I-II (trad. Drioux 1852) Qu.13 a.6


QUESTION XIV : DU CONSEIL QUI PRÉCÈDE L'ÉLECTION.


Nous avons maintenant h nous occuper du conseil. — A ce sujet six questions se présentent: lu Le conseil est-il une recherche? — 2° A-t-il pour objet la fin ou seulement les moyens? — 3° N'a- t-il pour objet que cequenous faisons? — 4° Embrasse-t-il toutce quenous faisons ?—5° Procéde-t-il d'après un ordre résolutif? — 6° Procède-t-il indéfiniment?

ARTICLE I. —LE CONSEIL EST-IL UNE RECHERCHE (1)?


(1) Le conseil est la cause de l'élection. Avant de juger ce que l'on doit choisir, il est nécessaire que l'on délibère, et que la raison se livre à des recherches. C'est ce que saint Thomas veut établir dans cet article.

Objections: 1.. 11 semble que le conseil ne soit pas une recherche. Car saint Jean Damascène dit (De or th. fid. lib. h, cap. 22) que le conseil est l'appétit. Or, il n'appartient pas à l'appétit de faire des recherches. Donc le conseil n'en est pas une.

2.. C'est à l'intellect discursif qu'il appartient de rechercher et de questionner ; par conséquent cet attribut ne convient pas à Dieu dont la connaissance n'est pas discursive, comme nous l'avons dit (part. I, quest. xiv, art. 7). Or, l'Ecriture attribue à'Dieu le conseil. Car l'Apôtre dit (Ephes. i, 41) : qu'il opère toutes choses selon le conseil de sa volonté. Donc le conseil n'est pas une recherche.

3.. La recherche porte sur ce qui est douteux. Or, le conseil a pour objet des biens qui sont certains, selon celte parole de saint Paul (I. Cor. vu, 25) : A l'égard des vierges je n'ai pas de précepte à vous donner de la part du Seigneur, mais je vous donne un conseil. Donc le conseil n'est pas unerecherche.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Némésius dit (De nat. hom. cap. 34) : Tout conseil est une question, mais toute question n'est pas un conseil.

CONCLUSION. — Le conseil est une recherche de la raison qui précède le jugement qu'elle porte sur ce que nous devons choisir.

Réponse Il faut répondre que l'élection, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 4), résulte du jugement que la raison porte sur ce que nous devons faire. Or, à l'égard des choses que l'on doit faire il y a beaucoup d'incertitude. Car les actions se rapportent àdes choses contingentes qui sont très-incertaines à cause de l'inconstance de leur nature. Et comme dans les choses douteuses et incertaines la raison ne porte pas de jugement sans une recherche préalable, il est nécessaire que cette recherche précède le jugement que la raison doit porter sur ce que nous devons choisir. C'est à cette recherche qu'on donne le nom de conseil, et c'est ce qui fait dire à Aristote (Eth. lib. m, cap. 3) que l'élection est un désir réfléchi (2), ou l'appétit préalablement éclairé par le conseil.

(2) Aristote en donne la preuve en ajoutant : que le jugement étant le résultat de la délibération, notre désir est alors l'effet de la réflexion.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quand les actes de deux puissances sont ordonnés l'un par rapport à l'autre, il y a dans chacun de ces actes quelque chose qui appartient aux deux puissances-, c'est pourquoi ils peuvent l'un et l'autre tirer leur dénomination de chacune d'elles. Or, il est évident que l'acte de la raison qui dirige l'homme à l'égard des moyens et l'acte de la volonté qui suit sous ce rapport l'impulsion de la raison sont ordonnés l'un par rapport à l'autre. C'est ce qui l'ait que dans l'élection qui est l'acte de la volonté il y a quelque chose de rationnel, et que dans le conseil qui est l'acte de la raison il y a quelque chose de volontaire. Ce qu'il y a de rationnel dans l'élection c'est l'ordre, et ce qu'il y a de volontaire dans le conseil c'est la matière (4). Car le conseil a pour objet ce que l'homme veut faire, et il en est comme le motif, parce que du mêment où l'homme veut la fin il est porté à prendre conseil sur les moyens. C'est pourquoi Aristote áil(Eth. lib. vi) que l'élection est l'intellect appétitif pour montrer que la raison et la volonté y contribuent, et que saint Jean Damascène dit que le conseil est un appétit rationnel pour indiquer qu'il appartient d'une part à la volonté qui est l'objet et la matière des recherches qu'il suppose, et de l'autre à la raison qui est l'auteur même de ces recherches.

