Hilaire Psaumes 13808

Dieu a connu de loin, par avance, les pensées du Christ.

13808 Tu as connu de loin toutes mes pensées (v. 3). Dieu ne cesse de scruter les coeurs et les reins. Et comment de loin ses pensées (du psalmiste) sont-elles connues ? De loin ne se rapporte pas à un lieu précis, mais au temps. En effet, il ne dit pas de loin en sorte que tu comprennes qu’il s’agirait d’une réalité locale devant être crue comme éloignée des oeuvres humaines, alors qu’il les comprenait avec la vision de sa puissance et de sa science par lesquelles elles sont pensées.De loin Tu as pénétré mes pensées : il s’agissait là plus d’une condition future que d’un âge. Où donc retrouverons-nous cela, à savoir ce fait que « loin avant le temps » il aurait connu ses pensées ? Sans doute là où il est dit : Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui s’est complue mon âme. Je ferai reposer sur lui mon esprit ; il fera connaître mon jugement aux nations. Il ne protestera pas, il ne criera pas ; on n’entendra pas sa voix sur les places publiques(Mt 12,18-19). L’évangéliste se souvient de cette prophétie lorsque, à ceux qu’il guérissait, il (Jésus) ordonnait sévèrement de ne pas le faire connaître (cf. Mt 12,15-16). Donc, il avait compris de loin, par avance ces pensées - à savoir des pensées d’humilité et de patience -, puisque la bouche des prophètes en avait témoigné.

13809 Ce qu’il en est du sentier et du « sens ».

Tu as connu avec précision mon sentier et la direction de ma vie (v. 3). Au sujet du sentier et de la direction de vie, avant même qu’il en soit traité, on ne doit pas s’abstenir d’en devoir dire d’abord quelque chose. En effet, ce qui pour nous est un sentier, est pour les Grecs une autre manière de parler de la vertu et de l’intelligence : car ce qu’ils appellent tribon - d’un usage fréquent dans les discours -, est un terme banal qui, non pas une fois en passant, ni même quelques fois, mais toujours survient. Cependant, ce que les nôtres ont traduit « direction » est rendu par les Grecs, à partir de l’hébreu, par skoïnion (corde). Mais skoïnion, selon l’habitude des nations païennes, signifie un mode d’itinéraire précis et défini, comme ce qui pour nous se dit d’un « mille » [1] ; eux l’appellent skoïnion.

13810 Le Christ a parcouru par lui-même ce sentier, d’un bout à l’autre ; il fut souvent emprunté par les prophètes.

Dans le corps qu’il assuma, notre Seigneur a déjà parcouru par lui-même ce sentier d’un bout à l’autre, sentier qui était souvent fréquenté par les prophètes ; il rendit néanmoins la finalité de son chemin à lui, distincte et fondée. Qu’il marchât cependant par un sentier souvent fréquenté de prédication, nous l’entendons lui-même le dire : Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins, et toi tu n’as pas voulu (
Mt 23,37). Que de fois, comme il dit, montre par là la fréquence des nombreux signes prodigués. Donc, rien de nouveau : il réclame une réponse, il souffre lorsque Jérusalem refuse que ses enfants soient rassemblés ; que de fois il a été écouté dans les prophètes, mais sans qu’on lui accorde pour autant quelque marque de considération !

Il accomplit à la perfection le chemin prescrit pour lui.

13811 Qu’il ait accompli parfaitement le chemin qui lui était défini et prescrit, cela se trouve indiqué lorsqu’il dit : (Père), je T’ai glorifié sur la terre, j’ai totalement accompli l’oeuvre que Tu m’avais donnée à faire (Jn 17,4). Celui qui accomplit pleinement l’oeuvre qui lui est confiée, s’est acquitté du mode de l’opération prescrite. Mais il connaît pour lui ce qui est déterminé et qu’il convient d’entreprendre, lorsqu’il dit à Pierre qui voulait résister par le glaive à ceux qui venaient pour l’appréhender : La coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? (Jn 18,11), enseignant par là que la coupe de la Passion, prescrite pour lui par le Père, devait être bue. Il se sait encore avoir accompli son sentier et réalisé le « sens de son envoi », quand, le vinaigre étant bu, en vue de transmettre son souffle il dit : Tout est achevé, et qu’aussitôt, il transmit l’Esprit (Jn 19,30).


