I-II (trad. Drioux 1852) Qu.20 a.1


ARTICLE II. — LA BONTÉ OU LA MALICE DE L'ACTE EXTÉRIEUR DÉPEND-ELLE TOUT ENTIÈRE DE LA BONTÉ ET DE LA MALICE DE LA VOLONTÉ?


Objections: 1.. Il semble que la bonté et la malice de l'acte extérieur dépende tout entière de la volonté. Car il est dit en saint Matthieu (Matth, vu, 48) : Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, et un mauvais arbre ne peut en produire de bons. Or,d'après saint Augustin [Cont. Jul. lib. i, cap. 8), l'arbre désigne la volonté, et le fruit les oeuvres. Donc il ne peut se faire que la volonté intérieure soit bonne et l'acte extérieur mauvais, ou réciproquement.

2.. Saint Augustin dit (Retract, lib. i, cap. 9) qu'on ne pèche que par la volonté. Par conséquent, s'il n'y a pas de péché dans la volonté il ne peut y en avoir dans l'acte extérieur. C'est pourquoi la bonté ou la malice de l'acte extérieur dépend de la volonté.

3.. Le bien et le mal dont nous parlons maintenant différencient les actes moraux. Or, les différences divisent par elles-mêmes le genre, d'après Aristote (Met. lib. vu, text. 43). Donc puisque l'acte est moral par là même qu'il est volontaire, il semble que le bien et le mal n'existent que dans l'acte par rapport à la volonté.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. cont. mené. cap. 7), qu'il y a des actes que ni la bonne intention ni la bonne volonté ne peuvent rendre bons.

CONCLUSION. — La bonté et la malice de l'acte extérieur selon ses rapports avec la fin dépend tout entière de la bonté et de la malice de la volonté, tandis que celle qui résulte des circonstances est produite par la raison.

Réponse Il faut répondre q'ae, comme nous l'avons dit (art. préc), la bonté ou la malice peut se considérer de deux manières dans l'acte extérieur. 4° On peut la considérer |n elle-même, c'est-à-dire dans sa matière et dans ses circonstances. 2° On peut la considérer dans ses rapports avec la fin. Celle qui se rapporte à la fin dépend tout entière de la volonté ; tandis que celle qui résulte de la matière ou des circonstances dépend de la raison -, et la volonté en dépend suivant qu'elle se porte vers elle (2). Mais on doit observer que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. G ad 4 ), pour qu'une chose soit mauvaise il suffit d'un seul défaut; tandis que pour qu'elle soit absolument bonne ce n'est pas assez qu'elle soit bonne sous un rapport, il faut encore qu'elle le soit entièrement. Si donc la volonté est bonne d'après son objet propre et d'après sa fin, l'acte extérieur doit être conséquemment bon lui-même. Mais il ne suflit pas pour que l'acte extérieur soit bon que la volonté soit bonne dans son intention; car si elle est mauvaise soit dans son intention, soit par rapport à son objet, il en résulte que l'acte extérieur est mauvais (1).

(2) Ainsi la volonté est bonne ou mauvaise, suivant que son objet est bon ou mauvais lui-même, comme nous l'avons dit précédemment.

(1) Ainsi faire l'aumône par vaine gloire, c'est un acte extérieur qui pèche par l'intention, et qui est par là même mauvais.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le bon arbre signifie la bonne volonté, c'est-à-dire celle qui est bonne sous le rapport de l'acte qu'elle veut et de la fin qu'elle se propose.

2. Il faut répondre au second, que non-seulement on pèche par la volonté quand on se propose une fin mauvaise, mais encore quand on veut un mauvais acte (2).

(2) Il y a des actes dont l'objet est tellement mauvais, que lu (in ou l'intention, quelle qu'elle soit, ne peut les justifier. J'els sont le vol et le larcin.

3. Il faut répondre au troisième, qu'on appelle volontaire non-seulement l'acte intérieur de la volonté, mais encore les actes extérieurs selon qu'ils procèdent de la volonté et de la raison. C'est pourquoi la différence du bien et du mal peut exister à l'égard de ces deux sortes d'actes.


ARTICLE III. — LA BONTÉ ET LA MALICE DE L'ACTE EXTÉRIEUR ET DE L'ACTE INTÉRIEUR EST-ELLE LA MÊME ?


Objections: 1.. Il semble que la bonté ou la malice de l'acte intérieur et de l'acte extérieur ne soit pas la même. Car le principe de l'acte intérieur est la faculté intérieure de l'àme qui perçoit ou qui appète, tandis que le principe de l'acte exlérieur estla puissance qui exécute le mouvement. Or, là où il y a divers principes d'action les actes sont divers. Et comme l'acte est le sujet de la bonté ou de la malice et que d'ailleurs un même accident ne peut exister en différents sujets, il s'ensuit que la bonté de l'acte intérieur ou de l'acte extérieur ne peut être la même.

