I-II (trad. Drioux 1852) Qu.58 a.2

ARTICLE II. — la vertu morale se distingue-t-elle de la vertu intellectuelle?


Objections: 1. Il semble que la vertu morale ne se distingue pas de la vertu intellec­tuelle. Car saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. iv, cap. 21) que la vertu est l'art de bien vivre. Or, l'art est une vertu intellectuelle. Donc la vertu mo­rale n'est pas différente de la vertu intellectuelle.

2. La plupart des philosophes font entrer la science dans la définition des vertus morales. Ainsi ils disent que la persévérance est la science ou l'ha­bitude des choses auxquelles on doit ou l'on ne doit pas s'attacher; et la sainteté est la science qui rend fidèle Observateur de tout ce qui est dû à Dieu. Or, la science est une vertu intellectuelle. Donc on ne doit pas distin­guer la vertu morale de la vertu intellectuelle.

3. Saint Augustin dit (Sol. lib. i, cap. 6) que la vertu est la droite et par­faite raison. Or, ceci se rapporte à la vertu intellectuelle, comme on le voit (Eth. lib. vi, cap. ult.). Donc la vertu morale n'est pas distincte de la vertu intellectuelle..

4. Aucun être ne se distingue de ce qui entre dans sa définition. Or, la vertu intellectuelle entre dans la définition de la vertu morale. Car Aristote dit (Eth. lib. n, cap. 6) que la vertu morale est une habitude élective qui se tient dans un milieu que la raison détermine, selon le sentiment du sage. Or, la droite raison qui détermine ce juste milieu de la vertu morale appar­tient à la vertu intellectuelle, comme le dit Aristote (Eth. lib. vi, cap. ult.). Donc la vertu morale ne se distingue pas de la vertu intellectuelle.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit : Cette distinction sert de fondement à la classification des vertus. Car nous disons que les unes sont intellectuelles et les autres morales (Eth. lib. i, cap. ult.).

CONCLUSION. — Comme l'intellect est différent de l'appétit, de même il est néces­saire que les vertus morales soient différentes des vertus intellectuelles.

Réponse Il faut répondre que la raison est le premier principe de tous les actes humains; et quels que soient les autres principes de ces mêmes actes, ils obéissent tous à la raison, mais de différente manière. En effet il y en a qui obéissent à la raison d'une manière absolue, qui font ce qu'elle veut sans la contredire jamais. Tels sont les membres du corps quand ils sont dans leur état naturel; car les mains et les pieds se mettent en mouvement aus­sitôt que la raison le leur ordonne. De là Aristote dit (Pol. lib. i, cap. 3) que l'âme régit le corps avec une autorité despotique, c'est-à-dire comme le maître mène l'esclave qui n'a pas le droit de le contredire. Il y a des phi­losophes qui ont supposé que tous les principes actifs qui sont dans l'homme obéissent tous de cette manière à la raison. S'il en était ainsi il suffirait que la raison fût parfaite pour bien agir; et comme la vertu est une habitude qui nous perfectionne pour bien agir, il s'ensuivrait qu'elle n'exis­terait que dans la raison, et que par conséquent il n'y aurait pas d'autre vertu que la vertu intellectuelle. Ce sentiment fut celui de Socrate, qui di­sait que toutes les vertus étaient des espèces de prudences, comme le rap­porte Aristote (Eth. lib. vi, cap. ult.). D'où il concluait que l'homme ne pou­vait pécher quand il avait la science en lui, et que quiconque faisait une faute agissait par ignorance. Tout ce système repose sur une fausse hypothèse. Car la partie appétitive de l'âme obéit à la raison non pas absolument comme la raison le veut, mais avec une certaine opposition. C'est ce qui fait dire à Aristote (Po/.lib. i, cap. 3) que la raison a sur elle un pouvoir restreint analogue à celui qu'un magistrat exerce sur des hommes libres qui ont le pouvoir de le contredire. C'est aussi ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Ps. cxvin, conc. 8) que quelquefois l'intelligence précède, et que la volonté la suit lentement ou même ne la suit point du tout ; parce que quelquefois les passions ou les habitudes de la partie appétitive empêchent complète­ment la raison d'agir à propos d'une chose particulière. Sous ce rap­port il y a du vrai dans ce que disait Socrate en soutenant qu'on ne pèche pas quand on a la science, mais il faut étendre cela à l'usage que la raison en fait dans le choix de l'objet en particulier. Ainsi donc pour que l'homme agisse bien, ce n'est pas assez que sa raison soit bien dis­posée par l'habitude de la vertu intellectuelle, il faut encore que sa puis­sance appétitive le soit aussi par l'habitude de la vertu morale (1). Par con­séquent comme l'appétit diffère de la raison, de même la vertu morale diffère de la vertu intellectuelle (2). Et comme l'appétit est le principe de l'acte hu­main selon qu'il participe de quelque manière à la raison, de même l'ha­bitude morale est une vertu humaine selon qu'elle lui est conforme.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Augustin désigne en général par le mot art la droite raison quelle qu'elle soit, et il comprend ainsi sous ce mot la prudence qui est la droite raison des actions, comme l'art est la droite raison des ouvrages qu'on produit extérieurement. Et quand il dit que la vertu est l'art de bien vivre, cette proposition se rap­porte essentiellement à la prudence, mais elle convient aux autres vertus par participation selon que la prudence les dirige.