(1) Saint Thomas a déjà fait ressortir (quest. xiii, art. I) que ce qu'il y a de formel dans l'élection est propre à la raison.

2. Il faut répondre au second, que toutes les choses que nous affirmons de Dieu nous devons comprendre qu'elles sont exemptes de tous les défauts et de toutes les imperfections qu'elles ont en nous. Ainsi nous avons la science des conséquences, mais nous ne l'obtenons que discursivement en allant des causes aux effets. Au contraire, cette science en Dieu implique une certitude parfaite qui provient de la connaissance.qu'ilade tous les effets dans leur cause première, et elle ne suppose aucun procédé discursif. De même on attribue à Dieu le conseil en raison de la certitude de ses arrêts et de ses jugements. Nous obtenons cette certitude à force de recherches, mais Dieu n'a pas besoin d'avoir recours à ces moyens. C'est pourquoi le conseil pris en ce sens ne convient pas à Dieu, et c'est ce qui fait dire à saint Jean Damascène (De fid. lib. n, cap. 22) que Dieu ne prend pas conseil, parce qu'il n'y a réellement que celui qui ignore qui soit obligé de délibérer.

3. Il faut répondre au troisième, que rien n'empêche que des biens qui sont très-certains au jugement des sages et des hommes spirituels ne paraissent pas tels au vulgaire et aux hommes charnels. C'est ce qui fait qu'à ce sujet on donne des conseils.


ARTICLE II. — le conseil a-t-il pour objet la fin ou seulement les moyens?


Objections: 1.. Il semble que le conseil ait pour objet non-seulement les moyens, mais encore la fin. Car on peut faire des recherches sur toutes les choses qui paraissent douteuses. Or, par rapport aux actions de l'homme il y a doute non-seulement sur les moyens, mais encore sur la fin. Donc puisque le conseil consiste à examiner ce que l'on doit faire, il semble qu'il peut se rapporter à la fin aussi bien qu'aux moyens.

2.. Les actions humaines forment la matière du conseil. Or, il y a des actions humaines qui sont des fins, comme le dit Aristote (Eth. lib. i, in princ. cap. 1). Donc le conseil peut avoir pour pbjet la fin.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Némésius dit (De nat. hom. cap. 34) : Le conseil porte sur les moyens, mais jamais sur la fin.

CONCLUSION. — Le conseil étant une recherche de la raison touchant ce que l'on doit faire, il ne porte que sur les moyens et jamais sur la tin, à moins qu'il ne s'agisse d'une lin secondaire qui se rapporte à une fin ultérieure.

Réponse II faut répondre que dans les choses pratiques la fin a la nature du principe, parce que les raisons des moyens se prennent toujours de la fin. Or, on ne met jamais un principe en question ; mais dans toute recherche il faut toujours qu'on suppose les principes admis. Par conséquent le conseil étant une question il ne porte pas sur la fin, mais seulement sur les moyens. Cependant ce qui est fin relativement à certains objets peut se rapporter à une autre fin, comme le principe d'une démonstration peut être la conclusion d'une autre. Ainsi ce qu'on prend pour une fin dans une recherche peut être considéré comme un moyen dans une autre, et devenir à ce titre l'objet du conseil.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce que l'on admet comme fin est déjà déterminé; par conséquent tant qu'une chose paraît incertaine on ne la considère pas comme une fin. C'est pourquoi si elle est l'objet du conseil, le conseil ne porte pas pour cela sur une fin, mais sur un moyen.

2. Il faut répondre au second, que le conseil ne porte sur les actions humaines qu'autant qu'elles regardent une fin quelconque. Par conséquent si une action humaine est une fin, le conseil ne peut l'avoir comme telle pour objet.


ARTICLE III. —LE CONSEIL NE PORTE-T-IL QUE SUR CE QUE NOUS FAISONS?


Objections: 1.. Il semble que le conseil ne porte pas seulement sur nos actions. Car le conseil implique une conférence ou une conversation quelconque. Or, cette conférence peut avoir lieu entre plusieurs personnes sur des choses immuables dont nous ne sommes pas les auteurs, comme la nature des êtres. Donc le conseil n'a pas seulement pour objet nos actions.

