I-II (trad. Drioux 1852) Qu.46 a.8

ARTICLE VIII. — a-t-on distingué convenablement les différentes ESPÈCES de colère?


Objections: 1. Il semble que saint Jean Damascène (De fid. orth. lib. ii, cap. 16) distingue à tort trois espèces de colère : le fiel, la manie et la fureur. Car on ne distingue pas les espèces d'un genre d'après ce qu'il v a en elles d'accidentel. Or, ces trois espèces se distinguent d'après des accidents. En effet, on appelle fiel le principe du mouvement de la colère ; on donne le nom de manie à la colère quand elle est permanente, et celui de fureur à la colère qui cherche l'occa­sion de la vengeance. Donc il n'y a pas différentes espèces de colère.

2. Cicéron dit (De Tusc. lib. Iv) que l'emportement que les Grecs désignent sous le nom de « tumos » est la colère qui s'élève et qui se passe en un instant. Or, saint Jean Damascène (loc. cit.) emploie le mot « tumos » pour exprimer la fureur. Donc la fureur ne respire pas après la vengeance, mais elle s'affai­blit plutôt avec le temps.

3. Saint Grégoire distingue (Mor. xxi, cap. S) dans la colère trois degrés : la colère silencieuse, la colère accompagnée de la voix, la colère accompa­gnée de la parole exprimant la pensée. C'est d'après cette triple distinction que Notre-Seigneur dit (Matth, v, 22) : Celui qui se fâche contre son frère, il exprime par là la colère silencieuse. Puis il ajoute : Celui qui aura dit à son frère :Racha; il indique par ces mots la colère accompagnée de la voix, mais qui n'exprime pas pleinement ses pensées. Et enfin il dit : Celui qui aura dit à son frère : Fat, ce qui signifie l'expression complète de la parole. Donc saint Jean Damascène n'a pas été complet dans son énumération, puis­qu'il n'a fait aucune distinction relativement à la voix.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'autorité de saint Jean Damascène et celle de Némésius (De nat. hom. cap. 24) sont formelles.

CONCLUSION. — Il y a trois espèces de colère, le fiel, la manie et la fureur, et ces trois distinctions se rapportent aux objets qui augmentent la colère.

Réponse Il faut répondre que les trois espèces de colère désignées par saint Jean Damascène et par Némésius se prennent des objets qui ajoutent à la colère, ce qui arrive de trois manières : 4° Par la facilité du mouvement, et c'est cette colère qu'on appelle fiel, parce qu'elle s'enflamme rapidement. 2° Par l'effet de la tristesse qui est cause de cette colère dont le souvenir reste long­temps dans l'esprit; et c'est ce qui constitue la manie qui vient du mot latin manere (demeurer). 3° Par suite de la vengeance que celui qui est irrité désire; ce qui appartient à la fureur qui n'a jamais de repos tant qu'elle n'a pas puni le coupable. De là Aristote dit (Eth. lib. iv, cap. b) que parmi ceux qui se mettent en colère, il y en a qu'on appelle violents parce que leur colère est prompte, d'autres qu'on appelle amers parce qu'ils gardent long­temps leur rancune, enfin d'autres qui sont difficiles parce qu'ils ne s'apai­sent que quand ils ont rendu le mal pour le mal.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que toutes les choses qui con­tribuent au développement de la colère ne se rapportent pas à elle d'une manière purement accidentelle. C'est pourquoi rien n'empêche qu'on ne puisse ainsi distinguer différentes espèces de colère.

2. Il faut répondre au second, que l'emportement dont parle Cicéron paraît appartenir plutôt à la première espèce de colère qui est prompte qu'à la fureur. D'ailleurs rien n'empêche que le mot grec ôju.b;, que les Latins tra­duisent par fureur, n'exprime tout à la fois la promptitude de la colère et son obstination dans le dessein qu'elle a de punir.

3. Il faut répondre au troisième, que ces degrés de colére se distinguent d'après les effets de cette passion, mais non d'après ses divers états de perfection (1).

(1) C'est-à-dire que saint Grégoire distingue la colère d'après ses effets, mais non d'après ses différentes espèces.




QUESTION XLVII.

DE LA CAUSE EFFICIENTE DE LA COLÈRE ET DE SES REMÈDES.


Après avoir parlé de la colère en elle-même, nous avons à examiner sa cause effi­ciente et ses remèdes. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Le motif de la colère est-il toujours une action qui a été faite contre celui qui s'irrite? — 2° Est-ce assez du peu d'estime ou du mépris pour exciter la colère? — 3° De la cause de la colère considérée par rapport à celui qui en est le sujet. — 4° De la cause de la colère considérée par rapport à celui qui en est l'objet.