2. Il faut répondre au second, que ces définitions de quelque source qu'elles viennent ont été inspirées par le sentiment de Socrate, et on doit d'ailleurs leur appliquer la même interprétation que celle que nous avons donnée de l'art dans la réponse précédente (1).

3. Il faut répondre de la même manière au troisième argument.

4. Il faut répondre au quatrième, que la droite raison qui se rapporte à la prudence entre dans la définition de la vertu morale, non comme une partie de son essence, mais comme une chose à laquelle participent toutes les vertus morales, puisque la prudence les dirige toutes.

blit la différence des habitudes; les vertus mora­les appartenant à l'appétit et les vertus intellec­tuelles à l'entendement, elles sont nécessairement distinctes.


ARTICLE III. — est-il convenable de diviser la vertu en vertu morale et en vertu intellectuelle ?


Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas suffisant de diviser la vertu humaine en vertu morale et en vertu intellectuelle. Car la prudence paraît tenir le milieu entre la vertu morale et la vertu intellectuelle, puisque Aristote la place parmi les vertus intellectuelles (Eth. lib. vi, cap. 3 et 5), tandis que tous les auteurs la rangent ordinairement parmi les quatre vertus cardinales qui sont des ver­tus morales, comme on le verra (I-II 61,1). Il ne suffit donc pas de diviser la vertu en vertu intellectuelle et en vertu morale, comme si cette division était immédiate.

2. La continence, la persévérance et la patience (2) ne sont pas comptées parmi les vertus intellectuelles; elles ne sont pas non plus des vertus morales, puisqu'elles ne tiennent pas le milieu dans les passions, mais que les passions abondent plutôt en elles. Il ne suffit donc pas de diviser la vertu en vertus intellectuelles et en vertus morales.

3. La foi, l'espérance et la charité sont des vertus, sans être des vertus intellectuelles, puisqu'on ne distingue que cinq vertus intellectuelles, qui sont : la science, la sagesse, l'intelligence, la prudence et l'art, comme nous l'avons dit (quest. lvii, art. 2 et 3). Elles ne sont pas non plus des vertus morales, parce qu'elles n'ont pas pour objets les passions auxquelles se rap­porte la vertu morale. Donc la vertu n'est pas suffisamment divisée en ver­tus intellectuelles et morales.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit (Etli. lib. ii , cap. 1) qu'il y a deux sortes de vertu, la vertu intellectuelle et la vertu morale.

CONCLUSION. — Puisque toute vertu humaine est une habitude par laquelle l'homme est perfectionné pour l'action, soit sous le rapport de l'intellect, soit sous le rapport de la volonté, toute vertu humaine regarde l'intellect ou la volonté, et par là même elle est intellectuelle ou morale.

Réponse Il faut répondre que la vertu humaine est une habitude qui perfectionne l'homme pour qu'il agisse bien. Or, les actes humains n'ont dans l'homme que deux principes : l'intellect ou la raison, et l'appétit ou la volonté. Car ce sont les deux moteurs qui existent en lui, comme le dit Aristote (De an. lib. m, text. 48). Toute vertu humaine doit donc perfectionner un de ces principes. Si elle perfectionne l'intellect spéculatif ou pratique et qu'elle le dispose à bien agir, c'est une vertu intellectuelle; si elle perfectionne la partie appétitive de l'âme, c'est une vertu morale. D'où il résulte que toute vertu humaine est intellectuelle ou morale.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la prudence considérée dans son essence est une vertu intellectuelle ; mais si on la considère par rap­port à la matière (4), elle se confond avec les vertus morales ; car elle est la droite raison des actions que l'on doit faire, comme nous l'avons dit (quest. lvii, art. 4), et à ce titre on la compte parmi les vertus morales.