2.. On peut demander conseil sur ce que la loi défend; de là est venu le nom de jurisconsulte. Or, ceux qui demandent ces conseils ne sont pas les auteurs de laloi. Donc le conseil n'a pas seulement pour objet nos propres actions.

3.. Il y en a qui consultent sur des événements futurs qui ne sont pas en notre pouvoir. Donc le conseil n'a pas seulement pour objet ce que nous faisons.

4.. Si le conseil ne portait que sur nos actions, personne ne consulterait à l'égard de ce que doit faire un autre. Or, cette conséquence est évidemment fausse. Donc le conseil n'a pas seulement pour objet ce que nous faisons.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Némésius dit (De nat. hom. cap. 34) que nous consultons sur les choses qui sont en nous et sur celles que nous pouvons faire.

CONCLUSION. — Le conseil supposant, à proprement parler, une conférence entre plusieurs personnes sur des choses particulières et contingentes que nous faisons et que nous pouvons faire, il porte sur ce que nous faisons en vue d'une fin.

Réponse Il faut répondre que le conseil, comme le mot l'indique, implique, à proprement parler, une conférence qui se tient entre plusieurs personnes. Car le mot consilium est pour considium, et il exprime une assemblée où plusieurs siègent (consident) pour conférer ensemble. Or, il est à remarquer que quand on veut parvenir à une connaissance certaine sur des choses particulières et contingentes, il y a plusieurs conditions ou circonstances à observer. Un seul homme ne peut pas facilement les embrasser toutes; mais on est plus sûr de les découvrir complètement quand on est plusieurs, parce que l'un voit ce que l'autre ne voit pas. Quand il s'agit des choses nécessaires et universelles, l'étude en est plus simple et plus absolue, et il peut arriver plutôt qu'un seul homme puisse par lui-même suffire à cette sorte d'étude. C'est ce qui fait que le conseil porte, à proprement parler, sur ce qui est contingent et individuel. La connaissance de la vérité, dans l'ordre pratique, n'a pas un caractère de grandeur qui la fasse rechercher pour elle-même comme la connaissance des choses universelles et nécessaires.

On no la recherche qu'en raison de ce qu'elle est utile pour l'action, parce que les actions se rapportent toujours à ce qui est contingent et individuel. C'est pour ce motif qu'on doit dire que le conseil porte, à proprement parler, sur nos actions.


Solutions: 1. 11 faut répondre au premier argument, que le conseil n'implique pas une conférence quelconque, mais une conférence qui a pour objet ce que l'on doit faire, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que ce que la loi établit, bien que ce ne soit pas l'oeuvre de celui qui demande un conseil, c'est cependant une lumière qui Je dirige dans ses opérations. Car le seul motif qui le fait agir c'est ce que la loi prescrit.

3. 11 faut répondre au troisième, que le conseil n'a pas seulement pour objet ce que l'on fait, mais encore ce qui se rapporte à l'action. C'est pourquoi on consulte les événements futurs, parce que selon la connaissance qu'il a de l'avenir l'homme décide ce qu'il doit faire et ce qu'il ne doit pas faire.

4. Il faut répondre au quatrième, que nous consultons pour les autres suivant qu'ils ne font en quelque sorte qu'un même être avec nous: soit que nous leur soyons unis d'affection (c'est ainsi qu'un ami s'inquiète des affaires de son ami comme des siennes), soit qu'ils nous servent d'instruments. Car l'agent principal et l'agent instrumental ne forment en quelque sorte qu'une seule et même cause, puisque l'un agit par l'autre. C'est ainsi que le maître consulte à l'égard de ce que doit faire son serviteur.


ARTICLE IV. — LE CONSEIL A-T-IL POUR OBJET TOUT CE QUE NOUS FAISONS ?


Objections: 1.. Il semble que le conseil ait pour objet tout ce que nous devons faire. Car l'élection résulte, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.) de l'appétit préalablement éclairé par le conseil. Or, l'élection a pour objet tout ce que nous faisons. Donc le conseil aussi.

2.. Le conseil suppose une recherche rationnelle. Or, dans toutes les choses que nous ne faisons pas d'après l'impétuosité de la passion nous procédons d'une manière logique et rationnelle. Donc le conseil a pour objet tout ce que nous faisons.

