il faut en outre que soient bien clairs dans l'avenir les principes de procédure qui ont été élaborés dans la situation actuelle à l'intérieur de la communauté ecclésiale, qu'il s'agisse de l'attitude du clergé ou des laïcs ou du status de chaque institution. La clarté des principes, comme leur mise en oeuvre pratique, est une source de force morale et elle sert en outre au processus d'une vraie normalisation.



En faveur de la normalisation des rapports entre l'Église et l'État à notre époque, la cause des droits fondamentaux de l'homme, parmi lesquels le droit à la liberté religieuse, a une signification indubitable qui est sous certains aspects fondamentale et centrale. La normalisation des rapports entre l'Église et l'État constitue une preuve pratique du respect de ce droit et de toutes ses conséquences dans la vie de la communauté politique. Ainsi conçue, la normalisation est aussi une manifestation pratique du fait que l'État comprend sa mission à l'égard de la société selon le principe de subsidiarité (principium subsidiaretatis), qui veut exprimer par là la pleine souveraineté de la nation. En ce qui concerne la nation polonaise, eu égard à son millénaire exceptionnel et à son lien actuel avec l'Église catholique, ce dernier aspect acquiert une signification particulière.



4. A travers toutes ces considérations particulièrement dans leur dernière partie, nous sommes profondément entrés dans le domaine des raisons éthiques qui constituent la dimension fondamentale de la vie humaine, y compris dans le domaine de l'activité qui est définie comme politique. Conformément à la tradition de la pensée européenne, qui remonte aux oeuvres des plus grands philosophes de l'antiquité et qui a trouvé sa pleine confirmation et son approfondissement dans l'Évangile et dans le christianisme, même — et surtout — l’activité politique trouve son sens propre dans le souci pour le bien de l'homme, qui est un bien de nature éthique. C'est de là que tire ses prémisses les plus profondes toute la doctrine sociale de l'Église qui, depuis la fin du XIX° siècle et particulièrement à notre époque, s'est beaucoup enrichie grâce à la problématique contemporaine. Ceci ne signifie pas qu'elle soit née seulement au cours des deux derniers siècles ; elle existait en fait depuis le commencement, comme conséquence de l'Évangile et de la vision de l'homme qu'il introduit dans les rapports avec les autres hommes, et particulièrement dans la vie, communautaire et sociale.

Saint Stanislas est appelé patron de l'ordre moral en Pologne. C'est peut-être dans sa figure qu'on voit le plus clairement combien l'ordre moral — aussi fondamental pour l'homme, pour l’humanum — pénètre profondément dans les structures et les différents niveaux de l'existence de la nation comme État, dans les structures et les différents niveaux de l'existence politique. Nous ne pourrons jamais méditer assez sur la manière dont le saint évêque de Cracovie, qui a subi la mort de la main d'un représentant éminent de la dynastie des Piast, a été ensuite bien accueilli, particulièrement au XIII° siècle, par les successeurs de cette même dynastie et ensuite — après sa canonisation en 1253 — a été vénéré comme le patron de l'unité de la patrie, démembrée à cause des divisions dynastiques. Cette tradition insolite du culte de saint Stanislas jette à coup sûr une lumière particulière sur les événements de 1079, au cours desquels l’évêque de Cracovie subit la mort, alors que le roi Boleslas le Hardi perdit sa couronne et fut obligé de quitter la Pologne. Et même si l'Anonyme de Saint-Gall, en écrivant sa chronique quelques dizaines d'années plus tard, a employé au sujet de l'évêque Stanislas l'expression traditor, cette expression ou d'autres semblables, nous les trouvons appliquées à la même époque à plusieurs autres évêques (comme par exemple à saint Thomas Becket en Angleterre) qui ont mérité l'auréole des saints. Évidemment, le ministère épiscopal a parfois été exposé au péril de perdre la vie pour payer ainsi le prix de l'annonce de la vérité et de la loi divine.



Le fait que saint Stanislas, que l'histoire proclame « patron des. Polonais » ait été reconnu de la part de l’épiscopat polonais avant tout comme patron de l'ordre moral, trouvera raison dans l’éloquente éthique de sa vie et de sa mort, et aussi dans toute la tradition qui s'est exprimée à travers les générations de la Pologne des Piast, des Jagellons et des rois élus, jusqu'à notre époque. Le patronage de l'ordre moral que nous rapportons à saint Stanislas est lié par-dessus tout à la reconnaissance universelle de l'autorité de la loi morale, c'est-à-dire de la loi de Dieu. Cette loi oblige tout le monde, les sujets comme les gouvernants. Elle constitue la norme morale et elle est un critère essentiel de la valeur de l'homme. C'est seulement lorsque nous partons de cette loi, c'est-à-dire de la morale, que peut être respectée et reconnue universellement la dignité de la personne humaine. La morale et la loi sont donc ainsi les conditions fondamentales de Tordre social. Les États et les nations se construisent sur cette loi et sans elle, ils périssent.



L'épiscopat polonais, avec un grand sens de sa responsabilité envers l'avenir de la nation, met toujours en évidence dans ses programmes pastoraux l'ensemble des menaces de nature morale contre lesquelles combat l'homme de notre époque, l'homme de la civilisation moderne. Ces menaces concernent la vie personnelle comme la vie sociale, et elles pèsent en particulier sur la famille et sur l'éducation des jeunes. Il faut défendre les époux, les cellules familiales, vis-à-vis du péché, vis-à-vis du péché grave contre la vie dès sa conception. On sait en effet que les circonstances de ces péchés pèsent sur la morale de la société et que ses conséquences menacent l'avenir de la nation. Il faut ensuite défendre l'homme contre les péchés d'immoralité et d'abus de l'alcool, parce qu'ils portent en eux l'humiliation de la dignité humaine et parce qu'ils ont des conséquences incalculables dans la vie sociale. Il faut toujours veiller, toujours tenir en éveil les consciences humaines, toujours avertir face aux violations des principes moraux, toujours pousser à la réalisation du commandement de là charité, parce que l'insensibilité intérieure prend facilement racine dans le coeur de l'homme.



Telle est la problématique éternelle, qui non seulement n'a rien perdu de son actualité à notre époque, mais qui est devenue encore plus claire et plus lumineuse. L'Église a besoin d'ordre hiérarchique pour être à même de servir efficacement l'homme et la société dans le domaine de l'ordre moral. De cet ordre, saint Stanislas est l'expression, le symbole et le patron. Étant donné que l'ordre moral est situé à la base de toute culture humaine; c'est à juste titre que la tradition nationale voit la place de saint Stanislas à la base de la culture polonaise. L'épiscopat polonais, en fixant le regard sur le grand protagoniste de l'histoire de la patrie, non seulement peut mais est vraiment obligé de se sentir le gardien de cette culture. Il doit ajouter à sa mission actuelle et à son ministère une sollicitude particulière pour tout le patrimoine culturel polonais, dont nous savons bien combien il est imprégné de la lumière du christianisme. Il est connu en outre que la culture est la preuve première et fondamentale de l'identité de la nation. La mission de l'épiscopat polonais, en tant que celui-ci continue celle de saint Stanislas, est marquée d'une certaine manière-par son charisme historique — et c'est pourquoi elle demeure dans ce domaine évidente et irremplaçable.



5. Il est difficile de considérer notre grand jubilé du neuf-centième anniversaire de la mort de saint Stanislas en le séparant du contexte européen. Tout comme il est difficile de considérer et de vivre le millénaire du baptême de la Pologne sans se référer à ce contexte. Ce contexte s'est étendu aujourd'hui au-delà de l'Europe, avant tout parce que les fils et les filles de nombreuses nations européennes — parmi lesquels aussi les Polonais — ont peuplé et formé la vie sociale en d'autres continents. Le contexte européen est cependant indubitablement présent aux bases mêmes. Déjà, les analogies que nous avons mentionnées entre la cause de saint Stanislas et celles d'autres nations ou États de la même époque historique montrent clairement que la Pologne du XIe siècle faisait partie de l'Europe et participait à ses problèmes, aussi bien dans la vie de l'Église que dans celle des communautés politiques de ce temps. C'est pourquoi le jubilé de saint Stanislas, qui a avant tout une dimension polonaise qui est nôtre et patriotique, nous le vivons à juste titre dans le contexte européen et nous ne pouvons faire autrement. La présence des représentants des nombreuses Conférences épiscopales d'Europe qui sont venus ici pour cette circonstance est donc grandement précieuse et éloquente.



Il s'est trouvé providentiellement que j'ai participé, le 18 mai de cette année, à la célébration du trente-cinquième anniversaire de la bataille du Mont-Cassin et de la victoire qui y fut remportée, et à laquelle nos compatriotes ont grandement contribué. Sur le même Mont-Cassin, nous avons honoré saint Benoît, en faisant mention du prochain quinzième centenaire de sa naissance — ce saint Benoît qui fut proclamé par Paul VI patron de l'Europe.



Si je me permets de faire ce rappel dans la circonstance de ce jour, je le fais en relation au contexte européen de saint Stanislas, et aussi en relation à son jubilé que nous sommes en train de célébrer. L'Europe qui a été plusieurs fois divisée au cours de son histoire, l'Europe qui a été tragiquement divisée vers la fin de la première moitié de notre siècle par l'horrible guerre mondiale, l'Europe qui, malgré les divisions actuelles et durables des régimes, des idéologies et des systèmes économiques et politiques, ne peut cesser de chercher son unité fondamentale, doit se tourner vers le christianisme. Malgré les traditions diverses qui existent sur le territoire européen entre ses parties orientales et occidentales, il y a en elles le même christianisme, qui tire son origine du même et unique Christ, qui accepte la même parole de Dieu, qui se rattache aux mêmes douze Apôtres. C'est cela qui se trouve aux racines de l'histoire de l'Europe. C'est cela qui forme sa généalogie spirituelle.



Le confirme l'éloquence du jubilé actuel de saint Stanislas, patron de la Pologne, auquel a le bonheur de participer le premier pape polonais, le premier pape slave, dans l'histoire de l'Église et de l'Europe. Les seules raisons économiques et politiques ne sont pas en mesure de le faire. Nous devons aller plus profond : jusqu'aux raisons éthiques. L'épiscopat polonais, tous les épiscopats et les Églises d'Europe ont ici une grande tâche à accomplir. En face de ces multiples tâches, le Siège apostolique voit les siennes d'une manière conforme au caractère et au ministère de Pierre. Quand le Christ dit à Pierre : « Confirme tes frères » (Lc 22,32), il dit par là même : « Sers leur unité ».






5 juin 1979



A JASNA GORA : AU CONSEIL EPISCOPAL POLONAIS POUR LA SCIENCE





C'est avec grande joie que je rencontre le vénérable Conseil épiscopal polonais pour la science dont, jusqu'à il y a peu de temps j'étais le président de par la volonté de la même Conférence épiscopale. Aujourd'hui je salue cordialement S. Exc. Mgr Mariano Rechowicz, tous les chers prêtres et MM. les professeurs.



Je désire vous dire que je donne au Conseil épiscopal pour la science la même grande importance que je lui donnais dans le passé. Peut-être même qu'actuellement après la promulgation de la nouvelle constitution apostolique Sapientia christiana concernant les études universitaires, je vois plus clairement l'actualité de notre Conseil pour la science et j'apprécie en meilleure connaissance de cause sa fonction et sa responsabilité.



L'Église — particulièrement à notre époque — doit affronter cette responsabilité. Elle doit tout d'abord, décider en toute connaissance de cause des problèmes qui touchent à sa propre science au niveau académique. Elle doit également, avec une grande lucidité, participer aux importants processus scientifiques de. la science contemporaine, liés à l'activité de l'université et des différents instituts, en particulier à ses propres universités et à ses propres instituts catholiques.



Le Conseil épiscopal pour la science qui regroupe les représentants de toutes les universités catholiques de caractère académique en Pologne, doit précisément dans ce domaine être utile à l'épiscopat et à l'Église de notre patrie. Je n'exagère pas en disant qu'il lui incombe une grande partie de la responsabilité pour l’aujourd'hui et pour l'avenir de la culture chrétienne polonaise. Et c'est la raison pour laquelle, en tenant compte de ce que je viens de dire, Excellences et Messieurs les professeurs, je recommande votre activité future à Marie, siège de la Sagesse divine, et je vous bénis de tout coeur.






5 juin 1979



A JASNA GORA : RECITATION DE L'ANGELUS





1. Il y a à Rome un bel usage : chaque dimanche et chaque fête d'obligation, le pape récite 1'Angélus Domini avec les fidèles qui s'assemblent pour cela sur la place Saint-Pierre. J'ai hérité cet usage de mes vénérés prédécesseurs et je le continue avec une grande joie. La prière est précédée par une brève méditation et aussi par un rappel des événements qu'il faut recommander particulièrement à Dieu dans la prière et elle se termine par la bénédiction.



Mes compatriotes de Pologne connaissent cet usage romain. Bien plus, à partir du moment où j'ai été appelé à la chaire de saint Pierre, ils ont commencé spontanément à s'unir à moi dans la récitation de l'Angélus de chaque jour, à l'heure fixée, le matin, le midi et le soir. Cette prière est devenue un usage universel, comme le montrent de nombreuses lettres et les échos de la presse. Grâce à l'Angélus, nous sommes spirituellement unis entre nous, nous rappelons mutuellement notre souvenir, nous partageons le mystère du salut et aussi notre coeur.



Aujourd'hui, en récitant l'Angélus de Jasna Gôra, je désire remercier tous mes compatriotes et toute la Pologne pour leur noble initiative. J'ai toujours été profondément ému par la preuve constante de votre souvenir et aujourd'hui je désire exprimer publiquement ce sentiment.



2. Je désire en même temps, chers frères et soeurs, demander avec vous à la Mère très sainte que la prière de l'Angélus rappelle continuellement à chacun et à tous combien la dignité de l'homme est grande. C'est aussi le fruit de cette prière et son but. En rappelant que « le Verbe s'est fait chair », c'est-à-dire que le Fils de Dieu est devenu homme, nous devons réaliser combien chaque homme est devenu grand à travers ce mystère c'est-à-dire à travers le mystère de l'incarnation du Fils de Dieu — chaque homme ! En effet, le Christ a été conçu dans le sein de Marie et il est devenu homme pour révéler l'amour éternel du Créateur et Père, et pour manifester la dignité de chacun d'entre nous.



Si nous récitons régulièrement l'Angélus, cette prière doit avoir une influence sur toute notre conduite. Nous ne pouvons pas la réciter seulement avec les lèvres, nous ne pouvons pas répéter la prière de l'Angélus et agir en même temps d'une manière opposée à notre dignité humaine et chrétienne.



Je ne parlerai pas maintenant en détail de tout ce qui, dans la manière de vivre des Polonais, est contraire à la dignité de « l'image de Dieu et de la ressemblance avec Dieu », à la dignité confirmée de manière nouvelle par le mystère de l'Incarnation. Nous connaissons parfaitement lés vices qui, parfois, se transforment en véritables plaies menaçant la vie spirituelle et biologique de la nation. Pensez-y bien chers frères et soeurs. Je vous en prie vivement.



Que l'Angélus continue donc en terre polonaise en union avec le pape. Et qu'il porte des fruits dans toute la vie des Polonais, non seulement les jours de fête, mais chaque jour de leur vie !






5 juin 1979



A JASNA GORA : AUX PELERINS DE SILESIE





1. De Jasna Gôra, je voudrais offrir un voeu particulier au sanctuaire de sainte Hedwige à Trzebnica, près de Wroclaw. Je le fais pour une raison bien précise. La Providence divine, dans ses desseins insondables, a choisi le 16 octobre 1978 pour marquer un tournant dans ma vie. Le 16 octobre, l'Église en Pologne fête sainte Hedwige ; c'est pourquoi je me sens un devoir spécial d'offrir aujourd'hui à l'Église en Pologne ce voeu pour la sainte qui est non seulement la patronne de la réconciliation entre les nations voisines, mais aussi la patronne du jour de l'élection du premier Polonais à la chaire de Pierre. Je dépose directement ce voeu dans les mains de tous les pèlerins qui sont venus aujourd'hui en nombre si élevé à Jasna Gôra, de toute la basse Silésie. Quand vous serez rentrés chez vous, je vous prie de porter ce voeu du pape au sanctuaire de Trzebnica, ville qui est devenue sa nouvelle patrie d'élection. Qu'il complète ainsi la longue histoire des vicissitudes humaines et des oeuvres de la divine Providence, liées à ce lieu et à toute votre terre.



2. Sainte Hedwige, femme d'Henri de la dynastie des Piast, appelé le Barbu, provenait de la famille bavaroise des Andechs. Elle est entrée dans l'histoire de notre patrie et, indirectement, dans celle de toute l'Europe du XIIIe siècle, comme la « femme parfaite » (Pr 31,10) dont parle la Sainte Écriture. Notre mémoire conserve particulièrement l'événement dont son fils, le prince Henri le Pieux, fut le protagoniste. C'est lui qui opposa une résistance efficace à l'invasion des Tartares, invasion qui traversa la Pologne en 1241 en venant de l’est de l'Asie, et s'arrêta seulement en Silésie, près de Legnica. Henri le Pieux tomba, il est vrai, sur le champ de bataille, mais les Tartares furent obligés de se retirer, et ne se rapprochèrent jamais plus autant de l'ouest par leurs incursions. Derrière le fils héroïque, il y avait sa mère, qui l'encourageait et recommandait au Christ crucifié la bataille de Legnica. Son coeur a payé de la mort de son propre fils le prix de la paix et de la sécurité des terres qui lui étaient soumises, comme aussi de celles avoisinantes et de toute l'Europe de l'ouest.



Pendant ces événements, Hedwige était déjà veuve et, étant veuve, elle consacra le restant de sa vie exclusivement à Dieu, en entrant à l'abbaye de Trzebnica qu'elle avait fondée. C'est là qu'elle acheva aussi sa sainte vie en 1243. Elle fut canonisée en 1267. Cette date est très proche de celle de la canonisation de saint Stanislas, advenue en 1253, le saint que l'Église en Pologne vénère depuis des siècles comme son patron principal.



Cette année, pour le neuvième centenaire de son martyre à Cracovie en Skalka, je voudrais — comme premier pape fils de la nation polonaise, ancien successeur de saint Stanislas sur la chaire de Cracovie, et maintenant élu à la chaire de saint Pierre le jour de la Sainte-Hedwige — envoyer à son sanctuaire de Trzebnica ce voeu qui marque une nouvelle étape dans l'histoire multiséculaire à laquelle nous participons tous.



3. A ce voeu, je joins en particulier des souhaits cordiaux pour tous ceux qui participent à cette sainte eucharistie, que je célèbre aujourd'hui à Jasna Gôra. Les saints que nous commémorons en ce jour devant Notre-Dame de Jasna Géra nous offrent, à travers les siècles, un témoignage d'unité entre les compatriotes et de réconciliation entre les nations. Je voudrais souhaiter précisément cette union et cette réconciliation. Je prie ardemment pour cela.

L'unité fonde ses racines dans la vie de la nation, comme elle l'a fait, par saint Stanislas, à une époque difficile pour la Pologne, quand la vie humaine à ses différents niveaux répond aux exigences de la justice et de l'amour. La famille constitue le premier de ces niveaux. Et moi, très chers compatriotes, je voudrais prier, aujourd'hui avec vous pour l'unité de toutes les familles polonaises. Cette unité a son origine dans le sacrement de mariage, dans ces promesses solennelles par lesquelles l'homme et la femme s'unissent entre eux pour la vie entière, en répétant les paroles rituelles : « Je ne t'abandonnerai pas jusqu'à la mort. » Cette unité prend sa source dans l'amour et la confiance mutuelle et le fruit et la récompense en sont l'amour et la confiance des enfants pour leurs parents. Malheur si elle devait s'affaiblir ou se dégrader entre les époux ou entre les parents et les enfants ! Conscients du mal qu'apporte avec soi la désagrégation de la famille, prions, aujourd'hui afin que n'arrive pas ce qui peut détruire l'unité, afin que la famille reste vraiment le siège de la justice et de l'amour.



Si elle veut, être intérieurement unie, si elle veut constituer une unité indissoluble, la nation a besoin d'une justice et d'un amour semblables. Et bien qu'il soit impossible de comparer la nation — cette société composée de plusieurs millions de personnes — à la famille — la plus petite communauté de l'humanité, comme on le sait — toutefois l'unité dépend de la justice, qui satisfait les besoins et garantit les droits et les devoirs de chaque membre de la nation. On évite ainsi de faire naître des dissonances et des contrastes à cause des différences qu'apportent avec eux les privilèges évidents pour les uns et la discrimination pour les autres. L'histoire de notre patrie nous montre combien cette tâche est difficile ; nous pouvons encore moins nous dispenser du grand effort qui tend à construire l'unité juste entre les fils de la même patrie. Cela doit s'accompagner de l'amour de cette patrie, amour de sa culture et de son histoire, amour de ses valeurs spécifiques, qui décident de sa place dans la grande famille des nations ; amour, enfin, des compatriotes, des Hommes qui parlent la même langue et sont responsables de la cause commune qui s'appelle la « patrie ».



En priant avec vous aujourd'hui pour l'unité interne de la nation dont — surtout au. XIII° et XIV° siècle — saint Stanislas est devenu le patron, je voudrais recommander à la Mère de Dieu, à Jasna Gôra, la réconciliation entre les nations, dont nous voyons une médiatrice dans la figure de sainte Hedwige. Comme la condition de l'unité interne dans le cadre de toute société ou communauté, aussi bien nationale que familiale, est le respect des droits de chacun de ses membres, ainsi la condition de la réconciliation entre les nations est aussi la reconnaissance et le respect des droits de chaque nation. Il s'agit surtout du droit à l'existence et à l’autodécision, du droit à la culture et à son développement multiforme. Nous savons bien, par l'histoire de notre patrie, combien nous a coûté l'infraction, la violation et la négation de ces droits inaliénables. Nous prions donc avec plus de force encore pour une réconciliation durable entre les nations de l'Europe et du monde. Qu'elle soit le fruit de la reconnaissance et du réel respect des droits de chaque nation.



4. L'Église veut se mettre au service de l'unité entre les hommes, elle veut se mettre au service de là réconciliation entre les nations. Ceci appartient à sa mission salvifique. Ouvrons continuellement nos pensées et nos coeurs vers cette paix dont le Seigneur Jésus a tant parlé aux Apôtres, aussi bien avant la passion qu'après sa résurrection : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 14,27).



Puisse ce pape, qui parle aujourd'hui ici du sommet de Jasna Gôra, servir efficacement la cause de l'unité et de la réconciliation dans le monde contemporain. Ne cessez pas de le soutenir dans cette tâche, par vos prières dans toute la terre polonaise.






5 juin 1979



APPEL DE JASNA GORA





1. « Marie, Reine de la Pologne, je suis près de toi, je me souviens de toi, je veille!»



Nous répéterons d'ici peu ces paroles qui, depuis la grande neuvaine de préparation au millénaire du baptême, sont devenues l'appel de Jasna Gôra et de l'Église en Pologne.



Je les répéterai aujourd'hui avec vous, comme pape-pèlerin sur sa terre natale.



Comme ces paroles correspondent à l'invitation que nous entendons si souvent dans l'Évangile: « Veillez ! » En répondant à cette invitation du Christ lui-même, nous désirons aujourd'hui, comme chaque soir à l'heure de l'appel de Jasna Gôra, dire à sa Mère : « Je suis près de toi, je me souviens de toi, je veille ! »



Ces paroles expriment de manière simple et forte, en même temps ce que signifie être chrétien, en terre polonaise, toujours, mais d'une façon particulière dans cette époque « millénaire » décisive de l'histoire de l'Église et de la nation. Être chrétien veut dire veiller, comme veille la sentinelle, la mère auprès du malade.



Veiller signifie garder un grand bien.



A l'occasion du millénaire du baptême, nous nous sommes rendu compte avec une force nouvelle du grand bien que représente notre foi et tout l'héritage spirituel qui tire d'elle son origine dans notre histoire. Veiller signifie se rappeler tout cela. Avoir une perception aiguë des valeurs qui existent dans la vie de chaque homme par le simple fait d'être homme, d'avoir été créé à l’image et, à la ressemblance de Dieu et d'avoir été racheté par le sang du Christ. Veiller veut dire se rappeler tout cela. Se le rappeler pour soi-même et souvent aussi pour les autres, pour ses compatriotes, pour le prochain.



2. Il faut veiller, très chers frères et soeurs, il faut veiller et agir avec empressement pour le bien de l'homme, car telle est la grande tâche qui revient à chacun de nous. On ne peut pas se permettre de laisser perdre tout ce qui est humain, polonais, chrétien sur cette terre.



« Soyez sobres, veillez » (1P 5,8), dit saint Pierre. Et moi aujourd'hui, à l'heure de l'appel de Jasna Gôra, je répète ces paroles. Je me trouve ici en effet pour veiller en cette heure avec vous et pour vous montrer combien m'éprouve profondément toute menace contre l'homme, contre la famille et la nation. Menace qui a toujours sa source dans notre faiblesse humaine, dans la volonté fragile, dans la façon superficielle de concevoir la vie. C'est pourquoi, très chers compatriotes, en cette heure de particulière sincérité, en cette heure d'ouverture du coeur devant Notre-Dame de Jasna Gôra, je vous parle de cela et je vous confie cela. Ne succombez pas à la faiblesse !



Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais par le bien, remportez la victoire sur le mal (cf. Rm Rm 12,21). Si tu vois que ton frère vient à tomber, relève-le, ne le laisse pas exposé au péril ! Il est parfois difficile de soutenir l'autre, surtout quand il « nous glisse entre les mains ».



... Mais peut-on le faire ? C'est Dieu lui-même, c'est le Christ lui-même qui nous confie chacun de nos frères, de nos compatriotes, en disant : « Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,40). Faites attention de ne pas vous rendre responsables des péchés des autres ! Le Christ adresse des paroles sévères à ceux qui causent le scandale (cf. Mt Mt 18,6-7). Demande-toi donc, cher frère ou chère, soeur, en cette heure de sincérité nationale, devant la Mère et devant son coeur plein d'amour, si tu ne scandalises pas, si tu ne pousses pas au mal, si, par légèreté, tu ne charges pas ta conscience des vices et des mauvaises habitudes que les autres contractent par ta faute... Les jeunes... peut-être même tes propres enfants.



« Soyez sobres, veillez !»



Veiller et se souvenir ainsi signifie se tenir à côté de Marie. Je suis près de toi ! Je ne peux pas être à côté d'elle, de Notre-Dame de Jasna Gôra, si je ne veille pas et si je ne me souviens pas de cette manière-là. Si en effet « je veille et je me souviens », par là même je suis à côté d'elle. Et parce qu'elle est entrée ainsi dans nos coeurs, il est plus facile pour nous de veiller et de nous, souvenir de ce qu'est notre héritage et notre devoir en nous tenant à côté de Marie : « Je suis près de toi. »



3. L'appel de Jasna Gôra n'a pas cessé d'être notre prière et notre programme ! La prière et le programme de tous ! Qu'il soit d'une manière particulière la prière et le programme des familles polonaises !



La famille est la communauté humaine première et fondamentale. Elle est un cadre de vie, elle est un milieu d'amour. La vie de toute société, nation ou État dépend de la famille, à condition qu'elle soit en leur sein un véritable cadre de vie et un véritable milieu d'amour. Il faut faire beaucoup, bien plus, il faut faire tout son possible pour donner à la famille les conditions nécessaires pour cela : conditions de travail, conditions de logement, conditions de subsistance, souci de la vie dès sa conception, respect social de la paternité et de la maternité, joie que donnent les enfants qui viennent au monde, plein droit à l'éducation et en même temps aide sous diverses formes à l'éducation... Voici un vaste et riche programme dont dépend l'avenir de l'homme et celui de la nation.



Comme je voudrais aujourd'hui, très chers compatriotes, comme je voudrais ardemment que l'appel de Jasna Gôra, la prière des coeurs polonais, se réalisent jour après jour, année après année, dans ce programme !



Comme je voudrais ardemment, moi qui dois ma vie, ma foi, ma langue à une famille polonaise, que la famille ne cesse jamais d'être forte de la force de Dieu ! Qu'elle surmonte tout ce qui l'affaiblit, tout ce qui la brise, tout ce qui ne lui permet pas d'être un véritable milieu d'amour. C'est pour cela que je prie pour vous maintenant avec les paroles de l'appel de Jasna Gôra. Et je désiré prier aussi à l'avenir en répétant : « Je suis près de toi, je me souviens de toi, je veille ! », afin que notre cri devant la Mère de Dieu se répercute et se réalise là où c'est le plus nécessaire.



Là d'où, de la fidélité à ces paroles répétées à la fin du premier millénaire, dépendra en grande partie le nouveau millénaire.






6 juin 1979



A JASNA GORA : AUX SEMINARISTES ET AUX RELIGIEUX NOVICES





Très chers amis,



1. L'Évangile que nous entendons lire le plus souvent lorsque nous nous trouvons ici, à Jasna Gôra, est celui qui nous rappelle les noces de Cana en Galilée. Saint Jean, témoin oculaire, a décrit en détail cet événement qui a eu lieu au début de la vie publique du Christ Seigneur. C'est là le premier miracle — le premier signe de la force salvifique du Christ — accompli en présence de sa Mère et de ses premiers disciples, les futurs Apôtres.



Vous aussi, vous vous êtes réunis ici comme disciples du Christ Seigneur. Chacun de vous est devenu son disciple par le saint baptême, qui oblige à une solide préparation de notre intelligence, de nôtre volonté, de notre coeur. Cela se réalise par la catéchèse, d'abord dans nos familles puis dans la paroisse. Par la catéchèse, nous approfondissons toujours davantage le mystère du Christ et nous découvrons en quoi consiste notre participation à ce mystère. La catéchèse ne consiste pas seulement à nous apprendre des notions religieuses, mais elle nous introduit à la vie de participation au mystère du Christ. Ainsi, en le connaissant — et à travers lui, en connaissant aussi le Père, « Qui m'a vu a vu le Père » (Jn 14,9) — nous devenons, dans l'Esprit-Saint, participants à la nouvelle vie que le Christ a infusée, en chacun de nous dès le baptême et a ensuite renforcée par la confirmation.



2. Cette nouvelle vie que le Christ nous donne devient notre vie spirituelle, notre vie intérieure. Nous nous découvrons donc nous-même ; nous découvrons en nous l'homme intérieur avec ses qualités, ses talents, ses nobles désirs, ses idéaux, mais nous découvrons aussi les faiblesses, les vices, les mauvaises inclinations : égoïsme, orgueil, sensualité. Nous sentons parfaitement combien les premiers de ces aspects de notre humanité méritent d'être développés et renforcés, et combien au contraire les seconds doivent être surmontés, combattus, transformés. De cette manière en gardant un contact vivant avec le Seigneur Jésus, un contact de disciple à maître — commence et se développe l'activité la plus sublime de l'homme : le travail sur soi-même, qui a pour fin la formation de sa propre humanité. Dans notre vie, nous nous préparons à exécuter divers travaux dans telle ou telle profession ; au contraire, Je travail intérieur tend uniquement à former l’homme lui-même : cet homme qu'est chacun de nous.



Ce travail est la collaboration la plus personnelle avec Jésus-Christ, semblable à celle qui s'est réalisée dans ses disciples quand il les a appelés à vivre en intimité avec lui.



3. L'Évangile d'aujourd'hui parle du banquet. Nous avons conscience que notre divin Maître, en nous appelant à collaborer avec lui — collaboration que nous, ses disciples, acceptons pour devenir ses apôtres — nous invite à Cana de Galilée. Il dispose en effet devant nous, selon la description expressive et symbolique des Pères de l'Église, deux tables : la table de la Parole de Dieu et la table de l'Eucharistie. Le travail que nous assumons sur nous-mêmes consiste à nous approcher de ces deux tables pour y puiser à pleines mains.



Je sais qu'ils sont fort (nombreux en Pologne les jeunes, garçons et filles qui, avec joie, avec confiance, avec un désir intérieur de connaître la vérité et de trouver l'amour pur et beau, s'approchent de la table de la Parole de Dieu et de la table de l'Eucharistie. A l'occasion de notre rencontre d'aujourd'hui, je voudrais souligner la grande signification des diverses formes de ce travail créateur qui nous permet de trouver la valeur profonde de la vie, le vrai charme de la jeunesse, en vivant dans l'intimité avec le Christ notre Maître, dans sa grâce sanctifiante. On découvre ainsi que la vie humaine, sur le seuil de laquelle se trouvent encore les jeunes, a un sens très riche et qu'elle est — toujours et partout — une réponse libre et consciente à l'appel de Dieu, qu'elle est une vocation bien déterminée.



4. Certains d'entre vous ont découvert que le Christ les appelle d'une manière particulière à son service exclusif et veut les voir à l’autel comme ses ministres ou bien sur les voies de la consécration évangélique par les voeux religieux. Cette découverte de la vocation est suivie d'un travail particulier de préparation qui dure plusieurs années et se réalise dans les séminaires ecclésiastiques ou dans les noviciats religieux. Que ces institutions — très méritantes dans la vie de l'Église — ne cessent jamais d'attirer les jeunes âmes, prêtes à se donner totalement au Rédempteur, afin que se réalise ce que vous chantez si spontanément: « Viens avec moi sauver le monde, c'est déjà le vingtième siècle... ! »



Rappelez-vous que je me réjouis de chaque vocation sacerdotale et religieuse comme d'un don particulier du Christ Seigneur pour l'Église, pour le peuple de Dieu, comme d'un témoignage singulier de la vitalité chrétienne de nos diocèses, de nos paroisses, de nos familles. Et ici aujourd'hui, avec vous, je confie chaque vocation de jeune à Notre-Dame de Jasna Gôra et je la lui offre comme un bien particulier.



5. Pendant le banquet de Cana en Galilée, Marie demande à son Fils le premier signe en faveur des jeunes époux et des maîtres de maison. Que Marie ne cesse pas de prier pour vous, pour toute la jeunesse polonaise, pour la jeunesse du monde entier, afin que se manifeste en vous le signe d'une nouvelle présence du Christ dans l'histoire !



Et vous, très chers amis, rappelez-vous bien ces paroles que la Mère du Christ a prononcées à Cana en s'adressant aux hommes qui devaient remplir les jarres d'eau. Elle dit alors en montrant son Fils : Tout ce qu'il vous dira faites-le ! (Jn 2,5).



A vous aussi elle dit cela aujourd'hui.



Acceptez ces paroles.



Souvenez-vous en.



Accomplissez-les!






6 juin 1979



RENCONTRE AVEC LES PRETRES A CZESTOCHOWA





1. Chers frères dans le sacerdoce et en même temps, dans le sacerdoce du Christ, fils très aimés.



Nous nous rencontrons ici, aux pieds de la Mère de Dieu, sous les yeux de notre Mère : la Mère des prêtres. Nous nous rencontrons dans des circonstances insolites, que vous ressentez certainement profondément, tout comme moi. Et pourtant, ce premier pape polonais qui se trouve aujourd'hui en face de vous a reçu la grâce de la vocation sacerdotale sur la terre polonaise, il est passé par un grand séminaire polonais (en bonne partie clandestin, car c'était durant l'occupation), il a étudié à la faculté de théologie de l'université Jagellon, il a reçu l'ordination sacerdotale des mains de l'évêque polonais d'inoubliable mémoire, un chef inflexible, le cardinal Adam Stefan Sapieha ; il a participé, comme vous, aux mêmes expériences de l'Église et de la nation.



Voici ce que je veux surtout vous dire dans la rencontre d'aujourd'hui. Tout ce qui s'est fortifié en moi ici, tout ce dont, d'ici, je me suis fait l'écho durant les rencontres que j'ai eu l'occasion d'avoir avec les prêtres depuis le 16 octobre 1978. C'est pourquoi, en vous rencontrant aujourd'hui, je désire me référer surtout aux paroles que j'ai déjà prononcées en ces diverses occasions. Je suis sûr en effet que vous avez tous une part dans leur expression, et que les droits d'auteur vous en reviennent en partie. De plus, j'estime qu'elles vous concernent vous, en Pologne, même si elles ont été déjà prononcées à Rome ou ailleurs.



2. Voici un passage du discours que j'ai adressé aux prêtres diocésains et aux religieux du diocèse de Rome, le 9 novembre de l'année dernière :



« Je garde le souvenir, disais-je, des prêtres admirables, zélés et souvent héroïques dont j'ai pu partager les soucis et les luttes... Dans ma précédente charge épiscopale, le Conseil presbytéral m'a rendu de grands services, en tant que lieu de rencontre pour partager avec l’évêque la sollicitude commune de toute la vie du presbyterium et l'efficacité de son activité pastorale... En vous rencontrant ici pour la première fois et en vous saluant avec une sincère affection, disais-je aux prêtres et aux religieux de Rome, j'ai encore dans les yeux et dans le coeur le presbyterium de l'Église de Cracovie ; toutes nos rencontres en différentes occasions ; nos nombreux entretiens qui remontent aux années de séminaire, les rencontres entre prêtres compagnons d'ordination et d'années de séminaire, auxquelles j'ai toujours été invité, y participant avec joie et profit » (cf. n. 2, 3. l'Osservatore Romano, 10 novembre 1978, p. 1).



3. Et maintenant, rendons-nous ensemble à la grande rencontre avec les prêtres mexicains au sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe. Je leur ai adressé ces paroles : « Serviteurs d'une cause sublime, de vous dépend en grande partie le sort de l'Église dans les secteurs confiés à vos soins pastoraux. Cela vous impose une profonde conscience de la grandeur de votre mission et de la nécessité d'y répondre toujours mieux. Il, s'agit, en effet..., de l'Église du Christ — quel respect et quel amour cela doit vous inspirer ! — que vous devez servir joyeusement dans la sainteté de vie (cf. Ep Ep 4,13). Ce service élevé et exigeant ne pourra être rendu sans une conviction claire et profondément enracinée au sujet de votre identité de prêtres du Christ, dépositaires et intendants des mystères de Dieu, instruments de salut pour les hommes, témoins d'un royaume qui commence en ce monde, mais qui trouve son achèvement dans l'au-delà » (cf. n. 2-3 : AAS 71, 1979, p. 180).



4. Ma troisième citation, enfin, est peut-être la mieux connue : c'est la lettre à tous les prêtres de l'Église à l'occasion du Jeudi Saint 1979. J'ai senti d'une manière particulièrement forte le besoin de m'adresser aux prêtres de toute l'Église au commencement de mon pontificat. Je désirais que cela se fasse à l'occasion du Jeudi Saint, à l'occasion de la « fête des prêtres ». J'avais devant les yeux ce jour où nous avons renouvelé ensemble, dans la cathédrale de Wawel, notre foi dans le sacerdoce du Christ, lui consacrant de nouveau, pour être à son entière disposition, tout notre être, âme et corps, afin qu'il puisse agir à travers nous et remplir son oeuvre de salut.



« Notre activité pastorale, ai-je écrit entre autres, exige que nous soyons proches des hommes et de tous leurs problèmes, aussi bien de leurs problèmes personnels et familiaux que de leurs problèmes sociaux, mais elle exige aussi que nous soyons proches de tous ces problèmes en prêtres. C'est seulement ainsi qu'au milieu de tous ces problèmes nous restons nous-mêmes. Si donc nous sommes vraiment au service de ces problèmes humains, parfois très difficiles, nous conservons notre identité et nous sommes vraiment fidèles à notre vocation. Il nous faut mettre une grande perspicacité à rechercher, avec tous les hommes, la vérité et la justice, dont nous ne pouvons trouver la dimension véritable et définitive que dans l'Évangile, bien plus, dans le Christ lui-même » (cf. n. 17 : AAS 71 1979, p. 404).



5. Chers prêtres polonais réunis aujourd'hui à Jasna Gôra, voici les principales pensées que je désirais partager avec vous. Les prêtres polonais ont leur histoire propre, qu'ont écrite, en lien étroit avec l’histoire de la patrie, les générations entières « des ministres du Christ et des administrateurs des mystères de Dieu » (1Co 4,1) que notre terre a donnés.



Nous avons toujours ressenti un lien profond avec le peuple de Dieu, avec ce peuple du milieu duquel nous avons été « choisis » et pour lequel nous avons été « établis » (cf. He He 5,1). Le témoignage de la foi vive que nous atteignons au cénacle, à Gethsémani, au Calvaire, de la foi sucée avec le lait de notre mère, de la foi fortifiée à travers les dures épreuves de nos compatriotes, est notre carte d'identité spirituelle, le fondement de notre identité sacerdotale.



Comment pourrais-je, au cours de la rencontre d'aujourd'hui, ne pas évoquer le souvenir des milliers de prêtres polonais qui ont perdu la vie au cours de la dernière guerre, principalement dans les camps de concentration ?



Permettez-moi de mettre un frein aux souvenirs qui se pressent dans mon esprit et dans mon coeur.



Je dirai seulement que cet héritage de la foi sacerdotale, du service, de la solidarité avec la nation dans ses périodes les plus difficiles qui constitue en un certain sens, le fondement de la confiance historique que la société met dans les prêtres polonais, doit être toujours repensé par chacun de vous et je dirais, toujours reconquis. Le Christ Seigneur a enseigné aux Apôtres quelle conception ils doivent avoir de lui et ce; qu'ils- doivent exiger d'eux-mêmes : « Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait-ce que nous devions faire » (Lc 17,10). Vous devez donc, chers frères, prêtres polonais, en vous rappelant ces paroles et les expériences historiques, avoir toujours devant les yeux ces exigences qui proviennent de l'Évangile et qui sont la mesure de votre vocation. C'est un grand bien que ce crédit, cette confiance dont le prêtre polonais jouit dans la société quand il est fidèle à sa mission et quand son attitude est limpide et conforme à ce style que l'Église en Pologne a élaboré au cours des dernières décennies : c'est-à-dire le style du témoignage évangélique du service social. Que Dieu nous assiste afin que ce style ne soit pas exposé à quelque « ébranlement » que ce soit.



Le Christ demande à ses disciples que leur lumière brille aux yeux des hommes (cf. Mt Mt 5,16). Nous nous rendons très bien compte des faiblesses humaines qui existent en chacun d'entre nous. Avec humilité nous pensons à la confiance que nous fait le Maître et Rédempteur, en confiant à nos mains sacerdotales le pouvoir sur son Corps et sur son Sang. Je veux espérer que, avec l'aide de sa Mère, vous serez toujours en mesure, en ces temps difficiles et souvent obscurcis, de vous comporter de manière telle que votre lumière brille aux yeux des hommes. Prions sans cesse pour cela, prions avec grande humilité.



Je désire en outre exprimer cordialement le souhait que la Pologne ne cesse d'être la patrie des vocations sacerdotales et la terre du grand témoignage qui est rendu au Christ à travers le service de votre vie : à travers le ministère de la Parole et de l'Eucharistie. Aimez Marie, frères très chers ! Ne cessez pas de tirer de cet amour la force de vos coeurs. Qu'elle se manifeste par vous et par votre intermédiaire comme la Mère de tous les hommes, qui ont une soif si grande de cette maternité.

Monstra te esse Matrem / Sumat per te preces / qui pro nobis natus / tulit esse tuus.

Amen.






6 juin 1979



A JASNA GORA: HOMELIE A LA MESSE POUR LES OUVRIERS





1. Jasna Gôra est devenue la capitale spirituelle de la Pologne où viennent les pèlerins de toutes les parties du sol de la patrie pour y retrouver l'unité avec le Christ Seigneur par l'intermédiaire du coeur de sa Mère. Et pas seulement de la Pologne, mais aussi d'au-delà des frontières. L'image de la Madone de Jasna Gôra est devenue dans le monde entier le signe de l'unité spirituelle des Polonais. Elle est également, dirais-je, un signe de reconnaissance de notre spiritualité et, en même temps, de notre place dans la grande famille des peuples chrétiens, réunis dans l'unité de l'Église. C'est une chose admirable, en effet, que de voir régner la Mère au moyen de son effigie à Jasna Gôra : le règne du coeur, toujours plus nécessaire au monde, qui tend à tout exprimer en froids calculs et en fins purement matérielles.



Arrivant comme pèlerin à Jasna Gôra, je voudrais d'ici m'unir cordialement à-tous ceux qui appartiennent à cette communauté spirituelle, à cette grande famille étendue sur toute la terre polonaise et au-delà de ses frontières. Je voudrais que nous nous rencontrions tous dans le coeur de notre Mère. Je m'unis par la foi, l'espérance et la prière à tous ceux qui ne peuvent venir jusqu'ici. Je m'unis particulièrement à toutes les communautés de l'Église du Christ en Pologne, à toutes les Églises diocésaines avec leurs pasteurs, à toutes les paroisses, aux familles religieuses masculines et féminines.



D'une manière particulière, je m'adresse à vous qui êtes venus aujourd'hui de la Silésie et de Zaglebie Dabrowskie. Ces deux terres, ces deux régions de la Pologne ancienne et contemporaine me sont proches. La richesse de la Pologne actuelle est liée en bonne partie aux ressources naturelles dont la Providence a doté ces terres et aux grands chantiers de travail humain qui ont surgi ici des derniers siècles. Historiquement, la Silésie comme Zaglebie — surtout la Silésie — sont toujours restées en union étroite avec le siège de saint Stanislas. Comme ancien métropolitain de Cracovie, je voudrais exprimer la joie spéciale que j'éprouve en cette rencontre qui a lieu aujourd'hui aux pieds de Jasna Gôra. J'ai toujours été proche par le coeur de l'Église de Katowice qui apporte à la vie catholique de Pologne, dans son ensemble, des expériences et des valeurs particulières.



2. Surtout, l'expérience de l'énorme travail. Les richesses de la terre, celles qui apparaissent à la surface comme celles que nous devons chercher dans les profondeurs de la terre, ne deviennent richesses de l'homme qu'au prix du travail humain. Il est nécessaire, ce travail — travail multiforme de l'intelligence et des mains — pour que l'homme puisse accomplir la magnifique mission que le Créateur lui a confiée, mission que le livre de la Genèse exprime par ces paroles : « Soumettez, dominez (la terre) » (Gn l, 28). La terre est confiée à l'homme et, à travers son travail, l'homme la domine.



Le travail est aussi la dimension fondamentale de l'existence de l'homme sur la terre. Pour l'homme, le travail n'a pas seulement une signification technique ; il a aussi une signification éthique. On peut dire que l'homme « assujettit » à lui la terre lorsque lui-même, par son comportement, en devient seigneur et non esclave, et aussi seigneur et non esclave du travail.



Le travail doit aider l'homme à devenir meilleur, spirituellement plus mûr, plus responsable, afin qu'il puisse réaliser sa vocation sur la terre, aussi bien comme personne absolument unique que dans la communauté avec les autres, et surtout dans cette communauté humaine fondamentale qu'est la famille. En s'unissant, l'homme et la femme, précisément dans cette communauté dont le caractère a été établi depuis le début par le Créateur lui-même, donnent vie à de nouveaux hommes. Le travail doit fournir à cette communauté humaine la possibilité de trouver les moyens nécessaires pour se former et pour subsister.

La raison d'être de la famille est l'un des facteurs fondamentaux qui déterminent l'économie et la politique du travail. Ces dernières conservent leur caractère éthique lorsqu'elles prennent en considération les besoins de la famille et ses droits. Par le travail, l'homme adulte doit gagner les moyens nécessaires à la subsistance de la famille. La maternité doit être traitée dans la politique et dans l'économie du travail comme une grande fin et un grand devoir en elle-même. A elle en effet est lié le travail de la mère, qui enfante, qui allaite, qui éduque et que personne ne peut remplacer. Rien ne peut remplacer le coeur d'une mère qui, dans une maison, est toujours présent et toujours attend. Le véritable respect du travail comporte en soi l’estime que l'on doit à la maternité, et il ne peut en être autrement. De cela dépend aussi la santé-morale de toute la société.



Mes pensées et mon coeur s'ouvrent encore une fois à vous, hommes soumis au dur travail, auxquels ma vie personnelle et mon ministère pastoral m'ont lié de différentes façons. Je souhaite que le travail que vous faites ne cesse jamais d'être la source de votre force sociale. Que grâce à votre travail, vos foyers soient forts ! Que grâce à votre travail, toute notre patrie soit forte !



3. Et c'est pourquoi je tourne encore une fois mon regard vers la Silésie et la Zaglebie laborieuses, vers les hauts fourneaux, vers les cheminées des usines ; c'est une terre de grand travail et de grande prière. L'une et l'autre étroitement unies dans la tradition de ce peuple dont la salutation la plus courante est exprimée par les paroles « Szczesc Boze » (Que Dieu vous aide !), paroles qui relient et réfèrent la pensée de Dieu au travail humain.



Il me faut aujourd'hui bénir la divine Providence, lui rendant grâces parce que dans cette terre l'énorme développement du travail humain est allé de pair avec la construction des églises, avec l'érection des paroisses, avec l'approfondissement et le renforcement de la foi. Parce que le développement n'a pas entraîné la déchristianisation, la rupture de l'alliance que travail et prière doivent sceller dans l'âme humaine, selon la devise des bénédictins : Ora et labora. La prière, qui en tout travail apporte la référence à Dieu Créateur et Rédempteur, contribue en même temps à «l'humanisation » totale du travail. « Le travail existe... afin que l'homme s'élève » (C.K. Norwid). L'homme qui, par la volonté du Créateur, a été appelé dès le commencement à soumettre la terre par le travail, a été créé par ailleurs à l'image et à la ressemblance de Dieu même. Il ne peut se retrouver lui-même, confirmer ce qu'il est, qu'en cherchant Dieu dans la prière. En cherchant Dieu, en se rencontrant avec lui par la prière, l'homme doit nécessairement se retrouver lui-même, puisqu'il est semblable à Dieu. Il ne peut se retrouver lui-même ailleurs qu'en son prototype. Il ne peut confirmer sa « domination » sur la terre par son travail qu'en priant en même temps.



Très chers frères et soeurs ! Hommes de Silésie, de Zaglebie et de toute la Pologne, qui êtes soumis au dur travail ! Ne vous laissez pas séduire par la tentation de croire que l'homme peut se retrouver pleinement lui-même en reniant Dieu, en supprimant la prière de sa vie, en restant seulement travailleur, en s'imaginant que ses propres productions puissent à elles seules satisfaire les besoins du coeur humain. « L'homme ne vit pas seulement de pain » (Mt 4,4), a dit celui qui connaît le coeur humain et qui a suffisamment prouvé qu'il se soucie des besoins matériels. La prière du Seigneur le « Notre Père », contient aussi une invocation pour le pain. Mais malgré cela, l'homme ne vit pas seulement de pain. Restez fidèles à l'expérience des générations qui ont cultivé cette terre, qui ont fait remonter à la surface ses trésors cachés, avec Dieu dans leurs coeurs, avec la prière sur les lèvres. Conservez ce qui a été la source de la force de vos pères et de vos aïeux, de vos familles, de vos communautés ! Que la prière et le travail deviennent une nouvelle source de force pour cette génération et aussi dans les coeurs de vos enfants, de vos petits-enfants et de vos arrière-petits-enfants.



4. Je vous dis « Szczesc Boze ». Que Dieu vous aide !



Et je le dis par le coeur de notre Mère, de celle dont te règne à Jasna Gôra consiste à être une Mère aimanté pour nous tous.



Je le dis par le Coeur de cette Mère qui s'est choisi une place plus proche de vos maisons, de vos mines et de vos usines, de vos villages et de vos villes : à Piekary. Ajoutez ce que je vous dis aujourd'hui de ce sommet de Jasna Gôra à ce que tant de fois je vous ai dit comme métropolitain de Cracovie, du sommet de Piekary. Et souvenez-vous en.



Amen.



« Szczesc Boze » — Que Dieu vous aide !



Amen !






6 juin 1979



ADIEUX A JASNA GÔRA





Notre-Dame de Jasna Gôra !



1. C'est l'usage — un bel usage — que les pèlerins auxquels tu as donné l'hospitalité auprès de toi à Jasna Gôra viennent prendre congé de toi avant de s'en aller. Je me souviens de tant de ces visites d'adieu, de ces audiences particulières que toi, ô Mère de Jasna Gôra, tu m'as accordées quand j'étais encore lycéen et que j'arrivais ici avec mon père ou avec le pèlerinage de toute ma paroisse natale de Wadowice. Je me rappelle l'audience que tu as accordée à moi-même et à mes compagnons lorsque nous sommes venus ici clandestinement, comme représentants de la jeunesse universitaire de Cracovie, durant la terrible occupation, pour ne pas interrompre la continuité des pèlerinages universitaires à Jasna Gôra, commencés en la mémorable année 1936. Je me rappelle tant d'autres adieux, tant d'autres séparations, lorsque je venais ici comme aumônier des jeunes, et plus tard comme évêque conduisant des pèlerinages de prêtres de l’archidiocèse de Cracovie.



2. Aujourd'hui je suis venu à toi, Notre-Dame de Jasna Gôra, avec le vénérable primat de Pologne, avec l'archevêque de Cracovie, avec l'évêque de Czestochowa, et avec tout l'épiscopat de ma patrie pour prendre congé encore une fois et pour te demander ta bénédiction pour mon voyage. Je viens ici après ces journées passées avec eux — et avec tant d'autres pèlerins — comme premier serviteur de ton Fils et successeur de saint Pierre sur la chaire de Rome. La signification de ce pèlerinage est vraiment ineffable. Je n'essaierai même pas d'exprimer ce qu'il a été pour moi et pour nous tous, et ce qu'il ne cessera d'être. Pardonne-nous donc, Mère de l'Église et Reine de la Pologne, de te remercier seulement par le silence de nos coeurs et de te chanter en silence notre « préface » d'adieu !



3. Je voudrais seulement remercier encore en ta présence mes frères très chers dans l'épiscopat : le cardinal primat, les archevêques et les évêques de l'Église en Pologne, du milieu desquels j'ai été appelé, avec lesquels j'ai été depuis le début, et je continue à être, profondément lié. Voici ceux qui, devenant selon les paroles de saint Pierre les modèles du troupeau (forma gregis, cf. 1P 5,3), servent de tout leur coeur l'Église et la patrie, sans épargner leurs forces. Je désire vous remercier tous, vénérables frères, et toi en particulier, éminentissime et bien-aimé primat de Pologne, en répétant encore une fois (même sans paroles) ce que j'ai déjà dit à Rome le 22 et le 23 octobre de l'année dernière. Je répète les mêmes choses aujourd'hui — par la pensée et par le coeur — ici, en présence de Notre-Dame de Jasna Gôra.



Je remercie cordialement tous ceux qui ces jours-ci se sont faits pèlerins ici avec moi — en particulier ceux qui sont chargés du sanctuaire, les Pères Paulins, avec leur supérieur général et gardien de Jasna Gôra.



4. O Mère de l'Église ! Encore une fois je me consacre à toi « dans ton maternel esclavage d'amour » : « Totus tuus ! » Je suis tout à toi ! Je te consacre toute l'Église, où qu'elle se trouve, jusqu'aux extrémités de la terre ! Je te consacre l'humanité, je te consacre tous les hommes, mes frères. Tous les peuples et toutes les nations. Je te consacre l'Europe et tous les continents. Je te consacre Rome et la Pologne unies, à travers ton serviteur, par un lien nouveau d'amour.



Mère, accepte !



Mère, ne nous abandonne pas !



Mère, guide-nous !






6 juin 1979



ARRIVEE A CRACOVIE





Par un mystérieux dessein de la Providence, j'ai dû laisser le siège épiscopal de saint Stanislas à Cracovie pour assumer, à partir du 16 octobre 1978, celui de saint Pierre à Rome. Le choix opéré par le Sacré Collège a été pour moi l'expression de la volonté du Christ lui-même. Je veux rester toujours soumis et fidèle à cette volonté. Je veux en outre servir de toutes mes forces la grande cause à laquelle j'ai été appelé, à savoir l'annonce de l'Évangile et l'oeuvre du salut. Je vous remercie de m'avoir aidé spirituellement, surtout de vos prières.



Si je vous dis cela dès les premiers mois de cette salutation, c'est que le Christ inscrit ses appels dans te coeur vivant de l'homme. Mon coeur était et n'a cessé d’être uni à vous, à cette ville, à ce patrimoine, à cette « Rome polonaise ».



C'est ici, sur cette terre, que je suis né.



C'est ici, à Cracovie, que j'ai passé la plus grande partie de ma vie, en commençant avec mon inscription à l'université Jagellon en 1938.



C'est ici que j'ai obtenu la grâce de la vocation sacerdotale.



C'est dans la cathédrale de Wawel que j'ai été consacré évêque et que, en janvier 1964, j'ai reçu en héritage le grand patrimoine des évêques de Cracovie.



Cracovie, depuis ma plus tendre enfance a été pour moi une particulière synthèse de tout ce qui est polonais et chrétien. Elle m'a toujours parlé du grand passé historique de ma patrie. Elle a toujours représenté pour moi, d'une façon sublime, l'esprit de son histoire.



Je me souviens de la vieille Cracovie de mes années de jeune et d'étudiant — et voici la nouvelle Cracovie, presque triplée par la construction de Nowa Huta, aux problèmes de laquelle j'ai participé comme pasteur, comme évêque, comme cardinal.



Je salue aujourd'hui ma chère Cracovie en tant que pèlerin.



Je salue tout ce qui la constitue : le témoignage de l'histoire, la tradition des rois, le patrimoine de la culture et de la science et, en même temps, la métropole moderne.



Et je vous salue surtout vous, les habitants de Cracovie, vous tous et chacun de vous. Je reviens à vous pour ces quelques jours du jubilé de saint Stanislas, comme à une grande famille.



Vous m'êtes si proches ! A cause de cet éloignement auquel le Seigneur m'a appelé, je vous sens encore plus proches. Je voudrais vous exprimer mes sentiments et mes voeux en reprenant les paroles de saint Ignace d'Antioche : « Que la grâce vous fasse abonder en toutes choses... Vous m'avez réconforté en toutes manières, que Jésus en fasse autant pour vous. Absent et présent vous m'avez aimé : que Dieu vous le rende » (Aux Smyrniotes, 9, 2 ; SC 10, p. 165).



Je voudrais, pendant les quelques jours où je serai avec vous, faire les choses que j'ai toujours faites annoncer « les merveilles de Dieu » (Ac 2,11), rendre témoignage à l'Évangile et servir la dignité de l'homme. Comme l'a servie saint Stanislas il y a tant de siècles.






6 juin 1979



A CRACOVIE : SALUT AU « PRESBYTERIUM » ET AU PEUPLE DE DIEU





Dès mon arrivée à Cracovie, j'ai dirigé mes premiers, pas vers la cathédrale pour vous rencontrer près de la tombe de saint Stanislas, de la bienheureuse reine Hedwige et près de la tombe de nos rois, de nos chefs, de nos poètes nationaux. Vous savez tous très bien ce qu'a été pour moi cette cathédrale de Wawel.



Je salue tout le bien-aimé Presbyterium de l'Église de Cracovie, réuni près des reliques de son Patron, évêque il y a neuf siècles, et en même temps près de son actuel successeur, le métropolite de Cracovie et ses frères dans l’épiscopat.



Salut à tous.



Depuis 1972, j'ai préparé avec vous, très chers frères, ce Jubilé que maintenant je célèbre avec vous, bien que différemment de ce que je prévoyais. Insondables desseins de Dieu ! Insondables ses voies !



Nous avons ensemble fait le projet que cette année seraient effectuées les visites dans toutes les paroisses de l'archidiocèse de Cracovie avec les reliques de saint Stanislas, et je sais que cela se réalise. Permettez qu'à cette succession de visites j'ajoute également la mienne, ma visite actuelle dans la basilique de Wawel, qui en sa qualité de cathédrale est mère de toutes les églises et paroisses de l'archidiocèse. Par la visite aux saintes reliques, ici dans cette cathédrale, je visite indirectement chaque paroisse. Et de cette façon, je visite aussi chacun de vous, très chers frères et fils, chacun sur son propre poste de travail. Je visite toutes les communautés du peuple de Dieu dont vous êtes les pasteurs. Je vous prie de saluer vos paroisses, vos églises, vos chapelles. Saluez tous les sanctuaires toujours si chers à mon coeur.



Saluez les familles, les parents, la jeunesse.



Ainsi, comme autrefois, je prie maintenant chaque jour pour mon cher archidiocèse :



pour les familles ;

pour les paroisses et les aumôneries militaires ;

pour les congrégations religieuses masculines et féminines ;

pour le séminaire de Cracovie et tous les séminaires de la ville ;

pour l'Athénée théologique, héritier de la plus ancienne faculté de Pologne, de l'université Jagellone, que nous devons à la bienheureuse reine Hedwige ;

pour le Conseil presbytéral ;

pour la Curie métropolitaine ;

pour le Chapitre préposé à la garde de Wawel ;

pour le Synode de l’archidiocèse et de la métropole.

Que soit béni Dieu et Père de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis par le don d'une particulière unité à son service.



Amen.






7 juin 1979



AU SANCTUAIRE DE KALWARIA ZEBRZYDOWSKA





1. Je ne sais vraiment pas comment remercier la divine Providence pour m'avoir permis de visiter encore une fois ce lieu. Kalwaria Zebrzydowska, le sanctuaire de la Mère de Dieu, les lieux saints de Jérusalem liés à la vie de Jésus et de sa Mère, reproduits ici, en ce qu'on appelle les « ruelles ». Je les ai visitées comme prêtre. J'ai visité souvent en particulier le sanctuaire de Kalwaria comme archevêque de Cracovie et comme cardinal. Nous venions très souvent ici, les prêtres et moi, pour concélébrer devant la Mère de Dieu. Nous venions pour le pèlerinage annuel du mois d'août et aussi avec les pèlerinages de groupes déterminés au printemps et à l'automne. Mais plus fréquemment je venais seul ici et, marchant le long des ruelles de Jésus-Christ et de sa Mère, je pouvais méditer leurs très saints mystères et recommander au Christ, par Marie, les problèmes particulièrement difficiles et ceux qui engageaient spécialement ma responsabilité dans la complexité de mon ministère. Je puis dire que presque tous ces problèmes n'ont été mûris qu'ici, par l'ardente prière devant ce grand mystère de la foi que Kalwaria enferme en soi.



2. C'est un mystère que vous connaissez tous bien : vous, les Pères et Frères Bernardins (Franciscains), gardiens de ce sanctuaire, et vous qui habitez -ici, les paroissiens, vous les nombreux, nombreux pèlerins qui venez ici à diverses époques et en divers groupes de toute la Pologne, surtout de la région proche des Carpates, de l'une et de l'autre partie des Tatras, certains plusieurs fois. Kalwaria a en soi quelque chose qui provoque cela ? Peut-être la beauté naturelle du paysage, qui s'étend au seuil des Beskides polonais. Ceci nous rappelle assurément Marie qui — pour rendre visite à Elisabeth — se mit en route vers la montagne » (Lc 1,39), Mais ce qui surtout, attire l'homme continuellement ici de nouveau, c'est ce mystère d'union de la Mère avec le Fils et du Fils avec la Mère. Ce mystère est raconté d'une façon plastique et généreuse par toutes les chapelles et les petites églises, disséminées autour de la basilique centrale, où règne l'image de la Madone de Kalwaria couronnée d'un diadème, offert par le pape Léon XIII, le 11 août 1887, par le cardinal Albin Dunajewski. L'anniversaire de cette cérémonie tombe le 15 août. Pour le centenaire, qui aura lieu en 1987, vous vous préparerez pendant les neuf prochaines années. Que ces neuf années de préparation soient profondément vécues par vous et vous rapprochent encore davantage des mystères de la Mère et du Fils, si fortement vécus et médités en ce saint lieu.



Le mystère de l'union de la Mère avec le Fils et du Fils avec la Mère sur le « chemin de croix », et ensuite sur les traces de ses funérailles de la chapelle de la Dormition au « sépulcre de la Madone». Enfin, le mystère de l'union dans la gloire que rappellent les ruelles de l'Assomption et du Couronnement. Le tout, bien situé dans le temps et dans l'espace, enveloppé des prières de tant de coeurs, de tant de générations, constitue un trésor singulier et vivant de la fou de l'espérance et de la charité du peuple de Dieu de cette terre. Quand je venais ici, j'avais toujours conscience de puiser dans ce trésor. Et j'avais toujours conscience que ces mystères de Jésus et de Marie, que nous méditons en priant pour les vivants et pour les morts, sont vraiment insondables. Nous revenons toujours à eux et chaque fois nous éprouvons le besoin de revenir de nouveau ici et de les pénétrer davantage. Dans ces mystères s'exprime en synthèse tout ce qui fait partie de notre pèlerinage terrestre et qui fait partie de nos « ruelles » de la vie quotidienne. Tout cela a été assumé par le Fils de Dieu et par sa Mère, est rendu de nouveau à l'homme : tout cela est alors pénétré d'une lumière nouvelle, sans laquelle la vie humaine n'a pas de sens et reste dans la nuit.



« ... Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie» (Jn 8,12). Tel est le fruit de mon pèlerinage pluriannuel à travers les ruelles de Kalwaria. Le fruit que je partage aujourd'hui avec vous.



3. Et si je veux vous encourager et vous enthousiasmer pour quelque chose, c'est bien pour cela : que vous ne cessiez pas de visiter ce sanctuaire. Plus encore : je veux vous dire à tous, mais surtout aux jeunes (parce que les jeunes aiment particulièrement ce lieu) : ne cessez pas de prier : « il faut prier toujours, sans se lasser » (Lc 18, l) — disait Jésus. Priez et, par la prière, formez vos vies : « L'homme me vit pas seulement de pain » (Mt 4,4)... et l'homme n'est pas seulement homme par l'aspect temporel des choses, la satisfaction des besoins matériels, les ambitions ou les désirs. « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4). Si nous devons vivre cette parole, une parole divine, il nous faut prier « sans nous lasser » !



Que parvienne de ce lieu, à tous ceux qui m'écoutent et partout, cette invitation simple et fondamentale du pape à la prière.



C'est l'invitation la plus importante.



C'est le message le plus essentiel.



Que le sanctuaire de Kalwaria continue à rassembler les pèlerins, qu'il serve l’archidiocèse de Cracovie et toute l'Église en Pologne. Que s'accomplisse ici une grande oeuvre de renouveau spirituel des hommes, des femmes, de la jeunesse masculine et féminine, du service liturgique de l'autel et de tous.



Et à tous ceux qui continueront à venir, je demande de prier pour l'un des pèlerins de Kalwaria que le Christ a appelé avec les mêmes mots que Simon Pierre : « pais mes agneaux... Pais mes-brebis » (Jn 21,15-19).



Je vous le demande : priez pour moi ici pendant ma vie et après ma mort.



Amen.






7 juin 1979



DANS L'EGLISE PAROISSIALE DE WADOWICE





Chers habitants de Wadowice,



C'est avec une grande émotion que j'arrive aujourd'hui dans la ville où je suis né, dans la paroisse où j'ai été baptisé et accueilli dans la communauté ecclésiale, dans le cadre auquel j'ai été lié pendant dix-huit années de ma vie : depuis ma naissance jusqu'au baccalauréat.



Je voudrais vous remercier de vos salutations et en même temps vous saluer cordialement et souhaiter à tous la bienvenue. Depuis l'époque où je résidais à Wadowice, beaucoup d'années se sont écoulées et le cadre actuel a bien changé. Je salue donc tes nouveaux habitants de Wadowice, mais je te fais en pensant à ceux d'autrefois : à la génération qui a vécu la période de la première et de la seconde guerre mondiale et qui a vécu là sa jeunesse. Par la pensée et par le coeur, je reviens à l'école élémentaire — ici au Rynek (place du Marché) — et au lycée Marcin Wadowita de Wadowice que je fréquentais. Par la pensée et par le coeur, je reviens vers ceux de mon âge, mes camarades d'école, vers nos parents, nos maîtres et nos professeurs. Certains de ma génération sont encore ici, et je les salue avec une cordialité particulière. D'autres sont dispersés à travers toute la Pologne et de par le monde, mais ils sauront eux aussi que nous nous sommes rencontrés.



Nous savons l'importance des premières années de la vie, de l'enfance, de l'adolescence, pour le développement de la personne humaine et du caractère. Ce sont justement ces années qui m'unissent de manière indissoluble à Wadowice, à la ville et à ses environs. Au fleuve Skawa, à la chaîne des Beskides. C'est pourquoi j'ai tant désiré venir ici pour remercier Dieu avec vous de tous les bienfaits que j'ai reçus ici. Ma prière se porte vers tous les défunts, en commençant par mes parents, mon frère et ma soeur, dont le souvenir, pour moi, est toujours lié à cette ville.



Je voudrais encore exprimer mes sentiments de profonde gratitude à Mgr Edward Zacher, qui m'enseigna la religion au lycée de Wadowice, et qui prêcha ensuite à ma première messe, à mes premières célébrations d'évêque, d'archevêque et de cardinal, ici, dans l'église de Wadowice, et qui a pris la parole aujourd'hui aussi à l'occasion de cette nouvelle étape de ma vie, que l'on ne peut expliquer sinon par l'incommensurable miséricorde divine et la protection spéciale de la Mère de Dieu.



Lorsque je me mets à regarder derrière moi le long chemin de ma vie, je pense que le cadre, la paroisse, ma famille m'ont conduit aux fonts baptismaux de l'église de Wadowice où, le 20 juin 1920, m'a été accordée la grâce de devenir enfant de Dieu, et aussi la foi en mon Rédempteur. Ces fonts baptismaux, je les ai déjà baisés solennellement une fois, en l'année du Millénaire de la Pologne, quand j'étais archevêque de Cracovie. Aujourd'hui, je veux les baiser encore une fois comme pape, successeur de saint Pierre.



Je veux en outre fixer mon regard, sur le visage de la Mère du Perpétuel Secours, en son image de Wadowice.



Et je demande à tous, devant l'image de cette Mère, de m'entourer de leur prière incessante.






7 juin 1979



AU CAMP DE CONCENTRATION D'AUSCHWITZ





1. « Voici quelle est la victoire qui a vaincu le monde : c'est notre foi » (Jn 5,4).



Ces paroles de la lettre de saint Jean me viennent à l'esprit et me pénètrent le coeur lorsque je me trouve ici, en cet endroit où à été remportée une victoire particulière de la foi. De la foi qui fait naître l'amour de Dieu et du prochain, l'unique amour, l'amour suprême qui est prêt « à donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13 cf. Jn 10,11). Une victoire donc de l'amour que la foi a vivifiée jusqu'au sommet du témoignage ultime et définitif.

Cette victoire de la foi et de l'amour, un homme l'a remportée en ce lieu ; son nom est Maximilien Marie ; son nom de famille : Kolbe ; sa profession (telle qu'il l'indiquait lui-même dans les registres du camp de concentration) : prêtre catholique ; sa vocation : fils de saint François ; sa naissance : fils de gens simples, laborieux et pieux, tisserands aux environs de Lodz ; par la grâce de Dieu et le jugement de l'Église : bienheureux.



La victoire par la foi et l'amour, cet homme l'a remportée en ce lieu qui fut construit pour la négation de la foi (de la foi en Dieu et de la foi en l'homme) et pour fouler aux pieds radicalement non seulement l'amour mais tous les signes de la dignité humaine, de l'humanité. Un lieu qui fut construit sur la haine et sur le mépris de l'homme au nom d'une idéologie folle. Un lieu qui fut construit sur la cruauté. A ce lieu conduit une porte, qui existe encore aujourd'hui, et sur laquelle est placée une inscription : Arbeit macht frei (le travail rend libre), qui rend un son sardonique, parce que son contenu était radicalement contredit par tout ce qui se passait à l'intérieur.



Dans ce lieu du terrible massacre où trouvèrent la mort quatre millions d'hommes de diverses nations, le père Maximilien, en s'offrant volontairement lui-même à la mort, pour un frère, dans le bunker de la faim, remporta une victoire Spirituelle semblable à celle du Christ lui-même. Ce frère vit encore aujourd'hui sur la terre polonaise.



Mais le père Maximilien Kolbe fut-il le seul ? Certes, il a remporté une victoire qui frappa aussitôt ses compagnons de prison et qui frappe encore aujourd'hui l'Église et le monde. Il est certain aussi que beaucoup d'autres victoires semblables ont été remportées ; je pense par exemple à la mort, dans le four crématoire d'un camp de concentration, de la soeur carmélite Bénédicte de la Croix, dans le siècle Edith Stein, illustre disciple de Husserl, qui est devenue une gloire de la philosophie allemande contemporaine, et qui descendait d'une famille juive de Wroclaw.



Sur le lieu où la dignité de l'homme avait été foulée aux pieds d'une manière aussi horrible, la victoire remportée grâce à la foi est l'amour.



Quelqu'un peut-il encore s'étonner que le pape, né et élevé sur cette terre, le pape qui est arrivé sur le siège de saint Pierre de ce diocèse sur le territoire duquel se trouve le camp d'Auschwitz, ait commencé sa première encyclique par les mots Redemptor hominis, et qu'il l'ait consacrée dans son ensemble à la cause de l'homme, à la dignité de l'homme, aux menaces contre lui et enfin à ses droits inaliénables qui peuvent êtres facilement foulés aux pieds et anéantis par ses semblables ? Suffit-il donc de revêtir l'homme d'un uniforme différent, de l'armer de tous les moyens de la violence, suffit-il donc de lui imposer une idéologie dans laquelle les droits de l'homme sont soumis aux exigences du système, complètement soumis, au point de ne plus exister en fait ?



2. Je viens ici aujourd'hui en pèlerin. On sait que je suis venu ici bien des fois... Tant de fois ! Et bien des fois, je suis descendu dans la pièce où Maximilien Kolbe est mort, et je me suis arrêté devant le mur de l'extermination, et je suis passé entre les ruines des fours crématoires de Brzezinka ; Je ne pouvais pas ne pas venir ici comme pape.



Je viens donc ; en ce sanctuaire particulier dans lequel est né — si je puis dire — le patron de notre siècle difficile, tout comme saint Stanislas, patron des Polonais, naquit sous l’épée il y a neuf siècles à Rupella.



Je viens pour prier avec vous tous qui êtes venus ici aujourd'hui — et avec toute la Pologne — et avec toute l'Europe. Le Christ veut, que moi, devenu successeur de Pierre, je rende témoignage devant le monde de ce qui constitue la grandeur de l'homme de notre temps et sa misère. De ce qui constitue sa défaite et sa victoire.



C'est pourquoi je viens m'agenouiller sur ce Golgotha du monde contemporain, sur ces tombes en grande partie sans nom, comme la grande tombe du soldat inconnu. Je m'agenouille devant toutes les pierres qui se succèdent et sur lesquelles la commémoration des victimes d'Auschwitz est gravée dans, les langues suivantes : en polonais, anglais, bulgare, tzigane, tchèque, danois, français, grec, hébreu, yiddish, espagnol, flamand, serbo-croate, allemand, norvégien, russe, roumain, hongrois, italien.

Et je m'arrête en particulier avec vous, chers participants à cette rencontre, devant la pierre qui porte l'inscription en langue hébraïque. Cette inscription rappelle le souvenir du peuple dont les fils et les filles étaient destinés à l'extermination totale. Ce peuple tire son origine d'Abraham, qui est le Père de notre foi (cf. Rm Rm 4,12), comme l'a dit Paul de Tarse. Ce peuple, qui a reçu de Dieu ce commandement : « tu ne tueras pas », a éprouvé en lui-même à un degré spécial ce que signifie tuer. Devant cette pierre, il n'est permis à personne de passer outre avec indifférence.



Je choisis de m'arrêter encore devant une autre pierre : celle dont l'inscription est en langue russe. Je n'ajoute aucun commentaire. Nous savons de quelle nation il s'agit. Nous connaissons la part qu'elle eut dans la terrible dernière guerre, pour la liberté des peuples. Devant cette pierre, on ne peut pas passer indifférent.



Enfin, la dernière pierre, celle en langue polonaise. Six millions de Polonais ont perdu la vie au cours de la seconde guerre mondiale : le cinquième de la nation. Encore une étape des luttes séculaires de cette nation, de ma nation, pour ses droits fondamentaux parmi les peuples d'Europe. Encore un cri puissant pour le droit d'avoir sa propre place sur la carte de l'Europe. Encore un compte douloureux avec la conscience de l'humanité.



J'ai choisi seulement trois pierres. Il faudrait s'arrêter devant chacune de celles qui sont là, c'est ce que nous ferons.



3. Oswiecim (Auschwitz) est un tel compte. On ne peut pas le visiter seulement.



Il faut se demander avec crainte à cette occasion où se trouvent les frontières de la haine, les frontières de la destruction de l'homme par l'homme, les frontières de la cruauté ?



Oswiecim est un témoignage de la guerre. La guerre porte avec elle une croissance démesurée de la haine, de la cruauté. Et si on ne peut pas nier qu'elle manifeste aussi de nouvelles possibilités du courage de l'homme, de l'héroïsme, du patriotisme, il demeure pourtant que c'est le compte des pertes qui l'emporte en elle. Il l'emporte toujours plus, parce que la capacité de destruction des armes inventées par la technique moderne s'accroît chaque jour. Les responsables des guerres ne sont pas seulement ceux qui en sont directement la cause, mais aussi ceux qui ne font pas tout pour les empêcher. Qu'il me soit donc permis de répéter en ce lieu les paroles que Paul VI prononça devant l'Organisation des Nations Unies : « Il suffit de rappeler que le sang de millions d'hommes, que les souffrances inouïes et innombrables, que d'inutiles massacres et d'épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous unit en un, serment qui doit changer l'histoire future du monde : jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! C'est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l'humanité ! » (AAS 57, 1965, p. 881).



Si toutefois ce grand appel d'Oswiecim, le cri de l'homme martyrisé ici doit porter des fruits pour l'Europe (et aussi pour le monde), il faut tirer toutes les justes conséquences de la Déclaration des droits de l'homme, comme le pape Jean XXIII exhortait à le faire dans l'encyclique, Pacem in terris. En effet, on y « reconnaît solennellement à tous les hommes sans exception leur dignité de personne ; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les devoirs de justice, d'exiger des conditions de vie conformes à la dignité humaine, ainsi que d'autres droits liés à ceux-ci » (Jean XXIII, Pacem in terris, IV : AAS 55, J963, p. 295-296).



Il faut revenir à la sagesse du vieux maître Pawel Wlodkowic, recteur de l'université Jagellon de Cracovie, et assurer les droits des nations : à l'existence, à la liberté, à l'indépendance, à leur propre culture, à un développement honnête. Wlodkowic écrit : « Là où le pouvoir s'exerce plus que l'amour, on cherche ses propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ, et on s'éloigne donc facilement de la norme de la loi divine (...). Tout le droit s'oppose aux menaces contre ceux qui veulent vivre en paix : s'y oppose le droit civil (...) et canonique (...), le droit naturel, c'est-à-dire le principe "Ce que tu veux pour toi, fais-le à autrui". S'y oppose le droit divin, en tant que ... dans le "tu ne voleras pas" tout, larcin est interdit et dans le "tu ne tueras pas" l'est toute violence» (P. Wlodkowic, Saeventibus, 1415, Trac. 2, Solutio quaest ,4a ; cf. L. Ehrlich, Pisma Wybrane Pawla Wlodkowica, Waeszawa 1968, t. 1S 61 1S 58-59).



Et non seulement le droit s'y opposait, mais aussi et surtout, l'amour. Cet amour du prochain dans lequel se manifeste et se traduit l'amour de Dieu que le Christ a proclamé comme son commandement. Mais il est aussi le commandement que tout homme porte

inscrit dans son coeur ; gravé par son Créateur lui-même. Un tel commandement se concrétise également dans le « respect de l'autre », de sa personnalité, de sa conscience ; il se concrétise dans le « dialogue avec l'autre », dans le savoir rechercher et reconnaître ce qu'il y a de bon et peut y avoir de positif même en celui qui a des idées différentes des nôtres, en celui qui erre sincèrement, en bonne foi.



Jamais l'un aux dépens de l'autre, au prix de l'asservissement de l'autre, au prix de la conquête, de l'outrage, de l'exploitation et de la mort !



C'est le successeur de Jean XXIII et de Paul VI qui prononce ces paroles. Mais celui qui les prononce est en même temps le fils de la nation qui a subi de la part des autres, au cours de son histoire, de multiples vicissitudes. Il ne le dit pas pour accuser, mais pour rappeler. Il parle au nom de toutes les nations dont les droits sont violés et oubliés. Il le dit parce qu'il y est poussé par la vérité et par la sollicitude pour l'homme.



4. Dieu saint, Dieu puissant, saint et immortel !

De la peste, de la famine, du feu et de la guerre... et de la guerre, délivre-nous, ô Seigneur !






8 juin 1979



A CRACOVIE : L'HOMELIE DE LA MESSE A NOWY TARG





1. « De la mer Baltique aux sommets des montagnes... », aux sommets des Tatras.



Au cours de mon pèlerinage à travers la Pologne, j'ai l'occasion aujourd'hui d'approcher justement ces monts, ces Tatras qui constituent depuis des siècles la frontière méridionale de la Pologne. Elle a été la frontière la plus fermée et la plus protégée, et en même temps la plus ouverte et la plus amicale. A travers cette frontière passaient les chemins conduisant chez nos voisins, chez nos amis. Même durant la dernière occupation, ces sentiers étaient les plus battus par les réfugiés qui se dirigeaient vers le sud : ils cherchaient à rejoindre l'armée polonaise qui combattait au-delà des frontières pour la liberté de la patrie.



Je veux saluer de tout mon coeur ces lieux auxquels j'ai toujours été si intimement lié. Je veux en outre saluer tous ceux qui se trouvent ici, venus du Podhale comme de toutes les Précarpates, de l’archidiocèse de Cracovie et même de plus loin : du diocèse de Tarnow et de celui de Przemysl. Permettez-moi de me référer à l'antique lien de voisinage et de vous saluer tous comme je le faisais habituellement lorsque j'étais métropolitain de Cracovie.



2. Je voudrais parler ici, en ce lieu de Nowy Targ, de la terre polonaise, parce qu'elle se révèle ici particulièrement belle et riche de paysage. L'homme a besoin de la beauté de la nature, et il ne faut donc pas s'étonner de voir venir ici des personnes de différentes parties de la Pologne et de l'étranger. Elles viennent aussi bien l'été que l'hiver. Elles cherchent le repos. Elles désirent se retrouver elles-mêmes au contact de la nature. Elles veulent refaire leurs forces par le sain exercice physique de la marche, de l'ascension, de l'escalade, de la descente à ski. Cette région hospitalière est aussi le terrain d'un grand travail pastoral, car les grands viennent ici pour raviver non seulement leurs forces physiques mais aussi leurs forces spirituelles.



3. Cette belle terre est en même temps une terre difficile. Pierreuse, montagneuse. Pas aussi fertile que la plaine de la Vistule. Qu'il me soit donc permis, précisément en cette terre des Précarpates et des Prétatras, de me référer à ce qui a toujours été si cher au coeur des Polonais : l'amour de la terre et du travail des champs. Personne ne peut nier que cela représente non seulement un sentiment, un lien affectif, mais aussi un grand problème économique et social. Ces régions-ci connaissent particulièrement bien le problème parce que d'ici justement, alors que se faisait sentir la plus grande pénurie de terre cultivable, ce qui amenait parfois une grande misère, les gens émigraient au loin, au-delà de la Pologne, au-delà de l'Océan. Ils partaient là-bas en quête de travail et de pain, et ils en trouvaient. Je veux dire aujourd'hui à tous ceux qui sont dispersés dans le monde, en quelque lieu qu'ils se trouvent » « Szczese Boze » — Que Dieu vous aide ! Que ceux-là n'oublient pas leur patrie d'origine, leur famille, l'Église, la prière et tout ce qu'ils ont emporté d'ici. Car même s'ils ont dû émigrer parce que les biens matériels leur faisaient défaut, ils n'en ont pas moins emporté d'ici avec eux un grand patrimoine spirituel. Qu'ils veillent, en devenant riches matériellement, à ne pas s'appauvrir spirituellement : ni eux, ni leurs enfants, ni leurs petits-enfants !



Le grand droit de l'homme, son droit fondamental, c'est 1e droit au travail et le droit à la terre. Certes, le développement de l'économie nous mène dans une autre direction, on évalue le progrès à partir de l'industrialisation, la génération actuelle abandonne en masse la campagne et les travaux des champs ; mais le droit à la terre ne cesse pas pour autant de constituer le fondement d'une saine économie et d'une saine sociologie.



Puisque durant ma visite, il convient que je présente des voeux, je souhaite de tout mon coeur à ma patrie que ce qui a toujours constitué la force des Polonais — jusque dans les périodes les plus difficiles de l'histoire — c'est-à-dire le lien personnel avec la terre, ne cesse pas de l'être même pour notre génération industrialisée. Que l'on garde de la considération pour les travaux des champs ; qu'ils soient appréciés et estimés ! Et que jamais ne manquent en Pologne le pain et la nourriture !



4. A ce souhait s'en ajoute un autre. Le Créateur adonné la terre à l'homme pour qu'il la « soumette » et sur cette domination de l'homme sur la terre, il a basé le droit fondamental de l'homme à la vie. Ce droit est étroitement lié à la vocation de l'homme à la famille et à la procréation. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une, seule chair » (Gn 2,24). Et, de même que la terre, par un décret providentiel du Créateur, porte du fruit, ainsi cette union dans l'amour de deux personnes, homme et femme, fructifie en une nouvelle vie humaine. De cette unité vivifiante des personnes, le Créateur a fait le premier sacrement et le Rédempteur, a confirmé ce sacrement perpétuel de l'amour et de la vie, lui donnant une nouvelle dignité et lui imprimant le sceau de sa sainteté. Le droit de l'homme à la vie est joint, par volonté du Créateur et en vertu de la croix du Christ, au sacrement indissoluble du mariage.



A l'occasion de ma visite, je souhaite donc, très chers compatriotes, que ce droit sacré ne cesse jamais de marquer la vie en terre polonaise : et ici, dans les Prétatras, dans les Précarpates, et partout. On dit très justement que la famille est la cellule fondamentale de la vie sociale. C'est la communauté humaine fondamentale. Telle est la famille, telle sera aussi la nation, parce que tel est l'homme. Je vous souhaite donc d'être forts grâce à des familles profondément enracinées dans la force de Dieu, et je souhaite que l'homme puisse se développer pleinement sur la base du lien indissoluble des époux-parents, dans le climat familial que rien ne peut remplacer. Je souhaite encore, et je prie toujours pour cela, que la famille polonaise donne la vie et soit fidèle au droit sacré à la vie. Si on enfreint le droit de l'homme à la vie au moment où il commence à être conçu dans le sein maternel, on porte aussi atteinte indirectement à tout l'ordre moral qui sert à assurer les biens inviolables de l'homme. La vie occupe la première place parmi ceux-ci. L'Église défend le droit à la vie non seulement eu égard à la majesté du Créateur qui est le premier Donateur de cette vie, mais aussi par respect envers le bien essentiel de l'homme.



5. Je voudrais également m'adresser aux jeunes qui aiment ces lieux d'une façon spéciale et viennent chercher ici non seulement le repos physique mais aussi le repos spirituel. « Se reposer — a écrit autrefois Norwid —signifie "concevoir à nouveau" (jeu de mots polonais) ». Le repos spirituel de l'homme, comme le pensent justement tant de groupes de jeunes, doit conduire à retrouver et à élaborer en soi la « nouvelle créature » dont parle saint Paul. C'est à cela que mène le chemin de la Parole de Dieu lue et célébrée avec foi et amour, la participation aux sacrements et surtout à l'Eucharistie. C'est à cela que mène le chemin de la compréhension et déjà réalisation de la communauté, c'est-à-dire de la communion avec les hommes qui naît de la communion eucharistique et aussi la compréhension et la réalisation du service évangélique, c'est-à-dire de la « diaconie ». Très chers amis, ne renoncez pas à ce noble effort qui vous permet de devenir témoins du Christ. Témoin, dans le langage biblique, signifie martyr.



Je vous confie à l'Immaculée, à laquelle le bienheureux Maximilien Kolbe confiait continuellement le monde entier.



Je vous confie tous à la Mère du Christ qui, dans les environs d'ici, règne comme Mère dans son sanctuaire de Ludzmiers et aussi dans celui qui s'élève au coeur des Tatras à Rusinowa Polana (combien le serviteur de Dieu, le frère Albert, a aimé ce lieu, combien il a admiré et aimé depuis son ermitage de Kalatowki !), et en tant d'autres sanctuaires érigés aux pieds des Carpates, dans le diocèse de Tarnow, celui de Przemsyl... à l'est et à l'ouest. Et dans toute la terre polonaise.



Que le patrimoine de la foi au Christ et de l'ordre moral soit sauvegardé par saint Stanislas, évêque et martyr, patron des Polonais, témoin du Christ depuis tant de siècles sur notre terre natale !






8 juin 1979



A CRACOVIE : DISCOURS DE CLOTURE DU SYNODE ARCHIDIOCESAIN





Très cher métropolitain de Cracovie,



Vénérables évêques,



Chers frères et soeurs,



1. Aujourd'hui se réalise le désir ardent de mon coeur. Le Seigneur Jésus, qui m'a appelé de ce siège de saint Stanislas à la veille de son neuvième centenaire, me permet de participer à la clôture du synode de l'archidiocèse de Cracovie, synode qui a toujours été lié dans ma pensée à ce grand jubilé de notre Église. Vous le savez tous très bien, car j'ai traité ce sujet à de nombreuses reprises, et je n'ai pas besoin de le répéter aujourd'hui. Je ne serais peut-être même pas capable de dire tout ce qui, en rapport avec ce synode, m'est passé dans l'esprit et dans le coeur, quelles espérances et quels projets j'ai bâtis sur: lui en cette période décisive de l'histoire de l'Église et de la patrie.



Le synode avait été lié, pour moi et pour vous tous, à l'anniversaire du neuvième centenaire du ministère de saint Stanislas, qui fut évêque de Cracovie pendant sept ans. Le programme de travail prévoyait ainsi une période qui allait du 8 mai 1972 au 8 mai 1979. Nous avons voulu, pendant tout ce temps, honorer l'évêque et le pasteur (d'il y a neuf siècles) de l'Église de Cracovie, en cherchant à exprimer — en fonction de notre temps et de ses besoins — notre sollicitude pour l'oeuvre de salut opérée par le Christ dans les âmes de nos contemporains. Comme saint Stanislas de Szczepanow le faisait il y a neuf siècles, ainsi voulons-nous faire nous aussi, neuf siècles après. Je suis persuadé que c'est là la façon la plus adaptée d'honorer la mémoire du grand patron de la Pologne. Cela correspond autant à la mission historique de saint Stanislas qu'aux grandes tâches que doivent affronter aujourd'hui l'Église et le christianisme contemporain après le concile Vatican II. Celui qui a commencé le Concile, le serviteur de Dieu Jean XXIII, a déterminé cette tâche en l'appelant « aggiornamento ». Le but du travail de sept années du synode de Cracovie — en réponse aux fins essentielles de Vatican II — devait être raggiornamento de l'Église de Cracovie, le renouvellement de la conscience de sa mission de salut, comme aussi le programme précis de sa réalisation.



2. Le chemin qui a conduit à cette fin avait été tracé par la tradition des synodes particuliers de l'Église ; qu'il suffise de rappeler les deux synodes précédents au temps du ministère du cardinal Adam Stefan Sapieha. Les nonnes pour mener les travaux synodaux étaient tracées par le code de droit canonique. Toutefois nous avons considéré que la doctrine du concile Vatican II ouvre ici de nouvelles perspectives et crée, je dirais, de nouveaux devoirs. Si le synode devait servir à la réalisation de la doctrine de Vatican II, il devait le faire avant tout avec la même conception et la même méthode de travail. Cela explique tout le dessein du synode pastoral et ta mise en oeuvre qui s'en est suivie. On peut dire que, par l'élaboration des résolutions et des documents, nous avons parcouru une route plus longue mais aussi plus complète. Cette route est passée par l'activité de centaines de groupes d'étude synodaux, dans lesquels un grand nombre de fidèles de l'Église de Cracovie ont pu s'exprimer. Ces groupes, comme vous le savez, étaient formés dans leur majorité de laïcs catholiques, qui y ont trouvé d'une part la possibilité de pénétrer dans la doctrine du Concile, et d'autre part leurs propres expériences, leurs propres propositions, qui manifestaient leur amour envers l'Église, et le sens de leur responsabilité pour l'ensemble de sa vie dans l'archidiocèse de Cracovie.



Pendant l'étape de préparation des documents finals du synode, les groupes d'étude sont devenus des lieux d'amples consultations ; c'est à eux que s'adressaient en effet la commission générale qui coordonnait l'activité de toutes les commissions de travail, de même que les commissions d'experts qui, depuis le début du synode avaient été convoquées. De cette façon mûrissait ce que le synode, en se rattachant à la doctrine du Concile, voulait faire passer dans la vie de l'Église de Cracovie. Il voulait former en fonction de cela l'avenir de l'Église.