2. Il faut répondre au second, que la continence et la persévérance ne sont pas des perfections de l'appétit sensitif. Ce qui résulte évidemment de ce que les passions déréglées abondent dans celui qui est continent et persé­vérant; et il n'en serait pas ainsi si l'appétit sensitif était perfectionné par une habitude qui l'aurait rendu conforme à la raison. La continence ou la persévérance est une perfection de la raison qui résiste aux passions et qui l'empêche de se laisser entraîner par elles, mais ce n'est cependant pas une vertu. Car la vertu intellectuelle qui fait que la raison se comporte bien moralement présuppose la droiture de la volonté à l'égard de la fin pour qu'elle soit en bon rapport avec les fins qui sont les principes d'après lesquels elle raisonne; ce qui n'existe pas dans celui qui est ferme et persévérant. D'ailleurs une opération qui procède de deux puissances ne peut être parfaite qu'autant que ces deux puissances sont l'une et l'autre perfectionnées par une bonne habitude ; comme l'action qu'un agent exécute au moyen d'un instrument ne peut être parfaite qu'au­tant que l'instrument est en bon état, quel que soit d'ailleurs le mérite de l'agent lui-même. Par conséquent si l'appétit sensitif que meut la raison n'est pas parfait, quelle que soit la perfection (le la raison elle-même l'action qui en résultera ne sera pas parfaite non plus. Le principe de l'action ne sera donc pas une vertu. C'est pourquoi la continence dans les plaisirs et la persévé­rance dans le chagrin ne sont pas des vertus, mais quelque chose d'inférieur à la vertu, comme le dit Aristote (Eth. lib. vii, cap. 4 et 9).

3. Il faut répondre au troisième, que la foi, l'espérance et la charité sont su­périeures aux vertus humaines ; car ce sont les vertus de l'homme selon qu'il participe à la grâce divine (2).

aux objections. Pour plus de détails on peut voir la Morale d'Aristote (liv. vii, on trouvera là des considérations qui ont donné lieu à ce raisonne­ment.

(3). C'est-à-dire par rapport à nos actions qu'elle dirige.
(2) On ne les a pas comprises dans cette division précisément parce qu'elles ne sont pas des vertu humaines.



ARTICLE IV. — la vertu morale peut-elle exister sans la vertu intellectuelle ?


Objections: 1. Il semble que la vertu morale puisse exister sans la vertu intellectuelle. Car la vertu morale, comme ledit Cicéron (De inv. lib. ii), est une habitude en quelque sorte naturelle, conforme à la raison. Or, la nature, quoiqu'elle obéisse à une raison supérieure qui la meut, n'a cependant pas besoin d'être unie à cette raison dans un même sujet, comme on le voit à l'égard des choses naturelles qui sont inintelligentes. Donc il peut v avoir dans un homme une vertu morale qui le porte, à la manière de la nature, à obéir à la raison, quoique l'esprit de cet homme ne soit perfectionné par aucune vertu intellectuelle.

2. C'est par la vertu intellectuelle que l'homme parvient au parfait usage de sa raison. Or, il arrive quelquefois que des hommes dont la raison est faible sont vertueux et agréables à Dieu. Il semble donc que la vertu morale puisse exister sans la vertu intellectuelle.

3. La vertu morale porte à bien agir. Or, il y a des hommes qui ont natu­rellement cette inclination sans que la raison ou le jugement y aient aucune part. Donc les vertus morales peuvent exister sans la vertu intellectuelle.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Mor. lib. xxii, cap. 23 ou 33) que les vertus, si elles ne font pas avec prudence ce qui est l'objet de leurs désirs, ne peuvent pas être des vertus. Or, la prudence est une vertu intel­lectuelle, comme nous l'avons dit (I-II 57,8). Donc les vertus mo­rales ne peuvent pas exister sans les vertus intellectuelles.

CONCLUSION. — La vertu morale peut exister sans certaines vertus intellectuelles, c'est-à-dire sans la sagesse, la science et l'art, mais elle ne peut exister sans la pru­dence et l'intelligence.

Réponse Il faut répondre que la vertu morale peut exister sans certaines vertus intellectuelles, comme la sagesse, la science et«l'art (1), mais elle ne peut exister sans l'intelligence et la prudence. En effet elle ne peut exister sans la prudence, puisqu'elle est une habitude élective, c'est-à-dire qui fait un bon choix. Or, pour qu'un choix soit bon il faut deux choses: la première c'est que l'intention soit droite par rapport à la fin ; ce qui est l'effet de la vertu morale qui incline la puissance appétitive au bien que la raison approuve; ce qui constitue la légitimité de la fin. La seconde chose c'est que l'homme prenne de bons moyens ; ce qui ne peut être que l'oeuvre de la rai­son qui conseille, qui juge et qui ordonne; ce qui se rapporte à la prudence et aux vertus qui lui sont annexées, comme nous l'avons vu (I-II 57,4-5 ; 57,8). La vertu morale ne peut donc pas exister sans la prudence. Conséquemment elle ne peut pas exister non plus sans l'intelligence. Car par l'in­telligence on perçoit les principes qui nous sont naturellement connus en matière spéculative aussi bien qu'en matière pratique. Par conséquent comme la droite raison spéculative selon qu'elle procède de principes na­turellement connus en présuppose l'intelligence, ainsi il en est de la pru­dence qui est la droite raison pratique (2).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'inclination de la nature dans les êtres irraisonnables existe sans l'élection, etc'est pour ce motif que cette inclination ne requiert pas nécessairement la raison ; mais l'inclination de la vertu morale existe avec l'élection ; c'est pourquoi pour qu'elle soit par­faite il faut que la raison soit elle-même perfectionnée par une vertu intel­lectuelle (3).

