I-II (trad. Drioux 1852) Qu.68 a.2

ARTICLE II — les dons sont-ils nécessaires a l'homme pour i.e salut?


Objections: 1. Il semble que les dons ne soient pas nécessaires à l'homme pour le salut. Car les dons se rapportent à une perfection supérieure à la perfec­tion commune de la vertu. Or, il n'est pas nécessaire à l'homme pour être sauvé, qu'il acquière cette perfection qui est supérieure à l'état commun de la vertu, parce que cette perfection n'est pas de précepte, mais de conseil. Donc les dons ne sont pas nécessaires à l'homme pour être sauvé.

2. Pour le salut, il suffit quel'homme se conduise bien àl'égard des choses divines et des choses humaines. Or, les vertus théologales le règlent parfaite­ment à l'égard des choses divines et les vertus morales à l'égard des choses humaines. Donc les dons ne sont pas nécessaires à l'homme pour être sauvé.

3. Saint Grégoire dit (Moral, lib. ii, cap. 20) que l'Esprit-Saint donne la sagesse pour remédier à la folie, l'intelligence à l'idiotisme, le conseil à la précipitation, la force à la crainte, la science à l'ignorance, la piété à la du­reté, l'humilité à l'orgueil. Or, les vertus peuvent offrir un remède suffi­sant pour détruire tous ces vices. Donc les dons ne sont pas nécessaires à l'homme pour le salut.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Parmi les dons, la sagesse paraît être au premier rang et la crainte au dernier. Or, ces deux choses sont nécessaires au salut. Car il est dit de la sagesse (Sap. vii, 28) : Dieu n'aime que celui qui habite avec la sagesse. Et il est dit de la crainte (Eccles. i, 28) : Celui qui est sans la crainte ne pourra être justifié (1). Donc les autres dons sont aussi des moyens nécessaires au salut.

t) A l'égard de la crainte voyez ce que dit le concile de Trente (sess. Xiv, can. 41.

CONCLUSION. — Les dons de l'Esprit-Saint sont nécessaires à l'homme afin que Dieu fe meuve efficacement par ce moyen pour qu'if arrive à sa fin surnaturelle.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), les dons sont des perfections de l'homme qui le disposent à bien suivre l'impulsion qu'il reçoit de Dieu. Par conséquentà l'égarddeschosespourlesquellesle mouvementde la raison ne suffit pas, mais qui exigent absolument l'impulsion de l'Esprit- Saint, un don est nécessaire. Or, Dieu perfectionne la raison de l'homme de deux manières : 1° il la perfectionne d'une perfection naturelle, c'est-à-dire selon la lumière naturelle de la raison; 2° il la perfectionne d'une perfec­tion surnaturelle au moyen des vertus théologales, comme nous l'avons dit (I-II 62,1). Et quoique cette seconde perfection soit plus grande que la première, cependant l'homme possède la première d'une manière plus par­faite que la seconde. Car il possède la première, comme en ayant la pleine et entière possession et il ne possède la seconde qu'imparfaitement, puisque nous aimons Dieu et nousle connaissonsd'une façon imparfaite. Or, il est évi- dentque tout être qui possède parfaitement une nature, u ne formeou une vertu quelconque peut par lui-même agir d'après elle, sans toutefois exclure l'ac­tion de Dieu qui agit intérieurement dans toute nature et dans toute volonté ; tandis que l'être qui possède imparfaitement une nature, une forme ou une vertu quelconque ne peut agir par lui-même qu'autant qu'il est mû par un autre. Ainsi le soleil, parce qu'il est parfaitement lumineux, peut éclairer par lui-même, tandis que la lune où la lumière n'existe qu'imparfaite n'éclaire qu'autant qu'elle est éclairée. De même le médecin qui connaît parfaitement l'art de la médecine peut guérir par lui-même, tandis que son disciple qui n'est pas encore pleinement formé ne peut opérer par lui-même qu'autant qu'il l'instruit. Ainsi donc relativement aux choses qui sont soumises à la raison humaine, c'est-à-dire qui se rapportent à la fin naturelle de l'homme, il peut agir par le jugementou les lumières delaraison. Si Dieu lui vient en aide sous ce rapport, au moyen de lumière particulière, c'est alors de sa part un surcroît de bonté. C'est ce qui faisait dire aux philosophes que celui qui avait les vertus morales acquises n'avait pas pour cela les vertus héroï­ques ou divines. — Mais relativement à la fin dernière surnaturelle vers laquelle la raison nous porte, selon la forme imparfaite qu'elle a reçue des vertus théologales, ce mouvementde la raison est insuffisant s'il n'est secondé de l'impulsion et de la motion de l'Esprit-Saint, d'après ces pa-» rôles de l'Apôtre (Rom. viii, 14) : Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-la sont ses enfants et ses héritiers. Et dans les Psaumes il est dit (Ps. exi.ii, 10) : Votre bon esprit me conduira dans la terre des saints; ce qui signifie qu'aucun des bienheureux ne peut parvenir à cet héritage céleste, s'il n'est mû et conduit par l'Esprit-Saint. C'est pourquoi pour arri­ver à cette fin il est nécessaire que l'homme ait un don de l'Esprit-Saint.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les dons surpassent la perfec­tion commune des vertus, non quant au genre des oeuvres, comme les conseils l'emportent sur les préceptes, mais quant à la manière d'agir, en ce sens que l'homme est mû par un principe plus élevé.