3. Aujourd'hui tout ce travail, ce parcours de sept ans, est déjà derrière vous. Je n'ai jamais imaginé que j'aurais participé comme hôte venu de Rome à la clôture des travaux du synode de Cracovie. Mais si telle est la volonté du Christ, qu'il me soit permis, en ce moment, de remplir encore une fois le rôle du métropolitain de Cracovie, qui, par le synode, avait désiré s'acquitter de la grande dette, qu'il avait contractée envers le Concile, envers l'Église universelle, envers l'Esprit-Saint. Qu'il me soit aussi permis dans ce rôle — comme je l'ai dit — de remercier tous ceux qui ont réalisé ce synode, année après année, mois après mois, de leur travail, de leurs conseils, de leur contribution constructive, de leur zèle. Mes remerciements s'adressent, d'une certaine manière, à toute la communauté du peuple de Dieu de l'archidiocèse de Cracovie, aux ecclésiastiques et aux laïcs ; aux prêtres, aux religieux et aux religieuses. Surtout à tous ceux qui sont ici présents : aux évêques, avec à leur tête mon vénéré successeur le métropolitain de Cracovie : spécialement à l'évêque Stanislaw Smolenski qui a dirigé, en tant que président de la commission générale, les travaux du synode. A tous les membres de cette, commission, et encore une fois à la commission préparatoire, qui, sous la direction de Mgr E. Florkowski, a préparé en: 1971 et en 1972 le statut, le règlement et le programme du synode. Aux commissions de travail, aux commissions d'experts à l'infatigable secrétariat, aux groupes chargés de la rédaction, et enfin à tous les groupes d'étude.



J'aurais peut-être dû, en une telle circonstance, m'exprimer d'une autre manière, mais cela ne m'est pas possible. J'ai été trop personnellement lié à ce travail.



Je voudrais donc, en votre nom à tous, déposer cette oeuvre achevée devant le sarcophage de saint Stanislas, au centre de la cathédrale de Wawel ; elle avait, en effet, été entreprise en vue de son jubilé.



Et avec vous tous, je demande à la Sainte Trinité que cette oeuvre porte des fruits au centuple.



Amen.






8 juin 1979



A CRACOVIE : RENCONTRE AVEC LES ETUDIANTS





Mes jeunes amis,



1. Permettez-moi de commencer par des souvenirs, puisque le temps est encore tout proche où j'avais des rencontres régulières avec vous dans tant de centres de pastorale pour les étudiants de Cracovie. Nous nous sommes vus en diverses occasions, et il me semble que nous nous comprenons bien. Je n'oublierai jamais vos voeux de Noël avec le partage de l’Eucharistie, les exercices spirituels de l’Avent et du Carême, et nos autres rencontres.



Cette année, j'ai dû passer le Carême à Rome et, pour la première fois, au lieu de parler aux étudiants polonais de Cracovie, j'ai parlé aux étudiants romains. Je vous cite quelques passages de ce que je leur ai dit dans la basilique Saint-Pierre : « Le Christ est celui qui a accompli un renversement fondamental dans la façon de concevoir la vie. Il a montré que la vie est un passage, non seulement au-delà de la limite de la mort, mais vers une vie nouvelle. Aussi la croix est-elle devenue pour nous la chaire suprême de la vérité de Dieu et de l'homme. Tous, d'une façon ou d'une autre, nous devons être disciples de cette chaire. Nous comprenons alors que la croix est aussi le berceau de l'homme nouveau.



« C'est ainsi que ceux qui se mettent a son école perçoivent la Vie. C'est ainsi qu'ils l'enseignent aux autres. Ce sens de la vie, ils l'impriment dans toute la réalité temporelle : dans la morale, la créativité, la culture, la politique, l'économie. Combien de fois n'a-t-on pas dit — par exemple, les disciples d'Épicure dans l'Antiquité et, pour d'autres motifs, certains disciples de Marx aujourd'hui — que cette façon de concevoir la vie détourne l'homme de la réalité temporelle et, d'une certaine manière, l'annule. La vérité est tout autre. Seule cette conception de la vie donne leur pleine importance à tous les problèmes de la réalité temporelle. Elle permet de les situer pleinement dans la vie de l'homme. Une chose est sûre : cette conception de la vie ne permet pas d'enfermer l'homme dans les choses temporelles ; elle ne permet pas qu'il leur soit entièrement subordonné. Elle décide de sa liberté. En donnant à la vie humaine ce sens pascal, à savoir qu'elle est un passage, un passage vers la liberté, Jésus-Christ a enseigné par sa parole, et encore plus par son exemple, qu'elle est une épreuve... (elle est) l'épreuve de la pensée, du « coeur » et de la volonté, l'épreuve de la vérité et de l'amour. En ce sens, c'est en même temps, l'épreuve de l'Alliance avec Dieu.



« La notion d'épreuve est étroitement liée à celle de responsabilité. L'une et l'autre sont ordonnées à notre volonté, à nos actes. Acceptez chers amis, ces deux notions, ou plutôt ces deux réalités, comme les éléments avec lesquels nous constituons notre humanité. Votre humanité est déjà mûre et en même temps elle est encore jeune. Elle est en train de forger d'une façon définitive son projet de vie, de cela précisément pendant le temps de vos études supérieures. Il faut assumer cette épreuve en toute responsabilité ; responsabilité personnelle — pour sa vie, sa physionomie future et sa valeur — et en même temps responsabilité sociale : pour la justice et la paix, pour la vie morale de son propre milieu originel et de toute la société. C'est une responsabilité pour le bien commun authentique. L'homme qui a une, telle conscience du sens de sa vie ne détruit pas mais construit l'avenir. C'est ce que le Christ nous a enseigné. »



Après la soirée passée avec la jeunesse romaine, au cours de laquelle presque tous ont reçu la communion pascale, j'ai pensé en moi-même : comme les étudiants se ressemblent partout ! Comme ils écoutent partout, avec la même attention, la parole de Dieu et participent à la liturgie ! J'ai pensé alors à vous, aux retraites spirituelles des étudiants polonais de Cracovie, à votre manière analogue de vous recueillir, de réfléchir, de vivre en silence dans l'église de la Mère de Dieu, à Nowa Wies, ou encore dans l'église des dominicains ou des jésuites, au cours de rencontres semblables.



2. J'ai aussi pensé à vous à Mexico, au cours de ma rencontre avec la jeunesse étudiante dans le sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe. Permettez-moi de vous citer encore quelques phrases de la lettre que j'ai écrite spécialement après mon retour de Mexico, aux étudiants d'Amérique latine.



« Au cours de ma rencontre avec vous, j'ai perçu que vous ressentiez très profondément

le mal qui pèse sur la vie sociale des nations dont vous êtes les fils et les filles. Le besoin de changement, la nécessité de construire un monde meilleur, plus juste, plus digne de l'homme, vous tourmentent. Sur ce point, vos désirs rencontrent le courant qui s'est si fortement accentué dans l'enseignement et dans l'apostolat de l'Église contemporaine. Le concile Vatican II a exprimé souvent ces aspirations à rendre la vie humaine sur cette terre plus humaine, plus digne de l’homme. Cette tendance — chrétienne au fond, mais en même temps humaine (humaniste) — a un caractère universel : elle concerne tout homme et donc elle concerne tous les hommes. Elle ne peut conduire à des restrictions, des utilisations, des falsifications, des discriminations. Elle doit porter en elle la pleine vérité sur l'homme et elle doit conduire à la réalisation de la plénitude des droits de l'homme. Afin que ces nobles aspirations qui se font entendre dans la volonté et dans les coeurs des jeunes puissent parvenir à se réaliser correctement, il faut voir l'homme dans toutes les dimensions de son humanité. On ne peut réduire l'homme à la sphère de ses besoins matériels. On ne peut mesurer le progrès seulement par les valeurs économiques. La dimension spirituelle de l'être humain doit se trouver à sa juste place.



« L'homme est lui-même à travers la maturité de son esprit, de sa conscience, de son rapport avec Dieu et avec le prochain. Il n'y aura un monde meilleur et un ordre de la vie sociale meilleur que si on donne la première place à ces valeurs de l'esprit humain. Rappelez-vous bien ceci, vous tous qui désirez ajuste titre des changements pour une société meilleure et plus juste ; vous les jeunes qui contestez à juste titre tout mal, toute discrimination, toute violence, toute torture à l'égard des hommes. Rappelez-vous que l'ordre que vous désirez est un ordre moral ; et vous ne l'atteindrez pas autrement qu'en assurant la première placé à tout ce qui constitue la force de l'esprit humain : justice, amour, amitié. »



3. Je suis heureux, aujourd'hui, de cette nouvelle rencontre avec vous, pendant ce jubilé de saint Stanislas auquel j'ai le bonheur de participer. Quand nous, écoutons l'Évangile que la liturgie de la solennité de saint Stanislas nous rappelle, chaque année, le Christ Bon Pasteur apparaît devant les yeux de notre âme, lui « qui donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10,11) ; le Christ qui connaît ses brebis et que, ses brebis connaissent (cf. Jn Jn 10,14) ; le Bon Pasteur, qui cherche la brebis perdue et qui, lorsqu'il l'a retrouvée, « la met sur ses épaules, tout content » (Lc 15,5) et la reporte avec joie, à la bergerie.



Que puis-je vous, dire de plus que ceci ? Apprenez à connaître le Christ et faites-vous connaître de lui ! Lui connaît chacun de vous d'une manière particulière. Ce n'est pas une connaissance qui suscite opposition et révolte, une science devant laquelle il soit nécessaire de fuir pour sauvegarder son propre mystère intérieur. Ce n'est pas une science faite d'hypothèse, qui réduit l'homme à ses dimensions socio-utilitaires. Sa science est une science pleine de simple vérité sur l’homme, et par-dessus, tout pleine d'amour. Soumettez-vous à cette science, simple et pleine d'amour, du Bon Pasteur. Soyez certains que lui connaît chacun de vous plus que. chacun de vous ne se connaît lui-même. Il connaît parce qu'il a donné sa vie (cf. Jn Jn 15,13).

Permettez-lui de vous trouver. L'homme, le jeune, est parfois perdu en lui-même, dans le monde qui l'entoure, dans tout le réseau des choses humaines qui l'enveloppent. Permettez au Christ de vous trouver. Que lui connaisse tout de vous, qu'il vous guide. C'est vrai que, pour suivre quelqu'un, il faut en même temps être exigeant pour soi-même, telle est la loi de l’amitié. Si nous voulons marcher ensemble, nous devons être attentifs au chemin à prendre. Si nous marchons dans la montagne, nous ne pouvons pas lâcher la corde. Il faut aussi conserver notre union avec l'ami divin qui a pour nom Jésus-Christ. Il faut collaborer avec lui.



Bien souvent, je vous en ai parlé et d'une manière plus large et plus développée qu'aujourd'hui. Souvenez-vous en : ce que je vous ai dit et ce que je vous dis, je l'ai dît et je le dis par expérience personnelle. Je me suis toujours émerveillé de cet admirable pouvoir que le Christ a sur le coeur de l'homme : il ne l'a pas pour une raison ou pour un motif quelconques, pour une carrière ou un profit quelconques, mais uniquement parce qu'il aime et qu'il donne sa vie pour ses frères (cf. Jn Jn 15,13).



4. Vous êtes l'avenir du monde, de la nation, de l'Église. « De vous dépend l'avenir... » Acceptez avec le sens de vos responsabilités la vérité toute simple contenue dans ce chant de jeunes et demandez au Christ, par l'intermédiaire de sa Mère, d'être capables de l'affronter.



Vous devez porter dans l'avenir toute l'expérience historique qui a pour nom « Pologne ». C'est une expérience difficile, peut-être une des plus difficiles du monde, de l'Europe, de l'Église. N'ayez pas peur de la fatigue ; mais craignez seulement la légèreté et la pusillanimité. De cette difficile expérience qui a nom « Pologne », on peut tirer un avenir meilleur mais seulement à condition d'être honnêtes, sobres, croyants, libres d'esprit, forts dans ses convictions.



Soyez cohérents dans votre foi !



Soyez fidèles à la Mère du Bel Amour. Ayez confiance en elle, qui forme votre amour et qui forme vos jeunes, familles.



Que le Christ demeure pour vous « le chemin, la vérité et la vie ».






9 juin 1979



A NOWA MUTA : AU SANCTUAIRE DE LA SAINTE CROIX A MOGILA



Messe pour les ouvriers



1. Voici que je suis de nouveau devant cette croix auprès de laquelle je suis si souvent venu en pèlerin, devant la croix qui est demeurée pour nous comme la relique la plus précieuse de notre Rédempteur.



Lorsque Nôwa Huta s'élevait dans les environs de Cracovie — énorme complexe industriel et nouvelle grande cité : la nouvelle Cracovie — peut-être ne se rendit-on pas compte quelle était en train de s'élever juste auprès de cette croix, auprès de cette relique que nous avons héritée du temps des Piast en même temps que la très ancienne abbaye cistercienne. C'était en l'an 1222, au temps du prince Leszek Bialy, au temps de l'évêque Yves Ôdrowaz, avant la canonisation de saint Stanislas. A cette époque, le troisième centenaire de notre baptême, l'abbaye cistercienne fut fondée ici, et on y porta la relique de la sainte croix qui est devenue depuis des siècles le bût de pèlerinage de la région de Cracovie : du nord, pour ta région de Kielce, de l’est pour celle de Tarnow, et de l'ouest pour la Silésie. Tout ceci s'est passé sur le lieu où s'élevait autrefois, selon la tradition, Stara Huta, qui est historiquement comme l'ancêtre de l'actuelle Nowa Huta.



Je voudrais aujourd'hui saluer encore une fois ici les pèlerins de Cracovie, les pèlerins de la Silésie, les pèlerins du diocèse de Kielce.



Nous allons ensemble, pèlerins, vers la croix du Seigneur, parce que, à partir d'elle, commence une ère nouvelle dans l’histoire de l'homme. C'est, un temps de grâce, c'est le temps du salut. A travers la croix, l'homme a pu comprendre le sens de son propre sort, de sa propre existence sur la terre. Il a découvert combien Dieu l'a aimé. Il a découvert, et il découvre continuellement à la lumière de la foi combien sa propre valeur est grande. Il a appris à mesurer sa propre dignité avec la mesure de ce sacrifice que Dieu a offert dans son Fils pour le salut de l'homme : « En effet, Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que celui qui croit en lui ne meure pas, mais qu'il ait la vie éternelle » (Jn 3,16).



Mais si les temps changent, même si, à la place des champs d'autrefois, dans les environs de Cracovie, a surgi un énorme complexe industriel, même si nous vivons à une époque de progrès prodigieux des sciences de la nature et d'un progrès encore plus prodigieux de la technique, cependant la vérité de là vie de l'esprit humain — qui s'exprime à travers la croix — ne connaît pas de déclin, elle est toujours actuelle, elle ne vieillit jamais. L'histoire de Nowa Huta est écrite aussi sous le signe de la croix : d'abord de la croix antique de Mogila, héritée des siècles, puis sous le signe de l'autre, la nouvelle... qui a été élevée non loin d'ici.



Là où s'élève la croix, surgit le signe que la bonne nouvelle du salut de l'homme grâce;à l'amour est arrivée jusque là. Là où s'élève la croix, là est le signe que l'évangélisation est commencée. Autrefois, nos pères dressaient la croix en divers lieux de la terre polonaise comme signe que l'Évangile y était arrivé, que l'évangélisation était commencée, elle qui devait se continuer sans interruption jusqu'à aujourd'hui. C'est dans cette pensée qu'a été élevée aussi la première croix à Mogila, aux environs de Cracovie, aux environs de Stara Huta.



La nouvelle croix de bois a été élevée non loin d'ici, durant les célébrations du millénaire. Avec elle nous avons reçu un signe, celui qu'au seuil du nouveau millénaire — en ces temps nouveaux, en ces Nouvelles conditions de vie — l'Évangile est de nouveau annoncé. Une nouvelle évangélisation est commencée, comme s'il s'agissait d'une deuxième annonce, bien qu'en réalité ce soit toujours la même. La croix se tient debout sur le monde qui change.



Nous disons merci aujourd'hui, devant la croix de Mogila, devant la croix de Nowa Huta, pour ce nouveau commencement de l'évangélisation qui s'est réalisé. Et nous demandons tous qu'elle soit fructueuse, comme la première — et même encore plus.



2. la nouvelle croix, qui a été élevée non loin de la très ancienne relique de la sainte Croix de l'abbaye des cisterciens, a annoncé la naissance de la nouvelle Église. Cette naissance s'est gravée profondément dans mon coeur et, en laissant le siège de saint Stanislas pour le siège de saint Pierre, je l'ai emportée avec moi comme une nouvelle relique, comme une relique inestimable de notre temps.



La nouvelle croix est apparue, sur le territoire des anciennes campagnes des alentours de Cracovie devenu territoire de Nowa Huta, sont venus des hommes nouveaux pour commencer un nouveau travail. Autrefois, ici, on travaillait dur, on travaillait dans les champs, et la terre était fertile, et on travaillait donc avec plaisir. Depuis quelques décennies, l'industrialisation a commencé ; la grande industrie, l'industrie lourde. Et les hommes sont venus de diverses régions pour travailler comme ouvriers dans la sidérurgie.



Ce sont eux qui ont apporté avec eux cette nouvelle croix. Ce sont eux qui l'ont élevée comme signe de leur volonté de construire une nouvelle église. Cette croix même, devant laquelle nous nous trouvons en ce moment. J'ai eu l'honneur, en tant que votre archevêque et cardinal, de bénir et de consacrer en 1977, cette église qui est née d'une nouvelle croix.

Cette église est née d'un travail nouveau. J'oserais dire qu'elle est née de Nowa Huta. Nous savons tous, en effet, que dans le travail de l'homme se trouve profondément gravé le mystère déjà croix, la loi de la croix. Les paroles du Créateur, prononcées après la chute de l'homme : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3,19) ne se vérifient-elles pas en elle ? Qu'il s'agisse de l'ancien travail des champs qui fait naître le froment, mais aussi les épines et les chardons, qu'il s'agisse du nouveau travail des hauts fourneaux et des nouvelles fonderies, on le fait toujours « à la sueur de son front ». La loi de la croix est inscrite dans le travail de l'homme. L'agriculteur a travaillé à la sueur de son front C'est à la sueur de son front que travaille l'ouvrier sidérurgiste. Et c'est à la sueur de son front — la sueur effrayante de la mort — que le Christ agonise sur la croix.



On ne peut pas séparer la croix du travail humain. On ne peut pas séparer le Christ du travail humain. Et cela s'est confirmé ici, à Nowa Huta. Et cela a été le principe de la nouvelle évangélisation, au début du nouveau millénaire du christianisme en Pologne. Ce nouveau commencement, nous l'avons vécu ensemble, et je l'ai emporté avec moi, comme une relique, de Cracovie à Rome.



Le christianisme et l'Église n'ont pas peur du monde du travail. Ils n'ont pas peur du système fondé sur le travail. Le pape n'a pas peur des travailleurs. Ils lui ont toujours été particulièrement proches. Il est sorti du milieu d'eux. Il est sorti des carrières de pierre de Zakrzowek, des fournaises Solvay à Borek, Falecki, puis de Nowa Huta. C'est à travers ces divers milieux, à travers ses propres expériences de travail que le pape —j'ose le dire — a appris de nouveau l'Évangile. Il s'est rendu compte et il s'est convaincu que la problématique contemporaine du travail humain est profondément gravée dans l'Évangile. Tout comme il est impossible de la résoudre à fond sans l'Évangile.



En effet, la problématique contemporaine du travail humain (mais est-elle seulement contemporaine, au reste ?) ne se réduit, en dernière analyse — que tous les spécialistes me pardonnent — ni à la technique, ni non plus à l'économie, mais à une catégorie fondamentale : à la catégorie de la dignité du travail, c'est-à-dire de la dignité de l'homme. L'économie, la technique et tarit d'autres spécialisations et disciplines tirent leur raison d'être de cette unique catégorie essentielle. Si elles ne parviennent pas jusqu'à elle et si elles se forment en dehors de la dignité du travail humain, elles sont dans l'erreur, elles sont nocives, elles sont contre l'homme.



Cette catégorie fondamentale est humaniste. Je me permets dédire que cette catégorie fondamentale, la catégorie du travail comme mesure de la dignité de l'homme, est chrétienne. Nous la retrouvons à son plus haut degré d'intensité dans le Christ.



Ceci suffit, frères très chers. Ce n'est pas une fois seulement que je vous ai rencontrés, quand j'étais votre évoque, et que j'ai développé plus largement tous ces thèmes. Aujourd'hui, étant votre hôte, je dois en parler de manière plus concise. Mais rappelez-vous cette unique chose : le Christ n'approuvera jamais que l'homme soit considéré — ni qu'il se considère lui-même — seulement comme un instrument de production, et qu'il soit apprécié, estimé et évalué selon un tel critère. Le Christ ne l'approuvera jamais ! C'est pour cela qu'il s'est fait mettre en croix, comme sur le grand seuil de l'histoire spirituelle de l'homme, pour s'opposer à toute dégradation de l'homme, y compris la dégradation par le travail. Le Christ demeure devant nos yeux, sur la croix, afin que tout homme soit conscient de ta force qu'il lui a'donnée : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12).



Et il faut se rappeler cela : le travailleur comme celui qui donne le travail, le système du travail comme celui de la rétribution ; l'État, la nation et l'Église doivent se le rappeler.



Quand j'étais parmi vous, j'essayais de témoigner de cela. Priez afin que je continue à rendre ce témoignage encore dans l’avenir et d'autant plus que je suis à Rome ; afin que je continue à le rendre devant toute l'Église et devant le monde contemporain.



3. Je pense avec joie a la bénédiction de la magnifique église de Mistrzejowice, dont la construction a grandement avancé. Sachez tous que je me rappelle les débuts de cette oeuvre, à Mistrzejowice : les tout premiers débuts. Et toutes les étapes successives de la construction. Avec vous, je retourne par la prière et par le coeur sur la tombe du prêtre Joseph, de sainte mémoire, qui a commencé cette oeuvre, y mettant toutes ses forces et immolant sûr son autel toute sa jeune vie. Je remercie tous ceux qui continuent cette oeuvre avec tant d'amour et de persévérance.



Ma pensée se tourne en ce moment vers la colline de Kezeslawice. Les efforts de tant d'années sont en train d'y porter lentement leurs fruits. Je bénis de tout coeur cette oeuvre et toutes les autres églises qui s'élèvent ou qui s'élèveront dans cette région et dans ces quartiers en perpétuel développement.



A partir de la croix de Nowa Huta la nouvelle évangélisation a commencé : évangélisation du second millénaire. Cette église en l'end témoignage et en est la preuve. Elle est issue d'une foi vive, consciente et responsable, et il faut que je continue à la servir.



L'évangélisation du nouveau millénaire doit se référer à la doctrine du concile Vatican II. Elle doit être, comme renseigne, ce Concile, l'oeuvre commune des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs, l'oeuvre des parents et des enfants. La paroisse n'est pas seulement le lieu où l'on fait la catéchèse, mais aussi un milieu vivant où on doit la mettre en pratique.



L'église dont vous êtes en train de terminer la Construction poursuivie avec tant d'efforts mais aussi avec tant d'enthousiasme s'élève afin que l'Évangile du Christ entre par elle dans toute votre vie. Vous-avez construit l'église ; construisez votre vie avec l'Évangile.



Que Marie, reine de la Pologne, et le bienheureux Maximilien Kolbe vous y aident continuellement.






9 juin 1979



A CRACOVIE : A L'UNIVERSITE THEOLOGIQUE PONTIFICALE





Cher et très Révérend Doyen,



Je vous remercie pour cette invitation qui me permet aujourd'hui de rencontrer l’Alma Mater que j'aime tant, dont j'ai été d'abord étudiant et où, par la suite, j'ai passé mon doctorat, puis, après l'habilitation en 1953, où j'ai travaillé, pendant beaucoup d'années, comme chargé de cours, enseignant libre et professeur.



Tout le monde connaît bien le soin que je prenais — quand j'étais encore métropolitain de Cracovie — à faire reconnaître à cet athénée les droits qui lui étaient dus et qu'il a sans doute mérités ; à faire pleinement respecter son caractère académique, en conformité avec les besoins actuels, différents par leur nature et leur sphère d'action de ceux du passé, par exemple de la période durant laquelle la faculté de théologie de Cracovie appartenait encore à l'université Jagellon.



1. En tenant compte de ces besoins, j'ai cherché, durant mon ministère à Cracovie, à :

a) renouveler et augmenter le nombre des chercheurs et à leur assurer les qualifications qui, selon la loi ecclésiastique (en rapport avec la procédure de l'État en Pologne), constituent les bases de leur autonomie ;

b) assurer à une large majorité d'étudiants en théologie l’instruction fondamentale de caractère académique et les grades académiques canoniques correspondants. Il s'agissait ici, en particulier, des élèves des séminaires ecclésiastiques — futurs prêtres et pasteurs d'âmes — de l'archidiocèse de Cracovie et des diocèses de Czestochowa, de Katowice et de Tarnow, comme aussi des élèves appartenant aux divers ordres et congrégations religieuses, qui étudiaient en particulier à l'Institut des Missionnaires (Lazaristes) à Cracovie. C'est au service de ce but qu'était le système des accords de collaboration scientifique entre la faculté pontificale de théologie et les séminaires ecclésiastiques mentionnés ci-dessus, système approuvé par le Saint-Siège (Congrégation pour l'éducation catholique). Durant la dernière année de mon travail à Cracovie ont été entrepris les pourparlers préparatoires pour établir un contrat analogue avec le séminaire du diocèse de Kielce.



2. La faculté de théologie, soucieuse de la formation ultérieure des prêtres — et en partie aussi des laïcs — après le cycle des études fondamentales, a élargi le système des études dites annexes aux différentes facultés, par exemple : cours de catéchèse, de liturgie, d'ascétique, de théologie pastorale de la famille et de la pensée contemporaine. Les spécialités dont je viens de parler se font à Cracovie. Des cours analogues sont donnés aussi à Rzeszow pour les prêtres du diocèse de Przemysl.



3. Si J'activité dont il est question précédemment entre dans le cyclus institutionalis (cycle académique fondamental), la faculté de théologie organise aussi en même temps, conformément à son caractère et à son statut, des études comprenant le cyclus specializationis, préparant à la licence et au doctorat. Ces études se déroulent surtout à Cracovie. En outre, les termes du contrat avec l'évêque de Tarnow pour ouvrir en ce Heu un institut spécialisé de patrologie ont déjà été stipulés. L'institut d'ecclésiologie et de mariologie fondé d'abord à Czestochowa, d'accord avec l'ordinaire du lieu, possède aussi un caractère spécialisé. Pendant mon ministère, la demande en faveur d'un institut de pastorale à Katowice a été également introduite.



4. La spécialisation exige l'individualisation des spécialités scientifiques dans le cadre desquelles elle est exercée, avec possibilité de conférer les grades académiques selon la spécialisation. C'est pour cette raison que je m'étais adressé au pape Paul VI, par l'intermédiaire de la Congrégation pour l'éducation catholique, afin d'obtenir la permission de conférer les grades scientifiques, non seulement dans la branche de la théologie, mais également dans celle de la philosophie.



La spécialisation dans le domaine de l'histoire de l'Église est motivée de façon tout à fait particulière à Cracovie qui possède des ressources propres en ce domaine. Le Saint-Siège répondra donc certainement avec bienveillance aux demandes d'approbation de cette spécialisation à l'athénée de Cracovie. Depuis longtemps déjà des démarches ont été faites à ce sujet, à la suite desquelles est né l'institut d'histoire de l'Église, auprès de la faculté pontificale de théologie.



Pouvoir créer cette spécialisation séparée, comme aussi la spécialisation séparée de philosophie, correspond pleinement à mes projets primitifs. Cela regarde également la spécialisation philosophique sous la forme d'une troisième faculté de l'athénée de Cracovie. Je vous prie de continuer d'agir dans ce sens.



J'exprime ma joie profonde de pouvoir aujourd'hui, dans cet auditorium vénérable, avec mon successeur, en présence des évêques et de tout le conseil de la faculté au grand complet, rendre hommage au noble passé de notre Alma Mater de Cracovie. Je désire encore, une fois honorer la bienheureuse reine Hedwige, fondatrice de la faculté de théologie de Cracovie. Je désire enfin de tout coeur et avec une profonde conviction, confirmer la décision historique de mon prédécesseur le pape Boniface IX, exprimée dans la bulle Eximiae devotionis affectus du 11 janvier 1397.



Sur cet athénée si cher à mon coeur, j'invoque la bénédiction de la Sainte Trinité et la continuelle protection de Marie, Siège de la Sagesse, et aussi le fidèle patronage de saint Jean de Kenty, qui y enseigna voice plus de cinq cents ans.






9 juin 1979



A CRACOVIE : RENCONTRE AVEC LES HOTES (CARDINAUX, EVEQUES...) VENUS DE DIVERS PAYS





Vénérables frères,



Messieurs,



Je suis vraiment heureux de pouvoir vous rencontrer, vous les hôtes de l'Église en Pologne, venus de divers pays pour participer aux célébrations jubilaires solennelles qui sont organisées à l'occasion du neuvième centenaire du glorieux martyre de saint Stanislas de Szczepanow, évêque de Cracovie. Je voudrais encore une fois vous, remercier vivement d'avoir aimablement donné votre adhésion à ces célébrations et d'avoir promis de vous y rendre, lorsque le vénéré primat de Pologne, le cardinal Sefan Wyszynski et moi-même, alors archevêque métropolitain de Cracovie, nous vous avions fait parvenir notre cordiale invitation.



1. Ces célébrations du centenaire ont acquis aussi une signification particulière et une vaste résonance en raison du fait que, par un mystérieux dessein de la divine Providence, j'ai été, appelé, par les éminentissimes cardinaux électeurs, du siège de saint Stanislas à la chaire de saint Pierre. J'ai voulu participer maintenant, comme hôte, au jubilé solennel avec les fidèles de Pologne et les pèlerins du monde entier, pour exalter avec eux la glorieuse figure de mon saint prédécesseur sur le siège de Cracovie, et pour demander, au début de mon pontificat, sa protection céleste pour l'accomplissement de mon nouveau service pastoral universel.



Stanislas était né dans la première moitié du  XI° siècle dans la localité de Szczepanow. Sa piété profonde et sa préparation culturelle le firent nommer chanoine de la cathédrale par l’évêque Lambert Zula. A la mort de Lambert ; le pape Alexandre II, à la demande du clergé, du peuple et aussi du roi Boleslas le Hardi, éleva Stanislas au siège de Cracovie. (Son ministère épiscopal fut très bref : il dura de 1072 à 1079, sept ans à peine. Mais des années combien intenses ! Combien fécondes ! Combien méritoires ! Combien héroïques !)

L'histoire nous dit que les rapports entre l'évêque Stanislas et le roi Boleslas II, qui étaient sereins au début, se détériorèrent ensuite en raison des injustices et des cruautés commises par le roi à l'égard de ses sujets. L'évêque de Cracovie, en authentique « bon pasteur » (cf. Jn Jn 10,10-14), défendit son troupeau. Le foi répondit par la violence. L'évêque Stanislas fut mis à mort tandis qu'il célébrait l'Eucharistie. Les marques des durs coups mortels sont encore bien visibles sur le crâne vénéré du martyr, qui est conservé précieusement dans le reliquaire artistique.



2. Depuis lors, saint Stanislas est devenu le patron de la Pologne, le bienfaiteur et le protecteur particulier des pauvres gens ; mais il est surtout devenu le modèle des évêques, pour avoir transmis et défendu le dépôt sacré de là foi avec une force intrépide et un courage inébranlable ; depuis des siècles, il a été considéré comme un témoin insigne de la liberté authentique et de la synthèse féconde qui s'opère, dans le croyant, entre la loyauté à la patrie terrestre et la fidélité à l'Église, qui vit dans la perspective de la cité définitive et future (cf. He He 13,14).



Neuf siècles après, la personnalité et le message de saint Stanislas conservent une actualité extraordinaire aussi bien, par l'exemple de sa vie de pasteur d'une portion du peuple de Dieu, que par le témoignage sanglant de son martyre.



Mais saint Stanislas est certainement et spécialement « l'homme » de son époque : son ministère pastoral se déroule sous le pontificat de saint Grégoire VII, c'est-à-dire à une période où l'Église, face aux puissants de la terre, revendique sa liberté et sa mission spirituelle originale. Au XIe siècle, au commencement du deuxième siècle de leur histoire, la Pologne et l'Église en Pologne se sont trouvées elles aussi mêlées aux problèmes délicats et complexes que devaient alors affronter l'Europe comme le christianisme lui-même.



Si l’épiscopat polonais s'est permis d'inviter tant d'hôtes illustres, il l'a fait justement pour mettre en relief ces liens historiques. Et c'est au nom de ces liens que je voudrais vous remercier de votre présence.



Si donc, en cette occasion extraordinaire, Je puis souhaiter quelque chose à tous, c'est que notre commune méditation sur les faits qui ont eu lieu il y a neuf cents ans nous aidera voir, avec une perspicacité plus grande encore, la mission du christianisme et de l'Église vis-à-vis dus monde contemporain. C'est peut-être d'une importance particulière pour l'Europe d'aujourd'hui, qui se trouve à une étape de la nouvelle recherche d'une voie propre et adéquate.



La tâche du christianisme et de l'Église ne peut consister en autre chose qu'en une participation créatrice, à ces efforts. C'est de cette manière seulement, et non d'une autre, que peut s'exprimer et se traduire notre sollicitude pour préserver et pour sauvegarder le patrimoine chrétien de l'Europe et, de chacun des pays, européens.



Je vous renouvelle par ces souhaits mes sentiments de profonde gratitude et, en invoquant sur vos personnes l'effusion des valeurs célestes, je vous donne la bénédiction apostolique, en signe de mon estime et de ma bienveillance.






10 juin 1979



A CRACOVIE : LE PROFIL DE L'HISTOIRE SPIRITUELLE DE CHACUN DE NOUS...



La grande esplanade (Blonia Krakowskie) située au centre de Cracovie accueillait, le dimanche 10 juin, près de trois millions de fidèles venus participer à la messe célébrée par le pape Jean Paul II, ancien archevêque de Cracovie. Cette messe marquait la conclusion de deux grands événements : le jubilé de saint Stanislas et le pèlerinage du pape en Pologne. En plus des évêques polonais et de la population étaient présents de très nombreux évêques du monde entier, présidents ou représentants de leurs conférences épiscopales. Après la lecture de l'Évangile, le pape a prononcé l'homélie.



Loué soit Jésus-Christ !



I. Nous tous qui sommes réunis ici aujourd'hui, nous nous trouvons devant un grand mystère de l'histoire de l'homme : le Christ, après sa résurrection, rencontre les Apôtres en Galilée et leur adresse les paroles que nous avons entendues il y a quelques instants de la bouche du diacre qui a proclamé l'Évangile : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes tes nations, faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,18-20).



Ces paroles contiennent le grand mystère de l'histoire de l'humanité et de l'histoire de l'homme.



Tout homme, en effet, est en marche. Il marche vers l'avenir. Même les nations sont en marche. Et toute l'humanité. Marche signifie non seulement subir les exigences do temps, en laissant continuellement derrière soi le passé : la journée d'hier, les années, les siècles... Marcher veut dire aussi être conscient du but.



L'homme et l'humanité passent-ils ou disparaissent-ils seulement dans leur chemin à travers cette terre ? Pour l'homme, tout consiste-t-il en ce que, sur cette terre, il construit des conquêtes dont il jouit ? Indépendamment de toutes les conquêtes, de tout l'ensemble de la vie (culture, civilisation, technique), rien d'autre, ne l'attend-il ? « Elle passe la figure de ce monde ! » Et l'homme passe-t-il totalement avec elle ?

Les paroles que le Christ a prononcées en prenant congé des Apôtres expriment le mystère de l'histoire de l'homme, de chacun et de tous, le mystère de l'histoire de l'humanité.



Le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit est immersion dans le Dieu vivant, « en celui qui est », comme le dit le livre de l'Exode, en celui « qui est, qui était et qui vient », comme dit l'Apocalypse (1, 4). Le baptême est le début de la rencontre, de l'unité, de la communion, et donc la vie terrestre n'est qu'un prologue et une introduction ; l'accomplissement et la plénitude appartiennent à l'éternité. « Elle passe la figure de ce monde. » Nous devons donc nous trouver « dans le monde de Dieu » pour parvenir au but, pour arriver à la plénitude de la vie et de la vocation de l'homme.



Le Christ nous à indiqué cette route et, en prenant congé des Apôtres, il l'a reconfirmée encore une fois. Il leur a recommandé ainsi qu'à toute l'Église d'enseigner et d'observer tout ce qu'il leur avait ordonné : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde. »



2. Écoutons toujours avec la plus grande émotion ces paroles par lesquelles le Rédempteur ressuscité trace l'histoire de l'humanité et en même temps l'histoire de tout homme. Quand il dit « enseignez toutes les nations », les yeux de notre âme considèrent le moment où l'Évangile est parvenu à notre nation, au début même de son histoire, quand les premiers Polonais ont reçu le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Le profil spirituel de l’histoire de la patrie a été tracé par les paroles mêmes du Christ, dites aux Apôtres. Le profil de l'histoire spirituelle de chacun de nous a été tracé lui aussi à peu près de la même façon.



L'homme est en effet un être raisonnable et libre, un sujet conscient et responsable. Il peut et il doit, par l'effort personnel de la pensée, parvenir à la vérité. Il peut et il doit choisir et décider. Le baptême, reçu au début de l'histoire de la Pologne, nous a rendu encore plus conscients de l'authentique grandeur de l'homme ; « l'immersion dans l'eau » est un signe de l'appel à participer à la vie de la Sainte Trinité et c'est en même temps une preuve irremplaçable de la dignité de tout homme. Déjà le même appel témoigne en sa faveur : l'homme doit avoir une dignité extraordinaire, s'il a été appelé à une telle participation, participation, à la vie même de Dieu.



Pareillement tout le processus historique de la conscience et des choix de l'homme est étroitement lié à la tradition vivante de sa nation dans laquelle, à travers toutes les générations résonnent, avec un vivant écho, les paroles du Christ, le témoignage de l'Évangile, la culture chrétienne, les habitudes nées de la foi, de l'espérance et de la charité. L'homme choisit consciemment, dans sa liberté intérieure. Ici la tradition n'est pas une limitation : c'est un trésor, c'est une richesse spirituelle, c'est un grand bien commun, qui se confirme en tout choix, en tout acte noble, en toute vie authentiquement vécue en chrétien.



Peut-on repousser tout cela ? Peut-on dire non ? Peut-on refuser le Christ et tout ce qu'il a apporté dans l'histoire de l'homme ?



Certainement cela se peut. L'homme est libre. L'homme peut dire non à Dieu. Mais demeure la question fondamentale : est-il permis de le faire, et au nom de quoi est-ce permis ? Quel argument de raison, quelle valeur de la volonté et du coeur peux-tu mettre devant toi, devant ton prochain, tes compatriotes et ta nation pour repousser, pour dire non à ce dont nous, avons tous vécu pendant mille ans ; à ce qui a créé et a toujours constitué les fondements de notre identité ?



Un jour le Christ demanda aux Apôtres (la scène se déroula après la promesse de l'institution de l'Eucharistie et beaucoup se détachèrent de lui) : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Jn 6,67). Permettez que le successeur de Pierre, devant vous tous qui êtes ici rassemblés, et devant toute notre histoire et la société contemporaine, répète « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,6 Jn 8).



3. Saint Stanislas a été évêque de Cracovie pendant sept ans, comme le confirment tes sources historiques. Cet évêque-compatriote, venu du non lointain Szczepanow, a assumé le siège de Cracovie en 1072 pour le laisser en 1079, en subissant la mort des mains du Roi Boleslas le Hardi. Selon les sources, il est mort le 11 avril, et c'est ce jour-là que le calendrier liturgique de l'Église universelle commémore saint Stanislas. En Pologne, la solennité de l’évêque martyr est célébrée depuis des siècles le 8 mai, et elle continue à l'être aujourd'hui encore.



Lorsque comme métropolitain de Cracovie, j'ai commencé avec vous les préparatifs du neuvième centenaire de la mort de saint Stanislas, qui a lieu cette année, nous étions tous encore marqués par le millénaire du baptême de la Pologne, célébré en l'an du Seigneur 1966. Sur le fond de cet événement et par rapport à la figure de saint Adalbert, lui aussi évêque martyr, dont la vie a été unie dans notre histoire à l'époque du baptême, la figure du saint Stanislas semble indiquer (par analogie) un autre sacrement qui fait partie de l'initiation du chrétien à la foi et à la vie de l'Église. Ce sacrement, comme vous le savez, est celui de la confirmation. Toute la relecture « jubilaire » de la mission de saint Stanislas dans l'histoire de notre millénaire chrétien, et aussi toute la préparation spirituelle aux célébrations de cette année, se réfèrent justement à ce sacrement de confirmation.



L'analogie a plusieurs aspects. Mais nous l'avons surtout cherchée dans le développement normal de la vie chrétienne. De même qu'un homme baptisé devient un chrétien adulte par le sacrement de confirmation, de même la Providence divine a donné à notre nation, en son temps, après le baptême, le moment historique de la confirmation. Saint Stanislas, que presque un siècle entier sépare de l'époque du baptême et de la mission de saint Adalbert, symbolise ce moment d'une façon particulière, par le fait qu'il a rendu témoignage au Christ en versant son sang. Le sacrement de confirmation dans la vie de chaque chrétien, en principe jeune, parce que ce sont les jeunes qui reçoivent ce sacrement — la Pologne aussi était alors une nation et un pays jeune — doit faire de lui un « témoin du Christ » dans sa vie et selon sa vocation personnelle. C'est un sacrement qui nous associe d'une façon particulière à la mission des Apôtres, en tant qu'il introduit chaque baptisé dans l'apostolat de l'Église (spécialement dans ce qu'on appelle l'apostolat des laïcs).



C’est le sacrement qui doit faire naître en nous un sens aigu de la responsabilité pour l'Église, pour l'Évangile, pour la cause du Christ dans les âmes humaines, pour le salut du monde.



Le sacrement de confirmation, nous ne le recevons qu'une seule fois dans la vie (comme le baptême), et toute la vie, qui s'ouvre dans la perspective, de ce sacrement, revêt l'aspect d'une grande épreuve, d'une épreuve fondamentale : l'épreuve de foi et de caractère. Saint Stanislas est devenu, dans l'histoire spirituelle des Polonais, le patron de cette grande et fondamentale épreuve de foi et de caractère. En ce sens, nous le vénérons aussi comme le patron de l'ordre moral chrétien. En définitive, l'ordre moral se constitue en effet a travers les hommes. Cet ordre est donc composé d'un grand nombre d'épreuves, chacune d'entre elles étant une épreuve victorieuse. Chaque épreuve manquée implique au contraire le désordre moral.



Nous savons très bien aussi, par toute notre histoire, que nous, ne pouvons absolument pas, à aucun prix, nous permettre ce désordre, que nous avons déjà plusieurs fois payé amèrement.



C'est pourquoi notre méditation de sept années sur la figure de saint Stanislas, notre référence à son ministère pastoral sur le siège de Cracovie, le nouvel examen, de ses reliques, c'est-à-dire du crâne du saint, qui porte imprimées les traces des coups mortels — tout cela nous conduit aujourd'hui à, une grande, et ardente prière pour la victoire, de l'ordre moral dans ce moment difficile de notre histoire.



Telle est la conclusion essentielle de tout le travail persévérant de ce septennat, la condition principale et en même temps le but du renouveau conciliaire, pour lequel le synode de l'archidiocèse de Cracovie a travaillé si patiemment ; et aussi, le principal moteur de la pastorale et de toute l'activité de l'Église et de tous les travaux, de toutes les tâches et de tous les programmes qui sont et seront entrepris en terre polonaise.



Que cette, année de saint, Stanislas soit une année de particulière maturité historique de la nation et de l'Église en Pologne, l'année d'une responsabilité nouvelle et consciente pour l'avenir de location et de l'Eglise en Pologne ; tel est le voeu que je voudrais, ici, avec vous, vénérables et chers frères et soeurs, comme premier pape de souche polonaise, offrir à l'immortel Roi des siècles, au Pasteur éternel de nos âmes et de notre histoire, au Bon Pasteur !



4. Permettez maintenant que, pour faire une synthèse, j'embrasse spirituellement tout mon pèlerinage en Pologne qui, commencé la veille de la Pentecôte à Varsovie, est sur le point de s'achever aujourd'hui à Cracovie, en la solennité de la Sainte-Trinité. Je désire vous remercier, très chers compatriotes, pour tout ! Parce que vous m'avez invité et m'avez accompagné dans tout l'itinéraire du pèlerinage, de Varsovie en passant par la Gniezno (Poznan) des primats et Jasna Gôra. Je remercie encore une fois les autorités de l'État de leur aimable invitation et de leur accueil. Je remercie les autorités des Voïvodies, spécialement les autorités municipales de Varsovie et — en cette dernière étape — les autorités municipales de l'antique cité royale de Cracovie. Je remercie l'Église de ma patrie : l'épiscopat avec à sa tête le cardinal primat, le métropolitain de Cracovie et:mes chers frères évêques Julian, Jan, Stanislaw et Albin, avec lesquels il m'a été donné ici, à Cracovie, de collaborer pendant de nombreuses années à la préparation du jubilé de saint Stanislas. Je remercie également les évêques de tous les diocèses suffragants de Cracovie, de Czestochowa, Katowice, Kielce et Tarnow. Tarnow est à travers Szczepanow, la première patrie de saint Stanislas. Je remercie l'ensemble du clergé. Je remercie les ordres religieux masculins et féminins. Je remercie tous et chacun en particulier. Il est vraiment juste et bon, et c'est notre devoir et source de joie de rendre grâces.



Je voudrais moi aussi, maintenant, en ce dernier jour de mon pèlerinage à travers la Pologne, ouvrir largement mon coeur et proclamer mon action de grâces en empruntant cette belle forme de la « préface ». Je désire tant que mes remerciements parviennent à la divine Majesté, au coeur de la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit !



Mes chers compatriotes ! De manière combien chaleureuse je rends grâces encore une fois, avec vous, pour le don d'avoir été — il y a plus de mille ansbaptisés au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ; d'avoir été plongés dans l'eau qui, par la grâce, perfectionne en nous l'image du Dieu vivant — dans l’eau qui est une onde d'éternité : « source d'eau qui jaillit pour la vie éternelle » (Jn 4,14). Je rends grâces parce que nous hommes, nous Polonais, qui sommes tous nés comme hommes par la chair et le sang (cf. Jn Jn 3,6) de nos parents, nous avons été conçus et nous sommes nés de l'Esprit (cf. Jn Jn 3,5) de l'Esprit-Saint.



Je voudrais donc aujourd'hui, me trouvant ici — dans ces vastes prairies de Krakow (Cracovie) — et tournant mon regard vers Wawel et Skalka où il y a neuf cents ans,  « le célèbre évêque Stanislas a subi la mort », accomplir encore une fois ce qui se réalise dans le sacrement de confirmation, dont il est le symbole dans notre histoire. Je voudrais que ce qui a été conçu et ce qui est né de l'Esprit-Saint soit à nouveau confirmé par la croix et la résurrection de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ auxquelles notre compatriote saint Stanislas de Szczepanow participa d'une façon particulière.



Permettez donc que, comme l'évêque pendant la confirmation, je répète moi aussi aujourd'hui ce geste apostolique de l'imposition des mains sur tous ceux qui sont ici présents, sur tous mes compatriotes. En lui s'expriment en effet l'acceptation et la transmission de l'Esprit-Saint que les Apôtres ont reçu du Christ lui-même, lorsque, après la résurrection, il vint à eux « les portes closes » (Jn 20,19) et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit » (Jn 20,22).



Cet Esprit, l'Esprit de salut, de rédemption, de conversion et de sainteté, l'Esprit de vérité, d'amour et de force — hérité comme force vive par les Apôtres — a été si souvent transmis par les mains des évêques à des générations entières en terre polonaise ! Cet Esprit — que l'évêque originaire de Szczepanow transmettait à ses contemporains — Je veux vous le transmettre aujourd'hui en embrassant cordialement et avec une humilité profonde la grande « confirmation de l'histoire » que vous vivez.



Je  répète  avec  l'Apôtre:  « Ne  contristez   pas  l'Esprit-Saint » (Ep 4,30).



Je répète donc avec le Christ lui-même : « Recevez l'Esprit-Saint » (Jn 20,22)



Je répète avec l'Apôtre : « N'éteignez pas l'Esprit ! » (1Th 5,19).



Vous devez être forts, très chers frères et soeurs ! Vous devez être forts de cette force qui prend sa source dans la foi ! Vous devez être forts de la force de la foi ! Vous devez être fidèles ! Aujourd'hui plus qu'à aucune autre époque, vous avez besoin de cette force. Vous devez être forts de la force de l'espérance qui conduit à la parfaite joie de vivre et ne permet pas de contrister l'Esprit-Saint !



Vous devez être forts de l'amour, qui est plus fort que la mort ! Comme l'ont révélé saint Stanislas et le bienheureux Maximilien Kolbe. Vous devez être forts de cette charité qui « est patiente et longanime ; ... n'est pas envieuse ; ... ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas, ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal, ne se réjouit pas de l'injustice et met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. Cet amour qui ne passe jamais » (1Co 13,4-8).



Vous devez être forts de la force de la foi, de l'espérance et de la charité, de cette force consciente, mûre et responsable qui nous aide à établir ce grand dialogue avec l'homme et avec le monde en l'étape actuelle de notre histoire : dialogue avec l'homme et avec le monde, enraciné dans le dialogue avec Dieu lui-même — avec le Père, par le Fils, dans l'Esprit — dialogue du salut.



Je voudrais que ce dialogue soit repris ensemble avec tous nos frères chrétiens, bien qu'encore séparés aujourd'hui, cependant unis par une unique foi dans le Christ. Je parle de cela ici, en ce lieu, pour exprimer des paroles de gratitude pour la lettre que j'ai reçue des représentants du Conseil oecuménique polonais. Même si, à cause du programme si chargé, nous ne sommes pas arrivés à une rencontre à Varsovie, souvenez-vous, chers frères dans le Christ, que je porte cette rencontre dans le coeur comme un vif désir et comme une expression de confiance pour l'avenir.



Ce dialogue ne cesse d'être notre vocation à travers tous les « signes des temps ». Jean XXIII et Paul VI, comme le concile Vatican II, ont accueilli cette invitation au dialogue. Jean Paul II, depuis le premier jour de son pontificat, confirme la même disponibilité. Oui ! Il faut travailler pour la paix et la réconciliation entre les hommes et les nations du monde entier. Il faut essayer de se rapprocher mutuellement. Il faut ouvrir les frontières. Quand nous sommes forts de l'Esprit de Dieu, nous sommes aussi forts de la foi en l'homme — forts de la foi, de l'espérance et de la charité — qui sont indissolubles — et nous sommes prêts à rendre témoignage à la cause de l'homme face à celui à qui cette cause tient vraiment à coeur, pour qui cette cause est sacrée, A celui qui désire la servir avec la meilleure volonté. Il ne faut donc pas avoir peur ! Il faut ouvrir les frontières ! Souvenez-vous que l'impérialisme de l'Église, cela n'existe pas, mais seulement son service. Il y a seulement la mort du Christ sur le Calvaire. Il y a l'action de l’Esprit-Saint, fruit de cette mort, l’Esprit-Saint qui reste avec nous tous, avec l'humanité entière, « jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20).



Je salue ici avec une joie spéciale les groupes de nos frères venus du sud, au-delà des Carpates. Que Dieu vous récompense pour votre présence. Comme je désirerais que les autres puissent être présents ici ! Que Dieu vous récompense, frères Lusatiens. Comme je désirerais que puissent être présents ici, durant ce pèlerinage du pape slave, également nos autres frères de langue et des événements de l'histoire. Et s'ils n'y sont pas, s'ils ne sont pas présents sur cette esplanade, qu'ils se souviennent qu'à cause de cela ils sont encore plus présents dans notre coeur. Qu'ils se souviennent qu'ils sont encore plus présents dans notre coeur et dans notre prière.



5. Il y a en outre, là-bas à Varsovie, sur la place de la Victoire, la tombe du soldat inconnu, d'où j'ai commencé mon ministère de pèlerin en terre polonaise ; et ici, à Cracovie sur la Vistule, entre Wawel et Skalka — la tombe de « l'évêque inconnu », dont il reste une admirable relique dans le trésor de notre histoire.



Avant de vous quitter, je voudrais donc jeter encore un regard sur Cracovie, cette Cracovie dont j'aime chaque pierre et chaque brique. Et je regarde encore ma Pologne…



C'est pourquoi, avant de vous quitter, je vous prie d'accepter encore une fois tout le patrimoine spirituel qui a pour nom « Pologne », avec la foi, l'espérance et la charité que le Christ a placées en nous par le saint baptême.



Je vous prie :

— de ne jamais perdre confiance, de ne pas vous laisser abattre, de ne pas vous décourager ;

— de ne pas couper vous-même les racines de notre origine.



Je vous prie :

— d'avoir confiance, malgré toute votre faiblesse, et de chercher toujours la force spirituelle en celui près duquel tant de générations de nos pères et de nos mères l'ont trouvée ;

— ne vous détachez jamais de lui ;

ne perdez jamais la liberté d'esprit par laquelle il « rend libre » l'homme ;

— ne dédaignez jamais la charité, qui est la chose « la plus grande » qui s'est manifestée à travers la croix, et sans laquelle la vie humaine n'a ni racines ni sens.



Je vous demande tout cela :

— en mémoire et par la puissante intercession de la Mère de Dieu de Jasna Gôra et de tous ses sanctuaires en terre polonaise ;

— en mémoire de saint Adalbert qui subit la mort pour le Christ près de la mer Baltique ;

— en mémoire de saint Stanislas, tombé sous Pépée royale à Skalka.



Je vous demande tout cela.

Amen.






10 juin 1979



A CRACOVIE : AUX PROFESSIONNELS DES MASS MEDIA





Chers amis,



Je vous ai déjà rencontres bien loin d'ici et, même si le successeur de Pierre peut se sentir chez lui en quelque partie du monde que ce soit — vu que son mandat est « pour toutes les nations » (Mt 28,19) — c'est cependant pour moi une source de satisfaction particulière et un plaisir de vous rencontrer et de vous ouvrir les bras ici, sur le sol de ma terre natale. Mon voeu est que soit grandement accordé à votre esprit un nouvel enrichissement et une profonde paix intérieure dans les sanctuaires et dans les lieux sacrés où la foi du peuple polonais a su s'exprimer d'une façon si intense.



Le pèlerinage est pour nous chrétiens, une pratique qui remonte à une tradition antique. Certains lieux sont considérés comme particulièrement saints du fait de la sainteté, et de la vertu acquise par certaines personnes qui y ont vécu. Et ce caractère sacré augmente avec le temps du fait, des :prières et des sacrifices des multitudes de pèlerins qui viennent les visiter.



Ainsi la vertu engendre une nouvelle vertu, la grâce qui attire la grâce et la bonté d'un saint ou d'une sainte, dont tout un peuple conserve le souvenir, continue à rayonner à travers les siècles et fait don d'un renouveau, d'une inspiration et d'une guérison aux générations qui se succèdent. De cette manière nous sommes aidés et encouragés dans la difficile ascèse de la vertu.



Vous vous souvenez sans doute que l'un de mes premiers désirs, à peine suis-je devenu pape, a été de me rendre en pèlerinage aux sanctuaires des patrons nationaux d'Italie, saint François d'Assise et sainte Catherine de Sienne. J'ai senti alors le besoin de m'assurer l'aide de ces grands saints et de demander dans leurs sanctuaires la résolution et le conseil que réclamait la nouvelle et formidable tâche qui est la mienne. Je ressentais cependant aussi le profond besoin de fortifier mon esprit par un pèlerinage aux lieux saints de ma patrie et je remercie Dieu qui, dans sa bonté, a permis que cela se réalise et que cela ait été possible précisément cette année où la Pologne célèbre le neuvième centenaire de son patron principal, saint Stanislas.



Et maintenant, au moment de mon départ, je vous remercie, amis des mass média, de m'avoir accompagné pendant mon pèlerinage. Je vous remercie, vous et les différentes agences de moyens de communication que vous représentez parce que vous avez — je crois pouvoir le dire — apporté le monde entier en Pologne, parce que vous l'avez fait venir à mes côtés et que vous l'avez fait participer à ces précieuses journées de prières au cours de mon retour chez moi.



En vous exprimant ma profonde gratitude, je voudrais vous demander encore une faveur. Je voudrais vous prier de dire au monde et aux peuples de chacune de vos contrées que Jean Paul II s'est souvenu d'eux, les a gardés dans son coeur, a prié pour eux à chaque pas de son pèlerinage : aux sanctuaires de la bienheureuse Mère de Dieu, à Varsovie, à Czestochowa, à Nowy Targ et à Makow ; sur la tombe de saint Wojcieh et de saint Stanislas à Gniezno et à Cracovie ; au sanctuaire de la sainte Croix à Mogila et dans la cellule d'Auschwitz où le bienheureux Maximilien Kolbe a passé les dernières heures héroïques de sa vie. Dites-leur — et c'est la vérité — que le pape prie pour eux chaque jour plusieurs fois par jour où qu'il se trouve et qu'il leur demandé de prier pour lui.



Et maintenant une parole spéciale pour vous-mêmes, professionnels de la presse et des agences photographiques, de la radio, de la télévision et du cinéma. Chaque jour davantage, en vous observant dans l'exercice de votre travail, je suis frappé de la noblesse de la tâche qui vous est confiée par votre vocation et par votre profession. J'ai dit à une autre occasion (Mexique, janvier 1979) que c'est parle moyen d'une information « complète, soigneuse, exacte et fidèle » que vous mettez chaque homme et chaque femme en mesure de participer et d'être responsable du « progrès général de tous » (Communio et progressio, 34-19). L'idéal de vos vies est d'être consacrées au service de la vérité. C'est seulement en restant fidèles à cet idéal que vous mériterez le respect et la gratitude de tous.



Dans ce but, je voudrais vous rappeler ce que Jésus-Christ a dit, au cours du procès qui devait décider de sa vie — et cela a été l'unique élément qu'il a apporté à sa défense — « je suis né et je suis venu dans ce monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). Appliquez ceci, chacun d'entre vous, à sa propre vie et cela sera le moyen d'adoucir vos souffrances et de renforcer votre courage dans la plupart des épreuves et des frustrations de votre existence.



C'est cette pensée que je vous laisse jusqu'à ce que nous nous rencontrions de nouveau. Portez votre salut et mon merci à vos familles et mon affection spéciale à vos enfants. En disant au revoir, à vous et à la Pologne, je vous bénis debout coeur.






10 juin



LE PAPE PREND CONGE DE LA POLOGNE A L'AEROPORT DE BALICE





Monsieur le Professeur,

Monsieur le Président du Conseil d'État de la République populaire polonaise,

Messieurs,



1. Le moment est venu pour moi de prendre congé de Cracovie et de la Pologne. Même si ce détachement ne peut certainement pas rompre les liens spirituels profonds et les sentiments qui me lient à ma ville, à ma patrie, et à ses citoyens, je ressens en ce moment avec douleur ce détachement. Mais, maintenant, mon siège épiscopal est Rome et il faut que j'y retourne : là, aucun fils de l'Église et, nous pouvons le dire, aucun homme, qu'il soit Polonais ou fils de toute autre nation, n'est un étranger.



Maintenant est venue l'heure des saluts et des remerciements. Je veux d'abord adresser mes paroles de remerciement à M. le président du Conseil d'État qui, avec les autres représentants des autorités de l'État, a tenu à venir ici pour me saluer comme il l'avait fait il y a neuf jours pour me souhaiter la bienvenue dans mon pays natal au nom des autorités de la République polonaise. Je le remercie pour cette double courtoisie que j'ai appréciée et que j'apprécierai toujours pour tout ce qu'elle exprime.



Je veux en outre, en ce lieu, exprimer mes remerciements cordiaux pour l'hospitalité qui m'a été offerte et à laquelle ont beaucoup contribué également les autorités de l'État aussi bien les autorités centrales que les autorités locales. Je vous remercie en particulier, encore une fois, pour la rencontré du Belvédère, au premier jour de ma visite en Pologne. J'espère que cette visite, qui s'achève maintenant, contribuera au développement ultérieur des relations entre l'État et l'Église en Pologne et également entre le Siège apostolique et la Pologne.



Je réalise combien le mot « hospitalité » contient de richesse et de délicatesse mais en même temps combien, dans notre cas, il contient aussi de fatigue, combien de problèmes cachés il recèle, combien de travaux de préparation, combien de décisions et enfin combien d'efforts pour sa réalisation.



Alors, je vous dis « merci » à tous et je voudrais que ce « merci » parvienne à tous ceux à qui je dois des remerciements et je ne sais si sur cette terre de Pologne il y a quelqu'un à qui je ne sois pas redevable de remerciements.



Je crois que je dois remercier tout le monde. J'adresse ce signe de ma gratitude aux autorités gouvernementales, aux autorités de chacun des « voivodati » et aux autorités de la ville de Cracovie.



2. Très Eminent cardinal primat de Pologne, je vous offre aussi mes remerciements cordiaux pour « l’au revoir » que vous m'avez exprimé en votre nom personnel et au nom de toute l'Église qui est en Pologne. A vos paroles de bienvenue, j'ai voulu répondre par tout le service que, grâce à la providence de Dieu et grâce à votre cordialité, j'ai eu le bonheur et la joie de remplir au cours de ces quelques journées. En ce moment il ne me reste plus qu'à remercier de tout coeur Votre Éminence, l’épiscopat, les prêtres, les familles religieuses, masculines et féminines et tout le peuple de Dieu qui est en Pologne, pour leurs sentiments si vifs et cordiaux, pour leurs prières qui m'ont entouré au cours de cet inoubliable pèlerinage de Varsovie à Saint-Stanislas de Cracovie en passant par Saint-Adalbert de Gniezno et Jasna Gôra. Je remercie Dieu de votre foi, de votre attachement au Siège apostolique et au successeur de saint Pierre.



Mon bref séjour en Pologne a renforcé encore davantage les liens spirituels qui m'unissent à ma patrie si aimée et à cette Église dont je viens et que je veux servir de tout mon coeur, de toutes mes forces par mon ministère universel de pape.



Je vous remercie de m'avoir assuré de votre souvenir dans la prière. Là-bas, au-delà des Alpes, j'écouterai en esprit le son des cloches qui appellent les fidèles à la prière, surtout au moment de l'Angélus et en même temps je sentirai battre le coeur de mes compatriotes.



« Que Dieu accorde sa récompense » à la vénérable Conférence de l'épiscopat polonais, avec son chef le cardinal primat, le métropolitain de Cracovie et l'évêque-secrétaire !



« Que Dieu accorde sa récompense » à tous !



3. La visite du pape en Pologne est assurément un événement sans précédent, non seulement pour ce siècle, mais aussi pour tout le millénaire de vie chrétienne polonaise, d'autant plus qu'il s'agit de la visite d'un pape polonais, qui a le droit sacro-saint de partager les sentiments de sa nation. Une telle participation, en effet, est partie, intégrante de son ministère de successeur de Pierre vis-à-vis de toute l'Église.



Cet événement sans précédent est indubitablement un acte de courage aussi bien de la part de ceux qui ont invité que de la part de celui qui a été invité. Toutefois, un tel acte de courage est nécessaire en notre temps. Il faut avoir le courage de marcher dans une direction que personne n'a suivie jusqu'à maintenant, comme autrefois fut nécessaire à Simon le courage de se diriger du lac de Génésareth en Galilée vers Rome, qui lui était inconnue.



Notre temps a grand besoin d'un témoignage qui exprime ouvertement la volonté de rapprocher entre eux nations et régimes, condition indispensable pour la paix dans le monde. Notre temps exigé de nous de ne pas nous enfermer dans les frontières rigides des systèmes, mais de chercher tout ce qui est' nécessaire au bien de l'homme, lequel doit trouver partout la conscience et la certitude de sa citoyenneté authentique. J'aurais voulu dire : conscience et certitude de son primat dans n'importe quel système de rapports et de forces.



Merci donc pour cette visite. Je souhaite qu'elle s'avère utile et qu'à l'avenir elle serve aux buts et aux valeurs qu'elle s'était proposés.



4. Je prends congé de Cracovie. Je lui souhaite une nouvelle jeunesse.



Je souhaite qu'elle reste pour les Polonais, pour l'Europe et pour le monde ce magnifique témoignage d'histoire de la nation et de l'Église qu'elle est actuellement ; je souhaite que le patrimoine culturel conservé dans les murs de Cracovie, dont le bien tient tant au coeur de M. le Président de l'État continue à parler par son contenu absolument unique.



Je prends congé de la Pologne ! Je prends congé de ma patrie ! En partant je baise cette terre dont mon coeur ne peut jamais se détacher.



Que Dieu Tout-Puissant vous bénisse : le Père, le Fils et le Saint-Esprit !






10 juin 1979



LE RETOUR A ROME





Monsieur le Président du Conseil des ministres, veuillez accepter ma reconnaissante gratitude pour les paroles élevées par lesquelles vous avez voulu me souhaiter la bienvenue à mon retour en terre d'Italie, au nom du gouvernement et au nom de toute la nation.



Le pape a visité sa terre natale, où il est venu à la lumière du soleil et à celle de la foi, où il s'est consacré au Christ et à l'Église, et maintenant il revient à son Siège, là où le Seigneur l'a placé pour guider et confirmer ses frères, à Rome, ville providentiellement élue pour être la demeure du vicaire du Christ lui-même. Je remercie Dieu d'avoir pu revoir la Pologne, sol béni et fécond où j'ai plongé mes racines d'homme, de prêtre, d'évêque et dont j'ai retiré une sève riche et vitale. Je remercie avec une très vive ferveur le Seigneur de m'avoir ramené ici où mon esprit veut s'identifier et se confondre, chaque jour davantage, avec la mission universelle qui m'a été confiée. Une patrie, ma patrie natale, m'a préparé et me renvoie à l'autre qui est plus grande, catholique, car elle embrasse, comme mon service, le monde entier.



Je suis heureux de pouvoir exprimer en ce moment la profonde, ineffable, joie de mon coeur pour avoir pu prendre part aux célébrations du centenaire du martyre de saint Stanislas : Varsovie, Gniezno, Czestochowa, Cracovie, étapes de mon pèlerinage ont constitué autant de moments de joyeuse communion, d'amitié, d'entretiens constructifs et surtout d'élévation de la même prière. Les émotions intimes et profondes des différentes rencontres se sont soudées harmonieusement entre elles dans mon âme et l'ont enrichie d'une nouvelle grâce, d'une expérience qui est une pure grâce de la part du Très-Haut.



J'ai devant les yeux les ondes attentives, paisibles, priantes de foules de frères, de fils, de compatriotes qui ont voulu manifester l'affection la plus dévote au fils de la même terre, mais surtout au chef visible de l'Église, au successeur de Pierre. La foi de la Pologne est une réalité vivante et stimulante dont je voudrais vous rendre participant, car elle contient — comme toutes les expériences authentiques de foi — un message d'optimisme et d'espérance : « Le Christ ne meurt plus ; la mort n'a plus de pouvoir sur lui » (Rm 6,9). Cette affirmation assurée de Paul, par laquelle j'ai terminé mon discours aux fidèles polonais dans la cathédrale de Varsovie, je vous la transmets maintenant à vous et, à travers vous, à la chère Rome et à l'Italie, en message de salut ; ce salut qui trouve toujours en nous de nouvelles confirmations dans la société et dans le concert des peuples pourvu que la foi au Christ inspire nos choix responsables.



Au terme de mon voyage, j'ai à coeur de renouveler mon salut, mon souvenir et mes souhaits à toute la nation polonaise, et d'adresser un cordial merci à l'épiscopat polonais, avec à la tête le cardinal Stéphane Wyszynski, primat de Pologne, et aux représentants de l'autorité dans l'État pour l'estime et l'empressement avec lesquels ils m'ont accueilli et entouré.



Je vous assure que j'ai eu un souvenir tout particulier devant l'image vénérée de la Vierge de Czestochowa pour la destinée de l'Italie, et pour le bien, pour la coexistence dans la paix et pour la prospérité de ses citoyens. J'adresse à toutes les personnes présentes une pensée respectueuse et cordiale en même temps que l'expression de ma vive gratitude, à MM. les cardinaux, aux autorités civiles et militaires italiennes, qui par leur accueil déférent et spontané rendent plus joyeuse l'heure de mon retour ; aux membres distingués du Corps diplomatique dont la présence témoigne de la participation de chacune de leurs nations à la joie de mon pèlerinage ; à vous qui par cet accueil de fête me faites le don d'une authentique atmosphère de famille ; aux dirigeants, aux pilotes, au personnel de la Compagnie aérienne et à tous ceux qui se sont employés à l'excellente organisation de mon voyage et l'ont rendu à la fois confortable et attrayant. Que, pour vous tous, la bénédiction, que j'étends à la Ville éternelle et au monde catholique, soit un témoignage d'affection et de bienveillance.







VOYAGE EN IRLANDE




Septembre-Octobre 1979







29 septembre 1979



AU DEPART DE ROME…





Je remercie de tout coeur ceux qui sont ici présents, en particulier MM. les Cardinaux, les membres du Corps diplomatique, les représentants du Gouvernement italien.



Ma pensée reconnaissante va aussi vers tous ceux qui, en ce moment, m'accompagnent de leur affection et de leur espérance.



Je quitte Rome et le sol de l'Italie bien-aimée pour accomplir un long voyage de caractère éminemment pastoral, en syntonie cohérente avec mon service suprême de l'Église.



Je me rends avant tout en Irlande, « l'île des Saints », à l'occasion du centenaire du sanctuaire de la Vierge de Knock, à la suite de l'invitation que m'a adressée l'épiscopat de ce pays. Je désire exprimer aux Irlandais l'appréciation qui leur est due pour la fidélité courageuse qu'à travers les siècles ils ont su témoigner au Christ, à l'Église et au siège apostolique ; je désire également leur exprimer ma vive reconnaissance pour l'ardeur missionnaire dynamique qui les a toujours animés dans la diffusion du message évangélique dans le monde entier. Je souhaite de tout coeur que ma visite contribue à transformer cette atmosphère de tension qui, dans ces derniers temps tout spécialement, a provoqué des déchirements et aussi, malheureusement, la ruine et la mort.



Acceptant l'invitation du secrétaire général des Nations unies, le docteur Kurt Waldheim, je me rends ensuite à l'O.N.U. En cela, je suis les traces de mon prédécesseur, le pape Paul VI, de vénérée mémoire qui, il y a quatorze ans, le 4 octobre 1965, prononça dans ce siège prestigieux un discours qui eut un écho très vaste dans l'opinion publique internationale. Les paroles que je prononcerai dans cette assemblée seront dans la ligne et en continuation de l'appel prophétique du grand pape en faveur de la paix et de la concorde entre les peuples.



Enfin, sur l'invitation de la Conférence épiscopale des États-Unis d'Amérique, ainsi que du président Carter, je rendrai visite à quelques villes de ce grand pays. J'y rencontrerai particulièrement les fils de l'Église catholique, pour les confirmer et les affermir dans la foi, et aussi les autres frères chrétiens et les membres des autres communautés non chrétiennes, pour intensifier les efforts de tous vers cette unité parfaite voulue par le Christ.



Puisse le Seigneur guider nos pas et m'assister de sa grâce pendant ces jours pour que les finalités spirituelles qui sont à la base de ce nouveau voyage soient atteintes. Dans ce but, je demande à tous, spécialement aux malades et aux enfants, un souvenir dans leur prière. Avec ma bénédiction apostolique.






29 septembre 1979



A L'ARRIVEE A DUBLIN…





Loué soit Jésus-Christ !



C'est avec une joie immense et avec une profonde gratitude envers la Très Sainte Trinité que je pose aujourd'hui le pied sur le sol irlandais.



Je viens à vous comme un serviteur de Jésus-Christ, un Hérault de son Évangile de justice et d'amour, comme évoque de Rome, comme successeur de l'apôtre Pierre. Et avec les mots de Pierre je vous offre les souhaits de mon coeur : « Paix à vous tous qui êtes dans le Christ » (1P 5,5-14).



J'apprécie profondément la bienvenue de S. E. le Président d'Irlande qui, comme représentant de tous les citoyens de ce pays, m'offre la chaude hospitalité de cette terre.



Je suis reconnaissant par-dessus tout à mes frères dans l'épiscopat, qui sont ici pour m'accueillir, au nom de toute l'Église en Irlande, que j'aime tant. Je suis très heureux de marcher parmi vous — dans les pas de saint Patrice et dans le sentier de l'Évangile qu'il vous a. laissé comme grand héritage — étant convaincu que le Christ est ici : « Le Christ devant moi, le Christ derrière moi... le Christ dans le coeur de chaque homme qui pense à moi, le Christ dans la bouche de chaque homme qui parle de moi. »



A ce moment de mon arrivée, je sens le besoin d'exprimer mon estime pour les traditions chrétiennes de cette terre, aussi bien que la gratitude de l'Église catholique pour la contribution glorieuse apportée par l'Irlande, à travers les siècles, à l'expansion de la foi.



De cette capitale, j'envoie mes souhaits à tous les Irlandais de par le monde.



Et comme j'invoque tes bénédictions de Dieu sur l'Irlande, j'invite tout son peuple à des prières à Notre-Dame, à l'intercession de Marie, Mère de Jésus, et reine de la paix, sous le patronage de qui je place ma visite pastorale.



Loué soit Jésus-Christ !






29 septembre 1979



DUBLIN : HOMELIE A PHOENIX PARK





Chers frères et soeurs en Jésus-Christ,



1. Comme saint Patrice, moi aussi, j'ai entendu « la voix des Irlandais » m'appeler et ainsi je suis venu à vous, à vous tous en Irlande.



Dès les origines de sa foi, l'Irlande a été liée au Siège apostolique de Rome. Les documents primitifs attestent que votre premier évêque, Palladius, fut envoyé en Irlande par le pape Célestin ; et que saint Patrice, successeur de Palladius, fut « confirmé dans la foi » par le pape Léon le Grand. Parmi les paroles attribuées à Patrice, il y a ce mot célèbre adressé à « l'Église des Irlandais, bien plus, des Romains », leur enseignant comment ils doivent prier pour être « chrétiens comme le sont les Romains ».



Cette union de charité entre l'Irlande et la sainte Église romaine est demeurée inviolable et indéfectible tout au long des siècles. Irlandais catholiques, vous avez gardé et aimé l'unité et la paix de l'Église catholique, la préférant à tout trésor terrestre. Vos compatriotes ont propagé cet amour de l'Église catholique partout où ils sont allés, à chaque siècle de votre histoire. C'est ce que firent les premiers moines et les missionnaires des âges obscurs de l'Europe, les réfugiés de la persécution, les exilés et les missionnaires — hommes et femmes — du siècle dernier et du présent.



Je suis venu à vous comme évêque de Rome et pasteur de toute l'Église, afin de célébrer cette union avec vous, dans le Sacrifice de l'Eucharistie, ici, à Dublin, capitale de l'Irlande, pour la première fois dans l'histoire irlandaise. Je me considère en ce moment, comme pèlerin pour le Christ vers la terre d'où tant de pèlerins pour le Christ, peregrini pro Christo, partirent vers l'Europe, les Amériques, l'Australie, l'Afrique, l'Asie et je vis un moment d'intense émotion. Comme je me trouve ici, en compagnie de tant de centaines de milliers d'Irlandais, homme et femmes, je songe à combien de fois, au cours de siècles, l'Eucharistie fut célébrée en cette terre. Comme ils sont nombreux et variés, ces lieux où la messe fut offerte — dans les majestueuses cathédrales médiévales et les églises modernes ; sur les Mass rocks dans les vallées et les forêts, par des prêtres pourchassés, et dans les pauvres chapelles au toit de chaume, pour un peuple pauvre de biens de ce monde mais riche de ceux de l'esprit ; dans les woke-houses ou les station-houses, ou en plein air, dans les grands rassemblements de fidèles — au sommet de Croagh Patrick et à Lough Derg. Qu'importe le lieu où la messe était offerte, pour les Irlandais, ce fut toujours la messe qui comptait. Combien ont trouvé en elle la force spirituelle de vivre, même dans les époques de tribulation et de pauvreté les plus grandes, aux jours de persécution et de vexation ! Chers frères et soeurs, chers fils et filles d'Irlande, permettez qu'avec vous, je survole votre histoire dans la lumière de l'Eucharistie célébrée ici depuis tant de siècles.



2. Depuis la Chambre haute, à Jérusalem, depuis la Dernière Cène, en un certain sens, l'Eucharistie écrit l'histoire du coeur humain et des communautés humaines. Réfléchissons sur tous ceux qui, nourris du Corps et du Sang du Seigneur, ont vécu et sont morts sur cette île, portant en eux, à cause de l'Eucharistie le gage de la vie éternelle. Pensons à tant de générations de fils et de filles de ce pays et, en même temps, fils et filles de l'Église. Puisse cette Eucharistie-ci être célébrée dans une atmosphère d'intense communion des sainte. Dans cette messe, nous sommes unis spirituellement à toutes les générations qui ont accompli la volonté de Dieu, des temps les plus reculés jusqu'à ce jour. Nous sommes un dans la foi et l'esprit, avec la vaste foule qui remplissait Phoenix Park lors du dernier grand rassemblement eucharistique tenu en ce lieu, à l'occasion du Congrès eucharistique de 1932.



La foi dans le Christ a pénétré profondément dans la conscience et dans la vie de vos ancêtres. L'Eucharistie transforma leur âme pour la vie éternelle, en union avec le Dieu vivant Puisse donc cette exceptionnelle rencontre eucharistique, aujourd'hui, être aussi une prière pour les défunts, pour vos ancêtres et vos parents. Avec leur aide, qu'elle devienne une prière plus fervente pour les vivants, pour la génération actuelle des fils et des filles de l'Irlande d'aujourd'hui qui se prépare pour la fin du vingtième siècle, afin qu'elle puisse affronter les défis qui s'imposeront à elle.



3. Oui, l'Irlande, qui a surmonté tant de moments difficiles au cours de son histoire, est menacée d'une nouvelle manière aujourd'hui, car elle n'est pas immunisée contre l'influence des idéologies et des tendances inhérentes à la civilisation et au progrès actuels. La seule capacité des mass média d'introduire le monde entier dans vos demeures produit une nouvelle forme de confrontation avec les valeurs et les orientations qui jusqu'à présent avait été épargnée à la société irlandaise. Un matérialisme envahissant impose sa puissance à l'homme d'aujourd'hui sous des formes diverses et avec une agressivité qui n'épargne personne. Les principes les plus sacrés, qui furent des guides sûrs pour le comportement des individus et de la société, sont supplantés par des faux-semblants à l'égard de la liberté, du caractère sacré de la vie, de l'indissolubilité du mariage, du vrai sens de la sexualité humaine, de la juste attitude vis-à-vis des biens matériels qu'offre le progrès. Plusieurs sont maintenant tentés par le bien-être matériel et les biens de consommation, et l'identité humaine est souvent définie par ce que quelqu'un possède. La prospérité et l'abondance, même quand elles ne font que commencer à être accessibles à une plus grande partie de la société, ont tendance à convaincre les gens qu'ils ont droit à tout ce que peut leur apporter la prospérité, et dès lors, leurs exigences deviennent plus égoïstes. Chacun veut sa pleine liberté dans toutes les sphères du comportement humain et de nouveaux modèles de moralité sont proposés au nom d'une prétendue liberté. Lorsque la fibre morale d'une nation est affaiblie, lorsque diminue le sens de la responsabilité personnelle, alors la porte est ouverte à la justification des injustices, à la violence sous toutes ses formes, et à la manipulation du grand nombre par le petit. Le danger qui déjà nous atteint est lamentation d'accepter comme vraie liberté, ce qui en réalité, n'est qu'une nouvelle forme d'esclavage.



4. Il devient donc de plus en plus urgent de nous plonger dans la vérité du Christ qui « est le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6) et dans la force qu'il nous offre lui-même par son Esprit. C'est particulièrement dans l'Eucharistie que nous sont donnés la puissance et l'amour du Christ.



Le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ offert pour nous est un acte d'amour suprême de la part de notre Sauveur. C'est sa grande victoire sur le péché et sur la mort — une victoire qu'il nous communique. L'Eucharistie est la promesse de la vie éternelle puisque Jésus lui-même nous dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,54).



Le Saint Sacrifice de la messe devient la joyeuse célébration de notre salut. A la messe, nous louons et remercions Dieu, notre Père, de nous avoir accordé la rédemption par le Sang précieux de Jésus-Christ. L'Eucharistie est aussi le centre de l'unité de l'Église, tout comme son plus grand trésor. Selon les termes du Concile Vatican II, l'Eucharistie contient « toute la richesse spirituelle de l'Église » (Presbyterorum Ordinis, PO 5).



Je désire, aujourd'hui, exprimer la gratitude de Jésus-Christ et de son Église pour la dévotion que l'Irlande a toujours manifestée envers la Sainte Eucharistie. Comme Successeur de Pierre et vicaire du Christ, je vous assure que la messe est vraiment la source et le sommet de votre vie chrétienne.



Le dimanche matin, en Irlande, en voyant les foules aller à la messe et en revenir, nul ne peut mettre en doute la dévotion à la messe de l'Irlande. Ce qu'on voit, c'est la fidélité de tout un peuple au commandement du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi ». Puisse le dimanche irlandais demeurer toujours le jour où tout le peuple de Dieu — the pobal De — se met en marche vers la Maison de Dieu que les Irlandais appelle la Maison du Peuple — the teach an pobal. Ce me fut une grande joie d'apprendre que beaucoup viennent à la messe plusieurs fois la semaine et même chaque jour. Cette pratique est une source abondante de grâce et de progrès dans la sainteté.



5. Oui, c'est de l'Eucharistie que chacun de nous reçoit grâce et force pour la vie de chaque jour — pour vivre une vraie vie chrétienne, dans la joie de savoir que Dieu nous aime, que le Christ est mort pour nous, et que l'Esprit-Saint vit en nous.



Notre pleine participation à l'Eucharistie est la vraie source de l'esprit chrétien que nous souhaitons voir dans nos vies personnelles et dans tous les aspects de la société. Que nous servions dans les sphères politique, économique, culturelle, sociale ou scientifique — peu importe notre occupation — l'Eucharistie est l'enjeu de notre vie quotidienne. Chers frères et soeurs ; il doit toujours y avoir de l'harmonie entre ce que nous croyons et ce que nous faisons. Nous ne pouvons vivre des gloires de notre histoire chrétienne passée. Notre union au Christ dans l'Eucharistie doit s'exprimer dans la vérité de nos, vies, aujourd'hui — dans nos actions, dans notre comportement, dans notre style de vie et dans nos relations avec les autres. L'Eucharistie est, pour chacun de nous, un appel à un amour toujours croissant, afin que nous puissions vivre en vrais disciples de Jésus : vrais dans nos paroles, généreux dans nos actions, préoccupés et respectueux de la dignité et des droits de chacun, quel que soit son rang ou son revenu, capables de sacrifice, loyaux et justes, bienveillants, indulgents compatissants, pondérés — soucieux du bien-être de nos familles, de nos jeunes, de notre pays, de l'Europe et du monde. La véracité de notre union avec Jésus-Christ dans l'Eucharistie se mesure à l'amour que nous portons réellement ou non à nos semblables, hommes et femmes ; elle se mesure à la façon dont nous traitons les autres, spécialement ceux de nos familles : maris et femmes, enfants et parents, frères et soeurs. Elle se mesure à la manière dont nous essayons ou non de nous réconcilier avec nos ennemis, dont nous pardonnons ou non à ceux qui nous ont blessés ou offensés. Elle se mesure encore à l'attention que nous apportons ou non à faire passer dans nôtre vie ce que nous enseigne notre foi. Nous devons constamment nous rappeler ce que dit Jésus : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande» (Jn 15,14).



6. L'Eucharistie est encore un vibrant appel à la conversion. Nous savons que c'est une invitation au Banquet ; qu'en nous nourrissant de l'Eucharistie, nous recevons le Corps et le Sang du Christ, sous les apparences du pain et du vin. Précisément à cause de cette invitation, l'Eucharistie est et demeure l'appel à la conversion. Si nous la recevons comme un tel appel, une telle invitation, elle produit en nous ses propres fruits. Elle transforme nos vies. Elle nous fait « homme nouveau », « créature nouvelle» (cf. Ga Ga 6,15 Ep 2,15 2Co 5,17). Elle nous aide à ne pas nous laisser « dominer par le mal maïs à dominer te mal par le bien » (cf. Rm Rm 12,10). L'Eucharistie contribue au triomphe de l'amour en nous — l'amour au-dessus de la haine, le zèle au-dessus de l'indifférence.



L'appel à la conversion dans l'Eucharistie relie l'Eucharistie à cet autre grand sacrement de l'amour de Dieu, la Pénitence. Chaque fois que nous recevons le sacrement de Pénitence ou de la Réconciliation, nous recevons le pardon du Christ, et nous savons que ce pardon nous vient des mérites de sa mort — cette-même mort que nous célébrons dans l'Eucharistie. Dans le sacrement de la Réconciliation, nous sommes tous ainsi invités à rencontrer le Christ personnellement et à le faire souvent. Cette rencontre avec Jésus revêt une telle importance que j'ai écrit ceci dans ma première encyclique : « En observant fidèlement la pratique pluriséculaire du sacrement de pénitence — la pratique de la confession individuelle unie à l’acte personnel de contrition et au propos de se corriger et de réparer — l'Église défend le droit particulier de l'âme humaine : droit à une rencontre plus personnelle de l’homme avec le Christ crucifié qui pardonne, avec le Christ qui dit, par l'intermédiaire du ministre du sacrement de la Réconciliation : « Tes péchés te sont pardonnés ! Va, et ne pèche plus désormais ». A cause de l'amour et de la miséricorde du Christ, nul péché qui ne soit trop grand pour né pas être pardonné, nul pécheur qui ne soit rejeté. Chaque personne qui se repent sera reçue par Jésus-Christ avec clémence et immense amour ».



Ce me fut une grande joie d'apprendre que les évêques irlandais avaient demandé aux fidèles de se confesser, comme partie de la préparation spirituelle à ma visite en Irlande. Vous ne pouviez me causer plus grande joie, m'offrir plus magnifique présent. Et s'il y a encore aujourd'hui quelqu'un qui hésite, pour une raison ou pour une autre, s'il vous plaît, rappelez-vous ceci : Celui qui sait comment reconnaître sa faute et qui en demande pardon au Christ, rehausse sa propre dignité humaine et manifeste de sa grandeur d'âme.



Je saisis cette occasion pour demander à chacun de vous de continuer à garder toujours ce sacrement de pénitence en spécial honneur. Rappelons-nous les paroles de Pie XII au sujet de la confession fréquente : « Ce n'est pas sans l'inspiration de l'Esprit-Saint que cette pratique fut introduite dans l'Église » (AAS 35, 193, p. 235).



Chers frères et soeurs, l'appel à la conversion et au repentir vient du Christ et nous amène toujours au Christ dans l'Eucharistie.



7. Je vous souhaite aussi, en ce moment, de vous souvenir toujours de cette importante vérité affirmée par le concile Vatican II, à savoir : « La vie spirituelle, pourtant, n'est pas confinée à la participation à la liturgie » (Sacrosanctum concilium, SC 12). Et ainsi, je vous encourage également aux autres pratiques de dévotion que vous avez amoureusement conservées au cours des siècles, particulièrement à l'égard du Saint-Sacrement. Ces actes de piété honorent Dieu et sont utiles pour nos vies chrétiennes ; ils nous réjouissent le coeur et nous aident à apprécier davantage le culte liturgique de l'Église.



La visite au Saint-Sacrement — tellement partie de l'Irlande, tellement partie de votre piété, tellement partie de votre pèlerinage à Knock — est un précieux trésor de la foi catholique. Elle nourrit l'amour social et nous fournit des occasions d'adoration, d'action de grâce, de réparation et de supplication. La bénédiction, l'exposition et l'adoration du Saint-Sacrement, les heures saintes et les processions eucharistiques sont encore de précieux éléments de votre héritage — en pleine conformité avec l'enseignement du concile Vatican II.



En ce moment, c'est aussi ma joie de réaffirmer devant l'Irlande et devant le monde entier le merveilleux enseignement de l'Église catholique sur la présence consolante du Christ dans le Saint Sacrement : sa présence réelle dans le sens plus étendu : la présence substantielle du Christ entier et complet, Dieu et homme (cf. Mysterium Fidei, MF 39). L'Eucharistie, dans la messe et en dehors de la messe, est le Corps et le Sang de Jésus-Christ ; elle est par conséquent digne de l'adoration qui y est rendue au Dieu vivant et à lui seul (cf. Mysterium Fidei, MF 55 Mysterium Fidei, 55 ; Paul VI, Adresse du 15 juin 1978).



Et ainsi, chers frères et soeurs, chaque geste de révérence, chaque génuflexion que vous faites devant le Saint-Sacrement est important parce qu'il constitue un acte de foi au Christ, un acte d'amour envers le Christ. Et chaque signe de croix et autre geste de respect fait chaque fois que vous passer devant une église est aussi un acte de foi.



Daigne Dieu vous conserver dans cette foi — cette sainte foi catholique — cette foi au Saint-Sacrement.



Je termine, chers frères et soeurs, bien-aimés fils et filles d'Irlande, en rappelant comment la Divine Providence s'est servie de cette île en bordure de l'Europe pour la conversion du continent européen, ce continent qui a été pendant deux mille ans le continent de la première évangélisation. Je suis moi-même fils d'une nation qui reçut l'Évangile il y a plus de mille ans, plusieurs siècles après votre patrie. Lorsque en 1966, nous avons commémoré solennellement le millénaire du baptême de la Pologne, nous avons rappelé avec gratitude aussi, ces missionnaires irlandais qui, parmi d'autres, participèrent au travail de la première évangélisation de la contrée qui de la Vistule, s'étend vers l'est et l'ouest.



Un de mes plus proches amis, célèbre professeur d'histoire à Cracovie, apprenant mon intention de visiter l'Irlande, disait : « Quelle bénédiction que le pape aille en Irlande ! Ce pays le mérite particulièrement ». Moi aussi, j'ai toujours pensé cela. C'est pourquoi j'ai crû que le centenaire du sanctuaire de la Mère de Dieu à Knock constituait, cette année, une occasion providentielle pour la visite du pape en Irlande. Par cette visite donc j'exprime ce que je ressens des mérites de l'Irlande ; comme je satisfais à un besoin profond de mon coeur. Je paye mon tribut à Jésus-Christ, Seigneur de l'histoire et auteur de notre salut.



C'est, pourquoi j'exprime ma joie de pouvoir être avec vous aujourd'hui, 29 septembre 1979, fête de saint Michel, saint Gabriel, saint Raphaël archanges et de pouvoir célébrer le saint sacrifice de la messe et témoigner en votre présence du Christ et de son mystère pascal. Je puis ainsi proclamer la vivifiante réalité de la conversion par l'Eucharistie et la Pénitence au coeur de la génération actuelle des fils et des filles d'Irlande. Metanoeite. Convertissez-vous ! (Mc 1,15). Convertissez-vous continuellement. Convertissez-vous chaque jour ; car constamment, chaque jour, le Royaume de Dieu se rapproche. Sur le chemin de ce monde temporel, laissez le Christ être le Seigneur de vos âmes, pour la vie éternelle. Amen.






29 septembre 1979



DROGHEDA : PAIX ET RECONCILIATION



Dès la première journée de son pèlerinage, Jean Paul II s'est rendu à Drogheda, le 29 septembre après-midi, ville dépendant du diocèse d'Armagh mais située en république d'Irlande.



Chers frères et soeurs dans le Christ,



1. Après avoir salué le sol irlandais aujourd'hui à mon arrivée à Dublin, j'accomplis mon premier déplacement en Irlande pour venir ici à Drogheda. L'appel des siècles m'attire ici.



Je viens comme un pèlerin de la foi. Je viens aussi comme le successeur de Pierre auquel le Christ a confié le soin particulier de l'Église universelle. Je désire visiter notamment ces lieux de l'Irlande où la force de Dieu et l'action de l’Esprit-Saint se sont manifestées d'une façon particulière. Je recherche d'abord ces lieux qui portent en eux-mêmes le signe des « commencements » ; et qui dit « commencement » dit lien étroit avec la « première place », avec la primauté. Armagh est l'un de ces lieux en Irlande, siège épiscopal du primat d'Irlande pendant des siècles.



Le primat est celui qui a la première place parmi les évêques, c'est-à-dire parmi les pasteurs du peuple de Dieu sur cette terre. Cette primauté est liée au « commencement » de la foi et de l'Église dans ce pays. En un mot, elle est liée à l'héritage de saint Patrick, patron de l'Irlande.



Je souhaite donc que mon premier déplacement en Irlande soit un voyage vers le commencement, vers ce lieu de la primauté. L'Église est tout entière construite, sur la fondation des Apôtres et des Prophètes, le Christ Jésus étant lui-même la pierre angulaire (cf. Ep Ep 2 Ep Ep 20). Mais dans chaque pays et dans chaque nation, l'Église a sa propre pierre de fondation. C'est donc vers cette fondation, vers ce siège primatial d'Armagh que je veux en premier lieu diriger mes pas de pèlerin. Le siège d'Armagh est le siège primatial parce qu'il est le siège de saint Patrick. L'archevêque d'Armagh est aujourd'hui le primat de toute l'Irlande parce qu'il est le Comharba Pâdraig, le successeur de saint Patrick, premier évêque d'Armagh.