ARTICLE I. — le motif de la colère est-il toujours un acte fait contre le sujet qui s'irrite?


Objections: 1. Il semble que la colère n'ait pas toujours pour motif un fait ou un acte qui se rapporte à la personne irritée. En effet, l'homme en péchant ne peut rien faire contre Dieu. Car il est écrit (Job, xxxv, 6) : Si vos iniquités se mul­tiplient, que ferez-vous en cela contre lui? Cependant il est dit que Dieu s'ir­rite contre les pécheurs, selon ces paroles du Psalmiste (Ps. cv, 40) : Le Sei­gneur s'est mis en colère et est entré en fureur contre son peuple. Donc on ne s'irrite pas toujours par suite d'une chose faite contre soi.

2. La colère est le désir de la vengeance. Or, on désire tirer vengeance du mal fait à autrui. Donc le motif de la colère n'est pas toujours le mal qui nous a été fait à nous-mêmes.

3. Comme le dit Aristote (Rhet. lib. ii, cap. 2) : Les hommes s'irritent sur­tout contre ceux qui méprisent les choses qui sont l'objet principal de leur étude. Ainsi ceux qui étudient la philosophie se fâchent contre ceux qui la méprisent, et il en est de même des autres. Or, mépriser la philosophie ce n'est pas nuire à celui qui l'étudié. Donc nous ne nous fâchons pas toujours à cause de ce qu'on fait contre nous.

4. Celui qui se tait en face de celui qui l'injurie l'excite davantage à la colère, selon la remarque de saint Chrvsostome. Cependant en se taisant il ne fait rien contre lui. Donc la colère de quelqu'un n'est pas toujours pro­voquée parce qu'on fait contre lui.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 4) que la colère pro­vient toujours de choses qui ont été faites contre nous; l'inimitié peut exis­ter sans cela, car il suffit de penser qu'un homme est de telle ou telle manière pour le haïr.

CONCLUSION. — Puisque la colère est le désir qu'on a de repousser le mal qu'on a éprouvé personnellement, le motif de la colère est toujours une chose faite contre celui qui s'irrite.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xlvi, art. 6), la colère est le désir de nuire à un autre pour en tirer une juste vengeance. Or, la vengeance n'a lieu qu'autant que l'injure l'a précédée. Toute injure ne pro­voque pas à la vengeance, il n'y a que celle qui se rapporte à celui qui désire se venger. Car comme tout être désire naturellement son propre bien, de même il repousse naturellement son propre mal. Or, l'injure faite par un individu n'en atteint un autre qu'autant que celui qui l'a faite a eu l'inten­tion de lui nuire. D'où il suit que le motif de la colère est un acte fait contre celui qui s'irrite.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on ne considère pas en Dieu la colère comme une passion de l'âme, mais comme un jugement de sa jus­tice, selon qu'il veut se venger du péché. Car le pécheur ne peut pas effec­tivement nuire à Dieu par son péché, mais il agit cependant contre lui de deux manières : 1° parce qu'il le méprise dans ses commandements; 2° parce qu'il nuit à quelqu'un, soit à lui-même, soit à autrui, ce qui se rap­porte à Dieu, puisque celui auquel il nuit est placé sous la providence et sous la protection divine.

2. Il faut répondre au second, que nous nous irritons contre ceux qui nui­sent aux autres et nous désirons en tirer vengeance, parce que ceux aux­quels on nuit nous appartiennent de quelque manière, soit par la parenté, soit par l'amitié, soit du moins par la communauté de nature (1).

3. Il faut répondre au troisième, que nous considérons comme notre bien ce qui fait l'objet principal de notre étude ; c'est pourquoi quand on le méprise nous croyons qu'on nous méprise nous-mêmes et qu'on nous blesse.

4. Il faut répondre au quatrième, que celui qui garde le silence irrite celui qui l'injurie, parce que son silence est attribué au mépris et qu'il prouve qu'il fait peu de cas de la colère de celui qui l'insulte. Or, le peu d'estime est un acte.

ARTICLE II. — le peu d'estime ou le mépris est-il seul un motif de colère?


Objections: 1. Il semble que le peu d'estime ou le mépris ne soit pas seul un motif de colère. Car saint Jean Damascène dit [De fid. orth. lib. ii, cap. 16) que nous nous fâchons quand nous subissons ou que nous croyons subir une injure. Or, l'homme peut subir une injure sans qu'on lui témoigne du mépris ou peu d'estime. Donc il n'y a pas que le peu d'estime qui soit un motif de colère.