Ce qu’il a accompli et souffert, le Père l’a pressenti d’avance.

13812 Donc, le Père scrute le sentier et « l’espace de vie » du Christ. Mais par le prophète, il l’a d’autre part recherchée attentivement, lorsqu’il prophétisa au sujet du vêtement tiré au sort : Ils ont tiré au sort ma tunique (Ps 21,19). Et de nouveau, lorsqu’il est livré et suspendu entre des larrons, on reconnaît là la prophétie disant par Isaïe : Il a été compté parmi les brigands (Is 53,12) ; ou encore, lorsque des os laissés intacts et de la blessure faite en profondeur au côté, cela fut auparavant prédit : Aucun de ses os ne sera brisé (Ex 12,46) ; et Ils regarderont celui qu’ils auront transpercé (Za 12,10). C’est pourquoi, ces événements et circonstances qui, tous, réalisés lors de la Passion, étaient écrits par avance, furent scrutés par Dieu de telle sorte qu’ils furent prophétisés. Et de peur que de ces événements qu’il vécut et souffrit, on n’estimât pas qu’ils fussent méconnus du Père, ils se trouvent tous étroitement rassemblés en un seul ensemble, lorsque le prophète (le psalmiste) dit : Et Tu as prévu tous mes chemins (v. 3b).
Mais Celui qui a prévu, voit par avance la réalité dans son contenu. Il a encore prévu cela - car il n’y a pas de tromperie sur sa langue (v. 4). En effet, selon sa propre déclaration, il est la vérité, le chemin et la vie (Jn 14,6). La vérité n’accueille pas le mensonge ; car il n’a pas menti ; il n’a pas failli dans l’annonce de la vérité : de toute sa langue il a réalisé son office de prédicateur de la vérité, lui qui a dit : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas (Mt 24,35). Il annonce le Dieu Père ; il confesse qu’il est lui-même Fils de Dieu et Fils de l’homme. Cette prédication était sans mensonge ; elle révélait à son sujet et à propos de sa charge sacrificielle, qu’il était bien celui qui s’émouvait de pitié.


La science de Dieu ne nous est transmise ni par le prophète, ni par Moïse, mais par le Christ.

13813 Ensuite, partant de l’homme, la parole progresse peu à peu et s’élève jusqu’à la nature céleste et divine reconnue en lui, lorsqu’il dit : Voici, Seigneur, que Tu connais toutes choses, les dernières et les anciennes ; c’est Toi qui m’as formé et Tu as posé Ta Main sur moi. Admirable est la connaissance de Toi qui se tire de moi ; elle me dépasse, et je ne puis y atteindre (vv. 5-6). Cela ne convient pas à la personne du prophète, pour que puisse être dit de lui : Admirable est la connaissance de Toi qui se tire de moi. Pour que l’admirable connaissance de Dieu se réalise à partir de lui, il convient de se référer à Moïse qui, auparavant, a parlé pour nous dans les Livres de la Loi, de cette connaissance de Dieu. Mais, à la vérité, de peur que cela ne soit attribué en propre à ce même Moïse - qui n’en avait aucune conscience avant d’étreindre Dieu du regard au buisson ardent (cf. Ex Ex 3,14) -, ce que tenait l’opinion religieuse de son peuple élu en Abraham, Isaac et Jacob, cependant avant ce temps (de l’épisode du buisson ardent) il ne pouvait être l’acquéreur de la connaissance familière de Dieu avant que Celui-ci ne lui en fit le don. Mais toute cette parole (cf. vv. 5-6) convient parfaitement à celui qui dit : Père, j’ai manifesté Ton nom aux hommes (Jn 17,6) ; et encore : Cette vie éternelle consiste en ceci : qu’ils Te connaissent Toi le seul vrai Dieu et celui que Tu as envoyé Jésus-Christ (Jn 17,3). Mais poursuivons jusqu’au point où cela paraîtra pleinement évident.

13814 Les dernières choses accomplies par le Christ et celles qui sont anciennes, nous devons en pénétrer le sens profond selon l’ordonnancement des paroles du Psaume.