2.. La vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et ce qui rend droites ses oeuvres, comme le dit Aristote (Eth. lib. n, cap. G). Or, la vertu intellectuelle qui réside dans la puissance qui commande est autre que la vertu morale qui existe dans la puissance commandée, suivant ce même philosophe (Eth. lib. n, cap. 1). Donc la bonté de l'acte intérieur qui émane de la puissance qui commande est autre que la bonté de l'acte extérieur qui émane de la puissance commandée.

3.. Une même chose ne peut pas être cause et effet, car aucun être n'est cause de lui-même. Or, la bonté de l'acte intérieur est cause de la bonté de l'acte extérieur, ou réciproquement, comme nous l'avons dit (art. \ et 2 huj. quaest. et quest. xviii, art. 5). Donc la bonté de l'un et de l'autre ne peut pas être la même.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Nous avons montré (quest. xviii, art. 6) que l'acte intérieur est la cause formelle de l'acte extérieur. Or, le formel et le matériel ne font qu'une seule et même chose. Donc la bonté de l'acte intérieur et celle de l'acte extérieur est la même.

CONCLUSION. — La bonté et la malice de l'acte extérieur relativement à la fin est la même que la bonté et la malice de l'acte intérieur de la volonté ; mais relativement aux circonstances elle n'est pas la même, la bonté de l'acte intérieur diffère de celle de l'acte extérieur, bien que l'une reflue sur l'autre.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xvii, art. 4, et-quest. xviii, art. (i ad 3), l'acte intérieur et l'acte extérieur, considérés moralement, ne forment qu'un seul acte. Mais il arrive quelquefois qu'un acte qui est un subjectivement, renferme plusieurs espèces de bonté ou de malice, et que quelquefois il n'en renferme qu'une seule. Il faut donc dire que tantôt la bonté ou la malice de l'acte intérieur et de l'acte extérieur est la même, et que tantôt elle est différente. Car, comme nous l'avons dit (quest. xviii, art. G), la bonté ou la malice de l'acte intérieur et celle de l'acte extérieur sont ordonnées l'une par rapport à l'autre. Or, dans les choses qui se rapportent à une autre, il y en a qui ne sont bonnes que relativement à la fin à laquelle on les destine. Ainsi une potion amère n'est bonne que parce qu'elle nous aide à recouvrer la santé. En ce cas la bonté de la potion ne diffère pas de celle de la santé -, elle ne forme avec elle qu'une seule et même bonté. Quelquefois aussi ce qui se rapporte à un but a intrinsèquement une bonté propre, indépendamment de sa bonté relative. Ainsi une médecine douce et savoureuse est bonne au goût indépendamment de la bonté qu'elle possède comme remède. Il faut donc dire que quand l'acte extérieur n'est bon ou n'est mauvais que d'après le rapport qu'il a avec la fin, alors la bonté et la malice de l'acte intérieur qui se rapporte directement à la fin est absolument la même que celle de l'acte extérieur qui se rapporte à la fin par son intermédiaire (I ). Mais quand L'acte extérieur est bon ou mauvais en lui-même, c'est-à-dire dans sa matière ou ses circonstances, alors sa bonté est différente de celle de la volonté qui résulte delà fin. Cependant la bonté de la fin que la volonté se propose reflue sur l'acte extérieur, et la bonté de la matière et des circonstances reflue sur l'acte intérieur, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.).

(1) Ainsi la macération du corps n'est bonne qu'en vertu de la fin qu'on se propose. Car elle est louable si on la pratique pour plaire à Dieu, et elle serait blâmable, si on avait l'intention de ruiner sa sauté pour bâter sa mort.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement prouve que l'acte intérieur et l'acte extérieur sont naturellement (2) de divers genres, mais cette diversité n'empêche pas qu'ils ne soient un moralement, comme nous l'avons dit (quest. xvii, art. 4).

(2) Considéré»'comme êtres, ils sont multiples, mais moralement ils ne l'ont qu'un. L'acte intérieur est la forme, et l'acte extérieur la matière.

2. Il faut répondre au second, que, comme le dit Aristote (Eth. lib. (vi, cap. 12), les vertus morales se rapportent aux actes mêmes des vertus qui sont en quelque sorte leurs fins, mais la prudence qui réside dans la raison se rapporte aux moyens, et c'est pour ce motif qu'il est nécessaire qu'il y ait différentes vertus. Toutefois la raison droite qui a pour objet la fin des vertus elles-mêmes n'a pas d'autre bonté que la bonté de la vertu en ce sens que chaque vertu participe à la bonté de la raison elle-même.