3.. Aristote dit (Eth. lib. m, cap. 3) que quand on peut faire une chose par plusieurs moyens on consulte pour savoir lequel est le plus facile et le meilleur, et que quand on ne peut la faire que par un seul moyen on consulte encore pour savoir de quelle manière. Or, tout ce qu'on fait se faitpar plusieurs moyens ou par un seul. Donc le conseil a pour objet toutes les actions que l'on fait.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Némésius dit (Denat.hom. cap. 34) qu'on ne prend pas conseil pour les oeuvres de science ou d'art.

CONCLUSION. — On ne consulte pas sur les points que la science ou l'art ont décidé ou qui sont de peu d'importance, mais seulement sur les objets qui sont sérieux et qui offrent de l'incertitude ou du doute.

Réponse Il faut répondre que le conseil, comme nous l'avons dit (art. 1), est une certaine recherche. Or, nous avons coutume de faire des recherches sur les choses qui nous semblent douteuses; c'estee qui fait que l'argumentation a pour objet de rendre certain ce qui est douteux. Dans les choses pratiques il arrive qu'il n'y a pas liende douter pour deux raisons : D'Quand on marche vers une fin déterminée par des voies qui le sont aussi, comme il arrive dans les arts dont le mode d'opération est certain. Ainsi, un écrivain ne demande pas comment il doit tracer ses lettrés; parce que c'est une chose déterminée par l'art. 2° On ne doute pas non plus quand il importe peu qu'une chose soit d'une manière ou d'une autre. Et on regarde comme de peu d'importance toutes les circonstances qui ne sont pas de nature à aider ou à entraver beaucoup l'action d'un être vers sa fin. La raison regarde même comme nulles les choses qui n'ont presque pas de gravité (i). Ainsi, nous ne consultons pas en ces deux circonstances, quoiqu'elles aient rapport à la fin, comme le dit Aristote (Eth. lib. m, cap. 3). Nous ne prenons pas conseil pour les petites choses, ni pour celles qu'on doit produire d'une manière positivement déterminée, comme tous les ouvrages d'art. Il n'y a d'exception que pour les sciences conjecturales, comme la médecine, le commerce, etc.

(1) C'est 1 axiome : Parum pro nihilo reputatur, sur lequel on revient souvent en morale.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'élection présuppose le conseil par rapport au jugement ou à la sentence. Par conséquent, quand le jugement ou la sentence est manifeste par elle-même sans aucune recherche, on n'a pas besoin d'avoir recours au conseil.

2. Il faut répondre au second, que la raison ne fait pas de recherche à l'égard des choses évidentes, mais qu'elle juge immédiatement. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire quedans toutes les actions rationnelles le conseil intervienne.

3. Il faut répondre au troisième, que quand on peut faire une chose par un seul moyen, mais de différentes manières, il peut y avoir doute, comme quand on peut faire une chose par plusieurs moyens. C'est pour ce motif qu'en ce cas on a besoin de conseil. Mais quand la chose et le mode sont l'un et l'autre positivement déterminés, alors il n'y a plus lieu de consulter.

ARTICLE V. — LE CONSEIL PROCÈDE-T-IL D'UNE MANIÈRE RÉSOLUTIVE (2)?


(2) On distingue deux sortes de procédés ou de recherches, celle qui est résolutive et celle qui est composée. La recherche est composée quand on va des causes aux effets, parce qu'on commence par la cause, qui est une chose simple, pour arriver'aux effets, qui sont une chose composée. La recherche est au contraire résolutive quand on part des effets pour arriver à leur cause ; cequia lieu danslc conseil,parce quenous sortons de la fin, qui est le principe de nos actions, pour arriver aux moyens.

Objections: 1.. Il semble que le conseil ne procède pas d'une manière résolutive. Car le conseil a pour objet ce que nous faisons. Or, nos actions ne procèdent pas d'une manière résolutive, mais plutôt d'une manière composée; c'est-à-dire qu'elles vont du simple au composé. Donc le conseil ne procède pas toujours d'une manière résolutive.

2.. Le conseil est une recherche rationnelle. Or, la raison part des choses qui sont les premières pour arriver aux dernières selon l'ordre le plus rigoureux. Ainsi donc, le passé étant avant le présent et le présent avant l'avenir, il semble que dans le conseil on doive aller du présent et du passé à l'avenir, ce qui n'appartient pas à l'ordre résolutif. Donc le conseil ne procède pas d'après cet ordre.