Voici, Seigneur, Tu connais toutes choses, les dernières et les anciennes (v. 5). Elles sontdernières lorsque Tu m’as éprouvé, et lorsque Tu m’as connu… etc. Ce sont là des paroles propres à l’homme qu’il a assumé. Elles sont anciennes celles qui ne possèdent pas de mesure, qui se rapportent à l’ancienneté d’un temps indéfini. Au commencement était le Verbe, et tout a été fait par lui (
Jn 1,1).

13815 Comme Dieu, il dit : Tu m’as formé, Tu m’as posé comme homme… etc.

Par conséquent, comme Dieu, il connaît les choses dernières et les choses anciennes ; ainsi, en ce qui suit : Tu m’as formé et Tu as posé Ta Main sur moi (v. 5). Il signifie par là, l’une et l’autre chose. En ce qu’il a formé, il désigne les choses anciennes ; en ce qu’il a posé sa main sur lui, il désigne les dernières choses qui se sont produites. En effet, qu’il fut formé selon la nature de la divinité, l’Apôtre l’enseigne, disant : Lui qui était dans la forme de Dieu (
Ph 2,6) ; car ce qui est dans la forme est formé en une forme, et, en vérité, elle est la forme de la nature paternelle de la divinité. Et je ne connais pas que ce qui est formé dans la forme de l’esclave puisse être rapporté au Père afin qu’il soit formé par ce Père lui-même. La Sagesse, en effet, a bâti sa demeure pour elle-même (Pr 9,1). Mais ensuite, il n’est pas plus largement parlé ni de temps, ni de recherche de sens ; cependant, il convient de rapporter en propre à la naissance corporelle : Tu as mis Ta Main sur moi. Ainsi nous sommes enseignés à partir de la personne du Père : J’ai trouvé David, mon serviteur ; je lui ai donné l’onction de mon huile sainte. Car ma Main le prendra sous sa garde, et mon Bras le fortifiera (Ps 88,21-22). Et ce n’est pas douteux : tout ce psaume 88 se réfère à la personne du Seigneur ; car ces choses se sont réalisées en lui ; choses qui sont propres à sa divinité même ; mais aussi, choses qui s’y opposent en considération de la faiblesse de notre nature.


La science de Dieu, en quoi est-elle admirable ?

13816 Parce que l’une et l’autre chose (dernière ou ancienne), au moment favorable a été dite, soit que lui-même l’ait prêchée, ou qu’elle fut dite par les Apôtres ou les Prophètes, le Christ a fait entrer, à partir de lui-même, dans la connaissance admirable de Dieu. Aussi, dit-il : Admirable est la connaissance de Toi qui se tire de moi (v. 6). Admirable, mais comment ? Sans doute comme toutes choses enseignées qui se trouvent à l’intérieur même de Dieu, pendant le temps de la prédication de la présence de Dieu en toutes choses, pendant que son immense et incompréhensible nature demeure en elle-même et à l’extérieure d’elle-même, sachant qu’il excède toutes les localisations où il ne peut être contenu. Admirable est le Dieu qui est partout et nulle part absent. Être en toutes choses et être le tout ; et cependant être hors des lieux et des temps eu égard à son infinité et à son éternité ; être toujours. Cela est magnifique, cela est réconfortant : sans fragilités extrêmes, nous sommes affermis désormais par une croyance du sens de l’intelligence pleine d’espérance.


Le Fils, égal au Père par sa nature ; jusqu’à quel point il ne peut pas Lui être égal ?