3. Il faut répondre au troisième, que quand une chose découle d'un êlre dans un autre, comme d'une cause efficiente univoque (3), alors ce qui est dans les deux sujets est différent. Ainsi quand un objet chaud en échauffe un autre, la chaleur du sujet qui chauffé et de l'objet échauffé est numériquement différente, quoiqu'elle soit spécifiquement la même. Mais quand une chose découle d'un être dans un autre par analogie ou proportionnellement, alors les deux choses sont une numériquement. Ainsi on ne dit que la médecine et l'urine sont saines que par rapport aux principes de santé qui .sont dans le corps de l'animal. La santé à l'égard de la médecine et de l\rine n'est donc pas autre que la santé de l'animal que la médecine produit et que l'urine signifie. En ce sens la bonté de l'acte extérieur découle de la bonté de la volonté et réciproquement, c'est-à-dire selon le rapport de l'un à l'autre.

(3) La cause est univoque quand elle est absolument de même nature que sou effet.


ARTICLE IV. — l'acte extérieur ajoute-t-il quelque chose a la bonté ou a la malice de l'acte intérieur?


Objections: 1.. Il semble que l'acte extérieur n'ajoute pas à la bonté ou à la malice de l'acte intérieur. Car, d'après saint Jean Chrysostome (Math. hom. xix), la volonté est ce qu'on récompense pour le bien ou ce qu'on punit pour le mal. Or, les oeuvres sont les témoignages de la volonté. Donc Dieu ne cherche pas les oeuvres pour lui-même, pour savoir comment il doit porter ses jugements, mais il les cherche pour les autres, afin que tous comprennent qu'il est juste. Et comme le mal et le bien doivent s'apprécier plutôt d'après le jugemeut de Dieu que d'après le jugement des hommes, il s'ensuit que l'acte extérieur n'ajoute rien à la bonté ou à la malice de l'acte intérieur.

2.. La bonté de l'acte intérieur et de l'acte extérieur est une seule et même bonté, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, toute augmentation se fait par l'addition d'une unité à une autre. Donc l'acte extérieur n'ajoute pas à la bonté ou à la malice de l'acte intérieur.

3.. La bonté delà créature n'ajoute rien à la bonté divine, parce qu'elle en découle entièrement. Or, la bonté de l'acte extérieur découle quelquefois tout entière de la bonté de l'acte intérieur, et d'autres fois c'est le contraire, comme nous l'avons dit (art. préc). Donc l'un des deux n'ajoute pas à la bonté ou à la malice de l'autre.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Tout être qui agita l'intention de faire le bien et d'éviter le mal. Si donc l'acte extérieur n'ajoute rien à la bonté ou à la malice de l'acte intérieur, celui qui a la volonté bonne ou mauvaise fait le bien ou s'abstient de faire le mal inutilement ; ce qui répugne.

CONCLUSION. — La bonté que l'acte extérieur tire de sa fin n'augmente qu'accidentellement la bonté de l'acte intérieur, mais celle qu'il a en lui-même d'après sa matière et les circonstances ajoute à la bonté ou à la malice de l'acte intérieur, puisqu'elle en est le terme.

Réponse 1l faut répondre que si nous parlons de la bonté que l'acte extérieur tire de salin, en ce sens il n'ajoute rien à la bonté de l'acte intérieur,à moins qu'il n'arrive que la volonté ne devienne meilleure par elle-même quand il s'agit du bien, ou qu'elle ne devienne pire quand il s'agit du mal (1) ; ce qui semble possible de trois manières : 1° Sous le rapport du nombre, comme quand on veut faire quelque chose pour une fin bonne ou mauvaise. Alors on n e ! a t'ai t pas, mais on la veut, puis on la fait ; l'acte de la volonté est dans ce cas doublé, et le bien ou le mal l'est également. 2° Sous le rapport de l'extension, l'ai' exemple on veut faire une chose pour une fin bonne ou mauvaise, et on l'abandonne par suite d'un obstacle qu'on a rencontré; tandis que celui qui la fait continue à la vouloir jusqu'à ce que l'oeuvre soit achevée. Il est évident que la volonté de ce dernier a été plu s persévérante dans le bien ou le mal, et qu'à ce titre elle est pire ou meilleure. 3" Sous le rapport de l'intensité. Car il y a des actes extérieurs qui, suivant qu'ils sont agréables ou pénibles donnent naturellement à la volonté plus ou moins d'énergie. Or, il est constant que la volonté est d'autant meilleure ou pire qu'elle tend au bien ou au mal avec plus de vigueur. Mais si l'on parle de la bonté que l'acte extérieur possède d'après sa matière et les circonstances, il est alors comme le terme et la fin de la volonté, et il ajoute par conséquent à sa honte ou à sa malice, parce que toute inclination ou tout mouvement s'achève selon qu'il arrive à sa fin ou qu'il atteint son terme (1). Par conséquent la volonté n'est parfaite qu'autant qu'elle agit dans des circonstances favorables. Si toutefois elle ne peut agir, et qu'elle soit assez parfaite pour agir si elle le pouvait, le défaut de perfection qui provient de l'acte extérieur est absolument involontaire. Et comme l'involontaire ne mérite ni peine ni récompense quand on fait le bien ou le mal, de même il ne diminue en rien le mal ou le bien (2) que l'on a l'intention de faire, quand ce n'est nullement par sa faute que l'on a manqué de le réaliser.