2. Alors qu'il se trouve pour la première fois sur le sol irlandais, sur le sol d'Armagh, le successeur de Pierre ne peut pas ne pas rappeler la première arrivée ici, il y s plus de mille cinq cents ans, de saint Patrick. Depuis le jour où il était berger à Slemish jusqu'à sa mort à Saul, Patrick a été un témoin de Jésus-Christ. Pas très loin d'ici, sur la colline de Slane, on dit qu'il a allumé pour la première fois en Irlande le feu pascal, de telle sorte que là lumière du Christ a brillé sur toute l'Irlande et a uni le peuple tout entier dans l'amour du seul Jésus-Christ. J'éprouve une grande joie à être aujourd'hui avec vous, ayant Slane a portée de notre regard, et de proclamer ce même Jésus, Verbe incarné de Dieu, Sauveur du monde. Il est le Seigneur de l'histoire, la lumière du monde, l'espérance de l'avenir de toute l'humanité. Avec les mots mêmes de la liturgie de Pâques célébrée pour la première fois en Irlande sur la colline de Slane par saint Patrick, nous saluons aujourd'hui le Christ : il est l'Alpha et l'Oméga, le commencement de toutes choses et leur fin. Le temps lui appartient et tous les siècles aussi. A lui la gloire pour les siècles des siècles. Lumen Christi : Deo gratias ! Lumière du Christ : nous rendons grâce à Dieu ! Puisse la lumière de la foi briller toujours depuis l'Irlande ! Qu'aucune obscurité ne vienne jamais l'éteindre !



Que je reste fidèle jusqu'à la fin de ma vie à là lumière du Christ : telle était la prière de saint Patrick pour lui-même. Que le peuple d'Irlande reste toujours fidèle à la lumière du Christ, telle était sa prière constante pour les Irlandais. Il a écrit dans sa Confession :

« Dieu me garde de mener à sa perte ce peuple qu'il a racheté jusqu'aux extrémités de la terre ! Je prie Dieu de me donner la persévérance ; qu'il daigne faire en sorte que je sois son témoin fidèle jusqu'à la fin de ma vie consacrée à Dieu... Depuis l'époque de ma jeunesse où je l'ai connu, l'amour et la crainte de Dieu ont grandi en moi et jusqu'à maintenant, avec la grâce de Dieu, j'ai conservé là foi » (Confession, 44, 58).



3. « J'ai conservé la foi. » Telle a été l'ambition des Irlandais tout au long des siècles. Dans la persécution et la pauvreté, dans la famine et dans l'exil, vous avez conservé la foi. Pour beaucoup, cela a signifié le martyre. Ici, à Drogheda, où l'on vénère ses reliques, je veux évoquer un martyr irlandais, saint Olivier Plunkett : j'ai été heureux en effet d'assister à sa canonisation, sur l'invitation de mon ami le regretté cardinal Conway pendant l'Année Sainte 1975, alors que j'étais cardinal de Cracovie. Saint Olivier Plunkett qui a été primat d'Irlande pendant douze ans, reste pour toujours un exemple remarquable de l'amour du Christ pour tous les hommes. Évêque, il a prêché un message de pardon et de paix. Il était en effet le défenseur des opprimés et l'avocat de la justice, mais il n'aurait jamais admis la violence. A l'adresse des violents, il reprenait les mots mêmes de l'apôtre Pierre : « Ne rendez pas le mal par le mal » (1P 3,9). Martyr de la foi, il a scellé par sa mort le message de réconciliation qu'il avait prêché durant sa vie. Il n'y avait aucune haine dans son coeur car sa force était dans l'amour de Jésus, dans l'amour du Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Ses derniers mots furent des paroles de pardon pour tous ses ennemis.



4. La foi et la fidélité sont caractéristiques de l'Église en Irlande, une Église de martyrs, une Église de témoins ; une Église de foi héroïque, de fidélité héroïque. Tels sont les signes historiques qui ont marqué le sillon tracé par la foi sur le sol irlandais. L'Évangile et l'Église se sont enracinés profondément dans l'âme du peuple irlandais. C'est du siège d'Armagh, du siège de Patrick, qu'il faut voir ce sillon et toucher ces racines. C'est là qu'il faut rencontrer — et c'est de là qu'il faut s'adresser à eux — les autres grands et fidèles diocèses dont la population a tant souffert des événements de ces dix dernières années : Down and Connor, Derry, Dromore, Clogher, Kilmore.



Durant la période de préparation de ma visite en Irlande, l'invitation que le primat de toute l'Irlande m'a adressée de me rendre dans sa cathédrale d'Armagh a été spécialement précieuse pour moi. Il est particulièrement significatif aussi que cette invitation du primat a été reprise par les représentants de l'Église d'Irlande et par des chefs et des membres d'autres Églises y compris beaucoup d'Églises d'Irlande du Nord. Je suis particulièrement reconnaissant de toutes ces invitations.



Celles-ci sont en effet le signe que le deuxième concile du Vatican accomplit son travail et que nous rencontrons nos frères chrétiens d'autres Églises comme des personnes qui confessent ensemble que Jésus-Christ est le Seigneur et qui se rapprochent les unes des autres en lui dans la recherche de l'unité et du témoignage commun.



Cette démarche vraiment fraternelle et oecuménique de la part de représentants des Églises témoigne aussi que les tragiques événements d'Irlande du Nord n'ont pas leur source dans le fait d'appartenir à des Églises et à des confessions différentes ; qu'il ne s'agit pas ici — malgré ce qui est si souvent répété devant l'opinion mondiale — d'une guerre de religion, d'un conflit entre catholiques et protestants. Au contraire, les catholiques et les protestants, en tant que peuple qui confesse le Christ, tirant son inspiration de sa foi et de l'Évangile, cherchent à se rapprocher les uns des autres dans l'unité et dans la paix. Quand ils se souviennent du plus grand commandement du Christ, le commandement de l'amour, ils ne peuvent pas se conduire autrement.



5. Mais le christianisme ne nous commande pas de fermer les yeux sur des problèmes humains difficiles. Il ne nous permet pas de négliger ni de refuser de voir des situations sociales ou internationales injustes. Ce que le christianisme nous interdit, c'est de chercher des solutions à ces situations dans la haine, dans le meurtre de personnes sans défense, dans les méthodes du terrorisme. Permettez-moi d'ajouter : le christianisme est absolument apposé à fomenter la haine et à susciter ou à provoquer la violence ou la lutte pour la lutte. Le commandement « tu ne tueras pas » doit lier la conscience de l'humanité si l'on ne veut pas que la terrible tragédie, que la terrible destinée de Caïn se répète.



6. C'est pour cette raison qu'il convenait que je vienne ici avant d'aller en Amérique où j'espère adresser la parole à l'Organisation des Nations Unies sur ces mêmes problèmes de paix et de guerre, de justice et de droits de l'homme. Le cardinal primat et moi avons décidé ensemble qu'il était mieux que je vienne ici, à Drogheda, et que c'est d'ici que je pourrais rendre hommage au « commencement » de la foi à la primauté dans votre pays ; et que d'ici je pourrais réfléchir avec vous, devant Dieu, devant votre splendide histoire-chrétienne, sur ce problème très urgent qu’est le problème de la paix et de la réconciliation.



Nous devons tout d'abord mettre clairement en évidence où résident les causes de cette lutte dramatique. Nous devons appeler par leur nom les systèmes et les idéologies qui sont responsables dé ce conflit. Nous devons aussi nous demander si l'idéologie de la révolution travaille pour lé véritable bien de l'homme. Est-il possible de fonder le bien des individus et des peuples sur la haine, sur la guerre ? A-t-on le droit de pousser les jeunes générations dans l'abîme du fratricide ? N'est-il pas nécessaire de chercher des solutions à nos problèmes dans une direction différente ? La lutte fratricide ne rend-elle pas plus urgente pour nous l'obligation de chercher de toutes nos forces des solutions fraternelles ? Je discuterai de ces questions devant l'assemblée générale des Nations unies dans quelques jours. Aujourd'hui, ici, sur cette terre bien-aimée d'Irlande d'où tant d'hommes et de femmes avant moi sont partis pour l'Amérique, je veux en parler avec vous.



7. Le message que je vous adresse aujourd'hui ne peut pas être différent de celui que saint Patrick et saint Olivier Plunckett vous donnaient. Je prêche ce qu'ils prêchaient : le Christ, qui est le « prince de la paix » (Jl 9,5) ; qui nous a réconciliés avec Dieu et les uns avec les autres (cf. 2Co 5,18) ; qui est source de toute unité.



Les lectures de la messe nous disent que Jésus est « le Bon Pasteur » dont le seul désir est de nous rassembler tous ensemble en un seul troupeau. C'est en son nom que je viens vers vous, au nom de Jésus-Christ, qui est mort pour « rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés» (Jn 11,52). Voilà ma mission, le message que je vous adresse : Jésus-Christ qui est notre paix. Le Christ « est notre paix » (Ep 2,14). Aujourd'hui et pour toujours, il nous redit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 14,27). On n'a jamais autant parlé, dans l'histoire de l'humanité, de la paix et on ne l'a jamais aussi ardemment désirée que de nos jours. L'interdépendance croissante des peuples et des nations fait que presque tous adhèrent — au moins en principe — à l'idéal de fraternité universelle. D'importantes institutions internationales discutent de la coexistence pacifique de l'humanité. On constate dans l'opinion publique une conscience toujours plus forte de l'absurdité de la guerre comme moyen de résoudre les différends. De plus en plus, on considère la paix comme une condition nécessaire des relations fraternelles entre les nations et entre les peuples. La paix est de plus en plus clairement perçue comme le seul chemin vers la justice ; la paix est elle-même l'oeuvre de la justice. Et pourtant, encore et toujours, on constate combien la paix est menacée et détruite. Comment se fait-il donc que nos convictions, ne correspondent pas toujours à nos comportements et à nos attitudes ? Comment se fait-il que nous ne soyons pas capables, semble-t-il, d'abolir tous les conflits de notre vie ?



(...) 8. La paix est le résultat de beaucoup d'attitudes et dé réalités convergentes ; elle découle de préoccupations morales, de principes éthiques fondés sur le message de l'Évangile et renforcés par lui.



Je veux en premier lieu parler de la justice. Dans son message pour la Journée mondiale de la Paix 1971,mon vénéré prédécesseur Paul VI, le pèlerin de la paix disait : « La véritable paix doit être fondée sur la justice, sur le sentiment d'une intangible dignité humaine, sur la reconnaissance d'une ineffaçable et heureuse égalité entre les hommes, sur le dogme fondamental de la fraternité humaine, c'est-à-dire du respect et de l'amour dus à tout homme en sa qualité d'homme ». J'ai redit le même message au Mexique et en Pologne. Je le répète ici, en Irlande. Tout être humain a des droits inaliénables qui doivent être respectés. Chaque communauté humaine — ethnique, historique, culturelle ou religieuse — a des droits qui doivent être respectés. La paix est menacée chaque fois que l'un de ces droits est violé. La loi morale, gardienne des droits de l'homme, ne peut être écartée par aucune personne, par aucun groupe, ni par l'État lui-même, pour aucune raison, même pas pour, la sécurité ou dans l'intérêt de la loi et de l'ordre public. La loi de Dieu est au-dessus de toutes les raisons d'État. Tant qu'il existe des injustices dans un domaine quelconque touchant la dignité de ta personne humaine, que ce soit sur le plan politique, social ou économique, que ce soit au niveau culturel ou religieux, il n'y aura pas de paix véritable. Les causes des inégalités doivent être éliminées de telle sorte que chaque personne puisse se développer et atteindre la pleine mesure de son humanité.



9. Par ailleurs, la paix ne peut pas être établie par la violence, la paix ne peut jamais s'épanouir dans un climat de terreur, d'intimidation et de mort. Jésus lui-même a dit : « Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt 26,52). Telle est la parole de Dieu, et elle ordonne à cette génération d'hommes violents d'abandonner la haine et la violence et de se convertir.



Je joins aujourd'hui ma voix à la voix de Paul VI et de mes autres prédécesseurs, aux voix de vos chefs religieux, aux voix de tous les hommes et de toutes les femmes raisonnables, et je proclame, avec la conviction de ma foi dans le Christ et avec la pleine conscience de ma mission, que la violence est un mal, que la violence est inacceptable comme solution aux problèmes, que la violence n'est pas digne de l'homme. La violence est .un mensonge, car elle va à l’encontre de la vérité de notre foi, de la vérité de notre humanité. La violence détruit ce qu'elle prétend défendre la dignité, la vie, la liberté des êtres humains. La violence est un crime contre l'humanité car elle détruit le tissu même de la société. Je prie avec vous pour que le sens moral et la conviction chrétienne des Irlandais et des Irlandaises ne puissent jamais être obscurcis ni entamés par le mensonge de la violence, pour que personne ne puisse appeler un meurtre d'un autre nom que celui de meurtre, pour que l'engrenage de la violence ne puisse jamais être qualifié de logique inévitable ou de représailles nécessaires. Ceci demeure vrai pour toujours : « Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive ».



10. Il y a un autre mot qui dort faire partie du vocabulaire de tout chrétien, surtout lorsque les barrières de la haine et de la méfiance ont été élevées. Ce mot, c'est réconciliation. « Quand tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens d'un grief que ton frère a contre toi, laisse-là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande » (Mt 5,23-24). Ce commandement de Jésus est plus fort que toutes les barrières que peuvent élever l'imperfection ou la malice de l'homme. Même lorsque notre croyance en la bonté foncière de tout être humain a été ébranlée ou sapée, même si des convictions et des habitudes anciennes ont durci nos coeurs, il y a une source de force qui l'emporte sur toute déception, sur toute amertume ou défiance tenace, et cette force, c'est Jésus-Christ, qui a apporté au monde le pardon et la réconciliation.



Je fais appel à tous ceux qui m'écoutent ; à tous ceux qui sont découragés après tant d'années de lutte, de violence et d'aliénation : qu'ils tentent ce qui semble impossible pour mettre fin à l'intolérable. Je rends hommage aux nombreux efforts qui ont été entrepris, par d'innombrables hommes et femmes en Irlande du Nord pour frayer un chemin à la réconciliation et à la paix. Le courage, la patience, l'indomptable espérance ont été une lumière pour les hommes et les femmes de paix, dans l'obscurité de ces années d'épreuve. L'esprit de pardon chrétien dont ont fait preuve tous ceux qui ont souffert dans leur personne ou dans ceux qui leur sont chers, a été un exemple pour des multitudes. Dans les années à venir, quand les mots de haine et les méfaits de la violence seront oubliés, ce sont les mots d'amour et les actes de paix et de pardon dont on se souviendra. C'est cela qui inspirera les générations à venir.



A vous tous qui m'écoutez, je dis: n'ayez pas confiance en la violence ; n'appuyez pas la violence. Ce n'est pas le chemin chrétien. Ce n'est pas le chemin de l'Église catholique. Croyez en la paix, au pardon et à l'amour : ils sont du Christ.



Des communautés qui sont unies dans l'acceptation du message suprême d'amour de Jésus, message de paix et de réconciliation, et dans le refus de toute violence, constituent une force irrésistible pour accomplir ce que beaucoup s'étaient résignés à considérer comme impossible et destiné à le demeurer.



11. Je désire maintenant m'adresser à tous les hommes et à toutes les femmes pris dans l'engrenage de la violence. Je fais appel à vous, et mon plaidoyer se fait passionné. Je vous supplie à genoux de vous détourner des sentiers de la violence et de revenir sur les chemins de la paix. Sans doute prétendez-vous rechercher la justice. Moi aussi, je crois en la justice et je recherche la justice. Mais la violence ne fait que retarder le jour de la justice. La violence détruit le travail de la justice. Un surcroît de violence en Irlande ne pourra qu'entraîner la ruine de la terre que vous prétendez aimer et des valeurs que vous prétendez chérir. Au nom de Dieu, je vous en supplie : revenez au Christ qui est mort pour que les hommes puissent vivre dans le pardon et dans la paix. Il vous attend, il aspire à ce que chacun de vous revienne à lui de telle sorte qu'il puisse dire à chacun de vous : tes péchés sont pardonnés ; va en paix.



12. J'en appelle aux jeunes qui ont pu être entraînés dans des organisations engagées dans la violence. Je vous dis, avec tout l'amour que j'ai pour vous, avec toute la confiance que je place dans les jeunes : n'écoutez pas les voix qui parlent le langage de la haine, de la revanche, des représailles. Ne suivez aucun chef qui vous entraîne sur les chemins où l'on donne la mort. Ne croyez pas que le courage et la force se prouvent en tuant, et en détruisant. Vous ne serez véritablement courageux qu'en travaillant pour la paix. Vous ne serez véritablement forts qu'en vous unissant aux jeunes hommes et femmes de votre génération, en tout lieu, pour construire une société juste, humaine et chrétienne par les moyens de la paix. La violence est l'ennemie de la justice. Seule la paix peut mener à la vraie justice.



Chers jeunes, si vous avez été entraînés sur les chemins de la violence, même si vous avez commis des actes de violence, revenez au Christ qui, en quittant ce monde, lui a donné la paix. C'est seulement en revenant au Christ que vous pourrez trouver la paix de vos consciences tourmentées et le repos de vos âmes troublées.



Et à vous, pères et mères de famille, je dis : apprenez à vos enfants à pardonner, faites de vos maisons des foyers d'amour et de pardon ; faites de vos rues et de vos quartiers des centres de paix et de réconciliation. Ce serait un crime contre la jeunesse et son avenir que de laisser même un seul enfant grandir dans la seule expérience de la violence et de la haine.



13. Je désire maintenant parler à tous ceux qui ont des responsabilités, à tous ceux qui peuvent influencer, l'opinion publique, à tous les membres des partis politiques et à tous ceux qui les soutiennent. Et je vous dis : Ne croyez jamais que vous trahissez votre propre communauté en cherchant à comprendre, à respecter et à accepter ceux qui sont d'une tradition différente. Vous servirez d'autant mieux votre propre tradition que vous travaillerez à la réconciliation avec les autres. Chacune des communautés historiques d'Irlande ne peut que se faire du tort en cherchant à faire du tort à l'autre. Une violence continuelle ne peut que mettre en danger tout ce qu'il y a dé plus précieux dans les traditions et les aspirations des deux communautés.



Aucun de ceux qui se soucient de l'Irlande ne doit se faire d'illusion sur la nature de la violence politique et sur la menace qu'elle représente. L'idéologie et les méthodes de la violence sont devenues un problème international de la plus profonde gravité. Plus la violence continuera en Irlande, plus le danger grandira de voir cette terre bien-aimée devenir davantage encore le théâtre du terrorisme international.



14. A tous ceux qui ont des responsabilités politiques dans les affaires de l'Irlande, je veux m'adresser d'une façon aussi pressante et insistante que j'ai parlé aux hommes de violence. Ne provoquez pas, n'admettez pas, ne tolérez pas des conditions qui servent d'excuse ou de prétexte aux hommes de violence. Ceux qui ont recours à la violence prétendent toujours que seule la violence apporte des changements. Ils prétendent que l'action politique ne peut pas établir la justice. Vous autres, hommes politiques, vous avez le devoir de leur montrer qu'ils ont tort. Vous devez montrer qu'il y a une voie politique pacifique pour arriver à la justice. Vous devez montrer que la paix accomplit le travail de la justice, et que la violence ne le fait pas.



Je vous exhorte, vous qui êtes appelés à la noble vocation de responsables politiques, d'avoir le courage de faire face à vos responsabilités, d'être des leaders dans la cause de la paix, de la réconciliation et de la justice. Si les hommes politiques ne décident pas et ne réalisent pas les changements qui s'imposent, le champ est libre pour les hommes de violence. La violence se développe plus facilement lorsqu'il y a un vide politique et un refus d'action politique. Paul VI, écrivant au cardinal Conway, en mars 1972, disait : « Chacun a son rôle à jouer. Doivent être écartés les obstacles qui obstruent le chemin de la justice, telles que l'inégalité civique, la discrimination sociale et politique, la mésentente entre les individus et les groupes. Il faut mutuellement et constamment respecter les autres : leurs personnes, leurs droits et leurs aspirations légitimes ». Je fais miens aujourd'hui ces mots de mon vénéré prédécesseur.



15. Je suis venu aujourd'hui à Drogheda pour une grande mission de paix et de réconciliation. Je viens comme un pèlerin de la paix, de la paix du Christ. Pour les catholiques, pour les protestants, mon message est paix et amour. Qu'aucun protestant irlandais ne puisse penser que le pape est un ennemi, un danger ou une menace ! Mon désir est au contraire que les protestants puissent voir en moi un ami et un frère dans le Christ. Ne perdez pas l'espoir que ma visite sera fructueuse, que ma voix sera entendue. Et même si elle n'était pas entendue, l'histoire se souviendra qu'à un moment difficile de la vie du peuple d'Irlande, l'évêque de Rome a foulé votre sol, qu'il était avec vous et qu'il a prié avec vous pour la paix et la réconciliation, pour la victoire de la justice et de l'amour sur la haine et sur la violence. Oui, ce témoignage qui est le nôtre devient finalement une prière, une prière venant du coeur en faveur de la paix pour tous ceux qui vivent sur cette terre, de la paix pour tous, les citoyens d'Irlande.



Que cette fervente prière pour la paix illumine toutes les consciences ! Qu'elle les purifie et les envahisse !



Christ, Prince de la paix, Marie, Mère de la paix, reine d'Irlande, Saint Patrick, saint Olivier, et tous les saints d'Irlande, Moi, avec tous ceux qui sont réunis ici et avec tous ceux qui s'unissent à moi, je vous en prie : veillez sur l'Irlande ! Protégez l'humanité !



Amen.






29 septembre 1979



AU PRESIDENT DE L'IRLANDE



A son retour à Dublin, après sa rencontre avec les fidèles à Drogheda, Jean Paul II a rendu visite le samedi soir 29 septembre, au président de la République.



Monsieur le Président,



Je désire vous exprimer ma gratitude pour le chaleureux accueil que j'ai reçu à mon arrivée en Irlande, tant de la part de la population irlandaise que de ses distingués représentants. Je vous remercie aussi sincèrement, Monsieur le Président, pour les aimables paroles que vous m'avez adressées et par lesquelles vous avez voulu honorer non pas simplement ma personne mais le chef de l'Église catholique romaine.



Il était opportun, après ma visite en Amérique latine, puis dans ma patrie bien-aimée, que j'accepte l'invitation de l'épiscopat irlandais de venir dans votre île d'Emeraude et de rencontrer votre population. Nombreux, en effet, sont les liens qui unissent votre pays au Siège de Pierre à Rome. Des plus lointaines origines du christianisme dans ce pays, tout au long des siècles jusqu'à ce jour, l'amour des Irlandais pour le vicaire du Christ loin de s'affaiblir, a fleuri au point d'être pour tous un modèle de témoignage. En recevant la foi de saint Patrick, le peuple catholique d'Irlande a accepté également que l'Église du Christ est bâtie sur le roc qu'est Pierre et établi avec le successeur de Pierre ce rapport d'amour qui a toujours été une garantie pour la protection de sa foi. Cela me vaut le plaisir de déclarer ici que cette indéfectible loyauté a été égalée seulement par sa profonde dévotion à l'égard de la Vierge et de sa ferme adhésion aux devoirs de sa religion.



L'histoire de l'Irlande n'a certes pas été privée de souffrances et de peines. Les conditions économiques et sociales ont, dans le passé, contraint un grand nombre de ses fils et de ses filles à quitter leur foyer et leur famille à chercher ailleurs une possibilité de vivre plus dignement qu'ils ne pouvaient trouver ici. Leur perte pour l'Irlande a constitué un gain pour les régions où ils se sont établis. Ceux qui sont restés n'ont jamais joui d'un progrès réalisé sans difficultés. Mais dans toutes leurs épreuves, les Irlandais ont toujours démontré un courage et une persévérance sans pareils, inspirés par leur foi. Qu'il me soit permis, Monsieur le Président, de citer le passage de votre dernier message pour la fête de saint Patrick où vous mettez au crédit de votre saint Patron « la fibre morale et la richesse spirituelle qui ont soutenu votre pays dans les moments d'épreuve ».



Je forme des voeux fervents, pour vous et pour vos compatriotes, pour que ces mêmes qualités — héritage d'une foi vive préservée et approfondie au cours des siècles — rendent votre pays capable de s'avancer vers le troisième millénaire en acquérant ce bien-être qui constitue une authentique promotion humaine pour tout votre peuple, un bien-être qui fasse honneur au nom et à l'histoire d'Irlande. La vitalité qui puise sa force dans une tradition chrétienne ininterrompue depuis plus de quinze siècles vous donnera la possibilité d'affronter les nombreux problèmes d'une République moderne, encore jeune.



L'élimination de la pauvreté, l'assistance des marginaux, les perspectives d’un emploi à plein temps pour tous et spécialement pour l'innombrable et splendide jeunesse qui est aujourd'hui une bénédiction de Dieu pour votre pays, la création d'un bien-être social et économique pour toutes les classes de la société restent les vrais impératifs. Pour atteindre les objectifs de justice dans les domaines économique et social, il faudra que les convictions et la ferveur religieuses aillent toujours de pair avec une solide conscience morale et sociale, particulièrement chez ceux qui planifient et contrôlent le processus économique, et de même chez les législateurs, les gouvernants, les industriels, les commerçants, les employés et les ouvriers. Le rôle prééminent que sur le plan spirituel et culturel votre pays a rempli avec distinction dans l'histoire de l'Europe vous inspirera également à l'avenir pour apporter votre contribution spécifique à la Croissante unité du continent européen et de préserver en même temps les valeurs qui caractérisent votre communauté et d'en donner témoignage au milieu des courants politiques, économiques, sociaux et culturel qui, de nos jours, circulent à travers l'Europe.



Je désire avec ferveur que cette même Irlande continue à être confine par le passé une force d'entente, de fraternité et de collaboration parmi toutes les nations du monde. Un grand nombre d'hommes et de femmes d'Irlande travaillent déjà en tous lieux de la terre — et je mentionne avec une toute spéciale reconnaissance vos nombreux missionnaires — apportant avec leur activité et leur zèle, avec leur dévouement désintéressé et généreux, une assistance si nécessaire à beaucoup de nos frères et soeurs dans d'autres lieux du monde pour leur permettre de progresser dans leur propre développement, de satisfaire à leurs besoins fondamentaux.



Les exilés et les missionnaires irlandais sont allés partout dans le monde, et partout où ils ont été, ils ont fait aimer et honorer le nom de l'Irlande. L'histoire de votre pays a été et est toujours partout et pour tous les peuples une source d'inspiration humaine et spirituelle. L'Irlande a hérité d'une noble mission chrétienne et humaine et sa contribution au bien-être du monde et à la naissance d'une nouvelle Europe peut être aussi grande aujourd'hui qu'elle l'a été aux plus beaux jours de l'histoire irlandaise. Voilà la mission, voilà le défi que l'Irlande de la génération actuelle doit affronter.



Et enfin, Monsieur le Président, je veux lancer un appel en faveur de la paix et de l'harmonie pour tous les peuples de cette île. Votre tristesse devant l'incessante agitation, devant l'injustice, la violence dans l'Irlande du Nord est également ma tristesse personnelle, ma propre douleur. A l'occasion de la fête de saint Patrick en 1972, mon bien-aimé et vénéré prédécesseur le pape Paul VI, dont on se rappellera toujours avec reconnaissance l'amour qu'il portait à l'Irlande, écrivit au cardinal primat, William Conway à l’époque : « La foi chrétienne doit convaincre tous ceux que cela concerne que la violence n'est pas une solution acceptable pour les problèmes de l'Irlande. Mais en même temps le sens chrétien des valeurs doit convaincre les hommes qu'une paix durable ne peut s'édifier que sur les bases solides de la justice. » Ces mots gardent encore aujourd'hui leur pleine valeur.



Je vous remercie de nouveau pour votre aimable et cordial accueil. Avec affection, je vous bénis, vous, votre pays et votre population.



Dia agus Muire libh.

Beannacht Dé is Muite libh.

Que Dieu et Marie soient avec vous !

Puissent les bénédictions de Dieu et de Marie être toujours avec vous, et avec le peuple d'Irlande.






29 septembre 1979



AU GOUVERNEMENT



Le Saint-Père a reçu à la nonciature apostolique de Dublin la visite du premier ministre Jack Lynch, accompagné des membres du gouvernement et du conseil d'État.



Messieurs,



C'est pour moi un grand plaisir de pouvoir rencontrer ici les membres du Gouvernement irlandais. Vous représentez les aspirations, les besoins et l'avenir du peuple irlandais, mais aussi son potentiel et les promesses d'avenir contenues dans l'histoire de votre pays. Le peuple d'Irlande a eu une longue histoire de lutte et de souffrances pour perfectionner sa propre cohésion comme État moderne et pour atteindre le degré de bien-être qui est dû à toute nation.



Vous avez le privilège de servir le peuple, en son nom et en vue de son progrès, sur la base du mandat que le peuple lui-même vous a conféré. Mais il y a aussi des principes et des impératifs d'un ordre supérieur, sans lesquels une société ne pourrait jamais avoir l'espérance de promouvoir le bien commun. Il n'est pas nécessaire que j'explique en détail quels sont les impératifs de la justice, de la coexistence pacifique dans la société, du respect et de la sauvegarde de la dignité qui découle de la nature même et du destin de chaque être humain en tant que créature de l'amour de Dieu. Il vous appartient de les traduire de manière concrète et de promouvoir la collaboration de tous les citoyens à la réalisation de ces splendides idéaux.



Une Irlande prospère, pacifique et rendue vers l'idéal des relations fraternelles au sein de sa population est également un facteur qui contribuera au pacifique et juste avenir de l'Europe et de toute la famille des nations. Aujourd'hui, à Drogheda, j'ai lancé un appel solennel en faveur de la justice, de la paix et de la réconciliation, particulièrement en ce qui concerne la situation en Irlande du Nord, une situation qui ne saurait laisser indifférents ni les Irlandais, ni les chrétiens et certainement pas le pape. Ma fervente prière est que la population de cette île déploie son courage et trouve le moyen de résoudre un problème qui n'est pas religieux de nature, mais a ses origines dans une variété de raisons historiques, sociales, économiques et politiques.



Je désire réitérer une fois de plus mes remerciements pour votre aimable accueil et pour tout ce que les autorités publiques ont fait pour faciliter ma visite pastorale en votre pays.



Je vous exprime mes sentiments d'estime pour vous et pour vos collègues du Gouvernement. Puisse chacun, en harmonie avec la charge et la dignité qu'il détient, accomplir ses devoirs en s'inspirant du réel désir de promouvoir la paix, la justice et le respect de la personne humaine.

29 septembre 1979



AU CORPS DIPLOMATIQUE





Excellences, Mesdames, Messieurs,



C'est un grand plaisir pour moi de vous rencontrer dès les premiers jours de ma présence en Irlande. Je suis touché de votre accueil chaleureux et je remercie très cordialement le doyen du Corps diplomatique des paroles élevées qu'il m'a adressées. Je les reçois comme l'expression de votre estime pour la mission du Siège apostolique.



J'attache une grande importance au voyage pastoral que j'ai entrepris aujourd'hui pour diverses raisons que je veux évoquer avec vous. En tant que successeur de Pierre sur le Siège de Rome, j'ai été chargé d'une façon toute particulière de l'Église universelle et de tous ses membres. Après m'être rendu au Mexique pour la troisième assemblée générale de l'épiscopat latino-américain, et après avoir participé en Pologne aux cérémonies commémorant saint Stanislas, il était normal que je vienne dans cette île où, depuis les premiers temps de son évangélisation jusqu'à nos jours, la foi chrétienne et le lien d'unité avec le Siège de Pierre sont demeurés sans faille.



Saint Patrick fut le premier primat d'Irlande. Mais il fut surtout celui qui sut mettre dans l'âme irlandaise une tradition religieuse si profonde que chaque chrétien en Irlande peut ajuste titre se dire l'héritier de saint Patrick. C'était un Irlandais authentique, c'était un chrétien authentique : le peuple irlandais a su garder intact cet héritage à travers des siècles de défis, de souffrances et de bouleversements sociaux et politiques, devenant ainsi un exemple pour tous ceux qui croient que le message du Christ développe et renforce les aspirations les plus profondes des peuples à la dignité, à l'union fraternelle et à la vérité. Je suis venu ici pour encourager le peuple irlandais dans son attachement au message du Christ.



Je veux aussi rendre hommage, par cette visite, à la part que l'Église irlandaise a prise dans l’évangélisation du continent européen, et aussi des autres continents. On ne peut considérer le christianisme en Europe sans se référer au travail merveilleux accompli par les missionnaires et les moines irlandais. Ce travail est à l'origine de bien des communautés chrétiennes florissantes en Europe. Et je suis persuadé que les valeurs qui sont si profondément enracinées dans l'histoire et dans la culture de ce peuple constituent une force permanente pour construire cette Europe où la dimension spirituelle de l'homme et de la société reste l'unique garantie d'unité et de progrès.



En tant que chef visible de l'Église et serviteur de l'humanité, je viens sur cette île marquée par les graves problèmes concernant la situation en Irlande du Nord. Comme je viens de le dire à Drogheda, j'avais un grand désir d'aller exprimer en personne au peuple d'Irlande du Nord un message de paix et de réconciliation, mais les circonstances ne me l'ont pas permis. C'est donc depuis Drogheda que je lui ai parlé, affirmant une fois encore que le sens chrétien des valeurs doit convaincre ceux qui sont pris dans l'engrenage de la violence que celle-ci ne pourra jamais être une solution aux problèmes humains et que la paix véritable doit être fondée sur la justice. Au nom du Christ, j'ai lancé un appel à la réconciliation.



Et je suis aussi en route vers les Nations unies où j'ai été invité à m'adresser à l'assemblée générale. Mes prédécesseurs sur le Siège de Pierre ont souvent exprimé à cette organisation leurs encouragements et leur estime, car c'est le forum où toutes les nations peuvent se rencontrer et chercher ensemble des solutions aux nombreux problèmes du monde actuel. Je me rends donc aux Nations unies comme un messager de paix, de justice et de vérité, et je désire exprimer ma gratitude à tous ceux, qui se consacrent à la collaboration internationale en vue de ménager un avenir sûr et paisible à l'humanité.



Je souhaite enfin que les prières de tous les croyants et le soutien de tous les hommes, et de toutes les femmes de bonne volonté m'accompagnent durant ce périple international que je commence aujourd'hui en Irlande et qui s'achèvera le 7 octobre dans la capitale des États-Unis d'Amérique.



Je vous exprime encore une fois, ma reconnaissance pour votre présence ici et je prie le Dieu tout-puissant de vous bénir, vous et vos familles, et de vous soutenir dans votre important travail au service de l'humanité.






29 septembre 1979



AUX RESPONSABLES DES EGLISES





Mes chers frères dans le Christ,



Permettez-moi de vous saluer dans l'amour de notre commun Seigneur et Sauveur, et avec les paroles de son serviteur et apôtre Paul : « Grâce à vous et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ» (Ep 1,2).



Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous rencontrer au nom de Jésus et de prier avec vous. Pour nous tous, ici, aujourd'hui, la grande promesse contenue dans l'Évangile est, en vérité, exaltante et encourageante : « Car là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt 18,20). Ce nous est donc une immense joie de savoir que Jésus-Christ est avec nous.



Nous le savons près de nous dans la puissance de son mystère pascal, et que de son mystère pascal nous recevons la lumière et la force de cheminer dans ce que saint Paul appelle « une vie nouvelle » (Rm 6,4).



Quelle grande grâce pour la chrétienté entière, qu'en ce moment, l’Esprit-Saint insuffle si fortement dans le coeur des hommes un si réel désir de cette « vie nouvelle ». Et quel don précieux de Dieu qu'il existe aujourd'hui, parmi les chrétiens une prise de conscience plus claire du besoin de ne faire qu'un dans le Christ et dans son Église : de ne faire qu'un selon la prière même du Christ, comme son Père et lui sont Un (cf. Jn Jn 17,11).



Notre désir de l'unité chrétienne jaillit d'un besoin de fidélité à la volonté de Dieu telle que révélée dans le Christ. Notre unité dans le Christ, d'ailleurs, conditionne l'efficacité de notre évangélisation ; elle détermine la crédibilité de notre témoignage à la face du monde. Le Christ n'a-t-il pas prié pour l'unité de ses disciples précisément « pour que le monde croie… » (Jn 17,21).



C'est aujourd'hui, en vérité, un des jours les plus mémorables de ma vie : car j'ai embrassé dans l'amour du Christ mes frères chrétiens séparés et confessé avec eux « que Jésus-Christ est le Fils de Dieu » (Jn 4,15) ; qu'il est « le Sauveur de tous les hommes » (l Tm 5, 10) ; qu'il est « le Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme lui-même » (1Tm 2,5). De Drogheda, ce matin, j'ai fait appel à la paix et à la réconciliation selon la volonté suprême du Christ, qui seul peut unifier le coeur des hommes dans la fraternité et le témoignage commun. Que jamais personne ne doute de l'engagement sincère de l'Église catholique et du Siège apostolique de Rome, dans la poursuite de l'unité des chrétiens. Lorsque, en novembre dernier, je rencontrais les membres du secrétariat pour l'Unité des chrétiens, je parlais du « scandale intolérable de la division entre les chrétiens ». Je disais que le mouvement vers l'unité ne devra avoir de cesse que lorsqu'il aura atteint son but, et j'invitais les évêques catholiques, les prêtres et le peuple à s'engager énergiquement dans l'accélération de ce mouvement. Je disais à cette occasion : « L'Église catholique, fidèle à la direction donnée par le Concile, veut non seulement aller de l'avant sur le chemin qui conduit à la restauration de l'Unité, mais désire ardemment, à cause de ses moyens, et en pleine soumission aux impulsions de l'Esprit-Saint... intensifier à chaque niveau, sa contribution à ce grand mouvement de tous les chrétiens » (Discours du 18 nov. 1978). Je renouvelle aujourd'hui cet engagement et cette assurance, ici en Irlande où la réconciliation entre les chrétiens est particulièrement urgente, mais où il existe aussi des ressources particulières grâce à la tradition de foi chrétienne et de fidélité religieuse qui caractérisent les deux communautés catholique et protestante.



Le travail de réconciliation, le chemin vers l'Unité, peuvent être longs et ardus. Mais comme sur la route d'Emmaus, le Seigneur lui-même chemine avec nous faisant toujours « comme s'il allait plus loin » (Lc 24,28). Il restera avec nous jusqu'à ce que vienne le moment où nous pourrons nous unir en le reconnaissant dans les Saintes Écritures et « dans la fraction du pain » (Lc 24,35).



D'ici là, le renouveau intérieur de l'Église catholique en totale fidélité au concile Vatican II, ce à quoi j'ai consacré toutes mes énergies dès le début de mon ministère pontifical, doit continuer avec une vigueur soutenue. Ce renouveau lui-même est une contribution indispensable au travail de l'unité entre les chrétiens. Puisque chacun, dans nos Églises respectives, nous progressons dans l'étude des Saintes Écritures, dans notre fidélité à la tradition séculaire de l'Église chrétienne et en continuité avec elle, dans notre recherche de la sainteté et de l'authenticité de la vie chrétienne, nous nous rapprochons ainsi davantage du Christ et par conséquent les uns des autres dans le Christ.



Lui seul, par l'action de l'Esprit-Saint, peut réaliser nos espoirs. En dépit de notre humaine faiblesse et de nos péchés, en dépit de tous les obstacles, nous acceptons en toute foi et humilité, le grand principe énoncé par notre Sauveur : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » (Lc 18,27).



Puisse ce jour constituer, en vérité, pour nous tous et pour ceux que nous servons dans le Christ, l'occasion d'une fidélité toujours croissante à la prière et à la pénitence, à la cause de Jésus-Christ et à son message de vérité et d'amour, de justice et de paix. Puissent notre estime et notre amour communs pour la Parole, sainte et inspirée de Dieu nous unir toujours davantage tandis que nous persistons à étudier et à examiner ensemble les questions importantes relatives à l'unité ecclésiale sous tous ses aspects, aussi bien que la nécessité d'un service unifié en faveur du monde en besoin.



L'Irlande, chers frères dans le Christ, a un besoin particulier et urgent du service unifié des chrétiens. Tous les Irlandais chrétiens doivent s'unir pour défendre les valeurs spirituelles et morales des envahissements du matérialisme et de la permissivité morale. Les chrétiens doivent s'unir pour promouvoir la justice et défendre les droits et la dignité de chaque personne humaine. Tous les chrétiens d'Irlande doivent se lier pour s'opposer à toute violence et à tout assaut contre la personne humaine — de quelque région qu'elle vienne — et pour chercher des réponses chrétiennes aux graves problèmes de l'Irlande du Nord. Nous devons être des ministres de la réconciliation. Par l’exemple comme par la parole, nous devons essayer d'orienter les citoyens, les communautés et les politiciens sur les chemins de la tolérance, de la coopération et de l’amour. Ni crainte des critiques, ni risque de ressentiments ne doivent nous détourner de ce devoir. La charité du Christ nous presse. Précisément parce que nous avons un même Seigneur Jésus-Christ, nous devons accepter ensemble la responsabilité de la vocation qui nous vient de lui.



Chers frères : avec une conviction enracinée dans notre foi, nous réalisons que la destinée du monde est compromise parce que la crédibilité de l’Évangile est menacée. Chrétiens, ce n'est qu'en parfaite unité que nous pourrons témoigner de la vérité. Notre fidélité à Jésus-Christ nous presse donc de faire plus, de prier plus et d'aimer plus.



Daigne le Christ, Bon Pasteur, nous enseigner à guider notre peuple dans les sentiers de l'amour vers la réalisation de l'Unité parfaite pour l'honneur et la gloire du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.






29 septembre 1979



A LA PRESSE



Dans une des salles du couvent des. Soeurs Dominicaines de Dublin, Jean Paul II a, reçu un groupe de journalistes et de spécialistes de l'information.



Mes chers amis des mass média,



Durant ma visite en Irlande, j'ai voulu vous laisser à tous une pensée particulière, une parole spéciale pour chacun de vous, afin qu'à l'avenir vous puissiez vous rappeler ceci : le pape a, durant sa visite pastorale en Irlande, dit de nombreuses choses à de nombreuses personnes, mais ce message, c'est à moi qu'il l'a adressé.



Ce message, c'est le second des deux grands commandements de Jésus : « Aime ton prochain comme toi-même. » Ce message et ce mandat devraient avoir une signification spéciale pour vous parce que votre travail fait de vous des hôtes d'honneur dans des millions de foyers.



Partout où l'on entend les voix que vous transmettez, où l'on voit les images que vous avez captées ; partout où on lit les paroles que vous rapportez, là, partout, se trouve votre prochain. Là se trouve une personne que vous devez aimer, pour le bien-être de laquelle vous devez travailler — et parfois même lui sacrifier votre sommeil et votre repas. Vous êtes les instruments qui permettent à cette personne, et à des millions d'autres, de jouir d'une plus ample expérience, d'être aidées à devenir un membre plus actif de la communauté mondiale, un vrai « prochain » pour les autres.



En raison de sa nature, votre profession fait de vous des serviteurs de la communauté, des serviteurs volontaires. Beaucoup de membres de la communauté pourront différer d'opinions en matière politique ou économique ou avoir d'autres convictions d'ordre religieux ou moral. En bons diffuseurs de communications, vous devez les servir de même façon que les autres, avec amour et selon la vérité ; ou mieux, avec amour de la vérité. En bons diffuseurs de communications, vous devez édifier des ponts qui unissent et non des murs qui divisent. En bons diffuseurs de communications, vous devez travailler dans la conviction que l'amour et le service au prochain sont la tâche la plus importante de votre vie.



Tous vos soins, donc, devront viser le bien de la communauté. Vous l'alimenterez de vérité. Vous en éclairerez la conscience et la servirez comme édificateurs de paix. Vous proposerez à la communauté des modèles qui la fassent tendre à un genre d'existence et un comportement conformes à son potentiel et à sa dignité humaine.



Vous inspirerez la communauté, vous réanimerez ses idéaux, vous stimulerez son imagination — si nécessaire, vous la provoquerez — afin qu'elle puisse donner le meilleur d'elle-même, le meilleur comme hommes, le meilleur comme chrétiens. Vous ne céderez à aucune tentation, vous ne plierez devant aucune menace visant à vous faire dévier de la totale intégrité dans le service professionnel, que vous rendez à ceux qui sont non seulement votre prochain, mais aussi vos frères et vos soeurs dans la famille de Dieu, notre Père à tous.



Vous vous considérez comme d'entêtés réalistes et je comprends parfaitement les réalités contre lesquelles vous devez vous battre. Mais voici la parole que le pape vous réserve. Ce n'est pas peu de chose ce qu'il vous demande, ce n'est pas un médiocre défi qu'il vous laisse. Ce qu'il vous propose de faire est d'édifier, dans la communauté irlandaise et dans le monde entier, le royaume de Dieu, le royaume d'amour et de paix.



Je vous remercie tous sincèrement pour le travail que vous faites pour assurer le compte rendu de ma visite. Je vous demande de transmettre mes remerciements et mon amitié à vos familles et tandis que je prie pour vous et pour elles je formule cette très belle prière irlandaise : « Puisse Dieu te tenir dans le creux de sa main. Puisse Dieu te maintenir dans sa paix, toi et ceux qui te sont chers. »






29 septembre 1979



AUX EVEQUES





Chers frères en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,



Que vous soyez venus si nombreux de différents pays, pour vivre avec moi les divers moments de ma visite, c'est là un tribut rendu à l'Irlande et à vous-mêmes, car cela prouve que vous vous sentez unis à l’évêque de Rome dans sa « sollicitude pour toutes les Églises » (2Co 11,28), en même temps que vous voulez honorer la foi de l'Église en Irlande.



N'est-il pas vrai, en effet, que les communautés chrétiennes que vous représentez ont un devoir de gratitude envers l'Irlande ? Vous qui venez d'autres pays d'Europe, vous vous reconnaissez une parenté particulière avec ce peuple qui a envoyé tant et de si grands missionnaires lesquels, dans les siècles passés, voyagèrent inlassablement à travers monts et rivières, et par les plaines de l'Europe pour soutenir la foi lorsqu'elle vacillait, pour raviver les communautés chrétiennes et pour prêcher la Parole du Seigneur. Plusieurs de vos propres communautés sont issues de cette vitalité de l'Église en Irlande. Periginari pro Christo : devenir voyageur, pèlerin pour le Christ, telle était pour ces missionnaires, la raison de quitter la terre natale bien-aimée ; et de leurs voyages, l'Église en Europe recevait une vie nouvelle.



Au-delà du continent, immigrants, prêtres et missionnaires irlandais furent encore les fondateurs de nouveaux diocèses, de nouvelles paroisses, les bâtisseurs d'églises et d'écoles ; leur foi réussit, parfois malgré des disparités écrasantes, à porter le Christ en de nouvelles contrées et à inspirer à de nouvelles communautés le même indivisible amour de Jésus et de sa mère, la même loyauté et la même affection envers le siège apostolique de Rome, ainsi qu'ils l'avaient appris dans leur pays.



En réfléchissant sur ces réalités historiques et en tant que témoins, durant cette visite, de la piété, de la foi et de la vitalité de l'Église irlandaise, nous ne pouvons que nous réjouir de ces moments. Votre présence sera en retour un encouragement tant pour l'épiscopat que pour les fidèles irlandais, car en vous voyant réunis autour de l'évêque de Rome, ils verront que c'est tout le Collegium episcopale qui soutient les pasteurs locaux et qui accepte sa part de responsabilité à l'égard de l'Église qui est en Irlande. Que votre amour de l'Irlande et votre considération pour la place de l'Irlande dans l'Église s'expriment en prière pour un prompt retour de la paix sur cette île si belle. Entraînez votre peuple fidèle dans cette prière fervente et persévérante au Prince de la Paix, par l'intercession, de Marie, Reine de la Paix.



Quand le peuple de ce pays bien-aimé vous voit, avec les évoques irlandais, réunis autour de l'évêque de, Rome, il constate cette union particulière qui constitue le fond de la collégialité épiscopale, une union d'esprit et de coeur, une union qui engage et s'emploie à l'édification du Corps du Christ, qui est l'Église. C'est cette union profonde, cette « communion sincère qui confère profondeur et signification au concept de collégialité, et qui rend possible cette franche collaboration pratique ou cet échange de vues ». Il en résulte, dès lors, un lien qui unit vraiment les évêques du monde entier au successeur de Pierre et entre eux, de façon à maintenir cum Petro et sub Petroce ministère apostolique que le Seigneur a dévolu aux Douze. De savoir que tels sont les sentiments qui inspirent votre présence ici avec moi me donne non seulement satisfaction mais aussi me soutient dans mon propre ministère pastoral, unique et universel.



De cette union entre tous les évêques jailliront pour chaque communauté ecclésiale et pour l'Église entière d'abondants fruits d'unité et de communion de tous les fidèles entre eux et avec leurs évêques, aussi bien qu'avec le chef de l'Église universelle.



Merci d'avoir partagé avec moi le privilège et la grâce surnaturelle de cette visite. Daigne le Seigneur Jésus vous bénir, vous et vos diocèses et vous accorder des fruits toujours plus abondants d'union d'esprit et de coeur. Et puisse chaque chrétien, partout, et toute l'Église de Dieu réunie, devenir de plus en plus signe et message d'espoir pour toute l'humanité.






30 septembre 1979



A LA COMMUNAUTE POLONAISE



Le 30 septembre, Jean Paul II a reçu dans les jardins de ta nonciature apostolique à Dublin un groupe de quelque quatre cents émigrés polonais accompagnés du cardinal Marcharski, archevêque de Cracovie.



Mes chers compatriotes,



Merci à vous, venus de toutes les régions d'Irlande pour participer à cette réunion comprise dans le programme de ma visite en Irlande. C'est la troisième fois depuis le début de mon pontificat que je quitte Rome : cette fois pour venir en Irlande et pour me rendre ensuite aux États-Unis. Ce voyage a pour motif particulier l'invitation du secrétaire général des Nations unies que je n'aurais pu refuser.



Ma visite en Irlande au début de cet important voyage a une signification spéciale. Je veux vous exprimer à vous tous ici présents ma gratitude pour votre fraternelle solidarité avec le pape dont la patrie est aussi la vôtre. Je sais que vous avez démontré cette solidarité par vos constantes prières et d'autres initiatives spirituelles pour soutenir mon service. J'ai besoin de cet immense soutien pour accomplir ma haute mission.



Je voudrais aussi attirer la bénédiction de Dieu sur la vie que vous menez en Irlande tout en restant étroitement rattachés aux habitudes, à la culture et aux traditions polonaises. C'est de Pologne que vous avez apporté votre foi, un lien d'union spirituelle avec l'évêque de Rome, avec l'Église catholique tout entière. Puisse cette unité vous aider, non seulement à obtenir votre salut et celui de vos voisins, mais aussi à conserver ce profil spirituel qui caractérise notre identité nationale, notre présence dans l'histoire européenne et notre contribution à la lutte pour la paix, la justice et la liberté.



Je voudrais répéter le voeu que j'ai exprimé le 16 mai dernier quand j'ai parlé à plus de six mille Polonais durant une audience spéciale à Rome : « Notre rencontre exceptionnelle d'aujourd'hui doit nous faire espérer qu'avec la grâce de Dieu et par l'intercession de Marie, Mère de l'Église comme l'est Notre-Dame de Jasna Gôra, reine de Pologne, des saints Stanislas et Adalbert et de tous les saints et bienheureux polonais jusqu'au bienheureux Maximilien Kolbe et à la bienheureuse Marie-Thérèse Ladochowska, nous réussirons tous, où que nous nous trouvions, à rendre témoignage de la maturité de la Pologne, à rendre plus fort notre droit de citoyens parmi toutes les nations d'Europe et du monde et servir ce noble but : témoigner l’universalisme chrétien. »

Voilà ce que je souhaite sincèrement pour vous, et dans cet esprit je vous bénis tous, vous, vos familles, vos pasteurs, les prêtres et toute la Pologne.






30 septembre 1979



A CLONMACNOIS : HOMMAGE A LA FOI IRLANDAISE





Chers frères et soeurs,



Cette visite à Clonmacnois me donne l'occasion de rendre hommage aux traditions de foi et de vie chrétienne en Irlande.



En particulier, je voudrais rappeler et honorer la grande contribution monastique qui a été apportée à l'Irlande ici, en ce lieu vénéré pendant mille ans ; ce lieu dont l'influence a été portée dans toute l'Europe par des moines missionnaires et par les étudiants de cette école monastique de Clonmacnois.



Quand nous considérons les oeuvres de la foi, nous devons en rendre grâces à Dieu. Merci à Dieu pour les origines de la foi apostolique en Irlande. Merci à Dieu pour les saints et les apôtres et pour tous ceux qui ont été les instruments de l'implantation et de la vie de cette foi, et qui « ont fait la volonté de Dieu à travers les âges ». Merci à Dieu pour la générosité de la foi qui porte des fruits de justice et de sainteté de vie. Merci à Dieu pour la préservation de la foi dans l'intégrité et la pureté de l'enseignement. Merci à Dieu pour la continuité du message des Apôtres transmis intact jusqu'à ce jour.



N'oubliez jamais les merveilleuses promesses faites par saint Colomban à Boniface IV à Rome : « Nous les Irlandais... sommes les disciples des saints Pierre et Paul... ; nous portons sans faille cette foi catholique que nous avons reçue de vous. »



Et en Irlande aujourd'hui, cette foi catholique est sans faille, vivante et active. Par les mérites de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ et par la puissance de sa grâce, il peut et il doit en être toujours ainsi en Irlande.



Clonmacnois était pendant longtemps le lieu d'une école renommée d'art sacré. Le reliquaire de saint Manchan, qui se trouve sur l'autel aujourd'hui, est l'un des remarquables exemples de ce travail. Voici pourquoi c'est ici un endroit convenable pour exprimer ma gratitude pour les travaux irlandais en art sacré, dont plusieurs m'ont été offerts à l'occasion de ma visite. L'art irlandais incarne sous plusieurs aspects la profonde foi et la dévotion du peuple irlandais comme elle s'exprime dans la sensibilité personnelle de ses artistes. Chaque oeuvre d'art, qu'elle soit religieuse ou séculière, qu'il s'agisse de peinture, de sculpture, de poésie ou de toute autre forme d'artisanat réalisée dans une intention d'amour est le signe et le symbole de l’inscrutable secret de l’existence humaine, de l'origine et de la destinée de l'homme, du sens de sa vie et de son travail. Elle nous parle du sens de la naissance et de la mort, et de la grandeur de l'homme. Loué soit Jésus-Christ.






30 septembre 1979



A GALWAY : A L'ARRIVEE





Je remercié l'évêque de Galway et de Kilmacduagh ainsi que l'honorable maire de la ville de Galway pour cet accueil cordial. C'est un plaisir particulier pour moi de venir à l'Ouest aujourd'hui en traversant l'Irlande jusqu'à cette belle baie de Galway.



A vous, cher frère, pasteur de ce siège de l'Ouest qui au temps de saint Patrick était « au-delà des frontières de la terre habitée » mais qui se trouve maintenant au point de rencontré de l'Europe et des Amériques — à vous et à vos prêtres, aux religieux et aux laïcs — j'adresse un mot de salutation spéciale. C'est à l'honneur de votre diocèse et de votre ville que vous m'ayez invité à rencontrer les représentants de la jeunesse d'Irlande. A travers vous, jeunes, je rencontre l'avenir de l'Irlande, ceux qui porteront le flambeau de la foi chrétienne jusqu'au XXI° siècle.



A l'occasion de cette première visite du vicaire du Christ sur la terre, au peuple de l'Ouest de l'Irlande, je désire vous demander l'aide de votre prière pour ma mission universelle d'évêque de Rome. Je compte particulièrement sur vos prières quotidiennes à mes intentions, en famille, quand les parents et les enfants invoquent ensemble l'aide du Seigneur Jésus et de sa Mère Marie.



Que Dieu bénisse cette ville et tous ses habitants et accorde sa force aux faibles et aux malades, son courage à ceux qui luttent et sa paix et sa joie à tous.






30 septembre 1979



HOMELIE A LA JEUNESSE



Le dimanche 30 septembre, le Saint-Père a célébré à l'hippodrome de Galway, petite ville située sur la côte occidentale d'Irlande, une sainte messe à laquelle ont assisté quelque 300000 jeunes Irlandais venus de toutes les régions de l'île.



Chers jeunes, frères et soeurs de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,



1. Voici une occasion exceptionnelle et vraiment importante. Ce matin, le pape fait partie de la jeunesse irlandaise ! J'ai attendu avec impatience ce moment. J'ai prié pour être capable de toucher vos coeurs avec les paroles de Jésus. Je désire rappeler ici ce que j'ai dit si souvent comme archevêque de Cracovie et que j'ai répété comme successeur de Pierre : je crois en la jeunesse. Je crois en la jeunesse de tout mon coeur et avec toute l'ardeur de ma conviction. Et aujourd'hui je vous dis : je crois en la jeunesse d'Irlande ! Je crois en vous qui vous trouvez ici devant moi, en chacun de vous !



Lorsque je vous regarde, je vois l'Irlande de l'avenir. Demain vous serez les forces vives de votre pays et l'Irlande sera ce que vous aurez décidé qu'elle soit. Demain, comme techniciens ou instituteurs, comme infirmières ou secrétaires, comme fermiers ou commerçants, médecins ou ingénieurs, prêtres ou religieux — demain vous aurez le pouvoir de transformer vos rêves en réalités. Demain l'Irlande dépendra de vous !



Lorsque je vous regarde, assemblés autour de l'autel, et que j'écoute s'élever vos prières, je vois l'avenir de l'Église. Dieu a ses plans pour l'Église d'Irlande, mais il a besoin de vous pour les réaliser. Ce que l'Église sera à l'avenir dépend de votre sincère collaboration avec la grâce de Dieu.



Quand je regarde les milliers de jeunes rassemblés ici devant moi, je vois également les défis que vous devez affronter. Vous êtes venus des paroisses d'Irlande comme représentants de ceux qui n'ont pu venir. Vous portez dans le coeur le riche héritage que vous ont transmis vos parents, vos instituteurs, vos prêtres. Vous portez dans le coeur les trésors que vous ont donnés l'histoire et la culture irlandaises, mais vous avez également reçu en partage les problèmes auxquels l'Irlande doit faire face.



2. Aujourd'hui, pour la première fois depuis que saint Patrick a prêché la foi aux Irlandais, le successeur de Pierre venu de Rome, pose le pied sur le sol d'Irlande. Vous vous demandez à bon droit quel message il apporte et ce qu'il dira à la jeunesse d'Irlande. Mon message ne saurait être autre que celui du Christ lui-même ; mes paroles ne peuvent être que la Parole de Dieu.



Je ne viens pas ici pour apporter une réponse à toutes vos interrogations personnelles. Vous avez vos évêques qui connaissent les conditions locales et les problèmes locaux ; vous avez vos prêtres, particulièrement ceux qui se consacrent à l'assistance pastorale de la jeunesse, une tâche absorbante qui en vaut la peine. Il vous connaissent personnellement et vous aideront à trouver la bonne réponse. Mais je sens que moi aussi je vous connais, parce que je connais et comprends les jeunes. Et je sais que vous, comme les jeunes de votre âge partout dans le monde, vous êtes touchés par tout ce qui se passe dans la société qui vous entoure. Bien que vous viviez dans un milieu où les vrais principes religieux et moraux sont tenus en honneur, vous vous rendez compte que votre fidélité à ces principes est, de différentes façons, mise à l'épreuve. Les traditions religieuses et morales d'Irlande, l'âme authentique de l'Irlande, subissent le défi des tentations qui n'épargnent aucune société de notre époque. Comme de nombreux autres jeunes dans les différentes régions du monde vous entendrez dire que des changements s'imposent, que vous devez jouir de plus de liberté, que vous devez être différents de vos parents, et que toute décision engageant votre vie dépend de vous et de vous seuls.



Il pourra vous sembler que les perspectives d'un progrès économique croissant et les chances d'obtenir une plus large participation aux biens que la société moderne peut offrir, vous constituent l'occasion favorable pour acquérir une plus grande liberté. Vous pourriez être tentés de penser que plus vous possédez, plus vous vous sentirez libres de vous dégager de toute contrainte. Pour faire plus;d'argent et avoir plus, et afin d'éliminer les efforts et les préoccupations, vous pourriez être tentés de recourir à des expédients qui mettent en cause l'honnêteté, la vérité et le travail. Le progrès de la science et de la technologie semble inévitable et vous pourriez être enclins à vous tourner vers la société technologique pour avoir une réponse à tous vos problèmes.



3. L'attrait du plaisir à rechercher toujours et partout où l'on peut le trouver est puissant et pourra vous être présenté comme partie intégrante du progrès vers une plus large autonomie et une plus grande liberté à l'égard des nonnes. Le désir de se libérer des contraintes extérieures peut se manifester avec force dans le domaine de la sexualité, si étroitement liée à la personnalité humaine. Les idéaux moraux que l'Église et la société vous proposent depuis si longtemps pourront vous être présentés comme dépassés, comme obstacles au plein développement de votre personnalité. Les instruments de la communication sociale, les divertissements et la littérature vous proposeront un genre d'existence où bien souvent chacun vit pour soi, et dans laquelle un égocentrisme sans frein ne laisse aucun espace pour s'intéresser à autrui.



Vous entendrez dire ; que vos pratiques religieuses sont périmées sans retour, qu'elles encombrent votre manière d'être et votre avenir, et qu'avec tout ce que le progrès social et scientifique est à même de vous offrir, vous serez capables d'organiser votre propre vie et que Dieu a épuisé son rôle. Même des personnes d'esprit religieux pourront adopter de telles attitudes, les aspirant dans l'air qui les baigne, sans se rendre compte de l'athéisme pratique qui se trouve à leur origine.



Une société ayant perdu de cette manière ses principes religieux et moraux les plus élevés deviendra facilement la proie de manipulations et de domination par des forces qui, sous prétexte de plus large liberté, la rendront encore plus esclave.



Oui, chers jeunes gens : ne fermez pas les yeux sur la faiblesse morale qui contamine aujourd'hui votre société, et contre laquelle vous ne pourrez vous défendre à vous seuls. Combien de jeunes ont déjà altéré leur conscience et substitué à la saine joie de vivre les drogues, le sexe et l'alcool, le vandalisme et le vain mirage des biens purement matériels.



4. Autre chose est nécessaire : quelque chose que vous ne pourrez trouver que dans le Christ. Dans le Christ, vous découvrirez la vraie grandeur de votre propre humanité : il vous rendra conscients de votre propre dignité d'êtres humains créés à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26). Le Christ a les réponses à vos questions, et il a la clé de l'histoire : il a le pouvoir d'élever les coeurs. Il vous appelle, il vous invite, lui qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Oui, le Christ vous appelle, mais il vous appelle à la vérité. Son appel est exigeant, parce qu'il vous invite à vous laisser « prendre » par lui, complètement, de manière que votre vie tout entière soit vue sous un jour différent Il est le Fils de Dieu qui vous révèle le visage amoureux du Père. Il est le Maître, le seul dont l'enseignement ne passera jamais, le seul qui enseigne avec autorité.
Il est l'ami qui dit à ses disciples : « Je ne vous appelle plus serviteurs... mais je vous ai appelés mes amis » (Jn 15,15). Et cette amitié, il l'a prouvée en donnant sa vie pour vous.



Son appel est exigeant parce qu'il nous enseigne ce que signifie être réellement homme. Si vous ne prêtez pas attention à l'appel de Jésus, il vous sera impossible de réaliser votre humanité dans toute sa plénitude. Vous devez bâtir sur la base qui est le Christ (cf. 1Co 3,11) : c'est uniquement avec lui que votre vie aura un sens et qu'elle vaudra la peine d'être vécue.



Vous provenez de familles catholiques ; vous allez régulièrement à la rencontre du Christ dans la sainte communion, le dimanche, et même durant la semaine. Nombreux sont parmi vous ceux qui prient en famille chaque jour ; et j'espère que vous agirez ainsi tout au long de votre vie. Mais il pourrait se faire également que vous, soyez tentés de vous éloigner du Christ : cela peut arriver notamment si vous constatez dans la vie de certains de vos compagnons une contradiction entre la foi qu'ils professent et la vie qu'ils mènent. Mais — et j'y insiste — je vous prie d'écouter toujours l'appel du Christ, parce que lui seul peut enseigner le vrai sens de la vie et des réalités temporelles.



5. Permettez-moi, dans ce contexte de rappeler encore! une autre phrase de l'Évangile, une phrase dont nous devons nous souvenir même lorsque ses conséquences nous semblent difficiles à accepter. Il s'agit de celle qu'a prononcée le Christ dans le discours de la Montagne : « Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Lc 6,27). Vous avez déjà deviné qu'en me référant à ces paroles du Seigneur, j'ai dans l'esprit les douloureux événements qui depuis plus de dix ans ont lieu en Irlande du Nord. Je suis certain que tous les jeunes vivent de tels événements, de manière intense et avec douleur, et que cela laisse de profondes cicatrices dans vos jeunes coeurs. Ces événements, pénibles comme ils le sont, doivent aussi constituer un stimulant à la réflexion. Ils vous demandent de vous former un jugement intérieur pour déterminer, en conscience, comme jeunes catholiques, où vous en êtes à ce sujet.



Vous avez entendu les paroles de Jésus : « aimez vos ennemis ! ». Le commandement de Jésus ne veut pas dire que nous ne sommes pas liés d'amour à notre terre natale ; il ne signifie pas que nous devons rester indifférents devant les injustices dans leurs divers aspects temporels et historiques. Ces paroles de Jésus s'attaquent uniquement à la haine. Je vous demande de réfléchir profondément : que serait la vie humaine si Jésus n'avait jamais prononcé ces paroles ? Que serait le monde si, dans nos rapports mutuels, nous accordions la primauté à la haine entre les peuples parmi les classes, parmi les nations ? Quel serait l'avenir de l'humanité si nous fondions sur cette haine l'avenir des individus et celui des nations ?



On pourrait avoir parfois l'impression devant les expériences de l'histoire et devant des situations concrètes, que l'amour a perdu sa puissance, qu'il est devenu impossible à pratiquer. Mais à la longue, l'amour remporte toujours la victoire, l'amour ne connaît jamais la défaite. S'il en était autrement, l'humanité serait vouée à la destruction.



6. Chers jeunes amis, voilà le message que je vous confie aujourd'hui, vous demandant de le garder avec vous, de le partager chez vous avec vos familles ; à l'école et au travail, avec vos amis. Quand vous serez revenus chez vous, dites à vos parents et à tous ceux qui veulent l'entendre que le pape croit en vous et compte sur vous. Dites que les jeunes sont la force du pape qui désire partager avec eux ses espoirs pour l’avenir et ses encouragements.



Je vous ai transmis les paroles de mon coeur. Permettez-moi de vous demander quelque chose en retour. Vous savez que d'Irlande je me rendrai aux Nations unies. La vérité que j'ai proclamée devant vous est également celle que, sous une forme différente, je présenterai devant le forum suprême des nations. J'espère que vos prières, les prières de la jeunesse d'Irlande, m'accompagnent et me soutiendront dans cette importante mission. Je compte sur vous, car l'avenir de la vie humaine sur cette terre est en jeu, dans chaque pays et dans le monde entier. L'avenir de tous les peuples et nations, l'avenir de l'humanité elle-même dépend de ceci : que les paroles de Jésus dans le discours de la Montagne, que le message de l'Évangile soient écoutés encore une fois.



Daigne le Seigneur être toujours avec vous ! Avec sa liberté qui vous fait libres (cf. Jn Jn 8,32) ; avec sa parole qui dévoile le mystère de l'homme et révèle à l'homme sa propre humanité ; avec sa mort et sa résurrection qui vous rendent nouveaux et forts.



Mettons ces intentions aux pieds de Marie, Mère de Dieu et Reine d'Irlande, modèle d'amour généreux et de dévouement au service des autres.



Jeunes gens d'Irlande, je vous aime ! Jeunesse d'Irlande je vous bénis ! Je vous bénis au nom de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ !






30 septembre 1979



A KNOCK : HOMELIE AU SANCTUAIRE MARIAL



Sur le pré devant le sanctuaire mariai de Knock, une foule nombreuse se pressait autour du président de la République irlandaise Hillery et du premier ministre Lynch pour participer à la messe en plein air célébrée par le pape.



Chers frères et soeurs en le Christ, fils et filles fidèles de Marie,



1. Je touche ici au but de mon voyage en Irlande : le sanctuaire de Notre-Dame de Knock. Dès le moment où j'ai su que le centenaire de ce sanctuaire se célébrait cette année, j'ai été pris du vif désir de venir ici, du désir de faire un nouveau pèlerinage à un sanctuaire de la Mère du Christ, Mère de l'Église, Reine de la paix. Ne soyez pas surpris de ce désir. Cette habitude d'aller en pèlerinage aux sanctuaires de la Vierge, je l'ai prise dès mon plus jeune âge et dans mon pays. J'ai fait de tels pèlerinages comme évoque et comme cardinal. Je sais parfaitement que chaque peuple, chaque pays et même chaque diocèse a ses lieux saints où le coeur du peuple de Dieu bat, pourrait-on dire, de manière plus vive : lieux d'une rencontre spéciale entre Dieu et les êtres humains ; lieux où le Christ réside d'une manière spéciale parmi nous. Si ces lieux sont si souvent consacrés à sa Mère, cela nous révèle de la manière la plus complète la nature de son Église. Et ce fait est pour nous plus évident que jamais depuis le concile Vatican II qui a conclu sa constitution sur l'Église par le chapitre sur « La bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l'Église » ; oui, plus évident pour nous tous, pour tous les chrétiens. Ne proclamons-nous pas avec tous nos frères, y compris ceux avec qui nous ne sommes pas encore en pleine unité, que nous sommes un peuple pèlerin ? De même que jadis, ce peuple a accompli ce pèlerinage sous la direction de Moïse, nous aussi, le peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance, nous marchons en pèlerins sous la conduite du Christ.



Je me trouve ici en pèlerin, un signe de l'Église pèlerine à travers le monde qui, du fait de ma présence ici comme successeur de Pierre, participe de manière toute spéciale à la célébration du centenaire de ce sanctuaire.



La liturgie de la parole de la messe de ce jour m'offre le moyen d'adresser à Marie mon salut de pèlerin au moment où je me présente devant elle dans le sanctuaire mariai irlandais à Cnoc Mhuire, la colline de Marie.



2. « Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein » (Lc 1,42). C'est par ces mots qu'Elisabeth « remplie du Saint-Esprit» accueillit Marie, sa parente venue de Nazareth.



« Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ». C'est également le salut que j'adresse ici, en son sanctuaire de Knock à Muire Mâthair De, à Marie la Mère de Dieu, Reine d'Irlande. Je veux exprimer ainsi l'immense joie et la vive gratitude qui, aujourd'hui, à cette place, m'emplissent le coeur. Je n'aurais pu désirer autre chose. Les moments suprêmes de mes récents voyages pastoraux furent mes visites aux sanctuaires de Marie ; à la Vierge de Guadalupe au Mexique, à la Vierge Noire de Jasna Gôra dans mon pays et il y a trois semaines, à Notre-Dame de Lorette, en Italie. Aujourd'hui, je viens ici parce que je veux que vous sachiez tous que ma dévotion à Marie m'attache de manière toute particulière au peuple d'Irlande.



3. Vous avez une longue tradition spirituelle de dévotion, à la Vierge. Marie peut dire, à juste titre du peuple irlandais ce que nous venons d'entendre dans la première lecture : « Je me suis enracinée dans le peuple glorifié » (Si 24,12). Votre vénération envers Marie est si étroitement liée à votre foi que ses origines se perdent dans les premiers siècles de l'évangélisation de votre pays. On m'a dit que dans la langue irlandaise les noms de Dieu, de Jésus et de Marie sont liés l'un à l'autre et que dans la prière ou la bénédiction il est rare que le nom de Dieu soit cité sans le nom de Marie. Je sais également que dans un poème irlandais du VIIIe siècle, Marie est appelée « Soleil de notre race » et qu'une litanie de la même époque l'honore comme « Mère de l'Église céleste et terrestre ». Mais mieux que toute source littéraire, c'est la dévotion envers Marie, constante et profondément enracinée qui rend témoignage du succès de l'évangélisation de Saint-Patrick qui vous a apporté la foi catholique dans toute sa plénitude.



Il est donc normal — et ceci je le constate avec grande joie— que le peuple irlandais maintienne cette dévotion traditionnelle à l'égard de la mère de Dieu dans les familles et les paroisses et, de manière particulière en ce sanctuaire de Cnoc Mhuire. Durant tout un siècle, vous avez sanctifié ce lieu de pèlerinage par vos prières, vos sacrifices, votre pénitence. Tous ceux qui sont venus ici ont obtenu des grâces par l'intercession de Marie. Depuis ce jour béni du 21 août 1879 jusqu'à ce jour, les malades et les souffrants, les handicapés physiques ou mentaux, et tous ceux qui étaient troublés dans leur foi ou dans leur conscience, tous ont été apaisés, réconfortés et confirmés dans leur foi parce qu'ils ont eu confiance que la Mère de Dieu les conduirait à son Fils Jésus. Chaque fois qu'un pèlerin vient en ce lieu qui n'était autrefois qu'un modeste village dans une région marécageuse dans le county Mayo, chaque fois qu'un homme, une femme ou un enfant monte vers la vieille église de l'Apparition ou le nouveau sanctuaire de Marie Reine d'Irlande, c'est pour renouveler sa foi, dans le salut qui nous vient par Jésus ; Jésus qui a fait de nous tous les fils de Dieu, héritiers du royaume des cieux. En vous confiant à Marie, vous recevez le Christ. En Marie, « le Verbe s'est fait chair », en elle le Fils de Dieu s'est fait homme afin que nous puissions tous comprendre combien grande est notre dignité humaine. Nous trouvant en ce lieu consacré, nous levons les yeux vers là Mère de Dieu et disons : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et béni le fruit de ton sein ».



Le temps présent est un montent important dans l'histoire de l'Église universelle et en particulier, de l'Église d'Irlande. Tant de choses ont changé. Tant de nouveaux et précieux aspects ont été relevés dans ce que signifie le fait d'être chrétiens. Tant de nouveaux problèmes doivent être affrontés par les fidèles à cause du rythme accéléré des transformations dans la société et à cause des nouvelles requêtes faites au sujet du peuple de Dieu — requêtes de vivre dans toute sa plénitude la mission d'évangélisation. Le concile Vatican II et le Synode des évêques ont apporté un renouveau de vitalité pastorale dans toute l'Église. Mon vénéré prédécesseur Paul VI a élaboré de sages directives pour le renouvellement et donné à tout le peuple de Dieu inspiration et enthousiasme pour l'aider dans cette tâche. Par tout ce qu'il a dit et fait, Paul VI a enseigné à l'Église à être ouverte à tous les besoins de l'humanité et, en même temps, à rester fidèle, sans faiblesse, à l'inaltérable message du Christ. Fidèle à l'enseignement du Collège des évêques en union avec le pape, l'Église d'Irlande a accepté avec reconnaissance les richesses du concile et des synodes. Les catholiques irlandais ont adhéré loyalement, parfois malgré les pressions contraires, aux riches expressions de ta foi, aux ferventes pratiques sacramentelles et aux engagements charitables qui ont toujours caractérisé votre Église. Mais la tâche du renouvellement dans le Christ n'est jamais terminée. Avec sa propre mentalité et ses caractéristiques, chaque génération est comme un nouveau Christ. L'Église doit sans cesse envisager de nouveaux moyens qui permettent de la comprendre plus profondément et d'accomplir avec un surcroît de vigueur la mission que son Fondateur lui a confiée. Dans cette tâche ardue, comme chaque fois — et si souvent — que l'Église s'est trouvée aux prises avec de nouveaux défis, nous nous tournons vers Marie, Mère de Dieu et Siège de la Sagesse, assurés qu'elle nous indiquera la voie qui mène à son Fils. Une très ancienne homélie irlandaise pour la fête de l'Epiphanie (dans le Lcabhar Breac) disait que de la même manière que les Mages ont trouvé Jésus dans les bras de sa Mère, nous, aujourd'hui, nous trouvons le Christ dans les bras de l'Église.



4. Marie fut vraiment unie à Jésus. Les Évangiles ne nous ont pas conservé beaucoup de ses paroles ; mais celles qui nous sont rappelées nous ramènent toujours à son Fils et aux paroles de son Fils. A Cana, en Galilée, elle se tourna de son Fils vers les serviteurs et leur dit : « Tout ce qu'il vous dira, faites-le » (Jn 2,5). C'est ce même message qu'elle nous adresse à nous, aujourd'hui.



5. « Tout ce qu'il vous dira, faites-le ». Ce que Jésus nous dit — par sa vie et par sa parole — a été conservé pour nous dans les Évangiles et dans les épîtres des Apôtres et de saint Paul, et nous a été transmis par l'Église. Nous devons nous familiariser avec ces paroles et nous le ferons en écoutant les lectures de la Sainte Écriture durant la liturgie de la parole qui nous introduit au Sacrifice eucharistique ; en lisant nous-mêmes l'Écriture Sainte : en famille ou avec des amis, en réfléchissant sur ce que le Seigneur nous dit quand nous récitons le Rosaire et que nous unissons avec dévotion envers la Mère de Dieu avec la prière méditée des mystères de la vie de son Fils. Chaque fois que nous avons des problèmes, que nous ployons sous le fardeau, que nous sommes contraints de faire un choix imposé par la foi, la parole du Seigneur nous réconfortera et nous guidera.



Jésus n'a pas abandonné ses disciples sans guide dans leur tâche de comprendre et de vivre l'Évangile. Avant de retourner chez le Père, il promit d'envoyer son Esprit à l'Église : « Mais le Paraclet, l’Esprit-Saint que le Père enverra en mon nom vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,26).



Ce même Esprit a guidé les successeurs des Apôtres, vos évêques, en union avec l'évêque de Rome auquel fut confiée la tâche de préserver la foi et de « prêcher l'Évangile à toute la création » (Mc 16,15). Écoutez leur voix, parce qu'ils vous apportent la Parole du Seigneur.



6. « Tout ce qu'il vous dira, faites-le ». Tant de voix différentes assaillent ce monde d'aujourd'hui, » merveilleux, mais si compliqué et exigeant. On entend tant de fausses Voix en conflit avec la parole de Notre-Seigneur ! Il y a des voix qui vous disent que la! vérité est moins importante que le gain personnel ; que le bien-être, la santé et le plaisir sont les vrais points de miré de la Vie ; que le refus d'une vie nouvelle vaut mieux que la générosité d'esprit et là prisé de responsabilité en l'accueillant ; que la justice doit être réalisée, mais sans l’engagement personnel des Chrétiens ; que la violence peut être le moyen d'obtenir une bonne fin ; que l'unité peut être obtenue sans avoir besoin de supprimer la haine.



Et maintenant, revenons en pensée de Cana en Galilée au sanctuaire de Knock. N'entendons-nous pas la Mère du Christ, nous le montrant du doigt, nous dire comme à Cana : « Tout ce qu'il vous dira, faites-le » ? Elle est en train de nous le dire à tous. Sa voix est entendue plus directement par mes frères dans l'Episcopat, les pasteurs de l'Église d'Irlande qui, en m'invitant ici, m'ont demandé de répondre à une invitation venant de la Mère de l'Église. Et ainsi, vénérables frères, j'y réponds, tandis que ma pensée se tourne vers le passé de votre pays et que je sens également la force de son éloquent présent, si plein de joie et pourtant, en même temps si préoccupant et parfois si douloureux. Je réponds comme je l'ai fait à Guadalupe au Mexique et à Jasna Gôra en Pologne. En mon nom et au vôtre, et au nom de tout le peuple catholique d'Irlande, je prononce en conclusion dé cette homélie, les paroles suivantes de confiance et de consécration :

Mère, dans ton sanctuaire tu réunis le peuple de Dieu d'Irlande, et sans cesse tu lui montres le Christ daris l'Eucharistie et dans l'Église. En ce moment solennel nous écoutons avec une toute particulière attention tes paroles : « Tout ce que vous dira mon Fils, faites-le ». Et nous voulons répondre de tout notre coeur à tes paroles. Nous voulons faire ce que ton Fils nous dit, ce qu'il nous ordonne, car il a les paroles de vie éternelle. Nous voulons mettre à exécution et accomplir tout ce qui vient de lui et tout ce qui est contenu dans la Bonne Nouvelle, comme nos devanciers l'ont fait pendant de nombreux siècles. Leur fidélité au Christ et à son Église, et leur attachement héroïque au siège apostolique, nous ont marqué d'un signe indélébile que chacun de nous porte en soi. Leur fidélité a, tout au long des siècles, produit des fruits d'héroïsme chrétien et de vertueuses traditions d'existence conforme au plus saint commandement de l'Évangile, celui de l'amour. Nous avons reçu ce merveilleux héritage de leurs mains, à l'aube d'une époque nouvelle car nous, sommes tout près de la fin du deuxième millénaire écoulé depuis le moment où le Fils de Dieu fut engendré par toi, notre Alma Mater, et nous entendons transmettre cet héritage au futur, démontrant cette même fidélité avec laquelle nos ancêtres lui rendirent témoignage.



C'est pourquoi, aujourd'hui, à l'occasion de la première visite d'un pape en Irlande,: nous te confions et te consacrons ; à Toi Mère du Christ et Mère de l'Église, nos coeurs, nos consciences, nos travaux afin qu'ils puissent rester à l'unisson avec la foi que nous professons. Nous te confions et nous te consacrons tous ceux qui composent la communauté du peuple irlandais et la communauté du peuple de Dieu qui vit dans ce pays.



Nous te confions et te consacrons les évêques d'Irlande, le clergé, les religieux et les religieuses, les moines et les soeurs contemplatives, les séminaristes, les novices. Nous te confions et te consacrons les pères et mères, les jeunes, les enfants. Nous te confions et te consacrons les enseignants, les catéchistes, les étudiants, les écrivains, les poètes, les auteurs, les artistes, les travailleurs et leurs chefs, les employés et leurs dirigeants, les classes libérales, les gens engagés dans la politique, dans la vie publique, ceux qui forment l'opinion publique. Nous te confions et te consacrons les époux et ceux qui se préparent au mariage, ceux qui sont appelés à te servir toi et le prochain dans le célibat, les malades, les vieillards, les malades mentaux, les handicapés et tous ceux qui les assistent et en prennent soin. Nous te confions et te consacrons les prisonniers et tous ceux qui sont rejetés, les exilés, tous ceux qui ont la nostalgie de leur foyer et tous ceux qui se sentent seuls.



Nous confions à tes soins maternels la terre d'Irlande où tu as été et tu es toujours tant aimée. Aide cette terre à demeurer toujours sincèrement avec toi et avec ton Fils. Que la prospérité n'entraîne jamais les hommes et les femmes de ce pays à oublier Dieu et à abandonner leur foi ! Maintiens-les, dans la prospérité, fidèles à la foi qu'ils n'auraient jamais abandonnée dans la pauvreté ou la persécution. Tiens-les bien loin de la cupidité, de l'envie, de la quête d'intérêts égoïstes ou d'intérêts de classe. Aide-les à travailler ensemble, mus par un idéal chrétien et en vue d'un but chrétien commun, c'est-à-dire pour édifier une société juste, pacifique et fondée sur l'amour ; une société qui ne se détourne pas des pauvres et respecte les droits de tous et notamment ceux des plus faibles. Reine d'Irlande, Marie Mère de l'Église céleste et terrestre, Màthair Dé, maintiens l'Irlande fidèle à ses traditions spirituelles et à son héritage chrétien. Aide-la à répondre à sa mission historique de porter la lumière du Christ aux nations et de faire ainsi de la gloire de Dieu l'honneur de l'Irlande.



Mère, pouvons-nous rester silencieux devant ce qui nous semble le plus pénible, qui bien souvent nous plonge dans le découragement ? Tout particulièrement nous te confions cette grande blessure qui affecte aujourd'hui notre population, espérant que tes mains seront capables de la soigner et de la guérir. Grand est l'intérêt que nous portons à ces jeunes âmes impliquées dans de sanglants actes de vengeance et de haine. Mère, n'abandonne pas ces jeunes coeurs. Mère, reste près d'eux, lorsque dans leurs heures les plus affreuses, nous ne pouvons ni les conseiller ni les assister. Mère, protège chacun de nous et spécialement la jeunesse irlandaise pour qu'elle ne succombe pas à l'hostilité et à la haine. Apprends-nous à distinguer clairement entre ce qui procède de l'amour pour notre pays et ce qui porte l'empreinte de la destruction et la marque de Caïn. Fais-nous comprendre que les mauvais moyens ne conduisent jamais à une bonne fin, que toute vie humaine est sacrée, qu'un assassinat est toujours un assassinat, peu en importe le motif ou l'objectif. Sauve les autres, ceux qui assistent à ces terribles événements, sauve-les du danger de mener une vie dépourvue d'idéaux chrétiens ou en conflit avec les principes moraux.



Puissent nos oreilles entendre clairement ta voix mélodieuse nous dire : « Tout ce que vous dira mon Fils, faites-le ». Rends-nous capables de persévérer avec le Christ. Rends-nous capables, Mère de l'Église, d'édifier son Corps mystique en vivant cette vie que lui seul peut nous accorder et qui nous vient de sa plénitude qui est à la fois divine et humaine.






30 septembre 1979



AUX MALADES ET HANDICAPES





Chers frères et soeurs,



Les Évangiles sont remplis d'exemples où Nôtre-Seigneur montre son amour particulier et son intérêt pour les malades et pour ceux qui souffrent Jésus a aimé ceux qui souffrent et cette attitude s'est transmise à son Église, Aimer les malades est quelque chose que l'Eglise a appris du Christ.



Aujourd'hui je suis heureux d'être avec tes malades et les handicapés. Je suis venu témoigner de l'amour du Christ pour vous et pour vous dire que l'Église et le pape vous aiment également — vous respectent et vous estiment dans la conviction qu'il y a pour vous une mission très spéciale dans l'Église.



Par ses souffrances et par sa mort, Jésus a pris sur lui toute la souffrance humaine et il lui a donné une nouvelle valeur. De fait, il appelle les malades, tous ceux qui souffrent, à collaborer avec lui pour le salut du monde.



C'est pour cela que l'on ne ressent pas seul cette souffrance et cette tristesse, et qu'elles ne sont pas vaines. Bien qu'il reste difficile de comprendre la souffrance, Jésus a dit clairement que sa valeur est liée à sa propre souffrance et à sa propre mort, à son propre sacrifice. En d'autres termes, par votre souffrance vous aidez Jésus dans son oeuvre de salut. Cette grande vérité est difficile à exprimer explicitement, mais saint Paul en parle ainsi : «... dans ma chair, je complète ce qui manque aux souffrances du Christ pour le bien de son corps qui est l'Église » (Col 1,24).



Votre appel à la souffrance requiert une foi forte et de la patience. Oui, cela veut dire que vous êtes appelés à l'aimer avec une intensité particulière. Mais rappelez-vous que notre sainte Mère Marie est proche de vous, exactement comme elle était proche de Jésus au pied de la croix. Et elle ne vous laissera jamais seuls.






30 septembre 1979



AUX DIRECTEURS DE PELERINAGE





Chers frères et soeurs dans le Seigneur,



Comme pasteur, je ressens dans mon coeur une joie spéciale en vous adressant ces quelques mots ainsi qu'au personnel masculin et féminin de la société du sanctuaire de Knock et aux directeurs des pèlerinages de Cnoc Mhuire, la montagne de Marie.



La célébration eucharistique de cet après-midi me rappelle les bons souvenirs ; des nombreux pèlerinages auxquels j'ai pris part dans mon pays au sanctuaire de Jasna Gôra, le Mont-Clair, à Czestochowa, et dans d'autres lieux de Pologne ; ce pèlerinage rappelle également ma visite du sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe au Mexique.



Je connais par expérience directe la valeur des services que vous assurez pour faire que chaque pèlerin se sente chez lui dans le sanctuaire, et pour aider tous les pèlerins à faire de chaque visite une amoureuse et priante rencontre avec Marie, la mère de la divine Grâce. D'une façon spéciale vous êtes les serviteurs de la Mère de Jésus. Vous aidez les pèlerins à s'approcher d'elle, à recevoir son message d'amour et de dévouement et à lui confier toute leur vie et à faire qu'ils deviennent de véritables témoins de l'amour de son Fils.



Vous êtes aussi les serviteurs de vos frères et soeurs. En aidant et en guidant les nombreux pèlerins et en particulier les malades et les handicapés, vous accomplissez non seulement une oeuvre de charité mais aussi une tâche d'évangélisation. Que cette vue soit pour vous une inspiration et une force de façon à ce que les tâches que vous acceptez si généreusement d'accomplir deviennent un vivant témoignage à la parole de Dieu-et aux oeuvres de salut.



Je prie pour vous, je vous remercie, et j'invoque sur vous d'abondantes grâces, de bonté et de sainteté de vie. Recevez la bénédiction que j'adresse de tout coeur à vous-mêmes et à ceux qui vous sont chers.






30 septembre 1979



A DUBLIN : A LA CONFERENCE EPISCOPALE D'IRLANDE





Mes chers! frères,



1. Une fois de plus, je veux que vous sachiez à quel, point je vous suis reconnaissant de m'avoir invité à venir en Irlande. Cette visite est la réalisation d'un, profond désir de mon coeur : venir comme serviteur de l'Évangile et comme pèlerin au sanctuaire de Notre-Dame de Knock, à l'occasion de son centenaire.



Je viens aussi comme votre frère-évêque de Rome et j'ai attendu ce jour avec grande impatience : afin que, nous puissions célébrer ensemble l'unité de l'épiscopat de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,, afin que nous puissions exprimer publiquement une dimension de notre collégialité épiscopale et réfléchir en commun sur le rôle de l'autorité pastorale dans l'Église, spécialement sur notre commune responsabilité face au bien-être du peuple de Dieu en Irlande.



Nous sommes profondément conscients de la charge particulière qui nous incombe comme évoques. Car « en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique » (Lumen Gentium, LG 22), nous sommes constitués membres du Collège chargé de la mission pastorale de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ.



2. La collégialité épiscopale à laquelle nous participons se manifeste de diverses manières. Aujourd'hui, elle s'exprime en un mode des plus importants : le successeur de Pierre est présent parmi vous, afin de vous confirmer lui-même dans votre foi et dans votre ministère apostolique, et, avec vous, pour exercer, ce ministère pastoral auprès des fidèles d'Irlande. Ainsi mon pèlerinage en tant que pasteur de l'Église universelle se vit-il dans sa dimension profonde de communion ecclésiale et hiérarchique. Sous l'action du Saint-Esprit, l'enseignement sur la collégialité trouve donc expression et actualisation, maintenant.



Dans mon premier discours au collège des cardinaux et au monde après mon élection au siège de Pierre, j'invitais à « une réflexion plus profonde sur les implications du lien collégial » (17 oct. 1978). Je suis persuadé que ma rencontre avec la conférence épiscopale, aujourd'hui, suscite une meilleure compréhension de la nature de l'Église vue comme peuple de Dieu qui « tire ses citoyens de toutes les nations pour les faire citoyens d'un royaume dont le caractère n'est pas terrestre, mais bien céleste » (Lumen Gentium, LG 13).



3. Dans notre présente rencontre, nous vivons l'expérience du peuple de Dieu en Irlande d'abord dans sa dimension « verticale » remontant, à travers toutes les générations, à ce qu'il fut dès les origines mêmes de la chrétienté d'ici. En même temps, nous n'oublions pas la dimension « horizontale », réalisant jusqu'où le peuple de Dieu en Irlande est relié à tous les peuples de la terre dans l'unité et dans l’universalité de l'Église, à quel point il participe au mystère de l'Église universelle et de sa grande mission salvifique. En outre, les évêques de l'Irlande contribuent pour leur propre part à cette dimension de la vie de toute l'Église puisqu'ils partagent les tâches du collège des évêques : cum Petro et sub Petro. Aussi cette rencontre du pape et des évêques d'Irlande est-elle des plus importantes et merveilleusement éloquente pour l'Irlande et pour l'Église universelle.



4. Le fondement de notre identité personnelle, de notre bien commun et de notre ministère repose en Jésus-Christ, Fils de Dieu et Grand Prêtre du Nouveau Testament. C'est pourquoi, mes frères, en venant parmi vous aujourd'hui ma première exhortation est celle-ci : « Gardons les yeux fixés sur Jésus qui inspire, et parfait notre foi » (He 12,2). Pasteurs de ce troupeau, nous devons, en vérité, regarder vers celui qui est le Chef des pasteurs — princeps pastorum (1P 5,4) venu pour nous éclairer, pour nous soutenir, pour nous donner la joie dans le service du troupeau que nous conduisons « dans les sentiers de la justice pour l'amour de son Nom » (Ps 23,3).



Mais l'efficacité de notre, service en Irlande et dans toute l'Église dépend de notre relation personnelle à Celui que saint Pierre appelait aussi « le pasteur et le gardien de vos âmes » (1P 2,25). Le fondement assuré de notre autorité pastorale réside donc dans, cette relation personnelle de foi et d'amour à Jésus-Christ, notre Seigneur. A l'instar des Douze, nous avons aussi été institués pour être, avec lui, pour être ses compagnons (cf. Mc Mc 3,14). Nous ne pouvons nous présenter comme les chefs religieux de notre peuple dans les situations qui affectent profondément leur vie quotidienne qu'après avoir été en communion de prière avec le Maître, qu'après avoir découvert dans la foi que Dieu a fait le Christ pour qu'il soit notre « sagesse, notre justice, et sanctification et rédemption » (1 Co. 1,  30). Dans nos vies personnelles, nous sommes appelés à écouter, conserver et accomplir la parole de Dieu. Dans les Saintes Écritures, et spécialement dans les Évangiles, nous rencontrons constamment le Christ ; et par l'action du Saint-Esprit, ses paroles deviennent lumière et force pour nous et pour notre peuple. Ses paroles ont en elles-mêmes un pouvoir de conversion, et nous apprenons à son exemple.