13817 Mais que signifie ce qui est dit ensuite : Je ne pourrai pas y atteindre (à cette connaissance) - v. 6. L’Unique-Engendré dit en Jn 14,15 : Tout ce qui est au Père est à moi ; et comme le Père possède la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même (Jn 5,26) ; et encore : Comme le Père rend la vie aux morts, ainsi le Fils vivifie semblablement qui il veut (Jn 5,21). Et : Moi et le père nous sommes un (Jn 10,30, n’y a nulle distinction de puissance dans ces termes ; il n’y a même pas de différence possible dans les faits au plan la dynamique d’efficacité. [ Jn 2 ] Mais lorsqu’il est dit : Croyez en mes oeuvres, car le Père est en moi, et moi dans le Père (Jn 14,11) [ LE 3 ], il n’est pas question seulement d’une unité de volonté, mais de montrer qu’il s’agit bien d’une unité de puissance divine. Donc, tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement ; il le fait semblablement. Il faut donc rechercher ce que signifie l’expression : Je ne peux l’atteindre.Eh bien, lorsque j’entends : Le Père est plus grand que moi(Jn 14,28), et Le Fils ne peut rien faire de lui-même si ce n’est ce qu’il voit le Père faire (Jn 5,19), ces paroles m’ouvrent à la compréhension de cette autre parole : Je ne peux l’atteindre. En effet, le Père est plus grand que le Fils, mais comme Père pour le Fils, par la génération, non par la nature. Car le Fils existe à partir de Celui dont il est sorti. Et bien que la propriété de l’appellation paternelle diffère, la nature cependant ne diffère pas. Dieu (le Fils), en effet, est né de Dieu ; il n’est pas dissemblable de la substance génératrice. Donc, il ne peut être équiparé à Celui dont il est issu. En effet, quoique autre, il demeure par la gloire identique et de semblable nature dans l’autre ; cependant, du fait qu’il est engendré, il ne semble pas qu’il puisse être équiparé à ce qui l’a engendré.

Immensité du Père.

13818 Voyons si, en fait, ce Je ne puis y atteindrene se rapporte pas à la dignité de la confession paternelle. Suivent en effet les vv. 7-10 : Où irai-je pour échapper à Ton Esprit, où m’enfuirai-je loin de Ta face ? Si je monte au ciel, Tu y es ; si je descends aux enfers, Tu es là. Si je prends les ailes de l’aurore et que j’aille habiter aux extrémités de la mer, pour sûr, Ta Main me conduira, et Ta Droite me tiendra. Le Fils ne sort pas de l’infinité paternelle, ni de la nature qui est au-delà de toutes les localisations : lui qui est dans le sein (du Père) les outre-passe (cf. Jn Jn 1,18), qu’il soit au ciel, qu’il soit aux enfers (i. e. au séjour des morts), ou qu’il parcourt les extrémités des mers, Celui-ci est cependant présent en quelque lieu que ce soit, partout et toujours. Il ne peut s’esquiver alors qu’il demeure à l’intime de Celui qui fait que toutes choses soient, et qui est en tout.

Il convient de distinguer la triple condition du Christ.

13819 En partant de ce qui est dit : où fuirai-je loin de Ta face ? , ne serions-nous pas portés à déprécier irreligieusement en pensée la substance immuable et impassible, de sorte que celui qui parle par le psalmiste semblerait avoir pensé à la fuite eu égard à la crainte de la Passion ? Le motif de ces paroles doit donc être examiné pour qu’elles soient justement comprises comme alléguées au profit d’une considération saine et sauve. Pourtant, personne parmi ceux qui s’attardent aux études approfondies de la doctrine céleste, ne pourra émettre des doutes sur le fait de devoir confesser notre Seigneur Jésus Christ Dieu et homme : homme assurément dans le temps, toujours Dieu et avant qu’il ne fût homme, et après qu’il le soit devenu ; l’un et l’autre véritablement, à savoir Dieu et homme seulement au moment même où il fut dans l’homme. En effet, il était dans la forme de Dieu, et il prit la forme de serviteur ; et de nouveau il se trouve dans la gloire de Dieu le Père, à savoir que la forme de serviteur se maintenait dans sa gloire, cette gloire dont il provenait antérieurement, cela assurément pour absorber la nature corruptible par une progression dans l’incorruptibilité.

Ce qui convient à l’une ou l’autre nature.