2. C'est le même sentiment qui nous porte à rechercher les honneurs et à nous attrister du peu d'estime qu'on a pour nous. Or, les animaux ne briguent pas les honneurs et par conséquent ils ne s'attristent pas du peu d'estime qu'on a pour eux. Néanmoins ils s'irritent lorsqu'ils sont blessés, comme le dit Aristote (Eth. lib. iii , cap. 8). Donc il n'y a pas que le peu d'estime qui paraisse être un motif de colère.

3. Aristote assigne à la colère plusieurs autres causes (Rhet. lib. ii, cap. 2) ; par exemple, l'oubli, la joie à propos de l'infortune, la connaissance du mal, l'obstacle qui empêche la volonté de s'accomplir. Donc il n'y a pas que le défaut d'estime qui excite la colère.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 2) que la colère est un désir de vengeance accompagné de tristesse à cause du peu d'estime que nos ennemis paraissent faire de nous.

CONCLUSION. —Toutes les causes de la colère se ramènent au peu d'estime; c'est pourquoi i! n'y a que le peu d'estime ou le mépris qui soit considéré comme le motif de cette passion.

Réponse Il faut répondre que toutes les causes de la colère se ramènent au peu d'estime. En effet, il y a trois espèces de mépris, comme le dit Aristote (Rhet. lib. n, cap. 2), qui sont : le dédain, l'entrave qui empêche la volonté de s'accomplir, et l'insulte. Or, tous les motifs de la colère se ramènent à ces trois points. On peut en donner deux raisons. La première, c'est que la colère désire nuire à autrui, parce qu'elle considère le mal qu'elle

(1) Comme hommes, tous nos semblables sont nos frères.

lui veut comme une juste vengeance. C'est pourquoi elle ne recherche la vengeance qu'autant qu'elle est juste. Et comme la vengeance n'est juste qu'à l'égard de celui qui a fait une injustice, il s'ensuit que ce qui excite à la colère c'est toujours ce qui paraît injuste. D'où Aristote conclut (Rhet. lib. ii, cap. 3) que si les hommes pensaient qu'ils ont mérité ce qu'ils souffrent ils ne s'irriteraient pas contre les auteurs de leurs souf­frances, parce que la colère ne se porte jamais sur ce qui est juste. Mais il arrive qu'on peut nuire à quelqu'un de trois manières : par l'igno­rance, la passion et l'élection (4). En effet, celui qui commet la plus grande injustice, c'est celui qui fait le mal par choix, à dessein ou par l'effet d'une malice positive, comme le dit Aristote (Eth. lib. v, cap. 5 et 8). C'est pour­quoi nous nous irritons le plus contre ceux qui nous nuisent de la sorte. Car si nous pensons qu'ils nous ont injuriés par ignorance ou par passion, alors nous ne nous fâchons pas contre eux ou nous nous fâchons beaucoup moins. En effet, quand une chose a été faite par ignorance ou par passion, cette circonstance affaiblit l'injure et excite en quelque sorte à l'indulgence et au pardon, tandis que ceux qui font du tort avec préméditation paraissent pé­cher par mépris, et c'est pour cette raison que nous nous irritons beaucoup plus contre eux. D'où Aristote observe (Rhet. lib. ii, cap. 3) que nous ne nous irritons pas ou que nous nous irritons moins contre ceux qui font une chose par colère, parce qu'ils ne semblent pas avoir agi par mépris. — La seconde raison c'est que le défaut d'estime est contraire à la dignité de l'homme. Car les hommes manquent d'estime pour ce qui ne leur paraît pas digne, selon la remarque d'Aristote (Rhet. lib. ii, cap. 2). Or, tous les biens que nous pos­sédons ont pour but de rehausser notre dignité. C'est pourquoi tout ce qui nous nuit semble déroger à notre supériorité et par là même appartenir au défaut d'estime.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quand on souffre une injure qui a une autre cause que le mépris, cette cause diminue la nature même de l'in­jure. Il n'y adonc que le mépris ou le peu d'estime qui ajoute à la colère ; c'est pourquoi il est considéré par lui-même comme la cause de cette passion.

2. Il faut répondre au second, que quoique l'animal ne recherche pas l'hon­neur considéré comme tel, néanmoins il désire naturellement une certaine prééminence dans son espèce et il s'irrite contre les choses qui y dérogent.

3. Il faut répondre au troisième, que toutes ces causes se ramènent au dé­faut d'estime. En effet, l'oubli (2) en est une preuve évidente ; car les choses que nous estimons beaucoup nous les gravons profondément dans notre mémoire. De même c'est le défaut d'égards ou d'estime qui nous porte à ne pas craindre de contrister quelqu'un en lui annonçant des choses tristes. Quant à celui qui témoigne de la joie en présence du malheur d'autrui, il prouve qu'il s'inquiète peu de son bonheur ou de son malheur. De même celui qui empêche quelqu'un de réaliser son dessein sans qu'il retire de là aucun avantage, ne paraît pas tenir beaucoup à son amitié. C'est pourquoi toutes ces choses excitent à la colère, parce qu'elles sont autant de signes de mépris.