Par ce contact priant avec le Jésus de l'Évangile, nous, ses serviteurs et apôtres, nous nous imprégnons toujours davantage de sa sérénité et nous adoptons ses attitudes. Par-dessus tout, nous adoptons son attitude fondamentale d'amour pour son Père, si bien que chacun de nous ; trouve joie profonde et accomplissement dans la vérité de s,a relation filiale : Diligo Patrem (Jn 14,31) - Pater diligit Filium (Jn 3,35). Notre relation au Christ et dans le Christ trouve son expression, suprême et unique dans le Sacrifice eucharistique dans lequel nous agissons pleinement: in persona Christi.



Notre relation personnelle à Jésus constitue donc un gage d'espérance pour nous et pour notre ministère. Dans notre foi, nous trouvons la victoire qui transforme le monde. Parce que nous sommes unis à Jésus et soutenus par lui, il n'existe pas de défi que nous ne puissions relever, pas de difficulté que nous ne puissions affronter, pas d'obstacle que nous ne puissions surmonter pour l'Évangile. En vérité, le Christ lui-même assure que « celui qui croit en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais ; et il en fera de plus grandes... » (Jn 14,12), Oui, mes frères, la réponse à tant de problèmes ne se trouve que dans notre foi — une foi manifestée et soutenue dans la prière. (...)



5. Notre relation à Jésus sera le fondement vital de notre relation avec nos prêtres dont nous souhaitons être à la fois frère, père, ami et guide. Dans la charité du Christ, nous sommes appelés à les écouter et à les comprendre ; à échanger nos vues sur l’évangélisation et la mission pastorale qu'ils partagent avec nous en tant que coopérateurs avec l'ordre des évêques. Pour l'Église entière, mais pour les prêtres particulièrement, il nous faut être le signe humain de l'amour du Christ et de la fidélité de l'Église. Ainsi, nous soutenons nos prêtres par le message évangélique, les sécurisant par l'autorité du magistère et les fortifiant contre les pressions auxquelles ils doivent résister. Par la parole et par l'exemple, nous devons constamment convier nos prêtres à la prière.



Nous sommes appelés à témoigner généreusement à nos prêtres ce souci de l'humain, cet intérêt pour la personne et cette estime sincère qui leur révéleront vite notre amour. En dépit de la multiplicité de nos engagements, nos prêtres doivent retrouver en nous la reproduction fidèle du « pasteur et du gardien de leurs âmes » (cf. 1P 2,25).



Nos prêtres ont fait plusieurs sacrifices y compris la renonciation au mariage pour l'amour du Royaume : ils doivent être fermement encouragés à y persévérer. La fidélité au Christ, les exigences de la dignité humaine et la liberté elle-même exigent d'eux la persévérance dans leurs engagements.



La sollicitude pastorale envers nos prêtres doit aussi s'étendre à nos séminaristes. Exerçons personnellement notre responsabilité tant à l'égard de leur formation à la Parole de Dieu qu'à celui de l'éducation qu'ils reçoivent en Irlande et ailleurs, y compris à Rome. Dans ma lettre du Jeudi saint aux évêques de l'Église, j'écrivais : « La réorganisation complète de la vie des séminaires à travers l'Église sera la meilleure preuve de l'achèvement du Renouveau dans lequel le Conci1 le a engagé l'Église ».



6. Comme le Christ, l'évêque est pour les laïcs, celui qui sert. Les laïcs constituent la vaste majorité du troupeau de Jésus-Christ. Par le baptême et par la confirmation, le Christ lui-même leur donne part à sa mission salvifique. Conjointement avec le clergé et les religieux, les laïcs constituent l'unique communion de l'Eglise : « une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, le peuple même de Dieu » (1 P  2, 9).



La principale expression du service que l'évêque doit rendre aux laïcs est sa proclamation personnelle de la Parole de Dieu qui atteint son sommet dans l'Eucharistie (cf. Presbyterorum ordinis, PO 5). A titre d'intendant fidèle du message de l'Évangile, chaque évêque est appelé à annoncer à son peuple « le mystère intégral du Christ » (Christus dominus, CD 12).



Tandis qu'il proclame la dignité des laïcs, c'est aussi le rôle de l'évêque de s'employer à promouvoir leur collaboration à l'évangélisation, en les exhortant à assumer toutes les responsabilités qui leur incombent dans l'ordre des réalités temporelles. Selon les termes de Paul VI : « Le champ propre de leur activité évangélisatrice est le monde vaste et complexe du politique, du social et de l'économique, le monde de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass média » (Evangelii nuntiandi, EN 70). Et il reste d'autres sphères d'activités dans lesquelles ils peuvent efficacement travailler à la transformation de la société.

Conformément à fa volonté de Dieu, la famille chrétienne est un agent d'évangélisation de haute importance. Dans toutes les situations morales d'une vie chrétienne authentique les laïcs considèrent leurs évoques comme chefs, pasteurs et pères. Les évêques se doivent de répondre constamment au grand cri souvent inarticulé mais non moins réel de l'humanité : « Nous voulons voir Jésus » (Jn 12,21). Les évêques ont en cela un rôle très important : montrer Jésus au monde ; le présenter de façon authentique et convaincante ; Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme — Jésus-Christ, le chemin, la vérité et la vie — Jésus-Christ, l'homme de prière.



7. Les évêques sont appelés à être, pour leurs fidèles, « de vrais pères qui s'imposent par leur esprit d'amour et de dévouement envers tous » (Christus Dominus, CD 16). Aussi témoigneront-ils une attention spéciale à ceux qui vivent en marge de la société. Les prisonniers sont parmi ceux qui ont le plus besoin de la sollicitude pastorale des évêques. Mes chers frères, ne négligez pas de pourvoir à leurs besoins spirituels, ni de vous intéresser à leurs conditions matérielles et à leurs familles.



Essayez d'apporter aux prisonniers la sollicitude et l'assistance spirituelle qui sauront les détourner des chemins de la violence et du crime pour faire de leur détention une occasion de sincère conversion au Christ et une expérience personnelle d'amour. Ayez un soin particulier des jeunes délinquants. Leurs vies désordonnées résultent bien plus souvent de la négligence de la société que de leurs propres fautes. Que pour eux tout spécialement, le centre de détention devienne école de réhabilitation.



8. Dans la lumière de notre engagement à Jésus et à son Évangile, dans la lumière aussi de notre responsabilité collégiale, notre réunion, ici, aujourd'hui, prend une dimension spéciale en raison des difficultés actuelles de l'Irlande, de toute cette situation relative à l'Irlande, du Nord. Ces circonstances ont poussé des personnes à me dissuader d'un pèlerinage en Irlande. Mais ce sont ces difficultés mêmes qui me pressaient d'être ici pour partager avec vous ces épreuves inouïes et, en union avec vous, pour implorer l'aide de Dieu et tâcher de trouver des solutions humaines. Ces raisons de venir ici sont encore plus éloquentes dans le cadre de ma visite aux Nations Unies, où ce sera mon privilège et mon devoir de proposer des moyens de vivre en paix et réconciliation dans le monde entier.



Je suis persuadé que les pasteurs de l'Église en Irlande perçoivent mieux et ressentent plus vivement les douloureux problèmes de l’heure. Leur devoir, comme je viens de te souligner, est de guider et de soutenir le troupeau, le peuple de Dieu, mais ils ne peuvent s'acquitter de ce devoir qu'en souffrant avec ceux qui souffrent, et en pleurant avec ceux qui pleurent (cf. Rm Rm 12,15).



Je fonde en cela ma conviction sur l'Évangile et sur l'expérience personnelle et historique que j'ai vécue dans l'Église et la nation dont je suis issu. Au cours des deux derniers siècles, l'Église en Pologne s'est extraordinairement enracinée dans l'âme de la nation. La raison vient en partie de ce que ses pasteurs — ses évêques et ses prêtres — n'ont pas hésité à partager les difficultés et les souffrances de leurs compatriotes. Il s'en trouva parmi les déportés en Sibérie au temps des tsars. Il s'en trouva dans les camps de concentration aux pires moments du terrorisme nazi, pendant la dernière guerre. Leur abnégation et leur don de soi démontrèrent la véritable identité du prêtre : « Choisi parmi les hommes... pour agir au nom des hommes » (He 5,1).



9. En raison de cette fidélité à leurs frères et soeurs, à leurs compatriotes, fils et filles d'une même patrie, les pasteurs et notamment les évêques, doivent aller de l'avant dans la recherche des moyens de prévenir l'effusion de sang, la haine et la terreur, de renforcer la paix et d'épargner au peuple des souffrances aussi terribles. C'était le message que Paul VI répéta plus de trente fois, en intercédant pour la paix et la justice en faveur de l'Irlande. Jamais il ne cessa de condamner la violence et d'invoquer la justice. « Nous vous supplions instamment », écrivait-il au cardinal Conway en la fête de Pentecôte 1974, « pour que cesse toute violence, de quelque côté qu'elle vienne, car elle est contraire à la loi de Dieu et à toute façon de vivre chrétienne et civilisée ; en réponse à la simple conscience chrétienne et à la voix de la raison, qu'un climat de confiance mutuelle et de dialogue soit rétabli, en justice et en charité ; que les causes réelles profondes de l'agitation sociale — lesquelles né se réduisent pas à des différences de nature religieuse — soient identifiées et éliminées ».



Ces efforts, vénérables et chers frères, doivent se poursuivre. La foi et l'éthique sociale exigent que nous respections les autorités établies de l'État. Mais ce respect peut tout aussi bien s'exprimer par des actes individuels de médiation, par la persuasion, l'influence morale et, disons-le, par des requêtes fermes. Car s'il est vrai, selon: saint Paul, que celui qui détient l'autorité porte le glaive (cf. Rm Rm 13,4), ce à quoi nous renonçons par fidélité à la recommandation précise du Christ à Pierre au Jardin de Gethsémani (cf. Mt Mt 26,52), c'est précisément parce que nous sommes sans défense que nous avons le droit et le devoir stricts d'influencer ceux qui manient le glaive de l'autorité. Il est notoire, en effet, que dans le champ de l'action politique comme ailleurs, tout ne puisse s'obtenir par le glaive. Les hommes sont mus par des raisons et des lois plus fortes. C'est à nous de discerner ces raisons et, à leur lumière, d'être, devant ceux qui détiennent l'autorité, les porte-parole de l'ordre moral. Cet ordre transcende la force et la violence. Toute la dignité de l'homme et des nations s'exprime par cette transcendance de l'ordre moral.



10. J'évoque avec une vive satisfaction un des faits très significatifs de la série des événements rattachés à mon voyage en Irlande. Il est très significatif en effet que l'invitation de l'Épiscopat, par, l'intermédiaire de ses quatre archevêques, ait été suivie d'invitations venant des autres Églises et notamment des anglicans irlandais. Je saisis, l'occasion de le souligner une fois encore et de leur réitérer mes remerciements et mon estime. Je considère ce fait comme un signe d'espoir riche de promesses. Pour des raisons qui vous sont connues, je n'ai pu accepter cette invitation éminemment oecuménique à visiter Armagh, en Irlande du Nord, n'ayant pu aller au-delà de Drogheda. L'éloquence de cet empressement oecuménique ne correspond pas moins, absolument à ce que j'exprimais dans ma première encyclique : « Dans la présente situation historique de la chrétienté et du monde, il n'apparaît pas d'autre possibilité d'accomplir la mission universelle de l'Église en ce qui concerne les problèmes oecuméniques que celle de chercher loyalement avec persévérance, humilité et aussi courage, les voies du rapprochement et de l'union... Nous devons donc rechercher l'union sans nous décourager devant les difficultés qui peuvent se présenter ou s'accumuler le long de ce chemin ; autrement, nous ne serions pas fidèles à la parole du Christ, nous ne réaliserions pas son testament. Est-il permis de courir ce risque ? » (Redemptor hominis, RH 6).



Le témoignage de la foi au Christ que nous partageons avec nos, frères doit continuer à s'exprimer non seulement par des prières et des efforts soutenus en faveur de la paix et de la réconciliation, dans ce pays bien-aimé. Ces efforts concertés doivent nous amener à considérer tout le mécanisme de lutte, de cruauté, de haine croissante, afin de « dominer le mal par le bien » (Rm 12,12).



Que devons-nous faire ? J'espère fermement que, dans un effort soutenu, vous et vos frères dans la foi deviendrez les hérauts des justes raisons de la paix et de la réconciliation en présence de ceux qui manient le glaive et de ceux qui périssent par le glaive. Comme il est triste de songer à toutes ces vies perdues, particulièrement des vies de jeunes gens !



Quelle terrible perte pour;leur pays, pour l'Église et pour toute l'humanité !



11. Vénérables pasteurs de l'Église en Irlande : le service de justice, et d'amour social qu'il vous revient d'assumer, en ce moment, est difficile. Il est difficile, mais c'est votre devoir ! Ne craignez pas : le Christ est avec vous ! Il vous donne son Esprit-Saint : l'Esprit de conseil et de force. Et même si dans le coeur de l'homme et dans l'histoire de l'humanité, à cause de « l'esprit du monde » et de « l'esprit des ténèbres », cet Esprit de Dieu rencontre souvent de la résistance, il n'en reste pas moins que la victoire finale ne peut être que celle de l'amour et de la vérité. Demeurez inébranlables dans le service qui vous incombe, faisant tout « au nom du Seigneur Jésus » (Col 3,17). Soyez persuadés que dans votre ministère, vous avez mon appui et celui de l'Église universelle. Et tous les hommes et femmes de bonne volonté vous seconderont dans cette recherché de la paix, de la justice et de la dignité humaine !



Chers frères, au nom de Jésus-Christ et de son Église, je vous remercie — et en vous toute l'Irlande. Je vous remercie de votre fidélité à l'Évangile, de votre inlassable contribution à la diffusion de la foi catholique, de votre authentique et irremplaçable service au monde.



Quant à l'avenir, frères, courage et confiance !



Marchez dans la lumière du mystère pascal — dans cette lumière qui ne doit jamais s'éteindre dans votre pays ! Allez de l'avant avec la puissance du Saint-Esprit et les mérites de Jésus-Christ !



Et réjouissez-vous d'une grande joie de l'intercession et de la protection inépuisables de Marie, la majestueuse Marie, Mère de Dieu, Reine des apôtres, Reine de l'Irlande, Reine de la Paix.



Frères, avançons ensemble pour le bien de l'Irlande, pour la gloire de la Très Sainte Trinité. Et pour cela, « gardons les yeux fixés sur Jésus, lui qui inspire et parfait notre foi ».






1er octobre 1979



A MAYNOOTH: AUX PRETRES, RELIGIEUX ET RELIGIEUSES





Mes chers frères et soeurs dans le Christ,



1. Le nom de Maynooth est très estimé dans tout le monde catholique. Il nous rappelle tout ce qu'il y a de plus noble dans le sacerdoce catholique en Irlande. Y viennent des séminaristes de tous les diocèses irlandais, fils de familles catholiques qui étaient elles-mêmes de vrais « séminaires », de vraies pépinières de vocations sacerdotales et religieuses. De là sont partis des prêtres vers chaque diocèse irlandais et vers les diocèses de la diaspora. Au cours de ce siècle, Maynooth a donné le jour à deux nouvelles sociétés missionnaires, l'une orientée dès le début vers la Chine, l'autre vers l'Afrique, et a envoyé des centaines de ses étudiants comme volontaires dans ces missions. Maynooth est une école de sainteté sacerdotale, une académie d'enseignement théologique, une université d'inspiration catholique. Le collège de Saint-Patrick est un lieu d'importantes entreprises qui promettent un futur juste et grand.



Pour cela, Maynooth est vraiment le lieu propice pour rencontrer les prêtres diocésains et religieux, les frères religieux, les soeurs religieuses, les missionnaires et les séminaristes, et pour parler avec eux. Ayant vécu pendant quelque temps, lorsque je me préparais au sacerdoce, dans une atmosphère de séminaire irlandais — le Collège Irlandais à Paris, prêté actuellement par les évêques irlandais à la hiérarchie de Pologne — j'éprouve maintenant une joie profonde en me rencontrant avec vous ici au Séminaire national d'Irlande.



2. Mes premières paroles s'adressent aux prêtres diocésains et religieux. Je vous dis les paroles de saint Paul à Timothée. Je vous demande de « raviver le don de Dieu qui est en vous par l'imposition des... mains (de l'évêque) » (2Tm 1,6).. Jésus-Christ lui-même, unique souverain prêtre, dit : « Je suis venu porter le feu sur la terre ; et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49). Vous partagez son sacerdoce ; vous continuez son oeuvre dans le monde. Son oeuvre ne peut être accomplie par des prêtres tièdes ou apathiques. Son feu d'amour pour le Père et pour les hommes doit brûler en vous. Son désir de sauver l'humanité doit vous consumer.



Vous êtes appelés par le Christ comme le furent les apôtres. Comme eux, vous êtes destinés à être avec le Christ. Vous êtes envoyés, comme eux, pour aller en son nom et avec son autorité faire des disciples de toutes les nations (cf. Mt Mt 10,1 Mt 28,19 Mc 3,13-16).



Votre premier devoir est d'être avec le Christ. Chacun de vous est appelé à être « un témoin de sa Résurrection » (At 1, 22). Un péril constant pour les prêtres, même s'ils sont zélés, est de se plonger tellement dans le travail du Seigneur au risque d'en oublier le Seigneur du travail.



Nous devons trouver le temps, nous devons créer le temps pour nous rencontre avec le Seigneur dans la prière. Suivant l'exemple du Seigneur lui-même nous devons nous « retirer en des lieux solitaires et prier » (Lc 5,16). Dans la mesure où nous consacrerons du temps au Seigneur notre envoi parmi les autres sera aussi de porter le Christ aux autres.



3. Être avec le Seigneur, c'est toujours être envoyé par Lui pour accomplir son oeuvre. Un prêtre est appelé par le Christ ; un prêtre est avec le Christ, un prêtre est envoyé par le Christ. Un prêtre est envoyé par la force du même Esprit-Saint qui accompagna inlassablement Jésus le long des routes de la vie, les routes de l'histoire. Quels que soient les difficultés, les désillusions, les contretemps, nous prêtres, nous trouvons dans le Christ et dans la puissance de son Esprit, la force de « nous fatiguer et de lutter, avec la force qui vient de Lui et qui agit en moi avec puissance » (Col 1,29).



Comme prêtres, vous êtes choisis pour être pasteurs d'un peuple fidèle qui continue à répondre généreusement à votre ministère, et qui constitue un soutien valide à votre vocation sacerdotale elle-même, au moyen de la foi et de la prière. Si vous cherchez à être le type de prêtre que votre peuple attend et désire que vous soyez, alors vous serez de saints prêtres. Le niveau de la pratique religieuse en Irlande est élevé. De cela, nous devons toujours remercier le Seigneur. Mais ce niveau se maintiendra-t-il toujours élevé ?



Les jeunes gens et les jeunes filles des nouvelles générations seront-ils encore fidèles comme le furent leurs parents ? Après avoir passé deux jours en Irlande, après avoir rencontré la jeunesse irlandaise à Galway, j'ai confiance qu'il en sera ainsi. Mais cela demandera de votre part un travail incessant et une prière infatigable. Vous devez travailler pour le Seigneur d'une manière pressante.



Vous devez travailler avec la conviction que cette génération, cette décennie des années 80 où nous allons rentrer, pourrait être cruciale et décisive pour l'avenir de la foi en Irlande. Qu'il n'y ait aucune complaisance. Comme le dit saint Paul « veillez, soyez sûrs dans la foi, comportez-vous en hommes, soyez forts » (1Co 16,13). Travaillez avec confiance, travaillez avec joie. Nous sommes témoins de la Résurrection du Christ.



4. Ce que le peuple attend de vous, plus que d'aucun autre est la fidélité au sacerdoce. Elle est une manière de faire connaître aux hommes la fidélité de Dieu. Le fait d'être fidèle au Christ la rend forte à travers toutes les difficultés de leur vie, les difficultés de leurs mariages. Dans un monde si marqué de l'instabilité comme celui d'aujourd'hui, nous avons besoin de plus de signes et de plus de témoins de la fidélité de Dieu à notre égard et d'une fidélité que nous lui devons à Lui. Il est une réalité qui cause une grande tristesse à l'Église, une angoisse souvent silencieuse mais profonde dans le peuple de Dieu : c'est lorsque les prêtres transgressent la fidélité de leur engagement sacerdotal. Ce contre-signe, ce contre-témoignage ont été parmi les motifs de régression des grandes espérances de vie nouvelle jaillies dans l'Église du Concile Vatican II. Tandis que celui-ci a orienté les prêtres et l'Église tout entière vers une prière plus intense et fréquente ; parce qu'il nous a été enseigné que sans le Christ nous ne pouvons rien faire (cf. Jn Jn 15,5).



Et la fidélité de l'immense majorité des prêtres a prouvé avec une plus grande clarté et un témoignage d'autant plus manifeste la fidélité de l'Église à Dieu et au Christ témoin fidèle (cf. Ap. Ap 1,5).



5. Dans un centre d'études théologiques qui est aussi un séminaire comme Maynooth, ce témoignage de fidélité a une ultérieure importance et une valeur spéciale au regard des candidats au sacerdoce pour les convaincre de la grandeur et de la force représentées parla fidélité sacerdotale.



Ici à Maynooth l'étude théologique faisant partie de la formation au sacerdoce, est bien loin de se présenter comme une recherche académique purement intellectuelle. Ici, la fréquence aux cours théologiques est liée avec la liturgie, la prière, l'édification d'une communauté de foi et d'amour, et ainsi à la construction du sacerdoce irlandais et en conclusion à l'édification de l'Église.



Mon invitation d'aujourd'hui est une exhortation à prier. C'est seulement par la prière que nous pourrons remplir les devoirs de notre ministère et répondre aux espérances de demain. Tous nos appels à la paix et à la réconciliation ne seront efficaces que dans la prière.



Cette étude de la théologie, ici et partout dans l'Église, est une réflexion sur la foi, une réflexion dans la foi. Une théologie qui n'approfondirait pas la foi, qui ne porterait pas à prier pourrait être un discours de paroles sur Dieu mais ne pourrait jamais être un vrai discours au sujet de Dieu, du Dieu vivant, te Dieu qui est, et dont l'être est l'amour. Il en dérive que la théologie ne peut être authentique que dans l'Église communauté de foi. C'est seulement lorsque l'enseignement des théologiens est conforme à l'enseignement des évêques unis au pape que le peuple de Dieu peut savoir avec certitude que cet enseignement est « la foi qui autrefois pour tous et pour toujours a été confiée aux saints » (Jd 3).



Ceci n'est pas une limitation pour les théologiens mais, une libération car elle les préserve des modes inconstantes et, les tient liés avec certitude à l'immuable vérité du Christ, la vérité qui nous rend libres (Jn 7,32).



6. A Maynooth, en Irlande parler de sacerdoce, est parler de mission. L'Irlande n'a jamais oublié que « l'Église en pèlerinage est missionnaire de par sa nature même ; car c'est de la mission du Fils et de la mission de l’Esprit-Saint qu'elle tire son origine, selon le décret de Dieu Père (Ad gentes, AGD 2).



Au cours des IX° et X° siècles les moines irlandais rallumèrent le flambeau de la foi dans des régions où sa flamme s'était amortie ou éteinte après la chute de l'Empire Romain, et ils évangélisèrent de nouvelles Nations non encore évangélisées, y compris ma Pologne native. Comment pourrai-je oublier qu'il y eut même un monastère irlandais à Kiev déjà au XIII° siècle ; et qu'il y eut un collège irlandais, pendant une brève période jusque dans ma propre ville de Cracovie durant la persécution, de Cromwell. Aux XVII° et XVIII° siècles des prêtres irlandais suivirent leurs émigrants dans tous les pays de langue anglaise. Au XX° siècle de nouveaux instituts missionnaires d'hommes et de femmes ont fleuri en Irlande et avec les sections irlandaises d'instituts missionnaires internationaux et les congrégations religieuses irlandaises déjà existantes, ont donné un nouvel élan missionnaire à l'Église.



Daigne l'esprit missionnaire ne jamais manquer dans le coeur des prêtres irlandais, qu'ils soient membres d'instituts missionnaires, du clergé diocésain, ou de congrégations religieuses consacrées à d'autres apostolats. Que cet esprit puisse toujours être stimulé avec ardeur par vous tous au milieu des laïcs déjà si fervents dans leurs prières, déjà si généreux dans leur soutien envers les missions. Daigne l'esprit de partage croître entre les diocèses et les congrégations religieuses dans la mission totale de l'Église jusqu'à ce que chaque église diocésaine locale et chaque congrégation et communauté religieuse soit considérée comme missionnaire par sa nature propre, se trouvant dans l'authentique mouvement missionnaire de l'Église universelle. J'ai appris avec beaucoup de plaisir que l'Union Missionnaire Irlandaise a l'intention de fonder un centre missionnaire national avec le double but d'un renouvellement missionnaire par les missionnaires eux-mêmes et d'une impulsion à la conscience missionnaire entre le clergé, les religieux et les fidèles de l'Église irlandaise. Que ce travail puisse obtenir la bénédiction de Dieu et contribuer à une grande et nouvelle expansion de ferveur missionnaire, à une nouvelle vague de vocations missionnaires du sol de cette grande patrie de la foi qu'est l'Irlande.



7. Je veux dire un mot spécial aux frères laïcs religieux. La décennie passée a porté de grands changements et avec eux des problèmes et des difficultés sans précédent pour ce qui tient à votre expérience passée. Je vous demande de ne pas vous décourager. Soyez des hommes de grande foi, de grande et indéfectible espérance. « Que le Dieu de l'espérance vous remplisse de toute joie et paix dans la foi, afin que vous abondiez d'espérance par la puissance de l'Esprit Saint » (Rm 15,13).



La dernière décennie a porté également un grand renouvellement dans la compréhension de votre sainte vocation, un grand approfondissement de votre vie liturgique et de votre prière, un grand élargissement dans le cercle de votre influence apostolique : je demande au Seigneur de vous bénir pour tous vos mérites par une fidélité renouvelée à votre vocation et un accroissement du nombre des vocations pour vos nouveaux instituts. L'Église en Irlande et dans les missions doit beaucoup à tous les instituts des frères laïcs. Votre appel à la sainteté est un précieux ornement de l'Église. Soyez fidèles. « Il est fidèle Celui qui vous appelle : il le fera » (1Th 5,24).



8. Les soeurs aussi ont connu des années de recherche, parfois de trouble et d'inquiétude. Ces années ont été également des années de purification. Je crois que maintenant on peut entrer dans une période de raffermissement et de construction.



Beaucoup d'entre vous sont engagées dans l'apostolat de l'éducation et dans le soin pastoral de la jeunesse. N'ayez pas de doutes sur la constante importance de cet apostolat, en particulier dans l'Irlande moderne où la jeunesse représente une partie si nombreuse et si importante de la population. L'Église maintes fois en de nombreux documents récents et solennels a rappelé aux religieuses l'importance primaire de l'éducation, et a invité les congrégations d'hommes et de femmes dotées de traditions et de charisme de l'éducation à persévérer dans cette vocation et à redoubler leur engagement dans celle-ci.



Il en est de même pour le traditionnel apostolat du soin des malades, des nouveau-nés, des personnes âgées, des handicapés et des pauvres. Ceux-ci ne doivent pas être mis de côté tandis qu'on découvre de nouvelles formes d'apostolat. Comme le dit l'Évangile, vous devez « tirer de votre trésor le vieux et le neuf » (cf. Mt Mt 13,52).



Vous-devez être courageuses dans vos entreprises apostoliques, ne permettant pas que les difficultés, la diminution du personnel, l'insécurité de l'avenir puissent vous abattre ou vous déprimer.



Mais rappelez-vous toujours que le premier champ de votre apostolat est votre vie personnelle. C'est là que le message de l'Évangile doit être d'abord prêché et vécu. Votre premier devoir apostolique est votre propre sanctification. Aucun changement dans la vie religieuse n'a de l'importance s'il n'est en même temps une conversion de vous-mêmes au Christ Aucun mouvement de la vie religieuse n'a une valeur s'il n'est  pas en même temps un mouvement vers l'intérieur, vers le « centre » profond de votre existence, là où le Christ a sa demeure. Ce n'est pas ce que vous faites qui importe le plus, mais ce que vous faites comme femmes consacrées au Seigneur. Pour vous le Christ s'est consacré lui-même afin que vous aussi « vous soyez consacrées dans la vérité » (cf. Jn Jn 17,19).



9. A vous et aux prêtres, diocésains et religieux, je dis : soyez heureux d'être les témoins du Christ dans lé monde moderne. N'hésitez pas à vous faire reconnaître et identifier sur les routes, comme des hommes et des femmes qui ont consacré leur vie à Dieu, qui ont jeté aux ordures tout ce qui est du monde, pour servir le Christ. Croyez à la valeur que les hommes et les femmes de notre temps attribuent aux signes visibles de la consécration de vos vies. Les hommes ont besoin de signes et de rappels vers Dieu en cette moderne cité séculaire où sont restés bien peu de signes qui renvoient au Seigneur. Ne donnez pas la main à cette « chasse de Dieu des routes du monde » en adoptant les modes séculières de vêtement et de comportement.



10. Ma bénédiction spéciale et mes saluts vont aux moines et moniales cloîtrés et contemplatifs. Je vous dis un merci pour ce que vous avez fait pour moi par votre vie de prière et de sacrifice depuis le début de mon ministère papal. J'affirme que le pape et l'Église ont besoin de vous. Vous êtes surtout dans cette « grande, intense et croissante prière » à laquelle j'ai fait appel dans Redemptor hominis.



La vocation contemplative n'a jamais été plus précieuse et importante qu'elle ne l'est dans notre monde moderne et sans paix. Qu'il y ait de nombreux jeunes gens et jeunes filles irlandais appelés à la vie contemplative en ce temps où l'avenir de l'Église et de l'humanité dépend de la prière.



Avec joie je redis à tous les contemplatifs, en cette fête de sainte Thérèse de Lisieux, les paroles que j'ai adressées aux soeurs de Rome : « Je vous confie l'Église ; je vous confie le genre humain et le monde. A vous, à vos prières, à votre holocauste, je me recommande également moi-même évêque de Rome. Soyez avec moi, près de moi vous qui êtes dans le coeur de l'Église ! Que grandisse en chacune de vous ce qui fut le programme de vie de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus « in corde Ecclesiae amor ero » — « dans le coeur de l'Église je serai l'amour ! »



La majeure partie de ce que j'ai dit s'adresse aussi aux séminaristes. Vous vous préparez pour le don total de vous-mêmes au Christ et au service de son Règne. Vous portez au Christ le don de votre enthousiasme et de votre jeune vitalité. En vous le Christ est éternellement jeune et à travers vous, il rajeunit l'Église. Ne le décevez pas.



Ne décevez pas le peuple qui attend que vous lui portiez le Christ. N'abaissez pas la qualité de votre génération de jeunes, hommes et femmes irlandais. Portez le Christ aux jeunes de votre génération, comme l'unique réponse à leurs attentes. Le Christ vous regarde et vous aime. Ne faites pas comme le jeune de l'Évangile qui s'en alla triste « car il possédait de grands biens » (cf. Mt Mt 19,22). Au contraire, offrez tous vos trésors d'esprit, de coeur, d'énergie au Christ afin qu'il s'en serve pour attirer tout homme à soi (cf. Jn Jn 12,32).



A vous tous, je dis que celui-ci est un temps merveilleux pour l'histoire de l'Église. C'est un temps merveilleux pour être prêtre, pour être religieux, pour être missionnaire du Christ. Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur. Réjouissez-vous dans votre vocation. Je vous redis les paroles de l'apôtre Paul : « Réjouissez-vous dans le Seigneur toujours ; je vous le dirai de nouveau ; réjouissez-vous. N'ayez aucun souci ; mais en tout par la prière et la supplication avec action de grâces, faîtes connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence gardera vos coeurs et vos pensées dans le Christ Jésus » (Ph 4,4-7).

Que Marie, mère du Christ, prêtre éternel, mère des prêtres et des religieux, vous tienne éloignés de toute préoccupation, tandis que vous « attendez dans une joyeuse espérance la venue de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ». Confiez-vous à elle comme moi je vous recommande à elle, Marie, Mère de Jésus et Mère de son Église.






1er octobre 1979



AUX SEMINARISTES



Chers frères et fils en Nôtre-Seigneur,



Vous occupez une place Spéciale dans mon coeur et dans le coeur de l'Église. Au cours de ma visite à Maynooth, je désirais rester seul avec vous, ne fût-ce que quelques instants.



Il y a beaucoup de choses que je voudrais vous dire : toutes les paroles que j'ai prononcées plusieurs fois sur la Vie des séminaristes et sur tous les Séminaires durant ma première année de pontificat.



Je voudrais en particulier vous entretenir à nouveau de la parole de Dieu : sur la manière dont vous êtes appelés à l'écouter, à la protéger et à la vivre. Sur la façon dont vous devez baser toute votre vie et votre ministère sur cette parole de Dieu, telle qu'elle est transmise par l'Église, telle qu'elle a été interprétée durant toute l'histoire de l'Église, grâce au guide fidèle du Saint-Esprit : semper et ubique et ab omnibus. La parole de Dieu est le grand trésor de votre vie. Grâce à la parole de Dieu vous arriverez à une profonde connaissance du mystère de Jésus-Christ, fils de Dieu et fils de Marie : Jésus-Christ, le Grand Prêtre du Nouveau Testament et le Rédempteur du monde.



Le monde de Dieu doit réclamer tous vos efforts. Le comprendre dans sa pureté et intégrité et y répandre la parole et l'exemple est une grande mission. Et c'est là votre mission, aujourd'hui et demain, et pour le reste de vôtre vie. Tandis que vous suivez votre vocation — une vocation si intimement unie à la Parole de Dieu, je désire vous proposer à nouveau une simple mais significative leçon tirée de la vie de saint Patrick ; la voici : dans l'histoire de l’évangélisation, le destin d'un peuple tout entier — votre peuple — a été radicalement influencé à ce moment-là et dans les temps successifs par la fidélité avec laquelle saint Patrick a compris et proclamé la parole de Dieu et par la fidélité avec laquelle saint Patrick a suivi son appel jusqu'au bout.



Ce que je désire vraiment que vous compreniez est ceci : Dieu compte sur vous ! Et ses plans, en un certain sens, pour réaliser, dépendent de votre libre collaboration, de l'offrande de votre vie et de la générosité avec laquelle vous suivrez l'inspiration du Saint-Esprit au plus profond de votre coeur.



La foi catholique en Irlande est liée aujourd'hui, dans le plan de Dieu, à la fidélité de saint Patrick. Et demain, oui, demain, le plan de Dieu pour une part, sera lié à votre fidélité, à la ferveur avec laquelle vous direz « oui » à la parole de Dieu dans votre vie.



Aujourd'hui, Jésus-Christ vous adresse un appel à travers ma personne : l'appel à la fidélité. Par la prière, vous découvrirez toujours davantage, chaque jour qui passe, ce que veut dire cet appel, et quelles en sont les implications. Par la grâce de Dieu, vous comprendrez toujours davantage, chaque jour qui passe, combien Dieu désire et accepte votre fidélité comme condition pour l'efficacité supranaturelle de tout votre ministère. L'expression suprême de votre fidélité sera votre don irrévocable et total en union avec Jésus-Christ et avec le Père. Et la Sainte-Vierge Marie vous aidera à porter ce don.



Rappelez-vous saint Patrick, Rappelez-vous ce que signifie la fidélité d'un seul homme pour l'Irlande et pour le monde. Oui, chers frères et fils, c'est la fidélité au Christ et à son monde qui détermine les différences dans le monde. C'est pourquoi il nous faut porter notre regard vers Jésus, qui est à chaque instant, le témoin fidèle du Père.






1er octobre 1979



A LIMERICK : HOMELIE SUR LE ROLE DES LAICS





Chers frères et soeurs dans le Christ,



1. En ce dernier jour de ma visite en Irlande, je viens à vous pour célébrer avec vous La sainte Eucharistie. Je désire sceller une fois, encore, dans l'amour du Christ Jésus, le lien qui unit le successeur de Pierre à l'Église qui est en Irlande. En vos personnes, je salue une fois encore tout le peuple d'Irlande qui a pris place dans le mystère de l'Église par la prédication de saint Patrick et par les sacrements du baptême et de la confirmation. Je vous invite à faire de cette messe que j'offre avec vous et pour vous, une hymne spéciale d'action de grâces à la Sainte-Trinité pour les jours que j'ai pu passer au milieu de vous.



Je viens au nom du Christ pour vous annoncer son propre message. La liturgie de la parole d'aujourd'hui parle d'une construction, de la pierre d'angle qui porte le poids et donne force à la maison, d'une ville qui est bâtie sur une colline pour la sécurité et pour la protection. Ces images contiennent une invitation adressée à nous tous, à tous les chrétiens, pour qu'ils s'approchent du Christ, la pierre d'angle qui deviendra notre appui et le principe unificateur qui donne son sens et sa cohérence à nos vies. C'est le même Christ qui donne leur dignité à tous les membres de l'Église et qui assigne à chacun sa mission.



2. Aujourd'hui, je voudrais vous parler de la dignité spéciale et de la mission qui est confiée aux laïcs dans l'Église. Saint Pierre dit que les chrétiens sont « un sacerdoce royal, une nation sainte » (1P 2,9). Tous les chrétiens incorporés dans le Christ et dans son Église par le baptême sont consacrés à Dieu, ils sont appelés à professer la foi qu'ils ont reçue. Par le sacrement de confirmation, ils sont, plus tard, revêtus de l'Esprit-Saint avec une force spéciale pour devenir les témoins du Christ et pour partager sa mission de salut. Tout laïc chrétien est par conséquent une extraordinaire oeuvre de grâce de la part de Pieu et reçoit un appel vers les sommets de la sainteté. Les

laïcs, hommes et femmes, semblent parfois ne pas apprécier dans sa plénitude la dignité et la vocation qui est la leur en tant que laïcs. Non, il n'existe pas quelque chose comme « un laïc ordinaire », car vous avez tous été appelés à la conversion par la mort et la résurrection de Jésus-Christ. En tant que saint peuple de Dieu, vous êtes appelés à remplir votre rôle d'évangélisation dans le monde.



Oui, le laïcat est une « race choisie, un sacerdoce saint » ; les laïcs sont aussi appelés à être le « sel de la terre » et « la lumière du monde ». C'est leur vocation spécifique et leur mission que d'exprimer l'Évangile dans leur vie et par là d'insérer cet Évangile comme un levain dans la réalité du monde dans lequel ils vivent et travaillent. Les grandes forces qui façonnent le monde — la politique, les mass média, la science, la technique, la culture, l'éducation, l'industrie et le travail — sont précisément les domaines dans lesquels les laïcs sont particulièrement compétents pour exercer leur mission. Si ces forcés sont orientées par des personnes qui sont de vrais disciples du Christ et qui sont eh même temps parfaitement compétents dans leur important savoir séculier et dans leur savoir-faire, alors vraiment le monde sera transformé de l'intérieur par la puissance rédemptrice du Christ.



3. Les laïcs aujourd’hui sont appelés à un fort engagement chrétien : pour l'Irlande, cette pénétration de la société par le levain de l'Évangile est arrivée à un moment décisif dans son histoire. Les Irlandais ont à choisir aujourd'hui une voie pour l'avenir. Sera-ce la transformation de toutes les couches de l'humanité en une nouvelle création ou bien sera-ce la voie suivie par de nombreuses nations qui accordent une importance excessive à la croissance économique et à la possession matérielle en négligeant les choses de l'esprit ? Sera-ce la voie de là substitution d'une nouvelle éthique de jouissance temporelle à la place de la loi de Dieu ? La voie d'une fausse liberté qui n'est qu'un esclavage qui va vers la décadence ? La voie de la subordination de la dignité de la personne humaine à la domination totalitaire de l'État ? La voie d'une lutte violente entre les classes ? La voie de l'exaltation de la révolution au-dessus de Dieu ?



L'Irlande doit choisir. C'est vous la génération actuelle du peuple irlandais qui devez décider ; votre choix doit être clair et votre décision ferme. Laissez la voix de vos ancêtres qui ont tant souffert pour maintenir leur foi dans le Christ retentir aujourd'hui à vos oreilles à travers la voix du pape quand il vous répète les paroles du Christ : « A quoi sert à l'homme de gagner tout l'univers s'il perd son âme ? » (Mt 16,26). Quel sera le profit de l'Irlande si elle suit la voie facile du monde et souffre de la perte de son âme ?



Votre pays semble revivre en un certain sens-les tentations du Christ : l'Irlande est sollicitée, on lui demande de préférer les « royaumes de ce monde et leur splendeur » au royaume de Dieu (cf. Mt Mt 4,8). Satan le tentateur, l'adversaire du Christ, usera de tout son pouvoir et de toutes ses illusions pour vaincre l'Irlande et la conduire dans les voies du monde. Quelle victoire n'aura-t-il pas gagnée, quel coup n'infligera-t-il pas au corps du Christ dans le monde, s'il réussit à séduire les hommes et les femmes d'Irlande et à les éloigner du Christ ! C'est maintenant le temps de la mise à l'épreuve pour l'Irlande. Cette génération est, répétons-le, une génération qui doit décider de son sort.



Chers fils et filles d'Irlande, priez, priez pour ne pas être induits en tentation. J'ai demandé, dans ma première encyclique « une grande, intense et croissante prière pour toute l'Église ». Je vous demande aujourd'hui cette prière pour tout le peuple d'Irlande ; pour l’Église en Irlande, pour toute l'Église qui doit tant à l'Irlande. Priez pour que l'Irlande ne succombe pas à l'épreuve. Priez comme Jésus nous a enseigné à le faire : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ».



Et par-dessus tout, ayez une immense confiance dans les mérites de notre Seigneur Jésus-Christ et dans la puissance de sa mort et de sa résurrection. C'est justement à cause de la force du mystère pascal que chacun de nous et tous les Irlandais peuvent dire: « Je puis tout en celui qui me fortifie » (Ph 4,13).



4. Dans le passé l'Irlande a déployé une remarquable interpénétration de toute sa culture, de sa langue et de son mode de vie, par les choses de Dieu et par la vie de la grâce. La vie, en un sens, était organisée autour des événements religieux. La tâche de cette génération d'hommes et de femmes était de transformer le monde dans sa plus grande complexité et dans sa vie urbaine par le même esprit de l'Évangile. Aujourd'hui, vous devez garder la ville et l'usine pour Dieu comme vous avez toujours gardé la ferme et le village pour lui dans le passé. Le progrès matériel a, en tant de lieux, conduit à un déclin de foi et de la croissance dans le Christ, à un déclin de la croissance dans l'amour et dans la justice.



Pour arriver à cela, il doit y avoir, comme je l'ai dit à Phoenix Park, un lien logique entre votre foi et votre vie quotidienne. Vous ne pouvez pas être d'authentiques chrétiens le dimanche, si vous ne cherchez pas à être fidèles à l'esprit du Christ également dans votre travail, votre activité commerciale, vos syndicats, ou vos rencontres d'employeurs et vos réunions professionnelles. Comment pouvez-vous être une véritable communauté dans le Christ à la messe si vous n'essayez pas de penser au bien de toute la communauté nationale au moment où, dans votre secteur particulier ou dans votre milieu, l'on est en train de prendre des décisions ? Comment pouvez-vous être prêts à rencontrer le jugement du Christ si vous ne vous rappelez pas à quel point les pauvres sont affectés par la conduite de votre communauté sociale ou par votre style de vie personnel ? « Car dans la mesure où vous l'avez fait au moindre de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,40).



J'ai entendu parler avec une grande joie et une grande reconnaissance du merveilleux esprit de laborieuse collaboration selon lequel vous vous êtes unis pour la préparation matérielle et spirituelle de ma visite. Combien plus merveilleux encore serait le même esprit de travail et de collaboration en toute circonstance « pour la gloire de Dieu et l'honneur de l'Irlande ».



5. Ici, a Limerick, je me trouve dans une zone essentiellement rurale et beaucoup d'entre vous sont des gens de la campagne. Je me sens chez moi avec vous comme je l'étais avec la population des campagnes et des montagnes de ma Pologne natale. Je vous redis à vous ce que je leur ai dit : aimez la terre ; aimez le travail des champs, car il vous garde proche de Dieu le Créateur, d'une façon spéciale.



A ceux qui sont allés dans les villes, ici ou à l'étranger, je dis : gardez contact avec vos racines en terre d'Irlande, avec vos familles et avec votre culture. Restez fidèles à la foi, aux prières et aux valeurs que vous avez apprises ici ; et transmettez cet héritage à vos enfants, car c'est un héritage, bon et riche.



A tous, je dis : vénérez et protégez votre famille et votre vie de famille, car la famille est « le premier domaine de l’action chrétienne, pour le laïcat irlandais, le lieu où votre « sacerdoce royal » est le mieux exercé. La famille chrétienne a été dans le passé la plus grande ressource spirituelle de l'Irlande. Les conditions modernes ont créé de nouveaux modèles et de nouvelles difficultés pour la vie de famille et pour le mariage chrétien. Je veux vous dire ceci ; ne soyez pas découragés, ne suivez pas les opinions selon lesquelles une famille étroitement unie est un modèle dépassé : la famille chrétienne est plus importante aujourd'hui pour l'Église et pour la société qu'elle ne l'a jamais été dans le passé.



Il est exact que la stabilité et la sainteté du mariage sont menacées par les nouvelles idées et les aspirations de certains. Le divorce pour quelque raison qu'il soit introduit, devient inévitablement de plus en plus facile à obtenir et graduellement on en vient à l'accepter comme une part normale de l'existence. Cette possibilité du divorce dans le domaine de la loi civile fait que les mariages stables et permanents deviennent plus difficiles pour chacun. Que l'Irlande continue toujours à donner le témoignage, devant le monde moderne, de son traditionnel engagement en faveur de la sainteté et de l'indissolubilité du lien matrimonial. Que les Irlandais soutiennent toujours le mariage par leur engagement personnel et par leur action sociale et légale. Par-dessus tout, ayez en haute estime la merveilleuse dignité et la grâce du sacrement de mariage. Préparez-vous à ce sacrement avec ardeur. Croyez en la puissance spirituelle que confère ce sacrement de Jésus-Christ pour renforcer l'union du mariage et pour surmonter toutes les crises et tous les problèmes de la vie commune. Les personnes mariées doivent croire en la puissance du sacrement pour leur sanctification. Elles doivent croire en leur vocation, par leur mariage, de témoins de la puissance de l'amour du Christ. Le véritable amour et la grâce de Dieu ne peuvent jamais laisser le mariage devenir la relation de deux individus centrés sur eux-mêmes, vivant côte à côte pour leurs propres intérêts.



6. Et ici, je voudrais dire une parole tout à fait spéciale aux parents irlandais. Le mariage doit comporter une ouverture au don des enfants. Une généreuse ouverture qui fait accepter les enfants de la main de Dieu comme un don fait à leur amour est la marque du couple chrétien. Respectez le cycle de la vie donné par Dieu, car ce respect fait partie de votre respect pour Dieu lui-même qui a créé l'homme et la femme, qui les a créés à son image, en mettant en eux le reflet de son propre amour, donneurs de vie, dans les modalités de leur vie sexuelle.



Et ainsi, je dis à tous, ayez un absolu et saint respect pour le caractère sacré de la vie humaine dès le premier moment de sa conception. L'avortement selon la déclaration du Concile Vatican II est l'un des « crimes abominables » (Gaudium et Spes, GS 51). Attaquer la vie à naître à un moment quelconque de sa conception, c'est miner l'ordre moral tout entier qui est le véritable gardien du bien-être de l'homme. La défense de l'inviolabilité absolue de la vie à naître fait partie de la défense des droits de l'homme et de la dignité humaine.



Que le témoignage de l'Irlande ne s'affaiblisse jamais, en face de l'Europe et en face du monde entier, en faveur de la dignité et du caractère sacré de toute vie humaine, de sa conception à sa mort.



Chers pères et mères d'Irlande, croyez en votre vocation, cette magnifique vocation du mariage, de la paternité et de la maternité qui vous a été donnée par Dieu. Croyez que Dieu est avec vous — car toute paternité et maternité, au ciel et sur la terre, tirent leur nom de lui. Ne pensez pas que vous puissiez faire quelque chose de plus important dans votre vie que d'être un bon père chrétien et une bonne mère chrétienne. Que les mères d'Irlande, les jeunes femmes et les jeunes filles n'écoutent pas ceux qui leur disent que le travail séculier d'un métier, le succès d'une profession laïque est plus important que la vocation de donner la vie et de s'occuper de cette vie comme mère. L'avenir de l'Église, l'avenir de l'humanité dépend en grande partie des parents et de la vie de famille qu'ils construisent dans leurs foyers. La famille est la véritable mesure de la grandeur d'une nation, exactement comme la dignité de l'homme est la véritable mesure de la civilisation.



7. Vos maisons devraient toujours demeurer des maisons de prière. Au moment de mon départ de cette île qui est si chère à mon coeur, de cette terre et de son peuple qui est une telle consolation et une telle force pour le pape, puis-je exprimer un voeu ? Que chaque foyer en Irlande demeure ou redevienne un foyer de prière familiale quotidienne. Si vous me promettiez de faire cela, ce serait le plus grand cadeau que vous puissiez me faire au moment où je quitte vos côtes hospitalières.



Je sais que vos évêques préparent en ce moment un programme pastoral prévu pour encourager une plus grande participation des parents à l'éducation religieuse de leurs enfants sous le titre : « Prise en charge de la foi à la maison ». J'ai confiance que vous entrerez dans ce programme avec enthousiasme et générosité. Inculquer à vos enfants la foi que vous avez reçue de vos parents est votre premier devoir et votre plus grand privilège de parents. La maison devrait être la première école de religion, comme elle doit être la première école de prière. La grande influence spirituelle de l'Irlande dans l'histoire du monde est due dans une grande mesure à la religion domestique en Irlande, car c'est là que commence l'évangélisation, là que-sont nourries les vocations. C'est pourquoi je lance un appel aux parents irlandais pour qu'ils continuent à favoriser dans leurs foyers les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse, parmi leurs fils et leurs filles. Pendant des générations, c'était le plus grand désir de tous tes parents irlandais d'avoir un fils prêtre ou religieux, une fille consacrée à Dieu. Que cela continue à être votre désir et votre prière. Que toutes les occasions qui s'offrent aux garçons et aux filles ne diminuent jamais votre estime pour le privilège d'avoir un fils ou une fille choisi par le Christ et appelé par Lui à tout laisser pour le suivre.



Je confie tout ceci à Marie, brillant « soleil du peuple irlandais ». Que ses prières aident tous les foyers irlandais à être comme la sainte famille de Nazareth. Que de ces maisons sortent déjeunes chrétiens, comme Jésus est sorti de Nazareth. Qu'ils avancent dans la puissance de l'Esprit pour continuer l'oeuvre du Christ et pour suivre ses traces jusqu'à la fin du millénaire, vers le XXI° siècle. Marie vous gardera tous près de celui qui est le « père du monde à venir » (Is 9,6).

Dia agus Muire libh.



Que Dieu et Marie soient avec vous et avec les familles d'Irlande, toujours !






1er octobre 1979



A SHANNON : L'AU REVOIR A L’IRLANDE





Chers frères et soeurs,



Le temps est venu pour moi de quitter l'Irlande, pour continuer ma mission pastorale, mon voyage apostolique.



Je suis venu ici pour proclamer la paix et l'amour, pour vous parler du Fils de Dieu fait homme et de votre vie dans le Christ. Oui, comme successeur de l'apôtre Pierre, je suis venu confirmer mes frères dans la foi et pour demander à toute l'Irlande de s'élever à une nouvelle vision d'espoir — selon les paroles de saint Paul : « Vers le Christ Jésus notre espérance » (l Tm 1, 1).



J'ai commencé mon pèlerinage sous la protection de Notre-Dame et le jour de la fête de l'Archange. Et je prends congé de vous en la fête de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, splendide exemple de joyeuse simplicité et preuve de l'efficacité extraordinaire d'un généreux amour chrétien.



Je vous suis profondément reconnaissant pour toute l'amabilité qui m'a été manifestée par les autorités civiles et religieuses de ce pays. Je remercie également tous ceux qui ont tant travaillé et avec tant de compétence ici, en Irlande, pour organiser les nombreux détails de ma visite. Je remercie toute la population pour la cordiale et affectueuse réception au cours de laquelle elle a manifesté la finesse de son sens de l'homme et sa foi vivante.



Avec l'apôtre Paul, je vous demande de mener toujours « une vie digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés... désireux de maintenir l'unité de l'Esprit par le lien de la paix » (Ep 4,1-3).



Au nom du Seigneur, je vous exhorte à conserver le grand trésor de votre fidélité à Jésus-Christ et à l'Église. Comme la première communauté chrétienne qui est décrite dans les Actes des Apôtres, l'Irlande est appelée à être « fidèle à l'enseignement des Apôtres, à la fraternité, à la fraction du pain et à la prière » (Ac 2,42).



Irlande : semper fidelis, toujours fidèle !



Irlande : toujours fidèle !







VOYAGE AUX ETATS-UNIS


Octobre 1979







1er octobre 1979



A BOSTON : A L'ARRIVEE



Après un vol de plus de sept heures, le pape, venant d'Irlande, est arrivé aux U.S.A., à Boston, où il était accueilli à sa descente d'avion par Mme Rosalynn Carter, femme du président des États-Unis et de nombreuses personnalités. Le pape a prononcé une brève allocution.



Loué soit Jésus-Christ,



C'est pour moi une très grande joie de me trouver ici, dans les États-Unis et d'entreprendre ma visite pastorale à l'Église catholique de ce pays et, en même temps, de saluer toute la population américaine, quelles que soient son origine, sa couleur, ses convictions religieuses.



Je suis particulièrement reconnaissant pour les souhaits de bienvenue qui m'ont été adressés au nom du président Carter que je remercie très sincèrement pour son invitation aux États-Unis. Je pense déjà à l'entretien que j'aurai avec lui après ma visite aux Nations unies.



J'adresse également mes remerciements au-cardinal archevêque de Boston qui m'offre la première hospitalité aux États-Unis, en cette ville historique. Je remercie sincèrement la Conférence épiscopale et, en particulier, tous les évoques qui m'ont si aimablement prié de venir chez eux. Mon seul regret est de ne pouvoir accepter toutes les invitations qui m'ont été adressées par des autorités religieuses et civiles, par des particuliers, des familles et des groupes.



De nombreux côtés — catholiques, protestants, juifs — l'Amérique m'a ouvert son coeur. Quant à moi, je viens à toi, Amérique, avec des sentiments d'amitié, de respect, d'estime. Je viens ici en homme qui te connaît déjà et t'aime, quelqu'un qui te souhaite de pouvoir réaliser ton destin de service en faveur du monde. Il m'est permis, une nouvelle fois, d'admirer la beauté de cette terre qui règne entre deux océans ; il m'est donné une fois de plus de faire l'expérience de la chaleureuse hospitalité du peuple américain.



Bien qu'il ne me soit pas possible d'entrer dans chaque logis, de saluer chaque homme et chaque femme, de caresser chaque enfant dont les yeux rayonnent d'innocence et d'amour, je me sens cependant tout proche de chacun de vous, et vous tous, vous vous trouvez dans mes prières.



Qu'il me soit permis d'exprimer mes sentiments en empruntant les termes lyriques d'un de vos propres chants : « Amérique ! Amérique ! Que Dieu répande ses grâces sur toi et te comble de fraternité pour ton bien, d'un océan à l'autre. »



Et que la paix du Seigneur t'accompagne toujours, ô Amérique !






1er octobre 1979



A LA CATHEDRALE



A la cathédrale de Boston, le Saint-Père a rencontré le clergé diocésain, les religieux et religieuses des diocèses de Nouvelle-Angleterre. Il s'est adressé à eux dans les termes dont nous donnons ici la traduction.



Cher cardinal Medeiros

Chers frères et soeurs en le Christ,



En ce premier jour de ma visite pastorale aux États-Unis d'Amérique, c'est une grande joie pour moi de venir en cette ville de Boston, en cette cathédrale, d'aller ce soir au « Common Boston » et d'avoir ainsi l'occasion de prendre contact avec la communauté catholique. C'est la première fois dans l'histoire qu'un successeur de Pierre est accueilli dans ce milieu. En cette extraordinaire circonstance, je désire rendre hommage à la Très Sainte Trinité au nom de laquelle je suis venu ici. Et je fais mien propre le salut de l'apôtre Paul aux Corinthiens : « A vous qui avez été consacrés dans le Christ Jésus, appelés à être saints avec tous ceux qui en quelque lieu que ce soit invoquent le nom de Jésus-Christ notre Seigneur, le leur et le nôtre ; à vous grâce et paix de par Dieu, notre Père et le Seigneur Jésus-Christ ! » (1 Col, 2-3).



A vous, cardinal Medeiros, archevêque de Boston, mes plus cordiaux remerciements pour votre accueil d'aujourd'hui. Dans votre église cathédrale, je suis heureux de vous réitérer l'expression de ma profonde estime et de mon amitié. Mes chaleureuses salutations également aux évêques auxiliaires et à tout le clergé tant diocésain que religieux : vous êtes mes frères, prêtres en vertu du sacrement de l'Ordre sacré. Par votre sacerdoce, vous êtes également le don de Dieu à la communauté chrétienne. Comme vous prenez part au sacerdoce du Christ, votre présence dans le monde sera toujours caractérisée par le zèle du Christ qui vous a choisis en vue de la construction de son Corps, l'Église (cf. Ep Ep 4,12).



Je désire vous donner une bénédiction spéciale, à vous religieux, frères et soeurs qui avez consacré votre vie à Jésus-Christ. Puissiez-vous trouver toujours votre joie dans son amour. Et à vous tous, laïcs de ce diocèse, associés au cardinal et au clergé dans une mission commune, j'ouvre mon coeur dans l'amour et la confiance. Vous êtes ceux qui oeuvrent pour l’évangélisation dans les réalités de la vie quotidienne, et vous témoignez de l'amour du Christ dans le service que vous prêtez à vos frères, hommes et femmes, à commencer par vos familles.



A vous tous, je veux dire que je suis très heureux de me trouver parmi vous. Je prie pour chacun de vous, vous demandant de rester toujours unis en Jésus-Christ, afin qu'ensemble nous puissions « manifester au monde notre unité : en annonçant le mystère du Christ, en révélant la dimension divine et en même temps humaine de la Rédemption, en luttant avec une inlassable persévérance pour la dignité que tout homme a acquise ou peut acquérir continuellement dans le Christ » (Redemptor Hominis, RH 11). Puisse cette cathédrale consacrée à la Sainte Croix nous rappeler la grandeur de notre vocation, car, de par te mystère de l'Incarnation et te sacrifiée rédempteur de Jésus sur la croix, nous partageons « les incommensurables richesses du Christ » (Ep 3,8).



De cette cathédrale, j'envoie un salut à toute la population de Boston : particulièrement à ceux qui, peu importe la raison, sont aux prises avec là souffrance ; aux malades, aux convalescents, aux bannis de la société, à ceux qui ont perdu leur foi en Dieu et dans les hommes. J'apporte à tous un message d'espérance et de paix — l'espérance et la paix du Christ Jésus. Pour lui, tout être humain a une valeur et une dignité immenses et eh lui se trouvent tous les trésors de la justice et de l'amour.



Dans cette ville de Boston, je salue une communauté qui, au milieu des vicissitudes de l'histoire, est toujours parvenue à changer tout en demeurant fidèle à elle-même — une communauté où des hommes de milieux divers, de convictions religieuses différentes, de races et de cultures variées, ont su trouver de justes solutions à leurs problèmes et créer une famille où la dignité humaine de chacun est respectée. En honneur des citoyens de Boston qui ont hérité d'une tradition d'amour et de sollicitude fraternelle, je voudrais rappeler les paroles d'un des fondateurs de cette ville. Durant la navigation vers l'Amérique qui allait être leur nouvelle patrie, il dit à ses compagnons : « Nous devons nous aimer ardemment d'un coeur pur ; nous devons porter le fardeau les uns des autres ». Ces paroles si simples donnent une profonde signification à notre vie : notre vie de frères en Jésus-Christ.



Que la paix de Dieu descende sur cette ville de Boston et apporte de la joie à toute conscience, de la joie à chaque coeur !






1er octobre 1979



HOMELIE A « BOSTON COMMON »



C'est au parc de « Boston Common » que Jean Paul II a célébré sa première concélébration eucharistique. Au cours de cette cérémonie, le pape a prononcé l'homélie dont voici la traduction.



Chers frères et soeurs, Chère jeunesse d'Amérique,



1. Aujourd'hui, j'ai débarqué, il y a peu, sur le sol des États-Unis d'Amérique. Au nom du Christ je commence une tournée pastorale qui me conduira dans quelques-unes de vos villes. Au début de l'année, j'ai eu l'occasion de saluer ce Continent et sa population de l'endroit où Christophe Colomb a pris terre : aujourd'hui, je me trouve sur le seuil des États-Unis et je salue de nouveau toutes les populations d'Amérique. Car celles-ci, où qu'elles soient, occupent une place de choix dans l'amour du pape.



Je viens aux États-Unis, comme successeur de Pierre et comme pèlerin de la foi. Je suis très heureux de pouvoir faire cette visite. Et ainsi, mon estime et mon affection vont à tous les habitants de ce pays. Je salue tous les Américains, sans distinction : je voudrais vous rencontrer tous et vous dire à tous — hommes et femmes de tout credo et de toute origine ethnique, enfants et jeunes gens, pères et mères, malades et personnes âgées — vous dire que Dieu vous aime, qu'en tant qu'êtres humains, il vous a conféré une dignité incomparable. Je désire dire à chacun de vous que le pape est votre ami, qu'il est le serviteur de votre humanité. En ce premier jour de visite, je désire exprimer mon estime et mon amour pour l'Amérique elle-même; pour l'expérience qui a commencé il y a deux siècles et porte le nom d' « États-Unis d'Amérique » ; pour les réalisations passées de cette terre et pour ses efforts en vue d'un avenir plus juste et plus humain ; pour la générosité avec laquelle cette terre a offert asile, liberté et possibilités d'amélioration à tous ceux qui ont débarqué sur ses rivages ; et pour la solidarité humaine qui vous pousse à collaborer avec toutes les autres nations pour sauvegarder là liberté et pour rendre possible le progrès humain. Je te salue, Amérique la belle !



2. Je suis ici parce que j'ai voulu répondre à l'invitation que le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies m'a, le premier, adressée. Demain, j'aurai l'honneur, comme hôte des Nations unies, de me rendre à ce suprême forum international des nations et d'adresser un discours à l'Assemblée générale : une invitation au monde en faveur de la justice et de la paix, un appel pour la défense de la dignité unique de tout être humain. Je me sens grandement honoré par l'invitation du secrétaire général des Nations unies. En même temps, j'ai conscience de la grandeur et de l'importance du défi qu'une telle invitation apporte avec elle. Dès le premier moment j'ai été persuadé que cette invitation des Nations unies, je l'accepterais en tant qu'évêque de Rome et pasteur de l'Église universelle du Christ. Et ainsi, j'exprime également ma profonde reconnaissance à la Hiérarchie de l'Église catholique aux États-Unis qui s'est associée à l'initiative des Nations unies. J'ai reçu de nombreuses invitations de divers diocèses et de différentes régions de ce pays et même du Canada. Je regrette vivement de ne pouvoir accepter toutes ces invitations. Je ferais volontiers partout une visite pastorale, si cela m'était possible. Mon pèlerinage en Irlande à l'occasion du centenaire du sanctuaire Notre-Dame à Knock a été une convenable introduction à ma visite chez vous. J'espère sincèrement que toute ma visite aux États-Unis d'Amérique sera vue à la lumière de la constitution conciliaire sur « l'Église dans le monde d'aujourd'hui ».



Et ce soir, je suis profondément heureux de me trouver avec vous au « Boston Common ». En vous, je salue la ville de Boston et toute sa population, ainsi que l'État du Massachusetts et toutes les autorités civiles. Je salue ici, de manière particulièrement chaleureuse, le cardinal Medeiros et tout l’archidiocèse de Boston. Un souvenir personnel me lie à cette ville où, il y a trois ans, invité par la faculté de Théologie, j'ai eu l'occasion de donner une conférence à l'université de Harvard. En me rappelant cet événement mémorable, j'éprouve le désir de remercier encore une fois les autorités de Harvard et le doyen de la faculté de Théologie pour cette exceptionnelle et précieuse occasion.



3. Durant ma première visite aux États-Unis comme pape, je désire, maintenant, à la veille de ma visite à l'Organisation des Nations Unies, adresser quelques mots particuliers aux jeunes ici réunis.



Ce soir — et d'une manière toute spéciale — je tends la main à la jeunesse d'Amérique. A Mexico et à Guadalajara, j'ai rencontré la jeunesse d'Amérique latine. A Varsovie et à Cracovie, j'ai rencontré la jeunesse polonaise. A Rome, je rencontre fréquemment des groupes de jeunes d'Italie et de tous les autres pays du monde. Hier à Galway, j'ai rencontré la jeunesse irlandaise. Et maintenant, à ma grande joie, c'est vous que je rencontre. Pour moi, chacune de ces rencontres constitue une découverte nouvelle. Chaque fois je redécouvre chez les jeunes la joie et l'enthousiasme de la vie, la recherche de la vérité et d'un sens plus profond à la vie qui s'ouvre devant eux, avec tout son attrait et tout son potentiel.



4. Ce soir, je veux vous répéter ce que je dis habituellement aux jeunes : « vous êtes l'avenir du monde » et « demain vous appartient ». Je souhaite vous rappeler les rencontres que Jésus lui-même eut avec les jeunes de son temps. Les Évangiles nous ont conservé l'intéressant compte rendu d'un entretien que Jésus eut avec un jeune. Nous apprenons ainsi qu'un jeune homme posa au Christ une des questions fondamentales que la jeunesse pose partout : « Que dois-je faire ? » (Mc 10,17), et qu'il reçut une réponse précise et pénétrante : « ... Alors Jésus le regarda avec amour et lui dit : Viens et suis-moi » (Mc 10,21). Mais voyez ce qui arriva : le jeune homme qui avait montré tant d'intérêt pour le problème fondamental, « à ces mots, s'en alla contristé, car il avait de grands biens » (Mc 10,22). Oui, oui, il s'éloigna et — comme on peut le déduire du contexte — il refusa d'accepter l'appel de Jésus.



Dans sa concise éloquence, cet événement profondément pénétrant exprime en peu de mots une grande leçon : il touche des problèmes substantiels et des questions de fond qui n'ont rien perdu de leur importance. Partout les jeunes se posent, des questions importantes : des questions sur le sens de la vie, sur la juste manière de vivre, sur la véritable échelle des valeurs : « Que dois-je faire ? Que dois-je faire pour avoir en partage la vie éternelle ? » Ces interrogations témoignent de vos pensées, de vos consciences, de vos coeurs et de vos volontés. Elles disent au monde que vous, les jeunes, vous avez en vous une faculté spéciale d'ouverture à tout ce qui est bon et vrai. En un certain sens, cette ouverture constitue une « révélation de l'esprit humain ». Et dans cette ouverture à la vérité, à la bonté et à la beauté, vous pouvez, chacun de vous, vous retrouver vous-mêmes. Aussi pouvez-vous, dans cette ouverture, faire en quelque sorte la même expérience que le jeune homme de l'Évangile : « Jésus le regarda avec amour» (Mc 10,21).



5. C'est pourquoi, je dis à chacun de vous : accueillez l'appel du Christ quand vous l'entendez dire : « Suis-moi ! » Viens sur mes pas ! Reste à mes côtés ! Demeure en mon amour ! C'est un choix qu'il faut faire : un choix pour le Christ, pour sa manière de vivre, pour son commandement de l'amour.



Le message d'amour apporté par le Christ est toujours important, toujours intéressant. Il n'est pas difficile de constater que malgré sa beauté et sa grandeur, malgré les conquêtes de la science et de la technologie, malgré les biens raffinés qu'il offre en abondance, le monde d'aujourd'hui est à la recherche de plus de vérité, de plus d'amour, de plus de joie. Et tout cela, on le trouve dans le Christ et dans son modèle d'existence.



Et alors, est-ce que je me trompe quand je vous dis, jeunes catholiques, que parmi vos tâches dans le monde et dans l'Église figure le devoir de révéler le vrai sens de la vie là où la haine, la négligence et l’égoïsme menacent de bouleverser le monde ? Confrontés avec ces problèmes et ces déceptions, nombreux sont ceux qui tenteront d'échapper à leurs propres responsabilités : évasion dans l'égoïsme, évasion dans les plaisirs sexuels, évasion dans les drogues, évasion dans la violence, évasion dans l'indifférence et dans les attitudes cyniques. Mais aujourd'hui, je vous propose l'option de l'amour, qui est le contraire de l'évasion. Si vous l'acceptez réellement, cet amour qui vient du Christ vous conduira à Dieu. Peut-être dans le sacerdoce ou dans la vie religieuse ; peut-être dans quelque service spécial à rendre à vos frères et à vos : soeurs, en particulier, aux nécessiteux, aux pauvres, à ceux qui sont seuls, aux marginaux, à ceux dont les droits ont été piétines, à ceux qui n'ont pas vu satisfaire leurs besoins fondamentaux. Quoi que vous fassiez dans la vie, faites que ce soit un reflet de l'amour du Christ. Le peuple de Dieu tout entier se trouvera enrichi par vos diverses activités. En tout ce que vous ferez, rappelez-vous que le Christ vous appelle, de l'une ou l'autre manière, au service de l'amour : l'amour de Dieu et l'amour du prochain.



6. Et maintenant, revenant à l'histoire du jeune homme de l'Évangile, nous constatons qu'il a entendu l'appel : « Suis-moi ! » mais qu'il s'en alla tristement parce qu'il avait beaucoup de biens.



La tristesse de ce jeune nous fait réfléchir. On pourrait être tenté de croire que posséder beaucoup de choses, beaucoup de biens de ce monde, peut rendre heureux. Nous voyons par contre, dans le cas du jeune homme de l'Évangile, que la grande richesse fait obstacle à l'acceptation de l'invitation de Jésus à le suivre. Il n'était pas prêt à répondre « oui » à Jésus et « non » à l'évasion.



Le véritable amour est exigeant. Je manquerais à ma mission si je ne vous le disais pas clairement. Parce que c'est Jésus — notre Jésus lui-même — qui a dit : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande » (Jn 15,14). L'amour requiert un effort et un attachement personnel à la volonté de Dieu. Cela signifie discipline et sacrifices, mais cela veut dire également joie et accomplissement humain ?



Chers jeunes gens : ne craignez pas l'effort honnête, le travail honnête ; n'ayez pas peur de la vérité ! Avec l'aide du Christ et le concours de la prière vous pouvez répondre à son appel en résistant aux tentations et aux engouements fugaces et à toute forme de manipulation des masses. Ouvrez votre coeur au Christ de l'Évangile — à son amour, à sa vérité et à sa joie. Ne vous en allez pas pleins de tristesse.



Et, comme dernière parole pour vous tous qui m'écoutez ce soir, je voudrais vous dire ceci : la raison de ma mission, de mon voyage à traversées États-Unis est de vous dire à chacun — aux jeunes et aux moins jeunes — de dire à chacun au nom du Christ : « Viens et suis-moi ! »



Suivez le Christ ! Vous qui êtes mariés ; échangez l'un avec l'autre votre amour et vos fardeaux ; respectez la dignité humaine de votre conjoint ; acceptez joyeusement la vie que Dieu a donnée grâce à vous ; rendez votre mariage stable et sûr pour le bien de vos enfants !



Suivez le Christ ! Vous qui vous préparez au mariage. Suivez le Christ ! Vous qui êtes âgés ou jeunes. Suivez le Christ ! Vous qui êtes malades ou vieux ; vous qui souffrez ou êtes dans l'affliction ; vous qui éprouvez le besoin de soins, le besoin d'amour, le besoin d'amitié — suivez le Christ!



Au nom du Christ, je vous adresse à tous l'appel, l'invitation, la prière : « Viens et suis-moi !» Voilà pourquoi je me trouve à Boston, ce soir : pour vous appeler au Christ — pour vous appeler tous et pour appeler chacun de vous à vivre dans son amour, aujourd'hui et toujours. Amen !

2 octobre 1979



A NEW YORK : VERS L'O-N.U.



Le Saint-Père a été reçu à l'aéroport de New York par les plus hautes autorités de l'État et de la ville ainsi que par le secrétaire général des Nations unies Kurt Waldheim qui lui a souhaité la bienvenue.



Monsieur le Secrétaire général, Mesdames et Messieurs,



Je réponds avec une vive gratitude aux salutations du secrétaire général des Nations unies. J'envisage ce moment depuis le jour où, dès le début de mon pontificat, il m'a invité à prendre la parole devant la XXXIV° Assemblée générale. Votre aimable initiative qui m'honore grandement était donc à la base du voyage qui m'a d'abord conduit en Irlande et que je vais poursuivre aux États-Unis d'Amérique.



Votre Organisation a une importance toute spéciale pour le monde entier, car viennent s'y concentrer les besoins et les aspirations de tous les peuples de la planète. Ce suprême forum international qu'il constitue groupe les efforts et la détermination de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté qui tiennent à faire honneur à l'engagement pris il y a trente-quatre ans par les fondateurs des Nations unies et qu'ils ont inscrit dans le premier article de la Charte ; travailler ensemble pour harmoniser l'action des Nations dans la poursuite de la paix et de la sécurité internationales, pour développer les relations amicales entre les nations, pour réaliser la coopération internationale et pour promouvoir le respect des droits humains et des libertés fondamentales en faveur de tous, sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion.



Précisément le lendemain de l'inauguration solennelle de mon ministère de pasteur suprême de l'Église catholique, m'adressant aux représentants des États et des Organisations internationales, je saisis l'occasion à l'égard du rôle important des Organisations internationales, des Nations unies plus particulièrement. Ici, je désire déclarer encore une fois quelle grande valeur j'attribue à votre institution. C'est pour cette raison que j'ai déclaré en cette autre occasion : « Vous êtes les premiers à être convaincus qu'il ne saurait y avoir de véritable progrès humain ou de paix durable sans la poursuite courageuse, loyale et désintéressée de coopération et d'unité croissantes entre les peuples » (23 octobre 1978).



Oui, la conviction qui nous unit dans ce service commun en faveur de l'humanité est que tout effort doit avoir pour fondement « la valeur et la dignité de la personne humaine ». Et, pareillement, c'est la personne humaine — chaque individu — qui doit faire en sorte que les objectifs de votre Organisation se réalisent concrètement en relations d'amitié, en tolérance, en paix et en harmonie pour tous. Si les décisions et résolutions peuvent être adoptées par les représentants des nations, c'est aux hommes qu'incombé leur véritable mise en pratique.



En vous, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames et Messieurs, je salue, en commençant ma visite aux Nations unies, tous les hommes, femmes et enfants des pays représentés aux Nations unies. Puissent les espérances qu'ils fondent sur nos efforts et sur la solidarité qui nous unissent ne jamais être déçues. Puissent-ils, grâce aux réalisations des Nations unies, faire l'expérience du fait qu'il n'y a qu'un seul monde et que ce monde est la maison de tous les hommes.



Je vous remercie. Et que Dieu daigne vous soutenir dans vos sublimes idéaux.






2 octobre 1979



JEAN PAUL II A L'O.N.U.



Après avoir gagné le palais des Nations unies, le Saint-Père s'est rendu dans la grande salle où il a prononcé l'important discours ci-dessous aux représentants des nations :



Monsieur le Président,



1. Je désire exprimer ma gratitude à l'illustre Assemblée générale des Nations Unies à laquelle il m'est permis de participer aujourd'hui et d'adresser la parole. Ma reconnaissance va en premier lieu à M. le Secrétaire général de l'ONU, M. Kurt Waldheim, qui, dès l'automne dernier — peu après mon élection à la chaire de saint Pierre — m'invita à effectuer cette visite, puis renouvela cette invitation en mai dernier lors de notre rencontre à Rome. Dès le début, j'en ai été très honoré et je lui en suis profondément obligé. Et aujourd'hui, devant une si noble Assemblée, je désire vous remercier, Monsieur le Président, de m'avoir si aimablement accueilli et donné la parole.

Le Saint-Siège et l'ONU



2. Le motif profond de mon intervention aujourd'hui est, sans aucun doute, le lien particulier de coopération qui unit le Siège apostolique à l'Organisation des Nations Unies, comme l'atteste la présence d'un Observateur permanent du Saint-Siège auprès de cette Organisation. Ce lien que le Saint-Siège tient en grande considération, trouve sa raison d'être dans la souveraineté dont le Siège apostolique est revêtu depuis nombre de siècles. Cette souveraineté est limitée, quant à l'étendue territoriale, au petit État de la Cité du Vatican mais elle est motivée par une exigence attachée à la Papauté, qui doit exercer sa mission en toute liberté et qui, en ce qui concerne ses éventuels interlocuteurs, Gouvernements ou Organismes internationaux, doit traiter avec chacun d'eux indépendamment d'autres souverainetés. Bien sûr, la nature et les fins de la mission spirituelle propre au Siège apostolique et à l'Église sont telles que leur participation aux tâches et aux activités de l'ONU est profondément différente de celle des États en tant que communautés au sens politique et temporel.

Les papes et l'ONU





3. Le Siège apostolique fait grand cas de sa collaboration avec l'ONU. De plus, depuis la naissance de l'Organisation, il a toujours exprimé son estime, en même temps que son accord, pour la signification historique de cette instance suprême de la vie internationale de l'humanité contemporaine. Il ne cesse pas non plus d'appuyer ses Fonctions et ses initiatives qui ont pour but une pacifique vie en société et la collaboration entre les nations. Nous en avons de nombreuses preuves. Depuis plus de trente ans que l'ONU existe, messages pontificaux et encycliques, documents de l'épiscopat catholique, et jusqu'au Concile Vatican II lui-même lui ont prêté une grande attention. Les papes Jean XXIII et Paul VI regardaient avec confiance vers cette importante institution, qu'ils considéraient comme un signe éloquent et prometteur de notre temps. Et celui qui vous parle actuellement a exprimé aussi à plus d'une reprise, dès les premiers mois de son pontificat, la même foi et la même conviction que celles que nourrissaient ses prédécesseurs.

Unir nations et États





4. Cette confiance et cette conviction du Siège apostolique, comme je le disais, proviennent, non pas de raisons purement politiques, mais de la nature religieuse et morale de la mission de l'Église catholique romaine. Celle-ci, en tant que communauté universelle regroupant des fidèles appartenant à presque tous les pays et continents, nations, peuples, races, langues et cultures, s'intéresse profondément à l'existence et à l'activité de l'Organisation qui — comme on peut le déduire de son nom — unit et associe nations et États. Elle unit et associe, et non pas divise et oppose : elle recherche les voies de t'entente et de la collaboration pacifique, essayant, avec les moyens à sa disposition et les méthodes possibles, d'exclure la guerre, la division, ta destruction réciproque au sein de cette grande famille qu'est l'humanité contemporaine.

Respecter la dimension morale et religieuse de l'homme





5. Tel est le vrai motif, le motif essentiel de ma présence parmi vous ; et je voudrais dire à votre si noble Assemblée combien je lui sais gré d'avoir pris en considération ce motif qui peut rendre utile, d'une certaine façon, ma présence parmi vous. Le fait que parmi les représentants des États, dont la raison d'être est la souveraineté des pouvoirs liés à un territoire et à une population, se trouve également aujourd'hui le représentant du Siège apostolique et de l'Église catholique revêt évidemment une signification importante. Cette Église est celle de Jésus-Christ qui, devant le tribunal du juge romain Pilate, a déclaré être roi, mais d'un royaume qui n'est pas de ce monde (cf. Jn Jn 18,36-37). Interrogé ensuite sur la raison d'être de son royaume parmi les hommes, il expliqua : « Je ne suis né, je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). Me trouvant donc devant les représentants des États, je désire non seulement remercier, mais aussi vous féliciter d'une manière particulière, car l'invitation à donner la parole au pape dans votre Assemblée démontre que l'Organisation des Nations Unies accepte et respectera dimension religieuse et morale des problèmes humains dont l'Église s'occupe en vertu du message de vérité et d'amour qu'elle doit apporter au monde. Il est certain que, pour les questions qui sont l'objet de votre tâche et de votre sollicitude — comme en témoigne l'ensemble extrêmement vaste et structuré d'institutions et d'activités dirigées par l’ONU ou qui collaborent avec elle, particulièrement dans les domaines de la culture, de la santé, de l'alimentation, du travail, de l'emploi pacifique de l'énergie nucléaire —, il est essentiel que nous nous rencontrions ou nom de l'homme pris dans son intégralité, dans la plénitude et la richesse multiforme de son existence spirituelle et matérielle, comme je l'ai dit dans l'encyclique Redemptor hominis, la première de mon pontificat.

Le service de l'homme





6. En cet instant, profitant de l'occasion solennelle d'une rencontre avec les représentants des nations du globe, je voudrais surtout saluer tous les hommes et les femmes qui vivent sur notre terre. Tout homme, toute femme, sans aucune exception. En effet, tout être humain qui habite notre planète est membre d'une société civile, d'une nation, dont beaucoup sont représentées ici. Chacun de vous, Mesdames et Messieurs, est le représentant d'un État, d'un système et d'une structure politique, mais il est surtout le représentant d'unités humaines déterminées ; vous êtes tous les représentants des hommes, pratiquement d'à peu près tous les hommes du globe : d'hommes concrets, de communautés et de peuples qui vivent la phase actuelle de leur histoire et qui, en même temps, sont insérés dans l'histoire de toute l'humanité, avec leur subjectivité et leur dignité de personnes humaines, avec une culture propre, avec leurs expériences et leurs aspirations, leurs tensions et leurs, souffrances, et avec leurs attentes légitimes. C'est dans ce rapport que trouve son motif toute l'activité politique, nationale et internationale, qui, en dernière analyse, vient « de l'homme », s'exerce « par l'homme » et est « pour l'homme ». Si cette activité prend ses distances par rapport à cette relation et à cette finalité fondamentales, si elle devient, d'une certaine manière, une fin en elle-même, elle perd une grande partie de sa raison d'être. Bien plus, elle peut aller jusqu'à devenir source d'une aliénation spécifique ; elle peut devenir étrangère à l'homme ; elle peut tomber en contradiction avec l'humanité elle-même. En réalité, la raison d'être de toute politique est le service de l'homme, c'est l'adhésion, pleine de sollicitude et de responsabilité, aux problèmes et aux tâches essentiels de son existence terrestre, dans sa dimension et sa portée sociales dont dépend aussi, en même temps, le bien de chaque personne.

La Déclaration universelle des Droits de l'Homme



7. Je m'excuse de parler de questions qui pour vous, Mesdames et Messieurs, sont certainement évidentes. Il ne semble pas inutile, toutefois, d'en parler car ce qui menace le plus souvent les activités humaines, c'est l'éventualité que, en les accomplissant, on puisse perdre de vue les vérités les plus éclatantes, les principes les plus élémentaires.



Permettez-moi de souhaiter que l'Organisation des Nations Unies, en raison de son caractère universel, ne cesse jamais d'être le « forum », la tribune élevée d'où l'on évalue, dans la vérité et dans la justice, tous les problèmes de l'homme. C'est au nom de cette inspiration, c'est à la suite de cette impulsion historique que fut signée le 26 juin 1945, vers la fin de la terrible deuxième guerre mondiale, la Charte des Nations Unies, et que prit naissance, le 24 octobre suivant, votre Organisation. Peu après parut son document fondamental, à savoir la Déclaration universelle des droits de l'homme (10 décembre 1948), de l'homme en tant qu'individu concret et de l'homme dans sa valeur universelle. Ce document est une pierre miliaire placée sur la route longue et difficile du genre humain. Il faut mesurer le progrès de l'humanité non seulement par le progrès de la science et de la technique — qui fait ressortir toute la singularité de l'homme par rapport à la nature — mais en même temps et plus encore par le primat des valeurs spirituelles et par le progrès de la vie morale. C'est proprement en ce domaine que se manifestent la pleine maîtrise de la raison, à travers la vérité, dans les comportements de la personne et de la société, et aussi la domination sur la nature ; et c'est là que triomphe en silence la conscience humaine, selon l'adage antique : Cenus humanum arte et ratione vivit.



Alors que la technique, par son progrès unilatéral, se tournait vers des fins belliqueuses d'hégémonie et de conquêtes, poussant l'homme à tuer l'homme et la nation à détruire une autre nation, la privant de la liberté et du droit d'exister — et j'ai toujours présente à l'esprit l'image de la deuxième guerre mondiale en Europe, commencée il y a quarante ans, le l° septembre 1939, par l'invasion de la Pologne, et terminée le 9 mai 1945 — c'est justement alors qu'est née l'Organisation des Nations Unies. Et trois ans plus tard a paru le document qui, comme je l'ai dit, doit être considéré comme une véritable pierre miliaire sur le chemin du progrès moral de l'humanité : la Déclaration universelle des droits de l'homme. Gouvernements et États du monde entier ont compris que, s'ils ne veulent pas s'attaquer et se détruire réciproquement, ils doivent s'unir. Le chemin réel, le chemin fondamental qui y conduit passe par chacun des hommes, par la définition, la reconnaissance et le respect des droits inaliénables des personnes et des communautés des peuples.

Plus jamais de camps de concentration !





8. Aujourd'hui, quarante ans après le début de la seconde guerre mondiale, je voudrais me référer à l'ensemble des expériences humaines et nationales vécues par une génération qui est encore en grande partie vivante. Il y a peu de temps, j'ai eu l'occasion de réfléchir à nouveau sur quelques-unes de ces expériences dans l'un des lieux les plus douloureux et les plus débordants de mépris pour l'homme et pour ses droits fondamentaux : le camp d'extermination d'Auschwitz que j'ai visité au cours de mon pèlerinage en Pologne en juin dernier. Ce lieu tristement célèbre n'est malheureusement que l'un de tant de lieux semblables dispersés sur le continent européen. Mais le souvenir d'un seul devrait constituer un signal avertisseur sur les chemins de l'humanité contemporaine afin qu'une fois pour toutes elle fasse disparaître toute forme de camp de concentration partout sur la terre. Et de la vie des nations et des États devrait aussi disparaître pour toujours tout ce qui a un rapport avec ces horribles expériences, c'est-à-dire tout ce qui les prolonge, même sous des formes différentes: toute forme de torture ou d'oppression, physique ou morale, pratiquée par quelque système que ce soit et où que ce soit ; ce phénomène est encore plus douloureux lorsqu'il a lieu sous le prétexte de la « sécurité » intérieure ou de la nécessité de conserver une paix apparente.

Droits de l'homme et « intérêt politique »





9. Les personnalités présentes me pardonneront d'évoquer un tel souvenir, mais je ne serais pas fidèle à l'histoire de notre siècle, je ne serais pas honnête en face de cette grande cause de l'homme que nous désirons tous servir, si je me taisais, alors que je viens de ce pays sur le corps vivant duquel Auschwitz a été construit autrefois. Je l'évoque cependant, Mesdames et Messieurs, avant tout pour montrer de quelles douloureuses expériences et de quelles souffrances de millions de personnes est issue la Déclaration universelle des droits de l'homme qui a été mise comme inspiration fondamentale, comme pierre angulaire, de l'Organisation des Nations Unies. Le prix de cette Déclaration, des millions de nos frères et de nos soeurs l'ont payé de leurs souffrances et de leur sacrifice, provoqués par l'abrutissement qui avait rendu aveugle et sourde la conscience humaine de leurs oppresseurs et des artisans d'un vrai génocide. Ce prix ne peut pas avoir été payé en vain ! La Déclaration universelle des droits de l'homme — avec tout son accompagnement des nombreuses Déclarations et Conventions sur les points les plus importants des droits humains en faveur de l'enfance, de la femme, de l'égalité entre les races, et en particulier les deux Pactes internationaux sur les droits économiques, sociaux et culturels, et sur les droits civils et politiques — doit rester pour l'Organisation des Nations Unies la valeur fondamentale à laquelle la conscience de ses membres est confrontée et dont elle tire son inspiration constante. Si on en venait à oublier ou à négliger les vérités et les principes contenus dans ce document, en perdant l'évidence originelle dont ils resplendissaient au moment de sa naissance douloureuse, alors la noble finalité de l'Organisation des Nations Unies, c'est-à-dire la vie en commun des hommes et des nations, pourrait se trouver de nouveau face à la menace d'une nouvelle ruine. Cela se produirait si l'éloquence à la fois simple et forte de la Déclaration universelle des droits de l'homme devait céder la place à un intérêt que l'on dit injustement « politique » mais qui bien souvent signifie seulement gain et profit unilatéral aux dépens d'autrui, ou encore volonté de puissance qui ne tient pas compte des exigences des autres, toutes choses donc qui sont, par nature, contraires à l'esprit de la Déclaration. « L'intérêt politique » ainsi compris, pardonnez-moi, Messieurs, de le dire, déshonore la noble et difficile mission qui caractérise votre service du bien de vos nations et de toute l'humanité.

Éduquer l'homme à la paix : « Plus jamais la guerre ! »




10. Il y a quatorze ans, mon grand prédécesseur le pape Paul VI parlait à cette tribune. Il a prononcé alors des paroles mémorables que je désire répéter aujourd'hui : « Jamais plus la guerre, jamais plus ta guerre ! ». « Jamais plus les uns contre les autres » et même « pas l'un au-dessus de l'autre », mais toujours, en toute occasion, « les uns avec les autres ».



Paul VI a été un serviteur inlassable de la cause de la paix. Moi aussi, je désire le suivre de toutes mes forces et continuer ce service. L'Église catholique, en tous les lieux de la terre, proclame un message de paix, elle prie pour la paix, elle éduque l'homme à la paix. Les représentants et les fidèles d'autres Églises et Communautés, et d'autres religions dans le monde, partagent aussi ce but et s'engagent à son service. Ce travail, uni aux efforts de tous les hommes de bonne volonté, porte évidemment des fruits. Cependant, nous sommes toujours inquiétés par les conflits armés qui éclatent de temps à autre. Comme je remercie le Seigneur lorsqu'on réussit, par une intervention directe, à en conjurer un, comme par exemple la tension qui menaçait l'an dernier l'Argentine et le Chili ! Comme je souhaite que l'on puisse aussi arriver à une solution dans la crise du Moyen-Orient ! Je suis prêt à apprécier à sa juste valeur toute démarche ou tentative concrète réalisée pour résoudre le conflit, mais je rappelle qu'elle n'aurait de valeur que si elle représentait vraiment la « première pierre » d'une paix générale et globale dans la région. Une paix qui, ne pouvant pas ne pas être fondée sur la juste reconnaissance des droits de tous, ne peut pas non plus ne pas inclure la considération et la juste solution du problème palestinien. A ce dernier est lié aussi celui de la tranquillité, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale du Liban selon la formule qui en a fait un exemple de coexistence pacifique et mutuellement fructueuse de communautés distinctes : je souhaite que, dans l'intérêt commun, une telle formule soit maintenue, avec bien sûr les adaptations requises par les développements de la situation. Je souhaite en outre un statut spécial, doté de garanties internationales comme l'avait déjà indiqué mon prédécesseur le pape Paul VI, capable d'assurer le respect de la nature particulière de Jérusalem, patrimoine sacré vénéré par des millions de croyants des trois grandes religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam.

La menace de nouveaux armements





Nous ne sommes pas moins troublés par les informations sur le développement des armements qui surpassent tous les moyens de lutte et de destruction que nous ayons jamais connus. Là encore, nous encourageons les décisions et les accords qui visent à en freiner la course. Toutefois, les menaces de destruction, le risque qui se fait jour même quand on accepte certaines informations « tranquillisantes », pèsent lourdement sur la vie de l'humanité contemporaine. La résistance aux propositions concrètes et effectives de désarmement réel — comme celles que cette Assemblée a demandées l'année dernière au cours d'une session spéciale — témoigne que, à côté de la volonté de paix affirmée par tous et désirée par la plupart, coexistent son contraire et sa négation, peut-être cachés, peut-être hypothétiques, mais réels. Les préparatifs de guerre continuels que manifeste en divers pays la production d'armes toujours plus nombreuses, plus puissantes et plus sophistiquées, montrent qu'on veut être prêt à la guerre, et être prêt veut dire être en mesure de la provoquer. Cela veut dire aussi courir le risque que, à tout moment, en tout lieu, de toute manière, quelqu'un puisse mettre en mouvement le terrible mécanisme de destruction générale.