2. Il faut répondre au second, que dans l'homme vertueux il n'est pas néces­saire que la raison brille sous tous les rapports, il suffit qu'elle l'éclairé sur toutes les choses qu'il doit faire conformément à la vertu; et c'est ce qui a lieu chez tous ceux qui sont vertueux. C'est pour cela que ceux qui parais­sent simples parce qu'ils n'ont pas l'habileté du monde, peuvent être pru­dents, selon ces paroles de l'Evangile (Mt 10,16): Soyez, prudents comme des serpents, et simples comme des colombes.

3. Il faut répondre au troisième, que l'inclination naturelle au bien est un commencement de vertu, mais n'est pas la vertu parfaite. Car plus cette inclination est parfaite et plus elle est dangereuse, à moins qu'elle ne soit éclairée par la droite raison qui choisit les moyens les plus propres à la fin qu'on doit attendre (4) ; comme un cheval qui court, s'il est aveugle, se blesse d'autant plus profondément qu'il court plus fort. C'est pourquoi, quoique la vertu morale ne soit pas la droite raison, comme le disait Socrate, non-seule­ment elle la suit en portant la volonté vers ce qui lui est conforme, comme les platoniciens l'ont supposé, mais il faut encore qu'elle existe avec elle, comme le dit Aristote (Eth. lib. vi, cap. ult.).

(3) Telle que la prudence.
(4) Cette inclination seule est le zèle qui n'est pas éclairé ; il tombe dans des fautes d'autant plus graves qu'il est plus ardent.


ARTICLE V. — la vertu intellectuelle PEUT-elle exister sans la vertu morale?


Objections: 1. Il semble que la vertu intellectuelle puisse exister sans la vertu morale. Car la perfection de ce qui est antérieur ne dépend pas de la perfection de ce qui est postérieur. Or, la raison est antérieure à l'appétit sensitif et le meut. Donc la vertu intellectuelle, qui est la perfection de la raison, ne dé­pend pas de la vertu morale qui est la perfection de la partie appétitive, et par conséquent elle peut exister sans elle.

2. Les choses morales sont la matière de la prudence, comme les ouvrages à faire sont la matière de l'art. Or, l'art peut exister sans la matière qui lui est propre, comme le forgeron sans fer. Donc la prudence peut exister sans les vertus morales, quoique de toutes les vertus intellectuelles elle soit celle qui paraît leur être la plus étroitement unie.

3. La prudence est la vertu qui inspire les bons conseils, comme le dit Aristote (Eth. lib. vi, cap. 9). Or, il y a beaucoup d'hommes qui donnent de bons conseils quoiqu'ils n'aient pas de vertus morales. Donc la prudence peut exister sans la vertu morale.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Vouloir faire le mal est une chose directement op­posée à la vertu morale, mais elle ne l'est pas à ce qui peut exister sans cette vertu. Or, il est contraire à la prudence de pécher volontairement, comme le dit Aristote (Eth. lib. vi, cap. 5). Donc la prudence ne peut pas exister sans la vertu morale.

CONCLUSION. — Toutes les vertus intellectuelles à l'exception de la prudence peu­vent exister sans la vertu morale.

Réponse Il faut répondre que les autres vertus intellectuelles peuvent exister sans la vertu morale (1), mais que la prudence ne peut pas exister sans elle. La raison en est que la prudence est la règle de ce qu'on doit faire non-seulement en général, mais en particulier, et c'est en cela que les actions consistent. Or, celte règle présuppose les principes d'après lesquels la raison procède, et il faut pour les choses particulières que la raison parte non-seulement do principes généraux, mais encore de principes particuliers. A l'égard des principes généraux, l'homme peut les connaître parfaitement à l'aide des lu­mières de l'intellect qui lui montre qu'on ne doit jamais faire le mal, ou à l'aide de la science pratique. Mais cela ne suffit pas pour qu'il raisonne juste sur tous les points particuliers. Car il arrive quelquefois que le principe gé­néral qui est connu par l'intellect ou par la science est faussé dans ses appli­cations particulières par une passion quelconque. Ainsi celui qui est do­miné par la concupiscence regarde comme bon ce qu'il désire, quoiqu'il soit en opposition avec le jugement général de la raison. C'est pourquoi comme l'homme est éclairé sur les principes généraux par les lumières naturelles de l'intellect ou par celles de la science, de même pour qu'il ne se trompe pas sur les principes particuliers qui sont les fins d'après lesquelles il doit se conduire, il faut qu'il soit perfectionné par des habitudes qui le por­tent en quelque sorte d'une manière toute naturelle à bien juger de sa fin, et c'est précisément là ce que produit la vertu morale (2). Car l'homme vertueux juge bien de la fin de la vertu, parce que chaque individu se fait de sa fin une idée conforme à ce qu'il est, comme le dit Aristote (Eth. lib. m, cap. 5). Par conséquent la prudence qui est la règle de la conduite exige donc que l'homme ait la vertu morale.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la raison, selon qu'elle perçoit la fin, en précède l'appétit ou le désir. Mais le désir de la fin précède la raison qui discute le choix des moyens (1), ce qui est l'oeuvre de la prudence-, comme en matière spéculative l'intelligence des principes est la base du syllogisme.