13820 Donc, au début de ce psaume nous nous souviendrons que c’est de la personne de l’homme assumé dont il est question. En conséquence, on doit le considérer avec discernement afin de comprendre ce qui s’applique à sa divinité et ce qui s’applique à l’homme ; et ainsi, du fait que nous appliquions davantage notre jugement critique aux paroles qui sont dites plutôt que, par le préjugé d’une intelligence fallacieuse, d’ajouter des paroles qui déforment le sens convenable. Il dit en effet : Où irai-je pour me dérober à Ton Esprit ?, et Où m’enfuirai-je loin de Ta Face ? Il y a diverses significations de l’Esprit et de la Face. Certes, de Ton Esprit, je m’y déroberai ; de Ta Face, je m’enfuirai. De cela il s’en suit : Si je monte au ciel, Tu y es ; si je descends aux enfers, Tu es là. L’ascension au ciel et la descente aux enfers, ce n’est pas la même chose. Il y a ensuite un troisième terme. Si je prends mes ailes avant l’aurore, et que j’aille habiter aux extrémités de la mer, c’est Ta Main qui m’y conduira, et Ta Droite qui me tiendra (vv. 8-10). Désormais, cette voix n’est plus celle d’un homme puisqu’il assume des ailes, qu’il les fait siennes, qu’il passe sa vie à traverser l’océan pour faire se pencher la Main de Dieu, pour saisir la Droite de Dieu ; cela relève davantage de sa nature. Et quel est celui qui émet ces paroles avec assurance ? Le motif même de ces dires le montrera.


Dieu n’est jamais absent de l’Esprit de Dieu ; pour ce qui est de l’homme qui fuit devant la Face de Dieu.

13821 Ainsi, le Dieu Unique-Engendré, manifestant cette reconnaissance d’un respect admiratif porté envers le Père - reconnaissance qui par lui fut rendue admirable et vers laquelle l’un et l’autre état (avant et après l’incarnation) ne peut à lui seul rendre compte de l’une et de l’autre nature -, enseigne en clair cette nature par laquelle il demeure dans l’Esprit et celle par laquelle il se maintient en un corps. Quand il dit en effet : Où irai-je loin de ton Esprit, il indique cet état où le même Esprit demeure dans l’Esprit de la gloire paternelle avant l’assomption de l’homme. Il ne peut en effet être absent en quelque façon de l’Esprit, lui qui est Esprit. Car celui-ci ne peut être trompé, et celui-là ne peut abuser. Et lorsqu’il dit : Où fuirai-je loin de Ta Face ?, il enseigne l’état de la faiblesse assumée par lui dans le temps ; la faiblesse humaine ne souffre pas en effet la rencontre de la Face de Dieu, car il est dit à Moïse : Quel homme pourrait voir ma Face et vivre ? (Ex 33,20). Ce que nous ne pouvons soutenir, nous le fuyons, car il appartient à la faiblesse humaine de fuir la rencontre de l’insoutenable nature. Et certes, elle fuit ce dont elle ne peut soutenir la vision. Mais parce que, selon le prophète (le psalmiste), le visage de Dieu se tourne contre ceux qui font le mal (Ps 33,17), il en est ainsi de la nature humaine qui ne peut fuir le jugement de Dieu signifié par son Visage. Il ne parlait pas en effet comme un pécheur, au point de devoir prendre la fuite, celui qui ignorait le péché ; mais bien qu’il eût auparavant enseigné l’infinité paternelle en Esprit en dehors de toutes choses, maintenant aussi il montre, à partir de sa personne humaine, que l’homme ne peut jamais fuir Dieu.

En tant que Dieu, il monte au ciel ; comme homme, il descend au séjour des enfers.

13822 Suit encore l’exposé du motif des paroles qui sont dites, quand il aura exprimé qu’il est de l’une et l’autre nature par le fait qu’il était et homme et Dieu : Si je monte aux cieux, Tu y es. Cela est le propre de la divinité. Personne en effet ne monte au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel (Jn 3,3). Car la nature du corps terrestre, à moins d’être transformée en gloire céleste, n’obtient pas cette élévation. Si je descends aux enfers, Tu es là. Cette loi est de nécessité humaine, lorsque descendent au séjour des morts les âmes des corps ensevelis. Le Seigneur n’a pas récusé que cette descente portait à son accomplissement le fait qu’il soit véritablement un homme. D’autre part, le où irai-je, et le où fuirai-je, le là Tu y es, et le Tu es ici, porte à confirmer l’enseignement de celui qui est admirable en ce qu’il a fait, pour que soit connu cet enseignement selon lequel Dieu est la cause de toutes choses ; ainsi, bien que l’homme fuie la Face de Dieu parce qu’il ne peut en soutenir la vision, bien qu’il descende par la loi de la mort du ciel aux enfers, cependant Dieu est partout, et toujours, et en tout.


Ce qui concerne la condition glorieuse du Christ.