Les racines de la guerre et de la haine





11. Un effort continu et encore plus énergique, tendant à liquider même les possibilités de provocation à ta guerre, est donc nécessaire, de façon à rendre impossibles ces cataclysmes, en agissant sur les Comportements, sur les convictions, sur les intentions et les aspirations des gouvernements et des peuples. Ce devoir, dont l'Organisation des Nations Unies et chacune de ses Institutions ont toujours conscience, ne peut pas ne pas être celui de toute société, de tout régime, de tout gouvernement. Toute initiative qui vise à la coopération internationale pour promouvoir le « développement» contribue sans aucun doute à remplir ce devoir. Comme le disait Paul VI dans la conclusion de son encyclique Populorum progressio : « Si le développement est le nouveau nom de la paix, qui ne voudrait y oeuvrer de toutes ses forces ? » Au service de cette tâche toutefois, il faut mettre aussi constamment une réflexion et une activité visant à découvrir les racines mêmes de la haine, te la destruction, du mépris, de tout ce qui fait naître la tentation de la guerre, non pas tant dans le coeur des nations que dans la détermination intérieure des systèmes qui sont responsables de l'histoire de sociétés entières. Dans ce travail de titan — véritable travail de construction de l'avenir pacifique de notre planète —, l'Organisation des Nations Unies a indubitablement une tâche-clé et un rôle directeur pour lesquels elle ne peut pas ne pas se reporter aux justes idéaux contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cette Déclaration en effet a atteint réellement les racines multiples et profondes de la guerre parce que l'esprit de guerre, dans sa signification première et fondamentale, surgit et mûrit là où les droits inaliénables de l'homme sont violés.



Il y a là une vision nouvelle, profondément actuelle, plus profonde et plus radicale, de la cause de la paix. C'est une vision qui perçoit, la genèse de la guerre et, en un certain sens, sa substance dans les formes les plus complexes qui dérivent de l'injustice, considérée sous ses aspects les plus variés : cette injustice commence par porter atteinte aux droits de l'homme, rompant ainsi le caractère organique de l'ordre social, et se répercute ensuite sur tout le système des rapports internationaux. L'encyclique Pacem in terris de Jean XXIII synthétise, dans la pensée de l'Église, le jugement le plus proche des fondements idéologiques de l'Organisation des Nations Unies. Il faut, en conséquence, se fonder sur lui et s'y tenir, avec persévérance et loyauté, pour établir ainsi la vraie « paix sur la terre ».

L'éminente dignité de l'homme : valeurs matérielles et spirituelles





12. En appliquant ce critère, nous devons examiner avec soin quelles sont les tensions principales liées aux droits inaliénables de l’homme qui peuvent faire vaciller la construction de cette paix que tous désirent ardemment et qui est aussi le but essentiel des efforts de l'Organisation des Nations Unies. Ce n'est pas facile, mais c'est indispensable. En entreprenant cette oeuvre, chacun doit se situer dans une position complètement objective, se laisser guider par la sincérité, par la disponibilité à reconnaître ses propres préjugés ou erreurs, et même par la disponibilité à renoncer à des intérêts particuliers, y compris les intérêts politiques. La paix est, en effet, un bien plus grand et plus important que chacun d'eux. En sacrifiant ces intérêts à la cause de la paix, nous les servons d'une manière plus juste. Dans l'« intérêt politique » de qui pourrait-il jamais y avoir une nouvelle guerre ?



Toute analyse doit nécessairement partir des mêmes prémisses : que tout être humain possède une dignité qui, bien que la personne existe toujours dans un contexte social et historique concret, ne pourra jamais être diminuée, blessée ou détruite, mais qui, au contraire, devra être respectée et protégée, si on veut réellement construire la paix.

Les droits inaliénables de l'homme





13. La Déclaration universelle des droits de l'homme et les instruments juridiques tant au niveau international que national, dans un mouvement qu'on ne peut que souhaiter progressif-et continu, cherchent à créer une conscience générale de la dignité de l'homme, et à définir au moins certains des droits inaliénables de l'homme. Qu'il me soit permis d'en énumérer quelques-uns parmi les plus importants qui sont universellement reconnus : le droit à là vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ; le droit à l'alimentation, à l'habillement, au logement, à la santé, au repos et aux loisirs ; le droit à la liberté d'expression, à l'éducation et à la culture ; le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion et le droit à manifester sa religion, individuellement ou en commun, tant en privé qu'en public ; le droit de choisir son état de vie, de fonder une famille et de jouir de toutes les conditions nécessaires à la vie familiale ; le droit à la propriété et au travail, à des conditions équitables de travail et à un juste salaire ; le droit de réunion et d'association ; le droit à la liberté de mouvement et à la migration interne et externe ; le droit à la nationalité et à la résidence ; le droit à la participation politique et le droit de participer au libre choix du système politique du peuple auquel on appartient L'ensemble des droits de l'homme correspond à la substance de la dignité de l'être humain, compris dans son intégralité, et non pas réduit à une seule dimension ; ils se réfèrent à la satisfaction des besoins essentiels de l'homme, à l'exercice de ses libertés, à ses rapports avec les autres personnes ; mais ils se réfèrent toujours et partout à l'homme, à sa pleine dimension humaine.

Primat des valeurs spirituelles





14. L'homme vit en même temps dans le monde des valeurs matérielles et dans celui des valeurs spirituelles. Pour l'homme concret qui vit et qui espère, les besoins, les libertés et les rapports avec les autres ne correspondent jamais seulement à l'une ou à l'autre sphère des valeurs, mais ils appartiennent aux deux sphères. Il est permis de considérer séparément les biens matériels et les biens spirituels pour mieux comprendre qu'ils sont inséparables dans l'homme concret et pour voir comment, par ailleurs, toute menace contre les droits humains, aussi bien dans le cadre des biens matériels que dans celui des biens spirituels, est également dangereuse pour la paix car elle touche toujours l'homme dans son intégralité.



Que mes illustres interlocuteurs me permettent de rappeler une règle constante de l'histoire de l'homme, déjà implicitement contenue dans tout ce qui a été évoqué à propos des droits et du développement intégral de l'homme. Cette règle est fondée sur le rapport entre les valeurs spirituelles et les valeurs matérielles ou économiques. Dans ce rapport, le primat appartient aux valeurs spirituelles par égard pour la nature même de ces valeurs et aussi pour des motifs qui concernent le bien de l'homme. Le primat des valeurs de l'esprit définit la signification des biens terrestres et matériels ainsi que la manière de s'en servir, et se trouve par le fait même à la base de la juste paix. Ce primat des valeurs spirituelles, par ailleurs, contribue à faire que le développement matériel, le développement technique et le développement de la civilisation soient au service de ce qui constitue l'homme, autrement dit qu'ils lui permettent d'accéder pleinement à la vérité, au développement moral, à la possibilité de jouir totalement de ces biens par notre créativité. Oui, il est facile de constater que les biens matériels ont une capacité de satisfaire les besoins de l'homme qui est loin d'être illimitée ; en soi, ils ne peuvent pas être facilement distribués et, dans le rapport entre celui qui les possède ou en jouit et celui qui en est privé, ils provoquent des tensions, des dissensions, des divisions qui peuvent dégénérer souvent en lutte ouverte. Quant aux biens spirituels au contraire, beaucoup peuvent en jouir en même temps, sans limites et sans diminution du bien lui-même. Ajoutons que, plus nombreux sont les hommes qui participent à un tel bien, plus on en jouit et on y puise, et plus ce bien manifeste sa valeur indestructible et immortelle. C'est une réalité qui trouve sa confirmation par exemple dans les oeuvres de la créativité, c'est-à-dire de la pensée, de la poésie, de la musique, des arts figuratifs, qui sont autant de fruits de l'esprit de l'homme.

Restaurer la dimension spirituelle





15. Une analyse critique de notre civilisation met en évidence le fait que, depuis un siècle surtout, celle-ci a contribué plus que jamais au développement des biens matériels, mais qu'elle a aussi engendré, en théorie et plus encore en pratique, une série de comportements dans lesquels, dans une mesure plus ou moins considérable, la sensibilité pour la dimension spirituelle de l'existence humaine a subi une diminution à cause de certaines prémisses qui ont ramené le sens de la vie humaine de façon prévalente aux multiples conditionnements matériels et économiques, c'est-à-dire aux exigences de la production, du marché, de la consommation, des accumulations de richesses, ou de la bureaucratisation selon laquelle on essaie d'organiser les processus correspondants. Cela ne vient-il pas de ce qu'oïl a subordonné l'homme à une seule conception et à une seule sphère de valeurs ?

Sauver les générations futures du fléau de la guerre





16. Quel lien peuvent avoir ces considérations avec la cause de la paix et de la guerre ? Étant donné que, comme nous l'avons déjà dit précédemment, les biens matériels, de par leur nature, sont à l'origine de conditionnements et de divisions, la lutte pour les conquérir devient inévitable dans l'histoire de l'homme. En cultivant cette subordination unilatérale des hommes aux seuls biens matériels, nous serons incapables de surmonter cet état de nécessité. Nous pourrons l'atténuer, le conjurer dans des cas particuliers, mais nous ne réussirons pas à l'éliminer de façon systématique et radicale si nous ne mettons pas plus largement en lumière et en honneur, aux yeux de chaque homme, dans le projet de toute société, la seconde dimension des biens : la dimension qui ne divise pas les hommes, mais qui les fait communiquer entre eux, les associe et les unit.



Rappelons-nous le fameux prologue de la Charte dés Nations Unies dans lequel les Peuples des Nations Unies, « décidés à sauver les futures générations du fléau de la guerre », ont réaffirmé solennellement « la foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et dans la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, et des nations grandes et petites » : je considère que ce texte entend mettre en évidence la dimension dont je viens de parler.

Tâche particulière de la chrétienté





On ne peut pas en effet combattre les premières manifestations des guerres d'une façon seulement superficielle, en s'attaquant à leurs symptômes. Il faut le faire d'une façon radicale, en remontant aux causes. Si je me suis permis d'attirer l'attention sur la dimension des biens spirituels, je l'ai fait par souci de la cause de la paix, laquelle se construit par l'union des hommes autour de ce qui est le plus humain, le plus profondément humain, autour de ce qui élève les esprits humains au-dessus du monde qui les entoure, de ce qui décide de leur grandeur indestructible : oui, indestructible, malgré la mort à laquelle chacun sur cette terre est soumis. Je voudrais ajouter que l’Église catholique et, je pense que je peux le dire, toute la chrétienté voient précisément dans ce domaine leur tâche particulière. Le Concile Vatican II a aidé à préciser ce que la foi chrétienne a en commun, dans cette aspiration, avec les diverses religions non chrétiennes. L'Église est donc reconnaissante envers tous ceux qui, à l'égard d'une telle mission, se comportent avec respect et bienveillance, sans s'y opposer ni la rendre difficile. L'analyse de l'histoire de l'homme, en particulier à l'époque actuelle, montre quel important devoir il y a à faire apparaître plus clairement la portée de ces biens auxquels correspond la dimension spirituelle de l'existence humaine. Elle montre à quel point cette tâche importe pour la construction de la paix et quelle gravité revêt toute menace contre les droits de l'homme. Leur violation, même dans les conditions de « paix », est une forme de guerre contre l'homme. Il semble qu'il existe deux principales menaces dans le monde contemporain, qui concernent l'une et l'autre les droits de l'homme, dans le cadre des rapports internationaux et à l’intérieur de chacun des États ou des sociétés.

Injuste distribution des biens matériels





17. Le premier type de menace systématique contre les droits de l'homme est lié, globalement, à la distribution des biens matériels : celle-ci est souvent injuste, aussi bien dans chaque société que sur l'ensemble du globe. On sait que non seulement ces biens sont donnés à l'homme comme richesses de la nature, mais que l'homme en jouit, pour la plus grande partie, comme du fruit de son activité multiple, depuis le travail manuel et physique le plus simple jusqu'aux formes les plus complexes de la production industrielle, jusqu'aux recherches et aux études de spécialisations hautement qualifiées. Bien des formes d'inégalité dans la possession et dans la jouissance des biens matériels s'expliquent souvent par des causes ou des circonstances diverses de nature historique et culturelle. Mais de telles circonstances, même si elles peuvent diminuer la responsabilité morale de nos contemporains, n'empêchent pas que les situations d'inégalité soient marquées au coin de l'injustice et du dommage qu'elles causent à la société.



Il faut donc prendre conscience du fait que les tensions économiques qui existent dans les différents pays, dans les rapports entre les États et même entre des continents entiers, comportent en elles-mêmes des éléments substantiels qui limitent ou violent les droits de l'homme, par exemple l'exploitation dans le domaine du travail et les multiples abus qui affectent la dignité de l'homme. Il s'ensuit que le critère fondamental qui permet d'établir une comparaison entre les systèmes socio-économiques et politiques n'est pas et ne peut être le critère de nature hégémonique ou impérialiste, mais peut et même doit être celui de nature humaniste, c'est-à-dire la véritable capacité de chacun d'eux de réduire, de freiner et d'éliminer au maximum les différentes formes d'exploitation de l'homme et d'assurer à celui-ci, par le travail, non seulement la juste distribution des biens matériels indispensables, mais aussi une participation, qui corresponde à sa dignité, à l'ensemble du processus de production et à la vie sociale elle-même qui se forme autour de ce processus. N'oublions pas que l'homme, même s'il dépend pour vivre des ressources du monde matériel, ne saurait en être l'esclave, mais le maître. Les paroles du livre de la Genèse : « Remplissez la terre, soumettez-la » (Gn 1,28) constituent dans un certain sens une orientation primordiale et essentielle dans le domaine de l'économie et de la politique du travail.

Abîmes entre riches et pauvres





18. Assurément, dans ce domaine, l'humanité entière et chacune des nations ont accompli un progrès considérable depuis un siècle. Cependant, les menaces systématiques et les violations des droits de l'homme ne manquent jamais en ce domaine. Bien souvent subsistent comme facteurs de trouble, d'une part, les terribles disparités entre les hommes et les groupes excessivement riches, et, d'autre part, la majorité numérique des pauvres ou même des miséreux, privés de nourriture, de possibilité de travail et d'instruction, condamnés en grand nombre à la faim et aux maladies. Mais une certaine préoccupation est parfois suscitée aussi par une séparation radicale entre le travail et la propriété, c'est-à-dire par l'indifférence de l'homme face à l'entreprise de production à laquelle il est lié seulement par une obligation de travail sans avoir la conviction de travailler pour un bien qui est sien ou pour lui-même.



On sait bien que l'abîme entre la minorité de ceux qui sont abusivement riches et la multitude de ceux qui sont dans la misère est un symptôme assurément grave dans la vie de toute société. Il faut redire la même chose, et avec plus d'insistance encore, à propos de l'abîme qui sépare chacun des pays et chacune des régions du globe terrestre. Cette grave disparité, qui oppose des zones de satiété à des zones de faim et de crise, peut-elle être comblée autrement que par une coopération organisée de toutes les nations ? Cela requiert avant tout une union inspirée par une véritable perspective de paix. Mais il faudra voir, et tout en dépendra, si ces différences de niveau de vie et ces, oppositions dans le domaine de la « possession » des biens seront réduites systématiquement, et par des moyens vraiment efficaces ; si disparaîtront de la carte économique de notre terre les zones de la faim, de la sous-alimentation, de la misère, du sous-développement, de la maladie, de l'analphabétisme ; et si la coopération pacifique s'abstiendra de poser des conditions d'exploitation, de dépendance économique ou politique, qui seraient seulement une forme de néocolonialisme.

Libertés civiles et religieuses





19. Je voudrais maintenant attirer l'attention sur la seconde espèce de menace systématique dont l'homme est l'objet, dans le, monde actuel, au plan de ses droits intangibles, et qui constitue, autant que la première, un danger pour la cause de la paix, à savoir les diverses formes d'injustice au niveau de l'esprit. On peut en effet blesser l'homme dans son rapport intérieur à la vérité, dans sa conscience, dans ses convictions les plus personnelles, dans sa conception du monde, dans sa foi religieuse, de même que dans le domaine de ce qu'on appelle les libertés civiles où est attribuée une place capitale à l'égalité des droits, sans discrimination fondée sur l'origine, la race, le sexe, la nationalité, la confession religieuse, les convictions politiques et autres. L'égalité des droits veut dire l'exclusion des diverses formes de privilèges pour les uns et la discrimination pour les autres, qu'il s'agisse de personnes nées dans une même nation ou d'hommes appartenant à une histoire, à une nationalité, à une race ou à une culture différentes. L'effort de la civilisation, depuis des siècles, tend vers un but : donner à la vie de toute société politique une forme dans laquelle puissent être pleinement garantis les droits objectifs de l'esprit, de la conscience humaine, de la créativité humaine, y compris la relation de l'homme à Dieu. Et pourtant, nous sommes toujours témoins des menaces et des violations qui resurgissent en ce domaine, souvent sans possibilité de recours aux instances supérieures ou de remèdes efficaces.



A côté de l'acceptation de formules légales qui garantissent sur le plan des principes les libertés de l'esprit humain, par exemple la liberté de pensée et d'expression, la liberté religieuse, la liberté de conscience, il existe souvent une structuration de la vie sociale dans laquelle l'exercice de ces libertés condamne l'homme, sinon au sens formel du moins pratiquement, à devenir un citoyen de deuxième ou de troisième, catégorie, à voir compromises ses possibilités de promotion sociale, de carrière professionnelle ou d'accès, à certaines responsabilités, ,et à perdre même la possibilité d'éduquer, librement ses enfants. C'est une question extrêmement importante que, dans la vie sociale interne comme dans la vie internationale, tous les hommes, en toute nation et en tout pays, dans tout régime et dans tout système politique, puissent jouir d'une plénitude effective de leurs droits.



Seule cette plénitude effective des droits, garantie à tout homme sans discrimination, peut assurer la paix jusqu'en ses racines.

L'homme a droit à la liberté religieuse





20. En ce qui concerne la liberté religieuse — qui ne peut pas ne pas me tenir particulièrement à coeur, à moi en tant que Pape, et précisément par rapport à la sauvegarde de la paix — je voudrais mentionner ici, pour contribuer au respect de la dimension spirituelle de l'homme, quelques principes contenus dans la Déclaration Dignitatis humanae du Concile Vatican II :



« En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu'ils sont des personnes, c'est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d'une responsabilité personnelle, sont pressés, parleur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d'abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu'ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité (n. 2).



« De par son caractère même, en effet, l'exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l'homme s'ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement humain. Mais la nature sociale de l'homme requiert elle-même qu'il exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu'en matière religieuse il ait des échanges avec d'autres, qu'il professe sa religion sous une forme communautaire » (n. 3).



Ces paroles touchent au fond même du problème. Elles prouvent également de quelle façon la confrontation entre la conception religieuse du monde et la conception agnostique ou même athée, qui est l'un des « signes des temps » de notre époque, pourrait conserver des dimensions humaines, loyales et respectueuses, sans porter atteinte aux droits essentiels de la conscience de tout homme ou toute femme qui vivent sur la terre.



Ce même respect de la dignité de la personne humaine semble requérir que, lorsque la teneur exacte de l'exercice de la liberté religieuse est discutée ou définie en vue de l'établissement de lois nationales ou de conventions internationales, les institutions qui par nature sont au service de la vie religieuse soient partie prenante. En omettant une telle participation, on risque d'imposer, dans un domaine aussi intime de la vie de l'homme, des normes ou des restrictions contraires à ses vrais besoins religieux.

Un avenir meilleur...




21. L'Organisation des Nations Unies a proclamé l’année 1979 Année de l'Enfant. Je désire donc, en présence des représentants de nombreuses nations du monde qui sont ici réunis, exprimer la joie que constituent pour chacun d'entre nous les enfants, printemps de la vie, anticipation de l'histoire à venir de chacune des patries terrestres. Aucun pays du monde, aucun système politique ne peut songer à son propre avenir autrement qu'à travers l'image de ces nouvelles générations qui, à la suite de leurs parents, assumeront le patrimoine multiforme des valeurs, des devoirs, des aspirations de la nation à laquelle elles appartiennent, en même temps que le patrimoine de toute la famille humaine. La sollicitude pour l'enfant, dès avant sa naissance, dès le premier moment de sa conception, et ensuite au cours de son enfance et de son adolescence, est pour l'homme la manière primordiale et fondamentale de vérifier sa relation à l'homme.



Aussi, que peut-on souhaiter de plus à chaque peuple et à toute l'humanité, à tous les enfants du monde, sinon cet avenir meilleur où le respect des droits de l'homme devienne une pleine réalité dans le cadre de l'an 2000 qui approche ?

Pour tous les enfants de la terre : plus jamais la guerre !





22. Mais dans cette perspective nous devons nous demander si la menace de l'extermination globale — dont les moyens se trouvent entre les mains des États d'aujourd'hui, et particulièrement des plus grandes Puissances de la terre — continuera à s'accumuler sur la tête de cette nouvelle génération d'enfants. Devront-ils hériter, de nous, comme un patrimoine indispensable, la course aux armements ? Comment pouvons-nous expliquer cette course effrénée ?



Les anciens avaient coutume de dire : « Si vis pacem, para bellum », « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Mais notre époque peut-elle encore croire que la spirale vertigineuse des armements est au service de la paix dans le monde ? En mettant en avant la menace d'un ennemi potentiel ; ne pense-t-on pas aussi s'assurer à son tour un moyen de menace pour obtenir la domination, grâce à son propre arsenal de destruction ? Là encore, c'est la dimension humaine de la paix qui tend à s'évanouir en faveur d'impérialismes éventuels et toujours nouveaux. Il faut donc souhaiter ici, de manière solennelle, pour nos enfants, pour les enfants de toutes les nations de la terre, qu'on n'en arrive jamais à un tel point. Et c'est pour cela que je ne cesse de supplier Dieu chaque jour, pour qu'il nous préserve, dans sa miséricorde, d'un jour aussi terrible.

Vivre en paix !





23. Au terme de ce discours, je désire exprimer encore une fois, devant tous les hauts représentants des États qui sont ici présents, mes pensées d'estime et d'amour profond pour tous les peuples, pour toutes les nations de la terre, pour toutes les communautés humaines. Chacune d'entre elles a sa propre histoire et sa propre culture ; je souhaite qu'elles puissent vivre et se développer dans la liberté et dans la vérité de leur propre histoire. Car telle est la mesure du bien commun de chacune d'entre elles. Je souhaite que chacun puisse vivre et se fortifier grâce à la force morale de cette communauté qui fait de ses membres des citoyens. Je souhaite que les autorités de l'État, en respectant les justes droits de chaque citoyen, puissent jouir, pour le bien commun, de la confiance de tous. Je souhaite que toutes les nations, même les plus petites, même celles qui ne jouissent pas encore de la pleine souveraineté et celles auxquelles celle-ci a été enlevée par la force, puissent se retrouver dans une pleine égalité avec les autres dans l'Organisation des Nations Unies. Je souhaite que l'Organisation des Nations Unies demeure toujours la tribune suprême de la paix et de la justice : siège authentique de la liberté des peuples et des hommes dans leur aspiration à un avenir meilleur.






2 octobre 1979



AUX ORGANISATIONS INTERNATIONALES NON GOUVERNEMENTALES



Après avoir adressé son message à l'Assemblée générale des Nations unies, le Saint-Père a rencontré successivement divers groupes et notamment les représentants des Organisations inter-gouvernementales et de celles non gouvernementales. Il a adressé à ces derniers un discours dont voici la traduction.



Mesdames et Messieurs,



C'est avec grand plaisir que j'adresse mes salutations aux représentants des Organisations intergouvernementales et non-gouvernementales ici présents. Je vous remercie pour votre cordial accueil.



Votre présence au centre des activités des Nations unies est une conséquence de la conscience croissante du fait que les problèmes du monde actuel ne peuvent se résoudre que lorsque toutes les forces s'unissent et tendent vers le même objectif commun. Les problèmes que la famille humaine doit affronter peuvent sembler écrasants. Quant à moi je suis convaincu qu'il existe une immense réserve de forces pour y faire face. L'histoire nous dit que le genre humain est capable de réagir et de changer de cap chaque fois qu'il s'aperçoit clairement qu'il fait fausse route. Vous avez le privilège de pouvoir témoigner, en ce building que les représentants des nations s'efforcent de tracer une voie commune afin que sur cette planète la vie puisse être vécue dans la paix, l'ordre, la justice et le progrès pour tous. Mais vous êtes également conscients du fait que chacun, individuellement doit oeuvrer en direction du même but. Ce sont les actions individuelles qui, groupées, peuvent aujourd'hui et demain donner la poussée déterminante qui sera ou bénéfique ou nuisible pour l'humanité.



Les différents programmes et organisations qui existent dans le cadre des Nations unies et de même les agences spécialisées et les autres organismes intergouvernementaux constituent une part très importante de l'effort total. Dans le domaine de sa compétence spécifique — alimentation, agriculture, commerce, écologie, développement, science, culture, éducation, santé, secours, ou les problèmes de l'enfance et des réfugiés — chacune de ces organisations apporte une contribution unique non seulement afin de pourvoir aux besoins des peuples, mais aussi afin de promouvoir le respect de la dignité humaine et la cause de la paix dans le monde.



Toutefois, aucune organisation, même pas les Nations unies où n'importe laquelle de ses agences spécialisées ne saurait résoudre à elle seule les problèmes globaux qui sont constamment soumis à son attention si sa sollicitude n'est pas partagée par tous les hommes. Et c'est donc là la tâche principale des organisations non gouvernementales : aider à répandre cette sollicitude au sein des communautés et dans les foyers et faire connaître ensuite, aux agences spécialisées, les exigences prioritaires et les aspirations des peuples, afin que les solutions et les projets envisagés répondent vraiment aux besoins de la personne humaine.



Les délégués qui signèrent la Charte des Nations unies envisagèrent des gouvernements unis et coopérant, mais derrière les nations, ils considèrent également l'individu et voulurent que tout être humain soit libre et jouisse — homme ou femme — de ses droits fondamentaux. Cette inspiration fondamentale doit être sauvegardée.



Je veux exprimer mes meilleurs voeux à vous tous qui travaillez ensemble pour porter les bienfaits de l'action concertée partout dans le monde, je salue cordialement les représentants des diverses associations protestantes, juives et musulmanes et, de manière particulière les représentants des Organisations catholiques internationales. Puissent votre dévouement et votre sens moral ne jamais faiblir devant les difficultés : ne perdez jamais de vue le but ultime de vos efforts : créer un monde où chaque personne humaine puisse vivre dans la dignité et l'harmonie de l'amour comme mi fils de Dieu.






2 octobre 1979



AUX JOURNALISTES DE L'O.N.U.



Avant de prendre congé de l'O.N.U., le pape a tenu à recevoir les journalistes accrédités près de cet organisme et leur a adressé le discours dont voici la traduction.



Chers amis des moyens de communication,



Il me serait, difficile de quitter les Nations unies sans dire « merci » de tout coeur à ceux qui ont fait le reportage, non seulement des événements de ce jour, mais aussi de toutes les activités de cette respectable Organisation. Dans cette assemblée internationale, vous pouvez vraiment être des instrumenta de paix en étant des messagers de la vérité.



Car vous êtes vraiment les serviteurs de la vérité; vous êtes ses infatigables émetteurs, diffuseurs, défenseurs. Vous êtes consacrés à la communication pour la promotion de l'unité parmi les nations et ceci par le partage de la vérité entre les peuples.



Si vos reportages n'attirent pas l'attention que vous auriez souhaitée, ou si vous n'obtenez pas le succès que vous auriez désiré, ne soyez pas découragés. Ayez confiance en la vérité et en sa transmission car la vérité demeure ; la vérité ne disparaîtra pas. La vérité ne passera pas et elle ne changera pas.



Et je vous le dis — c'est le mot d'adieu que je vous adresse — le service de la vérité, le service de l'humanité par la vérité est une tâche qui mérite que vous lui consacriez vos meilleures années, vos dons les meilleurs, vos efforts les plus dévoués. Comme transmetteurs de vérité, vous êtes les instruments de la compréhension entre les peuples et de la paix entre les nations.



Que Dieu bénisse votre labeur pour la vérité par les fruits de la paix. C'est ma prière pour vous, pour vos familles et pour ceux que vous servez comme messagers de la vérité et comme instruments de paix.






2 octobre 1979



AU SECRETARIAT DE L'O.N.U.



Dans l'après-midi, le pape a rencontré les personnes travaillant au sein de l'O.N.U. et s'est adressé à elles.



Mesdames et Messieurs, chers amis,



C'est avec grand plaisir que je saisis l'occasion de saluer les membres responsables de la direction des Nations unies à New York, et de répéter devant vous ma ferme conviction au sujet de la valeur extraordinaire et de l'importance du rôle et des activités de cette institution internationale, de toutes ses réalisations et de tous ses projets.



Quand vous avez accepté de servir ici, dans l'étude ou la recherche, dans les tâches administratives ou dans ta planification, dans les activités du secrétariat ou d'organisation, vous l'avez fait parce que vous avez cru que votre travail, souvent caché et sans relief dans la complexité de cet organisme, constituait une contribution valable aux buts et aux objectifs de cette Organisation. Et vous avez raison. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, il existe une possibilité pour tous les peuples, à travers leurs représentants, de se rencontrer constamment et réciproquement pour échanger des points de vues ; pour en discuter et pour chercher des solutions pacifiques, des solutions efficaces devant les conflits et les problèmes qui causent des souffrances dans toutes les parties du monde à un grand nombre d'hommes, de femmes et d'enfants. Vous participez à cette grande tâche universelle. Vous assurez les services, l'information et l'aide indispensable au succès de cette passionnante aventure — vous garantissez la continuité et le bon fonctionnement de l'action. Chacun d'entre vous est un serviteur de l'unité, de la paix et de la fraternité de tous les hommes.

Votre fonction n'est pas moins importante que celle des représentants des nations du monde, pourvu que vous soyez motivés parle grand idéal de la paix dans le monde et de la collaboration fraternelle entre tous les peuples : ce qui compte c'est l'esprit avec lequel vous accomplissez votre tâche. La paix et l'harmonie entre les nations, le progrès de toute l'humanité, la possibilité pour tous les hommes et les femmes de vivre dans la dignité et le bonheur, dépendent de vous, de chacun d'entre vous et des services que vous assurez ici.



Les constructeurs des pyramides en Egypte et au Mexique, des temples en Asie ou des cathédrales en Europe, n'étaient pas seulement les architectes qui ont tracé les plans ou ceux qui ont participé au financement mais également et d'une façon non négligeable, les tailleurs de pierre, dont nombreux furent ceux qui n'eurent pas la satisfaction de contempler dans toute leur beauté les chefs-d'oeuvre que leurs mains avaient aidé à créer. Et pourtant, ils avaient produit une oeuvre d'art qui devait être l'objet de l'admiration des générations à venir.



Vous êtes d'une certaine, façon les tailleurs de pierres. Même une vie entière de service dévoué ne vous permettra sans doute pas de voir l'achèvement du monument de la paix universelle, de la collaboration fraternelle et d'une véritable harmonie entre les peuples. De temps en temps, vous aurez un aperçu de cela, dans une réalisation particulièrement réussie, dans la solution d'un problème, dans le sourire heureux d'un enfant en bonne santé, dans un conflit évité, dans la réconciliation d'esprits et de coeurs. Plus souvent, vous expérimenterez seulement la monotonie de votre travail quotidien ou la déception des difficultés bureaucratiques. Mais sachez que votre oeuvre est importante et que l'histoire jugera favorablement votre action.



Les paris que la communauté mondiale aura à affronter dans les années et les décades futures ne diminueront pas. Le changement rapide des événements du monde, les formidables pas en avant de la science et de la technique accroîtront à la fois le développement en puissance et la complexité des problèmes. Soyez prêts, soyez compétents, mais surtout ayez confiance dans l'idéal que vous servez.



Ne considérez pas seulement votre apport en termes de production industrielle croissante d'efficacité excessive ou d'élimination de la souffrance. Envisagez surtout la dignité grandissante de chaque être humain, une possibilité croissante pour chaque personne de progresser vers un accomplissement spirituel, culturel et humain dans la mesure la plus pleine. Votre vocation de service international, tire sa valeur dès-objectifs poursuivis par les organisations internationales. Ces visées transcendent les simples sphères matérielles ou intellectuelles ; elles atteignent des domaines moraux et spirituels. Par votre travail, vous êtes en mesure d'étendre votre amour à toute la famille humaine, à chaque personne qui a reçu le merveilleux don de la vie, pour que tous puissent vivre ensemble dans une paix harmonieuse, dans un monde juste et paisible, dans lequel tous les besoins fondamentaux — physiques, moraux, spirituels — soient comblés.



Le visiteur qui se tient devant vous est quelqu'un qui admire ce que vous faites et qui croit en la valeur de votre tâche.



Merci de votre accueil. Je salue de tout coeur vos familles également J'espère tout particulièrement que vous ferez l'expérience d'une joie inaltérable dans le travail que vous accomplissez pour le bien de tous les hommes, de toutes les femmes et de tous les enfants de la terre.






2 octobre 1979



DEPART DE L’O.N.U.



Concluant sa visite aux Nations-unies, Jean Paul II a prononcé quelques paroles dont voici la traduction :



Monsieur le Secrétaire général,



Sur le point de terminer ma beaucoup trop brève visite au centre mondial des Nations unies, je désire exprimer mes remerciements cordiaux à tous ceux qui ont été les instruments grâce auxquels cette visite a été possible.



Mon merci s'adresse tout d'abord à vous, Monsieur le Secrétaire général, pour votre aimable invitation ; cette invitation n'est pas seulement un grand honneur pour moi mais elle fait que je vous suis redevable de m'avoir permis par ma présence ici, de témoigner publiquement et solennellement, de l'engagement du Saint-Siège à collaborer, dans la mesure compatible avec sa mission propre, avec cette respectable Organisation.



Ma gratitude va aussi à l'honorable président de la XXXIV° assemblée générale qui m'a fait l'honneur de m'inviter à m'adresser à ce forum, unique en son genre, des délégués de presque toutes les nations du monde. Dans ma proclamation de l'incomparable dignité de chaque être humain et dans le témoignage de ma ferme croyance en l'unité et en la solidarité de toutes les nations, j'ai eu l'occasion d'affirmer une fois encore l'un des principes de base de ma lettre encyclique : « En définitive, la paix se réduit au respect des droits inviolables de l'homme » (Redemptor hominis, RH 17).



Puis-je également remercier en particulier les délégués des nations qui sont représentées ici, ainsi que tout le personnel des Nations unies pour l'amicale réception qu'ils ont réservée aux représentants du Saint-Siège et tout spécialement notre observateur permanent, l'archevêque Giovanni Cheli.



Le message que je voudrais vous laisser est un message de certitude et d'espérance : la certitude que la paix est possible quand elle est basée sur la reconnaissance de la paternité de Dieu et de la fraternité de tous les hommes ; l'espérance que le sens de la responsabilité morale que chaque personne doit assumer rendra possible la création d'un monde meilleur dans la liberté la justice et l'amour.



Conscient de ce que mon ministère est vide de sens excepté si je suis le fidèle vicaire du Christ sur la terre, je prends maintenant congé de vous en utilisant les paroles de celui que je représente, Jésus-Christ lui-même : « Je vous laisse ma paix, je vous 'donne ma paix » (Jn 14,27). Ma prière constante pour vous est celle-ci : que se réalise la paix dans la justice et dans l'amour. Que la voix de la prière de tous ceux qui croient en Dieu — chrétiens et non-chrétiens également — fasse que les ressources morales qui sont présentes dans les coeurs des hommes et des femmes de bonne volonté s'unissent pour le bien commun, et fassent descendre du ciel cette paix que les efforts humains ne peuvent pas réaliser seuls.



Que Dieu bénisse les Nations unies.






2 octobre 1979



ARRIVEE A LA CATHEDRALE DE NEW YORK



Quittant le palais des Nations unies, le pape s'est rendu au milieu d'un grand concours de foule, à la cathédrale Saint-Patrick. Il était accompagné du cardinal Terence Cooke. Aux très nombreux fidèles présents dans la cathédrale, le pape a adressé les paroles dont nous donnons ici la traduction.



Cher cardinal Cooke,

Chers frères et soeurs dans le Christ,



Je considère comme une grâce spéciale de revenir à New York, de revenir dans la cathédrale de Saint-Patrick au cours de l'année de son centenaire.



Il y a six mois, j'ai écrit une lettre au cardinal Cooke pour l'assurer de « mon très vif espoir de voir la communauté ecclésiale locale, que symbolise ce glorieux édifice de pierre (cf. 1P 2,5), se renouveler dans la foi de Pierre et Paul — dans la foi de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ — et chacun d'entre vous prendre de nouvelles forces pour une vie authentiquement chrétienne ». Et ceci est mon espoir pour vous tous aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle je suis ici : pour vous confirmer dans votre sainte foi catholique et apostolique ; pour invoquer sur vous la joie et la force qui vous soutiendra dans la vie chrétienne.



A cette occasion, je salue toute la population de New York. D'une façon spéciale mon coeur est avec les pauvres, avec ceux qui souffrent, avec ceux qui sont seuls et abandonnés au milieu de cette immense métropole.



Je prie pour le succès de l'apostolat de cet archevêché : que les flèches de la cathédrale Saint-Patrick soient toujours l'image de l'élan avec lequel l'Église remplit sa fonction fondamentale à chaque génération : « orienter le regard de l'homme, diriger l'attention et l'expérience de toute l'humanité vers le mystère de Dieu, aider tous les hommes et toutes les femmes à se familiariser avec la profondeur de la rédemption dans le Christ Jésus » (Redemptor Hominis, RH 10).



Le symbolisme de Saint-Patrick comprend également la mission de l'Église à New York — l'expression de son service vital et particulier en faveur de l'humanité : tourner tes coeurs vers Dieu pour garder l'espérance vivante dans le monde. Et ainsi nous répétons avec saint Paul : « Ceci explique pourquoi nous travaillons et luttons ainsi : notre espérance est fixée sur le Dieu vivant » (1Tm 4,10).






2 octobre 1979



AU PEUPLE DE HARLEM



Sur le chemin qui le conduisait de l'archevêché de New York au Yankee Stadium, Jean Paul II s'est arrêté d'abord à l'église paroissiale de St Charles Borromée, dans le quartier noir de Harlem, puis dans le quartier portoricain de South Bronx. Voici la traduction de son allocution à Harlem.



Chers amis,

Chers frères et soeurs dans le Christ,



« Voici le jour qu'a fait le Seigneur ; réjouissons-nous, passons-le dans la joie » (Ps 118,24).



Je vous salue dans la paix et la joie de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Je saisis cette occasion de me trouver avec vous et de vous parler et, à travers vous, d'étendre mes salutations à tous les Américains noirs.



Selon une suggestion du cardinal Cooke, je suis heureux d'inclure dans mes projets une visite à la paroisse de Saint Charles Borromée à Harlem, et à la communauté noire qui s'y trouve. Depuis un demi-siècle cette communauté a entretenu ici les racines culturelles, sociales et religieuses de la population noire. J'ai beaucoup désiré me trouver ici ce soir.



Je viens à vous comme serviteur de Jésus-Christ, et je désire vous parler de lui. Le Christ est venu porter la joie : joie aux enfants, joie aux parents, joie aux familles et aux amis, joie aux ouvriers et aux intellectuels, joie aux malades et aux personnes âgées, joie à toute l'humanité. Dans un véritable sens, la joie donne le ton du message chrétien et c'est un motif qui revient souvent dans les Évangiles. Rappelez-vous les premiers mots de l'ange à Marie : « Réjouis-toi, pleine de grâces, le Seigneur est avec toi » (Lc l, 28). Et à la naissance de Jésus, les anges viennent dire aux bergers : « Écoutez, je vous apporte une grande joie, une joie à partager avec tout le peuple » (Lc 2,10). Des années plus tard, Jésus entrait à Jérusalem monté sur un âne, « dans sa joie toute la foule des disciples se mit à louer Dieu d'une voix forte... ils disaient « Béni soit celui qui vient, lui le roi, au nom du Seigneur » (Lc 19,37-38). Certains pharisiens, nous dit-on, qui se trouvaient dans la foule s'en plaignirent et dirent : « Maître, arrête tes disciples. » Mais Jésus répondit : « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront » (LE 19,39-40).



Ces paroles de Jésus ne sont-elles pas vraies aujourd'hui encore ? Si nous gardons le silence sur la joie qui vient de la connaissance de Jésus, les pierres elles-mêmes de notre ville se mettront à crier ! Car nous sommes le peuple de la Pâque et notre chant est « Alléluia ». Avec saint Paul, je vous exhorte : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur, je vous le répète, réjouissez-vous » (Ph 4,4).



Réjouissez-vous car Jésus est venu dans le monde !

Réjouissez-vous car Jésus est mort sur la croix !

Réjouissez-vous car il est ressuscité d'entre les morts !

Réjouissez-vous car dans le baptême il vous a lavé de vos péchés !

Réjouissez-vous car Jésus est venu nous libérer !

Et réjouissez-vous car il est le maître de la vie !



Mais combien de gens n'ont jamais connu cette joie ? Ils se nourrissent de choses vaines et suivent les sentiers du désespoir. « Ils marchent dans les ténèbres et dans les ombres de la mort » (Lc,1, 79). Et il n'est pas nécessaire d'aller les chercher au bout du monde. Ils vivent dans notre voisinage, ils marchent dans nos rues, ils peuvent même être les membres de nos propres familles. Ils vivent sans véritable joie parce qu'ils vivent sans espérance. Ils vivent sans espérance parce qu'ils n'ont jamais entendu la bonne nouvelle de Jésus-Christ, parce qu'ils n'ont jamais rencontré un frère ou une soeur qui aient atteint leur vie avec l'amour de Jésus et qui les aient tirés de leur misère.



Nous devons donc aller à eux comme des messagers d'espérance. Nous devons leur apporter le témoignage de la vraie joie. Nous devons les assurer de notre engagement à travailler pour une société juste et une ville où ils se sentent respectés et aimés.



Ainsi je vous encourage à être des hommes et des femmes d'une foi profonde et inébranlable. Soyez les hérauts de l'espérance. Soyez les messagers de la joie. Soyez de véritables artisans de la justice. Que la Bonne Nouvelle du Christ rayonne de vos coeurs et que la paix que lui seul peut donner demeure toujours en vos coeurs.



Mes chers frères et soeurs de la. communauté noire : « Réjouissez-vous dans le Seigneur toujours, je vous le dis encore, réjouissez-vous ! »






2 octobre 1979



AU PEUPLE DE SOUTH BRONX



Le pape s'est adressé en espagnol à la communauté très importante de personnes immigrées vivant à New York dans ce secteur.



Chers frères et soeurs et amis,



L'une des visites auxquelles j'attache une grande importance et auxquelles j'aurais aimé pouvoir consacrer davantage de temps est justement celle que je fais en ce moment à South Bronx, dans cette immense ville de New York, où vivent de nombreux immigrants de différentes couleurs et races et venant de divers pays. Et parmi eux la nombreuse communauté de langue espagnole, vous-mêmes à qui je m'adresse maintenant.



Je viens ici parce que je suis informé des difficiles conditions d'existence qui sont les vôtres, parce que je sais que vos vies sont marquées par la souffrance. C'est la raison pour laquelle vous avez droit à une attention spéciale de la part du pape.



Ma présence ici entend être un signe de gratitude et un encouragement pour ce que l'Église a fait et continue à faire, dans les paroisses, les écoles, les centres sanitaires, les institutions d'assistance pour la jeunesse et la vieillesse, à l'égard de tant de ceux qui font l'expérience de l'anxiété morale et des besoins matériels.



Je voudrais que la flamme de l'espérance — qui est parfois la plus petite espérance — non seulement ne s'évanouisse pas mais qu'elle grandisse en force de façon à ce que tous ceux qui vivent dans cette zone et dans la ville arrivent à pouvoir vivre dans la sérénité et dans la dignité, comme personnes humaines individuelles, comme familles, en fils et filles de Dieu.



Frères et soeurs et amis, ne vous découragez pas mais travaillez ensemble, faites les pas qui sont en votre possibilité pour faire grandir votre dignité, unissez vos efforts pour arriver à atteindre le but d'une élévation humaine et morale. Et surtout n'oubliez pas que Dieu préside à votre vie, qu'il chemine avec vous, qu'il vous appelle au meilleur, au dépassement.



Mais comme l'aide extérieure est également nécessaire, je lance un pressant appel aux dirigeants, à ceux qui peuvent faire quelque chose, pour qu'ils donnent leur généreuse collaboration à une aussi louable et urgente tâche.



Qu'il plaise à Dieu de faire que le projet de construction — et d'autres réalisations nécessaires — devienne bientôt une belle réalité et qu'ainsi chaque personne et chaque famille puisse trouver une habitation convenable pour y vivre en paix sous le regard de Dieu.



Mes amis, je vous salue et je salue tous ceux qui vous sont chers. Je vous bénis et je vous encourage à ne pas vous laisser abattre dans votre avancée sur la bonne voie.






2 octobre 1979



HOMELIE AU « YANKEE STADIUM »





Plus de 80 000 fidèles de New York étaient réunis le soir du 2 octobre au « Yankee Stadium » pour participer à la célébration présidée par le Saint-Père. Après la proclamation de l'Évangile, le pape a prononcé l'homélie dont voici la traduction :



1. « La paix soit avec vous ! »



Ce furent les premières paroles que Jésus dit aux Apôtres après sa résurrection. Avec ces paroles le Christ ressuscité rétablit la paix dans leurs coeurs, alors qu'ils étaient encore sous le coup de l'émotion après la terrible épreuve du Vendredi Saint. Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, par la puissance de son Esprit, ce soir, dans un monde angoissé par sa propre existence, je vous répète ces paroles, parce que ce sont des paroles de vie : « La paix soit avec vous ! »



Jésus ne nous a pas donné simplement la paix. Il nous a donné sa Paix accompagnée de sa Justice. Il s'est fait notre Paix et notre Justice.



Que signifie ceci ? Cela signifie que Jésus-Christ — le Fils de Dieu fait homme, l'Homme parfait — complète, rétablit et manifeste en lui-même l'inégalable dignité que Dieu souhaitait donner à l'homme dès l'origine. Il est Celui qui réalise en lui-même ce que l'homme a la vocation d'être celui qui est pleinement réconcilié avec le Père, complètement un en soi-même, entièrement dévoué aux autres. Jésus-Christ est la Paix vivante et la Justice vivante.

Jésus nous rend participants de ce qu'il est. Par son Incarnation, le Fils de Dieu s'unit, d'une certaine manière, à chaque être humain. Il nous a recréés dans notre être le plus profond ; au plus intime de nous-mêmes, il nous a réconciliés avec Dieu, il nous a réconciliés avec nous-mêmes, il nous a réconciliés avec nos frères et nos soeurs : il est notre Paix.



2. Que d'insondables richesses, en nous-mêmes et dans nos communautés chrétiennes ! Nous sommes porteurs de la Justice et de la Paix de Dieu ! Nous ne sommes pas essentiellement les édificateurs appliqués d'une justice et d'une paix qui soient seulement humaines. Nous sommes essentiellement les humbles bénéficiaires du véritable amour de Dieu, qui est Justice et Paix, dans les liens de la Charité. Lorsque, durant la messe, le prêtre nous salue en disant : « La paix du Seigneur soit avec vous à jamais ! », pensons avant tout à cette Paix qui est un don de Dieu : Jésus-Christ notre Paix. Et quand, avant la communion, le prêtre nous invite à donner l'un à l'autre un signe de paix, pensons avant tout au fait que nous sommes invités à échanger l'un avec l'autre la Paix du Christ qui demeure en nous, qui nous invite à participer à son Corps et à son Sang pour notre joie et pour le service de toute l'humanité.



Car la Justice et la Paix de Dieu exigent de porter fruit dans les oeuvres humaines de justice et de paix, dans toutes les sphères de la vie actuelle. Lorsque nous, les chrétiens, nous faisons de Jésus le centre de nos sentiments et de nos pensées, nous ne nous détournons pas, de ce fait, des gens et de leurs besoins. Au contraire, nous sommes entraînés dans l'éternel mouvement de l'amour de Dieu qui vient à notre rencontre ; nous sommes happés par le mouvement du Fils qui est venu parmi nous, qui est devenu l'un de nous ; nous sommes saisis dans le mouvement de l'Esprit qui visite les pauvres, apaise les coeurs troublés, guérit les coeurs blessés, réchauffe les coeurs tièdes et nous donne la plénitude de ses dons. Si l'homme est la voie première et fondamentale de l'Église, la raison en est que l'Église marche sur les traces du Christ : c'est Jésus qui lui a montré le chemin. Ce chemin passe inéluctablement, à travers le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption ; du Christ il conduit à l'homme, L'Église regarde le monde avec les yeux du Christ : Jésus est le principe de sa sollicitude pour l'homme (cf. Redemptor hominis, RH 13-18).



3. La tâche est immense. Et elle est captivante. Je viens tout juste d'en souligner quelques aspects devant l'Assemblée générale des Nations Unies et j'en mettrai d'autres en évidence au cours de mon voyage apostolique dans votre pays.



Aujourd'hui, permettez-moi d'insister sur l'esprit et la nature de la contribution qu'apporté l'Église à la cause de la justice et de là paix ; permettez-moi aussi de mentionner certaines priorités urgentes sur lesquelles votre service à l'humanité doit aujourd'hui concentrer ses efforts.



L'opinion sociale et l'action sociale inspirées par l'Évangile doivent toujours être empreintes d'une sensibilité spéciale à l'égard de ceux dont la détresse est la plus grande, de ceux qui sont extrêmement pauvres, de ceux qui souffrent le plus des maux physiques, mentaux et moraux qui affectent l'humanité, y compris la faim, la discrimination, le chômage, le désespoir. Il y a tant de pauvres gens de ce genre dans le monde. Il y en a tant parmi vous. A de nombreuses occasions votre pays a très justement mérité une enviable réputation de générosité tant publique que privée. Soyez fidèles à cette tradition, en harmonie avec vos grandes possibilités et vos responsabilités présentes. Le réseau d’oeuvres caritatives de tout, genre que l'Église a réussi à créer ici constitue un efficace instrument pour mobiliser effectivement de généreuses, entreprises, destinées à porter secours aux situations de détresse qui se présentent sans cesse tant ici que partout ailleurs dans le monde. Faites l'effort de vous assurer que cette forme de secours conserve son caractère irremplaçable de rencontre personnelle et fraternelle avec ceux qui sont dans le besoin ; le cas échéant, rétablissez ces caractère en dépit de tous les facteurs qui agissent en sens contraire. Que cette forme d'assistance soit respectueuse de la liberté et de la dignité de ceux qui en bénéficient ; qu'elle soit un moyen de former la conscience des donateurs.



4. Mais ce n'est pas suffisant. Dans le cadre de vos institutions nationales et en collaboration avec tous vos compatriotes vous devez tâcher de découvrir les raisons structurelles qui entretiennent ou provoquent tes diverses formes de pauvreté dans te monde et dans votre propre pays, afin de pouvoir y porter opportunément remède. Ne vous laissez pas intimider ou décourager par des explications simplistes qui sont des explications idéologiques plutôt que scientifiques et qui tentent d'expliquer un mal complexe par quelque simple cause. Mais ne reculez pas non plus devant les réformes — spécialement les réformes profondes — des comportements et des structures, qui pourraient se révéler indispensables pour recréer à nouveau les conditions permettait, aux défavorisés d'avoir de nouvelles chances dans leur lutte pour la vie. Les pauvres des États-Unis et du monde entier sont vos frères et soeurs en Jésus-Christ. Ne vous contentez pas de leur laisser les reliefs du festin ! Vous devez puiser dans votre avoir : et non dans votre superflu pour les aider. Et vous devez les traiter comme des invités à votre table !



5. Catholiques des États-Unis, tout en développant vos propres institutions légitimes, vous participez de ce chef au développement des affaires du pays, dans le cadre des institutions et des organisations issues de votre histoire nationale commune et de votre intérêt commun. Tout cela vous le faites, la main dans la main, avec vos compatriotes de n'importe quel credo ou confession. L'union entre vous dans toutes les tentatives semblables est essentielle, sous la direction de vos évêques afin d'approfondir, de proclamer et de servir effectivement la vérité sur l'homme, sur sa dignité, sur ses droits inaliénables ; la vérité telle que l'Église l'a reçue dans la Révélation et telle qu'elle n'a cessé, à la lumière de l'Évangile, de la développer dans sa doctrine sociale. Ces convictions partagées ne constituent pas, toutefois, un modèle tout fait pour la société (cf. Octogesima Adveniens, 42). C'est principalement la tâche des laïcs de les appliquer dans des projets concrets, de déterminer les priorités et de développer des systèmes susceptibles de promouvoir le vrai bien de l'homme. Dans sa Constitution pastorale Gaudium et Spes, le Concile Vatican II nous dit : « Que les laïcs attendent des prêtres lumières et forces spirituelles. Qu'ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu'ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission » (Gaudium et Spes, GS 43).

6. Pour mener cette entreprise à son plein succès, une grande vigueur spirituelle et morale puisée à l'intarissable source divine est indispensable. Cette vigueur ne se développe pas facilement. De nombreux membres de notre société riche et permissive mènent une existence commode et, dans les pays les plus pauvres, il y a de plus en plus de personnes qui pratiquent le même genre d'existence. Comme je l'ai dit l'an dernier devant l'Assemblée plénière de la Commission pontificale Justitia et Pax : « Les chrétiens voudront être à l'avant-garde pour susciter des conditions et des modes de vie qui rompent de manière décisive avec une frénésie de consommation, épuisante et sans joie » (11 novembre 1978). Il n'est pas question de freiner le progrès, pour le bon motif qu'il n'y a pas de véritable progrès humain lorsque tout conspire pour donner libre champ aux instincts, à l'égoïsme, à la sexualité, au pouvoir. Nous devons trouver le moyen de vivre avec simplicité. Il n'est pas juste que les pays riches tentent de maintenir leur niveau de vie en épuisant une grande partie des réserves d'énergie et de matières premières qui ont été destinées aux besoins de toute l'humanité. Aussi, la disponibilité à promouvoir une plus grande et plus juste solidarité entre les peuples est-elle la condition première de la paix. Catholiques des États-Unis et vous tous, citoyens des États-Unis vous avez une telle tradition de générosité spirituelle, d'empressement, de simplicité et de sacrifice que vous ne pourrez manquer d'écouter aujourd'hui cet appel à un nouvel enthousiasme et à une détermination renouvelée. C'est dans la joyeuse simplicité d'une vie inspirée par l'Évangile, et dans l'esprit évangélique du partage fraternel, que vous trouverez la meilleure défense contre l'âpre critique, le doute paralysant, et la tentation de faire de l'argent le moyen principal et donc la principale mesure du progrès humain.



En diverses occasions, j'ai rappelé la parabole évangélique du mauvais riche et de Lazare : « Il y avait un homme riche qui s'habillait de pourpre et de lin fin, et qui chaque jour faisait brillante chère. Et un pauvre du nom de Lazare gisait près de son portail tout couvert d'ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche... » (Lc 16,19 et sv.). Tant le riche que le mendiant moururent et, portés devant Abraham, ils furent jugés sur leur conduite. Les Écritures nous disent que Lazare trouva l'apaisement et que le riche sombra dans les tourments. Le riche fut-il condamné parce qu'il abondait en biens terrestres, parce qu'il « s'habillait de pourpre et de lin fin et qu'il faisait brillante chère » ? Non ! Je puis bien vous dire que ce n'est pas là la raison. L'homme riche a été condamné parce qu'il n'a prêté aucune attention à l'autre homme. Parce qu'il a négligé de prendre des nouvelles de Lazare, le malheureux qui gisait à sa porte et aurait voulu se rassasier des miettes qui tombaient de sa table. Le Christ ne condamne jamais la simple possession des biens matériels en tant que telle. Par contre, il a eu des mots extrêmement sévères pour condamner ceux qui se servent de leurs biens de manière égoïste sans s'occuper des besoins de leur prochain. Le Sermon sur la Montagne commence par les mots : « Heureux ceux qui sont pauvres en esprit ». Et à la fin du discours sur le jugement dernier que nous transmet l'évangile de saint Matthieu, Jésus prononça les paroles que nous connaissons si bien : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire ; j'étais un étranger et vous ne m'avez pas vêtu ; malade et prisonnier et vous ne m'avez pas visité » (Mt 25,42-43).



Il faut que nous gardions toujours dans la mémoire la parabole du riche et de Lazare : elle doit façonner notre conscience. Le Christ attend de nous l'ouverture vers nos frères et nos soeurs qui se trouvent dans le besoin — ouverture de la part des riches, des opulents, des économiquement privilégiés ; ouverture vers les pauvres, les sous-développés, les défavorisés. Le Christ nous demande, une ouverture qui soit bien plus qu'une bienveillante attention, bien plus que des gestes symboliques ou des interventions mesquines qui laissent le pauvre indigent comme il l'était auparavant, sinon plus.



Toute l'humanité doit méditer la parabole de l'homme riche et du mendiant L'humanité devra la traduire en ternies contemporains, en termes d'économie et de politique, en termes de droits humains, en termes de relations entre le « Premier », le « Second » et le « Tiers-monde ». Nous ne pouvons pas rester passifs, jouissant de nos richesses et de notre liberté si quelque part le Lazare du XX° siècle gît à nos portes. A la lumière de la parabole du Christ, la richesse et la liberté confèrent une responsabilité spéciale. La richesse et la liberté imposent des obligations particulières. Et ainsi, au nom de la solidarité qui nous unit tous ensemble dans une humanité commune, je proclame de nouveau la dignité de chaque personne humaine : l'homme riche et Lazare sont l'un et l'autre des êtres humains créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, tous également rachetés par le Christ à très haut prix, le prix du « précieux sang du Christ » (1P 1,19).



Frères et soeurs en le Christ, je vous répète avec profonde conviction et vive affection les paroles que j'ai adressées au monde quand j'ai accepté le ministère apostolique au service de tous les hommes et de toutes les femmes : « N'ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! A sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur ! Le Christ sait ce qu'il y a dans l'homme, lui seul le sait ! » (Discours du 22 octobre 1978).



Comme je vous l'ai dit au début, le Christ est notre Justice et notre Paix, et toutes nos oeuvres de Justice et de paix tirent de cette source l'irremplaçable énergie et la lumière nécessaire pour accomplir l'immense tâche qui nous attend. Lorsque nous nous engageons résolument au service de tous les besoins des individus et des peuples — et te Christ nous presse à le faire — n'oublions jamais que, la mission de l'Église ne se limite pas à ce témoignage de la fécondité sociale de l'Évangile. Le long de la voie qui la mène à l'homme, l'Eglise n'offre pas seulement, dans le domaine de la justice et de la paix, les fruits terrestres de l'Évangile, elle porte à l'homme — à chaque personne humaine — sa véritable source : Jésus-Christ lui-même, notre Justice et notre Paix !






3 octobre 1979



A NEW YORK : PRIERE A LA CATHEDRALE



Le 3 octobre, le Saint-Père a participé à la prière matinale dans le cadre de la cathédrale  Saint-Patrick.   Aux   nombreux   évêques, prêtres, religieux et religieuses, séminaristes, laïcs et membres d'autres Églises chrétiennes qui ont prié avec lui, Jean Paul II a adressé une allocution dont voici la traduction :



Chers frères et soeurs, Saint Paul demande : « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? »



Tant que nous restons ce que nous sommes ce matin — une communauté de prière unie dans le Christ, une communauté ecclésiale de louange et d'adoration du Père — nous comprendrons et expérimenterons la réponse que personne — et absolument rien — ne pourra jamais nous séparer de l'amour du Christ. Pour nous aujourd'hui, cette prière matinale de l'Église est une joyeuse célébration commune de l'amour de Dieu dans le Christ.



La liturgie des Heures a une énorme valeur. Avec elle tous tes fidèles, mais spécialement les prêtres et les religieux, remplissent un rôle de première importance, la prière du Christ continue dans le monde. Le Saint-Esprit lui-même intercède pour le peuple de Dieu (cf. Rm Rm 8,27). Avec ses prières et ses remerciements, la communauté chrétienne glorifie la sagesse, la puissance, la providence de notre Dieu et le salut qui vient de lui.



Dans cette prière de louanges, nous élevons nos coeurs vers le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, emportant avec nous les angoisses et les espérances, les joies et les souffrances de tous nos frères et soeurs dans le monde.



Et notre prière devient en même temps une école de sensibilité qui nous rend conscients de la manière étroite dont nos destins sont liés dans la famille humaine. Notre prière devient une école d'amour, un genre particulier d'amour chrétien consacré en vertu duquel nous aimons le monde, mais avec le coeur de Jésus.



Par la prière du Christ à qui nous prêtons notre voix, notre journée se trouve sanctifiée, nos activités transformées, nos actions consacrées. Nous récitons les mêmes psaumes que Jésus a récités et nous entrons en contact personnel avec lui — celui vers qui tendent les Écritures, celui qui est le but vers lequel est orientée toute l'histoire.



Dans notre célébration de la Parole de Dieu, le mystère de Dieu s'ouvre devant nous et nous enveloppe. Et grâce à l'union avec notre tête, Jésus-Christ, nous devenons de plus en plus une seule chose avec tous les membres de son Corps. Comme jamais auparavant, il nous devient possible de nous étendre et d'embrasser le monde, mais de l'embrasser avec le Christ : avec authentique générosité, avec pur et effectif amour, dans le service, dans l'apaisement, dans la réconciliation.



L'efficacité de notre prière rend un honneur spécial au Père car elle se fait toujours à travers le Christ et pour la gloire de son nom : « Nous te demandons ceci par l'intercession de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, ton Fils, qui vit et règne avec toi et avec le Saint-Esprit, un seul Dieu, pour tous les siècles des siècles. »



En tant que communauté, de prière et de louange, si nous-plaçons la liturgie des, Heures parmi les plus hautes priorités de la journée — chaque jour — nous pouvons être certains que jamais rien ne nous séparera de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ Nôtre-Seigneur.






3 octobre 1979



AU MADISON SQUARE GARDEN





Chère jeunesse,



Je suis heureux de me trouver avec vous au Madison Square Garden. Celui-ci est aujourd'hui un jardin de vie où la jeunesse est bien vivante : vivante d'espérance et d'amour, vivante de la vie du Christ. Et c'est au nom du Christ qu'aujourd'hui je salue chacun de vous.



On m'a dit que vous provenez pour la plupart des écoles supérieures catholiques. C'est pourquoi je voudrais vous dire quelques mots au sujet de l'enseignement catholique, vous dire pourquoi l'Église le tient pour si important et dépense tant d'énergie pour vous munir, vous et des millions d'autres jeunes, d'une éducation catholique. La question peut être synthétisée en un seul mot, en une seule personne : Jésus-Christ. L'Église veut vous communiquer le Christ !



Voilà ce que l'éducation fait avant tout ; voici ce qui donne le sens à la vie : connaître le Christ comme un ami, comme quelqu'un qui prend soin de vous, qui est à vos côtés et aux côtés de tous, ici et partout, peu importe le langage qu'ils parlent, le vêtement qu'ils portent ou la couleur de leur peau.



Et ainsi le dessein de l'Église est de vous communiquer le Christ afin que votre attitude à l'égard d'autrui soit celle du Christ. Vous êtes proches du moment de votre vie où vous devrez prendre vos responsabilités pour votre propre destin. Bientôt vous aurez à prendre d'importantes décisions qui influenceront tout le cours de votre vie. Si ces décisions reflètent l'attitude du Christ, votre éducation aura été un succès.



Nous devons apprendre à affronter les défis aussi bien que les crises à la lumière de la Croix du Christ et de la Résurrection. Entre autres, notre éducation catholique a pour but d'ouvrir les yeux sur tes besoins d'autrui et d'avoir le courage de mettre en pratique ce que nous croyons. A l'aide d'une éducation catholique, nous tâchons d'affronter n'importe quelle circonstance de la vie en nous comportant comme le Christ. Oui, l'Église veut vous communiquer le Christ pour que vous puissiez acquérir la pleine maturité en lui qui est l'homme parfait et, en même temps, le Fils de Dieu.



Chers jeunes gens, vous et moi, et tous ensemble nous constituons l'Église et nous sommes convaincus que c'est uniquement dans le Christ que nous trouverons un véritable amour et la plénitude de vie.



Et ainsi, aujourd'hui je vous engage à regarder vers le Christ



Quand vous vous étonnez de votre propre mystère, regardez vers le Christ qui vous donne le sens de la vie.



Quand vous cherchez a savoir ce que signifie être une personne mûre, regardez vers le Christ qui est la plénitude de l'humanité.



Et si vous vous interrogez sur votre rôle dans l'avenir du monde et celui des États-Unis, regardez vers le Christ.



C'est dans le Christ seul que vous pourrez exprimer votre potentiel comme citoyen américain et citoyen de la communauté mondiale.



Avec votre éducation catholique, vous avez reçu le plus grand des dons : la connaissance du Christ. Au sujet de ce don, saint Paul a écrit : « Je tiens tout désormais pour désavantageux au prix du gain suréminent qu'est la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. Pour lui j'ai accepté de tout perdre, je regardé tout comme déchets, afin de gagner le Christ et d'être trouvé en lui » (Ph 3,8-9).



Soyez toujours reconnaissants à Dieu pour le don de connaître le Christ. Soyez toujours reconnaissants à vos parents et à la communauté ecclésiale pour avoir rendu possible, au prix de grands sacrifices, votre éducation catholique. Le Peuple de Pieu a mis de grands espoirs en vous et maintenant il attend de vous;que vous, donniez témoignage du Christ et que vous transmettiez l'Évangile aux autres. L'Église a besoin de vous ; le monde a besoin de vous parce qu'il a besoin du Christ et que vous appartenez au Christ. C'est pourquoi je vous demande d'accepter vos responsabilités dans L'Église, les responsabilités inhérentes à votre éducation catholique : aider — par la parole et, surtout, par l'exemple, de votre vie — à répandre l'Évangile. Vous ferez ceci en priant et en étant justes, véridiques et purs.



Chers jeunes gens : vous êtes appelés à donner témoignage de votre foi par une réelle vie chrétienne, par la pratique de votre religion. Et comme les actes ont plus de poids que tes paroles, vous êtes appelés à proclamer, par votre conduite dans la vie quotidienne que vous croyez réellement que Jésus-Christ est le Seigneur !






3 octobre 1979



A BATTERY PARK



Tout le long du parcours suivi par Jean Paul II entre Madison Square et Baltery Park à la pointe méridionale de Manhattan pour son rendez-vous avec la population new-yorkaise, une foule incroyablement dense a salué le Saint-Père tandis que tombait sur le cortège cette pluie dense de confettis colorés qui caractérise l'accueil des New-Yorkais. A Battery Park, ou l'attendaient quelque trois cent mille personnes, le Saint Père a prononcé un discours.



Chers amis de New York,



1. Ma visite à New York n'aurait pas été complète si je n'étais pas venu ici, à Battery Park et si je n'avais pas vu, de loin, Ellis Island et sa célèbre statue de la Liberté. Chaque pays a ses symboles historiques. Ce peuvent être des sanctuaires ou des statues ou des documents. Leur signification se trouve dans les vérités qu'ils représentent pour les citoyens d'une nation et dans l’image qu'ils expriment pour d'autres nations. Pour les États-Unis, ce symbole est la statue de la Liberté. Elle symbolise lumineusement ce que les États-Unis ont été depuis le début véritable de leur histoire : c'est un symbole dé liberté. Elle reflète l'histoire de l'immigration aux États-Unis et en effet les millions d'êtres humains qui ont gagné ses rivages étaient à là recherche de la liberté. Et c'est la liberté que la jeune République leur a offert avec compassion. Je désire rendre hommage en ce lieu à cette noble caractéristique de l'Amérique et de son peuple : son désir d'être libre, sa volonté de défendre la liberté et sa détermination à partager la liberté avec les autres. Puisse cet idéal de liberté demeurer une force animatrice pour votre pays et pour toutes les nations du monde !



2. C'est tout à l'honneur de votre pays et de ses citoyens que sur la base de cette liberté vous ayez édifié une nation où la dignité de chaque personne humaine est respectée, où le devoir et le travail honnête sont tenus en grande estime, où la générosité et l'hospitalité ne sont pas de vains mots et où le droit à la liberté religieuse est profondément enraciné dans votre histoire.



Hier, devant l'Assemblée des Nations unies, j'ai fait un plaidoyer pour la paix et la justice basées sur le plein respect de tous les .droits fondamentaux de la personne humaine. J'ai également parlé de la liberté religieuse parce que cela concerne les relations personnelles avec Dieu et parce qu'elle est liée de manière particulière aux droits de l'homme. Elle est étroitement associée au droit à la liberté de conscience. Si la conscience n'est pas en sécurité dans la société, la sécurité de tous les autres droits est également menacée.



La liberté doit, dans tous ses aspects, être fondée sur la vérité. Je désire répéter ici les paroles de Jésus : « la vérité vous fait libres » (Jn 8,32). Je fais donc des voeux pour que vôtre sens de la liberté aillé toujours de pair avec un sens profond de la vérité et de l'honnêteté à l'égard de vous-mêmes comme à l'égard de votre société. Les réalisations passées ne sauraient jamais être un substitut acceptable aux responsabilités actuelles à l'égard du bien commun de la société dans laquelle vous vivez, ni à l'égard de vos concitoyens. La recherche de la justice est aujourd'hui, tout comme le désir de liberté, une aspiration universelle. Il n'est pas possible aujourd'hui à une organisation ou à une institution de se déclarer de manière crédible en faveur de la liberté si elle n'accorde pas en même temps son soutien à la recherche de la justice car l'une et l'autre sont des exigences essentielles de l'esprit humain.

3. Ce sera toujours pour ce pays un titre de gloire d'avoir offert la liberté et des chances de progrès personnel à tous ceux qui se sont tournés vers l'Amérique. Il faut que cette tradition soit encore aujourd'hui à l'honneur. La liberté acquise doit être ratifiée chaque jour par le refus de tout ce qui blesse, affaiblit et déshonore la vie humaine. Je fais donc appel à tous ceux qui aiment la liberté et la justice pour qu'ils accordent une chance à ceux qui se trouvent dans le besoin, aux pauvres et aux faibles. Brisez les cercles misérables de la pauvreté et de l'ignorance qui sont encore le sort de tant de nos frères et de nos soeurs ? les cercles des préjugés qui persistent malgré l'énorme progrès réalisé vers une réelle égalité dans l'éducation et le travail ; les cercles du désespoir qui emprisonnent tous ceux qui manquent de nourriture, d'habitation ou de travail ; les cercles du sous-développement qui résultent de mécanismes internationaux et subordonnent l'existence humaine à la domination d'un progrès économique conçu de manière partiale ; et finalement les cercles inhumains de guerre qui découlent de la violation des droits fondamentaux de l'homme et provoquent des violations encore plus grandes de ses droits.



La liberté dans la justice fera naître une nouvelle aube d'espoir pour la génération actuelle comme pour celle d'autrefois : pour les sans-logis, pour les chômeurs, pour les vieillards, pour les malades et handicapés, pour les migrants et pour les travailleurs clandestins, pour tous ceux qui ont faim de dignité humaine dans ce pays comme dans le monde entier.



4. Avec des sentiments d'admiration et avec confiance en vos possibilités pour une vraie grandeur humaine, je désire saluer en vous la riche variété de votre nation où des populations d'origine ethnique et de convictions religieuses diverses peuvent vivre, travailler et prospérer ensemble dans la paix et le respect mutuel. Je salue et remercie pour leur cordial accueil tous ceux qui m'ont rejoint ici, les hommes d'affaires et les agriculteurs, les professeurs et les chefs d'entreprise, les assistants sociaux et les autorités civiles, jeunes et vieux. Je vous salue avec respect, estime et amour. J'adresse chaleureusement mes salutations à tous les groupes et à chacun d'eux, âmes fidèles catholiques, aux membres des différentes Églises chrétiennes avec lesquelles je suis uni par la foi en Jésus-Christ.



Et j'adresse un salut tout spécial aux dirigeants de la communauté juive dont la présence me fait grand honneur. Il y a quelques mois j'ai rencontré à Rome un groupe international de délégués juifs. A cette occasion, rappelant les initiatives prises après le concile Vatican II, sous mon prédécesseur Paul VI, j'ai déclaré que « nos deux communautés religieuses sont étroitement liées et étroitement apparentées au niveau réel de leurs respectives identités religieuses » et que, sur cette base, « nous reconnaissons tous de manière lumineuse :que la voie à suivre avec la communauté religieuse est celle du dialogue, fraternel et de la collaboration fructueuse» (cf. ORLF du 27 mars 1979.). Je suis heureux d'affirmer que c'est cette même voie qui a été suivie ici, aux États-Unis par de larges sections de l'une et l'autre communauté par leurs autorités respectives et leurs organismes, représentatifs. Divers programmes communs d'étude, une connaissance mutuelle, et une commune détermination à repousser toute forme d'antisémitisme et de discrimination et diverses formes de collaboration pour le progrès humain inspirées par notre héritage biblique commun ont créé des liens profonds et durables entre les juifs et les catholiques. En homme qui dans sa patrie a partagé les souffrances de vos frères, je vous salue avec cette parole empruntée à la langue hébraïque : Shalom ! La paix soit avec vous !



Et à tous et chacun ici présents, j'offre l'expression de mon respect, mon estime et mon amour, fraternel. Dieu vous bénisse tous ! Dieu bénisse New York !






3 octobre 1979



AU « SHEA STADIUM »



Au Shea Stadium, l'ultime rencontre du pape avec la population de New York dans le quartier « Queens » où vivent de nombreuse immigrés espagnols, polonais, italiens, etc.



Chers amis de New York,



C'est une grande joie pour moi d'avoir cette occasion de passer ici et de vous saluer avant de reprendre la route vers « La Guardia Aéroport », à la fin de ma visite à l’archidiocèse et à la ville de New York.



Je vous remercie pour votre chaleureux accueil. En vous je désire saluer encore une fois la population de New York, Long Island, New Jersey, Connecticut, Brooklyn : toutes vos paroisses, vos hôpitaux, écoles et organisations, vos malades et personnes âgées. Et avec une affection toute spéciale, je salue les jeunes et les enfants.



De Rome je vous ai apporté un message de foi et d'amour. « Que la paix du Christ règne dans vos coeurs ! » (Col 3,15). Que la paix soit le désir de votre coeur, car si vous aimez la paix, vous aimerez toute l'humanité, sans distinction de race, de couleur ou de credo.



Mon salut est en même temps une invitation à tous à vous sentir personnellement responsables du bien-être et de l'esprit communautaire de votre ville. Qui visite New York est toujours frappé du caractère spécial de cette métropole : gratte-ciel, rues sans fin, grandes zones résidentielles, îlots d'habitations et surtout tant de millions de gens qui vivent ici et qui cherchent le travail qui leur permettra de vivre, eux et leur famille.



De grandes concentrations de population créent des problèmes spéciaux et des besoins spéciaux. Cela impose l'effort personnel et l'honnête collaboration de tous afin de trouver les solutions qui s'imposent pour que tous les hommes, femmes et enfants puissent vivre dignement et développer pleinement leur potentiel sans avoir à souffrir à cause de leur manque d'éducation, de logement, de travail et de centres culturels. Par-dessus tout une ville a besoin d'une âme si elle veut devenir un home véritable pour des êtres humains. Vous, la population, vous devez lui donner cette âme. Et comment ferez-vous ? Par votre amour mutuel. L'amour pour tout votre prochain doit être le cachet de votre vie. Dans l'Évangile, Jésus nous dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,39). Ce commandement du Seigneur doit vous inspirer et guider les vraies relations entre vous, de sorte que personne ne se sente seul ou mal venu et moins encore refusé, déprécié, haï. Jésus lui-même vous donnera la force de l'amour fraternel. Et alors chaque quartier, chaque bloc, chaque rue deviendra une véritable communauté parce que vous voulez qu'il en soit ainsi et que Jésus vous aidera à le réaliser.



Gardez Jésus dans vos coeurs et reconnaissez son visage dans tout être humain. Vous voudrez alors l'assister dans tous ses besoins : les besoins de vos frères et de vos soeurs. C'est le moyen pour nous préparer à rencontrer Jésus quand, le dernier jour il reviendra comme Juge de la vie et de la mort et qu'il nous dira : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez accueilli ; nu, et vous m'avez vêtu ; malade et vous m'avez visité ; prisonnier et vous êtes venu me voir... En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait quelque chose en faveur de l'un des plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 35-36, 40).



Je veux adresser maintenant un très cordial salut à tous et à chacun des membres de la colonie de langue espagnole qui, provenant de divers pays, sont présents dans ce stade.



En vous, je vois représentée et désire saluer avec grande affection la nombreuse communauté hispanique qui vit à New York et dans de nombreuses régions des États-Unis.



Soyez certains que je connais parfaitement la place que vous occupez dans la société américaine et que je suis avec vif intérêt vos réalisations, vos aspirations et vos difficultés dans le cadre de cette nation qui représente votre patrie adoptive ou la terre qui vous accueille. C'est pourquoi, dès le moment où j'ai accepté l'invitation à visiter ce pays, j'ai pensé à vous, partie intégrante et spécifique de cette société et partie importante de l'Église dans cette vaste nation.



Comme catholiques, je vous exhorte à maintenir toujours vive votre identité chrétienne, en vous référant constamment aux valeurs de votre foi qui doivent éclairer votre légitime recherche d'une situation matérielle digne, pour vous et pour vos familles.



Immergés en général dans des quartiers populeux et baignés d'un climat social où prime l'élément technique et matériel, efforcez-vous de donner un surcroît d'esprit à votre vie et à votre coexistence. Tenez Dieu toujours présent dans votre existence ; ce Dieu qui vous invite à être toujours plus dignes de votre condition d'hommes et d'êtres qui ont une vocation d'éternité ; ce Dieu qui vous appelle à la solidarité et collaboration à l'édification d'un monde toujours plus habitable, plus juste et fraternel.



Je prie pour vous, pour vos familles et pour vos amis, surtout pour les enfants, les malades et ceux qui souffrent et à tous je vous donne ma bénédiction.



Dieu soit toujours avec vous !



Au revoir, et que Dieu vous bénisse !






3 octobre 1979



A PHILADELPHIE : A LA CATHEDRALE



Après sa visite à New York, Jean Paul II s'est rendu à Philadelphie où il est arrivé le mercredi 3 octobre dans l'après-midi. Après une brève cérémonie à l'aéroport où l'attendaient le cardinal Krol, archevêque de Philadelphie, de nombreux évêques, des autorités civiles parmi lesquelles le gouverneur de l'État de Pennsylvanie et le maire de la ville, ainsi que des milliers de personnes, le pape s'est rendu à la cathédrale Saints-Pierre-et-Paul où il a prononcé un discours.



Chers frères et soeurs en Jésus-Christ,



Je remercie le Seigneur qui me permet de revenir dans cette ville de Philadelphie, dans cet État de Pennsylvanie. Je garde de très bons souvenirs du temps où j'étais votre hôte ici et je me rappelle particulièrement la célébration en 1976 du bicentenaire à laquelle j'ai pris part comme archevêque de Cracovie. Aujourd'hui, par grâce de Dieu, je viens ici comme successeur de Pierre pour vous porter un message d'amour et vous fortifier dans votre foi. Votre aimable accueil me fait sentir que vous désirez honorer en moi le Christ que je représente et qui vit en nous tous — nous tous qui à travers le Saint-Esprit, constituons une communauté, une communauté d'amour et de foi. Je sens également que je me trouve vraiment chez des amis et je me sens chez moi parmi vous.



Je désire vous remercier tout particulièrement, cardinal Krol, archevêque de Philadelphie, pour m'avoir invité à venir ici et à célébrer l'Eucharistie avec vous et avec vos fidèles. J'adresse également un salut cordial aux prêtres, aux religieux et religieuses et aux laïcs de cette Église locale. Je suis venu ici comme votre frère en le Christ, apportant avec moi le message que le Seigneur Jésus lui-même portait dans les villes et villages de Terre sainte : Louons le Seigneur, notre Dieu et Père, et aimons-nous les uns les autres.



C'est pour moi une grande joie de vous rencontrer ici, dans la cathédrale de Philadelphie car elle a pour moi une profonde signification. Par-dessus tout, elle signifie : Vous, l'Église vivante du Christ, ici et maintenant, vivante dans la foi, unie dans l'amour de Jésus-Christ.



Cette cathédrale rappelle le souvenir de saint Jean Neumann, jadis évêque de ce diocèse et maintenant et pour toujours un saint de l'Église universelle. De cet édifice, il faut que son message et son exemple de sainteté soient continuellement transmis à chaque nouvelle génération de jeunes. Et si aujourd'hui nous lui prêtons une oreille attentive, nous pouvons entendre saint Jean Neumann nous répéter à chacun ces termes de l'épître aux Hébreux : « Souvenez-vous de vos chefs, eux qui vous ont fait entendre la parole de Dieu et, considérant leur carrière, imitez leur foi. Jésus-Christ est le même hier et aujourd'hui, et il le sera à jamais » (He 13,7-8).



Et enfin cette cathédrale vous unit aux grands apôtres de Rome, Pierre et Paul. Ceux-ci, à leur tour, continuent pour vous à témoigner du Christ, à vous proclamer la divinité du Christ, à le faire connaître devant le monde. Ici à Philadelphie la confession de Pierre devient aujourd'hui pour nous tous un acte de foi personnel et cet acte de foi nous le faisons ensemble en disant à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16,16). Et avec saint Paul, chacun de nous est appelé à dire, du fond du coeur, devant le monde : « Je continue à vivre ma vie humaine, mais je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi » (Ga 2,20).



Puis également sur le plan religieux cette cathédrale est unie à l'héritage de cette ville historique. Tout service à la morale et à la spiritualité est un service en faveur de la civilisation de l'homme : c'est une contribution au bonheur humain et au véritable bien-être.



Et ainsi, de cette cathédrale, j'adresse mes salutations à toute la ville de Philadelphie et à sa population. En tant que ville de l'amour fraternel et comme première capitale des États-Unis d'Amérique, vous êtes un symbole de paix et de relations fraternelles. Mon salut est aussi une prière. Puissent le dévouement commun et les efforts conjugués de tous vos concitoyens — catholiques, protestants et juifs — réussir à faire du centre et de la périphérie de votre cité des lieux où personne n'est un étranger pour les autres, où chaque homme, femme et enfant se sentent respectés ; où personne ne se sente abandonné, refoulé ou laissé seul.



En vous demandant l'appui de vos prières pour ma visite d'amitié et de nature pastorale, je vous donne à tous ma bénédiction, à vous ici présents, à ceux qui vous sont chers, aux malades, et aux personnes âgées et de manière toute particulière aux jeunes et aux enfants.



Dieu bénisse Philadelphie !






3 octobre 1979



HOMELIE A LOGAN CIRCLE



La première célébration eucharistique de Jean Paul II à Philadelphie a eu lieu le mercredi 3 octobre au cours de l'après-midi, dans le cadre du Logan Circle où une foule immense s'était rassemblée. Le Saint-Père a prononcé l'homélie dont voici la traduction.



Chers frères et soeurs de l'Église de Philadelphie,



1. C'est pour moi une grande joie de célébrer aujourd'hui l'Eucharistie avec vous. Nous sommes tous assemblés en une seule communauté, en un seul peuple dans la grâce et la paix de Dieu notre Père et de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, nous sommes réunis dans la société du Saint-Esprit. Nous sommes rassemblés pour proclamer l'Évangile dans toute son autorité, car le sacrifice eucharistique est sommet et loi de notre proclamation.



Le Christ est mort, le Christ est ressuscité, le Christ reviendra ! De cet autel du sacrifice s'élève une hymne de louange et de remerciement à Dieu par Jésus-Christ. Nous qui appartenons au Christ, nous participons tous à cette hymne, à ce sacrifice de louange. Le sacrifice du Calvaire est renouvelé sur cet autel et il devient également notre offrande, une offrande pour les vivants et les morts, pour l'Église universelle.



Unis dans la charité du Christ, nous sommes tous ensemble une seule chose dans ce sacrifice : le cardinal archevêque qui est appelé à guider cette Église sur le chemin de la vérité et de l'amour ; ses évoques auxiliaires et le clergé diocésain et religieux qui participent avec les évêques à la prédication de la Parole ; religieux et religieuses qui par la consécration de leur vie montrent au monde ce que veut dire être fidèle au message des Béatitudes ; pères et mères avec leur grande mission d'édifier l'Église dans l'amour ; chaque secteur du laïcat avec sa tâche particulière dans la mission évangélisatrice et salvatrice de l'Église. Ce sacrifice offert, aujourd'hui à Philadelphie est une expression de notre communauté en prière. En union avec Jésus-Christ nous intercédons pour l'Église universelle, pour le bien-être de tous nos semblables, hommes et femmes et, aujourd'hui, particulièrement pour la préservation des valeurs humaines et chrétiennes qui sont l'héritage de ce pays, de cette contrée, de cette ville.



2. Philadelphie est la ville de la Déclaration d'Indépendance, ce document remarquable qui atteste solennellement l'égalité de tous les êtres humains qui ont été munis par le Créateur de certains droits inaliénables : la vie, la liberté et la poursuite du bonheur, et exprime « une ferme confiance dans la protection de la Divine Providence ». Voilà les sains principes moraux formulés par vos Pères Fondateurs et enchâssés pour toujours dans votre histoire. Dans les valeurs humaines et civiles contenues dans l'esprit de cette Déclaration, il est aisé de reconnaître un lien très étroit avec les valeurs religieuses et chrétiennes fondamentales. Un sens de la religion même fait partie de cet héritage. La Liberty Bell que j'ai déjà eu l'occasion d'admirer dans d'autres circonstances porte fièrement ces mots de la Bible : « Proclamez la liberté par tout le pays  (Lv 25,10). Cette tradition confronte toutes tes futures générations d'Amérique avec un noble défi : « Une seule nation subordonnée à Dieu, indivisible avec liberté et justice pour tous. »



3. En tant que citoyens, vous devez lutter pour préserver ces valeurs humaines, pour mieux les comprendre et en déterminer les conséquences pour toute la communauté mais aussi comme précieux apport au monde. En tant que chrétiens vous devez renforcer ces valeurs humaines et les compléter en les confrontant avec le message évangélique afin de pouvoir en découvrir le sens le plus profond et assumer en conséquence plus pleinement vos devoirs et vos obligations à l'égard de vos semblables à qui vous êtes liés par un destin commun. D'une certaine manière, pour nous qui connaissons Jésus, valeurs humaines et valeurs chrétiennes ne sont que deux aspects de la même réalité : la réalité de l’homme, racheté par le Christ et appelé à la plénitude de la vie éternelle.



Dans ma première lettre encyclique, j'ai souligné cette importante vérité : « Le Christ, Rédempteur du monde est celui qui a pénétré de manière unique et absolument singulière dans le mystère de l'homme et qui est entré dans son "coeur". » C'est donc à juste titre que le concile Vatican II enseigne ceci : « En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné ; Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir (Rm 5,14) le Christ-Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Redemptor Hominis, RH 8). C'est donc en Jésus-Christ que tout homme, femme et enfant sont appelés à chercher la réponse aux questions concernant les valeurs dont ils doivent s'inspirer dans leurs relations personnelles et sociales.



4. Alors, un chrétien inspiré et guidé par le mystère de l'Incarnation et Rédemption du Christ, peut-il renforcer ses propres valeurs et celles qui sont incarnées dans l'héritage de ce pays ? Pour être complète, la réponse à cette question devrait être très longue. Permettez-moi donc de ne toucher que les points les plus importants. Ces valeurs se trouvent renforcées : quand le pouvoir et l'autorité sont exercées en respectant pleinement tous les droits fondamentaux de la personne humaine, dont la dignité est celle de quelqu'un qui a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26) ; quand la liberté est acceptée, non pas comme une fin absolue en soi, mais comme un don qui permet de se donner soi-même et de servir autrui ; quand la famille est protégée et renforcée, quand son unité est sauvegardée et quand son rôle en tant que cellule fondamentale de la société est reconnu et honoré. Les valeurs humaines et chrétiennes sont favorisées quand tous les efforts sont faits pour que pas un seul enfant, où que ce soit dans le monde, risque encore la mort parce qu'il manque de nourriture ou risque d'être diminué intellectuellement et physiquement à cause d'une alimentation insuffisante ou supporte la vie entière les conséquences de la privation. Les valeurs humaines et chrétiennes triomphent quand sont réformés les systèmes, quels qu'ils soient, qui permettent l'exploitation de n'importe quel être humain ; quand se trouvent encouragées, dans les services publics, l'intégrité et l'honnêteté ; quand l'administration de la justice est loyale et la même pour tous ; quand on use de manière responsable des matières premières et des sources d'énergie du monde — ressources qui ont été destinées aux besoins de tous ; quand l'environnement est gardé intact pour les générations futures. Les valeurs humaines et chrétiennes triomphent quand les considérations politiques et économiques sont assujetties à la dignité humaine et qu'elles tendent à servir la cause de l'homme de chaque personne créée par Dieu, de chaque frère et soeur rachetés par le Christ.



5. J'ai mentionné la Déclaration d'indépendance et la Liberty bell, deux monuments qui témoignent de l'esprit de liberté qui a conditionné la fondation de ce pays. Votre attachement à la liberté, à l'indépendance fait partie de votre héritage. Lorsque la Liberty Bell, la Cloche de la Liberté, résonna pour la première fois en 1776, c'était pour annoncer l'indépendance de votre pays, le commencement de la démarche vers un destin commun indépendant de toute pression extérieure. Le principe d'indépendance a une importance suprême dans l'ordre politique et social, dans les relations entre les gouvernements et le peuple, entre individu et individu. Toutefois, la vie de l'homme est vécue également dans un autre ordre de réalité : dans l'ordre des relations avec ce qui est objectivement vrai et moralement bon. L'indépendance acquiert ainsi une signification plus profonde quand elle se réfère à là personne humaine. Ceci concerne en premier lieu la relation de l'homme avec soi-même. Chaque personne humaine, dotée de raison, est indépendante quand elle est maître de ses propres actions, quand elle est à même de préférer le bien conforme à la raison et donc à sa propre dignité humaine.



La liberté ne saurait tolérer une offense contre les droits d'autrui, et l'un des droits fondamentaux de l'homme est le droit de rendre un culte à Dieu. Dans la Déclaration sur la liberté religieuse, le concile Vatican II a établi que « l'exigence de liberté dans la société humaine regarde principalement ce qui est l'apanage de l'esprit humain et, au premier chef, ce qui concerne le libre exercice de la religion dans la société... Puisque la liberté religieuse que revendique l'homme dans l'accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu concerne son immunité de toute contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l'homme et des associations à l'égard de la vraie religion et de l'unique Église du Christ » (Dignitatis Humanae, DH 1).



6. Le Christ lui-même a lié la liberté à la connaissance de la vérité. « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous fera libres » (Jn 8,32). J'ai écrit à cet égard dans ma première encyclique : « Ces paroles contiennent une exigence fondamentale et en même temps un avertissement : l'exigence d'honnêteté vis-à-vis de la vérité comme condition d'une authentique liberté ; et aussi, l'avertissement d'éviter toute liberté apparente, toute liberté superficielle et unilatérale, toute liberté qui n'irait pas jusqu'au fond de la vérité sur l'homme et sur le monde » (Redemptor Hominis, RH 12).



La liberté ne saurait donc jamais s'expliquer sinon en relation avec la vérité telle qu'elle a été révélée par Jésus-Christ et qu'elle est enseignée par l'Église et elle ne peut donc être prise comme prétexte d'anarchie morale car tout ordre moral doit demeurer attaché à la vérité. Saint Pierre dit dans sa première épître : « Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leurs malices » (1P 2,16). Il ne peut exister de liberté qui aille contre l'homme dans ses relations avec autrui ou avec Dieu.



Ceci est particulièrement important si l'on considère le domaine de la sexualité humaine. Ici, comme dans tout autre champ, il ne saurait y avoir de vraie liberté sans respect de la vérité concernant la nature de la sexualité et du mariage. Dans la société actuelle, on relève tant de tendances qui sèment la confusion et tant de relâchement en ce qui concerne la vision chrétienne de la sexualité ; et tout cela a ceci de commun : le recours au concept de liberté pour justifier tout comportement qui n'est plus en harmonie avec le véritable ordre moral et avec l'enseignement de l'Église. Les règles morales ne militent pas contre la liberté de la personne ou du couple ; au contraire, elles existent précisément pour cette liberté car elles ont été données pour garantir le correct usage de la liberté. Quiconque refuse d'accepter ces règles et d'agir conformément, quiconque cherche à se libérer de ces règles n'est pas réellement libre. Est libre donc celui qui modèle responsablement son attitude selon les exigences du bien objectif. Ce que je viens de dire concerne l'ensemble de la moralité conjugale, mais s'applique avec autant de raison au prêtre en ce qui concerne les obligations du célibat La cohésion de la liberté et de l'éthique a également des conséquences pour la poursuite du bien commun dans la société et, pour l'indépendance nationale que la Cloche de la Liberté a annoncée il y a deux siècles.



7. La loi divine est la seule mesure de la liberté humaine et elle nous a été donnée dans l'Évangile du Christ, l'Évangile de la Rédemption. Mais la fidélité à cet Évangile de Rédemption ne sera jamais possible sans l'action du Saint-Esprit. C'est le Saint-Esprit qui protège le message de vie confié à l'Église. C'est le Saint-Esprit qui garantit la transmission fidèle de l'Évangile au sein de la vie de chacun de nous. C'est par l'action du Saint-Esprit que l'Église s'édifie jour après jour pour former le Royaume : un Royaume de vérité et de vie, un Royaume de sainteté et de grâces, un Royaume universel de justice, d'amour et de paix.



C'est pourquoi nous venons aujourd'hui devant le Père pour lui présenter les demandes et les désirs de notre coeur, pour lui offrir nos louanges et nos remerciements. Nous le faisons d'ici, de Philadelphie, pour l'Église universelle et pour le monde. Nous le faisons comme « familiers de Dieu » (Ep 2,19) en union avec le sacrifice de Jésus, notre pierre d'angle, pour la gloire de la Très Sainte Trinité. Amen.