2. Il faut répondre au second, que nous ne jugeons pas des objets d'art bien ou mal selon la disposition de notre appétit, comme nous jugeons des fins qui sont les principes de nos actions morales; nous ne les considérons que rationnellement (2). C'est ce qui fait que l'art n'exige pas comme la pru­dence une vertu qui le perfectionne.

3. Il faut répondre au troisième, que la prudence ne sert pas seulement pour le conseil, mais encore pour le jugement et le commandement ; ce qui ne pour­rait pas avoir lieu, si la vertu morale n'était là pour écarter les passions qui corrompent le jugement et qui empêchent la prudence de commander.

(2) Ainsi la vertu de chasteté nous empêche de suivre l'attrait de la concupiscence.
(2) C'est-à-dire d'après le seul rapport qu'ils ont avec la raison ou les règles de l'art. L'appé­tit n'intervient d'aucune manière dans notre juge­ment.



QUESTION LIX.

DE LA DISTINCTION DES VERTUS MORALES SELON LEUR RAPPORT AVEC LES PASSIONS.


Après avoir montré la différence qu'il y a entre les vertus morales et les vertus intel­lectuelles, il nous reste à considérer ce qui distingue les vertus morales entre elles. Et comme les vertus morales qui ont les passions pour objets se distinguent selon la diversité des passions elles-mêmes, il faut d'abord examiner en général le rapport qu'il y a entre les vertus et les passions, et ensuite traiter de la distinction des vertus morales d'après les passions elles-mêmes. — Touchant la distinction des vertus et des passions il y a cinq questions à faire : 1° La vertu morale est-elle une passion? —2° La vertu morale peut-elle exister avec la passion ? — 3° Peut-elle exister avec la tristesse? — 4° Toute vertu morale a-t-elle les passions pour objet? — 5° Une vertu morale quel­conque pourrait-elle exister sans passion?

ARTICLE I. — la vertu morale est-elle une passion?


Objections: 1. Il semble que la vertu morale soit une passion. Car le milieu est du même genre que les extrêmes. Or, la vertu morale tient le milieu entre les passions. Donc elle est une passion.

2. La vertu et le vice appartiennent au même genre, puisque ce sont des contraires. Or, il y a des passions qui reçoivent le nom de vices, comme l'envie et la colère. Donc il y a aussi des passions qui sont des vertus.

3. La miséricorde est une passion, puisqu'elle consiste à s'attrister des malheurs d'autrui, comme nous l'avons dit (I-II 35,8), (arg. 3). Or, Cicéron, l'écrivain le plus exact et le plus correct, ne fait pas de difficulté de l'appeler une vertu, selon la remarque de saint Augustin (De civ. Dei, lib. ix, cap. 5). Donc la passion peut être une vertu morale.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit(M. lib. ii, cap. 5) que les passions ne sont ni des vertus ni des vices.

CONCLUSION. -— Puisque la vertu morale n'est pas un mouvement, mais plutôt le principe du mouvement appétitif, et qu'elle est une habitude qui ne se rapporte qu'au bien, il est impossible qu'elle soit une passion.  Il faut répondre que la vertu morale ne peut être une passion, et cela pour trois raisons. 1° Parce que la passion est un mouvement de l'appétit sensi­tif, comme nous l'avons dit (I-II 22,3), tandis que la vertu morale n'est pas un mouvement, mais qu'elle est plutôt à titre d'habitude le prin­cipe du mouvement appétitif. 2° Parce que les passions ne sont par elles- mêmes ni bonnes, ni mauvaises. Car le bien ou le mal moral se rapportent à la raison. Par conséquent les passions considérées en elles-mêmes sont bonnes ou mauvaises selon qu'elles peuvent s'accorder ou non avec la rai­son. Mais il ne peut pas en être ainsi de la vertu, puisque la vertu ne se rap­porte qu'au bien, comme nous l'avons dit (I-II 55,3). 3° Parce qu'en supposant qu'il y ait des passions qui ne se rapportent qu'au bien ou qui ne se rapportent qu'au mal d'une certaine manière, néanmoins le mouve­ment de la passion, considérée comme telle, a son principe dans l'appétit et son terme dans la raison à laquelle l'appétit tend à se conformer, tandis que le mouvement de la vertu a au contraire son principe dans la raison et son terme dans l'appétit, selon que la raison le meut. C'est pourquoi en définis­sant la vertu morale, Aristote dit (Eth. lib. ii, cap. 6) que c'est une habitude élective qui consiste dans un certain milieu déterminé par la raison, telle qu'elle existe dans l'homme sensé.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la vertu considérée dans son essence n'est pas un milieu entre les passions ; elle ne l'est que par rapport à son effet, en ce sens qu'elle établit un juste milieu entre elles (1).