(I) L'élection, c'est-à-dire quand on nuit à quelqu'un par choix et de dessein prémédité.
(2) L'oubli d'un bienfait, par exemple, ou de l'individu lui-même. ,



ARTICLE III. — notre propre supériorité est-elle une cause de notre colère?


Objections: 1. Il semble que la dignité du sujet ne soit pas une cause de la prompti­tude de sa colère. Car Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 2) qu'on se fâche da­vantage quand on est triste, comme les infirmes, les indigents et tous ceux qui n'ont pas ce qu'ils désirent. Or, toutes ces choses paraissent appartenir à celui qui est dans le besoin. Donc c'est le défaut plutôt que la supériorité qui rend enclin à la colère.

2. Aristote dit (loc. cit.) qu'on s'irrite surtout quand on se voit méprisé pour des qualités qu'on peut être soupçonné de n'avoir pas ou de ne pos­séder que faiblement ; mais quand on croit qu'on excelle sur les points où l'on est critiqué, on dédaigne la critique. Or, le soupçon dont nous venons de parler provient de ce qui manque à l'individu. Donc la faiblesse plutôt que l'excellence ou la supériorité est cause de la colère.

3. Ce qui fait la supériorité de l'homme le rend extrêmement agréable et le remplit d'espérance. Or, Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 3) que dans les jeux, les ris, les fêtes, la prospérité, les plaisirs honnêtes et les plus belles espérances, les hommes ne s'irritent pas. Donc l'excellence du mérite ne produit pas la colère.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 9) que les hommes s'irritent à cause de leur dignité.

CONCLUSION. — Si on regarde au motif de la colère, l'excellence de celui qui s'ir­rite est la cause de cette passion ; mais si on considère la disposition du sujet irrité, c'est plutôt ce qu'il y a de méprisable que ce qu'il y a d'élevé en lui qui en est la cause.

Réponse Il faut répondre que la cause de la colère peut se considérer dans celui qui se fâche de deux manières : 1° Par rapport au motif de la colère. Ainsi la supériorité de quelqu'un est cause qu'il se fâche facilement. Car le motif de la colère est un injuste dédain, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, il est constant que plus un individu est élevé et plus est injuste le dédain qu'on affecte pour les choses dans lesquelles il excelle. C'est pourquoi ceux qui ont une certaine supériorité se fâchent davantage dès qu'on n'a pas pour eux l'estime qu'ils méritent. Ainsi il en est d'un riche dont on apprécie peu les richesses, d'un rhéteur dont on méconnaît l'éloquence et de tous les autres. 2° On peut considérer la cause de la colère dans le sujet qui s'irrite relativement aux dispositions où il se trouve. Or, il est évident que rien ne porte à la colère, sinon le mal qui contriste, et ce qui constitue dans l'homme un défaut le contriste extrêmement, parce que ceux qui sont sou­mis à des imperfections ou à des privations sont plus facilement blessés. C'est ce qui fait que les hommes qui sont malades ou qui ont d'autres dé­fauts s'irritent plus facilement, parce qu'il est plus aisé de les contrister.

Solutions: 1. La réponse au premier argument est par là même évidente.

2. Il faut répondre au second, que celui qui est méprisé en ce qu'il excelle le plus d'une manière évidente ne pense pas en éprouver aucun dommage; c'est pourquoi il ne s'en attriste pas et il s'en fâche moins. Mais sous un autre rapport, par là même que le mépris dont il est l'objet est moins mé­rité, il a une raison plus forte de se mettre en colère, à moins qu'il ne croie qu'il n'a pas été ainsi critiqué ou plaisanté par mépris, mais par ignorance ou pour quelque autre motif semblable.

3. Il faut répondre au troisième, que toutes ces choses empêchent la colère au même titre qu'elles empêchent la tristesse. Mais d'un autre côté elles sont de nature à la provoquer, parce qu'elles rendent le mépris plus incon­venant (1).

(I) Le mépris qu'on fait de nous est d'autant plus injusto que ces avantages nous élèvent au-dessus dos autres.

ARTICLE IV. — la bassesse de celui qui nous offense est-elle cause que nous nous fachons plus facilement contre lui?