3 octobre 1979



AUX SEMINARISTES



Après avoir célébré la messe au Logan Circle, Jean Paul II a terminé sa troisième journée aux États-Unis par une rencontre au séminaire Saint-Charles avec les prêtres, les religieux et les séminaristes de l'archidiocèse.



Bien-aimés frères et soeurs en Jésus-Christ,



Une des choses que je désirais le plus pouvoir faire durant ma visite aux États-Unis est maintenant arrivée. Je désirais visiter un séminaire et rencontrer des séminaristes ; et en passant par vous, faire savoir à tous les séminaristes tout ce que vous représentez pour moi, tout ce que vous signifiez pour le futur de l'Église — pour le futur de la mission que le Christ nous a confiée.



Vous avez une place toute spéciale dans ma pensée et dans mes prières. Il y a dans vos vies une grande promesse pour l'avenir de l'évangélisation. Et vous nous donnez l'espérance que l'authentique renouvellement de l'Église commencé avec le concile Vatican II nous portera ses fruits. Mais pour que cela advienne, il importe que vous receviez au séminaire une solide et complète préparation. Cette conviction personnelle de l'importance des séminaires m'a poussé à écrire aux évêques de l'Église dans ma lettre du Jeudi Saint : « La pleine reconstitution de la vie des séminaires dans toute l'Église sera le test le meilleur de la réalisation du renouveau vers lequel le Concile a orienté l'Église. »



1. Si les séminaires ont à remplir leur mission dans l'Église, deux activités ont, dans le programme général, une importance capitale : l'enseignement de la Parole de Dieu et la discipline.



La formation intellectuelle du prêtre, si importante et vitale à l'époque que nous vivons, embrasse un grand nombre de sciences humaines aussi bien que les différentes sciences sacrées. Les sciences humaines sont toutes importantes pour la préparation au sacerdoce. Mais la priorité absolue revient aujourd'hui dans les séminaires à l'enseignement de la Parole de Dieu, dans toute sa pureté et intégrité, avec toutes ses exigences et dans toute sa force. C'est ce qu'a clairement affirmé mon prédécesseur Paul VI quand il a assuré que les Écritures sacrées « sont une source perpétuelle de vie spirituelle, le moyen capital pour transmettre la doctrine chrétienne et enfin l'essence de toute la théologie » (Constitution apostolique Missale Romantim, 3. 4. 1969).



C'est pourquoi, si vous, les séminaristes de cette génération, devez être préparés de manière judicieuse à recevoir l'héritage et à relever le défi du concile Vatican II, il importe que vous soyez parfaitement formés à la Parole de Dieu.



En second lieu, le séminaire doit assurer une saine discipline pour préparer à une vie de service consacré à l'image du Christ. Son but a été très bien défini par le concile Vatican II : « Dans la vie du séminaire on doit considérer la discipline non seulement comme un auxiliaire efficace de la vie commune et de la charité, mais comme un élément nécessaire dans l'ensemble de la formation pour acquérir la maîtrise de soi, une solide maturité personnelle et les autres traits de caractère qui sont très précieux pour l'activité fructueuse et bien ordonnée de l'Église » (Optatam Totius, OT 11).



Quand la discipline est appliquée comme il se doit, elle crée un climat de recueillement qui met le séminariste en mesure de développer intérieurement ses aptitudes si souhaitables chez le prêtre comme la joyeuse obéissance, la générosité et l'abnégation. Les différentes formes de vie communautaire vous feront apprendre l'art du dialogue : la capacité d'écouter les autres et de découvrir la richesse de leur personnalité et le talent à donner de vous-mêmes. Loin de diminuer votre liberté, la discipline du séminaire la renforce car elle aidera à développer en vous ces traits et ces aptitudes de l'esprit et du coeur que Dieu vous a donnés, qui enrichissent votre humanité et vous aident à servir plus efficacement son peuple. La discipline vous aidera également à renforcer jour après jour dans votre coeur l'obéissance que vous devez au Christ et à son Église.



2. Je veux vous rappeler l'importance de la fidélité. Avant que vous puissiez recevoir l'Ordination, le Christ vous appelle à prendre librement et irrévocablement l'engagement de lui être fidèle, à lui et à son Église. La dignité humaine vous impose de maintenir cet engagement, de respecter votre promesse au Christ, quelles que soient les difficultés que vous rencontriez et quelles que soient les tentations auxquelles vous puissiez vous trouver exposés. La gravité de cet engagement irrévocable impose au recteur et au corps professoral du séminaire — et particulièrement au directeur spirituel — de vous aider à évaluer votre propre convenance à l'Ordination. C'est ensuite à l'évêque qu'il appartiendra déjuger si vous êtes appelés à la prêtrise.



Il est important que l'engagement soit pris de manière parfaitement consciente et en toute liberté. Et ainsi, durant ces années de séminaire, vous aurez tout le temps nécessaire pour réfléchir aux sérieuses obligations et aux difficultés qui font partie de la vie du prêtre. Considérez que le Christ vous appelle à une vie de célibat. Vous ne pourrez prendre une décision responsable au sujet du célibat que si vous avez acquis la ferme conviction que le Christ vous offre vraiment ce don, qui est entendu pour le bien de l'Église et pour le service d'autrui (cf. Lettre aux prêtres, n. 9).



Pour comprendre ce que signifie « être fidèle,», nous devons nous tourner vers le Christ, « le témoin fidèle » (Ap 1,5), le Fils qui « apprit l'obéissance de ce qu'il souffrit » (He 5,8) ; vers Jésus qui a dit : « mon jugement est juste parce que ce n'est pas ma volonté que je cherche, mais la volonté de celui qui m'a envoyé » (Jn 5,30). Levons les yeux sur Jésus non seulement pour voir et contempler sa fidélité au Père, nonobstant toute opposition (cf. He He 3,2 He 12,3), mais aussi pour apprendre de lui quels moyens il employa pour être fidèle : spécialement la prière et l'abandon à la volonté de Dieu » (cf. Lc Lc 22,39 et suiv.).



Rappelez-vous qu'en dernière analyse la persévérance dans la fidélité est une preuve, non de force et courage humains, mais de l'efficience de la grâce du Christ. Et ainsi si nous persévérons, nous devons être des hommes de prière qui, dans l'Eucharistie, la liturgie des heures et nos rencontres personnelles avec le Christ, trouvent le courage et la grâce d'être fidèles. Soyons donc confiants, nous rappelant les paroles de saint Paul : « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph3,13).



3. Mes frères et fils en le Christ, ayez toujours en tête les priorités du sacerdoce auquel vous aspirez : particulièrement la prière et le ministère de la Parole (Ac 6,4).



« C'est la prière qui définit le style essentiel du sacerdoce ; sans elle, ce style se déforme. La prière nous aide à retrouver toujours la lumière qui nous a conduits dès le commencement de notre vie sacerdotale et qui nous conduit continuellement... La prière nous permet de nous convertir sans cesse, de demeurer toujours tendus vers Dieu, ce qui est indispensable si nous voulons conduire les autres vers lui. La prière nous aide à croire, à espérer et à aimer. » (Lettre aux prêtres, 10.)



J'espère fermement que durant vos années de séminaire vous développerez une faim toujours plus grande de la Parole de Dieu (cf. Am Am 8,11). Méditez-la chaque jour, étudiez-la sans cesse, afin que toute votre vie devienne une proclamation du Christ, le Verbe qui s'est fait chair (cf. Jn Jn 1,14). Il y a dans cette Parole le commencement et la fin de tout ministère, le but de toute activité pastorale, la source qui rajeunit la persévérance fidèle ; elle est la seule chose qui puisse donner signification et unité aux multiples activités d'un prêtre.



4. « Que la Parole du Christ réside chez vous en abondance ! » (Col 3,16). Dans la connaissance du Christ vous avez la clé de l'Évangile. Dans la connaissance du Christ vous trouvez la compréhension des besoins du monde. Comme il est devenu un des nôtres, en tout sauf le péché, votre union avec Jésus de Nazareth ne pourra jamais être et ne sera jamais un empêchement à comprendre les besoins du monde et à y répondre. C'est finalement dans la connaissance du Christ que non seulement vous découvrirez et comprendrez les limites de la sagesse humaine et des solutions humaines aux besoins de l'humanité, mais que vous ferez également l'expérience du pouvoir de Jésus et de la valeur humaine et de l'effort humain quand ils sont associés à la force de Jésus, quand ils sont rachetés dans le Christ.



Daigne la Bienheureuse Vierge Marie vous protéger aujourd'hui et toujours !



5. Permettez-moi de saisir cette occasion pour saluer les laïcs présents aujourd'hui au séminaire Saint-Charles. Votre présence ici témoigne de votre estime pour le sacerdoce ministériel et elle rappelle en même temps cette étroite collaboration entre le laïcat et le sacerdoce, si nécessaire pour que la mission du Christ soit accomplie à notre époque. Je suis heureux que vous soyez ici présents et je vous suis reconnaissant pour tout ce que vous faites pour l'Église de Pennsylvanie. Je vous demande tout particulièrement de prier pour ces jeunes et pour tous les séminaristes afin qu'ils persévèrent dans leur vocation. Priez pour tous les prêtres et pour la réussite de leur ministère parmi le peuple de Dieu. Et priez le Seigneur de la moisson pour qu'il envoie plus d'ouvriers dans sa vigne, l'Église.






4 octobre 1979



EN L'EGLISE SAINT-PIERRE (CRYPTE)



A Philadelphie, Jean Paul II a voulu prier dans la crypte de l'église Saint-Pierre, sur la tombe de saint John Neumann qui fut évêque de Philadelphie.



Chers frères et soeurs en le Christ,



Je suis venu en cette église Saint-Pierre pour prier sur la tombe de saint John Neumann, zélé missionnaire, pasteur plein d'abnégation, fidèle fils de saint Alphonse dans la congrégation du Très Saint Rédempteur, quatrième évêque de Philadelphie.



Me trouvant ici, dans cette église, je pense à l'unique mobile de toute la vie de saint John Neumann : son amour pour le Christ. Ses prières nous révèlent cet amour : déjà en son plus jeune âge il avait l'habitude de dire : « Jésus, je veux vivre pour toi, je veux mourir pour toi, je veux être tout à toi durant toute ma vie ; je veux être tout à toi dans la mort » (Nicola Ferrante, S. Giovanni Neumann, C.SS.R., Pionere del Vangelo, p. 25). Et comme prêtre, il pria ainsi durant sa .première messe : « Seigneur, donnez-moi la sainteté. »



Mes frères et soeurs en le Christ : voici la leçon que nous tirons de la vie de saint John Neumann et voici le message que je vous laisse : ce qui importe vraiment dans notre vie est que nous soyons aimés par le Christ et que nous l'aimions de notre côté. Comparée à l'amour de Jésus, toute autre chose est secondaire. Et sans l'amour de Jésus, toute autre chose est inutile.



Marie, Mère du Secours Perpétuel, intercède pour nous ; saint John Neumann, prie pour nous ; et qu'à l'aide de leurs prières nous paissions persévérer dans la foi, être heureux dans l'espérance et fortifiés dans notre amour pour Jésus-Christ, notre Rédempteur et notre Seigneur.






4 octobre 1979



TOUJOURS CONSERVER LA TRADITION CHRETIENNE



Dans l'église San-Pedro de Philadelphie, dans la matinée du 4 octobre, après avoir visité la crypte où reposent les restes de saint Jean Neumann, Jean Paul II a adressé la parole en espagnol à un grand nombre de fidèles de langue espagnole de cette paroisse. Voici le texte de cette allocution :



Très chers frères et soeurs de langue espagnole,



Je vous salue avec joie et je me réjouis de votre présence enthousiaste ici, dans l'église San-Pedro où reposent les restes de saint Jean Neumann, le premier saint américain.



Vous vous êtes rassemblés ici nombreux comme membres de la communauté de langue espagnole, vous qui êtes arrivés dam ce pays comme immigrants ou qui êtes nés ici d'anciens émigrés ; et vous conservez la foi chrétienne comme le principal trésor de votre tradition.



Saint Jean Neumann lui aussi a été immigrant et il a connu beaucoup des difficultés que vous avez rencontrées vous-mêmes. : celle de la langue, celle d'une culture différente, celle de l'adaptation à la société.



Votre effort et votre persévérance pour conserver vos croyances religieuses sont bien connus, mais ils se situent en même temps au service de la communauté nationale tout entière pour être un témoignage d'unité au milieu du pluralisme de la religion, de la culture et de la vie sociale.



C'est en étant fidèles au message de salut de Jésus-Christ que vos communautés ecclésiales trouveront la voie juste pour ressentir leur appartenance de membres de l'Église universelle et de citoyens de ce monde.



Que la dévotion à Marie, notre Mère, et votre communion avec le vicaire du Christ continuent à être toujours, comme ils l'ont été jusqu'ici, la force qui alimente et fait croître votre foi chrétienne.



A vous tous ici présents, à ceux qui n'ont pas pu venir, en particulier aux malades et aux personnes âgées qui s'unissent spirituellement à cette rencontré, j'accorde de tout coeur une spéciale bénédiction apostolique.

4 octobre 1979



A LA CATHEDRALE UKRAINIENNE



Le 4 octobre, après sa visite à la tombe de saint Jean Neumann, le Saint-Père s'est rendu à la cathédrale ukrainienne de l'Immaculée-Conception où l'attendaient des milliers de fidèles ukrainiens. Le Saint-Père leur a adressé un discours — en partie en langue ukrainienne, puis en anglais — dont voici la traduction :



Loué soit Jésus-Christ !



C'est avec ce salut chrétien que je m'adresse à vous en votre langue maternelle, avant de commencer à vous parler en anglais.



En premier lieu, je salue tous les hiérarques ici présents, tant de la circonscription métropolite de Philadelphie que de celle de Pittsburgh.



Je salue particulièrement le métropolite de Philadelphie, nouvellement nommé.



Je vous salue tous cordialement, chers fidèles de la circonscription métropolite ukrainienne de .Philadelphie qui, fêtes venus vous réunir , ici, en ce temple de la Très Sainte Mère de Dieu, pour honorer en ma personne le successeur de Pierre sur la chaire de Rome, vicaire du Christ sur la terre.



Sur vous tous, chers frères et soeurs, j'invoque J'abondance des grâces du Dieu Tout-Puissant, par l'intercession de Marie, Vierge Immaculée, à qui est dédiée votre cathédrale.



Je vous bénis tous de grand coeur !

Loué soit Jésus-Christ !



Chers frères et soeurs,



« Or voici qu'à présent, dans le Christ Jésus... vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la Maison de Dieu. Car la construction que vous êtes a pour fondation les apôtres et les prophètes et pour pierre d'angle le Christ Jésus lui-même » (Ep 2, 13, 19-20). C'est en ces termes que saint Paul rappelle aux Éphésiens l'extraordinaire grâce qu'ils ont reçue en devenant membres de l'Église. Ces paroles sont tout aussi valables aujourd'hui. Vous faites partie de la Maison de Dieu. Vous, membres de la tradition ukrainienne, vous faites partie d'un édifice qui a pour base les apôtres et les prophètes et Jésus lui-même comme pierre d'angle. Tout est advenu conformément au dessein providentiel de Dieu.



Il y a quelques années, mon bien-aimé prédécesseur Paul VI offrit une pierre de la tombe de saint Pierre pour la construction de cette magnifique cathédrale dédiée à Marie Immaculée. Paul VI voulait faire de ce don le symbole visible, de l'amour et de l'estime du Siège apostolique de Rome pour l'Église ukrainienne. En même temps, cette pierre devait constituer un signe de la fidélité de l'Église ukrainienne au Siège de Pierre. Par ce geste profondément symbolique, Paul VI réaffirmait l'enseignement de l'apôtre Paul contenu dans l'épître aux Éphésiens.



Aujourd'hui, comme successeur de Paul VI sur la chaire de Pierre, je viens visiter cette magnifique cathédrale nouvelle. Je me réjouis de cette occasion et j'en profite pour vous donner l'assurance en tant que pasteur universel de l'Église, que tous ceux qui ont hérité de la tradition ukrainienne ont un rôle important et bien défini à remplir au sein de l'Église catholique.



Selon le témoignage de l'histoire, de nombreux rites et traditions se sont développés dans l'Église depuis le moment où,'de Jérusalem, elle s'est répandue dans le monde et s'est incarnée dans la langue, dans la culture et dans les traditions humaines des différents peuples qui accueillirent, de grand coeur, l'Évangile. Bien loin d'être un signe de déviation, d'infidélité ou de division, ces différents rites et traditions sont en fait une preuve incontestable de la présence du Saint-Esprit qui, sans cesse, renouvelle et enrichit l'Église, royaume du Christ déjà présent sous une forme mystérieuse (cf. Lumen Gentium, LG 3).



Les différentes traditions au sein de l'Église expriment la multiplicité des moyens qu'a l'Évangile pour s'enraciner et fleurir dans la vie du peuple de Dieu. Elles sont le signe vivant de la richesse de l'Église. Chacune, tout en étant unie à toutes les autres « dans la même foi, les mêmes sacrements et le même gouvernement » (Orientalium Ecclesiarum, OE 2) se manifeste néanmoins avec sa propre liturgie, sa discipline ecclésiastique et son patrimoine spirituel. Chaque tradition allie aux expressions artistiques particulières et aux simples intuitions spirituelles particulières sa propre expérience particulière vécue dans la fidélité au Christ.



C'est en vue de ces considérations que le concile Vatican II a déclaré : « L'histoire, les traditions et la plupart des institutions ecclésiastiques attestent hautement combien les Églises orientales ont mérité de l'Église universelle. Aussi le saint concile entoure ce patrimoine ecclésiastique et spirituel de l'estime qui lui est due et des louanges qu'il mérite à bon droit ; mais de plus, il le considère fermement comme patrimoine de toute l'Église du Christ » (Orientalium Ecclesiarum. OE 5).



C'est depuis bien, longtemps que moi-même j'ai la plus grande estime pour le peuple ukrainien. Je suis au courant des multiples souffrances et injustices que vous avez dû endurer. Ces faits ont été et sont encore pour moi un sérieux motif de grande préoccupation. Et j'ai conscience également de toutes les difficultés que l'Église catholique ukrainienne a dû affronter tout au long des siècles pour rester fidèle à l'Évangile et unie au successeur de Pierre. Je ne saurais oublier les innombrables martyrs ukrainiens des temps passés et même des époques récentes ; des martyrs souvent anonymes, qui ont mieux aimé perdre la vie que perdre la foi. J'évoque ceci, pour faire comprendre ma profonde estime pour l'Église ukrainienne et pour sa fidélité trempée dans la souffrance.



Je voudrais vous parler également de ces éléments que vous avez conservés en tant que patrimoine spirituel particulier : la langue liturgique slave, la musique d'église et les différentes formes de piété, qui se sont développées au cours des siècles et qui continuent à alimenter votre vie. Vous démontrez combien vous appréciez ces trésors par votre attachement jamais relâché à l'Église ukrainienne et par la manière dont vous avez continué, à vivre la foi suivant sa tradition particulière.



Frères et soeurs en Jésus-Christ, je veux vous rappeler les paroles prononcées par Jésus à la veille de sa mort sur la croix ; « Père... fais que tous soient une seule chose ! » (Jn 17,11). Il faut ne jamais oublier cette prière ; en fait nous devons chercher les voies et moyens les plus aptes à sauvegarder et à renforcer les liens qui nous unissent en une seule et même Église. Rappelez-vous les paroles de saint Paul : « La construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et prophètes et pour pierre d'angle le Christ Jésus lui-même » (Ep 2,20). L'unité de cet édifice spirituel qu'est l'Église se maintient par la fidélité à la pierre angulaire — le Christ —, et aux enseignements des apôtres gardés et expliqués dans ta tradition de l'Église. Nous sommes liés par une réelle et authentique unité de doctrine.



L'unité catholique a également pour signification la reconnaissance du successeur de saint Pierre et de son ministère tendant à renforcer et à maintenir intacte la communion de l'Église universelle et à sauvegarder en son sein l'existence des traditions particulières légitimes. L'Église ukrainienne a, comme toutes les Églises orientales, le droit et le devoir, conformément aux enseignements du Concile (cf. Orientalium Ecclesiarum OE 5) de conserver son propre patrimoine ecclésial et spirituel. C'est précisément parce que ces traditions particulières enrichissent l'Église universelle que le Siège apostolique de Rome se préoccupé vivement de les protéger et de les encourager. À leur tour, les communautés ecclésiales qui suivent ces traditions sont appelées à adhérer avec amour ; et respect à quelques formes particulières de discipline que mon prédécesseur et moi-même, assumant nos responsabilités à l'égard de l'Église universelle, avons estimées nécessaires pour le bien de tout le Corps du Christ.



L'unité catholique dépend dans une large mesure de la charité mutuelle. N'oublions pas que, l'unité de l'Église jaillit de fa croix du Christ, lui qui a brisé les barrières du péché et les divisions et nous a réconcilié avec Dieu et entre nous ; cet acte unificateur, Jésus l'a prédit lorsqu'il dit : « et moi, élevé de terre, j'attirerai tous les hommes » (Jn 12,32). Si nous continuons à imiter l'amour de notre Sauveur Jésus sur la Croix, et si nous persévérons dans notre amour mutuel, alors nous maintiendrons les liens d'unité dans l'Église et nous témoignerons de la réalisation de la prière du Christ : « Père... fais qu'ils soient tous une seule chose » (Jn I7, 11).



Aujourd'hui et pour toujours je vous confie à la protection de Marie Immaculée, Mère de Dieu et Mère de l'Église. Je sais que vous la vénérez avec grande dévotion. Cette magnifique cathédrale dédiée à l'Immaculée Conception est un témoignage éloquent de cet amour filial. Depuis des siècles, notre Mère bénie est la force de votre, peuple au milieu des souffrances, et son intercession amoureuse est pour lui un motif de joie.



Continuez à vous confier à sa protection.



Continuez à être fidèles à son Fils, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, Rédempteur du monde.



Et que la grâce de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ vous accompagne à jamais !






4 octobre 1979



PHILADELPHIE, AUX PRETRES AMERICAINS



Dernier engagement de Jean Paul II à Philadelphie avant de partir pour Dés Moines et Chicago : une sainte messe concélébrée le 4 octobre avec les prêtres représentant tes conseils presbytéraux de tous les diocèses d'Amérique. A l'Évangile, le Saint-Père a prononcé, l'homélie dont voici la traduction :



Chers frères prêtres,



1. Célébrant cette messe qui réunit les présidents de tous les conseils presbytéraux des États-Unis, le thème qui s'impose à nos réflexions est un thème vital : le sacerdoce lui-même et son importance capitale pour la mission de l'Église. Dans ma lettre encyclique Redemptor hominis, j'ai décrit cette mission comme suit : « A toutes les époques et particulièrement à la nôtre, le devoir fondamental de l'Église est de diriger le regard de l'homme, d'orienter la conscience et l'expérience de toute l'humanité vers le mystère du Christ, d'aider tous les hommes à se familiariser avec la profondeur de la Rédemption qui se réalise dans le Christ Jésus » (Redemptor hominis, RH 10).



Les conseils presbytéraux constituent une structure nouvelle dans l'Église, voulue par le concile Vatican II et par la récente législation de l'Église. Cette nouvelle structure donne une concrète expression à l'unité de l’évêque avec ses prêtres dans la mission de paître le troupeau du Christ, et elle aide l’évêque dans sa tâche spécifique de gouvernement du diocèse en lui fournissant la collaboration de conseillers représentatifs venant du presbyterium. La présente concélébration eucharistique a pour intention d'être un témoignage du bien accompli durant les années écoulées par tes conseils presbytéraux aussi bien qu'un encouragement à poursuivre toujours avec enthousiasme et décision ce but important qui est de « rendre la vie et l'activité du peuple de Dieu toujours plus conformes à l'Évangile » (cf. Ecclesiae sanctae, 16, 1). J'aimerais toutefois que cette messe soit surtout une occasion pour moi de parler du sacerdoce en m'adressant non seulement à vous, mais à tous mes frères les prêtres de ce pays. Je répète ce que je vous ai écrit le Jeudi saint : « Pour vous je suis un évêque, avec vous je suis un prêtre ».



Notre vocation sacerdotale nous a été donnée par le Seigneur Jésus lui-même, il s’agit d’un appel qui est personnel et individuel : nous avons été appelés par notre nom comme le fut Jérémie. C'est une invitation à servir : nous sommes envoyés pour annoncer la Bonne Nouvelle, pour « donner au troupeau de Dieu les soins du pasteur ». C'est un appel à la communion d'intentions et d'action : former un unique sacerdoce avec Jésus et entre nous, exactement comme Jésus et son Père sont une seule et même chose — une unité si belle que symbolisé cette messe concélébrée.



Le sacerdoce n'est pas purement et simplement une tâche qui nous a été confiée ; c'est une vocation, un appel qui doit être entendu et réentendu sans cesse. Entendre cet appel et répondre généreusement à ce que cet appel comporté est la tâche de chaque prêtre, mais ceci entraîne également la responsabilité des conseils presbytéraux. Cette responsabilité signifie approfondissement de notre compréhension du sacerdoce tel que le Christ l'a institué, tel qu'il veut qu'il soit et se maintienne, tel que l'Église l’explique, et le transmet fidèlement. La fidélité à l'appel au sacerdoce signifie édifier ce sacerdoce avec le Peuple de Dieu grâce à une vie de service en harmonie avec les priorités apostoliques : c'est-à-dire « concentrée sur la prière et le ministère de la parole » (Ac 6,4).



Dans l’Evangile de saint Marc, la vocation sacerdotale des Douze Apôtres est comme un bourgeon dont ta floraison déploie toute une théologie du sacerdoce. Dans le cadre du ministère de Jésus, nous lisons qu’« il gravit la montagne et appela à lui ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui et il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher la bonne nouvelle... » Le passage énumère ensuite les noms des Douze (Mc 3,13-14). Nous trouvons ici les trois aspects de l’appel fait par le Christ : Lui, d'abord, il appelle les prêtres, individuellement, et par leur nom ;il les appelle, pour le service de sa parole, pour prêcher l'Evangile ; et il en fait ses propres compagnons les insérant dans l'unité de vie et d'action qu'il forme avec son Père dans la véritable vie de la Trinité.



2. Explorons maintenant ces trois dimensions de notre sacerdoce en méditant les lectures de la Sainte Écriture de ce jour. En effet, l'Évangile situe dans la tradition de la vocation prophétique l'appel que Jésus a fait aux Douze Apôtres. Quand un prêtre réfléchit à l'appel de Jérémie à être prophète, il est en même temps rassuré et troublé. « Ne crains pas... car je suis avec toi pour te protéger », dit le Seigneur à tous ceux qu'il appelle, « voilà, je place mes paroles sur tes lèvres. » Qui ne se sentirait encouragé à entendre ces rassurantes paroles divines ? Déjà quand nous considérons pourquoi ces paroles rassurantes sont nécessaires, ne découvrons-nous pas en nous-mêmes également le peu d'enthousiasme que nous trouvons dans la réponse de Jérémie ? Tout comme pour lui, parfois notre conception du ministère est trop liée à la terre ; nous manquons de confiance en lui qui nous appelle. Nous pouvons ainsi arriver à trop nous attacher à notre propre vision du ministère, imaginant trop souvent qu'il dépend de nos propres talents, de nos propres capacités et oubliant parfois que c'est Dieu qui nous appelle, comme il a appelé Jérémie encore dans le sein maternel. Et ce n'est ni nos talents, ni nos capacités qui ont la priorité : nous sommes appelés pour annoncer la Parole de Dieu et non la nôtre ; pour administrer les sacrements qu'il a donnés à son Église ; et pour appeler le peuple à un amour que lui, le premier, a rendu possible.



Aussi, la soumission à l'appel de Dieu doit-elle se faire avec extrême confiante et sans réserve ; notre soumission à la Parole de Dieu doit être totale : le « oui » dit une fois pour toutes doit s'aligner sur le « oui » qu'a dit Jésus lui-même. Comme l'a écrit saint Paul : « Aussi vrai que Dieu est fidèle, notre langage avec vous n'est pas oui et non. Le Christ Jésus n'a pas été oui et non ; il n'y a eu que oui en lui » (2Co 1,18-19).



L'appel de Dieu est une grâce : c'est un don, un trésor « possédé en des vases d'argile pour qu'on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous » (2Co 4,7). Mais ce n'est pas un don confié au prêtre d'abord pour lui-même ; il est plutôt un don de Dieu pour l'Église tout entière et pour sa mission dans le monde. Le sacerdoce est un signe sacramentel immuable qui indique que l'amour de Dieu, le Bon Pasteur, pour son troupeau ne manquera jamais. Dans la lettre que je vous ai adressée le dernier Jeudi Saint, j'ai développé les aspects du sacerdoce en tant que don de Dieu : Notre sacerdoce, ai-je dit, « constitue un ministerium particulier, c'est à-dire un "service" à l'égard de la communauté des croyants. Il ne tire donc pas son origine de cette communauté, comme si c'était elle qui " appelait "ou "déléguait ". C'est en réalité un don pour cette communauté et il provient du Christ lui-même, de la plénitude de son sacerdoce » (Lettre aux prêtres, n. 4).



C'est le divin donateur lui-même qui prend l'initiative dans cette offrande de dons à son peuple. C'est lui « qui appelle » celui que lui-même a décidé.



Aussi, lorsque nous réfléchissons à l'intimité existant entre le Seigneur et son prophète, son prêtre — une intimité qui découle et résulte de l'appel dont il a lui-même pris l'initiative — nous pouvons mieux comprendre certaines caractéristiques du sacerdoce et nous rendre compte de leur convenance en ce qui concerne la mission de l'Église aujourd'hui tout comme par le passé.

a) Le sacerdoce est donné pour toujours — tu es sacerdos in aeternum — nous ne pouvons donc rejeter ce don une fois donné. Il n'est pas possible que, après avoir donné l'impulsion à dire « oui », Dieu veuille entendre dire « non ».

b) Le monde ne devrait pas s'étonner si l'appel de Dieu continue, par l'intermédiaire de l'Église, à nous proposer un ministère célibataire d'amour et de service, à l'exemple de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. L'appel de Dieu nous a, en effet, touché jusqu'au plus profond de notre être. Et après des siècles d'expérience, l'Église sait combien profondément il convient que le prêtre puisse donner cette réponse concrète dans sa vie, afin d'exprimer dans sa plénitude le « oui » qu'il a dit au Seigneur qui l'a appelé par son nom à son service.



c) Le fait qu'il s'agit d'un appel individuel, d'un appel personnel au sacerdoce fait par le Seigneur « aux hommes qu'il a choisis » concorde pleinement avec la tradition prophétique. Ceci devrait nous aider à comprendre que la traditionnelle décision de l'Église d'appeler au sacerdoce des hommes et non des femmes, n'est pas une prise de position au sujet de droits de l'homme, ni une exclusion de la femme de la sainteté et de la mission dans l'Église. Cette décision exprime plutôt la conviction de l'Église au sujet de la dimension particulière du don du sacerdoce par le moyen duquel Dieu choisit de paître son troupeau.



3. Chers frères : « Le troupeau de Dieu est parmi vous : consacrez-lui les bons soins du pasteur. » Combien étroitement liée à l'essence même de notre entendement dit sacerdoce est notre tâche de pasteurs ; dans l’histoire du salut revient sans cesse l'image des bons soins de Dieu pour son peuple. Et c'est uniquement dans le rôle de Jésus, le Bon Pasteur, que l'on peut comprendre notre ministère pastoral de prêtres. Rappelez-vous comment, dans son appel aux Douze, Jésus les engagea à être ses compagnons précisément afin de « les envoyer prêcher la Bonne Nouvelle». Le sacerdoce est une mission et un service ; le prêtre a été « envoyé » par Jésus pour « donner à son troupeau les soins du pasteur ». Cette caractéristique du prêtre — pour rappeler une belle expression au sujet de Jésus « l'homme-pour-les-autres » — nous indique ce que signifie authentiquement « donner ses soins au troupeau ». Cela signifie insister sur la conscience qu'a l'humanité du mystère de Dieu et de la profondeur de la Rédemption qui s'est réalisée en Jésus-Christ Le ministère sacerdotal est essentiellement missionnaire en soi ; il signifie être envoyé pour les autres comme le Christ fut envoyé par son Père pour évangéliser par amour de l'Évangile. Suivant les paroles de Paul VI « évangéliser signifie porter la Bonne Nouvelle à toutes les couches de l'humanité, et les renouveler » (Evangelii nuntiandi, EN 18). A la base et au coeur de son dynamisme, l’évangélisation contient une claire proclamation du fait que le salut se trouve en Jésus-Christ, le Fils de Dieu. C'est son nom, son enseignement, sa vie, ses promesses, son royaume et son mystère que nous proclamons devant le monde. Et l'efficacité de notre proclamation et donc le succès véritable de notre sacerdoce dépendent de notre fidélité au Magisterium au moyen duquel l'Église « garde le bon dépôt avec l'aide de l'Esprit-Saint qui habite en nous » (2Tm 1,14).



Comme modèle de tout ministère et apostolat dans l'Église, le ministère sacerdotal ne doit jamais être conçu en termes de chose acquise mais en tant que don ; il est un don qui doit être proclamé et partagé avec les autres. Ne le voit-on pas clairement dans l'enseignement de Jésus, quand la mère de Jacques et de Jean lui demanda que ses deux fils siègent, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, dans son royaume ? « Vous savez, dit Jésus, que les chefs des nations commandent en maître et que les grands font sentir leur pouvoir. Il n'en doit pas être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, se fera votre serviteur, et celui qui voudra devenir le premier, se fera votre esclave. C'est ainsi que le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20,25-28).



De- même que Jésus fut à la. perfection « un homme-pour-les-autres», se livrant complètement sur la croix, le prêtre doit être surtout un serviteur et « un homme-pour-les-autres » quand il agit in persona Christi, en conduisant l'Église dans cette célébration où se renouvelle le sacrifice de la Croix. C'est pour cette raison que dans le sacrifice eucharistique quotidien de l'Église, la Bonne-Nouvelle — que les Apôtres ont été chargés d'aller annoncer partout — est prêchée dans toute sa plénitude ; l’oeuvre de notre rédemption se renouvelle. C'est de la manière la plus parfaite que les Pères du concile Vatican II ont cerné cette, vérité fondamentale dans leur décret sur le ministère et la vie des prêtres : « Les autres sacrements, ainsi que tous les ministères ecclésiaux et les tâches apostoliques sont tous liés à l'Eucharistie et ordonnés à elle... On voit donc alors comment l'Eucharistie est bien la source et le sommet de toute l’évangélisation » (Presbyterorum ordinis, PO 5). Dans la célébration de l'Eucharistie, nous les prêtres nous sommes véritablement au coeur de notre ministère, de notre service « de donner au troupeau de Dieu les bons soins du pasteur ». Tout notre effort pastoral sera incomplet aussi longtemps que nous n'aurons pas conduit nos fidèles à la pleine et active participation au Sacrifice eucharistique.



4. Rappelons-nous comment Jésus a nommé douze disciples pour être ses compagnons. L'appel au service sacerdotal contient une invitation à une intimité toute spéciale avec le Christ. L'expérience vécue par les prêtres dans chaque génération leur a permis de découvrir que au centre de leur propre vie et de leur propre ministère, il y a leur union personnelle avec Jésus, leur qualité de compagnons de Jésus. Il n'est personne qui puisse effectivement porter la Bonne Nouvelle de Jésus aux autres sans avoir d'abord été son constant compagnon par la prière personnelle, sans avoir appris de Jésus le mystère à proclamer.



L’union avec Jésus, modelée sur l'unité du Fils avec le Père, à également une autre dimension intrinsèque comme le révèle sa prière au cours de la dernière Cène : « Qu’ils soient un comme nous, Père » (Jn 17,11). Son sacerdoce est une seule chose, et cette unité doit être actuelle et effective entre les compagnons qu'il s'est choisis. D'où l'unité entre les prêtres, vécue en pleine fraternité et amitié, est une exigence inéluctable et constitue une partie intégrante de la vie du prêtres.

L'unité entre les prêtres n'est pas une unité ou fraternité qui à sa propre fin en soi. Elle doit exister par amour de l'Évangile, pour symboliser, dans la réalisation du sacerdoce, la direction essentielle à laquelle l’Évangile appelle tout fidèle : une union d'amour avec lui et avec tout autre. Et seule cette union peut garantir paix, justice et dignité à chaque être humain. Il n'est pas douteux que c'est là la signification soulignée par Jésus dans sa prière lorsqu'il poursuit : «Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un, comme toi, Père, tu est en moi et moi en Toi ». (Jn 17,20-21). Aussi, comment le monde pourrait-il croire que le Père a envoyé Jésus, sinon en constatant de manière tangible que ceux qui croient en Jésus ont écouté son commandement de « s'aimer l'un l'autre » ? Et comment les fidèles, pourraient-ils être convaincus que cet amour est concrètement possible, si l'exemple ne leur en venait pas de l'unité de leurs prêtres, de ceux-là mêmes dont Jésus a, dans le sacerdoce, fait ses compagnons ?



Mes frères prêtres : n'avons-nous pas touché le sujet à son centré : notre zèle en faveur du sacerdoce lui-même ? Il est inséparable de notre zèle dans le service à l'égard du peuple. Cette messe concélébrée, qui de manière si belle symbolise l'unité de notre sacerdoce, donne au monde entier un témoignage de cette unité pour laquelle Jésus a élevé, en notre faveur, sa prière vers le Père. Mais il ne faut pas que cela soit seulement une manifestation passagère qui rendrait stérile la Parole de Jésus. Toute célébration eucharistique renouvelle cette prière pour l'unité : « Souviens-toi Seigneur de ton Église répandue sur toute la terre ; rends-la parfaite dans l'amour, en union avec notre pape Jean Paul... nos évêques et tous les prêtres ».



Vos conseils presbytéraux, cette nouvelle structure dans l'Église, fournissent un merveilleux moyen pour rendre visiblement témoignage de l'unique sacerdoce que vous partagez avec vos évêques et les uns avec les autres, et pour démontrer ce qui doit se trouver au coeur du renouvellement de chaque structure dans l'Église : l'unité pour laquelle Jésus lui-même à prié.



5. Au début de cette homélie, je vous ai demandé d'assumer les responsabilités de votre sacerdoce, une tâche qui incombe à chacun de vous personnellement, une tâche à partager avec tous les prêtres et qui doit concerner tout particulièrement vos conseils presbytéraux. La foi de toute l'Église impose de comprendre clairement et exactement ce qu'est réellement le sacerdoce et la place qu'il occupe dans la mission de l'Église. Aussi l'Église compte-t-elle sur vous pour approfondir toujours plus cette compréhension et pour la mettre en pratique dans votre vie et dans votre ministère : en d'autres mots pour partager le don de votre sacerdoce avec toute l'Église en renouvelant la réponse que vous avez déjà donnée à l'invitation du Christ : « viens, suis-moi ! », en vous livrant totalement comme lui-même l'a fait.



Parfois nous entendons ces mots : « Priez pour les prêtres ! ». Aujourd'hui j'adresse ces mêmes paroles comme un appel, comme une supplication, à tous les fidèles de l'Église, aux États-Unis. Priez pour les prêtres, afin que tous et chacun d'eux répètent sans cesse leur « oui » à l'appel qu'ils ont reçu, continuent sans fin à prêcher le message évangélique et soient à jamais fidèles comme compagnons de notre Seigneur, Jésus-Christ.



Chers frères prêtres : comme nous renouvelons le mystère pascal et que nous nous trouvons réunis au pied de la croix avec Marie, Mère de Dieu, permettez-moi de vous confier à Elle. Nous trouverons dans son amour de la force pour nos faiblesses et de la joie pour nos coeurs.






4 octobre 1979



DES MOINES : A LA COMMUNAUTE RURALE DE SAINT-PATRICK



Après la célébration au Civic Center à Philadelphie, le Saint-Père s'est rendu en avion à Des Moines, capitale de l'Iowa et important centre agricole du Mid-West. Accueilli par les autorités religieuses et civiles de l'État et de la ville, Jean-Paul II n'a pas tardé à rejoindre l'église paroissiale Saint-Patrick.



Chers frères et soeurs,



J'éprouve une grande joie à me trouver aujourd'hui parmi vous, au coeur de l'Amérique, dans cette gracieuse église Saint-Patrick de cette colonie irlandaise. Mon voyage pastoral à travers les États-Unis aurait semblé incomplet sans une visite, même brève, à une communauté rurale comme celle-ci. J'aimerais partager avec vous quelques idées que fait naître ce cadre particulier et qui me sont suggérées par ma rencontre avec les familles qui constituent cette paroisse rurale.



Proclamer Jésus-Christ et son Évangile : voilà la tâche fondamentale que l'Église a reçue de son fondateur et assumée depuis l'aurore de la première Pentecôte. Les premiers chrétiens furent fidèles à la mission que le Seigneur Jésus leur avait confiée par l'intermédiaire de ses Apôtres : « Ils se montraient assidus à l'enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle ; à la fraction du pain et aux prières (Ac 2,42). C'est ce que doit faire toute communauté de fidèles : proclamer le Christ et son Évangile, fraternellement unis dans la foi apostolique, la prière et la célébration de l'Eucharistie.



Tant de paroisses catholiques ont continence comme la vôtre aux premiers temps de l'établissement dans cette région : une modeste petite église au centre d'un groupe de fermes, un centre de prière et de fraternité, le coeur d'une véritable communauté chrétienne où les gens se connaissent personnellement prennent part aux problèmes les uns des autres et témoignent tous ensemble de l'amour de Jésus-Christ.



Dans vos fermes, en contact avec la nature, vous êtes tout près de Dieu : dans votre travail des champs vous suivez le rythme des saisons ; et dans vos coeurs vous vous sentez proches les uns des autres comme enfants d'un Père commun, comme frères et soeurs en Jésus-Christ. Combien grand est le privilège de pouvoir comme vous dans cette région adorer Dieu tous ensemble, célébrer votre unité spirituelle et vous aider mutuellement à supporter les fardeaux. Le synode des évoques de 1974, à Rome et Paul VI dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi ont accordé une très grande attention aux petites communautés où il est possible d'arriver à une dimension humaine bien plus prononcée que dans les grandes villes ou dans les métropoles tumultueuses. Faites que votre petite communauté soit un vrai centre de vie chrétienne et d'évangélisation sans vous isoler de votre diocèse ou de l'Église universelle, sachant qu'une communauté à face humaine doit aussi refléter le visage de Jésus.



Soyez reconnaissants au Seigneur pour les grâces qu'il vous accorde, celle d'appartenir à cette communauté paroissiale rurale n'étant pas la moindre. Daigne votre Père céleste vous bénir, tous et chacun de vous. Que la simplicité de votre vie et la bonne entente de votre communauté soient le terrain fertile d'un engagement croissant au service de Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde.



Quant à moi, je remercie le Seigneur qui m'a donné l'occasion de venir chez vous et de le représenter parmi vous comme vicaire du Christ Je vous remercie également pour votre chaleureux accueil et pour m'avoir offert l'hospitalité tandis que je me prépare à rencontrer une plus grande foule aux « Living Farms ».



J'assure aussi tout particulièrement de ma gratitude l'évêque de Des Moines pour son invitation que j'ai vivement appréciée. Il a souligné les nombreuses raisons pour lesquelles, une visite à Des Moines serait des plus significatives : Des Moines un des plus grands centres agricoles de ce pays, siège de la dynamique et méritante Catholic Rural Life Conference (Conférence catholique pour la vie rurale) dont l'histoire est si intimement liée au nom d'un pasteur grand ami de la population, rurale, Mgr Louis Ligutti ; une région qui se distingue par son engagement communautaire et son activité centrée sur la famille ; un diocèse qui prend part, avec tous les évêques catholiques de ce centre, aux efforts croissants pour édifier une communauté.



Mes salutations et mes meilleurs voeux s'adressent enfin à tout l'État de l'Iowa, aux autorités civiles et à toute sa population qui m'ont si généreusement prodigué une hospitalité marquée de gentillesse.



Que Dieu vous bénisse par l'intercession de Marie, Mère de Jésus et Mère de l'Église.






4 octobre 1979



HOMÉLIE AUX « LIVING HlSTORY FARMS »



Deuxième acte de la visite du Saint-Père à Des Moines : la messe en plein air dans le cadre des « Living History Farms », un véritable jardin-musée où ont été reconstruites jusque dans leur moindre détail d'anciennes fermes et qui constitue une image vivante de l'histoire de l'agriculture aux États-Unis. Plus de 800 000 personnes ont participé au sacrifice eucharistique durant lequel le Saint-Père a prononcé l'homélie dont voici la traduction :



Chers frères et soeurs en le Christ,



Ici, au coeur de l'Amérique rurale, au milieu des champs généreux du temps des moissons, je viens célébrer l'Eucharistie.



Comme je suis parmi vous en cette époque automnale des récoltes, ces paroles répétées chaque fois que les fidèles se réunissent pour la messe sont, me semble-t-il, des plus appropriées : « Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de l'univers ; de ta bonté nous tenons ce pain à offrir, fruit de la terre et des mains de l'homme. »



Comme j'ai toujours été près de la nature, permettez-moi de vous parler aujourd'hui des champs, de la terre, de « ce que la terre nous a donné et que la main de l'homme a produit ».



1. La terre est un don que Dieu a fait à l'homme dès les origines. Elle est un don de Dieu, dû à l'amour du Créateur, fait pour assurer ta subsistance de la vie qu'il avait créée. Mais la terre n'est pas seulement un don de Dieu ; elle est aussi une responsabilité de l'homme. L'homme, créé lui-même du limon de la terre (cf. Gn Gn 3,7) en a été constitué le maître (cf. Gn Gn 1,26). Afin de donner du fruit, la terre allait dépendre du talent et de l'habileté, de la sueur et du labeur de l'homme à qui Dieu la confierait. Et ainsi, la nourriture qui allait soutenir la vie sur la terre, Dieu voulut qu'elle suit, en même temps « ce que la terre donne et ce que la main de l'homme produit ».



A vous tous, fermiers, à vous tous associés à la production agricole je désire dire ceci : l'Église tient votre travail en très haute estime. Le Christ lui-même a témoigné de son estime pour la vie des champs quand il parle de son Père comme « vigneron ». Vous collaborez avec le Créateur, le « vigneron » pour soutenir et nourrir la vie. Vous obéissez au commandement que Dieu a donné tout à l'origine : « Remplissez la terre et dominez-la » (Gn 1,28). Ici au coeur de l'Amérique agricole, les vallées et les collines se sont couvertes de grain et les troupeaux se sont multipliés de nombreuses fois. Grâce à un rude labeur vous êtes devenus maîtres de la terre et vous l'avez dominée. En vertu de la grande fécondité que favorisent les progrès de l'agriculture moderne, vous soutenez la vie de millions de personnes qui n'ont aucune activité dans les champs, mais qui vivent grâce à ce que vous produisez. Attentif à ceci, je fais miennes les paroles de mon vénérable prédécesseur Paul VI : « La dignité de ceux qui travaillent la terre et de tous ceux qui sont engagés à différents niveaux dans la recherche et l'action en matière de développement agricole doit être inlassablement, reconnue et encouragée» (Message à la Conférence mondiale pour l'alimentation, nov. 1974, n. 4).

Quelle est donc l'attitude qui doit dominer dans les relations de l'homme; avec la terre ? Comme toujours, nous devons commencer par nous tourner vers Jésus, pour répondre car, comme le dit saint Paul : « Vous devez, avoir les mêmes sentiments que le Christ Jésus » (Ph 2,5). Dans la vie de Jésus, nous découvrons une réelle intimité avec la nature. Dans son enseignement, il s'est référé aux « oiseaux de l'air », (Mt 6,26), aux « lys des champs» (Mt 7,17). Il a parlé de l'agriculteur qui s'en va répandre la semence (Mt 13, 4, et suiv.) Il se réfère à son Père céleste en l'appelant « vigneron » (Jn 15,1) ; et lui-même, se présente comme le Bon Pasteur (Jn 10,14). Cette proximité avec la nature, ces références spontanées, à la création comme don de Dieu, la bénédiction d'une famille étroitement unie — caractéristique de la vie dans la ferme à toute époque comme encore aujourd'hui — tout cela a fait partie de la vie de Jésus. C'est pourquoi je vous invite à faire en sorte que votre attitude soit toujours semblable à celle de Jésus.



2. Trois attitudes sont particulièrement appropriées à la vie rurale. D'abord la reconnaissance. Rappelez-vous les premières paroles de Jésus dans l'Évangile que nous venons d'entendre : des paroles de reconnaissance envers son divin Père : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je t'offre mes louanges. » Que ce soit là votre sentiment. Chaque jour l'agriculteur est amené à se rappeler qu'il dépend de Dieu. Du ciel vient la pluie, le vent, la splendeur du soleil. Ils viennent sans ordre ou contrôle de la part de l'agriculteur. Celui-ci prépare le terrain, jette la semence, s'occupe de la moisson. Mais c'est Dieu qui la fait croître ; lui seul est la source de la vie. Même les désastres naturels comme la tempête de grêle et la siccité, les ouragans et les inondations, rappellent à l'homme des champs qu'il dépend de Dieu. Ce fut certainement la conscience de ce fait qui fut à l'origine des premiers pèlerinages en Amérique, pour finir par établir la fête que vous appelez Thanksgiving (remerciement). Après chaque récolte — et peut-être est-ce arrivé également ici cette année, l'agriculteur fait proprement sienne la prière de Jésus : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je t'offre mes louanges ».



En deuxième li, la terre doit être traitée avec soin parce qu'elle doit garder sa fertilité d'une génération à l'autre. Vous qui vivez au coeur de l'Amérique ; vous avez reçu en charge une des meilleures terres du monde : un sol si riche en minéraux, un climat si favorable pour produire d'abondantes moissons, avec de l'eau pure et un air non contaminé partout autour de vous. Vous êtes les dispensateurs de quelques-unes des plus grandes ressources que Dieu ait données au monde. Aussi, protégez-la bien, cette terre, afin que les fils de vos fils et toutes les générations suivantes puissent hériter d'une terre aussi riche que celle qui vous a été confiée. Et rappelez-vous ce qu'il y a au coeur de votre vocation. S'il est vrai qu'ici l'agriculture peut assurer une avantageuse situation économique, elle sera cependant toujours beaucoup plus qu'une entreprise orientée vers les profits. Dans le travail des champs, vous collaborez avec le Créateur pour soutenir vraiment la vie sur la terre.



En troisième lieu, je voudrais parler, de la générosité, une générosité qui découle du fait que « Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent affluer équitablement entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (Gaudium et Spes, GS 69). Vous qui êtes aujourd'hui agriculteurs, vous êtes les intendants d'un don de Dieu destiné au bien de toute l'humanité. Vous avez le pouvoir de fournir la nourriture à des millions d'hommes qui n'ont rien à manger et donc, d'aider le monde à se libérer de la famine. Je vous adresse la question que posa Paul VI il y a cinq ans : « ... Si le potentiel de la nature est immense, si celui de la maîtrise de l'esprit humain sur l'univers semble presque illimité, que manque-t-il trop souvent..., sinon cette générosité, cette inquiétude que suscite la vue des souffrances et des misères des pauvres, cette profonde conviction que toute la famille pâtit quand un de ses membres est en détresse? (Message à la World Food Conference du 9 novembre 1974, n. 9).



Vous souvenez-vous de Jésus lorsqu'il vit la foule affamée groupée autour de la montagne ? Quelle fut son attitude ? Il ne se limita pas à exprimer sa pitié. Il ordonna à ses disciples de leur donner à manger eux-mêmes (cf. Mt Mt 14,16). Et aujourd'hui, Jésus ne nous adresse-t-il pas les mêmes paroles, à nous qui vivons au XX° siècle, à nous qui avons les moyens nécessaires pour donner à manger à ceux qui ont faim dans le monde ?



Répondons généreusement à ce commandement de Dieu, en, répartissant le fruit de notre travail, en partageant avec les autres les expériences acquises en nous faisant partout, promoteurs de développement agricole et en défendant le droit au travail des populations rurales parce que tout le monde a droit à un emploi utile.



3. Les agriculteurs pourvoient au pain pour l'humanité tout entière, mais c'est Jésus seul qui est le pain de vie. Loi seul peut satisfaire la faim la plus profonde du monde. Comme le disait saint Augustin : « Nos coeurs sont sans repos jusqu'à ce qu'ils reposent en toi » (Confess. 1). Tandis que nous nous rappelons la faim physique de millions de nos frères et soeurs de tous les continents, en cette célébration eucharistique, nous pensons que la faim la plus profonde se trouve dans l'âme humaine. A tous ceux qui connaissent cette faim intérieure, Jésus dit : « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau et je vous restaurerai. » Mes frères, soeurs en le Christ : écoutons ces mots du plus profond de notre coeur. Ils s'adressent à chacun de nous. A tous ceux qui travaillent la terre, à tous ceux qui récoltent le fruit de leur travail, à chaque homme et femme de la terre, Jésus dit : « Venez à moi… et je vous restaurerai ». Même si toute la faim physique du monde était apaisée, même si tous ceux qui ont faim étaient rassasiés grâce à leur propre travail ou par la générosité des autres, même alors la faim la plus profonde de l'homme existerait encore.



Nous nous souvenons de la lettre de saint Paul aux Galates : « Tout ce qui importe, c'est d'être une créature nouvelle : Seul le Christ peut créer à nouveau et cette nouvelle création trouve son commencement uniquement dans la Croix et la Résurrection. Dans le Christ seul toute création est rétablie dans son ordre propre. C'est pourquoi je vous le dis : Venez tous au Christ. Il est le pain de vie. Venez au Christ et vous n'aurez plus jamais faim. »



Apportez au Christ le produit de vos mains, le fruit de vos champs, ce que « la terre a donné et les mains humaines produit ». Sur cet autel, ces dons seront transformés dans l'Eucharistie du Seigneur.



Apportez avec vous vos efforts pour rendre ces champs fertiles, votre travail et vos peines. A cet autel, grâce à la vie, à la mort et à la Résurrection du Christ, toute activité humaine est sanctifiée, sublimée et accomplie.



Amenez avec vous les pauvres, les malades, les marginaux, les affamés ; ceux qui sont harassés et ploient sous le fardeau. A cet autel, ils seront rafraîchis, le joug leur semblera aisé et le fardeau léger.



Et surtout amenez vos familles et consacrez-les de nouveau au Christ afin qu'elles continuent à former une communauté qui travaille, vit et aime, où la nature est respectée, où les fardeaux sont partagés et où le Seigneur est loué avec reconnaissance.






4 octobre 1979



CHICAGO : A LA CATHEDRALE



Le 4 octobre, une fois terminée la célébration eucharistique dans les « Living History Farms » de Des Moines, Jean Paul Il a repris la voie de l’air et une heure plus tard il débarquait à Chicago. Reçu à l'aéroport O'Hare par le cardinal Cody, et les autorités de l'État de l'Illinois et de la métropole de Chicago, le Saint-Père s'est rendu en la « Holy Name Cathedral » où il a prononcé un discours.



Chers frères et soeurs en le Christ,



De Philadelphie à Des Moines, de Des Moines à Chicago ! En un jour, j'ai vu une grande partie de votre immense pays, et j'ai remercié le Seigneur pour la foi et pour les réalisations de sa population. Ce soir, me voici à Chicago, en la « Holy Name Cathedral ». Je remercie le Seigneur pour la joie de cette rencontre.



A vous ma reconnaissance toute spéciale, cardinal Cody, pendant de nombreuses années mon frère dans le Collège des évêques, vous le pasteur de ce grand archidiocèse de Chicago. Je vous remercie pour votre aimable invitation et pour tout ce que vous avez fait pour préparer ma visite. J'adresse également un salut plein d'estime et d'affection à tous les prêtres, tant diocésains que religieux qui prennent une part si particulière et si intime à la responsabilité de porter le message du salut, à tant de peuples. Je suis également heureux de rencontrer les personnes appartenant aux divers secteurs de l'Église : les diacres et les séminaristes, les religieux et religieuses, les maris et femmes, les mères et les pères, les célibataires, les veuves, la jeunesse et les enfants : ainsi nous pouvons célébrer tous ensemble notre unité ecclésiale dans le Christ.



C'est avec une joie toute spéciale que je vous remercie, chacun de vous ici présent, dans cette cathédrale du Très Saint Nom, où par la grâce de Dieu, je reviens une fois de plus. Ici se trouve symbolisée et réalisée l'unité de cet archidiocèse, de cette Église locale — riche d'histoire et de fidélité, riche de générosité à l'égard de l'Évangile, riche de la foi de millions d'hommes, de femmes et d'enfants qui pendant des décennies ont trouvé la sainteté et la justice en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ.



Et aujourd'hui, je veux célébrer avec vous le grand mystère exprimé dans le titre de votre cathédrale : le Saint Nom de Jésus, Fils de Dieu et Fils de Marie. »



Je suis venu chez vous pour vous parler du salut en Jésus-Christ. Je suis venu pour le proclamer de nouveau : pour proclamer ce message, à vous, avec vous et pour vous — et pour toute la population. Comme successeur de Pierre, parlant sous l'action de l'Esprit-Saint, je proclame avec force : « Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par qui nous devions être sauvés » (Ac 4,12).



C'est au nom de Jésus que je viens à vous. Notre service d'aide au monde dans ses besoins est exercé au nom de Jésus. Le repentir et le pardon des péchés est prêché en son nom (cf. Lc Lc 24,27). Et « en croyant, chacun de nous a la vie en son nom » (cf. Jn Jn 20,31).



Dans ce nom — dans le Saint Nom de Jésus — il y a de l'aide pour les vivants, de la consolation pour les mourants, de la joie et de l'espérance pour le monde entier.



Chers frères et soeurs de l'Église de Chicago, faisons toute chose « au nom de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ » (Col 3,12).



Que les paroles que je vous ai adressées en arrivant ici, les paroles de quelqu'un qui a été appelé à être le serviteur des serviteurs de Dieu, soient pour tout Chicago, pour les autorités et la population, l'expression de ma solidarité fraternelle. Comme je voudrais pouvoir rencontrer personnellement chacun de vous, aller vous voir chez vous, parcourir les rues pour mieux comprendre la richesse de vos personnalités et la profondeur de vos aspirations. Puissent les paroles que je vous adresse être un encouragement pour tous ceux qui se prodiguent pour donner à votre communauté un sens de fraternité, de dignité et d'unité. En venant ici, je désire vous exprimer mon respect — au-delà des confins de la foi catholique et au-delà de toute religion — pour l'homme, pour l'humanité qui existe en chaque être humain. Le Christ que je représenter indignement, me pousse à le faire. Je dois obéir à son commandement d'amour fraternel. Et je le fais avec grande joie.



Que Dieu daigne ennoblir l'humanité dans cette grande ville de Chicago !






4 octobre 1979



A SAINT-PIERRE



Aux religieux

Après sa rencontre avec le clergé et les fidèles de l'archidiocèse de Chicago, le pape s'est rendu à l'église Saint-Pierre où étaient rassemblés plusieurs milliers de religieux.

Frères en le Christ,



« Je rends grâces à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous, en tout temps dans toutes mes prières pour vous, prières que je fais avec joie ; car je me rappelle la part que vous avez prise à l'Évangile depuis le premier jour jusqu'à maintenant » (Ph 1,3-5), Ces paroles de saint Paul expriment mes sentiments ce soir. Il est bon d'être avec vous. Et je rends grâces au Seigneur pour votre présence dans cette Église, et pour votre collaboration dans la proclamation de l'Évangile.



Frères, le Christ est le but et la mesure de notre vie. Votre vocation a son origine dans la connaissance du Christ et votre vie a trouvé son soutien dans son amour. Car il vous a appelés pour que vous le suiviez de plus près dans une vie consacrée par le don des conseils évangéliques. Vous le suivez avec sacrifice et générosité spontanée. Vous le suivez avec joie « en chantant à Dieu de tout votre coeur, avec reconnaissance, par des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés » (Col 3,16). Et vous le suivez avec fidélité, considérant même que c'est un honneur de subir des outrages à cause de son nom (cf. Ac Ac 5,42).



Votre consécration religieuse est essentiellement un acte d'amour. C'est une imitation du Christ qui s'est donné lui-même à son Père pour le salut du monde. Dans le Christ, l'amour pour son Père et l'amour pour le genre humain sont unis. Et il en est ainsi avec vous. Votre consécration religieuse n'a pas seulement approfondi votre don baptismal d'union avec la Sainte Trinité, mais elle vous a appelés également à un plus grand service en faveur du Peuple de Dieu. Vous êtes unis très intimement à la Personne du Christ et vous prenez part pleinement à sa mission de salut pour le monde.



C'est au sujet de votre coopération à la mission du Christ que je désire vous parler ce soir.



2. Permettez-moi de vous rappeler les qualités personnelles nécessaires pour coopérer effectivement avec le Christ dans sa mission. En premier lieu, vous devez être intérieurement libres, spirituellement libres. La liberté dont je vous parle peut sembler un paradoxe à beaucoup, même des membres de l'Église se méprennent à ce sujet. Elle est cependant la liberté fondamentale de l'homme et Jésus nous l'a gagnée sur la Croix. « Nous étions encore sans force, lorsque, au temps fixé, le Christ est mort, pour les impies » (Rm 5,6).



Cette liberté spirituelle reçue dans le baptême, vous avez voulu l'accroître et la renforcer par votre soumission spontanée à l'appel de suivre dé près le Christ dans la pauvreté, la chasteté et l'obéissance. Sans souci de ce que disent les autres ou de ce que le monde croit, votre promesse d'observer les conseils évangéliques n'a pas amoindri votre liberté : vous n'êtes pas moins libres parce que vous obéissez ; et vous n'êtes pas moins capables d'amour parce que vous avez accepté le célibat. Au contraire ! La fidèle pratique des conseils évangéliques accentue votre dignité humaine, libère le coeur humain et fait brûler votre coeur d'un amour intégral pour le Christ et pour ses frères et soeurs dans le monde (cf. Perfectae Caritatis, PC 1-12).



Mais cette liberté d'un coeur non partagé (cf. 1Co 7,32-35) doit se maintenir par une vigilance continue et par la prière. Si vous vous unissez sans cesse au Christ dans la prière, vous serez toujours libres et toujours plus empressés à prendre part à sa mission.



3. Deuxièmement, vous devez placer l'Eucharistie au centre de votre vie. Tandis que de diverses manières vous prenez part à la passion, à la mort et à la résurrection du Christ c'est spécialement dans l'Eucharistie qu'elles sont toutes célébrées et qu'elles deviennent efficaces. Dans l'Eucharistie, votre esprit et votre coeur se recréent et vous y trouverez la force de vivre jour par jour pour lui, le Rédempteur du monde.



4. Troisièmement consacrez-vous à la parole de Dieu. Rappelez-vous ce qu’a dit Jésus : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 8,21). Si vous écoutez sincèrement la Parole de Dieu et que vous cherchez, humblement mais avec constance à la mettre en pratique, elle produira .des fruits dans votre vie comme le grain tombé dans une terre fertile.



5. Le quatrième et dernier élément qui rendra efficace votre coopération à la mission du Christ est l'amour fraternel. Votre vie vécue en religieuse communauté est la première expression concrète de votre amour pour le prochain. Voilà la première exigence ; que l'abnégation et, je service généreux soient exercés en vue d'édifier la communauté fraternelle. Cet amour qui vous unit comme des frères en une communauté devient à son tour la force qui vous soutient dans votre mission au service de l'Église.



6. Mes frères en Jésus-Christ, aujourd'hui l'Église honore saint François d'Assise. Lorsque je pense à ce grand saint je me rappelle sa grande joie devant la création de Dieu, sa simplicité enfantine, son mariage poétique avec « Dame pauvreté », son zèle missionnaire et son désir de participer pleinement à la Croix du Christ. Quel merveilleux héritage il a laissé à ceux qui parmi vous sont franciscains, et également à nous tous.



De la même manière Dieu à élevé d'autres hommes et femmes à un haut degré de sainteté. Également ceux-ci Dieu les a destinés à fonder des familles religieuses qui, chacune selon sa voie, devaient jouer un rôle important dans la mission de l'Église. La clé de l'efficacité de chacun de ces instituts religieux a été sa fidélité au charisme initial que Dieu a donné d'abord à chacun de ces fondateurs ou fondatrices, pour enrichir l'Église. C'est pourquoi je, répète ce qu'a dit Paul VI : « Soyez fidèles à l'esprit de vos fondateurs, à leurs intentions évangéliques et à l'exemple de leur sainteté... C'est précisément ici que trouve son origine le dynamisme propre de chaque famille religieuse » (Evangelica Testification, 11-12). Et ceci reste une base solide pour décider quelles activités ecclésiales spécifiques chaque institut et chaque membre individuel doivent exercer dans le but de remplir la mission de l'Église.



7. N'Oubliez jamais le but spécifique ultime de tout service apostolique : conduire chaque jour les hommes et les femmes de notre époque à la communion avec la Très Sainte Trinité. Aujourd'hui, l'humanité est de plus en plus tentée de chercher la sécurité dans les biens, dans la science, dans le pouvoir. Par le témoignage de vos vies consacrées au Christ dans la pauvreté, la chasteté et l'obéissance, vous défiez cette fausse sécurité. Vous êtes un rappel vivant que le Christ seul est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14,6).



8. Aujourd'hui les religieux sont engagés dans une large gamme d'activités : l'enseignement dans les écoles catholiques, l'annonce de la parole de Dieu dans une activité missionnaire, l'assistance à l'humanité dans ses différents besoins, tant par le témoignage et l'action que par la prière et le sacrifice. En persévérant dans votre service particulier, pensez toujours au conseil de saint Paul : « Quel que soit votre travail faites-le avec votre âme, comme pour le Seigneur et non pour des hommes » (Col 3,23). Votre efficacité sera à la mesure de votre amour pour le Christ Jésus.



9. Enfin, toute forme de service apostolique, qu'il soit individuel ou communautaire doit être en harmonie avec l'Évangile tel qu'il est proposé par le Magistère. Car tout service chrétien a pour but de répandre l'Évangile ; et tout service chrétien comprend des valeurs évangéliques. Soyez donc hommes de la Parole de Dieu : des hommes dont le coeur brûle quand ils entendent proclamer la Parole de Dieu (Lc 24,32) ; qui harmonisent toutes leurs actions avec ses exigences ; et qui désirent voir la Bonne Nouvelle proclamée jusqu'aux confins de la terre.



Frères, votre présence dans l'Église et votre collaboration à l'annonce de l'Evangile me remplissent de joie dans, mon rôle de pasteur de toute l'Église. Puisse Dieu vous accorder à chacun une longue vie ! Et appeler une multitude d'autres hommes à suivre le Christ dans la vie religieuse ! Et puisse la Vierge Marie, Mère de l'Église et exemple de vie consacrée obtenir du Christ son Ris joie et consolation pour vous !






5 octobre 1979



A L'EGLISE DE LA DIVINE PROVIDENCE



La première rencontre de la cinquième journée du pape aux États-Unis a eu lieu dans le cadre de l'église de la Divine Providence à Chicago. Parmi les fidèles réunis en l'église figuraient les représentants et les membres de la « Campagne pour le développement » ; cette organisation catholique a été fondée il y a dix ans par les évêques américains pour venir à l'aide des plus nécessiteux. Voici en traduction le texte du discours de Jean Paul II.



Chers frères et soeurs, chers amis en Jésus-Christ,



Merci pour votre accueil !



Je suis heureux de pouvoir saluer et bénir ces groupes que la Campagne pour les droits humains a assistés et dont les représentants sont ici présents.



Cette « Campagne » a été un témoignage de la présence active de l'Église dans le monde parmi les plus nécessiteux et de son engagement dans la poursuite de la mission du Christ qui a envoyé « porter la bonne nouvelle aux pauvres et annoncer aux captifs la délivrance » (Lc 4,14-19).



Je félicite les évêques des États-Unis pour la sagesse et la compassion démontrées en instituant il y a dix ans la Campagne pour le développement humain ; et je remercie la communauté catholique tout entière pour le généreux soutien qu'ils ont apporté à cette initiative durant ces années.



On m'a dit que non moins de mille cinq cents groupes et organisations ont été fondés par cette oeuvre. Les initiatives destinées à promouvoir des projets « self-help » (efforts personnels) méritent tous éloges et encouragements, car elles aident efficacement à supprimer les causes et même souvent les malfaisants effets de l'injustice. Les projets soutenus par la campagne ont aidé à la promotion d'un ordre social plus humain et plus juste et ont donné à de nombreuses personnes la possibilité d'acquérir plus largement une légitime indépendance. Ils restent dans la vie de l'Église comme un témoignage de l'amour et de la sollicitude de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ.



Que Dieu vous donne force, courage et sagesse pour continuer cette oeuvre de justice.



Dieu vous bénisse tous !

Le Saint-Père a poursuivi en langue espagnole :



Chers frères et soeurs de langue espagnole,



Je me réjouis beaucoup de me trouver ici parmi vous durant mon voyage, bref mais intense, dans ce grand et fraternel pays.



Ma visite est principalement de nature pastorale. Elle est une invitation à la coexistence, fraternelle, au développement pacifique des bonnes relations entre les hommes et entre les peuples. Une invitation à chercher dans le Christ la source et l'énergie pour que, dans notre vie se réalise la vocation de Dieu, comme hommes et comme chrétiens.



J'ai grande confiance en vos prières, spécialement dans celle des enfants, des personnes âgées, des malades et de tous ceux qui, en raison de leurs souffrances physiques ou morales, se rapprochent le plus du Christ, notre Sauveur et Rédempteur.



Je vous salue tous affectueusement et vous donne cordialement ma bénédiction.






5 octobre 1979



HOMELIE A LA COMMUNAUTE POLONAISE



Une parenthèse polonaise en terre américaine : le Saint-Père a célébré le 5 octobre en l'église « des Cinq Martyrs » une messe pour ses compatriotes immigrés aux États-Unis.



Chers frères et soeurs,



Dans un moment, nous offrirons à Dieu le pain et le vin. J’accepterai ces dons de vos mains pour les offrir au Père céleste. Ceci nous le faisons à toutes les messes. Mais bien que chaque fois nous le fassions de la même manière, l'offrande a toujours un contenu différent, un autre son sur nos lèvres et révèle les différents secrets de notre coeur. Elle parle aujourd'hui un langage tout à fait spécial.



En acceptant vos dons à l'offertoire et en les plaçant sur cet autel, je voudrais exprimer au moyen dé ceux-ci tout l'apport que les fils et les filles de notre première mère-patrie ont fait à l'histoire et à la vie de leur seconde patrie d'outre-océan : tout leur travail, leurs efforts, les luttes et les souffrances ; tout le fruit de leur esprit, des coeurs et des mains ; toutes les conquêtes dés individus, des familles, des communautés. Mais aussi toutes les faillites, les douleurs, les déceptions ; toute la nostalgie de leurs foyers lorsque, contraints par la grande pauvreté, ils ont dû franchir l'océan ; tout le prix de l'amour qu'ils ont dû abandonner pour chercher ici de multiples liens familiaux, sociaux et humains.



Dans ce sacrifice eucharistique, je veux inclure toute la sollicitude pastorale de l'Église, tout le travail accompli par le clergé et par ce séminaire qui depuis de nombreuses années forme des prêtres ; le travail des religieux et spécialement des religieuses qui ont suivi de Pologne, leurs compatriotes. Et encore les activités des diverses organisations qui ont démontré la force de l'esprit, de l'initiative et de l'habileté et surtout leur promptitude à servir une bonne cause, une cause commune, bien que l'océan sépare la nouvelle patrie de l'ancienne.



J'ai déjà mentionné beaucoup de choses ici, et j'espère les avoir évoquées toutes. C'est pourquoi je vous demande à tous et à chacun : complétez ce qui manque à la liste. Sur cet autel je voudrais placer l'offrande de tout ce que vous — la Pologne américaine — avez représenté dès le début, depuis l'époque de Kosciuszko et Ruleski, pour toutes les générations et de tout ce que vous représentez aujourd'hui.



Je veux offrir ce saint sacrifice à Dieu, comme évêque de Rome et comme en même temps fils de cette même nation dont vous provenez.



Je veux ainsi accomplir un devoir spécial : le devoir de mon coeur et le devoir de l'histoire. Que Notre-Dame de Jasna Gôra soit maternellement avec nous durant ce saint sacrifice et, avec elle, les saints Patrons de notre pays dont vous avez apporté avec vous la dévotion dans cette terre.



Puisse cette extraordinaire offrande de pain et de vin, ce sacrifice eucharistique unique dans l'histoire de la Pologne américaine, vous unir tous en un grand amour et dans une grande oeuvre. Puisse-t-il faire que Jésus continue à faire grandir votre foi et votre espérance.






5 octobre 1979



AUX SEMINARISTES



Une rencontre à laquelle, durant tout son voyage, le pape a toujours accordé grande importance, est celle qui le met en contact avec les séminaristes, bousculant quelque peu le programme, le cas échéant. Ceci s'est passé quand, à Chicago, il a voulu parler aux élèves du séminaire mineur de Quigley South à qui il a dit:



Chers séminaristes,



Je vous adresse un salut tout spécial à vous tous ici présents aujourd'hui. Je voudrais que vous sachiez que vous avez une place toute spéciale dans ma pensée et dans mes prières.



Chers fils en Jésus-Christ : soyez forts dans votre foi — la foi en le Christ et en son Église, foi dans tout ce que le Père a révélé et accompli par son Fils et par l'Esprit-Saint.



Durant vos années de séminaire mineur, vous avez le privilège d'étudier et d'approfondir votre compréhension de la foi. Depuis votre baptême vous avez vécu la foi, aidés par vos parents, par vos frères et soeurs et par toute la communauté chrétienne. Et cependant je veux vous exhorter aujourd'hui à vivre encore plus profondément votre foi. C'est en effet votre foi à Dieu qui constitue la différence essentielle de votre vie comme de la vie de chaque prêtre.



Soyez fidèles à la prière quotidienne : elle maintiendra votre foi vivante et agissante.



Étudiez attentivement votre foi afin que votre connaissance du Christ ne cesse de croître.



Alimentez chaque jour votre foi à la messe afin de trouver dans l'Eucharistie la source et la plus haute expression de notre foi.



Que Dieu vous bénisse !






5 octobre 1979



A LA CONFERENCE EPISCOPALE AMERICAINE





Chers frères dans le Christ,



Laissez-moi vous dire très simplement combien je vous suis reconnaissant de votre invitation à venir aux États-Unis. J'éprouve une joie immense à accomplir cette visite pastorale, et spécialement à être aujourd'hui parmi vous.



Laissez-moi aussi vous remercier, pas seulement pour cette invitation, et pour tout ce que vous avez fait pour préparer cette visite du pape, mais surtout pour la façon dont vous collaborez avec moi à l’évangélisation depuis mon élection. Je vous remercie de votre service du peuple de Dieu, de votre fidélité au Christ, notre Seigneur, et de votre union avec mes prédécesseurs et avec moi dans l'Église et au sein du Collège des évêques.



Je veux saisir, cette occasion pour rendre hommage publiquement à la longue tradition de fidélité au Siège apostolique de la hiérarchie américaine. Pendant deux siècles, cette tradition a édifié votre peuple, elle a authentifié votre apostolat et enrichi l'Église universelle.



Enfin, en votre présence, je veux aujourd'hui faire connaître combien j'apprécie la fidélité des catholiques américains et le regain de vitalité dont ils ont fait preuve dans leur vie chrétienne. La pratique sacramentelle des communautés, mais aussi d'abondants fruits de l'Esprit-Saint, sont les manifestations de cette vitalité, avec beaucoup de zèle vos fidèles se sont efforcés de construire le royaume de Dieu grâce à l'école catholique et de nombreux efforts dans le domaine de la catéchèse. Les catholiques américains ont fait preuve d'un réel souci des autres, et aujourd'hui, je les remercie pour leur grande générosité. Par leur aide, ils ont subvenu aux besoins des diocèses des États-Unis et ils ont soutenu un réseau important d’oeuvres charitables et des programmes « d'auto-assistance », y compris les programmes mis en oeuvre par les « catholic relief services » et par la Campagne pour le Développement humain. En outre, en aidant les missions, l'Église des États-Unis apporte une contribution appréciable à la cause de l'Évangile du Christ. Grâce à la générosité de vos fidèles envers le Siège apostolique, mes prédécesseurs ont pu mieux répondre à leur mission de charité universelle pour toute l'humanité. C'est donc pour moi une heure de solennelle gratitude.

2. Mais c'est bien davantage une heure de communion ecclésiale et d'amour fraternel. Je viens à vous comme un frère dans l'épiscopat : quelqu'un qui, comme vous-mêmes, a connu les espérances et les défis d'une Église locale ; quelqu'un qui a travaillé à l'intérieur d'un diocèse, qui a collaboré dans le cadre d'une Conférence épiscopale ; quelqu'un qui a fait l'expérience pleine d'une joie stimulante de la collégialité pendant le concile oecuménique, collégialité exercée par les évêques avec celui qui présidait cette assemblée collégiale et qui en même temps était reconnu par elle comme totius Ecclesiae Pastor ayant « sur l'Église un pouvoir plénier suprême et universel » (Lumen gentium, LG 22). Je viens à vous comme quelqu'un qui a été personnellement édifié et enrichi par sa participation au Synode des évêques ; quelqu'un qui s'est senti soutenu et aidé par l'intérêt fraternel et dévoué des évêques américains qui venaient en Pologne afin d'exprimer leur solidarité avec l'Église de son pays ; je viens comme celui qui a trouvé un profond réconfort spirituel pour son activité pastorale dans les encouragements des pontifes romains. C'est avec eux et sous leur autorité que je servais le peuple de Dieu. Et j'ai en particulier trouvé beaucoup d'encouragements auprès de Paul VI, que je ne considérais pas seulement comme le Chef du Collège des évêques, mais aussi comme mon propre père spirituel. Et aujourd'hui, sous le signe de ta collégialité et en vertu d'un mystérieux dessein de la Providence, moi, votre frère en Jésus, je viens en tant que Successeur de Pierre sur le Siège de Rome, et donc comme Pasteur de toute l'Église.



En raison de ma propre responsabilité pastorale, et en raison de notre commune responsabilité pastorale envers le peuple de Dieu aux États-Unis, je désire vous affermir dans votre ministère de la foi comme pasteurs d'Églises locales, et vous encourager dans vos activités pastorales, individuelles et communes, à rester inébranlables dans la sainteté et la vérité de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Et en vous-je désire rendre honneur à Jésus-Christ, le pasteur et le gardien de nos âmes (cf. 1P 2,25).



Parce que nous avons été appelés à être les pasteurs du troupeau, nous comprenons bien que nous devons nous présenter comme d'humbles serviteurs de l'Évangile. On ne nous reconnaîtra vraiment comme guides que dans la mesure où nous sommes des disciples authentiques, dans la mesure où les Béatitudes inspirent toute notre vie, dans la mesure, où nos fidèles trouvent vraiment en nous la bonté, la simplicité de vie et la charité universelle qu'ils attendent de nous.



Nous qui, par mandat divin, devons proclamer les exigences de la foi chrétienne, et qui devons appeler sans cesse nos fidèles à la conversion et ait renouveau, nous savons combien l'invitation de saint Paul est valable pour nous d'abord : « Vous devez revêtir l'Homme Nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la, sainteté de la vérité » (Ep 4,24).



3. La sainteté de la conversion personnelle est en effet la condition pour la fécondité de notre ministère épiscopal. C'est notre union avec Jésus-Christ qui rend crédible notre témoignage pour l'Évangile et donne à notre activité une efficacité surnaturelle. Nous ne pouvons proclamer l'insondable richesse du Christ (Ep 3,8) d'une manière convaincante que dans le mesure où nous restons fidèles à l'amour et à l'amitié de Jésus, que dans la mesure où nous continuons à vivre dans;la foi au Fils de Dieu.



Il y a quelques années, avec la canonisation de John Neumann, la hiérarchie américaine a reçu de Dieu un cadeau magnifique. En effet, l'Église catholique a proposé cet évêque américain comme modèle exemplaire du serviteur de l'Évangile et du pasteur du peuple de Dieu, avant tout à cause de son amour du Christ. A l'occasion de sa canonisation, Paul VI demandait : « Quelle est donc la signification de cet événement extraordinaire, la signification de cette canonisation ? » Et il répondait, en disant : « C'est la célébration de la sainteté ». Et cette sainteté de John Neumann s'est exprimée dans l'amour fraternel, dans la charité pastorale et dans le service zélé de celui qui était l’évêque d'un diocèse et un authentique disciple du Christ.



Pendant la canonisation, Paul VI poursuivait : « Notre cérémonie d'aujourd'hui est bien la célébration de la sainteté. C'est en même temps une anticipation prophétique — pour l'Église, pour les États-Unis, pour le monde — d'un renouveau de l'amour : amour de Dieu, amour du prochain ». En tant qu'évêques, nous devons exercer dans l'Église, ce rôle prophétique de l'amour et, par conséquent, de la sainteté.



Sous la motion de l'Esprit-Saint, nous devons être profondément convaincus que la sainteté doit être la première préoccupation de notre vie et de notre ministère. Nous découvrons alors, comme évêques, l'immense importance de la prière : la prière liturgique de l'Église, notre prière commune, notre prière solitaire. Depuis quelque temps, un certain nombre d'entre vous se sont rendu compte que les retraites spirituelles faites avec d'autres évêques apportaient une aide réelle dans la recherche de cette sainteté qui vient de la vérité. Que Dieu vous accompagne dans cette initiative, de telle sorte que chacun de vous et tous ensemble, vous remplissiez votre mission et soyez un signe de sainteté offert au peuple de Dieu en pèlerinage vers le Père. Puissiez-vous, vous aussi, comme saint John Neumann être une anticipation prophétique de la sainteté ! Les fidèles ont besoin d'évêques qui soient pour eux des guides dans la conquête de la sainteté — d'évêques qui essaient d'anticiper prophétiquement dans leur propre vie la réalisation du but vers lequel ils conduisent leur peuple.



4. Saint Paul souligne les rapports de la justice et de la sainteté avec la vérité (cf. Ep. Ep 4,24). Jésus lui-même, dans sa prière sacerdotale, demande au Père de consacrer ses disciples dans la vérité ; et il ajoute : « ta parole est vérité » (Sermo tuus veritas est) (Jn 17,17). Il continue en disant qu'il se consacre pour ses disciples, pour qu'ils soient eux-mêmes consacrés dans la vérité. Jésus s'est consacré lui-même pour que ses disciples puissent être consacrés, mis à part, par la communication de ce qu'il était : la Vérité. Jésus dit à son Père : « Je leur ai donné ta parole » — « Ta parole est vérité » (Jn 17,14 Jn 17,17).



La sainte parole de Dieu, qui est la vérité, est communiquée par Jésus à ses disciples. Cette parole est confiée à son Église comme un dépôt sacré, mais elle ne l'a été qu'après qu'il lui eût conféré, par la puissance de l’Esprit-Saint, un charisme particulier pour garder et transmettre dans son intégrité fa parole de Dieu.



C'est avec une grande sagesse que Jean XXIII a convoqué le deuxième concile du Vatican. Il comprenait, en lisant les signes des temps, qu'il fallait un concile pastoral, un concile qui serait le reflet du grand amour et de la sollicitude pastorale de Jésus-Christ, le bon Pasteur de son peuple. Mais il savait aussi qu'un concile pastoral — pour être vraiment pastoral — devait avoir un fondement doctrinal solide. Et c'est précisément pour cette raison, précisément parce que la parole de Dieu est la base unique de toute initiative pastorale, que Jean XXIII, le jour de l'ouverture du concile, le 11 octobre 1962, fit la déclaration suivante : « Ce qui est très important pour ce concile oecuménique, c'est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d'une façon plus efficace ».



Cela explique quelle était l'inspiration de Jean XXIII ; cela montre ce que devait être la nouvelle Pentecôte ; voilà pourquoi les évêques de l'Église — lors de la plus grande manifestation de collégialité dans l'histoire du monde — étaient convoqués tous ensemble pour que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d'une façon plus efficace ».



Ainsi, à notre époque, Jésus consacrait de nouveau ses disciples dans la vérité ; et il le faisait à travers un concile oecuménique ; il transmettait la parole de son Père aux nouvelles générations, par la puissance de l'Esprit-Saint. Et ce que Jean XXIII considérait comme l'objectif du concile, je le considère comme l'objectif de cette période postconciliaire.



C'est pour cette raison qu'en novembre dernier, lors de ma première rencontre avec des évêques américains en visite ad limina, j'ai dit : « Voilà donc quelle est ma vive espérance aujourd'hui pour les pasteurs de l'Église qui est en Amérique, comme pour tous les pasteurs de l'Église universelle ; que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d'une façon plus efficace ». Car c'est dans la parole de Dieu qu'est le salut du monde. A travers la proclamation de la parole de Dieu, le Seigneur continue, dans son Église et par son Église, à consacrer ses disciples en leur communiquant la vérité qu'il est lui-même.



C'est pour cette raison que le concile Vatican II a mis l'accent sur le rôle des évêques dans l'annonce de toute la vérité de l'Évangile et dans la proclamation « du mystère intégral du Christ » (Christus Dominas, 12). Cet enseignement a été repris constamment par Paul VI, pour l'édification de l'Église universelle. Il était explicitement proclamé par Jean Paul Ier le jour même de sa mort et je l'ai moi-même souvent répété depuis le début de mon pontificat. Je suis sûr que mes successeurs et que vos successeurs professeront cet enseignement jusqu'à ce que le Christ revienne dans la gloire.



5. Parmi les documents qui m'ont été laissés par Paul VI, il y avait une lettre écrite, par un évêque à l'occasion de son élévation à l'épiscopat. C'est une belle lettre ; et sous la forme d'une résolution elle présente l'affirmation claire de la mission de l'évêque qui consiste à conserver et présenter le dépôt de la doctrine chrétienne, à annoncer le mystère intégral du Christ. Je voudrais partager avec vous quelques passages de cette lettre qui sont particulièrement significatifs.



En promettant une obéissance loyale à Paul VI et à ses successeurs, l'évêque écrivait : « Je suis résolu :

— à proclamer l'Évangile du Christ avec fidélité et persévérance ;

— à garder le contenu de la foi intégralement et dans toute sa pureté tel qu'il nous a été transmis par les Apôtres et tel qu'il est professé par l'Église en tout temps et en tout lieu ».



Et avec la même clairvoyance, cet évêque continuait en disant à Paul VI qu'il s'engageait, avec l'aide du Dieu tout-puissant :

— « à construire l'Église qui est le Corps du Christ et à lui rester uni par votre lien, avec l'ordre des évêques, sous l'autorité du successeur de l'Apôtre saint Pierre ;

— à faire preuve de bonté et de compassion, au nom du Seigneur, envers les pauvres et les étrangers et envers tous ceux qui sont dans le besoin ;

— à chercher les brebis égarées et à les rassembler dans le bercail du Seigneur ;

— à prier constamment pour le peuple de Dieu, et à vivre pleinement et de façon irréprochable toutes les exigences du sacerdoce ».

Voilà donc le témoignage remarquable qu'un évêque, un évêque américain, rend au ministère épiscopal de sainteté et de vérité. Et c'est tout à son honneur et à votre honneur à tous.



Le défi de notre temps — celui de tout temps dans l'Église — c'est de faire en sorte que le message de l'Évangile pénètre au coeur de la vie de nos fidèles, afin qu'il puissent vivre selon la vérité intégrale de leur humanité, de leur Rédemption et de leur adoption en Jésus-Christ, afin qu'ils soient enrichis « de la justice et de la sainteté de la vérité ».



6. En tant qu'évêques des États-Unis, et pour exercer votre ministère de vérité, vous avez publié en commun des déclarations et des lettres pastorales, pour présenter la parole de Dieu à vos fidèles  et leur montrer combien elle est au coeur de notre vie quotidienne, comme elle peut nous élever et nous guérir, en rappelant en même temps quelles en sont les exigences. Votre lettre pastorale d'il y a trois ans, si bien intitulée « Vivre dans le Christ Jésus », est, à cet égard, remarquable. Je voudrais revenir sur un certain nombre de points de cette lettre par laquelle vous avez offert aux fidèles le service de la vérité. Avec beaucoup de bonté, de compréhension et d'amour, vous avez transmis un message qui est lié à la Révélation et au mystère de la foi. Et ainsi, avec une très grande charité pastorale, vous avez parlé de l'Amour de Dieu, de l'humanité et du péché, ainsi que du sens de la Rédemption et de la vie dans le Christ. Vous avez exposé la parole du Christ, en montrant son impact sur les individus, les familles, les communautés et les nations. Vous avez parlé de la justice, et de la paix, de la charité, de la vérité et de l'amitié. Et vous avez évoqué certains problèmes touchant la vie morale des chrétiens, dans ses aspects individuels et sociaux.



Vous avez dit nettement que l'Église a un devoir de fidélité à l'égard de la mission qui lui a été confiée. Et pour cette raison précisément vous avez parlé de certains problèmes qui avaient besoin d'une clarification sans ambiguïté, car on avait discuté, contesté ou pratiquement rejeté l'enseignement de l'Église sur ces questions. Vous avez réaffirmé avec force les droits de l'homme et la dignité humaine, et l'incomparable valeur des personnes quelle que soit leur race ou leur origine ethnique, en déclarant que « l'antagonisme racial et la discrimination sont parmi les maux les plus résistants et les plus destructeurs de notre pays ». Vous avez résolument condamné l'oppression des faibles, la manipulation de ceux qui sont vulnérables, le gaspillage des biens et des ressources, l'incessante course aux armements, les structures et les politiques sociales injustes, et tous les crimes contre les individus et contre la Création.



Avec la franchise de l'Évangile, la compassion pastorale et la charité du Christ, vous avez affronté le problème de l'indissolubilité du mariage en disant très justement : « L'alliance entre un homme et une femme unis dans le mariage chrétien est aussi indissoluble et irrévocable que l'amour de Dieu pour son peuple et que l'amour du Christ pour son Église ».



En exaltant la beauté du mariage vous êtes allés justement à l'encontre aussi bien de la théorie de la contraception que de ses applications pratiques, comme l'avait fait l'encyclique Humanae vitae. Et moi aujourd'hui, avec la même conviction que Paul VI, je fais mien l'enseignement de cette encyclique, qui avait été donné par mon prédécesseur « en vertu du mandat qui nous a été confié par le Christ » (AAS 60, 1968, p. 485).



En considérant l'union sexuelle entre le mari et la femme comme une expression particulière de leur pacte d'amour, vous avez eu raison de dire : « Les rapports sexuels ne sont un bien sur le plan moral et humain que dans le mariage ; en dehors du mariage, c'est immoral ».



En hommes ayant reçu « la parole de vérité et la puissance de Dieu » (2Co 6,7), en véritables prédicateurs de la loi de Dieu, en pasteurs pleins de compassion vous avez eu raison de dire aussi que « l'activité homosexuelle... à distinguer de la tendance homosexuelle, est moralement mauvaise ». Par la clarté de cette vérité, vous avez fait la preuve de ce qu'est la véritable charité du Christ ; vous n'avez pas trahi ceux qui, à cause de l'homosexualité, se trouvent confrontés à des problèmes moraux pénibles comme cela aurait été le cas si, au nom de la compréhension et de la pitié ou pour toute autre raison, vous aviez offert de faux espoirs à nos frères ou à nos soeurs. Bien au contraire, par votre témoignage rendu à la vérité de l'humanité dans le plan de Dieu, vous avez fait preuve d'un authentique amour fraternel, en montrant la véritable dignité, la véritable dignité humaine, de ceux qui se tournent vers l'Église du Christ pour recevoir la lumière qui vient de la parole de Dieu.



Vous avez encore rendu témoignage à la vérité, et donc servi toute l'humanité, lorsque, faisant écho à l'enseignement du Concile — « La vie doit être sauvegardée avec un soin extrême dès sa conception » (Gaudium et Spes, GS 51) — vous avez réaffirmé le droit à la vie et l'inviolabilité de toute vie humaine, y compris la vie des enfants à naître. Vous avez dit clairement que « détruire ces vies innocentes d'enfants à naître est un crime abominable... Leur droit à la vie doit être reconnu et dûment protégé par la loi ».



Comme vous avez pris la défense de la vie dès le sein maternel à cause de la vérité de son être, vous avez aussi pris la défense des personnes âgées, en déclarant, nettement : « L'euthanasie ou le meurtre par pitié... est un mal moral très grave... Un tel meurtre est incompatible avec le respect pour la dignité humaine et le respect de la vie ».



En montrant un intérêt pastoral pour vos fidèles, pour tous leurs besoins — depuis le logement, l'éducation, la santé, l'emploi et l'administration de la justice — vous avez fait la preuve que tous les aspects de la vie humaine sont sacrés. Ce faisant, vous proclamiez que l'Église n'abandonnera jamais l'homme, même dans ses besoins temporels, étant donné qu'elle entraîne l'humanité vers le salut et la vie éternelle. Et parce que, « à toutes tes époques, et plus particulièrement à la nôtre, le devoir fondamental de l'Église » — qui est aussi son plus grand acte de fidélité envers l'humanité — « est de diriger le regard de l'homme, d'orienter la conscience et l'expérience de toute l'humanité vers le mystère du Christ » (Lettre encyclique Redemptor hominis, RH 10), vous avez eu raison d'évoquer la dimension éternelle de la vie. Car c'est en annonçant que nous sommes destinés à la vie éternelle que nous suscitons un grand motif d'espérance pour notre peuple. Contre les assauts du matérialisme, contre la sécularisation qui se propage et contre la morale permissive.