2. Il faut répondre au second, que si l'on donne le nom de vice à l'habitude d'après laquelle on fait une mauvaise action, il est évident qu'aucune pas­sion n'est un vice; mais si l'on donne le nom de vice au péché qui est un acte vicieux, rien n'empêche qu'en ce sens une passion ne soit un vice ou qu'elle ne contribue à des actes de vertu, selon qu'elle est contraire à la raison ou qu'elle lui est conforme.

3. Il faut répondre au troisième, que la compassion est une vertu, ou plutôt un acte de vertu, quand ce mouvement de l'âme obéit à la raison, c'est-à-dire quand la compassion est telle qu'elle ne déroge point à la justice, comme quand il s'agit, selon la pensée de saint Augustin, de secourir l'indigence ou de pardonner au repentir (De civ. Dei, lib. ix, cap. 5). Mais si par compas­sion on entend l'habitude qui porte l'homme à s'émouvoir d'une manière conforme à la raison, rien n'empêche qu'on ne lui donne alors le nom de vertu. On peut faire le même raisonnement à l'égard des autres passions.


ARTICLE II. — la vertu morale est-elle compatible avec la passion?


Objections: 1. Il semble que la vertu morale ne soit pas compatible avec la passion. Car Aristote dit (Top. lib. iv, cap. 5) qu'il suffit d'être impassible pour être doux, tandis que l'homme qui se modère est celui qui est ému sans se laisser entraîner. On peut faire le même raisonnement sur toutes les vertus morales. Donc toute vertu morale existe sans la passion.

2. La vertu est une habitude droite de l'âme, comme la santé est l'état convenable du corps, selon l'expression d'Aristote (Phys. lib. vu, text. 17). D'où il suit que la vertu est la santé de l'âme, comme le dit Cicéron (Tusc. lib. iv). Or, on dit que les passions sont des maladies de l'àme (Tusc. ib.), et comme la santé est incompatible avec la maladie il en résulte que la vertu n'est pas compatible avec la passion.

3. La vertu morale requiert l'usage parfait de la raison dans les choses particulières. Or, les passions sont un obstacle au libre exercice de cette faculté. Car Aristote dit (Eth. lib. vi, cap. 5) que les délectations faussent les jugements de la prudence : et on lit dans Salluste (in Conjur. Catil.) que l'esprit ne saisit pas facilement la vérité, quand les passions l'obscurcissent. Donc la vertu morale n'est pas compatible avec la passion.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. xiv, cap. G) : Si la volonté est déréglée, les mouvements de ses passions seront déréglés comme elle; si elle est droite, ils seront non-seulement irréprochables, mais encore dignes d'éloges. Or, la vertu morale n'exclut rien de ce qui est digne d'élo­ges. Donc elle n'exclut pas les passions, mais elle est compatible avec elles.

CONCLUSION. — Si on entend par passions les affections déréglées, elles sont incompatibles avec fa vertu morale, car on ne peut y consentir et rester vertueux : mais si on entend par là tous les mouvements de l'appétit sensitif quels qu'ils soient, en ce sens les passions sont compatibles avec la vertu morale suivant qu'elles sont réglées par la raison.