3.. Le conseil ne porte que sur ce qui nous est possible, comme le dit Aristote (Eth. lib. m, cap. 3). Or, nous jugeons qu'une chose nous est possible suivant que nous pouvons ou que nous ne pouvons pas l'atteindre. Donc il est nécessaire que le conseil parte du présent dans ses investigations.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Aristote dit (Eth. lib. m, cap. 3) que celui qui consulte paraît questionner et résoudre.

CONCLUSION. — Puisque le conseil commence par la fin, qui est la première dans l'intention et la dernière dans l'exécution, on dit avec raison qu'il procède d'après un ordre résolutif.

Réponse Il faut répondre que dans toute recherche on doit commencer par un principe. Si ce principe est le premier dans l'être comme il est le premier dans la connaissance, l'ordre que l'on suit alors n'est pas résolutif, mais il est plutôt composé. Car quand on va de la cause à l'effet l'ordre est composé puisque les causes sont plus simples que les effets. Mais si le principe qui est le premier dans la connaissance est le dernier dans la réalité, la marche qu'on suit est résolutive, puisque nous jugeons des effets qui sont évidents en les résolvant dans leurs causes. Or, le conseil prend pour principe la fin qui est la première dans l'intention et la dernière dans la réalité ou l'exécution. Ainsi, il faut que le conseil procède d'après un ordre résolutif, c'est-à-dire qu'on doit partir de ce qu'on se propose pour l'avenir jusqu'à ce qu'on arrive à ce que l'on doit faire immédiatement.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le conseil a pour objet les actions, mais que la raison des actions se prend de la fin. C'est pourquoi le raisonnement qui a pour objet les actions suit un ordre contraire à celui que nous observons en agissant.

2. Il faut répondre au second, que la raison commence par ce qui est antérieur rationnellement, mais elle ne commence pas toujours par ce qui aune priorité de temps.

3. Il faut répondre au troisième, qu'à l'égard de ce que nous devons faire en vue d'une lin, nous ne chercherions pas à savoir si une chose est possible, si nous ne savions préalablement qu'elle est en harmonie avec la fin que nous nous proposons. C'est pourquoi, avant d'examiner si une chose est possible, il faut auparavant rechercher si elle est en rapport avec la fin qu'on veut atteindre.


ARTICLE VI. — LE CONSEIL EST-IL INDÉFINI DANS SES RECHERCHES?


Objections: 1.. Il semble que le conseil soit indéfini dans ses recherches. Car le conseil est une recherche qui a pour objet les choses particulières dans lesquelles consiste l'action. Or, les choses particulières sont infinies. Donc les recherches auxquelles le conseil se livre le sont aussi.

2.. Dans ses recherches le conseil examine non-seulement ce qu'on doit faire, mais encore comment on peut lever les obstacles qu'on rencontre. Or, toutes les actions humaines sont sujettes à une infinité d'obstacles, et chacun de ces obstacles peut être levé par la raison. Donc à l'égard des obstacles qu'on doit lever il y a une infinité de recherches à faire.

3.. La science démonstrative ne fait pas de recherches à l'infini, parce qu'elle part de principes qui sont connus par eux-mêmes cl qui sont absolument certains. Or, on ne peut avoir cette certitude à l'égard des choses individuelles et contingentes qui sont variables et incertaines. Donc le conseil se livre à des recherches indéfinies.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Aucun être ne tend à une chose à laquelle il'lui est impossible de parvenir, comme le dit Aristote (De coel. lib. i, text. 58). Or, il est impossible d'arriver à l'infini. Donc si leconseil se livrait à des recherches infinies, personne n'entreprendrait de consulter.Ce qui est évidemment faux.

CONCLUSION. —Le conseil ne se livre ades rechí*>"«hes infiniesqu'en puissance, car en acte, ses recherches sont limitées du oôté de leur principe aussi bien que de leur terme.