La vérité de l'amour





7. Bien des évêques ont individuellement aussi fait preuve d'un véritable sens pastoral de leurs responsabilités dans leur ministère de pasteurs d'Église locale. Je voudrais à cet égard mentionner deux lettres pastorales publiées récemment aux États-Unis et qui sont tout à l'honneur de leurs auteurs. Toutes deux sont des exemples d'initiatives pastorales responsables. L'une traite du problème du racisme et le dénonce vigoureusement. L'autre se réfère à l'homosexualité et affronte le problème comme il doit l'être, avec clarté et une grande charité pastorale, rendant ainsi un service réel à la vérité et à tous ceux qui cherchent cette vérité qui libère.



Chers frères en Jésus-Christ, lorsque nous annonçons la vérité dans l'amour, nous ne pouvons pas éviter toute critique ; nous ne pouvons pas plaire à tout le monde. Mais nous pouvons travailler au véritable bien de tous. Et nous sommes humblement convaincus que Dieu est avec nous dans notre ministère de la vérité, « car ce n'est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de maîtrise de soi » (2Tm 1,7).



Les fidèles ont le droit, et c'est leur droit le plus essentiel, de recevoir la parole de Dieu dans la pureté et l'intégrité garanties par le Magistère de l'Église universelle : le magistère authentique des évêques de l'Église catholique enseignant en union avec le pape. Chers frères, nous pouvons être certains de l'assistance de l'Esprit-Saint dans notre enseignement, si nous restons rigoureusement fidèles au Magistère universel.



A cet égard, je désire évoquer un point extrêmement important, sur lequel d'ailleurs j'ai récemment insisté en rencontrant un groupe d'évêques lors de leur visite ad limina : « Dans la communauté des fidèles — qui doit toujours conserver le lien de l'unité catholique avec les évêques et le siège apostolique — on constate qu'il y a de grandes intuitions de foi. L'Esprit-Saint agit et illumine le coeur des fidèles de sa vérité, et allume en eux le feu de son amour. Mais cette foi vive et ce sensus fidelium ne sont pas indépendants du magistère de l'Église qui est un instrument du même Esprit-Saint et reçoit son assistance. C'est seulement lorsque les fidèles ont été nourris de la parole de Dieu, fidèlement à la communauté et quand celle-ci l'accueille, alors elle produit en abondance des fruits de justice et de sainteté de vie. Mais la communauté ne peut comprendre et vivre la parole de Dieu d'une façon dynamique que dans la mesure où elle reçoit intact le depositum fidei ; et l'Église a reçu un charisme apostolique et pastoral spécial dans ce but précis. C'est l'unique et même Esprit de vérité qui dirige le coeur des fidèles et garantit le magistère des pasteurs du troupeau ».

Gardiens de l'unité de l'Église





8. L'une des plus grandes vérités dont nous sommes les humbles gardiens est la doctrine de l'unité de l'Église — cette unité qui est ternie sur le visage humain de l'Église, par toutes les formes du péché, mais qui subsiste, indestructible, dans l'Église catholique (cf. Lumen gentium, LG 8 Unitatis redintegratio, UR 2,3). La conscience du péché nous appelle sans cesse à la conversion. La volonté du Christ nous pousse à travailler avec sérieux et persévérance à l'unité avec tous nos frères chrétiens, en gardant bien à l'esprit que l'unité que nous recherchons est celle de la foi parfaite, l'unité dans la vérité et l'amour. Nous devons prier et étudier ensemble, mais nous devons savoir que l'intercommunion entre chrétiens séparés n'est pas la réponse à l'appel du Christ pour l'unité parfaite. Avec l'aide de Dieu, nous continuerons à travailler humblement et résolument pour faire disparaître les divisions réelles qui existent encore, et restaurer ainsi cette pleine unité dans la foi qui est la condition pour participer à l'Eucharistie (cf. allocution du 4 mai 1979). L'engagement pris par le concile oecuménique nous concerne tous et chacun : comme aussi le testament de Paul VI qui écrivait à propos de l'oecuménisme : « Que les efforts pour nous rapprocher de nos frères séparés soient poursuivis, avec beaucoup de compréhension, beaucoup de patience, avec un grand amour ; mais sans dévier de la vraie doctrine catholique ».

Communion et conversion





9. En tant qu'évêques, serviteurs de la vérité, nous sommes aussi appelés à être les serviteurs de l'unité dans la communion de l'Église.

Dans la communion de la sainteté, comme je l'ai dit, nous sommes nous-mêmes appelés à la conversion, afin d'être en mesure de prêcher avec une force convaincante le message de Jésus : « Convertissez-vous et croyez à l'Évangile ». Nous avons donc un devoir particulier à remplir pour la sauvegarde du sacrement de la réconciliation, afin que, dans la fidélité au précepte divin, nous et nos fidèles, nous puissions faire l'expérience dans le plus intime de notre être que « là où le péché s'est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). Et je fais mien aussi l'appel prophétique à aider leurs prêtres : « à comprendre en profondeur que, dans le sacrement de pénitence, ils sont les proches collaborateurs du Sauveur dans son oeuvre de conversion » (allocution du 20 avril 1978). A cet égard, je confirme de nouveau les normes de Sacramentum paenitentiae qui soulignent avec sagesse la dimension ecclésiale du sacrement de pénitence et indiquent les limites précises de l'absolution générale, tout comme l'a fait Paul VI dans son allocution pour la visite ad limina des évêques américains. La conversion de par sa nature même est la condition pour cette union avec Dieu qui atteint son expression la plus haute dans l'Eucharistie. Notre union au Christ dans l'Eucharistie présuppose à son tour que nos coeurs soient disposés à la conversion, qu'ils soient purs. Cela doit vraiment avoir une grande part dans notre prédication. Dans ma lettre encyclique, j'ai essayé de l'exprimer en ces termes : « Le Christ qui invite au banquet eucharistique est toujours le Christ qui exhorte à la pénitence, qui répète : « Convertissez-vous ». Sans cet effort constant et toujours repris pour la conversion, la participation de l'Eucharistie serait privée de sa pleine efficacité rédemptrice... » (Redemptor hominis, RH 20). Face à un phénomène répandu à notre époque ; à savoir qu'une grande partie des fidèles qui reçoivent la communion se confessent rarement, nous devons mettre l'accent sur l'appel fondamental du Christ à la conversion. Nous devons aussi souligner que la rencontre personnelle avec Jésus qui nous pardonne dans le sacrement de la réconciliation est un moyen que Dieu nous donne afin de conserver vivant dans notre coeur et dans nos communautés le sens du péché et de sa réalité permanente et tragique, et afin de produire effectivement, par l'action de Jésus et la force de son Esprit, des fruits de conversion dans la justice et la sainteté de vie. Par ce sacrement, nous sommes renouvelés dans la ferveur, fortifiés dans nos résolutions .et soutenus par un encouragement divin.

L'union du Christ avec ses membres





10. En tant que guides choisis dans une communauté de louange et de prière, c'est une joie particulière pour nous d'offrir l'Eucharistie et de donner à nos peuple le sens de sa vocation à être le peuple pascal, dont le chant est l’« alléluia ». Nous devons toujours nous rappeler que la valeur de toute célébration liturgique et l'efficacité de tout signe liturgique présupposent le grand principe selon lequel la liturgie catholique est théocentrique, qu'elle est avant tout « adoration de la majesté divine » (cf. Sacrosanctum concilium, SC 33), en union avec Jésus-Christ. Nos fidèles ont un sens surnaturel grâce auquel ils cherchent le respect dans tout ce qui touche le mystère de l'Eucharistie. Avec une foi profonde nos fidèles saisissent que l'Eucharistie — au cours de la messe et en dehors de la messe — est le Corps et le Sang de Jésus-Christ, et qu'on lui doit par conséquent l'adoration réservée au Dieu vivant et à lui seul.



Comme ministres d'une communauté de service, nous avons le privilège d'annoncer la vérité de l'union du Christ avec ses membres dans son Corps qui est l'Église. Et donc nous recommandons tout service rendu en son nom à ses frères (cf. Mt Mt 25,45).



Dans une communauté de témoignage et d'évangélisation, que notre action soit claire et irréprochable. A cet égard, la presse catholique et les autres moyens de communication sociale ont un devoir particulier de grande dignité au service de la vérité et de la charité. En utilisant et en faisant siens ces moyens de communication, l'Église a toujours en vue sa mission d'évangélisation et de service de l'humanité ; à travers ces moyens, l'Église espère promouvoir toujours plus efficacement le message édifiant de l'Évangile.



11. Enfin, chaque portion d'Église à laquelle vous présidez et que vous servez est une communauté fondée sur la parole de Dieu et agissant dans la vérité de cette parole. C'est dans la fidélité à la communion avec l'Église universelle que notre unité, locale est authentifiée et rendue stable. Dans la communion avec l'Église universelle les Églises locales trouvent toujours plus clairement leur propre identité et leur enrichissement. Mais il faut pour cela que les Églises particulières soient soucieuses d'être totalement ouvertes vis-à-vis de l'Église universelle.



C'est le mystère que nous célébrons aujourd'hui en proclamant la sainteté, la vérité et l'unité du ministère épiscopal.



Frères, ce ministère qui est le nôtre nous rend responsables vis-à-vis du Christ et de son Église. Jésus-Christ, le chef des pasteurs (1P 5,4), nous aime et nous soutient. C'est lui qui nous transmet la parole de son Père et qui nous consacre dans la vérité, de telle sorte que chacun puisse à son tour dire à son peuple : « Pour eux, je me consacre moi-même afin qu'ils soient eux aussi consacrés en vérité » (Jn 17,19).



Prions et consacrons tout spécialement nos forces pour susciter, et faire croître des vocations au sacerdoce sacré, afin que la charge pastorale du ministère sacerdotal puisse être assurée pour les générations à venir. Je vous demande de faire appel aux parents, aux familles, aux prêtres, aux religieux et aux laïcs, afin qu'ils s'unissent dans l'accomplissement de cette responsabilité vitale de toute la communauté. Et aux jeunes eux-mêmes, sachons présenter le défi qui consiste à suivre Jésus et à répondre à son invitation avec une totale générosité.



Tandis que nous-mêmes, nous cherchons chaque jour la justice et la sainteté qui naissent de la vérité, tournons-nous vers Marie, Mère de Jésus, la Reine des Apôtres, et Source de notre joie. Que sainte Françoise Xavier Cabrini, sainte Elisabeth Ann Seton et saint John Neumann prient pour vous, et pour tout le peuple que vous êtes appelés à servir dans la sainteté et la vérité et dans l'unité du Christ et de son Église.



Chers Frères, « La grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus-Christ dans la vie incorruptible » (Ep 6,24).






5 octobre 1979



HOMELIE AU « GRANT PARK »



Sur les rives du lac Michigan à Chicago dans le cadre du magnifique Grant Park, plus d'un million de personnes ont assisté à une concélébration eucharistique présidée, le 5 octobre, par le Saint-Père qui a prononcé l'homélie.



Les lectures de la célébration de ce jour nous placent immédiatement en présence du mystère profond de notre vocation de chrétiens.



Avant de monter au ciel, Jésus rassembla ses disciples autour de lui et il leur expliqua une fois de plus le sens de sa mission de salut : « Ainsi, il est écrit, dit-il, que le Messie souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour et qu'en son nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations » (Lc 24,46-47). Au moment de prendre congé de ses Apôtres il leur commanda, à eux et au-delà d'eux, à toute l'Église et à chacun de nous de porter le message du salut à toutes les nations. Saint Paul exprime vigoureusement cette pensée dans sa deuxième épître aux Corinthiens : « Il nous a confié le ministère de la réconciliation... Nous sommes donc en ambassade pour le Christ ; c'est comme si Dieu exhortait par nous » (2Co 5,10-20).



Une fois de plus le Seigneur nous introduit dans le mystère de l'humanité, une humanité qui a besoin du salut. Et Dieu a voulu que le salut de l'humanité se réalise par l'humanité du Christ qui pour nous mourut et ressuscita (cf. 2Co 5,15) et nous confia également cette mission de rédemption. Oui, nous sommes de vrais « ambassadeurs pour le Christ » et des travailleurs pour l’évangélisation.



Dans l'exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, écrite à la demande de la troisième Assemblée générale du synode des évoques, mon prédécesseur au Siège de Pierre, Paul VI, invitait le peuple de Dieu à réfléchir sur ce devoir fondamental de l'évangélisation. Il invitait chacun de nous à examiner comment être un vrai témoin du message de rédemption, comment mieux communiquer aux autres la Bonne Nouvelle que nous avons reçue de Jésus-Christ par l'intermédiaire de l'Église.



Certaines conditions s'imposent si nous voulons prendre part à la mission évangélisatrice de l'Église. Cet après-midi, je voudrais souligner tout particulièrement une de ces conditions. Je parle de l'unité de l'Église, de notre unité en Jésus-Christ. Laissez-moi répéter ce que Paul VI a dit de l'unité : « Le testament spirituel du Seigneur nous dit que l'unité entre ses disciples n'est pas seulement la preuve que nous sommes siens, mais aussi la preuve qu'il est envoyé du Père, test de crédibilité des chrétiens et du Christ lui-même... Oui le sort de l’évangélisation est certainement lié au témoignage d'unité donné par l'Église » (Evangelii Nuntiandi, EN 77).



Je me sens porté à choisir cet aspect, particulier de l'évangélisation en considérant la multitude de gens que je vois rassemblée aujourd'hui autour de moi. En levant les yeux, je vois en vous le peuple de Dieu, uni pour chanter les louanges du Seigneur et célébrer son sacrifice eucharistique. Je vois aussi tout le peuple d'Amérique, une nation formée de différents peuples : Et pluribus unum.



Durant les deux premiers siècles de votre histoire, vous avez parcouru une longue route, toujours à la recherche d'un meilleur avenir, à la recherche d'une situation stable, à la recherche d'un foyer. Vous avez cheminé from sea to shining sea afin de trouver votre identité, de vous découvrir les uns les autres le long de votre route et pour trouver votre propre place dans cet immense pays.



Vos ancêtres sont venus de nombreux pays différents, traversant les océans afin de rencontrer ici des peuples de diverses communautés qui s'étaient établis dans le pays. Le processus s'est renouvelé à chaque génération : de nouveaux groupes arrivaient, chacun avec sa propre histoire et, s'implantant ici, commençaient à faire partie de quelque chose de nouveau. Le même processus se poursuit quand les familles se déplacent du sud au nord, de l'est à l'ouest. Chaque fois, ils arrivent avec leur passé dans une nouvelle ville ou village pour devenir membres d'une nouvelle communauté. Ceci ne cesse de se répéter. Et pluribus unum — à plusieurs ils forment une nouvelle unité.



Oui. quelque chose de nouveau a été créé chaque fois. Vous avez apporté avec vous une culture différente et vous contribuez à tout l'ensemble avec votre richesse particulière ; vous avez des compétences différentes et vous les avez mises en commun, vous complétant les uns les autres, pour créer l'industrie, l'agriculture, le commerce ; chaque groupe apporte ses diverses valeurs humaines propres et les a partagées avec les autres pays pour l'enrichissement de votre pays. Et pluribus unum : vous êtes devenus une nouvelle unité, un nouveau peuple dont la vraie nature ne saurait s'expliquer valablement par la seule juxtaposition des diverses communautés.



Aussi, quand je vous regarde, je vois le peuple qui a forgé ensemble son propre destin et qui maintenant écrit une histoire commune. Différents comme vous l’êtes, vous êtes parvenus à vous accepter l'un l'autre, parfois de manière imparfaite et allant même aussi jusqu'à vous faire subir l'un à l'autre certaines formes de discrimination ; parfois après une longue période de mésentente et de rejet, commencent maintenant à se développer une meilleure entente et l'appréciation des différences de chaque autre. En exprimant votre reconnaissance pour toutes les grâces reçues, vous devenez également conscients de vos devoirs à l'égard des moins favorisés, tant dans votre milieu que dans le reste du monde : devoir de partager, d'aimer, de servir. En tant que peuple, vous reconnaissez Dieu comme la source de vos nombreuses grâces et vous êtes ouverts à son amour et à sa foi.



Ainsi est l'Amérique, avec son idéal et sa résolution : « Une nation sous l'autorité de Dieu, indivisible, avec la liberté et la justice pour tous. » C'est ainsi que l'Amérique a été conçue et c'est cela qu'elle a été appelée à être. Et, pour tout ceci, nous remercions le Seigneur.



5. Mais lorsque je pense à vous, j'aperçois encore une autre réalité : une réalité encore plus profonde et plus exigeante de l'histoire commune et de l'union que vous avez édifiée avec la richesse de votre patrimoine éthique et culturel varié, ce patrimoine que maintenant vous voulez légitimement connaître et préserver. L'histoire ne s'épuise pas dans le progrès matériel, dans les conquêtes technologiques ou même seulement dans le développement culturel. En venant vous réunir ici autour de cet autel du sacrifice pour rompre le pain de la sainte Eucharistie avec le successeur de Pierre, vous vous faites les témoins de cette réalité plus profonde ; votre unité comme membres du peuple de Dieu.



« Bien que plusieurs, nous ne formons qu'un seul corps » (Rm 12,5). L'Église également est composée de nombreux membres et enrichie par la diversité de ceux qui forment l'unique communauté de foi et de baptême, l'unique Corps du Christ. Ce qui nous rassemble et nous rend une seule chose dans notre foi — l'unique foi apostolique. Nous sommes une seule chose parce que nous avons accepté le Christ comme le Fils de Dieu, le Rédempteur de la race humaine, l'unique médiateur entre Dieu et l'homme. Par le sacrement du baptême, nous avons été vraiment incorporés au Christ crucifié et glorifié, et par l'action du Saint-Esprit, nous sommes devenus les membres vivants de son seul Corps. Le Christ nous a donné le merveilleux sacrement de l'Eucharistie grâce auquel se manifeste et continuellement se réalise et se perfectionne l'unité de l'Église.



6. « Un Seigneur, une foi, un baptême » (Ep 4,5), nous sommes ainsi tous liés ensemble, comme peuple de Dieu, Corps du Christ, en une unité qui transcende notre diversité d'origine, de culture, d'éducation, de personnalité — en une unité qui n'exclut nullement une riche diversité de ministères et de services. Avec saint Paul nous proclamons : « Car de même que notre corps en son unité possède plus d'un membre et que ces membres n'ont pas tous la même fonction, ainsi nous, à plusieurs, nous ne formons qu'un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres » (Rm 12,4-5).



Si donc l'Église, le seul Corps du Christ, doit être un signe nécessairement perceptible du message évangélique, tous ses membres doivent faire preuve, selon les paroles de Paul VI « de cette harmonie et force de doctrine, de vie et de culte qui caractérisa les premiers temps de son existence » (Exhortation apostolique sur la Réconciliation dans l'Église, 2) quand les chrétiens « se montraient assidus à l'enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2,42).



Notre unité dans la foi doit être complète, sinon nous manquons de rendre témoignage de l'Évangile, sinon nous cessons d'être des évangélisateurs. Aucune communauté ecclésiale ne peut donc briser ces liens avec le trésor de la foi comme elle est proclamée par l'Église en vertu de sa mission d'enseigner, car c'est à cette mission d'enseigner de l'Église, à ce magisterium que le Christ a confié tout spécialement le dépôt de la foi. Avec Paul VI je proclame cette grande vérité : « traduit dans tous les langages, le contenu de la foi ne doit pas être entamé ni mutilé ; revêtu des symboles propres à chaque peuple, explicité par des expressions théologiques qui tiennent compte des milieux culturels, sociaux et même raciaux divers, il doit rester le contenu de la foi catholique tel que le magistère ecclésial l'a reçu et le transmet » (Evangelii Nuntiandi, EN 65).



Enfin et par-dessus tout, la mission d'évangélisation, qui est mienne et qui est vôtre, doit être réalisée par un témoignage constant et désintéressé à l'unité de l'amour. L'amour est la force qui ouvre les coeurs à la parole de Jésus et à la Rédemption : l'amour est la seule base des relations humaines qui veuille respecter l'un chez l'autre la dignité d'enfant de Dieu créé à son image et sauvé par la mort et la résurrection de Jésus ; l'amour est la seule force dynamique qui nous pousse à partager avec nos frères et soeurs tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons.



L'amour est le puissant stimulant qui fait naître le dialogue dans lequel nous nous écoutons mutuellement et apprenons l'un de l'autre. L'amour fait naître surtout, le dialogue de prière dans lequel nous écoutons la Parole de Dieu, vivante dans la sainte Bible, et vivante dans la vie de l'Église. Laissons donc l'amour édifier un pont entre nos différences et parfois entre nos positions contrastantes. Faisons en sorte que l'amour mutuel et l'amour pour la vérité soit la réponse aux tendances opposées, quand se forment des factions à cause de vues différentes dans des domaines qui concernent la foi ou les priorités à donner à des actions pratiques. Dans la communauté, personne ne devrait jamais se sentir rejeté ou non aimé, même lorsque surgissent des tensions durant les efforts communs pour faire fructifier l'Évangile dans notre société. Notre unité en tant que chrétiens, en tant que catholiques doit être toujours une unité d'amour dans le Christ Jésus notre Seigneur.



Dans un moment, nous célébrerons notre unité en renouvelant le sacrifice du Christ. Chacun présentera un don différent en union avec l'offrande du Christ : le zèle pour l'amélioration de la société ; les efforts pour consoler ceux qui souffrent ; le désir de rendre témoignage à la justice ; l'intention de travailler en faveur, de la paix et la fraternité ; la joie d'une famille unie ; ou les souffrances du corps et de l'esprit. Des dons différents, certes, mais tous unis dans l'unique grand don de l'amour du Christ pour son Père et pour nous, le tout uni dans l'unité du Christ et de son sacrifice.



Et maintenant dans la force et la puissance, dans la joie et la paix de cette unité sacrée, nous nous engageons encore, une fois à suivre, comme un peuple uni, le commandement de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ : « Allez et enseignez les nations. Par la parole et l'exemple, rendez témoignage à mon nom. Et voilà je suis avec vous, jusqu'à la fin du monde. »






5 octobre 1979



AU CHICAGO SIMPHONY ORCHESTRA



Chicago a confié à son Orchestre symphonique le soin de faire ses adieux au Saint-Père. Durant le concert organisé en son honneur le 5 octobre, dans le cadre de l'église du Saint-Nom, Jean Paul II a prononcé le bref discours dont voici la traduction :



Je me sens très honoré par la splendide exécution du « Chicago Symphony Orchestra ».



Je vous remercie de m'avoir offert cette occasion pour exprimer ma profonde admiration pour la beauté artistique que vous m'avez fait goûter ce soir. Veuillez agréer mes vifs remerciements.



Et je suis honoré de pouvoir, à cette occasion, unir ma voix à celle de mon prédécesseur Paul VI qui, par l'éloquent témoignage de son long pontificat, s'est montré le grand ami des artistes. De toute l'intensité de sa noble âme, il a donné le témoignage convaincant de l'estime que l'Église a pour le rôle de l'art. Avec une habileté consommée, il a mené l'Église catholique à un nouveau niveau de dialogue avec les artistes du monde. Il avait la ferme conviction que tout art et beauté entraînerait l'homme à lever les yeux vers Dieu, montrant le chemin de la beauté incréée.



En souvenir de Paul VI, en mon nom propre et au nom de l'Eglise, je réitère mes sentiments de respect et d'admiration, pour votre contribution à l'élévation de L'humanité, car votre création artistique exalte ce qui est humain et touche à ce qui est religieux et divin.



A l'occasion de cette rencontre culturelle et spirituelle de ce soir, j'adresse mes respectueuses salutations à tous les artistes de ce pays, louant le rôle qu'ils sont appelés à jouer, avec prodigieuse capacité, pour le progrès d'une vraie culture aux États-Unis et dans le monde entier.







6 octobre 1979

WASHINGTON : ARRIVÉE A L'AÉROPORT





Monsieur le Vice-Président,

Chers amis,

Chers frères et soeurs dans le Christ,



Je désire exprimer mes sincères remerciements pour les mots de bienvenue qui m'ont été si aimablement adressés à mon arrivée dans la capitale nationale, la dernière étape de mon premier voyage apostolique aux États-Unis. Une fois de plus, je désire exprimer ma profonde reconnaissance à la Conférence épiscopale et au président Carter pour leur invitation à venir et à visiter les États-Unis.



Mon merci cordial s'adresse également à tous ceux qui sont vertus me souhaiter la bienvenue, ici : à vous, Monsieur le Vice-Président, et aux: autres autorités civiles en qui je salue tout le peuple américain, et tous les citoyens du district fédéral de Columbia spécialement. Un salut fraternel à vous, cardinal Baum, pasteur de l'archidiocèse de Washington — et en vous, à tout le clergé, aux religieux et aux laïcs de la communauté catholique. Je suis très heureux de saluer en même temps le Président, les Officiers et le personnel de la conférence catholique nationale des Evêques dont l'administration générale a son siège en cette ville, ainsi que ceux qui, dans la conférence catholique, assurent l'ensemble des services indispensables à la communauté catholique de ce pays. A tous mes frères évêques, salut et bénédiction de l'évêque de Rome dans vos diocèses.



Il me tarde de rencontrer les chefs de ce pays jeune et prospère — en premier lieu, le président des États-Unis. Je serai aussi honoré de visiter le siège social de l'Organisation des États américains afin d'apporter à cet organisme méritant un message de paix pour tous les peuples qu'il représente.



Je serai particulièrement heureux, pendant ces derniers jours de ma visite et de mon pèlerinage, d'entrer en contact avec la communauté catholique de la région et de me renseigner sur ses efforts, son programme et ses activités en pastorale.



Puissent les bénédictions du Dieu tout-puissant descendre en abondance sur tout le peuple de la capitale de ce pays.






6 octobre 1979



HOMELIE A LA CATHÉDRALE





Marie nous dit aujourd'hui : « Je suis la servante du Seigneur. Qu'il me soit fait selon ta parole » (Lc 1,38).



Et elle exprime par ces mots l'attitude fondamentale de sa vie : sa foi ! Marie a cru ! Elle a fait confiance à la promesse de Dieu et elle a été fidèle à sa volonté. Lorsque l'ange Gabriel lui annonça qu'elle était choisie pour être la Mère du Très-Haut, elle prononça son Fiat en toute humilité et liberté : « Qu'il me soit fait selon ta parole. »



La meilleure description de Marie, et en même temps le plus grand hommage qui lui ait été rendu, fut peut-être le salut de sa cousine Elisabeth : « Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1,45).



Toute sa vie terrestre fut un « Pèlerinage de foi » (Lumen Gentium, LG 58). Comme nous, elle a marché dans l'ombre et espéré ce qu'elle ne voyait pas. Elle connut les contradictions de notre vie terrestre. Il lui fut promis que son Fils recevrait le Trône de David, mais à sa naissance, il n'y avait pas de place, même à l'auberge. Marie crut encore. L'ange lui avait dit que son enfant serait appelé Fils de Dieu ; mais elle l'a vu calomnié, trahi et condamné, puis livré à la mort comme un voleur, sur la croix. Même là, Marie crut « en l'accomplissement de ce qui lui avait été dit de la part du Seigneur » (Lc 1,45), et que « rien n'était impossible à Dieu » (Lc 1,37).



Cette femme de foi, Marie de Nazareth, Mère de Dieu, nous a été donnée comme modèle dans notre pèlerinage de foi. De Marie, nous apprenons à nous abandonner en toutes choses à la volonté de Dieu. De Marie, nous apprenons à aimer le Christ, son Fils et le Fils de Dieu. Car Marie n'est pas seulement la Mère de Dieu, elle est aussi la Mère de l'Église. A chaque étape de sa marche dans l'histoire, l'Église a bénéficié de la prière et de la protection de la Vierge Marie. L'Écriture sainte et l'expérience des fidèles voient en la Mère de Dieu, celle qui, d'une manière très spéciale, est unie à l'Église aux moments les plus difficiles de son histoire, lorsque les attaques contre l'Église se font plus menaçantes. C'est précisément dans les périodes où le Christ, et par conséquent son Église, provoque la contradiction délibérée, que Marie se montre particulièrement proche de l'Église, parce que l'Église est toujours son Christ bien-aimé.



Je vous exhorte donc, dans le Christ Jésus, à continuer de regarder Marie comme le modèle de l'Église, le meilleur exemple du disciple du Christ Apprenez d'elle à être fidèles, à croire que ce qui vous a été dit de la part du Seigneur s'accomplira et que rien n'est impossible à Dieu. Tournez-vous souvent vers Marie dans votre prière « parce que jamais on n'a entendu dire qu'aucun de ceux qui ont eu recours-à sa protection, imploré son secours et demandé ses suffrages ait été abandonné ».



Comme un grand signe qui est apparu dans les cieux, Marie nous guide et nous soutient dans notre pèlerinage, nous entraînant dans « la victoire qui a vaincu le monde, notre foi » (1Jn 5,4).






6 octobre 1979



ARRIVEE A LA MAISON BLANCHE





Monsieur le Président,



Je tiens à vous exprimer mes remerciements les plus sincères pour vos aimables paroles de bienvenue à la Maison Blanche. Ce m'est en vérité un grand honneur de rencontrer le président des États-Unis au cours d'une visite dont les buts sont tout spirituels et religieux. Puis-je vous exprimer, et en vous à tous vos frères américains, mon profond respect envers toutes les autorités de cette nation, tant du Fédéral que des États et envers son peuple bien-aimé. Pendant ces quelques derniers jours, j'ai eu l'occasion de visiter certaines villes et régions rurales. Mon seul regret est que le temps me soit trop court pour porter personnellement mes salutations à chaque partie de ce pays, mais je veux vous assurer de mon estime et de mon affection pour chaque homme, femme, enfant, sans distinction.



La Divine Providence, dans ses propres desseins, m'a appelé de ma Pologne natale, à être le successeur de Pierre et le chef de l'Église catholique. Ce m'est une grande joie d'être le premier pape de l'histoire à venir dans la capitale de ce pays et je remercie le Dieu Tout-Puissant de cette grâce. En acceptant votre si courtoise invitation, Monsieur le Président, j'ai aussi espéré que nôtre rencontre d'aujourd'hui servirait la cause de la paix mondiale et de la compréhension internationale ainsi que la promotion du respect complet des droits de l'homme, partout.



Monsieur le Speaker et Honorables Membres du Congrès, Distingués Membres du Cabinet et de la Magistrature, Mesdames et Messieurs,



Votre présence ici m'honore grandement et j'apprécie vivement l'expression du respect que vous me témoignez ainsi. Ma gratitude pour votre aimable accueil s'adresse à chacun de vous personnellement ; et je désire dire à tous la profonde estime que j'ai pour votre mission de serviteurs du bien commun de tout le peuple américain.



Je viens d'une nation qui a une longue tradition de grande foi chrétienne et une histoire marquée de nombreux soulèvements ; pendant plus de cent ans, la Pologne fut même effacée de la carte politique de l'Europe. Mais c'est aussi une contrée empreinte d'une profonde vénération pour ces valeurs indispensables à la prospérité de toute société : l'amour de, la liberté, la créativité culturelle et la conviction que les efforts communs en vue du bien de la société doivent s'inspirer d'un vrai sens moral. Ma propre mission religieuse et spirituelle m'oblige à être messager de paix et de fraternité et à témoigner de la vraie grandeur de chaque personne humaine. Cette grandeur est le signe de l'amour de Dieu qui nous créa son image et nous donna une destinée éternelle. Je vois dans cette dignité de la personne humaine la signification de l'histoire et j'y trouve le principe qui donne un sens au rôle que chaque être humain doit assumer pour son avancement personnel et pour le bien-être de la société à laquelle il appartient. C'est dans ces sentiments que je salue en vous tout le peuple américain, un peuple dont les concepts de vie sont fondés sur les valeurs morales et .spirituelles, sur un profond sens religieux, sur le respect du devoir et sur la générosité dans le service de l'humanité — nobles traits qui sont particulièrement réunis dans la capitale nationale, avec ses monuments dédiés à ces extraordinaires figures nationales : George Washington, Abraham Lincoln, Thomas Jefferson.



Je salue le peuple américain dans ses représentants élus, vous tous qui servez au Congrès, en traçant, par la législation, le sentier qui doit conduire chaque citoyen de cette contrée au plein épanouissement de ses potentialités, et la nation entière à la prise en charge de ses responsabilités dans la construction d'un monde authentiquement juste et libre. Je salue l'Amérique en tous ceux qui sont investisse l'autorité, cette autorité qui ne peut être considérée que comme une occasion de servir ses concitoyens dans le plein développement de leur humanité vraie et dans la jouissance pleine et sans obstacle de tous leurs droits fondamentaux. Je salue encore le peuple de ce pays dans les membres de la Magistrature qui sont également les serviteurs de l'humanité dans l'application de la justice et qui tiennent ainsi en leurs mains le redoutable pouvoir d'influencer profondément, par leurs décisions, la vie de chaque individu.



Pour vous tous, je prie le Dieu Tout-Puissant de vous accorder le don de sagesse dans vos décisions, la prudence dans vos paroles et actions, et la compassion dans l'exercice de l'autorité qui est la vôtre, afin que dans votre noble office, vous vous rendiez toujours un authentique service au peuple.



Que Dieu bénisse l'Amérique !






6 octobre 1979



DEPART DE LA MAISON BLANCHE



Au cours de sa visite à la Maison Blanche, le pape a eu un entretien privé avec le président Carter, puis il s'est entretenu avec la famille du Président. Celui-ci l'a conduit ensuite dans le parc où le Saint-Père a rencontré les nombreux invités présents. Avant de quitter la Maison Blanche, le pape a prononcé le discours dont voici la traduction :



Je suis honoré d'avoir eu, grâce à votre aimable invitation, l'occasion de vous rencontrer ; car de par votre fonction de président des États-Unis d'Amérique, vous représentez, pour le monde, toute la nation américaine que vous avez l'immense responsabilité de conduire dans le chemin de la justice et de la paix. Je vous remercie publiquement de cette rencontre et je remercie tous ceux qui ont contribué à son succès. Je désire aussi réitérer ma profonde gratitude pour l'accueil chaleureux et les nombreuses délicatesses dont j'ai été l'objet de la part du peuple américain, au cours de mon voyage pastoral dans votre magnifique pays.



Monsieur le Président,



Pour répondre aux paroles bienveillantes que vous m'avez adressées, je prends la liberté de commencer par le passage du prophète Michée que vous avez cité lors de votre installation : « On t'a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d'autre que d'accomplir la justice, d'aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6,8). En évoquant ces mots, je désire vous saluer, vous et les autorités de chaque État ainsi que de la Nation, qui ont la responsabilité du bien des citoyens. Il n'y a pas, en vérité, d'autre manière de se mettre au service de toute la personne humaine que de rechercher le bien de chaque homme et de chaque femme dans ses engagements et ses activités. L'autorité dans la communauté politique est basée sur un principe moral objectif, à savoir : que le devoir fondamental du gouvernement est la sollicitude pour le bien commun de la société et qu'il est au service des droits inviolables de la personne humaine. Les individus, les familles et les divers groupes qui composent la société civile sont conscients de leur incapacité à réaliser pleinement, par eux-mêmes, tout leur potentiel humain ; dès lors ils recherchent dans une communauté plus vaste la nécessaire condition d'une poursuite efficace du bien commun.



Je désire féliciter les autorités publiques et tout le peuple des États-Unis d'avoir accordé, et cela depuis le début de l'existence de la nation, une place de choix à certains points qui sont du plus haut intérêt pour le bien commun. Il y a trois ans, lors de la célébration, du Bicentenaire auquel j'ai eu l'avantage de participer comme archevêque de Cracovie, il était notoire que l'intérêt pour l'humain et le spirituel constituait un des principes de base qui régissait la vie de cette société. Il est superflu d'ajouter que le respect pour la dignité et la liberté de chaque individu, quels que soient son origine, sa race, son sexe et sa religion, est un article chéri du credo civil de l'Amérique et qu'il a été renforcé par des décisions et par des actions courageuses.



Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,



Je connais et j'apprécie les efforts de ce pays en faveur de la limitation des armements, et en particulier des armes nucléaires. Chacun est conscient du risque terrible que l'humanité encourt par l'accumulation de telles armes. Parce qu'ils constituent un des plus importants pays du monde, les États-Unis jouent un rôle éminemment important dans la recherche d'une plus grande sécurité dans le monde, et d'une collaboration internationale plus intense. J'espère de tout coeur que sans relâche, ils poursuivront leurs efforts en vue de réduire les risques d'une conflagration mondiale fatale et désastreuse, et d'assurer une réduction prudente et progressive de la puissance de destruction des arsenaux militaires. En même temps, puissent les États-Unis, en raison de leur position privilégiée, réussir à inciter les autres nations à s'unir dans un engagement continu au désarmement. Sans accepter un tel engagement de plein coeur, comment Une nation peut-elle servir l'humanité dont le désir le plus profond n'est rien d'autre que la paix véritable ?



L'attachement aux valeurs humaines et morales qui caractérise le peuple américain doit se situer, à plus forte raison dans le contexte actuel de croissante interdépendance des peuples, dans une perspective de bien commun, non seulement de la nation propre de chaque individu mais de tous les citoyens du monde entier. Je tiens à encourager toute action visant à renforcer la paix dans le monde, une paix basée sur la liberté et la justice, sur la charité et la vérité. Les relations actuelles entre peuples et nations exigent en outre l'établissement d'une plus vaste collaboration internationale dans le domaine économique. Plus une nation est puissante, plus s'accroît sa responsabilité internationale et plus elle doit contribuer à l'amélioration du sort de ceux dont l'humanité est menacée par l'indigence et la misère. C'est mon fervent espoir que toutes les nations puissantes dans le monde approfondissent leur connaissance du principe de la solidarité humaine dans l'unique grande famille humaine. L'Amérique qui, dans les années passées, a fait preuve de bonté et de générosité en fournissant des vivres aux affamés du monde, saura, j'en suis persuadé, allier cette générosité à une contribution aussi significative, à l'établissement d'un ordre du monde qui créera les conditions économiques et commerciales indispensables à des relations plus justes entre toutes les nations du monde, dans le respect de leur dignité et de leur personnalité! respective. Puisque les peuples souffrent à cause de l'inégalité internationale, il ne saurait être question de cesser de travailler à la solidarité internationale, même si cela devait impliquer des changements notables dans les attitudes et le style de vie de ceux qui jouissent d'une plus large part des biens de ce monde.



Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,



En parlant du bien commun qui englobe les aspirations de tous les humains au plein développement de leurs talents et à la protection adéquate de leurs droits, j'ai traité de domaines où l'Église que je représente et la communauté politique qui est l'État partagent un souci commun : la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et la recherche de la justice et delà paix. Dans leur sphère respective, la communauté politique et l'Église sont mutuellement indépendantes et autonomes. Néanmoins, à différents titres, chacun sert la vocation personnelle et sociale des mêmes êtres humains.



L'Église catholique, pour sa part, poursuivra ses efforts de coopération à la promotion de la justice, de la paix et de la dignité en y engageant ses chefs et les membres de ses communautés et en proclamant inlassablement que tous les êtres humains sont créés à l'image et à la ressemblance de Dieu et qu'ils sont frères et soeurs, enfants d'un même Père céleste.



Daigne le Dieu tout-puissant bénir et soutenir l'Amérique dans sa recherche de la plénitude de la liberté, de justice et de paix.






6 octobre 1979



A L'ORGANISATION DES ETATS AMERICAINS



Pour sa deuxième visite à Washington, le pape a tenu à rencontrer les représentants de l'O.S.A. (Organisation des États d'Amérique). En réponse au discours du président Orfila, d'Argentine, le pape a répondu en espagnol.



Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire général,

Mesdames et Messieurs,



1. C'est pour moi un grand plaisir de saisir cette occasion de saluer tous les distingués représentants de chacune des nations membres de l'Organisation des États d'Amérique. Ma sincère gratitude s'adresse à vous, Monsieur le Président, pour vos cordiales paroles de bienvenue. Je remercie également le Secrétaire général de m'avoir aimablement invité à visiter le siège central de la plus ancienne des organisations régionales internationales. Il est donc juste qu'après ma visite à l'Organisation des Nations Unies, ce soit à l'Organisation des États d'Amérique, la première parmi les nombreuses organisations et agences intergouvernementales, que j'aie le privilège d'adresser un message de paix et d'amitié.



Le Saint-Siège suit avec le plus grand intérêt et, je puis le dire avec une attention spéciale, les événements et les changements qui affectent le bien-être des peuples des Amériques. C'est la raison pour laquelle il s'est senti très honoré quand il a été invité à envoyer un observateur permanent à cette institution, invitation faite, l'année dernière, à la suite d'une décision unanime de l'assemblée générale. Le Saint-Siège voit dans les organisations régionales comme la vôtre, des structures intermédiaires qui peuvent promouvoir une plus grande diversité et une plus grande vitalité internes, dans un domaine déterminé, au sein de l'entière communauté des nations. Le fait que le continent américain tienne compte d'une organisation chargée d'assurer une plus grande continuité dans le dialogue entre les gouvernements, de promouvoir la paix, de favoriser un plein développement dans la solidarité et de protéger l'homme, sa dignité et ses droits, est un facteur qui est au bénéfice de toute la famille humaine. L'Évangile et le christianisme sont pleinement entrés dans votre histoire et dans vos cultures. Je voudrais partir de cette tradition commune pour faire quelques réflexions, ceci dans un respect absolu de vos convictions personnelles et de votre compétence propre et pour apporter une contribution originale à vos efforts dans un esprit de service.



2. La paix est un don précieux que vous vous efforcez de préserver pour vos peuples. Vous êtes d'accord avec moi sur le fait que ce n'est pas par l'accumulation des armes que l'on arrive à assurer cette paix d'une façon stable. Mis à part le fait que cette accumulation augmente, dans la pratique, le risque de recourir aux armes pour résoudre les conflits qui peuvent surgir, elle soustrait de considérables ressources matérielles et humaines aux grandes missions pacifiques et si urgentes du développement. Ceci pourrait aussi faire penser que l'ordre construit sur les armes est suffisant pour assurer la paix interne de vos pays.



Je vous demande solennellement de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour-freiner la course aux armements dans ce continent. Il n'existe pas de divergences entre vos pays qui ne puissent être surmontées pacifiquement. Quel soulagement ce sera pour vos peuples, combien de nouvelles possibilités s'ouvriront pour leur progrès économique, social et culturel et quel exemple très contagieux sera donné au monde si la difficile entreprise du désarmement réussit à trouver ici une solution réaliste et décidée !



3. La douloureuse expérience de ma patrie, la Pologne, m'a enseigné combien est importante la souveraineté nationale quand elle a à son service un État digne de ce nom et libre dans ses décisions : combien elle est importante pour la protection non seulement des légitimes intérêts matériels du peuple, mais aussi de sa culture et de son âme. Votre Organisation est une organisation d'États, fondée sur le respect de l'absolue souveraineté nationale de chacun de ces États, sur une participation paritaire aux tâches communes et sur une solidarité entre vos peuples. La légitime exigence de la part des États de participer aux décisions communes de l'organisation sur une base d'égalité doit être accompagnée du désir de promouvoir, à l'intérieur de chaque pays, une participation toujours plus effective des citoyens à la responsabilité et aux décisions de la nation selon des modalités qui tiennent particulièrement compte des traditions, des difficultés et des expériences historiques.



4. De toute manière, bien que ces difficultés et ces expériences puissent exiger parfois des mesures exceptionnelles et un certain temps de maturation dans la préparation de nouveaux progrès dans la

distribution des responsabilités, elles ne justifient jamais une atteinte à la dignité inviolable de la personne humaine et aux droits authentiques qui protègent cette dignité. Si certaines idéologies et certaines formes d'interprétation de la légitime préoccupation pour la sécurité nationale avaient comme résultat de mettre l'homme, avec ses droits et sa dignité, sous le joug de l'État, elles cesseraient, dans la même mesure, d'être humaines et il serait impossible de les adjoindre à une doctrine chrétienne sans éprouver une grande déception. Dans la pensée, de l'Église c'est un principe fondamental de considérer que les organisations sociales sont au service de l'homme et non le contraire. Ceci vaut aussi pour les plus hauts niveaux de la société là où s'exerce le pouvoir de coercition et où, les abus, quand il y en a, sont particulièrement graves. En outre, une sécurité dans laquelle les peuples ne se sentent pas impliqués, puisqu'on ne les protège pas dans leur humanité véritable, est seulement une comédie ; au fur et à mesure qu'elle devient plus rigide, elle présenter a des symptômes de faiblesse croissante et elle va vers une ruine imminente.



Sans interférences indues, votre Organisation, selon l'esprit avec lequel elle affronte tous les problèmes de sa compétence, peut faire beaucoup sur tout le continent pour faire progresser une conception de l'État et de sa souveraineté qui soit réellement humaine et qui, justement à cause de cela, soit la base d'une légitimation des États et de prérogatives qui lui soient reconnues pour le service de l'homme.



5. L'homme ! L'homme est le critère décisif qui ordonne et dirige tous vos engagements, il est la valeur vitale dont le service exige continuellement de nouvelles initiatives. Les expressions les plus pleines de signification pour l'homme — expressions comme la justice, la paix, le développement, la solidarité, les droits de l'homme — sont parfois rabaissées et restent au niveau d'un soupçon systématique ou d'une censure idéologique factieuse et sectaire. De cette manière elles perdent leur pouvoir de mobilisation et d'attraction. Elles ne le retrouveront que si le respect pour la personne humaine et l'engagement en sa faveur sont explicitement remises au coeur de toutes les considérations. Quand on parle de droit à la vie, à l'intégrité physique et morale, à la nourriture, à l'habitation, à l'éducation, à la santé, au travail, à la participation responsable à la vie de la nation, on parle de la personne humaine. Et cette personne humaine est celle que la foi nous fait reconnaître comme créée à l'image de Dieu et promise à une destinée éternelle. C'est cette personne humaine que l'on rencontre fréquemment menacée et affamée, sans maison et sans travail décents, sans accès au patrimoine culturel de son peuple ou à celui de l'humanité et sans voix pour faire entendre ses angoisses. Il faut donner une nouvelle vie à la grande cause du plein développement et ceux qui doivent le faire sont ceux qui, à un degré ou à un autre, jouissent déjà de ces biens et qui doivent se mettre au service de tous ceux — ils sont encore très nombreux dans votre continent — qui sont privés de ces biens dans une mesure parfois dramatique.



6. Le défi du développement mérite toute votre attention. De plus, ce que vous obtiendrez dans ce domaine peut être un exemple pour l'humanité. Les problèmes des zones rurales et urbaines, de l'industrie et de l'agriculture, ceux du milieu ambiant représentent, dans une large mesure, une tâche commune. La recherche décidée de tout cela aidera à répandre dans le continent un sentiment de fraternité universelle qui s'étendra bien au-delà des frontières et des régimes. Sans diminuer les responsabilités: des États souverains, vous découvrirez que c'est dans la logique des exigences qui se présentent à vous, que de vous occuper de problèmes comme l'emploi, l’émigration et le commerce, en tant que préoccupations communes dont la dimension continentale demande d'une façon toujours plus intense des solutions plus organiques à l'échelle continentale. Tout ce que vous ferez pour la personne humaine provoquera une détente de la violence et des menaces de subversion et de déséquilibre. Car en acceptant avec courage les révisions qu'exigé « ce point de vue unique et fondamental — disons de la personne dans la communauté — et qui comme facteur fondamental du bien commun, doit constituer le critère essentiel de tous les programmes, systèmes et régimes » (Redemptor hominis, RH 17), vous orientez les énergies de vos peuples vers la satisfaction pacifique de leurs aspirations.



7. Le Saint-Siège se considère toujours heureux de pouvoir apporter sa contribution désintéressée à cette tâche. Les Églises locales des Amériques en feront autant dans le cadre de leurs différentes responsabilités. En favorisant le progrès de la personne humaine, de sa dignité et de ses droits, elles serviront la cité terrestre, favoriseront sa cohésion et suivront ses autorités légitimes. La pleine liberté religieuse qu'elles demandent est pour un service et non pour s'opposer à la légitime autonomie de la société civile et de ses propres moyens d'action. Plus les citoyens seront capables d'exercer habituellement leurs libertés dans la vie de la nation, plus rapidement les communautés chrétiennes seront capables de se consacrer d'elles-mêmes à la tâche principale de l’évangélisation, c'est-à-dire à la prédication de l'Évangile du Christ, source de vie, de force, de justice et de paix.

En langue anglaise :



Avec de ferventes prières pour la prospérité et pour la concorde, j'invoque sur cette importante assemblée, sur les représentants de tous les États membres et leurs familles, sur tous les peuplés bien-aimés des Amériques, les meilleures grâces et bénédictions du Dieu Tout-Puissant.

En langue française :



Ma visite ici, dans la salle des Amériques; devant cette noble assemblée qui se consacre à la collaboration inter-américaine, voudrait exprimer à la fois un souhait et une prière. Mon souhait, c'est que dans toutes les nations de ce continent, aucun homme, aucune femme, aucun enfant ne se sente jamais abandonné par les autorités constituées auxquelles il est prêt à accorder pleinement sa confiance dans la mesure où ces autorités recherchent le bien de tous. Ma prière c'est que le Dieu Tout-Puissant accorde sa lumière aux peuples et aux gouvernants afin qu'ils puissent toujours découvrir de nouvelles voies de collaboration pour bâtir une société fraternelle et juste.

En langue portugaise :



Un mot encore avant de vous quitter — avec beaucoup de peine, je l'avoue — après cette première et brève visite à votre vénérable Organisation. Au début de l'année, au cours de mon voyage au Mexique, j'ai déjà eu l'occasion d'admirer, chez les populations locales, l'enthousiasme, la spontanéité et la joie de vivre des gens de ce continent. Je suis convaincu de ce que vous saurez préserver le riche patrimoine humain et culturel de vos peuples ; et avec ce patrimoine, vous saurez maintenir les bases indispensables d'un véritable progrès qui, toujours et partout, est constitué par le respect de la suprême dignité de l'homme.

Après son discours lé pape a rencontre le personnel du secrétariat de l'O.S.A. à qui il a adressé en anglais et en espagnol des paroles de remerciements et d'encouragement pour son travail, dédié au service de la vérité et de la justice, dans la recherche de la paix.






6 octobre 1979



AU CORPS DIPLOMATIQUE





C'est en français que le pape s'est adresse au Corps diplomatique présent à Washington. Voici le texte de son discours.



Excellences, Mesdames, Messieurs,



Au cours de cette visite, si agréable et si exigeante à la fois, je suis particulièrement heureux de cette occasion qui m'est donnée ce soir de rencontrer les membres du Corps diplomatique en mission à Washington.



Votre présence ici m'honore. C'est un honneur rendu non seulement à ma personne mais au chef de l'Église catholique et je vous en remercie très cordialement. Je vois aussi dans ce geste de courtoisie un encouragement pour l'activité de l'Église catholique et du Saint-Siège au service de l'humanité.



Ce souci du service de l'humanité est commun au Corps diplomatique et au Saint-Siège : chacun agit dans son propre domaine, poursuivant avec persévérance sa propre mission, mais ils sont tous les deux unis par Fa grande cause de la compréhension et de la solidarité entre les peuples et les nations.



Vous avez là une noble tâche. Malgré les difficultés, les contretemps et les échecs inévitables, la diplomatie tire son importance du fait qu'elle est l'un des chemins à parcourir quand on recherche la paix et le progrès de toute l'humanité. « La diplomatie, disait mon prédécesseur Paul VI, est l'art de faire la paix » (Discours au Corps diplomatique, Rome, 12 janvier 1974). Les efforts des diplomates pour établir la paix ou la maintenir, que ce soit à un niveau bilatéral ou multilatéral, ne sont pas toujours couronnés de succès. Il faut cependant toujours les encourager, aujourd'hui comme hier, de manière à susciter de nouvelles initiatives, à tracer de nouveaux sentiers, avec cette patience et cette ténacité qui sont les qualités éminentes du diplomate. Et puisque je parle au nom du Christ qui s'est proclamé lui-même « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14,6), je voudrais aussi attirer l'attention sur d'autres qualités qui me semblent indispensables si l'on veut que la diplomatie à l'heure actuelle réponde aux espoirs que l'on place en elle : il faut, en effet, que les valeurs suprêmes, tant morales que spirituelles, soient toujours plus profondément intégrées dans les objectifs poursuivis par les peuples et dans les moyens mis en oeuvre pour les atteindre.

La vérité est la première de ces exigences morales qui doivent prévaloir dans les relations entre les nations et les peuples. Pour la treizième Journée mondiale de la Paix (1er janvier 1980), j'ai choisi comme thème : « La vérité, force de la paix ». Et je suis persuadé que les gouvernements et les nations que vous représentez s'associeront, cette fois encore, comme ils l'ont fait d'une manière si admirable dans le passé, à cette grande entreprise : imprégner de Vérité tous les rapports, qu'ils soient politiques ou économiques, bilatéraux ou multilatéraux.



Or, trop souvent, le mensonge se trouve dans notre vie, aussi bien au niveau personnel que collectif, entraînant avec lui la suspicion là où la vérité est indispensable ; le dialogue devient alors difficile, ce qui rend presque impossible toute collaboration ou entente. Mettre de la vérité dans toutes nos, relations, c'est, travailler à la paix, car cela permet de trouver aux problèmes mondiaux des solutions qui soient conformes à la raison et à la justice, conformes, en un mot, à la vérité sur l’homme.



Et ceci m'amène au deuxième point, que je voudrais évoquer. Pour que la paix soit réelle et durable, elle doit être humaine. Le désir de paix est universel. Il repose dans le coeur de tout être humain et il ne peut être comblé qu'à condition de placer la personne humaine au centre de tous les efforts pour susciter l'unité et la fraternité entre les nations.



Votre mission de diplomates est fondée sur le mandat que vous avez reçu de ceux qui ont la responsabilités du bien-être de vos nations. Et on ne peut séparer ce pouvoir auquel vous avez part des exigences objectives de l'ordre moral et de la destinée de tout être humain ? Je me permets de vous redire ici ce que je déclarais dans ma première lettre encyclique : « Le devoir fondamental du pouvoir est la sollicitude pour le bien commun de la société ; de là dérivent ses droits fondamentaux. Au nom de ces prémisses relatives à l'ordre éthique objectif, les droits du pouvoir ne peuvent être entendus que sur la base du respect des droits objectifs et inviolables de l'homme. Ce bien commun, au service duquel est l'autorité dans l'État, ne trouve sa pleine réalisation que lorsque tous les citoyens sont assurés de leurs droits. Autrement on arrive à la désagrégation de la société, à l'opposition des citoyens à l'autorité, ou alors à une situation d'oppression, d'intimidation, de violence, de terrorisme, dont les totalitarismes de notre siècle nous ont fourni de nombreux exemples. C'est ainsi que le principe des droits de l'homme touche profondément le secteur de la justice sociale et devient la mesure qui en permet une vérification fondamentale dans la vie des organismes politiques » (Redemptor hominis, RH 17). Ces réflexions prennent aussi toute leur importance dans le domaine qui vous préoccupe directement, la recherche de la paix internationale, de la justice entre les nations et de la coopération de tous les peuples dans la solidarité. En dernière analyse, le succès de la diplomatie aujourd'hui sera dans la victoire de la vérité sur l'homme.



J'invoque les bénédictions du Dieu tout-puissant sur votre mission, qui comporte la double exigence de défendre les intérêts de vos pays, tout en les plaçant dans le contexte de la paix universelle ; sur vous-mêmes, qui êtes des artisans de paix ; sur vos conjoints et sur vos familles, qui vous soutiennent et vous encouragent ; et enfin sur tous ceux qui comptent sur votre service dévoué pour que leur propre dignité de personne humaine soit reconnue et respectée. Que la paix de Dieu habite toujours en vos coeurs !






7 octobre 1979



AUX ETUDIANTS





Chers étudiants de l'université catholique,



Mon premier salut en arrivant sur ce campus est pour vous ! Je vous offre à tous la paix et la joie de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ! On me dit que vous avez organisé une veillée de prière pendant une nuit entière pour demander à Dieu de bénir ma visite. Merci de tout coeur pour cette merveilleuse expression de communion avec moi, et pour un si beau cadeau. Je voudrais pouvoir vous parler longuement ; je voudrais vous écouter et savoir ce que vous pensez de vous-mêmes et du monde. Mais le temps qui m'est accordé est trop court.



Vous m'avez cependant déjà dit une chose : en choisissant de m'accueillir par l'offrande de vos prières vous avez démontré que vous comprenez ce qui est le plus important dans vos vies — votre contact avec Dieu, votre recherche du sens de la vie dans l'écoute du Christ selon sa parole qui vous est adressée dans les Écritures. Je suis heureux de savoir que la réflexion sur les valeurs spirituelles et religieuses fait partie de votre désir de vivre en plénitude cette période de votre vie. Les intérêts matérialistes et les valeurs unilatérales ne sont jamais suffisantes pour combler le coeur et l'esprit d'une personne humaine. Une vie qui se réduit à l'unique dimension de la possession, de la consommation, des intérêts temporels ne vous permettra jamais de découvrir et de vous réjouir de la plénitude de la richesse de votre humanité. C'est seulement en Dieu — en Jésus, Dieu fait homme — que vous comprendrez pleinement ce que vous êtes. Il vous révélera votre véritable grandeur : à savoir que vous êtes rachetés par lui et saisis par son amour ; que vous avez vraiment été libérés en celui qui a dit de lui-même : « Si le fils vous libère vous serez vraiment libres » (Jn 8,36).



Je sais que, comme les étudiants du monde entier, vous êtes troublés par les problèmes qui pèsent sur la société qui vous entoure et sur celle du monde. Examinez ces problèmes, explorez-les, étudiez-les et recevez-les comme un défi. Mais faites cela dans la lumière du Christ. Il est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Il situe toute vie humaine dans sa véritable dimension de vérité et d'amour authentique. La véritable connaissance et la véritable liberté sont en Jésus. Que Jésus fasse toujours partie de votre faim de vérité et de justice, et partie de votre dévouement au bien-être de vos frères humains.



Jouissez des privilèges de votre jeunesse : le droit d'être dynamiques, créatifs et spontanés ; le droit d'être pleins d'espoir et de joie ; la possibilité d'explorer le monde merveilleux de la science et de la connaissance ; et par-dessus tout la chance que vous avez de vous donner aux autres dans un service généreux et joyeux.



Je vous quitte en formulant cette prière : que le Seigneur Jésus se révèle lui-même à chacun d'entre vous, qu'il vous donne sa force pour aller annoncer que vous êtes chrétiens, qu'il vous montre que lui seul peut combler vos coeurs. Recevez sa liberté, embrassez sa vérité, et soyez les messagers de la certitude d'avoir vraiment été libérés par la mort et ta résurrection du Seigneur Jésus. Ce sera la nouvelle expérience, la puissante expérience qui engendrera, par vous, une société plus juste et un monde meilleur.



Que Dieu vous bénisse et que la joie dé Jésus soit toujours avec vous !






7 octobre 1979



A LA VIERGE MARIE



Avant de s'adresser aux religieuses, réunies dans le sanctuaire de l'Immaculée-Conception, le pape a prononcé une brève allocution, comme une méditation à la Vierge Marie.



Mon premier désir dans ce sanctuaire national de l'Immaculée-Conception est de diriger ma pensée, de tourner mon coeur vers la femme de l'histoire du salut. Dans l'éternel dessein de Dieu, cette femme, Marie, a été choisie pour entrer dans l'oeuvre de l'Incarnation et de la Rédemption. Le dessein de Dieu devait se réaliser par sa libre décision, prise dans son obéissance, à la volonté de Dieu. Par son « oui », un « oui » qui envahit et se reflète dans toute l'histoire, elle a consenti à être la Vierge Mère de notre Dieu Sauveur, la servante du Seigneur, et en même temps, la mère de tous les fidèles, qui, au cours des siècles allaient devenir les frères et les soeurs de son Fils. A travers elle, le Soleil de justice allait se lever sur le monde. A travers elle, le grand médecin de l'humanité, grand signe apparu dans les cieux, et les consciences, son Fils, le Dieu-Homme, Jésus-Christ allait transformer la condition humaine. Comme un grand signe apparu dans les cieux, dans la plénitude des temps, la femme domine toute l'histoire en qualité de Vierge Mère du Fils, en qualité d'Épouse du Saint-Esprit comme la servante de l'humanité.



Cette femme devient aussi, par son association à son Fils, un signe de contradiction pour le monde, et en même temps un signe d'espérance, elle en qui toutes les générations seront bénies. Cette femme qui a conçu spirituellement avant de concevoir physiquement, cette femme qui a accepté la parole de Dieu, cette femme qui a été insérée intimement et irrévocablement dans le mystère de l'Église et qui exerce une maternité spirituelle à l'égard de tous les peuples. Cette femme qui est honorée comme la reine des Apôtres, sans être elle-même introduite dans la constitution hiérarchique de l'Église, elle qui pourtant a rendu possible toute la hiérarchie en donnant au monde le pasteur et l'évêque de nos âmes. Cette femme, cette Marie des Évangiles, qui n'est pas mentionnée comme ayant pris part à la dernière cène, réapparaît au pied de la croix, pour consommer sa participation à l'histoire du salut Par son action courageuse, elle préfigure et anticipe le courage de toutes les femmes qui, à travers les âges, concourent à la naissance du Christ, à chaque génération.



A la Pentecôte, la Vierge Mère, une fois encore, se montre pour exercer son rôle en union avec les Apôtres, avec et au-dessus de l'Église. Et encore, elle a conçu du Saint-Esprit pour donner naissance à Jésus dans la plénitude de son Corps, l'Église, pour ne jamais le quitter, ne jamais l'abandonner et continuer à l'aimer.



C'est cette femme dont l'histoire et la destinée nous inspirent aujourd'hui, c'est elle qui nous parle de féminité, de dignité humaine et d'amour, et qui est la plus grande expression d'une consécration totale à Jésus-Christ au nom de qui nous sommes maintenant réunis.






7 octobre 1979



PRIERE DU PAPE A LA VIERGE MARIE AU SANCTUAIRE NATIONAL DE L’IMMACULEE CONCEPTION



Dans la matinée du 7 octobre, Jean Paul II au cours   de  sa   visite  au   sanctuaire  de l'Immaculée-Conception, a adressé à Notre-Dame la prière suivante :



Ce sanctuaire nous fait entendre la voix de toute l'Amérique, la voix de tous les fils et de toutes les filles de l'Amérique, portée jusqu'ici à partir des différents pays du Vieux Monde. A leur arrivée, ils apportaient avec eux, dans leurs coeurs, ce qui caractérisait leurs ancêtres et eux-mêmes dans leur pays d'origine : un même amour pour la Mère de Dieu. Malgré leurs langues différentes et leur provenance de milieux historiques et de traditions distincts, ces populations se sont unies autour du coeur de leur Mère commune. Leur foi dans le Christ leur donnait la conscience de former l'unique peuple de Dieu, mais en même temps cette conscience se faisait plus vive grâce à la présence de la Mère dans l'oeuvre du Christ et de son Église.



Aujourd'hui, en te remerciant, Mère, pour ta présence au milieu des hommes et des femmes de cette terre — présence qui se prolonge depuis deux cents ans — je les confie tous à ton Coeur Immaculé, pour le renouvellement de leur vie sociale et civique.



Je rappelle, avec gratitude et dans la joie, l'honneur qui t'a été fait par l'attribution du titre de patronne des États-Unis, sous l'invocation d'Immaculée Conception, au cours de la célébration du VI° concile provincial de Baltimore en 1846.



Mère du Christ je te recommande et je te confie l'Église catholique : les évêques, les prêtres, les diacres, les personnes et les institutions religieuses, les séminaristes, les vocations et tout l'apostolat des laïcs dans ses modalités diverses.



D'une façon spéciale, je te confie le bien-être des familles chrétiennes de ce pays, l'innocence des enfants, l'avenir des jeunes, les vocations, masculines et féminines. Je te demande de communiquer à toutes les femmes des États-Unis la grâce de partager en profondeur la joie que tu as expérimentée dans ta proximité avec Jésus-Christ, ton Fils. Je te demande de les garder tous du péché et du mal, selon cette liberté que tu as expérimentée d'une manière unique dès le moment de ta suprême libération dans ton Immaculée Conception.



Je te confie la grande oeuvre de l'oecuménisme qui se développe dans ce pays où ceux qui confessent le Christ appartiennent à des Églises et à des communions différentes. Je le fais pour que s'accomplissent les paroles de la prière du Christ : « Que tous soient un ». Je te confie la conscience des hommes et des femmes et la voix de l'opinion publique pour qu'elles ne s'opposent pas à la loi de Dieu mais qu'elles soient comme des sources de vérité et de bien.



A cela j'ajoute, Mère, la grande cause de la justice et de la paix dans le monde moderne, pour que la force et l'énergie de l'amour prévalent sur la haine et la destruction et pour que les fils de lumière ne viennent pas à manquer pour la cause du bien-être de toute la famille humaine.



Je te recommande et je te confie, Mère, tous ceux qui se préoccupent de promouvoir le progrès temporel pour que ce ne soit pas un progrès partiel mais qu'il crée des conditions qui permettent le plein développement spirituel des individus, des familles, des communautés et des nations. Je te recommande les pauvres, ceux qui souffrent, les malades et les handicapés, les vieillards et les mourants. Je te demande la réconciliation pour ceux qui sont dans le péché, la guérison pour ceux qui souffrent et le courage pour ceux qui ont perdu leur espérance et leur joie. Illumine de la lumière du Christ, ton Fils, ceux, qui se débattent dans le doute.



Les évêques de l'Église aux États-Unis ont choisi ton Immaculée Conception comme le mystère sur lequel repose ton patronage à l'égard du peuple de Dieu dans ce pays. Que l'espérance qui est contenue dans ce mystère remporte la victoire sur le péché et qu'elle soit partagée par tous les fils et par toutes les filles de l'Amérique ainsi que par toute la famille humaine. En même temps, dans la recrudescence de la lutte du bien contre le mal, du prince des ténèbres et père du mensonge contre l'amour évangélique, que la lumière de ton Immaculée Conception illumine tous les hommes dans leur cheminement vers la grâce et le salut. Amen.







AUX RELIGIEUSES



Le Saint-Père s'est alors adressé directement aux religieuses.



Chères Soeurs,



Que soient avec vous la grâce, l'amour et la paix de Dieu notre Père et de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ !



Je suis heureux de saisir cette occasion de vous parler aujourd'hui. J'en suis heureux à cause de mon estime pour la vie religieuse et à cause de ma gratitude à l'égard des religieuses pour leur inappréciable contribution à la mission ; et à la vie même de l'Église.



Je suis particulièrement content que nous soyons réunis ici dans le sanctuaire national de l'Immaculée Conception, car la Vierge Marie est le modèle de l'Église, la Mère des fidèles et de parfait modèle de la vie consacrée.



1. Le jour de notre baptême nous avons reçu le plus grand don que Dieu puisse accorder à un homme ou à une femme. Aucun autre honneur, aucune autre distinction ne peut égaler cette valeur. Car nous avons été libérés du péché et incorporés au Christ Jésus, à son Corps, l'Église. Ce jour-là et chaque jour qui à suivi, nous avons été choisis « pour vivre dans l’amour en sa présence » (Ep 1,4).



Au cours des années qui ont suivi notre baptême nous avons grandi dans une conscience également admirable du mystère du Christ. En écoutant l'enseignement des béatitudes, en méditant sur la croix, en conversant avec le Christ dans la prière et en le recevant dans l'Eucharistie, nous avons progressé jusqu'au jour, ce moment précis de notre vie, ou nous avons ratifié en pleine connaissance de cause et en toute liberté la consécration de notre baptême. Nous avons affirmé notre détermination de vivre toujours en union avec le Christ et d'être, selon les dons que nous avons reçus du Saint-Esprit, un membre généreux et plein d'amour du peuple de Dieu.



2. Votre consécration religieuse se construit sur le fondement commun que tous les chrétiens partagent dans le Corps du Christ. Dans le désir de perfectionner et d'intensifier ce que Dieu avait commencé dans votre vie par le baptême, et parce que vous avez compris que Dieu vous offrait vraiment le don des conseils évangéliques, vous avez voulu suivre le Christ de plus près pour conformer plus complètement votre vie à celle de Jésus-Christ, dans et à travers l'appartenance à une communauté religieuse distincte. Ceci est l'essence de la consécration religieuse : professer à l'intérieur et pour le bénéfice de l'Église, la pauvreté, la chasteté et l'obéissance en réponse à une invitation spéciale de Dieu, pour louer et servir Dieu dans une plus grande liberté de coeur (cf. 1Co 7,34-35) et pour conformer davantage votre vie au Christ dans un style de vie choisi par lui et par sa Mère bénie (cf. Perfectae Caritatis, PC 1 Lumen Gentium, LG 46).



3. La consécration religieuse non seulement approfondit votre engagement personnel à l'égard du Christ, mais:elle renforce vos liens avec son Épouse, l'Église. La consécration religieuse est une manière particulière de vivre dans l'Église, une manière spéciale d'accomplir une vie de foi et de service qui commence au baptême.



Pour sa part, l'Église vous assiste dans votre discernement de la volonté. Puisqu'elle a accepté et authentifié les charismes de vos différents Instituts, elle unit votre profession religieuse à la célébration du mystère pascal du Christ.



Vous êtes appelées par Jésus lui-même à vérifier et à manifester dans vos vies et dans vos activités votre profonde relation à l'Église. Ces liens d'union avec l'Église doivent aussi se manifester dans l'esprit et dans les tâches apostoliques de chaque institut religieux. Car la fidélité au Christ, en particulier dans la vie religieuse ne peut jamais être séparée de la fidélité à l'Église. Cette dimension ecclésiale de la vocation à une consécration religieuse présente de nombreuses et importantes conséquences pratiques pour les instituts eux-mêmes et pour chaque membre individuel. Elle implique par exemple, un plus grand témoignage public à l'Évangile, puisque vous représentez d'une façon spéciale, comme femmes et religieuses, la relation d'épouse de l'Église à l'égard du Christ. Cette dimension ecclésiale demande également de la part des membres individuels aussi bien que de la part des instituts dans leur ensemble, une fidélité aux charismes originaux que Dieu a donnés à son Église, par l'intermédiaire de vos fondateurs et fondatrices. Ceci veut dire que les instituts sont appelés à continuer à nourrir, dans une fidélité dynamique, les engagements qui étaient incorporés et liés au charisme de leurs origines, qui ont été authentifiés par l'Église et qui répondent encore à d'importants besoins du peuple de Dieu. Un bon exemple à ce propos est le système scolaire catholique qui a été d'une valeur inappréciable pour l'Église aux Etats-Unis. Il a en effet été un excellent moyen non seulement de communiquer l'Évangile du Christ aux étudiants, mais également de pénétrer l'entière communauté de la vérité et de l'amour du Christ. C'est l'un des engagements apostoliques auxquels les religieuses ont apporté et apportent une incomparable contribution.



4. Chères soeurs dans le Christ : Jésus doit toujours être le premier dans votre vie. Sa personne doit être le centre de vos activités — de vos activités de chaque jour. Aucune autre personne et aucune autre activité ne peut prendre le pas sur lui. Car votre Vie entière lui a été consacrée. Avec saint Paul vous devez dire : « Tout ce que je désire est de connaître le Christ et la puissance de sa résurrection et de partager ses souffrances en lui devenant conforme dans la mort » (Ph 3,10).



Le Christ reste le premier dans votre vie seulement s'il occupe la première place dans votre esprit et dans votre coeur. C'est ainsi que vous devez continuellement vous unir à lui dans la prière. Sans la prière, votre vie religieuse n'a pas de sens. Elle a perdu le contact avec sa source, elle se vide de sa substance et elle ne peut plus atteindre son but. Sans la prière il ne peut y avoir ni joie, ni espérance, ni paix. La prière en effet est ce qui nous maintient en contact avec le Christ. Les paroles incisives qui sont écrites dans Evangelica Testificatio nous font réfléchir n'oubliez pas le témoignage de l'histoire : la fidélité à la prière ou son abandon sont le test de la vitalité ou de la décadence de la vie religieuse » (Evangelica Testificatio, 42).



5. Deux forces dynamiques opèrent dans la vie religieuse : votre amour pour Jésus —  et en Jésus, pour tous ceux qui lui appartiennent — et son amour pour vous.



Nous ne pouvons pas vivre sans amour. Si nous ne trouvons pas l’amour, si nous n'en faisons pas l'expérience et si nous ne nous t'approprions pas, et si nous ne participons pas intimement à l'amour, notre vie n'a pas de sens. Sans amour nous restons incompréhensibles pour nous-mêmes (cf. Redemptor hominis, RH 10).



Ainsi chacune de vous a besoin d'une vibrante relations d'amour avec le Seigneur, d'une profonde union d'amour avec le Christ, d'un amour comme celui qui s'exprime dans le psaume : « Mon Dieu, c'est toi que je Cherche, oui, mon âme a soif de toi. Tout mon être soupire après toi, comme une terre aride, assoiffée d'eau. Je voudrais te voir dans ton sanctuaire, contempler ta puissance et ta gloire » (Ps 63,1-2). Et, bien plus important que votre amour pour le Christ, il y a l'amour du Christ pour vous. Vous avez été appelées par lui, vous, êtes devenues membres de son Corps, vous avez été; consacrées dans une vie selon les conseils évangéliques et vous avez été destinées par lui à partager la mission que le Christ a confiée à son Église : sa propre mission de salut. Pour cette raison, le centre de votre vie est dans l'Eucharistie. Dans l'Eucharistie vous célébrez sa mort et sa résurrection et vous recevez de lui le pain de la vie éternelle. Et c'est spécialement dans l'Eucharistie que vous êtes unies à celui qui est l'objet de votre amour. C'est là, avec lui — avec le Christ — que vous trouvez une plus grande compréhension pour le peuple de Dieu. Et c'est là que vous trouvez la force de persévérer dans votre engagement de service désintéressé.



6. Votre service dans l'Eglise est alors un prolongement du Christ à qui vous avez consacré votre vie. Car ce n'est pas vous-mêmes que vous mettez en avant mais1e Christ Jésus comme Seigneur. Comme Jean Baptiste, vous savez que pour que le Christ croisse, il faut que vous diminuiez. Et ainsi votre vie doit être caractérisée par une totale disponibilité : vous devez être prêtes à servir selon les besoins de l'Église, vous devez être prêtes à donner un témoignage public au Christ que vous aimez.



Ce besoin d'un témoignage public devient un appel constant à une conversion intérieure, à la justice et à la sainteté de vie de la part de chaque religieuse. C'est aussi une invitation pour chaque institut à refléter la pureté de son témoignage incorporé à l'Église. Et c'est pour cette raison que dans mon discours adressé en novembre dernier à l'Union internationale des supérieures générales, j'ai indiqué qu'il n'est pas sans importance que votre consécration à Dieu soit manifestée par le signe extérieur permanent d'un habit religieux simple et convenable. Ceci n'est pas seulement ma conviction personnelle mais aussi le désir de l'Église, souvent exprimée par de nombreux fidèles.



Comme filles de l'Église — titre chéri par nombre de vos grands saints — vous êtes appelées à une adhésion généreuse et aimante à l'authentique magistère de l'Église qui est une garantie solide de la fécondité de votre apostolat et une condition indispensable pour une interprétation adéquate des « signes des temps ».



7. La vie contemplative occupe aujourd'hui et pour toujours une placé très estimée dans l'Église. La prière de contemplation se trouve dans la vie de Jésus lui-même, et a fait partie de la vie religieuse de tous les temps. Je saisis donc cette occasion — comme je l'ai fait à Rome, au Mexique et en Pologne — pour encourager de nouveau toutes celles qui sont membres de communautés contemplatives. Sachez que vous devez toujours remplir une place importante dans l'Église, dans sa mission de salut, dans son service de toute la communauté du peuple de Dieu. Persévérez fidèlement, avec confiance et dans la prière, dans la riche tradition qui vous à été transmise. En conclusion, je vous rappelle, avec des sentiments d'admiration et d'amour, que le but de la vie religieuse est de rendre gloire et honneur à la Très Sainte Trinité, et par le moyen de votre consécration, d'aider l'humanité à entrer dans la plénitude de vie dans le Père, et dans le Fils et dans l'Esprit-Saint. Dans tous vos projets et dans toutes vos activités, efforcez-vous aussi de conserver ce but devant vous. Il n'y a pas de plus grand service que vous puissiez rendre ; il n'y a pas de plus grand accomplissement que vous puissiez recevoir. Chères soeurs, aujourd'hui et pour toujours : loué soit Jésus-Christ !






7 octobre 1979



AUX THEOLOGIENS ET EDUCATEURS



A l'intérieur de l’Université, Jean Paul II a rencontré théologiens et éducateurs. Voici la traduction de son discours.



Chers frères et soeurs dans le Christ,



1. Notre rencontre d'aujourd'hui me fait grand plaisir et je vous remercie sincèrement de votre cordial accueil. Mon association personnelle avec le monde universitaire, et plus particulièrement avec la Faculté pontificale de théologie de Cracovie fait que notre réunion m'est d'autant plus agréable. Je ne puis m'empêcher de me sentir chez moi auprès de vous. J'apprécie les paroles sincères par lesquelles le chancelier et le président de l'Université catholique d'Amérique m'ont confirmé, en votre nom à tous, votre fidèle adhésion au Christ et votre généreux engagement au service de la vérité et de la charité dans vos associations catholiques et dans vos institutions d'enseignement supérieur.

Il y a quatre-vingt-dix ans, le cardinal Gibbons et les évêques américains avaient demandé la fondation de l'Université catholique d'Amérique, en tant que « université destinée à pourvoir l'Église de dignes ministres en vue du salut des âmes et de la propagation de la religion et à donner à la république de dignes citoyens ». Il me parait opportun, en cette occasion, de m'adresser non seulement à cette grande institution, si irrévocablement liée aux évêques des États-Unis qui l'ont fondée et qui l'a soutiennent généreusement, mais également à toutes les universités catholiques, aux collèges et aux académies d'enseignement supérieur dans votre pays, ceux qui ont des liens formels et parfois juridiques avec le Saint-Siège aussi bien que tous ceux qui sont « catholiques ».



2. Avant cela, cependant, permettez-moi de mentionner en premier les facultés ecclésiastiques, dont trois sont établies ici à l'Université catholique d'Amérique. Je salue ces facultés et tous ceux qui leur consacrent leurs meilleurs talents. J'offre mes prières pour le développement prospère et pour la fidélité sans faille ainsi que pour le succès de ces facultés. Dans la constitution apostolique Sapientia Christiana, j'ai traité directement de ces institutions de manière à leur donner une direction et à assurer qu'elles remplissent bien leur rôle en allant au-devant des besoins de la communauté chrétienne dans le contexte actuel de changements rapides.



Je voudrais également adresser des paroles de félicitation et d'admiration aux hommes et aux femmes, en particulier aux prêtres et aux religieux, qui se consacrent à toutes, les formes du ministère universitaire. Leurs sacrifices et leurs efforts pour, apporter le véritable message du Christ dans le monde universitaire, qu'il soit séculier ou catholique, ne saurait passer inaperçu.



L'Église apprécie hautement le travail et le témoignage de ceux de ses fils et filles que leur vocation a placés dans des universités non catholiques de votre pays. Je suis sûr que leur espérance chrétienne et leur patrimoine catholique apportent une dimension enrichissante et irremplaçable au monde de l'enseignement supérieur.



J'adresse aussi un mot spécial de gratitude et d'estime aux parents et aux étudiants qui, parfois au prix de grands sacrifices personnels et financiers, s'orientent vers les universités et collèges catholiques pour y chercher une formation qui unisse la foi et la science, la culture et les valeurs évangéliques.



A tous ceux qui sont engagés dans l'administration, l'enseignement ou les études dans des collèges ou universités catholiques, je voudrais appliquer ces mots de Daniel : « Les savants resplendiront comme là splendeur du firmament et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre, comme, les étoiles pour toute l'éternité » (Dn 12, 3). Le sacrifice et la générosité ont accompli des réalisations héroïques dans la fondation et le développement de ces institutions. Malgré un effort financier énorme, les problèmes de recrutement, et d'autres obstacles, la providence de Dieu et l'engagement de tout le peuple de Dieu nous ont permis de voir ces institutions catholiques florissantes et en progrès.

3. Je voudrais répéter ici devant vous ce que j'ai dit aux professeurs et aux étudiants des universités catholiques du Mexique quand je leur ai indiqué un triple but à poursuivre. Un collège ou une université catholique doit apporter une contribution spécifique à l'Église par la haute qualité de sa recherche scientifique, par une étude approfondie des problèmes, un juste sens de l'histoire, ainsi que le souci de montrer la pleine signification de la personne humaine régénérée dans le Christ, en favorisant ainsi le complet développement de la personne. De plus, une université ou un collège catholique doit former des jeunes hommes et femmes ayant un savoir de haut niveau qui, parce qu'ils ont fait leur synthèse personnelle entre leur foi et leur culture, pourront être en même temps capables et volontaires pour assumer des tâches au service de la communauté et de la société en général, et pour porter témoignage de leur foi devant le monde. Et finalement, pour être ce qu'ils doivent être, un collège ou une université catholiques doivent créer dans la faculté et chez les étudiants une réelle communauté qui donne le témoignage d'une chrétienté vivante et active, une communauté au sein de laquelle un authentique engagement dans la recherche scientifique et les études aillent de pair avec le profond engagement d'une authentique vie chrétienne.



C'est cela votre identité, c'est cela votre vocation. Toute université ou tout collège est caractérisé par une manière d'être spécifique. Votre qualification est d'être catholiques, d'affirmer Dieu, sa révélation et l'Église catholique comme la gardienne et l'interprète de cette révélation. Le terme « catholique » ne sera jamais un simple label, que l'on ajoute ou que l'on supprime selon les pressions des facteurs qui varient.



4. Comme quelqu'un qui a été pendant de longues années professeur d'université, je ne me lasserai jamais d'insister sur le rôle éminent de l'université, rôle qui est l'enseignement mais aussi de devenir un lieu de recherche scientifique. Dans ces deux domaines, son activité est étroitement liée aux plus profondes et aux plus nobles aspirations de la personne humaine : le désir d'en arriver à la connaissance de la vérité. Aucune université ne peut mériter l'estime justifiée du monde de l'enseignement si elle n'applique pas les plus hautes normes de la recherche scientifique, en remettant constamment à jour ses méthodes et ses instruments de travail, et à condition d'exceller en. sérieux et par conséquent en liberté d'investigation. La vérité et la science ne sont pas des conquêtes gratuites mais le résultat d'une soumission à l'objectivité et d'une exploration de tous les aspects que présentent la nature et l'homme. Quand c'est l'homme lui-même qui devient objet d'investigation, aucune méthode ne peut manquer de prendre en considération, au-delà d'une approche purement naturelle, la pleine nature de l'homme. Parce qu'il est lié par la vérité totale sur l'homme, le chrétien rejettera, dans sa recherche et dans son enseignement, tonte vision partielle de la réalité humaine, mais par contre il se laissera illuminer par sa foi en la création de Dieu et en la rédemption du Christ.



Cette relation à la vérité explique, par conséquent, le lien historique qui existe entre l'université et l'Église. Puisqu'elle trouve elle-même son origine et sa croissance dans les paroles du Christ qui sont la vérité libératrice (cf. Jn Jn 8,32), l'Église a toujours essayé de maintenir des institutions qui sont au service et qui ne peuvent qu'être au service de la connaissance de la vérité. L'Église peut ajuste titre se vanter d'être d'une certaine manière la mère des universités. Les noms de Bologne, de Padoue, de Prague et de Paris brillent dans l'histoire la plus ancienne de l'effort intellectuel et du progrès humain. La continuité de la tradition historique dans ce domaine est parvenue jusqu'à nos jours.



5. Une consécration, non minimisée, à l'honnêteté intellectuelle et à l’excellente académique sont vues, dans une université catholique, dans la perspective de la mission d'évangélisation et de service de l'Église. C'est pour cette raison que l'Église demandé à ces institutions, vos institutions, de déclarer sans équivoque leur nature catholique. C'est ce que j'ai désiré souligner dans ma constitution apostolique Sapientia Christiana où je déclare : « Vraiment, la mission de l'Église de répandre l'Évangile n'exige pas seulement que la bonne nouvelle soit prêchée toujours plus largement et à un nombre toujours croissant d'hommes et de femmes, mais que la véritable puissance de l'Évangile puisse pénétrer à travers les modèles, les manières de juger et les normes de conduite ; en un mot, il est nécessaire que l'ensemble de la culture humaine soit imprégnée de l'Évangile. L'atmosphère culturelle dans laquelle vit un être humain a une grande influence sur sa manière de penser et: donc d'agir. Par conséquent, une séparation entre la foi et la Culture est un grave obstacle à l'évangélisation, tandis qu'une culture pénétrée d'esprit chrétien est un instrument qui favorise le déploiement de la bonne nouvelle » (Sapientia Christiana, 1). Les visées de l'éducation supérieure catholique vont au-delà de l'éducation en vue de la production, de la compétence professionnelle, technologique et scientifique ; elles s'orientent vers la destinée finale de la personne humaine, vers une plénitude de justice et vers une sainteté qui naît de la vérité (cf. Ep Ep 4,24).



6. Si donc vos universités et vos collèges s'engagent institutionnellement en faveur du message chrétien et si elles font partie de la communauté catholique d'évangélisation, il s'ensuit qu'elles ont une relation essentielle avec la hiérarchie de l'Église. Et ici je voudrais spécialement dire un mot de gratitude, d'encouragement et d'orientation aux théologiens. L'Église a besoin de ses théologiens, en particulier aujourd'hui en un temps si intimement marqué par de profonds changements dans tous les domaines de la vie et de la société. Les évêques de l'Église à qui le Seigneur a confié la garde de l'unité de la foi et l'annonce de son message — les évêques individuellement pour leurs diocèses et les évêques en collégialité avec le successeur de Pierre pour l'Église universelle —  nous avons tous besoin de votre travail, de votre dévouement et des fruits de votre réflexion. Nous désirons vous entendre et nous sommes avides de recevoir l'aide compétente de votre science d'hommes responsables.



Mais une véritable science théologique et du même coup, un enseignement théologique ne peuvent exister ni être féconds sans chercher leur inspiration et leur source dans la parole de Dieu qui est contenue dans l'Écriture sainte et dans la tradition de l'Église, selon l'interprétation qu'en donne le magistère authentique à travers l'histoire (cf. Dei Verbum, DV 10). La véritable liberté académique doit être considérée dans son rapport avec la finalité de la visée académique qui contemple la vérité totale de la personne humaine. La contribution du théologien ne sera un enrichissement pour l'Église que si, elle tient compte de la fonction propre des évêques et des droits des fidèles. Il revient aux évêques de l'Église de sauvegarder l'authenticité chrétienne de l'unité de la foi et de l'enseignement moral, selon l'injonction de l'apôtre Paul : « Proclame la parole, insiste à temps et. à contretemps, réfute, menace, exhorte avec une patience inlassable et le souci d'instruire... » (2Tm 4,2). C'est le droit des fidèles de ne pas être troublés par des théories et des hypothèses qu'ils ne sont pas compétents pour juger ou qui sont facilement simplifiées ou manipulées par l'opinion publique,, pour des fins qui sont étrangères à la vérité. Le jour de sa mort, Jean Paul Ier a déclaré : « Parmi les droits des fidèles, l'un des plus grands est le droit de recevoir la parole de Dieu dans son intégrité et dans sa pureté... » (28 septembre 1978). Il convient que le théologien soit libre mais d'une liberté qui est ouverture à la vérité et à la lumière qui vient de la foi et de la fidélité à l'Église.



En conclusion, je vous exprime encore ma joie de me trouver avec vous aujourd'hui. Je reste très proche de votre travail et de vos soucis. Que le Saint-Esprit vous guide. Que l'intercession de Marie siège de la sagesse, vous soutienne toujours dans votre service irremplaçable à l'égard de l'humanité et de l'Église. Que Dieu vous bénisse.






7 octobre 1979



PRIERE OECUMENIQUE



En ce dimanche 7 octobre, Jean Paul II a rencontré dans la chapelle Notre-Dame de Trinity Collège, plus de cinq cents représentants des diverses Églises chrétiennes. Répondant au cardinal Baum, archevêque de Washington, le pape a prononcé les paroles dont voici la traduction.



Bien-aimés dans le Christ,



1. Je suis reconnaissant à la providence de Dieu qui, au cours de ma visite aux États-Unis d'Amérique, me permet de rencontrer les responsables d'autres religions et me donné la possibilité de me joindre à Vous dans une prière pour l'unité des chrétiens.



Il est certainement à propos que notre rencontre se produise justement peu de temps avant la célébration du quinzième anniversaire du décret du concile Vatican II sur l'oecuménisme, Unitatis Redintegratio. Depuis le début de mon pontificat, il y a presque un an, je me suis efforcé de me consacrer au service de l'unité des chrétiens. Car, comme je l'ai déclaré dans ma première encyclique, il est certain que « dans la présente situation historique de la chrétienté et du monde, il n'apparaît pas d'autre possibilité d'accomplir la mission universelle dé l'Église en ce qui concerne les problèmes oecuméniques que celle de chercher loyalement avec persévérance, humilité et aussi courage, les voies du rapprochement et de l'union » (Redemptor hominis, RH 6). Précédemment, j'avais dit que le problème de la division à l'intérieur du christianisme « pèse d'une façon spéciale sur l'évêque de l'ancienne Église de Rome, fondée sur la prédication et les témoignages du martyre de saint Pierre et saint Paul (audience gén. du 17 janvier 1979). Et aujourd'hui je désire renouveler la même conviction devant vous.



2. Avec une grande satisfaction et une grande joie, je saisis cette occasion de vous embrasser, dans la charité du Christ, comme de bien-aimés frères chrétiens et comme des disciples du Seigneur Jésus. C'est un privilège de pouvoir, en votre présence et avec vous, exprimer le témoignage de Jean quand il dit que « Jésus-Christ est le Fils de Dieu » (Jn 4,15) et proclamer qu' « il n'y a qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus-Christ » (1Tm 2,5).



Dans l'union de cette confession de foi en la divinité de Jésus-Christ, nous ressentons un grand amour réciproque et une grande espérance pour toute l'humanité. Nous expérimentons une immense gratitude envers le Père qui a envoyé son Fils pour être notre Sauveur, « expiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier » (1Jn 2,2). Par la grâce de Dieu, nous sommes unis dans l'estime et dans l'amour de l'Écriture sainte que nous reconnaissons comme la parole inspirée de Dieu. Et c'est précisément dans cette parole de Dieu que nous apprenons combien il désire que nous soyons pleinement un en lui et en son Père. Jésus prie pour que ses disciples soient un « pour que le monde croie... » (Jn 17,21). Le fait que la crédibilité de l’évangélisation puisse dépendre, dans le plan de Dieu, de l'unité de ses disciples est pour nous tous le sujet d'une méditation inépuisable.



3. Je désire rendre ici hommage aux nombreuses et admirables initiatives oecuméniques qui ont été réalisées dans ce pays par l'action du Saint-Esprit Au cours des quinze dernières années, il y a eu une réponse positive des évêques des États-Unis en faveur de l'oecuménisme. Par l'intermédiaire de leur comité pour l'oecuménisme et pour les questions interconfessionnelles, il ont établi des relations fraternelles avec d'autres Églises et d'autres communautés ecclésiales — relations qui, je le demande dans ma prière, continueront à s'approfondir dans les années à venir. Les conversations progressent avec nos frères de l'Est, les orthodoxes. Ici je voudrais faire remarquer que les relations ont été fortement établies aux États-Unis et que bientôt un dialogue théologique sera inauguré sur la base mondiale dans une, tentative pour résoudre les difficultés qui empêchent une unité complète. Il y a également des dialogues en Amérique avec les anglicans, les luthériens, les Églises réformées, les méthodistes et les disciples du Christ — dialogues qui ont tous leur contrepartie à un niveau international. Un échange fraternel existe également entre les baptistes du sud et les théologiens américains.



Ma gratitude va à tous ceux qui collaborent à des recherches théologiques en commun, dont le but est toujours la pleine dimension évangélique et chrétienne de la vérité. Il faut espérer que par le moyen de ces recherches des personnes bien préparées par un solide enracinement dans leur propre tradition puissent contribuer à l'approfondissement d'une pleine connaissance historique et doctrinale des questions en jeu.



Le climat particulier et les traditions des États-Unis ont conduit à des témoignages communs pour la défense des droits de là personne humaine, dans la poursuite de buts de justice sociale et de paix et dans des questions de moralité publique. Ces catégories de préoccupations doivent continuer à bénéficier d'une action oecuménique créative de même que le soutien de la sacralité du mariage et l'encouragement d'une saine vie de famille en tant que contribution majeure au bien-être de la nation: Dans ce contexte, il faut reconnaître la profonde division qui existe encore en matière de morale et d'éthique. La vie morale et la vie de foi sont si profondément unies qu'il est impossible de les séparer.