Réponse Il faut répondre que sur ce point les stoïciens et les péripatéticiens ont été partagés, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. ix, cap. 4). Car ­les stoïciens ont prétendu que les passions de l'âme ne peuvent exister dans l'homme sage ou vertueux, tandis que les péripatéticiens, dont Aristote est le chef, ont soutenu qu'elles étaient compatibles avec la vertu morale, pourvu qu'elles ne fussent pas extrêmes. Toutefois cette différence, selon la remarque de saint Augustin, était plus dans les mots que dans le fond des choses. En effet les stoïciens ne distinguant pas l'appétit intelligentiel ou la volonté de l'appétit sensitif qui comprend l'irascible et le concupiscible, ils n'observaient pas que les passions de l'âme diffèrent des autres affections humaines en ce que les passions sont des mouvements de l'appé­tit sensitif, tandis que les autres affections qui ne sont pas des passions sont des mouvements de l'appétit intelligentiel, ou de la volonté, comme l'ont remarqué les péripatéticiens. Mais comme ils ne donnaient le nom de pas­sions qu'aux affections de l'âme qui répugnent à la raison, ils concluaient que toutes celles qui sont délibérées ou consenties ne peuvent exister dans un homme sage ou vertueux. D'après leur sentiment il n'en était pas de même des mouvements subits et irréfléchis, parce que ces imaginations de l'âme, appelées fantaisies, s'emparent de nous sans qu'il soit en notre pouvoir de les écarter, et quand elles naissent d'événements terribles, il est impossible que l'âme du sage n'en soit pas ébranlée et qu'elle rente inaccessible aux premières émotions de la terreur ou de la tristesse qui pré­viennent l'intervention de la raison. Mais l'âme n'approuve, ni ne consent à ces mouvements. Tel est l'exposé que fait saint Augustin de la doctrine des stoïciens d'après Aulu-Gelle (Civ. Dei, lib. ix, cap. 4). — Si donc on en­tend par passions les affections déréglées de l'âme, elles ne peuvent exister dans l'homme vertueux d'une manière réfléchie et consentie, et c'est ce que les stoïciens prétendaient. Mais si par passions on entend tous les mouvements de l'appétit sensitif, elles peuvent exister dans l'homme vertueux selon qu'elles ont la raison pour règle. C'est ce qui fait dire à Aristote (Eth. lib. ii, cap. 3) qu'on définit mal la vertu quand on dit que c'est une sorte d'impassibilité et de calme imperturbable, parce que ces expressions sont trop absolues ; mais qu'on devrait dire que la vertu calme les pas­sions en les empêchant de s'élever à contre-temps et de la manière qu'il ne faut pas.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cet exemple cité par Aristote est comme d'autres qui se trouvent dans sa Logique ; il exprime non pas son opinion personnelle, mais celle des autres. Or, les stoïciens pensaient en effet que les vertus étaient incompatibles avec les passions, mais Aristote rejette leur sentiment quand il soutient (loc. cit.) qu'on ne peut pas dire que la vertu est une sorte d'impassibilité. Cependant on pourrait dire en­core que quand on prétend que celui qui est doux est impassible on entend par là qu'il ne subit aucune passion déréglée.

2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement et tous les raisonnements semblables que Cicéron fait dans ses Tusculanes, se rapportent aux pas­sions considérées comme des affections déréglées.

3. Il faut répondre au troisième, que la passion qui prévient le jugement de la raison, si elle prévaut sur l'esprit et que l'esprit y consente, est un obsta­cle qui nuit à la prudence et au jugement ; mais si la passion ne vient que quand la raison lui commande d'agir, elle est d'un grand secours pour exé­cuter ses ordres (1).

(1) L'homme passionné agit avec beaucoup plus d'ardeur, de force et de courage que celui qui ne l'est pas.


ARTICLE III. — la vertu morale est-elle compatible avec la tristesse?


Objections: 1. Il semble que la vertu ne soit pas compatible avec la tristesse. Car les vertus sont des effets de la sagesse, selon cette parole de l'Ecriture (Sg 8,7) : La sagesse divine enseigne la sobriété et la justice, la prudence et la vertu. Or, l'Ecriture ajoute que les rapports qu'on a avec la sagesse n'ont rien d'amer. Donc les vertus ne sont pas compatibles avec la tristesse.

2. La tristesse empêche l'action, comme le prouve Aristote (Eth. lib. vii, cap. ult. et lib. x, cap. 4 et 5). Or, ce qui empêche de faire une bonne action est contraire à la vertu. Donc la tristesse lui répugne.

3. La tristesse est une maladie de l'esprit, comme l'appelle Cicéron (De Tusc. lib. iv). Or, la maladie de l'âme est contraire à la vertu qui en est la santé. Donc la tristesse est contraire à la vertu et ne peut exister simulta­nément avec elle.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Christ fut d'une vertu parfaite, et cependant il eut de la tristesse. Car il dit (Mt 26,38) : Mon âme est triste jusqu'à la mort. Donc la tristesse est compatible avec la vertu.

CONCLUSION. — Puisque la vertu rend l'homme conforme à la raison, la tristesse modérée qui a pour objet ce qui répugne à la raison peut et doit être la compagne de la vertu ; mais la tristesse qui se rapporte à ce qui est conforme à la vertu et à la raison est incompatible avec elle.