13823 Parce que, par ces réalités énoncées plus haut, il a indiqué distinctement, à propos du genre de nature, qu’il était de l’une et de l’autre, à savoir de Dieu et de l’homme, il désigne une unité de nature d’un troisième genre désormais réalisée en lui, lorsqu’il dit : Si je prends les ailes de l’aurore et que j’aille habiter aux extrémités de la mer, c’est néanmoins Ta Main qui me conduira, et Ta Droite me tiendra (vv. 9-10). Quand il assuma des ailes, il ne fut plus désormais appesanti par son corps [4]. Quand il prit ses ailes, il enseigne par là que cette puissance de voler a toujours été son fait. Quand il les prit avant que se lève la lumière de l’aurore, il désigne là le temps de sa résurrection. Quand il est aux extrémités de la mer, c’est dire par là que Dieu quitta les espaces de son séjour humain sur terre. Quand il est conduit par la Main, il ne craint pas. Quand il est tenu par la Droite de Dieu, il n’est pas changé, ni ne tombe en s’écroulant :Dieu lui a donné en effet le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’en son nom tout genou fléchisse au ciel, sur terre, et aux enfers, et que toute langue proclame que Jésus est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père (Ph 2,9-11). Car, en ce nom qui lui est donné et qui est au-dessus de tout nom, l’homme accueilli est assumé par la Main et la Puissance du Dieu Père, dans sa propre gloire.

Les "ailes" signifient la force de voler vers le ciel après la résurrection.

13824 Cependant, les ailes renvoient au changement des corps terrestres en une nature spirituelle et éternelle ; l’autorité prophétique l’exprime, lorsqu’il est dit à l’adresse de l’indigent dans la foi et du pauvre en bonnes oeuvres : Quand tu es pauvre, ne te fatigue pas à vouloir être riche ; abstiens-toi d’investir ta pensée dans cette quête ; en effet, elle (la richesse) a préparé pour le pauvre des ailes comme l’aigle, et il retournera dans la Maison de Celui qui y préside (Pr 23,5). Il réfute le pauvre qui se fatigue dans l’espoir des richesses ; il met en balance la misère du manque de foi de ce pauvre et l’opulence des croyants. En effet, le riche - non en fortunes humaines mais en trésors célestes -, se prépare à lui-même des ailes par lesquelles il reviendra dans la Maison de Celui qui y préside. Car il reviendra d’où il est tombé, c’est-à-dire au lieu d’où, par le péché du premier homme, il fut expulsé. Mais qui est donc Celui a qui appartient cette Maison, et qui donc y préside ? Assurément, Celui qui a dit : Amen, je te le dis, aujourd’hui, avec moi, tu seras en Paradis (Lc 23,43). Il (le prophète) mentionne dans un autre endroit, quand il traite de l’éternité maintenant sans faille des spirituels : Ils prennent de l’envergure, tels des aigles (Is 40,31). La nature rendue apte à voler dans le ciel est obtenue par la transformation opérée dans la résurrection. Mais Celui-ci, qui porte des ailes en vue de s’envoler, ces ailes-là ne lui sont pas étrangères, ni d’une nouveauté absolue ; elles lui sont comme anticipées par l’usage d’une mise en pratique de l’être qu’il possédait déjà ; car, après le mystère (sacramentum)de la Passion volontairement assumée, il aura pris en compte les ailes de sa nature et de sa puissance pour s’emporter vers le ciel.

Ici est indiqué, non pas un trouble du Christ, mais une rumeur de trouble.

13825 Fait suite encore une belle ordonnance de paroles relative à l’une et l’autre nature ; parole d’homme assurément, mais aussi de Dieu, qui s’écoule en bon ordre. Cette parole dit en effet :Et j’ai dit : « Peut-être que les ténèbres vont m’ensevelir ? » Cette voix est estimée être la voix de l’homme, parce que, trembler de crainte dans la perspective de la Passion, est apparu à ceux qui étaient soit irréligieux, soit ignorants, comme ne pouvant être attribuée à personne d’autre, comme si cette parole apportait la preuve manifeste d’une crainte éprouvée, sans qu’elle puisse signifier bien davantage : une volonté d’acceptation de la mort sans laisser percer nulle terreur de la part de Celui d’où provenait cette voix. Il ne dit pas en effet : Les ténèbres m’ont enseveli, mais bien : Les ténèbres ne vont-elles pas m’ensevelir ? Il ajoute : par hasard ; à son sujet, une opinion toute humaine le juge chancelant et mal assuré d’une bonne réputation, à cause de quoi il redouterait la descente aux enfers. En fait, il se moque de cette erreur d’appréciation. Si personne, en effet, n’est assuré d’être enseveli dans les ténèbres, par contre, qui ne serait incertain de pouvoir y échapper ?