(1) C'est donc par accident que l'acte extérieur ajoute à la bonté ou à la malice de l'acte intérieur; mais considéré en lui-même, il n'v ajoute rien.

(1) Autrement il no serait pas nécessaire que celui qui a la volonté île faire le bien réalisât son dessein.

(2) Cependant saint Thomas dit lui-même que quel que soit le mérite de l'acte intérieur aux yeux de Dieu, celui qui l'exécute mérite une récompense accidentelle que n'obtient pas celui qui n'a pu l'exécuter. Pour les martyrs, la plupart des théologiens font consister cette récompense dans l'auréole qui est le signe de leur victoire.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Chrysostome parle de la volonté de l'homme quand elle est consommée et qu'elle ne cesse d'agir que par impuissance.

2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement repose sur la bonté que l'acte extérieur tire de sa fin. Mais la bonté que l'acte extérieur tire de sa matière et des circonstances est autre que la bonté de la volonté qui provient de la fin. Toutefois elle n'est pas autre que celle que la volonté tire de l'acte voulu ; mais elle se rapporte à elle comme sa raison et sa cause, ainsi que nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.).

3. Par là la réponse au troisième argument est évidente.

ARTICLE V. — l'événement qui suit ajoute-t-il a la bonté ou a la malice DB l'acte extérieur?


Objections: 1.. Il semble que l'événement qui suit l'acte extérieur ajoute à sa bonté ou à sa malice. Car l'effet préexiste virtuellement dans la cause. Comme les événements suivent les actes à la manière dont les effets suivent leurs causes, ils préexistent donc virtuellement dans les actes. Or, on juge de la bonté ou de la malice de chaque être par sa vertu, puisque la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède, comme le dit Aristote (Eth. lib. n, cap. G). Donc lesévénements ajoutent quelque chose à la bonté ou la malice de l'acte.

2.. Les bonnes oeuvres que font les auditeurs sont des effets qui résultent de la prédication de celui qui les enseigne. Or, ces bonnes oeuvres ajoutent au mérite du prédicateur, comme on le voit par ces paroles de l'Apôtre (Philip, iv, 1) : Mes très-chers frères et mes bien-aimés, ma joie et ma couronne. Donc l'événement qui suit ajoute àla bonté ou la malice de l'acte.

3.. On n'ajoute à la peine qu'autant que la faute s'accroît. Ainsi il est dit au Deutéronome (Deut. xxv, 2) : Le nombre des coups sera réglé d'après l'étendue du péché. Or, l'événement fait ajouter à la peine. Car il est dit (Exod. xxi, 29) : S'il y a déjà quelque temps que le boeuf frappait de la corne et que le maître ne l'ait point renfermé après en avoir été averti, de sorte qu'ensuite il tue un homme ou une femme, le boeuf sera lapidé et le maître puni de mort. Or, on n'aurait pas tué le maître, si le boeuf n'eût pas lui-même tué quelqu'un, bien qu'on ne l'eût pas tenu renfermé. Donc l'événement qui suit ajoute à la bonté ou à la malice de l'acte.

4.. Si un individu s'expose à faire périrquelqu'un en le frappantou en rendant une sentence, mais que la mort ne s'ensuive pas, il ne contracte pas d'irrégularité. Cependant il en aurait contracté une, si la mort s'en était suivie. Donc l'événement quf suit ajoute à la bonté ou à la malice de l'acte.