Réponse 11 faut répondre que le conseil est lini dans ses recherches quant à son principe et quant à son terme. En effet, ses recherches ont un double principe : l'un qui est propre et qui est du genre même des choses pratiques • c'est la fin, qui n'est pas l'objet du conseil, mais que le conseil suppose comme son principe, ainsi que nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.). L'autre est pris en quelque sorte d'un autre genre. C est ainsi que dans les sciences démonstratives une science suppose des données qui lui sont fournies par une autre science, et sur lesquelles elle ne fait pas de recherche. Or, ces principes que le conseil suppose dans ses recherches sont tous les objets que les sens nous font connaître, comme le pain, le fer, etc., et tout ce que nous apprenons eu général par les sciences spéculatives ou pratiques, comme ces propositions : Dieu défend la fornication; l'homme ne peut vivre s'il n'a des aliments convenables. Sur ces divers points il n'y a pas de recherches à faire. — Les recherches ont pour terme ce qu'il est en notre pouvoir de faire immédiatement. Car, comme la fin est de la nature du principe, de même ce que l'on fait en vue de la fin est de la nature de la conséquence. Par conséquent, quand ce qu'on doit faire se présente à l'esprit, cette pensée a le caractère d'une dernière conséquence après laquelle il n'y a plus lieu de faire des recherches. Mais rien n'empêche que le conseil ne soit infini en puissance, parce qu'il y a une infinité de choses qui peuvent être l'objet d'un conseil.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les objets individuels ne sont pas infinis en acte, mais en puissance.

2. Il faut répondre au second, que quoique l'action de l'homme puisse être entravée, elle ne rencontre cependant pas toujours un obstacle qui l'arrête. Par conséquent, on n'est pas toujours forcé de consulter sur un obstacle à écarter.

3. Il faut répondre au troisième, que pour les choses individuelles et contingentes on peut arriver à une certitude qui n'est pas absolue à la vérité, mais qui est relative au mêment présent, et qui suffit dans la pratique. Car il n'est pas nécessaire que Socrate soit assis, mais du mêment qu'il est assis il est nécessaire qu'il le soit. C'est un fait dont on peut être certain.

QUESTION XV. : DU CONSENTEMENT.


Apres avoir parlé du conseil nous devons nous occuper du consentement qui est un acte de la volonté également en rapport avec les moyens. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Le consentement est-il un acte de la puissance appétitive ou de la puissance intellectuelle? — 9." Le consentement existe-t-il chez les animaux? — 3° A-t-il pour objet la fin ou les moyens? — 4° Le consentement à l'acte n'appartient-il qu'à la partie supérieure de l'àme?

ARTICLE I. — LE CONSENTEMENT EST-IL UN ACTE DE LA PUISSANCE APPÉTITIVE OU DE LA PUISSANCE INTELLECTUELLE?


Objections: 1.. Il semble que le consentement n'appartienne qu'à la partie intellectuelle de l'âme. Car saint Augustin attribue (De Trin. lib. xu, cap. 42] le consentement à la raison supérieure. Or, la raison désigne la faculté qui perçoit. Donc le consentement appartient à cette faculté.

2.. Consentir, c'est sentir en même temps (cum sentire). Or, le sentiment appartient à la puissance qui perçoit. Donc le consentement aussi.

3.. Comme l'assentiment suppose l'adhésion de l'intellect à une chose, de même aussi le consentement. Or, l'assentiment appartient à l'intellect, qui est la faculté qui perçoit. Donc le consentement également.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. n, cap. 22) que si l'on juge et qu'on n'aime pas il n'y a pas de consentement. Or, l'amour appartient à la puissance appétitive. Donc le consentement aussi.

CONCLUSION. — Consentir signifiant sentir avec, en même temps, et impliquant une certaine union entre le sujet et l'objet consenti, le consentement doit être plutôt considéré comme l'acte de la faculté appétitive dont le caractère propre est de tendre vers un autre objet que comme l'acte de la faculté intellectuelle.

Réponse Il faut répondre que le consentement implique l'adhésion des sens à une chose. Or, le propre des sens c'est de connaître les objets présents. Car l'imagination perçoit les images corporelles même quand les choses qu'elles représentent sont absentes, tandis que l'intellect perçoit les raisons universelles et il peut les percevoir indifféremment, en présence comme à l'absence des objets individuels qui s'y rapportent.'Et comme l'acte de la puissance appétitive est une inclination vers l'objet lui-même en raison d'une certaine ressemblance, il arrive de là que l'adhésion de la puissance appétitive à l'objet qu'elle désirait reçoit le nom de sentiment, parce qu'elle est une expérience de la chose à laquelle elle s'attache, selon le degré de complaisance qu'elle y met. C'est ainsi qu'il faut entendre ces paroles de l'Ecriture (Sap. i, 1) : Sentez ou éprouvez le Seigneur dents sa bonté. Par là on voit que sentir ou consentir est un acte de la puissance appétitive.