Objections: 1. II semble que la bassesse de quelqu'un ne soil pas cause que nous nous fâchions plus facilement contre lui. Car Aristote dit (Rhet. lib. n,cap. 3)que nous ne nous fâchons pas contre ceux qui font l'aveu de leur faute, qui se repentent et qui s'humilient, mais que nous sommes plutôt doux à leur égard. Ainsi les chiens ne mordent pas ceux qui sont assis. Or, tout cela est une preuve de médiocrité et de bassesse. Donc la faiblesse d'un individu est cause que nous nous fâchons moins contre lui.

2. Il n'y a rien au-dessous de la mort. Or, la colère cesse à l'égard des morts. Donc ce qu'il y a de défectueux dans quelqu'un n'est pas une cause qui excite à s'irriter contre lui.

3. Personne ne considère quelqu'un comme de peu d'importance du mêment qu'il est son ami. Or, quand nos amis nous offensent ou qu'ils ne nous prêtent pas secours, nous en sommes très-blessés. D'où il est écrit (Ps 54,43) : Si mon ennemi m'eût maudit, je l'aurais supporté volontiers. Donc le peu d'importance de l'individu n'est pas cause que nous nous irritons plus fa­cilement contre lui.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 2) que le riche s'irrite contre le pauvre s'il le méprise, et celui qui commande contre celui qui lui est soumis.

CONCLUSION. — L'indignité et la faiblesse de celui contre lequel nous nous irritons provoque notre colère selon qu'elle augmente notre mépris, mais elle affaiblit en nous cette passion, si elle affaiblit notre dédain.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 2 et 3), l'indignité du mépris est ce qui provoque le plus à la colère. La bassesse ou la médiocrité de celui contre lequel nous nous irritons contribue donc à augmenter la colère, parce qu'elle rend le mépris plus indigne. Car, comme plus un individu est élevé, et plus il est indigne de le mépriser, de même plus un individu est faible, et plus il a tort de mépriser les autres. C'est pourquoi les nobles s'irritent d'être méprisés par les roturiers, les sages par les fous, les maîtres par leurs serviteurs. Au contraire si la faiblesse diminue ce que le mépris avait d'indigne, alors elle n'augmente pas, mais elle diminue la colère. Ainsi ceux qui se repentent de l'injure qu'ils ont faite, qui avouent leurs torts, qui s'hu­milient et qui demandent pardon, adoucissent ceux qui sont irrités, d'après ce mot de l'Ecriture (Pr 15,4) : Une parole douce apaise la colère, parce que dans cette circonstance ceux qui s'humilient paraissent non mé­priser, mais faire le plus grand cas de ceux devant lesquels ils s'abaissent.

Solutions: 1. La réponse au premier argument est par là même évidente.

2. Il faut répondre au second, qu'il y a deux causes pour lesquelles la colère s'arrête devant les morts. La première, c'est qu'ils ne peuvent ni souffrir, ni comprendre, et c'est surtout ce que désirent ceux qui sont en colère à l'égard de ceux qui sont l'objet de leur courroux. La seconde, c'est qu'ils sont parvenus au terme de leurs maux; ainsi la colère s'arrête devant tous ceux qui ont été grièvement punis, parce que leurs maux dépassent la juste mesure des peines qu'ils méritaient.

3. Il faut répondre au troisième, que le mépris qui vient de nos amis nous paraît plus indigne; c'est pourquoi nous nous irritons davantage contre eux s'ils nous méprisent, soit eu nous nuisant, soit en ne venant pas à notre secours, et il en est de même de la colère que nous concevons contre ceux qui sont au-dessous de nous.


QUESTION XLVIII.

DES EFFETS DE LA COLÈRE.


Après avoir parlé des causes de la colère, il nous reste maintenant à nous occuper de ses effets. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° La colère produit-elle la délectation? — 2° Produit-elle un bouillonnement du sang dans le coeur ? — 3° Est- ce cette puissance qui empêche le plus l'usage de la raison ? — 4° Produit-elle le silence?

ARTICLE I. — la colère produit-elle la délectation ou la joie?


Objections: 1. Il semble que la colère ne produise pas la délectation. Car la tristesse l'exclut, et la colère est toujours accompagnée de tristesse, parce que, comme le dit Aristote (Eth. lib. vii, cap. (i), quiconque fait une chose avec colère la fait avec tristesse. Donc la colère ne produit pas la délectation.

2. Aristote dit (Eth. lib. iv, cap. 5) que la punition calme l'élan de la colère et remplace la tristesse par la délectation. D'où l'on peut conclure que la délectation que goûte l'homme irrité provient du châtiment qu'il inflige. Or, la punition exclut la colère; par conséquent du mêment où la délectation arrive, la colère n'existe plus. La délectation n'est donc pas un effet qui lui soit uni.