13826 Pourquoi la Passion est pour le psalmiste un chemin de délices. Le Père avec le Fils : une puissance une et une nature une. Les ténèbres tombent dans l’indifférence.

Comme ce qu’il dit des ténèbres prêtes à l’ensevelir (cf. v. 11a) ne peut être compris du trouble de sa nature, mais aussi comme ce trouble signifierait pour l’intelligence impie un état d’insécurité, il continue aussitôt : Mais la nuit même devient lumière dans mes délices (v. 11b). Comment en effet pourrait-il être enseveli par les ténèbres celui dont la mort future est déjà une illumination dans les délices ? C’est pourquoi, pour le Seigneur, cette Passion concourt aux délices, tandis qu’il brise les portes de bronze, tandis qu’il foule aux pieds les barres de fer, tandis qu’il dépouille toute puissance, tandis qu’il triomphe en lui-même de toutes ces choses, tandis qu’il rachète celui-là même qu’il avait fait à son image, tandis qu’il le restitue dans les délices du Paradis. Donc, dans ces divertissements et délices de la Passion, ce qui est une nuit devient pour lui une lumière. Et eu égard à cette illumination, les ténèbres ne te seront plus obscures (v. 12). Le Père est dans le Fils par l’unité de nature : une similitude de divinité qui ne peut changer ; à preuve, le témoignage des oeuvres. Que le Père soit en lui, le Fils le dit hardiment : Les ténèbres, grâce à Toi, ne seront plus obscures, car nous nous souvenons de la Parole venue du Père : Je serai avec lui dans la tribulation (
Ps 90,15). Et, dans les évangiles, le même Seigneur dit à propos du tremblement de crainte des Apôtres : Voici venir l’heure où chacun de vous sera dispersé, et vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul : car le Père est avec moi (Jn 16,32). Soit par la puissance par laquelle il peut les mêmes choses que le Père, soit par la nature, l’essence et la divinité, par laquelle Dieu est né de Dieu, le Père est avec lui. Avec assurance, il dit donc : Car les ténèbres ne te seront pas obscures (v. 12a). En effet, la puissance immuable ne ressent pas les ténèbres, et la vraie lumière ne souffre pas de la nuit infernale ; suit, en effet : Et la nuit comme le jour illumine : ses ténèbres sont comme sa lumière (v. 12bc). La seule mention de pour toi (ou grâce à Toi), se réfère à plusieurs membres de phrases. C’est pourquoi la nuit fait ses délices, car, comme le jour, elle illumine.Mais elle illumine en tant que ténèbres ; ainsi, comme la lumière, elles viennent aussi de Dieu. Il appartient au puissant créateur des ténèbres de créer la lumière dans les ténèbres. Écoutons l’évangéliste qui enseigne cela : Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres n’ont pu la saisir (Jn 1,5). Il fallait cette grande Puissance pour que la lumière brille dans les ténèbres, ténèbres qui par leurs puissances d’obscurité opérant dans la nuit, n’ont pu saisir la lumière de l’inlassable Lumière.

13827 Afin que l’une et l’autre natures du Christ soient annoncées. L’office (ministériel) du Christ homme. D’où l’aspect redoutable des merveilles qu’il accomplit.