En sens contraire, Mais c'est le contraire L'événement qui suit ne rend pas mauvais l'acte qui était bon, ni bon celui qui était mauvais. Par exemple, si on fait l'aumône à un pauvre, et qu'il en abuse pour pécher, celui qui a fait l'aumône ne perd rien de son action. De même, si on souffre avec patience une injure que l'on a reçue, cela ne rend pas excusable celui qui l'a faite. Donc l'événement qui suit n'ajoute pas à la bonté ou à la malice de l'acte.

CONCLUSION. — L'événement qui suit et qui a été prévu augmente la bonté ou la malice de l'acte extérieur ; mais s'il n'a pas été prémédité et qu'il n'arrive qu'accidentellement ou dans de rares circonstances il ne l'augmente pas; il n'en est pas de même s'il arrive directement ou le plus souvent.

Réponse Il faut répondre que l'événement qui suit a été prémédité ou il ne l'a pas été. S'il a été prémédité il est évident qu'il ajoute à la bonté ou à lamalicede l'acte. Car quand quelqu'un pense qu'il peut résulter de son action une multitude de maux, et que néanmoins il n'y renonce pas, sa volonté n'en est par là même que plus déréglée. Si l'événement n'a pas été prémédité il faut faire une distinction. S'il résulte par lui-même de l'acte et qu'il arrive le plus souvent, alors il ajoute à la bonté ou à la malice de l'acte même (1). Car il est manifeste qu'un acte est d'autant meilleur dans son genre qu'il en peut résulter de plus grands biens, et qu'il est d'autant plus coupable qu'il en peut résulter de plus grands maux. Mais si l'événement est rare et accidentel, dans ce cas il n'ajoute pas à la bonté ou à la malice de l'acte. Car on ne juge pas d'une chose d'après ce qu'elle est par accident, mais d'après ce qu'elle est par elle-même.

(1) Dans ce cas, du moins, it a été voulu indirectement, puisqu'on a pu le prévoir et le vouloir dans sa cause.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on juge de la puissance d'une cause d'après les effets qu'elle produit par elle-même, mais non d'après ceux qu'elle produit par accident.

2. Il faut répondre au second, que les bonnes oeuvres des auditeurs sont une conséquence de l'instruction du prédicateur; elles en sont même les effets directs. C'est à ce titre qu'elles ajoutent à ses mérites surtout quand il a eu préalablement l'intention de les faire produire.

3. Il faut répondre au troisième, que cet événement, pour lequel on ordonne une peine, est un événement prémédité qui résulte par lui-même de la cause qui l'a produit; c'est pourquoi il est imputé à châtiment.

4. Il faut répondre au quatrième, que ce raisonnement serait concluant si l'irrégularité était infligée pour une faute; mais elle peut l'être pour un fait (2), et ce fait rend incapable des fonctions sacrées.

(2) Ainsi l'irrégularité peut frapper un juge qui aurait assisté à une condamnation à mort.


ARTICLE VI. — LE MÊME ACTE EXTÉRIEUR PEUT-IL ÊTRE BON ET MAUVAIS ?


Objections: 1.. Il semble que le même acte puisse être bon et mauvais. Car le mouvement qui est continu est un, comme ledit Aristote (Phys. lib. v, text. 39 et 40). Or, le même mouvement continu peut être bon et mauvais. Par exemple, en allant à l'église d'une façon continue, on peut d'abord se proposer la vaine gloire et avoir ensuite l'intention de servir Dieu. Donc un seul et même acte peut être bon et mauvais.

2.. D'après Aristote (Phys. lib, m. text. 20 et 21), l'action etla passion sont un seul acte. Or, la passion peutètrebonnecomme celledu Christ, etl'actionmau-vaise comme celle des Juifs. Donc un même acte peut être bon et mauvais.

3.. Le serviteur étant comme l'instrument du maître, l'action du premier est celle du second comme l'action de l'instrument est celle de l'ouvrier qui l'emploie. Or, il peut arriver que l'action du serviteur procède de la bonne volonté du maître et qu'à ce titre elle soit bonne, et qu'elle procède de la mauvaise volonté du serviteur et qu'à ce titre elle soit mauvaise. Donc le même acte peut être bon et mauvais.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Les contraires ne peuvent pas exister dans le même sujet. Or, le bien et le mal sont contraires. Donc un même acte ne peut pas être bon et mauvais.

CONCLUSION. — Si l'on considère l'acte au point de vue de son unité morale, il ne peut pas se faire qu'il soit bon et mauvais ; mais si on le considère sous le rapport de son unité naturelle, rien n'empêche qu'un acte qui est un de cette manière ne soit bon et mauvais.