3. Aucun effet ne gêne sa cause, puisqu'il lui est conforme. Or, les délec­tations sont un obstacle à la colère, comme le dit Aristote (Rhet. lib. ii, cap. 3). Donc elles n'en sont pas un effet.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote rapporte au même endroit (loc. cit.) que la colère est plus douce que le miel au coeur de I homme.

CONCLUSION. — La colère étant le désir de la vengeance, elle procure à l'homme une certaine jouissance quand il trouve à satisfaire ce désir.

Réponse Il faut répondre que, comme le dit Aristote (Eth. lib. vii, cap. 14), les délectations, surtout les délectations sensibles et corporelles, sont un re­mède contre la tristesse. C'est pourquoi plus la tristesse ou l'angoisse contre laquelle on cherche un remède est grande, et plus on saisit avec ardeur la délectation. Ainsi il est évident que quand quelqu'un a soif, ce qu'il boit lui paraît plus agréable. Or, il est clair, d'après ce que nous avons dit (quest. xlvii, art. 1), que la colère provient d'une injure qu'on a reçue et qui contriste, et qu'on remédie à cette tristesse par la vengeance. C'est pour­quoi quand on satisfait cette dernière passion il en résulte une jouissance d'au­tant plus grande que la tristesse antérieure était plus profonde. Ainsi donc quand la vengeance est réellement présente, elle produit une délectation par­faite qui exclut toute tristesse et qui calme par là même la colère. Mais avant que la vengeance ne se soit réalisée, celui qui est en colère se la rend présente de deux manières : 1° Par l'espérance, parce que personne ne s'irrite qu'autant qu'il espère se venger, comme nous l'avons dit (quest. xlvi, art. 1). 2° Par le mouvement continu de la pensée. Car tout homme qui désire quelque chose se plaît à fixer sa pensée sur ce qu'il désire. C'est pour cette raison que les rêves sont agréables, et que quand quel­qu'un est irrité il trouve du plaisir à rouler dans son esprit ses projets de vengeance. Cependant il ne jouit pas alors de cette délectation parfaite qui enlève la tristesse et qui par conséquent détruit la colère.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que celui qui est irrité ne s'attriste pas et ne se réjouit pas du même objet; il s'attriste de l'injure qu'il a reçue et il se réjouit de la vengeance qu'il méditeet qu'il espcre. Ainsi la tristesse est comme le principe de la colère, tandis que la délectation en est comme l'effet ou le terme.

2. Il faut répondre au second, que cette objection repose sur la délectation qui est l'effet de la vengeance réelle et actuelle et qui détruit totalement la colère.

3. Il faut répondre au troisième, que les délectations antérieures empêchent la tristesse et sont par conséquent un obstacle à la colère, mais la délecta­tion qui vient de la vengeance est une suite de la colère elle-même.

ARTICLE II. — est-ce la colère qui excite le plus le bouillonnement du sang dans le coeur?


Objections: 1. Il semble que le bouillonnement du sang ne soit pas principalement l'effet de la colère. Car ce bouillonnement, comme nous l'avons dit (quest. xxxvii, art. 2), appartient à l'amour. Or , l'amour, comme nous l'avons vu (quest. xxvii, art. 4), est le principe et la cause de toutes les passions. Donc puisque la cause l'emporte sur l'effet, il semble que ce ne soit pas la colère qui enflamme davantage le sang.

2. Les choses qui excitent par elles-mêmes l'effervescence du sang ne font qu'augmenter avec le temps ; ainsi l'amour se fortifie par la durée. Or, la colère s'affaiblit au contraire ; car Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 3) que le temps calme la colère. Donc la colère ne produit pas à proprement parler cette effervescence.

3. La chaleur en s'ajoutant à la chaleur l'augmente. Au contraire Aristote dit (Rhet. lib. ii, cap. 3) que quand une plus grande colère survient elle calme l'autre. Donc la colère ne produit pas la chaleur ou le bouillonnement du sang.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De fid. orth. lib. ii, cap. 16) que la colère est le bouillonnement du sang dans le coeur, prove­nant de l'évaporation du fiel.