Solutions: 1. 11 faut répondre au premier argument, que comme le dit Aristote (De anima, lib. in, text. 42) la volonté consiste dans la raison. Par conséquent quand saint Augustin attribue le consentement à la raison, il considère la raison comme renfermant en elle la volonté.

2. Il faut répondre au second, que sentir appartient, à proprement parler, à la puissance intellectuelle (1), mais par l'analogie qu'il a avec l'expérience le consentement appartient à la puissance appétitive, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

(1) Dans ce cas le sentiment n'est rien antre chose que Yopinion qui appartient directement à la première cognitive.

3. Il faut répondre au troisième, que l'assentiment (sentire ad) est un sentiment qui se rapporte à un objet étranger et qui implique par conséquent une certaine distance entre le sujet et l'objet auquel il adhère. Mais le consentement signifie au contraire sentir avec, en même temps, et il implique pour ce motif une certaine union avec l'objet auquel on consent. C'est pourquoi le consentement se rapporte plutôt à la volonté qui a pour fonction de tendre vers les objets, tandis que l'assentiment se rapporte plutôt à l'intellect dont l'action n'est pas de tendre vers les objets, mais de faire tendre les objets vers lui, comme nous l'avons dit (part. I, quest. xvi, art. 1, et quest. xxvn, art. 4 et quest. lix, art. 2), quoiqu'on ait l'habitude d'employer ces mots comme s'ils étaient synonymes. — On peut encore répondre que l'intellect donne son assentiment selon qu'il est mù parla volonté.


ARTICLE II. — le consentement existe-t-il chez les animaux ?


Objections: 1.. 11 semble que le consentement se trouve chez les animaux. Car le consentement implique la détermination de l'appétit à une chose unique. Or, l'appétit des animaux ne se rapporte qu'à un seul et même objet. Donc le consentement existe chez eux.

2.. Quand on rejette ce qui précède on rejette aussi ce qui suit. Or, le consentement précède l'exécution de l'oeuvre. Donc si les animaux n'étaient pas capables de consentement ils ne pourraient pas non plus exécuter quelque chose; ce qui est évidemment faux.

3.. On dit quelquefois que les hommes consentent à agir par passion, soit par concupiscence, soit par colère. Or, lesranimaux agissent par passion. Donc il y a en eux consentement.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. u, cap. 22) que l'homme après avoir jugé dispose et aime ce qu'il a trouvé bon, et c'est ce qu'on appelle consentir. Or, les animaux ne jugent pas. Donc il n'y a pas en eux consentement.

CONCLUSION. — Puisque les an i maux n'appliquent pas leur mouvement appétitif à faire une chose, il est impossible qu'il y ait en eux consentement.

Réponse Il faut répondre que le consentement, à proprement parler, n'existe pas dans les animaux. La raison en est que le consentement requiert l'application du mouvement appétitif pour faire une chose. Or, pour appliquer ce mouvement appétitif à la chose que l'on fait il faut être maître de ce mouvement. Ainsi un bâton peut toucher une pierre, mais pour appliquer un bâton à une pierre il faut avoir le pouvoir de le mouvoir. Les animaux n'étant pas maîtres du mouvement de leur appétit et ce mouvement n'existant en eux que d'une manière instinctive, il s'ensuit qu'ils appètent mais qu'ils n'appliquent pas à une chose leur mouvement appétitif. C'est pourquoi le consentement, à proprement parler, n'existe pas en eux ; il ne se trouve que dans les êtres raisonnables qui sont maîtres du mouvement de leur appétit et qui peuvent l'appliquer ou ne le pas appliquer à une chose ou à une autre.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dans les animaux l'appétit est en effet déterminé à une chose, mais passivement, tandis que le consentement implique une détermination de l'appétit qui est plutôt active que passive.

2. Il faut répondre au second, qu'en rejetant ce qui précède on rejette ce qui suit quand ce qui suit est produit uniquement et exclusivement par ce qui précède. Mais quand une chose résulte de plusieurs causes, il ne s'ensuit pas qu'on la rejette en rejetant l'une des causes qui lui sont antérieures. Par exemple si le froid et le chaud ont la propriété de durcir les corps (car la chaleur durcit la tuile et le froid solidifie l'eau en la congelant); du mêment où l'on éloigne le calorique, il ne s'ensuivra pas que tous les corps cesseront d'être durs. Or, l'exécution d'une oeuvre quelconque résulte non-seulement du consentement, mais encore de l'ardeur de l'appétit tel qu'il existe dans les animaux.