Réponse Il faut répondre que rien n'empêche ce qui est un dans un genre d'être multiple dans un autre. Ainsi une surface continue est une quand on la considère sous le rapport de la quantité, et elle est multiple quand on la considère sous le rapportde la couleur, puisqu'elle peut être en partie blanche et en partie noire. D'après cela rien n'empêchequ'un actene soit unquandonle considère dans sa nature (1), et qu'il ne le soit pas au point de vue moral ou réciproquement, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). En effet une promenade continue n'est qu'un acte naturellement ; cependant il peut se faire que moralement elle en forme plusieurs, comme clans le cas où celui qui se promène vient à changer de volonté, puisque cette faculté est le principe des actes humains. Conséquemment si par l'unité de l'acte on entend l'unité morale, il est impossible qu'un même acte soit bon et mauvais moralement ; mais si on n'entend que l'unité naturelle et non l'uni té morale, celapeut être.

(1) C'est-à-dire considéré vhysiquement.il faut donc distinguer deux sortes d'actes, les actes physiques et les actes moraux. Tout cet article roule sur cette distinction.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce mouvement continu qui procède d'une intention diverse, bien qu'il soit un d'une unité naturelle, ne l'est cependant pas d'une unité morale.

2. Il faut répondre au second, que l'action et la passion appartiennent à la morale selon qu'elles sont volontaires. C'est pourquoi quand elles sont volontaires par suite du rapport qu'elles ont avec des volontés diverses, elles forment alors deux actes moraux dont l'un peut être bon et l'autre mauvais.

3. Il faut répondre au troisième, que l'acte du serviteur selon qu'il procède de sa volonté n'est pas l'acte du maître; il ne l'est qu'autant qu'il procède de l'ordre que le maître a donné. Par conséquent la mauvaise volonté du serviteur ne le rend pas mauvais.

QUESTION XXI. : DES CONSÉQUENCES OU DES EFFETS DES ACTES HUMAINS RELATIVEMENT A LEUR BOÎSTÉ OU A LEUR MALICE.


Après avoir parlé de la bonté et de la malice des actes humains considérée en elle-même nous avons maintenant à l'examiner dans ses effets. A ce sujet quatre questions se présentent : 1° L'acte humain est-il vertueux ou vicieux selon qu'il est bon ou mauvais ? — 2° Est-il louable ou blâmable? — 3° Est-il méritoire ou déméritoire? — 4° Est-il méritoire ou déméritoire aux yeux de Dieu?

ARTICLE I. — l"acte humain est-il vertueux ou vicieux selon qu'il est bon ou mauvais?


Objections: 1.. Il semble qu'un acte humain ne soit pas une vertu ou un péché par là même qu'il est bon ou mauvais. Car les péchés sont des monstres 4»ns la nature , comme le dit Aristote [Phys. lib. h, text. 82). Or, les monstres ne sont pas des actes, mais ce sont des choses engendrées contrairement aux lois naturelles; tandis que ce qui est l'effet de l'acte et de la raison imite ce qui est l'effet de la nature, comme le dit au même endroit ce philosophe. Donc de ce qu'un acte est mauvais et déréglé il ne s'ensuit pas que ce soit un péché.

2.. Le péché, dit encore Aristote (Phys. lib. h, text. 82) se produit dans la nature et l'art, toutes les fois que la nature et l'art ne parviennent pas à leur fin. Or, la bonté et la malice de l'acte humain consistent surtout dans l'intention finale et dans son exécution. Il semble donc que la malice de l'acte n'en fasse pas un péché.

3.. Si la malice de l'acte produisait le péché il s'ensuivrait que partout oti le mal existerait il y aurait péché. Or, c'est faux. Car le châtiment bien qu'il soit un mal n'est cependant pas un péché. Donc de ce qu'un acte est mauvais il n'en résulte pas que ce soit un péché.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. La bonté de l'acte humain, comme nous l'avons vu (quest. xix, art. 4), dépend principalement de la loi éternelle, et par conséquent sa malice consiste dans son désaccord avec cette loi. Or, c'est là ce qui constitue la nature du péché. Car saint Augustin dit (Cont. Faustum, lib. xxii, cap. 27) que le péché est une parole, une action, ou un désir contraire à la loi éternelle. Donc l'acte humain est un péché par là même qu'il est mauvais.

CONCLUSION. — Puisqu'on dit qu'un acte est bon ou mauvais selon qu'il est conforme ou non à la raison et à la loi éternelle, il est nécessaire que l'acte humain par là même qu'il est bon ou mauvais soit une vertu ou un péché.