CONCLUSION. — Le mouvement de la colère étant expansif comme celui de la cha­leur, il est nécessaire qu'il produise dans le coeur un bouillonnement du sang, qui résulte de l'évaporation mcme du fiel.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xliv, art. 1), la mo­dification organique qui a lieu dans les passions de l'âme est proportionnée au mouvement de l'appétit. Or, il est évident que tout appétit, même l'ap­pétit naturel, tend plus fortement à ce qui lui est contraire s'il est présent. Ainsi nous voyons l'eau chaude se congeler davantage, comme si le froid agissait plus fortement sur le chaud. Le mouvement appétitif de la colère étant produit par une injure reçue, comme par un contraire qui est là pré­sent, il en résulte que l'appétit tend le plus vivement à repousser cette injure par la vengeance. De là la violence extrême et l'impétuosité qu'on remarque dans le mouvement de la colère. Ce mouvement n'étant pas rétractif comme celui du froid, mais plutôt expansif comme celui de la chaleur, il arrive conséquemment que la colère produit un bouillonnement du sang et des esprits dans le coeur qui est l'instrument des passions de l'âme. De là, par suite de la perturbation excessive du coeur, on remarque chez ceux qui sont irrités certains signes qui se manifestent dans leurs membres extérieurs. C’est ce qui lait dire à saint Grégoire (Moral, lib. v, cap. 30) que quand le coeur est enflammé par la colère, il palpite, le corps tremble, la langue s embarrasse, le visage devient de feu, les yeux sont hagards, on ne recon­naît personne, la bouche forme des mots sans qu'on sache ce que l'on dit.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'amour ne se sent bien que quand on est prive de l'objet qu'on aime, comme le dit saint Augustin (De Tnn. lib. x circ. /m.). C'est pourquoi quand l'homme souffre dans sa di­gnité qu'il aime, par suite de l'injure qui lui a été faite il sent plus vive­ment l'amour qu'il lui portait, et son coeur n'en est que plus ardent à re­pousser tout ce qui le sépare de l'objet aimé. C'est ainsi que la colère ajoute à la ferveur de l'amour et le rend plus sensible. Cependant la fer­veur qui résulte de la chaleur n'appartient pas à l'amour au même titre qu'à la colère. Car la ferveur de l'amour est accompagnée d'une certaine douceur et d'un certain calme, puisqu'elle a pour objet le bien qu'on aime; c'est pour cela qu'on la compare à la chaleur de l'air et du sang, et c'est ce qui fait que ceux qui sont sanguins aiment avec plus d'ardeur. Et l'on dit que c'est le foie qui porte à l'amour, parce que c'est en lui que le sang se forme. La ferveur de la colère est au contraire accompagnée d'une violente amertume, parce qu'elle a pour objet de punir celui qui lui est contraire. On la compare à la chaleur du feu et de la bile, et c'est pour ce motif que saint Jean Damascène dit (De fui. orth. lib. ii, cap. 16), qu'elle provient de l'évaporation du fiel et qu'on lui donne le nom de bilieuse.

2. Il faut répondre au second, que toutes les choses dont le temps affaiblit la cause doivent nécessairement s'affaiblir avec le temps lui-même. Or, il est évident que la mémoire s'affaiblit avec le temps; car on oublie plus facilement ce qui est ancien. Or, la colère est produite par le souvenir d'une injure qu'on a reçue. C'est pourquoi la cause de la colère s'affaiblit in­sensiblement avec le temps jusqu'à ce qu'elle soit totalement détruite. L'injure paraît aussi plus grande au mêment même où on l'éprouve; l'idée qu'on s'en forme diminue peu à peu à mesure qu'on s'éloigne du jour ou on l'a ressentie. Il en est de même de l'amour quand sa cause n'existe que dans le souvenir. C'est ce qui fait dire à Aristote (Eth. lib. viii, cap. 5) que quand l'absence d'un ami se prolonge, elle semble faire oublier son amitié^ tandis que quand l'ami est présent, les motifs qui nous attachent à lui se multiplient tous les jours et l'amitié se fortifie. Il en arriverait de même de la colère si on en multipliait continuellement les causes. Néanmoins, par là même que la colère passe rapidement, c'est une preuve de la violence de sa fureur. Car comme un grand feu s'éteint rapidement après avoir con­sumé ce qui l'alimentait, de même la colère passe vite en raison de sa violence.

3. Il faut répondre au troisième , que toute puissance, quand on la divise en plusieurs parties, s'affaiblit. C'est pourquoi quand quelqu'un est en co­lère contre un individu et qu'il s'irrite ensuite contre un autre, la colère qu'il avait contre le premier est par là même diminuée, surtout si la colère qu'il a eue contre le second était plus forte. Car l'injure qui l'a mis en colère contre le premier lui paraîtra légère ou nulle comparativement à la se­conde, qu'il regarde comme beaucoup plus grande.

ARTICLE III. — est-ce la colère qui empêche le plus l'usage de la raison?


Objections: 1. Il semble que la colère ne gêne pas la raison. Car ce qui existe avec la raison ne paraît pas être un obstacle à ses fonctions. Or, la colère existe avec la raison, comme le dit Aristote (Eth. lib. vu, cap. 6). Donc la colère n'empêche pas l'usage de cette faculté.