Réponse Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (De civ. lib. xix, cap. 8), les stoïciens, au lieu des trois passions qui bouleversent l'homme, ont voulu qu'il n'y eut dans l'esprit du sage que trois bonnes passions, qui sont la volonté au lieu de la cupidité; la joie au lieu du plaisir ; la prudence au lieu de la crainte. Mais ils ont nié que la tristesse puisse être remplacée par autre chose, et cela pour deux raisons. La première c'est que la tristesse a pour objet le mal qui est déjà arrivé; et les stoïciens prétendaient qu'au­cun mal ne peut atteindre le sage. Car ils disaient que la vertu étant le seul bien de l'homme, tous les avantages matériels ne sont pas pour lui des biens, et il n'y a de mal que le crime qui ne peut se rencontrer dans l'homme vertueux. Mais ce sentiment est déraisonnable. En effet l'homme étant composé d'une âme et d'un corps, ce qui est utile à la conservation du corps est un bien ; quoique ce ne soit pas le bien le plus élevé, parce que l'homme peut en faire mauvais usage. Par conséquent le mal qui est con­traire à ce bien peut se rencontrer dans le sage (2) et y produire une tristesse modérée. De plus, quoique l'homme vertueux puisse être sans péché grave, il n'y a cependant personne qui passe sa vie sans faire quelques fautes légères (1), d'après cette parole de saint Jean (1Jn 1,8) : Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous faisons illusion. 3° S l'homme vertueux n'a pas de péché, il en a eu peut-être autrefois, et c'est avec raison qu'il en gémit, d'après ce mot de l'Apôtre (2Co 7,10) : La tristesse qui est selon Dieu produit le repentir qui affermit l'oeuvre du salut. 4° On peut avec raison s'attrister du péché d'un autre : par conséquent comme la vertu morale est compatible avec les autres passions quand elles sont réglées par la raison, de même elle l'est avec la tristesse. — La se­conde raison qui frappait les stoïciens c'est que la tristesse a pour objet le mal présent et la crainte le mal futur, comme la délectation se rapporte au bien qui existe et le désir au bien qui est à venir. Or, la vertu peut faire qu'une personne jouisse du bien qu'elle possède, ou qu'elle désire posséder celui qu'elle n'a pas, ou qu'elle se mette en mesure contre un mal qu'elle redoute. Mais que le mal présent lasse succomber le courage de l'homme et l'attriste, ceci paraît absolument contraire à la raison ; d'où ils concluaient que la tristesse est incompatible avec la vertu. Mais ce raisonnement est défectueux. Car il y a un mal qui peut être présent pour l'homme ver­tueux, comme nous l'avons dit (art. préc.), c'est celui que la raison déteste (2). Alors l'appétit sensitif suit le mouvement d'horreur que la rai­son éprouve, quand il s'attriste de ce mal modérément et d'une manière raisonnable. Et comme cette conformité de l'appétit sensitif avec la raison appartient à la vertu, ainsi que nous l'avons dit (I-II 59,1-2), il s'ensuit qu'on fait un acte de vertu quand on s'attriste avec modération des choses dont on doit s'attrister, comme l'observe Aristote (Eth. lib. ii, cap. G et 7). D'ailleurs cette tristesse est utile pour faire éviter le mal. Car comme le plaisir fait rechercher le bien avec plus d'ardeur; de même la tristesse fait qu'on fuit le mal avec plus d'énergie. D'où l'on doit conclure que la tristesse qui a pour objet ce qui est conforme à la vertu ne peut exister simultané­ment avec elle, parce que la vertu trouve son plaisir dans les choses qui lui sont propres, tandis que la vertu s'attriste modérément de tout ce qui lui est contraire de quelque manière.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce passage de l'Ecriture prouve que le sage ne s'attriste pas de la sagesse, mais qu'il s'attriste de ce qui est une entrave à cette vertu. C'est pour ce motif qu'il n'y a jamais de tristesse dans les bienheureux, parce que rien ne peut les empêcher de jouir de la sagesse qu'ils contemplent.

2. Il faut répondre au second, que la tristesse nous empêche de faire les cho­ses qui nous attristent (3), mais elle nous aide à faire plus promptement celles qui doivent nous délivrer de cette affection.

3. Il faut répondre au troisième, que la tristesse immodérée est une maladie de l'âme, mais la tristesse modérée dans l'état de la vie présente est au contraire une marque de sa bonne disposition.

(2) Le sage ou l'homme vertueux ne souffre pas seulement du mal qu'il éprouve en lui- même, mais il souffre encore à l'occasion du mal qu'il voit éprouver à ses amis et à ses semblables.
(1) Les stoïciens supposaient à tort que l'homme vertueux était invulnérable du côté de l'âme et du côté du corps, et qu'il n'y avait pour lui ni mal physique, ni mal moral.
(2) C'est ainsi que Jésus-Christ s'attristait de nos iniquités. Tristis est anima mea usque ad mortem.
(3) Nous faisons mal les choses qui nous déplai­sent, mais nous travaillons avec d'autant plus d'ardeur contre celles qui nous attristent.



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.58 a.2