Réponse Il faut répondre que la définition du mal a plus d'étendue que celle du péché, et la définition du bien plus d'étendue que celle du juste (1). Car toute privation du bien dans un être quelconque constitue le mal, tandis que le péché consiste à proprement parler dans l'acte qu'on fait pour une lin à laquelle il ne doit pas être rapporté. Or, le rapport légitime d'une chose à sa lin a pour mesure une règle quelconque. Cette régie dans les êtres qui agissent naturellement est la vertu même de la nature qui les incline vers cette fin. Par conséquent, quand un acte procède d'une vertu naturelle, conformément à l'inclination qu'elle a naturellement pour sa fin, alors il conserve sa rectitude, parce que c'est un milieu qui ne s'écarte pas de ses extrêmes, c'est-à-dire qui se tient renfermé entre son principe et salin. Mais quand un acte sort de cette rectitude, en ce cas on dit que c'est un péché ou une monstruosité dans la nature (2). — Pour les choses volontaires, la règle prochaine est la raison humaine, et la règle suprême la loi éternelle. Par conséquent, quand un acte humain se rapporte à sa fin conformément à la raison et à la loi éternelle, alors l'acte est droit, mais quand il s'écarte de cette ligne on dit que c'est un péché. Or, il est évident, d'après ce que nous avons dit (quest. xix, art. 3 et 4), que tout acte volontaire est mauvais par là même qu'il s'écarte de la raison et de la loi éternelle, et que tout acte est bon selon qu'il s'accorde avec l'une et l'autre. D'où il suit que l'acte humain, par là même qu'il est bon ou mauvais, est une vertu ou un péché.

(1) Tout mal n'est pas «n péché. Ainsi la douleur, le chiUimcnt, sont des maux sans être des péchés. Tout hien n'est pas non plus une chose droite, une action vertueuse. Par exemple la volonté est illicite et défendue par la loi.

(2) c'est un mal physique.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on donne le nom de monstres aux péchés qui se produisent dans l'ordre de la nature contrairement à ses lois.

2. Il faut répondre au second, qu'il y a deux sortes de fin : une fin dernière et une fin prochaine. Or, dans le péché de nature l'acte manque sa fin dernière qui est la perfection de l'être engendré ; mais il ne manque pas absolument sa fin prochaine; car la nature opère quelque chose en le formant. De même dans le péché de la volonté l'acte est toujours en défaut par rapport à sa fin dernière, parce qu'aucun acte mauvais ne peut se rapporter à la béatitude qui est la fin dernière, bien qu'il ne s'écarte pas de la fin prochaine que la volonté se propose et qu'elle atteint. Mais comme on ne se propose cette fin prochaine qu'en vue de la fin dernière, on peut trouver dans l'intention même qui se rapporte à cette fin une raison de droiture et de péché (1 ),

(1) En dernière analyse, on juge donc de la moralité de l'acte selon qu'il s'écarte ou non de sa lin dernière.

3. Il faut répondre au troisième, que tout être se rapporte à sa fin par son acte. C'est pourquoi la nature du péché, qui consiste dans ce qu'il y a de désordonné par rapport à la fin , existe à proprement parler dans l'acte, tandis que le châtiment regarde la personne qui pêche, comme nous l'avons dit (part. I, quest. xlviii, art. S ad 4, et art. G ad 3).

ARTICLE II — l'acte humain, selon qu'il est bon ou mauvais, est-il louable ou blamable?


Objections: 1.. Il semble que l'acte humain, par là même qu'il est bon ou mauvais, ne soit pas louable ou blâmable. Car le péché existe dans la nature, comme le dit Aristote (Phys. lib. u, text. 82 - 84). Or, les choses qui sont naturelles ne sont ni louables, ni blâmables, d'après ce même philosophe (Eth. lib. m, cap. 5). Donc l'acte humain, par là même que c'est un mal ou un péché, ce n'est pas une faute, et conséquemment, par là même qu'il est bon, ce n'est pas non plus une chose louable.

2.. Comme le péché se produit dans les actes moraux, de même on le trouve dans les oeuvres d'art. Car, comme le dit Aristote (Phys. lib. ii, text. 82), le grammairien ne pèche pas quand il écrit mal, et le médecin quand il donne à tort une potion. Or, un homme d'art n'est pas coupable pour la chose qu'il fait mal, parce qu'il appartient à son art ou à sa science de faire comme il lui plaît de bonnes ou de mauvaises choses. Il semble donc que l'acte moral, par là même qu'il est mauvais, ne soit pas coupable.

3.. Saint Denis dit (De div. nom. cap. 4) que le mal est infirme et impuissant. Or, l'infirmité ou l'impuissance détruit ou diminue la culpabilité. Donc l'acte humain n'est pas coupable selon qu'il est mauvais.