3. Il faut répondre au troisième, que les hommes qui agissent passionnément peuvent ne pas suivre leur passion, tandis qu'il n'en est pas de même des animaux. Il n'y a donc pas de similitude à établir.


ARTICLE III. — le consentement a-t-il pour objet la fin ou les movens ?


Objections: 1.. Il semble que le consentement ait pour objet la fin. Car la fin est ce qu'il y a de principal. Or, nous consentons aux moyens en vue de la fin. Donc à plus forte raison consentons-nous à la fin.

2.. L'action de l'intempérant est sa fin comme l'action de l'homme vertueux. Or, l'intempérant consent à l'acte qui lui est propre. Donc le consentement peut avoir la fin pour objet.

3.. L'appétit qui se rapporte aux moyens est l'élection, comme nous l'avons dit (quest. xiii, art. 3). Si donc le consentement n'avait pour objet que les moyens, il ne paraîtrait différer en rien de l'élection, ce qui est évidemment faux d'après saint Jean Damascène qui dit (De orth. fid. lib. n, cap. 22) qu'après la modification à laquelle il donne le nom de sentence ou de consentement a lieu l'élection. Donc le consentement n'a pas seulement rapport aux moyens.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Car saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. n, cap. 22) dit qu'il y a sentiment ou consentement quand l'homme dispose et aime ce qu'il a jugé bon d'après son conseil. Or, le conseil n'a pour objet que les moyens. Donc le consentement ne va pas au delà.

CONCLUSION. — Puisque le consentement, à proprement parler, n'est que l'application du mouvement appétitif à ce que le conseil a décidé et que le conseil n'a pour objet que les moyens, il est constant que le consentement proprement dit ne s'étend pas lui-même au delà.

Réponse Il faut répondre que le consentement est l'application du mouvement appétitif à quelque chose de préexistant qui est au pouvoir de celui qui l'applique. Or, dans la pratique il faut d'abord percevoir la fin, puis la désirer, puis prendre conseil sur les moyens et enfin désirer les moyens eux-mêmes. Comme l'appétit tend naturellement à sa fin dernière, il s'ensuit que l'application du mouvement appétitif à la fin perçue n'a pas le caractère d'un consentement, mais d'une simple volonté. Quant aux fins secondaires qui sont subordonnées à la fin principale, elles sont à titre de moyens l'objet du conseil. Le consentement peut alors porter sur elles en ce sens que le mouvement appétitif s'applique à ce que le conseil a jugé. Mais le mouvement de l'appétit vers la fin n'est pas appliqué au conseil, c'est plutôt le conseil qui lui est appliqué, parce que le conseil présuppose l'appétit de la fin, tandis que l'appétit des moyens présuppose la détermination du conseil. C'est pourquoi l'application du mouvement appétitif à l'objet que le conseil a déterminé constitue, à proprement parler, le consentement. Et comme le conseil ne se rapporte qu'aux moyens il s'ensuit que le consentement, à proprement parler, ne se rapporte pas non plus à autre chose.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que comme nous connaissons les conséquences par les principes, et que la connaissance de ces derniers n'est pas la science, mais quelque chose de plus, l'intelligence \ de même nous consentons aux moyens en vue de la fin, et ce n'est pas le consentement qui se rapporte à la fin, mais quelque chose de plus, c'est-à-dire la volonté.

2. Il faut répondre au second, que l'intempérant a pour fin la délectation qu'il trouve dans son action, et c'est pour cette délectation qu'il consent à l'action plutôt que pour l'action elle-même.

3. Il faut répondre au troisième, que l'élection ajoute au consentement une relation par rapport à l'objet en faveur duquel on fait une préférence \ c'est pourquoi après le consentement donné il y a encore lieu à l'élection. Car il peut arriver que le conseil découvre plusieurs moyens pour arriver à une fin ; si tous ces moyens paraissent bons on peut consentir à chacun d'eux ; mais parmi plusieurs moyens qui conviennent nous pouvons en préférer un, et c'est le fait de l'élection. Dans le cas où il n'y aurait qu'un seul moyen qui convînt, le consentement et l'élection ne différeraient pas en réalité, mais seulement d'une manière rationnelle. Le consentement se rapporterait à la chose considérée au point de vue de la convenance, et l'élection établirait une préférence entre cette chose et celles qui ne plairaient pas.



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.13 a.6