4. Beaucoup a été fait mais il reste encore beaucoup à faire. Nous devons aller de l'avant, cependant, dans un esprit d'espérance. Le désir même d'une complète unité dans la foi — qui manque encore entre nous et qui doit être réalisée avant que nous puissions célébrer l'Eucharistie avec amour et dans la vérité — est lui-même un don de l'Esprit-Saint pour lequel nous offrons une humble louange à Dieu. Nous avons confiance que par l'intermédiaire de notre prière commune le Seigneur Jésus nous conduira, à un moment qui dépend de l'action souveraine de son Esprit-Saint, à la plénitude de: l'unité de l'Eglise.



La fidélité à l'Esprit-Saint nous appelle à la conversion intérieure et à une prière fervente. Selon les paroles du concile Vatican II : « Cette conversion du coeur et cette sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l'unité des chrétiens, doivent être regardées comme l'âme de tout l'oecuménisme... » (Unitatis Redintegratio, UR 8). Il est important que chaque chrétien cherche à voir dans son coeur ce qui peut faire obstacle à la réalisation d'une pleine union entre les chrétiens. Et prions tous pour que le besoin naturel de patience pour attendre l'heure de Dieu n'occasionne jamais une complaisance dans le status quo de là division dans la foi. Que par la grâce de Dieu la nécessité de la patience ne se substitue jamais à une réponse définitive et généreuse que Dieu nous demande de donner à son invitation de parfaire l'unité dans le Christ.





Et ainsi puisque nous sommes rassemblés ici pour célébrer l'amour de Dieu qui est versé dans nos coeurs par le Saint-Esprit, prenons conscience de l'appel qui nous est adressé de montrer une fidélité suprême à la volonté du Christ ; demandons ensemble avec persévérance à l’Esprit-Saint d'écarter toute division dans notre foi, de nous donner cette unité parfaite dans la vérité et dans l'amour pour laquelle le Christ a prié, pour laquelle le Christ est mort : « pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52).



J'adresse un respectueux salut de grâce et de paix à ceux que vous représentez, à chacune de vos congrégations respectives, à tous ceux qui désirent ardemment la venue de « notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ » (Tt 2,13).






7 octobre 1979



AUX JOURNALISTES



Comme le pape en a pris maintenant l'habitude, il n'a pas manqué de s'entretenir avant son départ des États-Unis avec les membres des moyens de communications sociales qui l'ont suivi pendant son voyage. Voici la traduction de son discours.



Chers amis des moyens de communication,



Nous voici ensemble au terme d'un autre voyage : un voyage qui cette fois m'a porté en Irlande, aux Nations unies et aux États-Unis d'Amérique. Le but de ce voyage a été de permettre au pape d'exercer sa fonction de héraut de la paix, au nom du Christ qui fut appelé le Prince de la Paix. Ce message de paix a été annoncé d'une façon spéciale en ces lieux et devant ces assemblées où le problème de la guerre et de la paix est perçu avec une particulière sensibilité et où existent les conditions de compréhension et de bonne volonté ainsi que les moyens nécessaires à la construction de la paix et à la collaboration entre toutes les nations et tous les peuples.



La parole « paix » est une synthèse. Elle est constituée de nombreux éléments. J'ai fait mention d'un grand nombre de ceux-ci au cours de ce voyage et vous avez parlé diligemment de ces réflexions. Vous les avez commentées ; vous les avez interprétées ; vous avez rendu le service de stimuler les hommes à penser aux moyens de pouvoir contribuer à un plus solide fondement en faveur de la paix, la collaboration et la justice entre les hommes.



Nous nous trouvons maintenant au moment du départ, dans la capitale d'un des pays les plus puissants du monde. La puissance de ce pays, à mon avis, provient non seulement de la richesse matérielle, mais d'une richesse spirituelle.



En effet, le nom de cette ville et du monument élevé qui la domine, rappelle l'esprit de George Washington, le premier président de la nation. Avec Thomas Jefferson (à la mémoire duquel est consacré ici un autre monument imposant) et d'autres hommes illustres, il fonda ce pays sur une base non seulement humaine mais aussi profondément religieuse.



En conséquence, l'Église catholique a pu creuser des racines profondes dans ce pays. Les millions de fidèles qui appartiennent à l'Église en sont le témoignage car ils pratiquent en pleine liberté les droits et les devoirs qui dérivent de leur foi. En témoigne aussi le grand sanctuaire national de l'Immaculée-Conception. Et dans cette capitale l'existence de deux universités catholiques, Goergetown et la Catholic University of America.



J'ai, en outre, remarqué que les citoyens des États-Unis d'Amérique jurent avec orgueil et reconnaissance fidélité à leur république comme « une nation soumise à Dieu ».



Cette nation est formée d'hommes de toutes les races, de toutes les religions, de toutes les conditions sociales. Elle est une espèce de microcosme des communautés mondiales et reflète de manière adéquate la devise E pluribus unum. Daigne ce pays, qui, sous la présidence d'Abraham Lincoln, abolit, avec tant de courage la plaie de l'esclavage, ne jamais se fatiguer dans la recherche du vrai bien de tous ses citoyens et dans cette unité exprimée par sa devise nationale. Pour cette raison, les États-Unis d'Amérique font réfléchir les hommes sur un esprit qui, bien appliqué, peut apporter des résultats bénéfiques en faveur de la paix dans la communauté mondiale.



J'espère sincèrement que vous ayez tous profité de ce voyage et qu'il vous a été accordé la possibilité de réfléchir à nouveau sur les valeurs que la civilisation de ce nouveau continent a reçues du christianisme. Mais est surtout motif d'espérance dans une communauté mondiale pacifique, l'exemple de personnes de toutes les races, de toutes les nationalités et de toutes les religions, qui vivent ensemble dans la paix et dans l'unité.



Tandis que nous sommes sur le point de partir, chers amis, je suis réconforté par le fait que vous allez continuer à informer et à former l'opinion publique mondiale avec une conscience profonde de votre responsabilité et sachant bien que tant de personnes comptent sur vous.



Pour terminer, je vous salue, vous et l'Amérique. Je vous remercie encore, et de tout coeur je demande à Dieu de vous bénir ainsi que vos familles.






7 octobre 1979



AUX CHEVALIERS DE COLOMB



Après avoir parlé aux journalistes, le pape s'est entretenu avec les chevaliers de Colomb qui ont suivi le pape dans son voyage et assuré le service d'accueil.



Chers chevaliers de Colomb,



J'éprouve un grand plaisir à me trouver parmi vous à l'occasion de ma visite aux États-Unis. Je vous remercie très sincèrement pour le respect et l'amour que vous m'avez manifestés comme successeur de Pierre, évêque de Rome et pasteur de l'Église universelle.



En la personne du Chevalier suprême et des membres de l'équipe suprême, je salue tous les chevaliers de Colomb : ils sont plus d'un million trois cent mille laïcs dans le monde entier qui répandent un esprit d'attachement à leur foi chrétienne et de loyauté à l'égard du Saint-Siège.



A plusieurs reprises dans le passé et aujourd'hui encore vous avez manifesté votre solidarité avec la mission du pape. Je vois dans votre aide une nouvelle preuve — si tant est qu'une nouvelle preuve soit jamais nécessaire — de votre conscience et de la haute valeur que les chevaliers de Colomb attribuent à leur vocation de participation à l'effort d'évangélisation de l'Église. Je suis heureux de rappeler ici ce que mon vénéré prédécesseur Paul VI disait de cette tâche dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi en soulignant le rôle spécifique du laïcat : « Leur domaine propre d'évangélisation est le monde vaste et compliqué de la politique, de la société et de l'économie, mais aussi le monde de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass média. Il comprend aussi d'autres réalités qui sont ouvertes à l'évangélisation comme l'amour humain, la famille, l'éducation des enfants, le travail professionnel et la souffrance » (n. 70).



Ces mots de quelqu'un qui n'a jamais cessé de vous encourager indiquent clairement la route que votre association doit poursuivre. Je suis attentif aux efforts nombreux que vous faites pour promouvoir l'usage des mass média, pour la diffusion de l'Évangile et pour une plus large diffusion de mes messages personnels. Que le Seigneur vous récompense et que par vos efforts il fasse naître des fruits abondants d'évangélisation dans l'Église. Que votre activité de dévouement vous aide à son tour à réaliser en vous-mêmes ces attitudes intérieures sans lesquelles personne ne peut évangéliser en vérité : faites confiance à la puissance de l'Esprit-Saint, croyez en une véritable sainteté de vie, un grand souci de vérité et un amour toujours croissant pour les enfants de Dieu.



Que la bénédiction de Dieu soit sur vous, sur vos familles et sur tous les chevaliers de Colomb.






7 octobre 1979



HOMELIE AU CAPITOL MALL



Peu avant son départ, dimanche, le pape a présidé la concélébration eucharistique au Capital Mall. Il y a prononce l'importante homélie dont nous donnons ici la traduction.



Chers frères et soeurs en Jésus-Christ,



1. Un jour qu'il s'entretenait avec ses auditeurs, Jésus eut à déjouer le piège que lui tendaient des pharisiens désireux de le voir approuver leurs opinions sur la nature du mariage. Jésus leur répondit en réaffirmant l'enseignement des Écritures : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme : à cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère et les deux ne feront plus qu'un. Ils ne seront plus deux mais une seule chair. Ce que Dieu a uni que l'homme ne le sépare donc pas » (Mc 10,6-9).



L'évangile selon saint Marc enchaîne immédiatement par la description d'une scène qui nous est familière à tous. Cette scène nous montre l'indignation dé Jésus voyant ses propres disciples essayer d'empêcher les gens de lui amener leurs enfants. Et il leur dit : « Laissez les petits enfants venir à moi et ne les en empêchez pas. C'est à ceux qui leur ressemblent qu'appartient le Royaume de Dieu... Puis il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains. » (Mc 10,14-16). Dans ses lectures, la liturgie de ce jour nous invite tous à réfléchir sur la nature du mariage, sur la famille et sur la valeur de la vie, trois thèmes si intimement liés.



2. Je suis très heureux de guider votre réflexion sur la Parole de Dieu proposée par l'Église aujourd'hui, car partout dans le monde, les évêques réfléchissent au sujet du mariage et de la vie de famille tels qu'ils se vivent dans tous les diocèses et dans tous les pays. Les évêques préparent ainsi le prochain synode mondial des évêques qui a pour thème : « les fonctions de la famille chrétienne dans le monde d'aujourd'hui ». Vos propres évêques ont décidé de faire de la prochaine année, one année d'étude, de planification et de renouveau de la pastorale en ce qui concerne la famille. Pour des motifs variés, un renouveau d'intérêt se manifeste partout dans le monde à l'égard du mariage, de la vie de famille et de la valeur de la vie humaine.



Ce dimanche-ci marque le début du programme annuel pour le respect de la vie, par lequel l'Église aux États-Unis entend réitérer sa conviction sur l’inviolabilité de la vie humaine dans toutes ses étapes. Ravivons donc ensemble notre estime pour la valeur de cette vie, en nous rappelant que, dans le Christ, toute vie humaine est rachetée.



(...) 3. Je n'hésite pas à proclamer en votre présence et à la face du monde, que toute vie humaine — dès le moment de sa conception et à toutes les phases qui la suivent — est sacrée, puisque la vie humaine est créée à l'image et à la ressemblance de Dieu. Rien ne surpasse la grandeur ou la dignité de la personne humaine. La vie humaine n'est pas seulement une abstraction, elle est la réalité concrète d'un être qui vit, agit, croît et s'épanouit. La vie humaine est la réalité concrète d'un être capable d'aimer et de servir le monde.



Laissez-moi vous répéter ce que je disais aux hommes et aux femmes lors de mon récent pèlerinage dans ma patrie : « Si le droit d'une personne à la vie est violé au moment de sa conception dans le sein de sa mère, c'est un coup porté indirectement à tout l'ordre moral, cet ordre qui constitue la garantie des biens inviolables de l'homme. Parmi ces biens, la vie occupe la première place. L'Église défend le droit à la vie, non seulement à cause de la majesté du Créateur, premier auteur de cette vie, mais aussi par respect d'un bien essentiel à la personne humaine » (8 juin 1979).



4. La vie humaine est précieuse parce qu'elle est le cadeau d'un Dieu dont l'amour est infini ; et quand Dieu donne la vie, c'est pour toujours. La vie est encore précieuse parce qu'elle est l'expression et le fruit de l'amour. C'est pour cela que la vie doit surgir dans le contexte du mariage, pour cela aussi que le mariage et l'amour mutuel des parents doivent avoir comme caractéristique la générosité et le don de soi. Le grand écueil des foyers, au milieu d'un monde dont les idoles sont le plaisir, le confort et l'indépendance, c'est la fermeture des coeurs engendrant l'égoïsme. La peur de s'engager peut transformer l'amour mutuel d'un homme et d'une femme en un égoïsme à deux, deux amours de soi qui se côtoient jusqu'à ce qu'ils aboutissent à une séparation.



Un homme et une femme, qui par leur baptême sont devenus membres du Christ et par le fait même doivent reproduire dans leur vie les attitudes du Christ, sont assurés, dans le sacrement du mariage, des secours nécessaires pour développer leur amour et en faire une union fidèle et indissoluble, pour accueillir généreusement le don qui fera d'eux des parents généreux et compétents. Comme l'a redit le Concile Vatican II : « Par ce sacrement, le Christ lui-même devient présent dans la vie des époux et les accompagne pour qu'ils s'aiment entre eux, comme le Christ a aimé son Église et s'est donné pour elle » (Gaudium et Spes, GS 48 Ep 5,25).



5. Pour que le mariage chrétien puisse favoriser le bien et l'épanouissement total des époux, il doit s'inspirer de l'Évangile et dès lors, s'ouvrir à une vie nouvelle à donner et à accepter généreusement Le couple est aussi appelé à créer une atmosphère familiale dans laquelle les enfants puissent être heureux et mener une vie humaine et chrétienne en toute plénitude et dignité.



Le maintien d'une famille heureuse requiert beaucoup des parents comme des enfants. Chaque membre de la famille doit devenir, en un certain sens, le serviteur de l'autre et partager son fardeau (Ga 6,2 Ph 2,2). Chacun doit se préoccuper, non seulement de sa propre vie, mais aussi de celle des autres membres de la famille : de leurs besoins, de leurs espoirs, de leurs aspirations. Les décisions à prendre à l'égard du nombre des enfants et des sacrifices à faire pour eux, ne se prendront pas en seule considération d'un bien-être à accroître et d'une tranquillité à conserver. En y réfléchissant devant Dieu, avec les grâces du sacrement et guidés par les enseignements de l'Église, les parents se rappelleront qu'il est moins grave de priver leurs enfants de certains plaisirs ou avantages matériels que de la présence au foyer de frères et soeurs aptes à les aider à croître en humanité et à saisir la beauté de la vie à tous ses âges et dans sa diversité.



Si les parents se rendaient pleinement compte des ouvertures et des possibilités que leur offre ce grand sacrement ils ne manqueraient pas de se joindre au cantique de Marie à l'auteur de la vie, à Dieu, qui a fait d'eux des collaborateurs de choix.



6. Tout être humain doit considérer chaque personne comme une créature unique de Dieu, appelée à être frère ou soeur du Christ en vertu de l'Incarnation et de la Rédemption universelle. Pour nous, le caractère sacré de la vie s'appuie sur ces prémices qui fondent notre célébration de la vie humaine. C'est ce qui explique nos efforts pour la défendre contre toute influence ou action susceptibles de la menacer ou de l'affaiblir, comme pour la rendre plus humaine dans tous ses aspects.



Ainsi nous dresserons-nous chaque fois que la vie humaine sera menacée. Lorsque le caractère sacré de la vie dès avant la naissance est attaqué, nous nous dresserons et nous proclamerons que nul n'a autorité pour détruire une vie qui n'est pas née. Lorsqu'un enfant est présenté comme un fardeau ou n'est considéré que comme un moyen de satisfaire un besoin émotionnel, nous nous dresserons et nous affirmerons que chaque enfant est un don de Dieu, unique et original, qui a droit à être accueilli dans une famille aimante et unie. Lorsque l'institution du mariage est laissée à l'égoïsme des hommes ou réduite à un arrangement temporaire et conditionnel auquel on peut mettre fin sans difficulté, nous nous dresserons et nous réaffirmerons le lien indissoluble du mariage. Lorsque la valeur de la famille est menacée par des pressions sociales et économiques, nous nous dresserons et nous réaffirmerons que la famille « est nécessaire, non seulement pour le bien particulier de chacun mais aussi pour le bien commun de chaque société, nation et État » (Audience générale, 3 janvier 1979). Lorsque la liberté est utilisée pour opprimer le faible, pour gaspiller les ressources naturelles et l'énergie pour refuser au peuple les nécessités fondamentales, nous nous dresserons et nous réaffirmerons les exigences de la justice et de la charité sociale. Lorsque les malades, les vieillards et les mourants seront abandonnés à leur solitude, nous nous dresserons et nous proclamerons qu'il s ont droit à l'amour, à la sollicitude et au respect. (...)



7. Je fais miennes les paroles que Paul VI adressait l'an dernier aux évêques américains : « Nous sommes persuadé, de plus en plus, que tout effort accompli, pour la sauvegarde des droits humains profite à la vie elle-même. Tout ce qui contribue à bannir la discrimination — dans la loi ou dans les faits — qu'elle soit basée sur la race, l'origine, la couleur, la culture, le sexe ou la religion (cf. Octogesima Adveniens, 16) est un service à la vie. Lorsque les droits des minorités sont protégés, que mentalement ou physiquement, les handicapés sont assistés, que les marginaux trouvent une voix, en tous ces cas la dignité de la vie et son sens sacré sont en progrès... En particulier, chaque contribution visant à améliorer le climat moral de la société, à combattre la permissivité et l'hédonisme, comme toute assistance à la famille, source de nouvelle vie, rehausse effectivement la valeur de la vie » (26-5-1978).



8. Il reste encore beaucoup à faire pour soutenir ceux dont la vie est blessée et pour redonner l'espoir à ceux qui ont peur de la vie. Il faut du courage pour résister aux pressions et aux faux slogans, pour proclamer la suprême dignité de la vie et pour exiger que la société elle-même lui accorde protection. Un Américain distingué, Thomas Jefferson, déclarait un jour : « Le soin de la vie humaine, le bonheur et non la destruction, voilà le juste et unique objet légitime d'un bon gouvernement» (31-3-1809). C'est pourquoi je souhaite rendre hommage à tous les membres de l'Église catholique et des autres Églises chrétiennes, à tous les hommes et à toutes les femmes héritiers du judéo-christianisme, aussi bien qu'à tous les hommes de bonne volonté qui unissent leur commun dévouement pour défendre la vie dans sa plénitude et pour promouvoir les Droits de l'homme.



Notre célébration de la vie s'insère dans la célébration de l'Eucharistie. Notre Dieu et Sauveur, par sa mort et sa résurrection, s'est fait pour nous « pain de vie » et gage de vie éternelle. En lui, nous trouvons le courage, la persévérance et la créativité dont nous avons besoin pour promouvoir et défendre la vie au sein de nos familles et dans le monde.



Chers frères et soeurs, nous avons confiance que Marie, Mère de Dieu et Mère de la vie, nous assistera afin que nos comportements soient toujours le reflet de notre admiration et de notre gratitude pour ce don de l'amour de Dieu qu'est la vie. Nous savons qu'elle nous aidera à employer chaque jour qui nous est donné, comme autant d'occasions de défendre la vie de ceux qui ne sont pas encore nés, et de rendre plus humaine la vie de nos frères les hommes, où qu'ils soient.



Par l'intercession de Notre Dame du Rosaire dont nous célébrons aujourd'hui la fête, puissions-nous arriver un jour à la plénitude de la vie éternelle en Jésus-Christ Nôtre-Seigneur. Amen.






7 octobre 1979



DEPART



Avant de quitter l'Amérique, le pape a prononcé quelques paroles de salut au peuple américain.



Chers amis d'Amérique et frères et soeurs dans la foi en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,



En quittant la ville capitale de Washington, je voudrais exprimer ma gratitude au président des États-Unis et à toutes les autorités civiles et religieuses de ce pays.



Ma pensée se dirige également vers tous les Américains : tous les catholiques, les protestants et les juifs, tous les hommes et les femmes de bonne volonté, la population de chaque ethnie et en particulier les descendants des premiers habitants de ce pays, les Américains indiens et tous ceux d'entre vous que j'ai salués personnellement ; ceux qui ont été proches de moi grâce à la médiation providentielle de la presse, de la radio et de la télévision ; ceux qui m'ont ouvert leur coeur de tant de façons. Votre hospitalité a été chaude et pleine d'amour et je vous suis reconnaissant de votre amabilité.



Je crois fermement dans le message d'espérance que je vous ai apporté, dans la justice et dans l'amour et dans la vérité que j'ai exaltés ainsi que dans la paix que j'ai demandé à Dieu de vous accorder à tous.



Et maintenant je dois quitter les Etats-Unis et retourner à Rome. Mais je me souviendrai constamment de vous tous dans mes prières que je considère comme la meilleure expression de ma loyauté et de mon amitié.



Aussi, aujourd'hui, ma dernière prière est-elle celle-ci : que Dieu bénisse l'Amérique pour qu'elle puisse devenir toujours davantage — et être « Une seule nation, soumise à Dieu en vérité — et rester longtemps—indivisible. Avec la liberté et la justice pour tous. »



Que Dieu bénisse l'Amérique !

Que Dieu bénisse l'Amérique!






8 octobre 1979



ROME : A L'ARRIVEE





Dès son arrivée à Fiumicino l'aéroport de Rome, le lundi matin 8 octobre, le pape a prononcé un discours en italien dont voici la traduction.



Au moment où, après les inoubliables émotions de plus d'une semaine de célébrations liturgiques, de rencontres et d'entretiens, je remets les pieds sur le sol de la chère Italie, un sentiment de profonde gratitude, joyeuse et émue, s'élève de mon esprit vers le Seigneur, qui dans sa bonté providentielle m'a accordé encore une fois de pouvoir m'entretenir personnellement avec tant de frères et de fils, avec des personnes aussi représentatives et autorisées, avec des hommes de bonne volonté.



Les brèves journées de mon séjour en Irlande m'ont permis de connaître de près cette nation : j'ai pu admirer ses antiques traditions de foi, le témoignage de son attachement au Siège apostolique et apprécier ses précieuses valeurs morales. Je suis heureux d'avoir accepté l'invitation des évêques irlandais à célébrer avec tous, les fidèles le premier centenaire de l'apparition mariale de Knock. J'ai ainsi pu rendre un tribut de gratitude filiale à Marie qui dans tous les pays offre des signes évidents et tangibles de son patronage maternel, de son aide pleine d'amour : nous l'avons surtout invoquée pour la paix et la réconciliation dans cette île bien-aimée.



Puis ma rencontre avec l'Assemblée générale des Nations unies ; où sont représentés et pour ainsi dire réunis les peuples du monde, s'insère dans une continuité d'idées avec la visite accomplie il y a quatorze ans dans le cadre et sous le signe d'une persévérante mission de paix par mon inoubliable prédécesseur Paul VI. J'ai voulu moi aussi, en acceptant avec plaisir l'invitation du secrétaire générai de cette Organisation, assurer les nattons de la proximité de l'Église à l'égard des artisans de paix, de sa volonté d'inspirer et de soutenir leurs efforts dans le seul désir de rendre un service à l'humanité. L'Église, en effet, veut une paix qui résulte d'une vraie conception de l'homme, du respect de ses droits et de l'accomplissement de ses devoirs, finalement fondés sur la justice ; elle ne cessera jamais d'inviter à penser aux destinées futures de la coexistence humaine et du monde, selon une mentalité toujours renouvelée et convertie.



Enfin, répondant au désir du président des États-Unis et de très dignes membres de l'épiscopat, j'ai passé quelques jours sur le territoire de ce grand pays à qui revient certainement une tâche éminente et une grave responsabilité — précisément en raison du haut niveau de bien être et de progrès technique et social qu'il a atteint — en vue de la construction d'un monde juste et digne de l'homme. Il s'agissait avant tout d'un contact ecclésial avec les fidèles, avec les pasteurs, pour rafraîchir les esprits et accroître en eux le courage de penser et de vivre « selon Dieu et non selon les hommes » (Mc 8,35).



L'accueil dévoué et exubérant des fidèles et du peuple tout entier des États-Unis a laissé dans mon coeur le désir d'un contact toujours plus direct et familier avec ces très chers fils.



Au terme de ces brèves réflexions, j'exprime surtout à M. le président du Conseil ma vive gratitude pour les paroles élevées et ferventes par lesquelles il a tenu à m'exprimer la bienvenue en territoire italien. Avec un profond respect j'adresse également de justes remerciements aux éminents cardinaux, aux personnalités de l'État et du gouvernement italien, aux membres distingués du Corps diplomatique avec à leur tête leur respectable doyen, aux personnalités de la Curie romaine et à tous ceux enfin qui ont bien voulu me réserver cet accueil de fête qui rend plus agréable l'heure de mon retour en leur aimable compagnie.



Je ressens aussi l'agréable devoir de manifester ma satisfaction reconnaissante aux dirigeants des sociétés aériennes, aux pilotes et aux équipages des avions, ainsi qu'à tous ceux qui ont coopéré, avec un dévouement généreux, à la pleine réussite de mon voyage.



Une fois encore je présente au Christ Seigneur, Prince de la Paix, les aspirations et les projets de coexistence paisible, de collaboration fraternelle et de solidarité humaine et chrétienne des peuples de la terre, et j'invoque avec ma bénédiction apostolique les effusions de la grâce et de la miséricorde de Dieu sur vous tous qui êtes ici présents, sur mes très chers fils de Rome et sur l'humanité tout entière.







VOYAGE EN TURQUIE


Novembre 1979







28 novembre 1979



AU DEPART DE ROME





Je remercie de tout coeur les vénérés cardinaux, les évêques, le doyen du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le ministre Aldo Sarti, et les autres autorités officielles italiennes ainsi que tous ceux qui ont bien voulu me porter leur salut et leurs voeux au début de mon bref voyage en Orient.



Comme je l'ai déjà indiqué en donnant la première annonce de mon nouveau pèlerinage, accompli sur les traces de mon prédécesseur Paul VI qui est allé en Turquie en juillet 1967, je me rends en ce pays afin de poursuivre, d'un élan nouveau, les efforts tendus vers l'unité de tous les chrétiens, qui était un des buts primordiaux du concile Vatican II ; pour montrer également l'importance que l'Église catholique attache aux relations avec les véritables Églises orthodoxes à la veille d'un prochain dialogue oecuménique ; et enfin pour exprimer ma sincère affection et ma profonde charité à l'égard de toutes ces Églises et de leurs patriarches, en particulier à l'égard du patriarche oecuménique.



C'est pourquoi, après avoir adressé mes respectueuses salutations aux autorités de la république de Turquie à Ankara, je me rendrai à Istanbul pour rencontrer Sa Sainteté le patriarche oecuménique Dimitrios I° et prendre part aux célébrations solennelles en l'honneur de saint André. Puis j'irai à Éphèse, la ville où en 431 se tint le III° concile oecuménique qui proclama la Vierge Marie « Theotokos », c'est-à-dire « Mère de Dieu » et je ferai une visite à Izmir.



Veuille le Seigneur Dieu, par l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie, m'accompagner de sa grâce sur cette voie de grande espérance qui représente une autre étape vers la pleine et parfaite unité de tous les chrétiens.



Pour ces hautes finalités religieuses et oecuméniques, je demande à tous les fils de l'Église des prières intenses et une sereine disponibilité à, la voix de l'Esprit.



Avec ma bénédiction apostolique.






29 novembre 1979



A LA COMMUNAUTE CATHOLIQUE D'ANKARA



La première rencontre de la journée du 29 novembre a eu lieu au début de la matinée dans la chapelle Saint-Paul de l'ambassade d'Italie à Ankara. Le pape a présidé une cérémonie de prière avec la communauté catholique de la capitale turque. Cinq cents personnes, toutes d'origine européenne, ont accueilli avec chaleur le Saint-Père qui s'est adressé à elles en ces termes :



Chers frères et fils, Chers amis,



1. C'est une immense joie pour moi, successeur de saint Pierre dans le Collège apostolique et sur le siège de Rome, de m'adresser aujourd'hui à vous avec les paroles mêmes que saint Pierre adressait il y a dix-neuf siècles aux chrétiens qui formaient alors, comme aujourd'hui, une minorité sur cette terre, « dispersés et étrangers dans les régions du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce... : A vous grâce et paix en abondance » (1P 1,1-2).



Comme Pierre, je voudrais d'abord rendre grâce pour l'espérance vivante qui est en vous et qui vient du Christ ressuscité ; je voudrais exhorter chacun d'entre vous à être reconnaissant à Dieu et ferme dans la foi, tels « des enfants obéissants », maintenant vos âmes pures dans l'obéissance à la vérité, dans une fraternité sincère avec une bonne conduite au milieu des nations... afin que, voyant vos bonnes oeuvres, les hommes glorifient Dieu (cf. ibid. 1, 3. 14, 22 ; 2, 12).



L'Apôtre prenait même soin de mentionner la loyauté envers les autorités civiles. « Agissez, disait-il, en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu » (l P 2, 16).



Oui, je voudrais vous inviter à considérer comme particulièrement vôtre cette lettre écrite à ceux qui vous ont précédés sur cette terre, à la relire attentivement, à en méditer chaque affirmation. J'attire à présent votre attention sur une de ses exhortations : « Soyez toujours prêts à répondre à quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous. Mais que ce soit avec douceur et respect, en possession d'une bonne conscience » (Ibid. 3, 15-16).



2. Ces paroles sont la règle d'or pour les rapports et les contacts que le chrétien doit avoir avec ses concitoyens qui ont une foi différente. Aujourd'hui, pour vous, chrétiens résidant ici en Turquie, votre sort est de vivre dans le cadre d'un État moderne — qui prévoit pour tous la libre expression de leur foi sans s'identifier avec aucune — et avec des personnes qui, dans leur grande majorité, tout en ne partageant pas la foi chrétienne, se déclarent obéissants envers Dieu, « soumis a Dieu », et même « serviteurs de Dieu », selon leurs propres paroles, qui rejoignent celle de saint Pierre déjà citées (cf. ibid. 2, 16) ; ils ont donc, comme vous, la foi d'Abraham dans le Dieu unique tout-puissant et miséricordieux. Vous savez que le concile Vatican II s'est prononcé ouvertement sur ce sujet, et moi-même, j'ai rappelé dans ma première encyclique Redemptor hominis que « le Concile… a exprimé son estime pour les croyants de l'Islam dont la foi se réfère aussi à Abraham » (n. 11).



Permettez-moi de rappeler ici devant vous ces paroles de la déclaration conciliaire Nostra aetate : « L'Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent ("avec nous" lit-on dans un autre texte du Concile, constitution Lumen gentium, LG 16) le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu même s'ils sont cachés, comme s'est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu'ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même ils l'invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscites. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l'aumône et le jeûne » (Déclaration Nostra aetate, NAE 3).



C'est donc en pensant à vos concitoyens, mais aussi au vaste monde islamique, que j'exprime à nouveau, aujourd'hui, l'estime de l'Église catholique pour ces valeurs religieuses.



3. Mes frères, quand je pense à ce patrimoine spirituel et à la valeur qu'il a pour l'homme et pour la société, à sa capacité d'offrir, surtout aux jeunes, une orientation de vie, de combler le vide laissé par le matérialisme, de donner un fondement sûr à l'organisation sociale et juridique, je me demande s'il n'est pas urgent, précisément aujourd'hui où chrétiens et musulmans sont entrés dans une nouvelle période de l'histoire, de reconnaître et de développer les liens spirituels qui nous unissent, afin de « protéger et de promouvoir ensemble, pour tous les hommes — comme nous y invite le Concile — la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté » (Déclaration Nostra aetate, ibid.).



La foi en Dieu, que professent les descendants spirituels d'Abraham, chrétiens, musulmans et juifs, quand elle est vécue sincèrement, qu'elle pénètre la vie, est un fondement assuré de la dignité, de la fraternité et de la liberté des hommes et un principe de rectitude pour la conduite morale et la vie en société. Et il y a plus : par suite de cette foi au Dieu créateur et transcendant, l'homme se trouve au sommet de la création. Il a été créé, enseigne la Bible, « à l'image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1,27) ; pour le Coran, livre sacré des musulmans, bien que l'homme soit fait de poussière, « Dieu lui a insufflé son esprit et l'a doté de l'ouïe, de la vue et du coeur », c'est-à-dire d'intelligence (Sourate 32, 8).



L'univers, pour le musulman, est destiné à être soumis à l'homme en tant que représentant de Dieu ; la Bible affirme que Dieu a ordonné à l'homme de soumettre la terre, mais aussi de la « cultiver et de la garder » (Gn 2,15). En tant que créature de Dieu, l'homme a des droits qui ne peuvent être violés, mais il est également tenu à la loi du bien et du mal qui se fonde sur l'ordre établi par Dieu. Grâce à cette loi, l'homme ne se soumettra jamais à aucune idole. Le chrétien s'en tient au commandement solennel : « Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi » (Ex 20,30). De son côté, le musulman dira toujours: « Dieu est le plus grand ».



Je voudrais profiter de cette rencontre et de l'occasion que m'offrent les paroles écrites par saint Pierre à vos prédécesseurs pour vous inviter à considérer chaque jour les racines profondes de la foi en Dieu dans lequel croient aussi vos concitoyens musulmans, pour en tirer le principe d'une collaboration en vue du progrès de l'homme, de l'émulation dans le bien, de l'extension de la paix et de la fraternité dans la libre profession de la foi propre à chacun.



4. Cette attitude, chers frères et soeurs, va de pair avec la fidélité déjà si méritoire de vos communautés chrétiennes ici représentées. Cette fidélité hérite d'un grand passé. Nous avons déjà parlé de la lettre de saint Pierre ; on pourrait s'étendre sur la dilection de saint Paul, de saint Jean pour les Églises d'Asie mineure. Un auteur profane du début du second siècle, Pline le Jeune, décrivait la vie des disciples du Christ avec étonnement, dans un témoignage qui reste précieux aux yeux de l'histoire. Mais comment oublier la période florissante qui a suivi, et particulièrement le temps des Pères de l'Église ? Et puisque saint Pierre parle de la Cappadoce, ma pensée va spontanément à saint Basile le Grand (329-379), l'une des gloires les plus remarquables de l'Église de cette région, d'autant plus que survient cette année le seizième centenaire de sa mort : je suis heureux de vous annoncer qu'un document pontifical, illustrant la figure de ce très grand Docteur, viendra couronner ce mémorable anniversaire.



5, Aujourd'hui, même si vos communautés sont modestes, elles sont riches de la présence de diverses traditions et elles sont constituées par des personnes provenant de nombreuses parties du monde. Cela vous donne l'occasion dé vous exprimer réciproquement votre foi et votre espérance et de donner ici un important témoignage d'unité et de fraternité.



Ayez toujours le courage et la fierté de votre foi. Approfondissez-la. Approchez-vous sans cesse du Christ, la pierre angulaire, comme des pierres vivantes, sûrs de remporter la fin de votre foi, le salut de vos âmes. Dès maintenant le Seigneur Jésus fait de vous les membres de son corps ; Fils de Dieu, il vous fait participer à sa nature divine, il vous donne part à son Esprit. Puisez avec joie à la source jaillissante qu'est son Eucharistie. Qu'il vous comble de sa charité ! Ayez aussi le sentiment d'être en communion avec l'Église universelle que le pape représente devant vous, dans son humble personne. Votre témoignage est d'autant plus précieux qu'il est restreint en nombre, mais non dans sa qualité.



Pour moi, je tenais à vous dire ma profonde affection et ma confiance. Restons très unis par le lien de la prière. Je recommande au Christ Jésus et à sa très sainte Mère tous les besoins humains et spirituels de vos communautés, de chacune de vos familles. J'ai une pensée spéciale pour vos enfants, vos malades, ceux qui sont éprouvés. Qu'ils soient réconfortés par l'amour de Dieu et l'entraide de leurs frères ! De tout coeur, je vous bénis, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.






29 novembre 1979



A ISTANBUL : LE SALUT AU PATRIARCHE DIMlTRIOS Ier



C'est aux environs de midi que le pape venant d'Ankara est arrivé à Istanbul le 29 novembre. Il a été reçu à l'aéroport par les autorités turques et les personnalités locales. Sa Sainteté Dimitrios Ier était venu recevoir le pape. Celui-ci, après avoir visité le musée Topkapi et Sainte-Sophie, s'est rendu au Phanar, siège du patriarcat oecuménique. Jean Paul II a salué en ces termes Sa Sainteté Dimitrios Ier :



Sainteté,



Que le Seigneur soit béni, lui qui nous accorde la grâce et la joie de cette rencontre ici, à vôtre, siège patriarcal !

C'est avec une profonde affection et une estime fraternelle que je vous salue, Sainteté, ainsi que le Saint Synode qui vous entoure, et, à travers votre personne, je salue toutes les Églises que vous représentez.



Je ne peux cacher ma joie de me trouver sur cette terre de traditions chrétiennes très anciennes et dans cette ville riche d'histoire, de civilisation et d'art qui la font figurer parmi les plus belles du monde. Aujourd'hui comme hier. Pour des chrétiens du monde entier habitués à lire et à méditer les écrits du Nouveau Testament, ces lieu sont familiers, et de même les noms des premières communautés chrétiennes de nombreuses cités qui se trouvent aujourd'hui sur le territoire de la Turquie moderne.



Le Christ « est notre paix », écrit saint Paul aux premiers chrétiens d'Éphèse (Ep 2,14), et il ajoute : « Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ — c'est par grâce que vous êtes sauvés ! — avec lui il nous a ressuscites... » (Ep 2,4-6).



Cette proclamation de la foi dans l'économie divine pour le salut des hommes résonne sur cette terre, se répercute et se renouvelle de génération en génération. Et elle est destinée à s'étendre jusqu'aux extrémités de la terre.



Les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne, de la Trinité et du Verbe de Dieu incarné et né de la Vierge Marie, ont été définis par les conciles oecuméniques qui se sont tenus dans cette ville ou dans les villes voisines (cf. décret Unitatis redintegratio, UR 14). La formulation même de notre profession de foi, du credo, a eu lieu dans ces premiers conciles célébrés en même temps par l'Orient et par l'Occident. Nicée, Constantinople, Ephèse, Chalcédoine, sont des noms connus de tous les chrétiens. Ils sont particulièrement familiers à ceux qui prient, qui étudient et qui travaillent sous des formes diverses pour la pleine unité entre nos deux Églises soeurs.



Non seulement nous avons eu en commun ces conciles décisifs qui sont comme des points d'orgue dans la vie de l'Église, mais pendant un millénaire, ces deux Églises soeurs ont su croître ensemble et articuler leurs grandes traditions vitales.



La visite que j'accomplis aujourd'hui voudrait avoir le sens d'une rencontre dans la foi apostolique commune, pour marcher ensemble vers cette pleine unité que de tristes circonstances historiques ont blessée surtout au cours du deuxième millénaire. Comment ne pas exprimer notre ferme espérance en Dieu pour que se lève bientôt une ère nouvelle ?



Pour tout cela, je suis heureux, Sainteté, de me trouver ici pour exprimer la profonde considération, la fraternelle solidarité de l'Église catholique pour les Églises orthodoxes d'Orient.



Dès maintenant, je vous remercie de la chaleur de votre accueil.






29 novembre 1979



AU PATRIARCHE ARMENIEN



Après sa rencontre au Phanar avec Sa Sainteté Dimitrios Ier, le Saint-Père s'est rendu au siège du patriarcat arménien à Kumkapi, pour y saluer le patriarche Chnork Kalustian. Le Saint-Père s'est adressé en anglais à son hôte. Voici la traduction de ce discours.



Cher frère dans le Christ,



C'est avec une sainte émotion que je viens de franchir le parvis de cet édifice qui représente pour moi votre vénérable ancienne Église apostolique arménienne.



Je répète ces mots « sainte émotion » puisque votre Église avec son histoire, passée et présente, m'a toujours semblé être la grande et mystérieuse union des richesses spirituelles et culturelles de l'Est et de l'Ouest dans le sens le plus large de ces termes.



Et maintenant me voici. Je suis venu vous saluer, Frère dans le Christ Jésus le Seigneur. Je suis venu pour saluer en votre personne la Hiérarchie et plus spécialement Sa Sainteté Vasken I Suprême Patriarche et Catholicos de tous les Arméniens. Je suis venu pour saluer tous mes frères et soeurs de votre Église.



La visite que je vous fais aujourd'hui sera un témoignage de l'unité qui existe déjà entre nous, et un témoignage de ma ferme décision de poursuivre avec la grâce de Dieu l'objectif d'atteindre la pleine communion entre vos Églises. Et à cette occasion deux raisons m'encouragent à faire cette déclaration.



La première est une raison très fondamentale que l'on peut souvent oublier lorsqu'on tente d'une façon superficielle de découvrir pourquoi l'évêque de Rome lie si naturellement son engagement envers le souci pastoral de l'Église catholique avec sa responsabilité de l'unité de tous les chrétiens. C'est la parole même de Nôtre-Seigneur et Sauveur qui a prié pour ses disciples : « Qu'ils soient tous un comme toi mon Père tu es en moi et moi en toi » (Jn 17,21). Jésus-Christ désire tant la totale unité et la communion entre tous les chrétiens. Aussi longtemps que nous sommes divisés entre nous, nous n'accomplissons pas cet élément essentiel de notre vocation. C'est pourquoi nous n'avons pas à chercher ailleurs pour trouver la raison de notre démarche vers une communion parfaite entre nos Églises.



La seconde raison est celle-ci : nous sommes encouragés dans la quête pour la restauration de l'unité chrétienne totale. En mai 1970, à l'occasion de la visite de Sa Sainteté Vasken I, venant de la sainte cité d'Echmiadzin, à mon prédécesseur Paul VI, le Pape et le Catholicos ont exprimé dans une déclaration commune que « l'unité ne peut se réaliser tant que chacun, pasteur et fidèles, ne s'efforce pas de parvenir à une meilleure connaissance réciproque ». C'est pourquoi ils pressent les théologiens de s'appliquer eux-mêmes à une étude commune visant à parvenir à une connaissance plus profonde du mystère de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ...



Ce n'étaient pas là des mots vides. Ils ont suscité une réponse empressée de la part des pasteurs et des fidèles et de la part des théologiens des deux Églises qui essaient sérieusement de les mettre en pratique. Des discussions théologiques sont en route. Des études communes ont été faites. Il y a eu des échanges d'étudiants. Il nous est devenu plus fréquent de partager les joies et les peines de chacune de nos communautés et de travailler ensemble, pour que la parole de Dieu puisse être toujours mieux connue et aimée, pour que « la parole de Dieu se hâte et triomphe » (2Th 3,1).



Un peu plus tard dans la journée nous nous rencontrerons pour prier ensemble. Que ce soit une expression de notre désir de voir notre collaboration se développer et grandir avec la bénédiction de Dieu le Père et l'assistance du Saint-Esprit, que le Christ nous promit comme conseiller qui nous enseigne toutes choses et qui nous rappelle tout ce que le Christ nous a dit (cf. Jn Jn 1,26).






29 novembre 1979



A LA COMMUNAUTE ARMENIENNE CATHOLIQUE



Dans le courant de l'après-midi du 29 novembre, le pape a rencontré l'archevêque d'Istanbul des Arméniens, Jean Tholakian. L'entretien a eu lieu à la cathédrale arménienne de Saint-Jean-Chrysostome, à Istanbul. A l'issue de la rencontre, Jean Paul II a prononcé le discours suivants :



Cher frère,

Chers frères et soeurs de l'archidiocèse arménien catholique d'Istanbul,



Dans la joie, je rends grâce à Dieu qui m'a permis de venir à Istanbul et de passer ces quelques instants avec vous. Instants trop courts et pour vous et pour moi.



Je sais votre fidélité dans la foi, votre cohésion autour de votre archevêque, votre effort incessant pour maintenir vivante votre communauté, ses belles traditions, son fiche patrimoine de spiritualité. Et je sais aussi votre attachement méritoire à la personne du pape, votre volonté de demeurer en pleine communion avec le Siège apostolique de Rome.



Cette fidélité et cet attachement s'enracinent dans une longue histoire, qui a produit des fruits chrétiens admirables, durant des siècles, en divers pays d'Orient, mais qui a souvent été marquée de grandes épreuves et même de profondes souffrances. La mémoire de cette émouvante histoire est un motif supplémentaire pour vous rendre aujourd'hui un fervent hommage, vous apporter, ainsi qu'à vos frères, réconfort et encouragement et vous souhaiter l'épanouissement dans la paix.



Pour ma part, j'ai bien connu et apprécié les chrétiens arméniens dans ma propre patrie, en Pologne. Depuis ma jeunesse, j'ai été familiarisé avec d'autres Églises orientales. Dieu veuille que cette expérience providentielle m'aide à travailler à l'estime et à la compréhension réciproques et au resserrement des liens fraternels qui devraient unir toutes les Églises du Christ !



Je vous invite à participer vous aussi à ce grand mouvement de l'unité, en votre qualité d'orientaux et de catholiques. Vous vivez ici en contact direct avec des frères chrétiens orthodoxes ; vous habitez la même ville, vous affrontez les mêmes préoccupations sociales ; vous célébrez la même liturgie. La réalisation de la pleine communion entre tous les chrétiens est pour vous un problème urgent que vous rencontrez dans la vie de chaque jour. Qui plus que vous devrait être apte à interpréter et à appliquer les sages directives du deuxième concile du Vatican en ce domaine ? Vous êtes immédiatement appelés à être des artisans de l'unité. Comme l'affirme le même concile du Vatican : « Aux Églises d'Orient en communion avec le Siège apostolique romain appartient à titre particulier la charge de promouvoir l'unité de tous les chrétiens, notamment des chrétiens orientaux, selon les principes du décret de ce concile sur l'oecuménisme, par la prière d'abord, par l'exemple de leur vie, par une religieuse fidélité aux antiques traditions orientales, par une meilleure connaissance mutuelle, par la collaboration et l'estime fraternelle des choses et des âmes » (décret Orientalium Ecclesiarum, OE 24).

iDe tout coeur, je vous remercie pour votre accueil chaleureux, pour votre disponibilité, pour votre amour, pour votre ouverture au dialogue fraternel, pour votre sensibilité aux signes des temps et à ce que l'Esprit-Saint aujourd'hui demande à l'Église. J'implore sur vous les dons de l'Esprit-Saint et l'assistance maternelle de la Mère de Dieu. Je prie spécialement pour ceux qui, parmi vous ou parmi vos frères, connaissent l'épreuve, la maladie, la vieillesse, la dispersion ; je prie aussi pour les jeunes générations. Que Dieu vous garde forts dans la foi, persévérants dans l'espérance, magnanimes dans la charité ! Ces souhaits, je les forme aussi pour la grande famille arménienne répandue à travers le monde. Et je vous bénis de tout coeur, au nom du, Père, du Fils et du Saint-Esprit.






29 novembre 1979



HOMELIE A LA CATHEDRALE DU SAINT-ESPRIT



C'est au cours de l'après-midi du 29 novembre que le Saint-Père s'est rendu en l'église du Saint-Esprit à Istanbul où il a présidé une solennelle concélébration eucharistique. Sa Sainteté Dimitrios Ier, le patriarche arménien, et de très nombreuses personnalités religieuses des autres Églises et religions y assistaient. Après l'Évangile, le pape a prononcé cette homélie :



Frères très chers dans le Seigneur,



« A vous la paix, la charité et la foi, en Dieu le Père et en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ » (cf. Ep Ep 6,23).



Que ce souhait de l'apôtre Paul aux chrétiens d'Éphèse soit celui que je vous adresse.



Je me tourne d'abord vers le patriarche oecuménique, Sa; Sainteté Dimitrios Ier, et vers le patriarche arménien, Sa Béatitude Shnorhk Kalustian, frères vénérés qui ont voulu s'unir à cette célébration et nous faire ainsi honneur, à nous et à toute notre communauté locale. Je leur exprime ma profonde gratitude.



1. Je vous salue cordialement, frères et fils dé l'Église catholique, évêques, prêtres, religieux, religieuses, fidèles laïcs, appartenant aux diverses communautés catholiques de la ville et aux divers rites, et je salue aussi, à travers vous, tous les catholiques de ce grand pays. Je vous remercie de votre accueil chaleureux et filial, ainsi que pour la joie que vous me donnez. Je voudrais également adresser mes vifs remerciements à tous ceux qui ont rendu possible ce voyage, et d'une manière particulière aux autorités de ce pays qui m'ont accueilli avec tant de courtoisie. Ma rencontre avec vous, frères et soeurs dans le Seigneur, me remplit d'une immense joie. J'apprécie votre présence active dans cette splendide cité historique, riche de tant de témoignages chrétiens admirables. Et comment oublier que les points essentiels de notre foi ont trouvé leur formulation dogmatique dans tes conciles oecuméniques tenus dans cette ville, ou dans les villes voisines, et qui en portent désormais le nom : Nicée, Constantinople, Éphèse, Chalcédoine ? Comment ne pas évoquer avec émotion les Pères de l'Église d'Orient, Pasteurs et Docteurs, qui sont nés dans cette région ou y ont exercé un apostolat hors pair, en nous laissant des écrits lumineux qui sont aujourd'hui une nourriture et une référence pour toute l'Église, en Occident comme en Orient ? Je pense notamment à saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople, dont je courage, la clarté, la profondeur, l'éloquence en ont fait le modèle du pasteur et du prédicateur. Je pense à toute cette vie contemplative qui a fleuri ici au cours des siècles, à l'école des maîtres spirituels, je pense à la fidélité de la foi à travers bien des épreuves. Chers frères et soeurs, aujourd'hui, vous héritez en quelque sorte de ce trésor et de ces exemples/qui doivent fructifier dans vos âmes. Je suis heureux de vous voir professer cette foi avec conviction, avec persévérance, en esprit de sacrifice. En divers domaines et de diverses manières, vous rendez un service apprécié à l'Église et à ce pays. Que vous agissiez directement dans le domaine ecclésial ou que vous vous adonniez à des activités culturelles plus générales, ou à l'éducation de la jeunesse, ou aux oeuvres de charité, vous voulez exprimer votre foi en servant toujours l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn l, 26-27), et en contribuant à construire l'Église de Dieu, édifiée sur le fondement des apôtres et sur la pierre angulaire qu'est le Christ (cf. Ep Ep 2,20).



2. Frères et soeurs, j'ai désiré célébrer avec vous cette sainte liturgie particulièrement en cette heureuse circonstance de la fête de l'apôtre saint André. André fut le premier appelé à suivre Jésus. « Venez et voyez », avait dit le Seigneur (Jn 1,39). Et André se mit en marche, il le suivit et il demeura « auprès de lui ce jour-là » ; il le suivit durant toute sa vie ; il le vit opérer des miracles, guérir les malades, pardonner les péchés, rendre la vue aux aveugles, ressusciter les morts ; il connut sa douloureuse passion et sa mort, et il le vit ressuscité. Et il continua à croire en lui, jusqu'au témoignage final du martyre.



La célébration de la fête d'un saint nous rappelle notre propre vocation à la sainteté. Saint Pierre, le frère d'André, nous le rappelle d'aune manière stimulante dans sa lettre écrite précisément aux chrétiens d'Asie mineure : « Montrez-vous saints vous aussi dans toute votre conduite, de même que celui qui vous a appelés est saint » (1P 1,15).



La vocation chrétienne est sublime et exigeante, et elle serait irréalisable pour nous si l'Esprit de Dieu ne nous donnait pas la lumière pour comprendre et la force nécessaire pour agir. Mais le Christ nous a aussi assurés de son assistance : « Voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20).



Oui, la vocation chrétienne est une vocation à la perfection, pour édifier le Corps du Christ « jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'homme parfait, à la mesure de la taille de la plénitude du Christ : (Ep 4,13). Fermes dans la foi, puissions-nous croître de toutes manières en pratiquant la vérité dans la charité » (Ep 4,15).



3. Élargissons maintenant notre méditation au mystère de l'Église. Saint André, le premier appelé, Patron de l'Église de Constantinople, est le frère de saint Pierre, le coryphée des apôtres, fondateur avec saint Paul de l’Église de Rome et son premier évêque. D'un côté, ce fait nous rappelle un drame du christianisme, la division entre l’Orient et l'Occident, mais il nous rappelle aussi la réalité profonde de la communion qui existe, nonobstant toutes les divergences entre les deux Églises.



Comme il nous faut remercier le Seigneur d'avoir fait surgir, au cours des dernières décennies, des pionniers éclairés et des artisans infatigables de l'unité, tels que le patriarche Athénagoras, de vénérée mémoire, et mes grands prédécesseurs, le pape Jean XXIII — dont cette cité et cette Église conservent avec honneur le souvenir — et le pape Paul VI qui est venu vous rencontrer avant moi ! Leur action a été féconde pour la vie de l'Église et pour la recherche de la pleine unité entre nos Églises qui s'appuient sur l'unique pierre angulaire qu'est le Christ et sont édifiées-sur le fondement des apôtres.



Les contacts toujours plus intenses de ces dernières années ont fait redécouvrir la fraternité entre nos deux Églises et la réalité d'une communion entre elles, même si elle n'est pas parfaite. L'Esprit de Dieu nous a aussi montré de manière toujours plus claire l'exigence qui s'impose de réaliser la pleine unité afin de rendre un témoignage plus efficace pour notre temps.



Ma visite au patriarche oecuménique et mon pèlerinage à Éphèse, où Marie a été proclamée theotokos. Mère de Dieu, ont pour but de servir — dans la mesure où je le puis et pour autant que le Seigneur le permettra — à cette sainte cause. Je remercie la Providence d'avoir guidé mes pas jusqu'en ces lieux.



Nous sommes à la veille de l'ouverture du dialogue théologique entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe dans son ensemble. Il s'agit d'une autre phase importante du processus vers l'unité. Ce dialogue sera appelé, en partant de ce que nous avons en commun, à identifier, affronter et résoudre toutes les difficultés qui nous interdisent encore la pleine unité. Demain, je participerai à la célébration de la fête de saint André dans l'église du patriarcat oecuménique. Nous ne pourrons pas concélébrer. C'est là le signe le plus douloureux du malheur introduit dans l'unique Église du Christ par la division. Mais, grâce à Dieu, nous célébrons désormais ensemble, depuis quelques années, la fête des protecteurs de nos Églises, comme gage et volonté effective de la pleine concélébration ; à Rome, nous célébrons la fête des saints Pierre et Paul en présence d'une délégation orthodoxe, et on célèbre au patriarcat oecuménique la fête de saint André avec une présence catholique.



La communion dans la prière nous conduira à la pleine communion dans l'Eucharistie. J'ose espérer que ce jour est proche. Personnellement, je le souhaiterais très proche. N'avons-nous pas déjà en commun la même foi eucharistique et les véritables sacrements en vertu de la succession apostolique ? Souhaitons que la communion totale dans la foi, notamment dans le domaine ecclésiologique, permettra bientôt cette pleine communicatio in sacris. Déjà mon vénéré prédécesseur, le pape Paul VI, avait désiré voir ce jour, tout comme le patriarche Athénagoras Ier ; ainsi s'exprimait-il en parlant de ce dernier aussitôt après sa mort : « Toujours il résumait ses sentiments en une seule et suprême espérance : celle de pouvoir avec nous "boire au même calice", c'est-à-dire célébrer ensemble le sacrifice eucharistique, synthèse et couronnement de la commune identification ecclésiale avec le Christ. Cela, nous l'avons nous aussi tant désiré ! Maintenant ce désir irréalisé doit demeurer notre héritage et notre engagement » (Angélus du 9 juillet 1972). Pour ma part, en reprenant cet héritage, je partage ardemment ce désir, que le temps et les progrès dans l'union ne font qu'aviver.



4. Je sais que vous aussi, catholiques de cette ville et de toute la Turquie, vous êtes conscients de l'importance que revêt la recherche de la pleine unité entre les chrétiens. Je sais que vous priez et que vous travaillez dans ce but, et que vous avez des contacts fraternels avec l'Église orthodoxe et avec les autres chrétiens de votre ville et de votre pays. Je vous en suis profondément reconnaissant.



Je sais aussi que vous cherchez des rapports d'amitié avec les autres croyants qui invoquent le nom de Dieu unique, et que vous êtes des citoyens actifs et loyaux de ce pays où vous formez une minorité. Je vous y encourage de tout coeur.



Que Dieu vous, bénisse ! Qu'il bénisse vos communautés, vos familles, vos personnes., spécialement ceux qui souffrent et pour lesquels j'aurai une intention particulière. Et qu'il vous accorde toujours ce dont vous avez besoin pour lui rendre dans votre vie un témoignage toujours plus fidèle.



5. Et maintenant, chers frères et soeurs, je vous invite à prier avec ferveur, au cours de ce sacrifice eucharistique, pour la pleine communion de nos Églises. Le progrès dans l'unité s'appuiera sur nos efforts, sur nos travaux théologiques, sur nos démarches répétées, et spécialement sur notre charité mutuelle ; mais c'est en même temps une grâce du Seigneur. Supplions-le d'aplanir les obstacles qui ont retardé jusqu'ici la marche vers la pleine unité. Supplions-le de donner, à tous ceux qui collaborent au rapprochement, son Esprit-Saint qui les conduira vers la vérité entière, qui élargira leur charité, qui les rendra impatients de l'unité. Suppliez-le pour que nous-mêmes, pasteurs des Églises soeurs, nous soyons les meilleurs instruments de son dessein, nous que la Providence a choisis, en cette heure de l'histoire, pour régir ces Églises, c'est-à-dire pour les servir comme le veut le Seigneur, et servir ainsi l'unique Église qui est son Corps. Au cours, du second millénaire, nos Églises s'étaient comme figées dans leur séparation. Voici que le troisième millénaire du christianisme est à nos portes. Puisse l'aube de ce nouveau millénaire se lever sur une Église qui a retrouvé sa pleine unité, pour mieux témoigner, au milieu des tensions exacerbées de ce monde, de l'amour transcendant de Dieu, manifesté en son Fils Jésus-Christ.



Dieu seul connaît les temps et les moments. Pour nous, veillons et prions, dans l'espérance, avec la Vierge Marie, la Mère de Dieu, qui ne cesse de veiller sur l'Église de son Fils, comme elle a veillé sur les apôtres. Amen.






30 novembre 1979



ISTANBUL : A LA COMMUNAUTE POLONAISE



Tôt le matin du 30 novembre, le pape a reçu un groupe de Polonais vivant en Turquie. Il s'est adressé à eux dans leur langue. Voici la traduction de son discours.



Chers compatriotes,



1. Une rencontre avec vous ne pouvait manquer dans le programme de ma visite ici. C'est une rencontre insolite en raison des circonstances où elle s'effectue. Il y a quelques années, le professeur L. Biskupski, vint me trouver à Cracovie. Au cours de notre conversation, il me proposa de venir visiter votre communauté à Adampol en Turquie. A cette époque, il était cependant difficile de prévoir une possibilité pour cela. La Providence divine a fait en sorte que cette invitation se réalise aujourd'hui d'une manière qu'aucun de nous ne pouvait prévoir à ce moment.



2. La colonie polonaise en Turquie n'est pas nombreuse. Elle a toutefois une signification spéciale, une particulière éloquence historique. Avant tout, votre présence ici rappelle un fait très cher à tout Polonais. Le voici : après la division de la Pologne, lorsque différentes cours royales d'Europe eurent pris acte de la violence exercée sur le corps vivant de notre pays, seule la Turquie ne partagea pas cette violence. Cependant nous avons eu sur les épaules des siècles difficiles. Les guerres se sont répétées, conduites avec des succès divers, jusqu'à Vienne en 1683. Si donc, après tout cela, ici à Istanbul la division de la Pologne n'a pas été acceptée par les sultans, nous devons considérer ce fait comme une chose insolite.



« Le nonce Lechistan (Pologne) n'est pas encore arrivé » était-il annoncé pendant de nombreuses années en cette cour, durant les réceptions des représentants des autres États. Et finalement le moment de la venue de ce nonce est arrivé.



3. Adampol (Polonezkôy) doit son nom au prince Adam Jerzy Czartoryski, qui en 1842 fonda cette colonie polonaise sur des terres que les Polonais avaient achetées aux missionnaires de Saint-Vincent-de-Paul (Lazaristes). Cependant l'histoire de la présence de la colonie polonaise dans l'antique capitale de la Turquie à Istanbul remonte à un passé beaucoup plus lointain et compte environ quatre cents ans. C'est un cas assez rare dans le monde qu'un groupe de Polonais puisse survivre si longtemps loin de la patrie. Ici ont trouvé refuge les insurgés polonais des années 1830-1831, les prisonniers de guerre rachetés par les Turcs des armées du tsar, les soldats polonais de la division de Zamoyski dissoute en 1856.



En 1855, Adam Mickiewicz, notre plus grand poète, vint à Istanbul, pour y soutenir l'esprit patriotique des Polonais et former une légion polonaise qui, selon la conception du romantisme, devait servir à la libération de la Patrie. Pourtant, après l'insurrection de novembre, celle-ci fut encore plus asservie.



La colonie polonaise en Turquie à vécu différentes péripéties et affronté bien des difficultés. Le fait de nous rencontrer aujourd'hui et de parler la langue de nos aïeux constitue le meilleur témoignage de son attitude.



4. Vous êtes héritiers de ces Polonais qui, il y a plus de cent ans, ont donné vie à cette oasis polonaise sur le Bosphore.



Moi, en qualité de compatriote et en même temps de « premier pape de la descendance des Polonais », je vous rencontre aujourd'hui avec grande émotion. Je remercie Dieu pour cette rencontre.



Je vous adresse en même temps les souhaits les plus cordiaux des plus abondantes grâces de Dieu dans votre vie personnelle, familiale, sociale et civique.



Avec vous, je recommande la Pologne, patrie de nos aïeux et notre patrie, à la protection de la Mère de Dieu. Restez forts dans la fidélité au Christ et, à ,son Église, qui vous accompagne, à travers toute l'histoire de génération en génération. Je vous bénis au nom de la Très Sainte Trinité et je salue chacun de vous et toute votre communauté.






30 novembre 1979



A SAINT-GEORGES AU PHANAR



« Notre impatience de l'unité »

Tôt dans la matinée du 30 novembre, à Istanbul, le pape a participé à la liturgie patriarcale et   synodale en la cathédrale  grecque orthodoxe. A l'issue de la cérémonie il a prononcé le discours suivant :



Ces paroles du psalmiste jaillissent de mon coeur en ce jour où je suis avec vous. Oui, qu'il est bon, qu'il est doux d'être frères tous ensemble !



Nous sommes réunis pour célébrer saint André, un apôtre, le premier appelé des apôtres, le frère de Pierre, coryphée des apôtres. Cette circonstance souligne la signification ecclésiale de notre rencontre d'aujourd'hui. André était un apôtre, c'est-à-dire un des hommes choisis par le Christ pour être transformés par son Esprit et envoyés dans le monde, comme lui-même avait été envoyé par son Père (cf. Jn Jn 17,18). Ils ont été envoyés pour annoncer la bonne nouvelle de la réconciliation donnée dans le Christ (cf. 2Co 5,18-20), pour appeler les hommes à entrer par le Christ en communion avec le Père dans l’Esprit-Saint (cf. Jn Jn 11,52). Tout réunir dans le Christ à la louange de la gloire de Dieu (cf. Ep Ep 1,10-12), telle est la mission des apôtres, telle est la mission de ceux qui, après eux, furent aussi choisis et envoyés, telle est la vocation de l'Église. Nous célébrons donc aujourd'hui un apôtre, le premier appelé des apôtres et cette fête nous rappelle cette exigence fondamentale de notre vocation, de la vocation de l'Église.



Cet apôtre, le patron de l'illustre Église de Constantinople, est le frère de Pierre. Certes, tous les apôtres sont liés entre eux par la fraternité nouvelle qui unit ceux dont le coeur est renouvelé par l'Esprit du Fils (cf. Rm Rm 8,15) et auxquels est confié le ministère de la réconciliation (cf. 2Co 5,18), mais cela ne supprime pas, loin de là, les liens particuliers créés par la naissance et l'éducation dans une même famille. André est le frère de Pierre. André et Pierre étaient frères, et au sein du collège apostolique, Une intimité plus grande devait les lier, une collaboration plus étroite devait les unir dans la tâche apostolique.



Ici encore la célébration d'aujourd'hui nous rappelle qu'entre l'Église de Rome et l'Église de Constantinople des liens particuliers de fraternité et d'intimité existent, qu'une plus étroite collaboration est naturelle entre ces deux Églises.



Pierre, le frère d'André est le coryphée des apôtres. Il a, grâce à l'inspiration du Père, pleinement reconnu en Jésus le Christ, le Fils de Dieu vivant (cf. Mt Mt 16,16) ; à cause de cette foi, il a reçu le nom de Pierre, pour que l'Église s'appuie sur ce roc (cf. Mt Mt 16,18). Il a été chargé d'assurer l'harmonie de la prédication apostolique. Frère parmi les frères, il a reçu mission de les confirmer dans la foi (cf. Lc Lc 22,32) ; il a, le premier, la responsabilité de veiller à l'union de tous, d'assurer la symphonie des saintes Églises de Dieu dans la fidélité « à la foi transmise aux saints une fois pour toutes » (Jud 3).



C'est dans cet esprit, c'est animé de ces sentiments que le successeur de Pierre a voulu en ce jour rendre visite à l'Église qui a pour Patron saint André, à son vénéré pasteur, à toute sa hiérarchie et à tous ses fidèles. Il a voulu venir participer à sa prière. Cette visite au premier siège de l'Église orthodoxe montre clairement la volonté de l'Église catholique tout entière d'aller de l'avant dans la marche vers l'unité de tous, et aussi, sa conviction que le rétablissement de la pleine communion avec l'Église orthodoxe est une étape fondamentale du progrès décisif de tout le mouvement oecuménique. Notre division n’a peut-être pas été sans influence sur les autres divisions qui l'ont suivie.



Ma démarche se situe dans la ligne de l'ouverture réalisée par Jean XXIII. Elle reprend et prolonge les démarches mémorables de mon prédécesseur Paul VI, celle qui le conduisit d'abord à Jérusalem, où eut lieu pour la première fois l'accolade émouvante et le premier dialogue oral avec le patriarche oecuménique de Constantinople, au lieu même où s'accomplit le mystère de la rédemption pour la réunion des enfants de Dieu dispersés y puis la rencontre se fit ici même, voici un peu plus de douze ans, en attendant que le patriarche Athénagoras vienne à son tour rendre sa visite à Paul VI, à son siège de Rome. Ces deux grandes figures nous ont quittés pour rejoindre Dieu : ils ont achevé leur ministère, l'un et l'autre tendus vers la pleine communion et presque impatients de la réaliser de leur vivant. Pour ma part, je n'ai pas voulu tarder davantage à venir prier avec vous, chez vous : parmi mes voyages apostoliques déjà réalisés ou projetés, celui-ci avait à mes yeux une importance et une urgence particulières. J'ose aussi espérer que, de nouveau, nous pourrons prier ensemble, Sa Sainteté le patriarche Dimitrios Ier et moi-même, et cette fois sur la tombe, de l'apôtre Pierre. De telles démarches expriment devant Dieu et devant tout le peuple de Dieu notre impatience de l'unité.

Sur le plan concret, la visite d'aujourd'hui montre aussi l'importance que l'Église catholique attache au dialogue théologique qui va commencer avec l'Église orthodoxe. Avec réalisme et sagesse, conformément au souhait du Siège apostolique de Rome et aussi au désir des conférences panorthodoxes, il avait été décidé de renouer entre l'Église catholique et les Églises orthodoxes des relations et des contacts qui permettraient de se reconnaître et de créer l'atmosphère nécessaire à un fructueux dialogue théologique. Il fallait refaire ensemble les textes. Cette période a été justement appelée le dialogue de la charité. Ce dialogue a permis de reprendre conscience de la profonde communion qui nous unit déjà, et fait que nous pouvons nous regarder et nous traiter comme Églises soeurs. Beaucoup a été réalisé déjà, mais il faut continuer cet effort. Il faut tirer les conséquences de cette redécouverte théologique réciproque, partout où catholiques et orthodoxes vivent ensemble. Il faut surmonter les habitudes d'isolement pour collaborer dans tous les domaines de l'action pastorale où une telle collaboration est rendue possible par la communion presque totale qui existe déjà entre nous. Il ne faut pas avoir peur de reconsidérer de part et d'autre, et en consultation les uns avec les autres, des règles canoniques établies alors que la conscience de notre communion — désormais étroite même si elle est encore incomplète — était encore obscurcie, règles qui rie correspondent peut-être plus aux résultats du dialogue de la charité et aux possibilités qu'ils ont ouvertes. C'est important pour que les fidèles de part et d'autre se rendent compte des progrès accomplis et il serait souhaitable que ceux qui vont être chargés du dialogue aient cette préoccupation de tirer les conséquences, pour la vie des fidèles, des progrès à venir.



Ce dialogue théologique qui va maintenant commencer aura pour tâche de surmonter les malentendus et les désaccords qui existent encore entre nous, sinon au niveau de la foi, du moins au niveau de la formulation théologique. Il devrait se dérouler non seulement dans l'atmosphère du dialogue de la charité qui doit se développer et s'intensifier, mais aussi dans une atmosphère d'adoration et de disponibilité.



C'est seulement dans l'adoration, avec un sens aigu de la transcendance du mystère indicible « qui surpasse toute connaissance » (Ep 3,19) que l'on pourra situer nos divergences et « ne rien imposer qui ne soit nécessaire » (Ac 15,28) pour rétablir la communion (cf. décret Unitatis redintegratio, UR 18). Il me semble en effet que la question que nous devons nous poser n'est pas tant de savoir si nous pouvons rétablir la pleine communion, mais bien plutôt si nous avons encore le droit de rester séparés. Cette question, nous devons nous la poser au nom même de notre fidélité à la volonté du Christ sur son Église à laquelle une prière incessante doit nous rendre les uns et les autres toujours plus disponibles, au cours du dialogue théologique.



Si l'Église est appelée à rassembler les hommes dans la louange de Dieu, saint Irénée, grand Docteur de l'Orient et de l'Occident, nous rappelle que « la gloire de Dieu c'est l'homme vivant » (Adv. Haer. 4, 20, 7). Tout dans l'Église est ordonné à permettre que l'homme vive vraiment dans cette pleine liberté qui provient de sa communion avec le Père par le Fils dans l'Esprit. Saint Irénée en effet continue aussitôt : « et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu », la vision du Père manifesté dans le Verbe.



L'Église ne peut pleinement répondre à cette vocation qu'en témoignant par son unité de la nouveauté de cette vie donnée dans le Christ : « Moi en eux comme toi en moi pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé » (Jn 17,23).



Sûr que notre espérance ne peut être déçue (cf. Rm Rm 5,5), je vous redis, frères bien-aimés, ma joie de me trouver parmi vous, et avec vous j'en rends grâce au Père de qui vient tout don parfait (cf. Jc Jc 1,17).






30 novembre 1979



HOMELIE A EPHESE



Dans le courant de l'après-midi du 30 novembre, le pape a fait le pèlerinage d'Éphèse où se trouve le souvenir de Marie qui y aurait habité avec l'apôtre Jean et où se sont tenus plusieurs conciles dont celui de 431 où Marie fut reconnue dans son titre de « Mère de Dieu ». Voici le discours du pape.



1. C'est avec un coeur débordant d'émotion que je prends la parole en cette liturgie solennelle qui nous réunit autour de la table eucharistique pour célébrer, dans la lumière glorieuse du Christ Rédempteur, la glorieuse mémoire de sa très sainte Mère. L'esprit est comme envahi par la pensée que, précisément en cette ville, l'Église rassemblée en concile — le troisième concile oecuménique — reconnut officiellement à la Vierge Marie le titre de « Theotokos » qui lui était déjà donné par le peuple chrétien, mais qui était contesté depuis quelque temps en certains milieux, surtout influencés par Nestorius. La jubilation avec laquelle la population d'Éphèse accueillit, en cette année 431 déjà bien lointaine, les Pères qui sortaient de la salle du concile où la vraie foi de l'Église avait été réaffirmée, se propagea rapidement dans toutes les parties du monde chrétien et n'a pas cessé de retentir à travers les générations successives qui, au cours des siècles, ont continué à se tourner avec confiance vers Marie, comme vers celle qui a donné la vie au Fils de Dieu.



Aujourd'hui, nous aussi, et avec le même élan filial et la même confiance profonde, nous recourons à la Vierge sainte, en saluant en elle la « Mère de Dieu » et en lui confiant les destinées de l'Église, soumise en notre temps à des épreuves particulièrement dures et insidieuses, mais également poussée par l'action de l’Esprit-Saint sur des chemins ouverts aux espérances les plus prometteuses.



2. « Mère de Dieu ». En répétant aujourd'hui cette expression chargée de mystère, nous retournons en esprit au moment ineffable de l'Incarnation et nous affirmons-avec toute l'Église que la Vierge devint Mère de Dieu pour avoir engendré selon la chair un Fils qui était personnellement le Verbe de Dieu. Quel abîme de condescendance divine s'ouvre devant nous !



Une question vient immédiatement à l'esprit : pourquoi le Verbe a-t-il préféré naître d'une femme (cf. Ga Ga 4,4), plutôt que de descendre du ciel avec un corps déjà adulte, formé de la main de Dieu (cf. Gn Gn 2,7) ? Est-ce que cela n'aurait pas été plus digne de lui ? Plus adéquat à sa mission de Maître et de Sauveur de l'humanité ? Nous savons que, dans les premiers siècles surtout, beaucoup de chrétiens (les docètes, les gnostiques, etc.) auraient préféré que les choses fussent ainsi. Le Verbe, au contraire, prit l'autre chemin. Pourquoi ?



La réponse nous arrive avec là simplicité transparente et convaincante des oeuvres de Dieu. Le Christ voulait être un véritable rejeton (cf. Is Is 11, l) de la souche qu'il venait sauver. Il voulait que la rédemption jaillisse pour ainsi dire de l'intérieur de l'humanité, comme quelque chose d'elle-même. Le Christ voulait secourir l'homme, non comme un étranger mais comme un frère, en se faisant en tout semblable à lui excepté le péché (cf. He He 4,15). C'est pourquoi il voulut une mère et la trouva en la personne de, Marie. La mission fondamentale de la jeune fille de Nazareth fut donc d'être le trait d'union entre le Sauveur, et le genre humain.



Cependant dans l'histoire du salut, l'action de Dieu ne se déroule pas sans faire appel à la collaboration des hommes : Dieu n'impose pas le salut. Il ne l'a pas imposé non plus à Marie. Dans l'événement de l'Annonciation, il se tourne vers elle d'une manière personnelle, sollicite sa volonté et attend une réponse qui jaillisse de sa foi. Les Pères ont très bien approfondi cet aspect, en faisant ressortir que « la bienheureuse Marie, en croyant à celui qu'elle engendra, le conçut aussi dans un acte de foi » (St Augustin, Sermo 215, 4 ; cf. St Léon, Sermo 1 in Nativitate, l ; etc.). Le récent concile Vatican II a souligné la même chose en affirmant que la Vierge, à l'annonce de l'Ange, accueillit dans son coeur et dans son corps le Verbe de Dieu» (Const. dogm. Lumen Gentium. LG 53).



Le « fiat » de l'Annonciation inaugure ainsi la Nouvelle Alliance entre Dieu et la créature : tandis que ce « fiat » incorpore Jésus à notre lignée selon la nature humaine, et incorpore Marie à Jésus selon l'ordre de la grâce. Le lien entre Dieu et l'humanité, rompu par le péché, est maintenant heureusement rétabli.



3. Le consentement total et inconditionnel, de la « servante du Seigneur » (Lc 1,38) au dessein de Dieu fut donc une adhésion libre et consciente. Marie consentit à devenir la Mère du Messie, venu pour « sauver son peuple de ses péchés » (Mt 1,21 cf. Lc Lc 1,31). Ce ne fut point un simple consentement à la naissance de Jésus, mais bien une acceptation responsable de participer à l'oeuvre de salut qu'il venait réaliser. Les paroles du Magnificat offrent une confirmation très nette de cette conscience lucide : « Il a secouru Israël son serviteur — dit Marie — se souvenant de sa miséricorde, comme il l'avait promis à nos pères, à Abraham et à sa descendance à jamais » (Lc 1,54-55).



En prononçant son fiat, Marie ne devient pas seulement Mère du Christ historique ; son geste la pose comme Mère du Christ total, comme « Mère de l'Église ». « Dès l'instant du fiat — remarque saint Anselme — Marie commença à nous porter tous dans son sein » ; c'est pourquoi « la naissance de la Tête est aussi la naissance du Corps », proclame saint Léon le Grand. De son côté, saint Ephrem a aussi une très belle expression à ce sujet : Marie, dit-il, est « la terre dans laquelle a été semée l'Église ».



En effet, dès l'instant que la Vierge devient Mère du Verbe incarné, l'Église se trouve constituée de manière secrète, mais parfaite en son germe, dans son essence de corps mystique ; sont présents, en effet, le Rédempteur et la première des rachetés. Désormais l'incorporation au Christ impliquera un rapport filial non seulement avec le Père céleste, mais aussi avec Marie, la Mère terrestre du Fils de Dieu.



4. Toute mère transmet à ses enfants sa propre ressemblance : c'est ainsi qu'entre Marie et l'Église il existe un rapport de profonde ressemblance. Marie est la figure idéale, la personnification, l'archétype de l'Église. En elle s'effectue le passage de l'ancien au nouveau peuple de Dieu, d'Israël à l'Église. Elle est la première parmi les humbles et les pauvres demeurés fidèles, qui attendent la Rédemption ; elle est encore la première parmi les rachetés qui, dans l'humilité et l'obéissance, accueillent la venue du Rédempteur. La théologie orientale a beaucoup insisté sur la « katarsis » qui s'effectue en Marie au moment de l'Annonciation ; qu'il suffise de rappeler ici l'émouvant commentaire qu'en fait saint Grégoire Palamas dans l'une de ses homélies : « Tu es déjà sainte et pleine de grâce, ô Vierge » dit l'ange à Marie. Mais l'Esprit-Saint viendra de nouveau en toi, te préparant, par une augmentation de grâce, au mystère divin » (Homélie sur l’Annonciation : PG 151, 178).



A juste titre, cependant, dans la liturgie par laquelle l'Église orientale célèbre les louanges de la Vierge, il y a une place de choix pour le cantique que Marie, la soeur de Moïse, chante au passage de la mer Rouge, comme pour signifier que la Vierge a été la première à traverser les eaux du péché, à la tête du nouveau peuple de Dieu, libéré par le Christ.



Marie est le premier fruit et l'image la plus parfaite de l'Église : « une part très noble, une part excellente ; une part remarquable, une part tout à fait choisie » (Rupert, In Ap 1, 7, 12). « Unie à tous les hommes, qui ont besoin du salut », proclame encore Vatican II, elle a été rachetée « d'une manière très sublime en considération des mérites de son Fils » (Const. dogm. Lumen Gentium. LG 53). Aussi Marie demeure-t-elle aux yeux de tous les croyants comme la créature toute pure, toute belle, toute sainte, capable « d'être Église » comme aucune autre créature ne le sera jamais ici-bas.



5. Nous aussi, aujourd'hui, nous la contemplons pour apprendre, à partir de son exemple, à construire l'Église. Et pour cela, nous savons qu'il nous faut avant tout progresser sous sa direction dans l'exercice de la foi. Marie a vécu sa foi dans une attitude d'approfondissement continuel et de découverte progressive, en traversant des moments difficiles de ténèbres, à commencer par les premiers jours de sa maternité (cf. Mt Mt 1,18 et suiv.) : moments qu'elle a surmontés grâce à une attitude responsable d'écoute et d'obéissance à l'égard de la Parole de Dieu. Nous aussi, nous devons nous efforcer d'approfondir et de consolider notre foi par l'écoute, l'accueil, la proclamation, la vénération de la Parole de Dieu, par l'examen attentif des signes des temps à sa lumière, par l'interprétation et l'accomplissement des événements de l'histoire (cf. Paul VI, Exh. Ap. Marialis Cultus, n. 17).



Marie se présente à nous comme un exemple d'espérance courageuse et de charité active : elle a cheminé dans l'espérance avec une docile promptitude, en passant de l'espérance juive à l'espérance chrétienne, et elle a vécu la charité, en accueillant en elle-même toutes ses exigences, jusqu'au don le plus total et au sacrifice le plus grand. Fidèles à son exemple, nous devons nous aussi demeurer fermes dans l'espérance, même lorsque des nuages chargés d'orages s'amoncellent sur l'Église, qui avance comme un navire au milieu des flots souvent défavorables des événements de ce monde ; nous devons nous aussi croître dans la charité, en développant l'humilité, la pauvreté, la disponibilité, la capacité d'écoute et d'attention, en adhérant à ce qu'elle nous a enseigné par le témoignage de toute sa vie.



6. Il y a une chose en particulier dont nous vouions aujourd'hui prendre l'engagement aux pieds de celle qui est notre Mère commune : à savoir rengagement de faire avancer, avec toute notre énergie et dans une attitude d'entière disponibilité aux inspirations de l'Esprit, la route qui conduit à la parfaite unité de tous les chrétiens. Sous son regard maternel, nous sommes prêts à reconnaître nos torts réciproques, nos égoïsmes et nos lenteurs : elle a engendré un Fils unique, malheureusement nous le lui présentons divisé. C'est là un fait qui provoque en nous un malaise et une souffrance ; un malaise et une souffrance auxquels mon vénéré prédécesseur le pape Paul VI faisait allusion dès le début du Bref qui abrogeait l'excommunication prononcée, il y a fort longtemps, contre le siège de Constantinople : « Marchez dans la charité à l'exemple du Christ » (Ep 5,2), « ces paroles d'exhortation de l'apôtre des Gentils nous concernent, nous qui sommes appelés chrétiens du nom de notre Sauveur, et elles nous pressent, surtout en ce temps qui nous engage plus fortement à élargir le champ de la charité » (7 décembre 1965).



Un long parcours a été accompli depuis ce jour ; mais d'autres pas restent à faire. Nous confions à Marie notre résolution sincère de ne point demeurer tranquilles tant que le terme du chemin ne sera pas atteint. Il nous semble entendre de ses lèvres les paroles de l'Apôtre : « Que parmi vous, il n'y ait ni discordes, ni jalousies, ni emportements, ni désordres » (2Co 12,20). Accueillons à coeur ouvert cette monition maternelle et demandons à Marie d'être près de nous pour nous guider d'une main douce et ferme sur les chemins de la compréhension fraternelle totale et durable. Ainsi, s'accomplira le voeu suprême, exprimé par son Fils alors qu'il était sur le point de verser son sang pour notre rachat : « Que tous soient un ! Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé ! » (Jn 17,21).

30 novembre 1979



AU MOMENT DU DEPART



Avant de quitter la Turquie, Jean Paul II, en cette fin de journée du 30 novembre, a tenu à exprimer en ces termes ses impressions de reconnaissance pour son voyage :



Monsieur le Ministre, Excellences, Mesdames, Messieurs,



Je ne veux pas quitter votre pays sans exprimer un cordial merci au peuple turc et à ses dirigeants. Grâce à eux, j’ai pu effectuer dans de bonnes conditions ce séjour qui me tenait très à coeur. J'ai bénéficié de leur courtoise hospitalité, d'un service d’ordre bien organisé et des différents moyens que l'on a mis à ma disposition pour ce voyage. J'ai pu aussi m'entretenir de façon agréable et fructueuse avec les autorités et je vous saurais gré en particulier, Monsieur le Ministre, de renouveler l'assurance de mon souvenir et de ma gratitude a Son Excellence le président de la République et aux membres du Gouvernement.



Comme mon cher prédécesseur Paul VI, je suis venu chez vous en messager de paix et en ami. Le Siège apostolique de Rome ne cessé de manifester sa volonté de contribuer, selon ses moyens propres, à l'instauration de relations pacifiques et fraternelles entre les peuples, au progrès humain et spirituel de toutes les nations sans distinction, à la promotion et à la défense des droits humains des personnes et des communautés nationales, ethniques, religieuses. La république de Turquie en est bien convaincue, elle qui entretient des relations diplomatiques avec le Saint-Siège depuis 1960.



Je suis heureux de cette occasion qui m'est donnée de manifester mon estime au peuple turc. Je le savais déjà et j'en ai fait l'expérience ces jours-ci : c'est une nation justement fière d'elle-même et qui entend résoudre ses problèmes politiques, économiques et sociaux dans la dignité, dans la démocratie et dans l'indépendance. Elle est riche d'une jeunesse très nombreuse et elle est décidée à mettre en oeuvre toutes les ressources du progrès moderne. Je forme pour son avenir des voeux cordiaux.



Je n'ai pu m'empêcher non plus de méditer sur son passé. Depuis des millénaires — on peut remonter au moins aux Hittites —ce pays a été un creuset de civilisations, à la charnière de l'Asie et de l'Europe. Que de richesses culturelles enfouies, non seulement dans ses vestiges archéologiques et ses monuments vénérables, mais dans l'âme, dans la mémoire plus ou moins consciente de ses populations ! Que d'aventures aussi, glorieuses ou éprouvantes, ont formé la trame de son histoire !



L'unité de la Turquie moderne se fait aujourd'hui autour du bien commun à promouvoir et sur lequel l'État a mission de veiller. La distinction claire des sphères civile et religieuse peut permettre à chacune d'exercer ses responsabilités spécifiques, en respectant la nature de chaque pouvoir et la liberté des consciences. Le principe de cette liberté de conscience, comme aussi de la religion, du culte, de l'enseignement, est reconnu dans la constitution de cette République. Je souhaite que tous les croyants et leurs communautés en bénéficient toujours davantage. Les consciences, lorsqu'elles sont bien formées, puisent d'ailleurs dans leurs profondes convictions religieuses, disons dans leur fidélité à Dieu, une espérance, un idéal, des qualités morales de courage, de loyauté, de justice, de fraternité qui sont nécessaires au bonheur, à la paix et à l'âme de tout peuple. En ce sens, qu'il me soit permis d'exprimer mon estime pour tous les croyants de ce pays.



Je suis venu chez vous avant tout en chef religieux et vous comprendrez aisément que j'ai été particulièrement heureux de retrouver dans ce pays des frères et des fils chrétiens qui attendaient ma visite et ces échanges spirituels, devenus en quelque sorte nécessaires. Leurs communautés chrétiennes, réduites en nombre, mais ferventes, profondément enracinées dans l'histoire et l'amour de leur patrie, entretiennent, dans le respect de tous, la flamme de la foi, de la prière, et de la charité du Christ. J'ai évoqué également, auprès d'elles, ces régions ou ces cités qui ont été honorées par l'évangélisation des grands apôtres du Christ, Paul, Jean, André, par les premières communautés chrétiennes, par de grands conciles oecuméniques. Oui, en tant que successeur de l'apôtre Pierre, mon coeur, comme celui de tous les chrétiens du monde, demeure très attaché à ces hauts-lieux où nos pèlerins continuent de se rendre avec émotion et gratitude. C'est l'honneur de votre pays de le comprendre et de faciliter cette hospitalité.



Je remercie particulièrement Votre Excellence de m'avoir aimablement accompagné. Je salue également les représentants des communautés civiles, religieuses et culturelles qui sont ici présents. Je forme les meilleurs voeux pour vous, pour tous et chacun de vos compatriotes. Je voudrais que ma visite soit pour tous comme un message de paix et d'amour fraternel, sans lesquels il 'n'est pas de véritable bonheur ni d'authentique progrès, moins encore de fidélité à Dieu. Je continuerai à prier le Très-Haut d'inspirer le peuple turc et ses dirigeants dans la recherche de sa volonté, de les assister dans leurs lourdes tâches, de les combler de ses dons de paix et de fraternité.






30 novembre 1979



L’ARRIVEE A ROME



L'avion du Saint-Père s'est posé à Fiumicino, près de Rome le 30 novembre vers 20 heures, en mettant un terme au voyage oecuménique en Turquie. A sa sortie de l'appareil, le pape a prononcé en italien un discours dont voici la traduction :



Avec le coeur débordant d'intenses émotions et gardant dans mon âme les images inoubliables des lieux rendus chers par de vénérables traditions, je posé à nouveau les pieds sur le sol d'Italie. Je remercie le Seigneur pour l'assistance qu'il m'a accordée au cours de ce pèlerinage qui s'est déroulé à l'enseigne de deux « notes » spéciales de l'Église, celle de l’apostolicité et celle de l'unité. En effet, je suis allé rendre visite à Sa Sainteté le patriarche Dimitrios 1er, pour rendre hommage avec lui, au frère de l'apôtre Pierre et pour confirmer ainsi que l'origine apostolique reste ineffaçablement inscrite sur le visage de l'Église comme un de ses traits saillants. Par ce voyage, j'ai voulu également témoigner ma ferme volonté d'aller de l'avant sur la route qui conduit à la pleine unité de tous les chrétiens et porter en même temps une contribution au rapprochement des hommes entre eux, dans le respect de ce qui est essentiellement et profondément humain.



Ma pensée se dirige maintenant avec reconnaissance vers les autorités turques, qui ont voulu me témoigner tant de courtoisie, durant mon séjour dans cette nation ; au cher frère Sa Sainteté Dimitrios Ier, aux métropolites aux évêques, au clergé et aux fidèles du patriarcat oecuménique de Constantinople, avec qui j'ai eu la joie de vivre un moment significatif de communion dans la foi et dans la charité ; aux vénérés frères dans l'épiscopat, aux prêtres, au peuple de Dieu de l'Église catholique qui est en Turquie et à la population turque tout entière, qui par des manifestations spontanées de sympathie m'ont fait comprendre quel désir d'entente et de fraternité se trouve au coeur de tout homme.



J'exprime maintenant ma plus reconnaissante satisfaction à M. le ministre de l'Intérieur d'Italie, M. Virginion Rognoni, pour les nobles paroles par lesquelles il a voulu me souhaiter la bienvenue, également au nom du Gouvernement et du peuple italien. Je salue ensuite et je remercie les membres du Sacré Collège, les autorités civiles et ecclésiastiques, comme aussi Je Corps diplomatique accrédité près du Saint-Siège, pour leur aimable présence, dans laquelle je reconnais la marque de l'intérêt avec lequel a été suivi mon pèlerinage. Je veux enfin adresser une spéciale parole de satisfaction et de gratitude aux dirigeants, aux pilotes et au personnel de la société aérienne, au dévouement expert et prévenant desquels est due la parfaite réussite du vol.



En vous assurant que j'ai eu pour tous un souvenir dans ma prière à la ville d'Éphèse, je veux encore une fois confier à sa maternelle intercession, tous ceux que j'ai rencontrés sur mort chemin, durant ces jours, et, tandis que j'invoque sur tous la bienveillance du Christ Rédempteur, je suis heureux de vous donner à vous ici présents, aux fils très chers de la Ville et à l'humanité entière, ma bénédiction apostolique avec le souhait le plus cordial de prospérité et de paix.







DÉCLARATION COMMUNES DE LEURS SAINTETÉS JEAN PAUL II ET DIMITRIOS I



Nous, le pape Jean Paul II et le patriarche oecuménique Dimitrios I° , nous rendons grâce à Dieu qui nous a donné de nous rencontrer pour célébrer ensemble la fête de l’apôtre André, premier appelé et frère de l'apôtre Pierre. « Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ; il nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles aux cieux, dans le Christ » (Ep 1,3).



C'est en cherchant la seule gloire de Dieu, par l’accomplissement de sa volonté que nous affirmons de nouveau notre ferme volonté de faire tout ce qui est possible pour hâter le jour où la pleine communion entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe sera rétablie et où nous pourrons enfin concélébrer la divine Eucharistie.



Nous sommes reconnaissants à nos prédécesseurs le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras Ier de tout ce qu'ils ont fait pour réconcilier nos Églises et les faire progresser dans l'unité.



Les progrès accomplis dans l'étape préparatoire nous permettent d'annoncer que le dialogue théologique va commencer et de rendre publique la liste des membres de la commission mixte catholique-orthodoxe qui en sera chargée.



Ce dialogue théologique a pour but non seulement de progresser vers le rétablissement de la pleine communion entre les Églises soeurs catholique et orthodoxe, mais encore de contribuer aux dialogues multiples qui se développent dans le monde chrétien à la recherche de son unité. Le dialogue de la charité (cf. Jn Jn 13,34 Ep 4,1-7), enraciné dans une fidélité complète à l'unique Seigneur Jésus-Christ et à sa volonté sur son Église (cf. Jn Jn 17,21), a ouvert la voie à une meilleure compréhension des positions théologiques réciproques et, de là, à de nouvelles approches du travail théologique et à une nouvelle attitude vis-à-vis du passé commun de nos Églises. Cette purification de la mémoire collective de nos Églises est un fruit important du dialogue de la charité et une condition indispensable des progrès à venir. Ce dialogue de la charité doit continuer et s'intensifier dans la situation complexe que nous avons héritée du passé et qui constitue la réalité dans laquelle doit se dérouler aujourd'hui notre effort.



Nous désirons que les progrès dans l'unité ouvrent des possibilités nouvelles de dialogue et de collaboration avec les croyants des autres religions et avec tous les hommes de bonne volonté, pour que l'amour et la fraternité l'emportent sur la haine et l'opposition entre les hommes. Nous espérons ainsi contribuer à l'avènement d'une vraie paix dans le monde. Nous implorons ce don de celui qui était, qui est et qui vient, le Christ notre unique Seigneur et notre paix véritable.



Phanar, en la fête de saint André 1979.



Voyages apostoliques 1979 50679