Viennent ensuite les versets 13 et 14 : Car Toi, Seigneur, Tu as pris possession de mes reins ; Tu m’as pris avec Toi dès le sein de ma mère. Je Te confesserai pour les merveilles redoutables que Tu as faites.
Il (le Psalmiste qui est le Christ) tient encore maintenant l’ordonnancement de l’une et l’autre signification afin de se dire, dans son enseignement, homme et Dieu. En effet, comme ses reins étaient possédés par Dieu et qu’il était accueilli dès le sein de sa mère, il nous est indiqué en lui la condition corporelle. Car, dans les reins se trouve la cause de la volupté. Cependant, ces reins-là possédés par Dieu, ne courent plus après les voluptés du corps pour en jouir sans retenue. Et celui qui est reçu dès le sein de sa mère, ne se porte pas vers les oeuvres du siècle étant reçu par Dieu. Donc, toute sa volonté et son labeur est d’annoncer le Père. Ce sont en effet ces oeuvres-là que, par l’homme assumé, il accomplit. Mais lorsqu’il dit : Je Te confesserai pour les merveilles redoutables que Tu as faites (v. 14a), il rend toute confession en l’admiration redoutable le concernant à la gloire de sa divine substance. S’il est émerveillé, c’est à cause du fait que Dieu possède ses reins, qu’Il l’a pris avec Lui dès le sein de sa mère. Le fait de savoir que sa volonté et son agir fussent dédiés à Dieu, le porte à s’émerveiller devant la prodigieuse réalité. Cependant, c’est dans la redoutable saisie du prodige qu’il s’émerveille, tandis qu’à l’Heure de la croix les ténèbres apparaissent, tandis que la terre tremble, que les rochers se brisent, que les tombeaux s’ouvrent, que les morts resurgissent dans la vie, que, toutes portes closes, il s’approche du lieu qu’il est le seul à pouvoir pénétrer et qu’il se tient là ; tandis qu’il est enlevé aux cieux, que les Apôtres des nations parlent en langues, que leur seule ombre guérit les maladies, qu’aux demandes du boiteux à la recherche d’une pièce de monnaie lui est donné de courir ; tandis qu’il rend la malheureuse morte [5] à ses aumônes, que les persécuteurs se font prédicateurs, que l’on chante dans la prison et que les chaînes se rompent ; tandis que dans le martyre le Christ est aperçu dans les cieux par le martyr ; tandis qu’enfin, en ce lieu où il est élevé de corps, il s’assoie à la droite de Dieu, dans la gloire de qui il demeure pour toujours.

Le Fils du Père, bien que ne lui étant pas inégal en puissance, lui remet tout ce qui est sien.

13828 Cependant, le Fils reporte sur l’oeuvre du Père à la volonté duquel il a obéi, toute cette dignité au sujet de laquelle il est redoutablement émerveillé, disant : Admirables sont tes oeuvres et mon âme le sait au-delà de ce qu’elle peut en saisir (v. 14bc). Que sont redoutables en effet, dit-il, Tes merveilles : c’est Ton oeuvre ! Et, dans les évangiles, la même appréciation est portée lorsqu’à une manifestation de sa puissance, il s’exclamera : Tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement (Jn 5,19) ; et encore : Comme le Père vivifie les morts, ainsi le Fils vivifie qui il veut (Jn 5,21) ; cependant il reporte sur le Père la dignité de toutes les oeuvres lorsqu’il dit : Le Fils ne peut rien faire par lui-même, si ce n’est ce qu’il aura vu le Père accomplir (Jn 5,19). Il soumet toute attestation de puissance à son sujet, par honneur révérenciel, à celui dont il fait mémoire de tout ce qui doit être confessé ; non qu’il ne puisse prendre pour soi ce qu’il possède - des oeuvres semblables à celles du Père -, mais il montre celui-ci comme étant Celui par qui il peut réaliser des oeuvres semblables. Donc, ces oeuvres-là, par lesquelles il est redoutablement émerveillé, il lui est possible de les causer par l’effet de sa propre puissance. Cependant, il les soumet toutes aux oeuvres du Père, disant : Admirables sont Tes oeuvres, et mon âme le sait, d’une façon qui la dépasse (v. 14c).
Cette voix n’est pas celle de la faiblesse humaine pour qu’elle lance l’affirmation de se reconnaître oeuvre de Dieu qui la dépasse. Cela ne convient qu’à celui-là seul qui dit : Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils (Mt 11,27). Il connaît en effet, non pas d’une façon quelconque, non pas légèrement ; mais très fortement, avec cette assurance confiante par lesquelles il dit : Le Père est en moi, et je suis dans le Père (Jn 10,38). En disant ce très fortement, il indique la perfection de la science de connaissance intime qu’il possède.


Hilaire Psaumes 13808