2. Plus on empêche la raison et plus on affaiblit sa manifestation. Or, Aristote dit (Eth. lib. vii, cap. 6) que celui qui est colère n'est pas insidieux, mais qu'il marche à découvert. Donc la colère ne semble pas empêcher l'usage de la raison, comme la concupiscence qui est insidieuse, selon la remarque du même philosophe (loc. cit.).

3. Le jugement de la raison ressort avec plus d'évidence quand on le rapproche d'un contraire, parce que les contraires mis en opposition ressortent avec plus d'éclat. Or, c'est là précisément ce qui augmente la co­lère. Car Aristote dit (lihet. lib. ii, cap. 2j que les hommes se fâchent da­vantage quand les contraires préexistent. Ainsi ceux qui sont en honneur s'irritent d'être dans la disgrâce, et ainsi du reste. Ce qui ajoute à la colère étant tout à la fois favorable à la raison, il s'ensuit donc que la colère n'est pas un obstacle à l'exercice de cette faculté.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Moral, lib. v, cap. 30) que la colère enlève à l'intelligence sa lumière, parce qu'elle trouble la raison en l'agitant.

CONCLUSION. — Puisque la colère jette dans le coeur le trouble le plus profond, elle est de toutes les passions celle qui empêche le plus le jugement de la raison.

Réponse Il faut répondre que l'intelligence ou la raison quoiqu'elle ne se serve pas d'un organe corporel pour produire les actes qui lui sont propres, a néanmoins besoin de certaines puissances sensitives dont les actes sont empêchés par la perturbation du corps. Alors il arrive nécessairement que ces perturbations corporelles sont un obstacle à l'exercice de la raison, comme on le voit dans l'ivresse et le sommeil. Or, nous avons dit (art. préc.) que la colère est la passion qui trouble le plus le coeur, au point que son action retentit jusque dans les membres extérieurs. Il est donc évident que de toutes les passions c'est celle qui entrave le plus le jugement de la raison, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps. xxx, 10) : Mon oeil s'est troublé dans la colère.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la colère a pour principe la raison qui se rapporte au mouvement appétitif et qui constitue ce que cette passion a de formel (1), mais elle prévient le jugement parfait de la raison et elle n'écoute pas parfaitement ce qu'elle prescrit, par suite de l'efferves­cence qui s'élève tout à coup et qui constitue ce qu'il y a en elle de matériel, et c'est sous ce rapport qu'elle est un obstacle au jugement de la raison.

2. Il faut répondre au second, qu'on dit de l'homme colère qu'il est à décou­vert, non parce qu'il sait clairement ce qu'il doit faire, mais parce qu'il agit aux yeux de tout le monde sans chercher à se cacher : ce qui provient en partie de ce que la raison ne peut pas discerner ce qu'il faut cacher et ce qu'il faut dire, et de ce qu'elle ne peut pas trouver les moyens de se dissi­muler ; ce qui est aussi en partie l'effet de l'élargissement du coeur qui est le signe de la magnanimité que produit la colère. C'est ce qui fait dire à Aristote, en parlant du magnanime (Eth. lib. iv, cap. 3), qu'il met à décou­vert sa haine et son amour, et qu'il parle et agit sous les yeux de tout le monde. On dit au contraire que la concupiscence est cachée et insidieuse, parce que les choses agréables qu'on désire ont le plus souvent quelque chose de honteux et d'amollissant que l'homme veut dissimuler. Mais à l'é­gard de ce qui annonce de la virilité et de la force , comme la vengeance, l'homme cherche à paraître au grand jour.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (quest. xlvi, art. 4), le mouvement de la colère commence par la raison -, c'est pourquoi quand on met le contraire à côté du contraire et qu'il s'agit du même objet, cette opposition aide le jugement de la raison et augmente la colère. Car quand on a de l'honneur et des richesses et qu'on subit ensuite un re­vers, cette disgrâce paraît plus grande, soit parce que cet état succède immédiatement à un état contraire, soit parce que cet événement était imprévu, et c'est pour cela qu'il produit une tristesse plus profonde, comme les biens qui nous arrivent d'une manière imprévue nous causent une plus grande joie. Cet accroissement de tristesse a pour conséquence une augmentation de colère.

(I) Parce que la raison nous découvre l'offense qui nous a été faite ; niais ce qu'il y a de maté­riel dans la colère, comme l'altération sensible qu'elle excite dans le corps, est un obstacle l'exercice do la raison.




I-II (trad. Drioux 1852) Qu.46 a.8