En sens contraire, Mais c'est le contraire. Aristote dit (Eth. lib. i, cap. 42) que les oeuvres vertueuses sont louables, et les oeuvres contraires blâmables ou coupables. Or, les actes bons sont des actes de vertu, puisque la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et ce qui le met en état de bien exécuter ses oeuvres, suivant ce même philosophe (Eth. lib. h , cap. 6). Les actes opposés sont conséquemment mauvais. Donc l'acte humain, par là même qu'il est bon ou mauvais, est louable ou blâmable.

CONCLUSION. — Puisque tous les actes humains procèdent de nous librement, il est nécessaire que chacun de ces actes soit louable ou blâmable selon qu'il es! bon ou mauvais.

Réponse Il faut répondre que comme la définition clu mal a plus d'étendue que celle du péché, de même la définition du péché a plus d'étendue que celle de la faute (2). Car un acte n'est coupable ou louable qu'autant qu'on l'impute à un agent. En effet, on ne loue ou on ne blâme qu'autant qu'on impute à quelqu'un la malice ou la bonté d'un de ses actes. Et alors l'acte est imputé à l'agent quand celui-ci en est lèxnaître au point d'exercer sur lui son souverain domaine. Or, il en est ainsi de tous les actes volontaires, parce que l'homme par sa volonté est maître de ses actions, comme on le voit par ce que nous avons dit (quest. i, art. 1 et 2). D'où il résulte qu'il n'y a que la bonté ou la malice des actes volontaires qui mérite la louange ou le blâme, c'est-à-dire des actes dont le mal constitue tout à la fois un péché et une faute.

(2) Dans la langue de saint Thomas, le mot péché s'entend tout à la fois des choses naturelles et libres, et il est applicable à l'ordre physique aussi bien qu'à l'ordre moral. Le mol faute ne s'entend que des actes libres et volontaires. Et il n'y a que ces actes qui soient dignes de louange ou de blâme.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'agent naturel n'a pas puissance sur ses actes, parce que la nature est nécessairement déterminée dans ses effets. C'est pourquoi, bien que le péché existe dans les actes naturels, il n'y a cependant pas là de faute.

2. Il faut répondre au second, que dans les choses d'art le rapport de la raison n'est pas le même que dans les choses morales. Car en fait d'art la raison se rapporte à une fin particulière qu'elle a elle-même conçue et imaginée. En morale elle se rapporte à la fin générale de toute la vie humaine, et c'est à cette fin que les fins particulières doivent elles-mêmes se rapporter. Or, le péché étant une déviation de l'être par rapport à sa fin, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.), il arrive que dans une oeuvre d'art il peut y avoir deux sortes de péché : 4° L'oeuvre peut s'écarter de la fin particulière que l'homme de l'art se proposait. Dans ce cas le péché est propre à l'art lui-même. C'est ce qui a lieu, par exemple, quand l'artiste fait une mauvaise oeuvre lorsqu'il a l'intention d'en faire une bonne, ou qu'il en fait une bonne lorsqu'il a l'intention d'en faire une mauvaise. 2° L'oeuvre peut pêcher en s'écartant de la fin commune à l'humanité (4). Ainsi on dit qu'on pèche de cette manière quand on a l'intention de faire une mauvaise oeuvre et qu'on la fait pour tromper quelqu'un. Mais ce péché n'est pas propre à l'artisan comme artisan, c'est en lui le fait de l'homme. Par conséquent l'artisan est responsable du premier péché comme artisan, tandis que l'homme est responsable du second comme homme. Or, dans l'ordre moral où l'on ne considère que le rapport de la raison avec la fin générale de l'humanité, le mal ou le péché résulte toujours de la déviation de l'acte relativement à cette fin. C'est pourquoi l'homme est coupable de ce péché comme homme et comme être moral. D'où Aristote conclut [Eth. lib. vi, cap. 5) qu'une faute volontaire dans les arts est préférable à une faute involontaire, mais qu'il n'en est pas de même à l'égard de la prudence, ni à l'égard des vertus morales dont la prudence est la règle.

(1) L'artiste qui fait, par exemple, une statue indécente, s'écarte de la fin commune à l'humanité, qui est la vertu et l'honnêteté. Il ne pèche pas comme artiste, si sa statue est très-hien exécutée, niais il pèche comme homme.

3. Il faut répondre au troisième, que l'infirmité qui se trouve dans les péchés volontaires ne détruit ni ne diminue la malice de l'action, parce qu'elle dépend de la volonté humaine qui en est elle-même la cause.



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.20 a.1