2. Il faut répondre au second, que les vertus théologales et morales ne per­fectionnent pas tellement l'homme par rapport à sa fin dernière qu'il n'ait pas encore besoin d'être mû par une impulsion supérieure de l'Esprit-Saint, pour la raison que nous avons donnée (in corp. art.).

3. Il faut répondre au troisième, que la raison humaine ne connaît pas toutes choses, et tout ne lui est pas possible, .soit qu'on la considère comme par­faite d'une perlection naturelle, soit qu'on la considère comme perfectionnée par les vertus théologales. Par conséquent elle ne peut pas suus tous les rapports repousser la folie et les autres défauts dont il est fait mention dans ee passage. Mais celui dont la science et la puissance embrassent toutes choses nous met à l'abri par son impulsion de toute espèce de folie, d'igno­rance, d'idiotisme, de dureté et de tous les autres vices semblables. C'est pourquoi les dons de l'Esprit-Saint qui nous mettent en état de bien suivre son impulsion sont considérés comme un remède contre ces défauts.

ARTICLE III. — les dons de l'esprit-saint sont-ils des habitudes (1)?


Objections: 1. Il semble que les dons de l'Esprit-Sain^ ne soient pas des habitudes. Car l'habitude est une qualité immanente dans l'homme, puisque c'est une qualité qui change difficilement, comme le dit Aristote (In praedic, cap. De qualit.). Or, le propre du Christ, c'est que les dons de l'Esprit-Saint repo- senten lui, selon les paroles d'Isaïe etd'après celles de saint Jean (Joan, i, 33) : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit est celui qui baptise. Saint Grégoire expliquant ce passage dit (Mor. lib. ii, cap. 27) que l'Esprit-Saint vient dans tous les fidèles, mais qu'il n'y a que dans le Médiateur qu'il existe toujours et d'une façon singulière. Donc les dons de l'Esprit-Saint ne sont pas des habitudes.

2. Les dons de l'Esprit-Saint perfectionnent l'homme selon qu'il est mû par l'esprit de Dieu, comme nous l'avons dit (art. 1 et 2). Or, selon que l'homme est conduit par l'esprit de Dieu, il est en quelqueTsorte un instru­ment par rapport à lui. Comme il n'est pas convenable qu'un instrument soit perfectionné par une habitude, mais par l'agent principal, il s'ensuit que les dons de l'Esprit-Saint ne sont pas des habitudes.

3. Comme les dons de l'Esprit-Saint proviennent de l'inspiration divine, de même le don de prophétie. Or, la prophétie n'est pas une habitude. Car l'esprit de prophétie n'existe pas toujours dans les prophètes, comme ledit saint Grégoire (Sup. Ezech. Hom. i). Donc les'dons de l'Esprit-Saint ne sont pas des habitudes.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit aux disciples en parlant de l'Es- prit-Saint (Joan, xiv, 17) : Il demeurera avec vous et il sera en vous. Or, l'Esprit-Saint n'existe pas dans les hommes sans ses dons. Donc ses dons restent dans les hommes, et par conséquent ce ne sont pas seulement des actes, ou des passions, mais encore des habitudes permanentes.

CONCLUSION. — L'homme étant conduit par l'Esprit-Saint de telle sorte qu'il agisse lui-même autant qu'il appartient au libre arbitre, il est nécessaire que les dons de l'Esprit-Saint soient des habitudes qui le perfectionnent pour qu'il obéisse promp­tement à son inspiration.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1), les dons sont des perfections de l'homme qui le disposent à bien suivre l'impulsion de l'Es­prit-Saint. Or, il est manifeste, d'après ce que nous avons vu (I-II 68,1 ; 66,4), que les vertus morales perfectionnent la puis­sance appétitive selon qu'elle participe d'une certaine manière à la raison, c'est-à-dire suivant qu'elle est faite naturellement pour être mue par l'or­dre de cette faculté. Ainsi donc les dons de l'Esprit-Saint sont aux hommes, comparativement à l'Esprit-Saint, ce que les vertus morales sont à la puis­sance appétitive, comparativement à la raison. Et comme les vertus mora­les sont des habitudes qui disposent les puissances appétitives à obéir promptement à la raison, il s'ensuit que les dons de l'Esprit-Saint sont des

(t) L'Apôtre dit à Timothée (II. Tim. i) : Bonum depositum custodi per Spiritum sanctum qui habitat in nobis.

habitudes qui perfectionnent l'homme pour qu'il obéisse promptement à l'Esprit-Saint.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Grégoire donne lui-même la solution de cette difficulté (Mor. lib. ii, cap. 28), en disant que pour les dons sans lesquels on ne peut parvenir à la vie éternelle, l'Esprit-Saint demeure toujours dans tous les élus, mais qu'il n'en est pas de même des autres (1). Or, il y a sept dons qui sont nécessaires au salut, comme nous l'avons dit (art. 2;. Donc par rapport à eux l'Esprit-Saint demeure toujours dans les saints.

2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement repose sur un instru­ment auquel il n'appartient pas de mouvoir, mais seulement d'être mû. Or, l'homme n'est pas un instrument de cette nature. Mais il est mû par l'Esprit- Saint de telle sorte qu'il agisse aussi lui-même, puisqu'il est doué du libre arbitre. Par conséquent il a besoin d'habitudes.

3. Il faut répondre au troisième, que la prophétie se rapporte aux dons qui regardent la manifestation de l'esprit, mais non aux dons nécessaires au saíut. Par conséquent il n'y a pas de similitude.

ARTICLE IV. — les sept dons de l'esprit-saint sont-ils convenable­ment énumérés?


Objections: 1. Il semble que les sept dons de l'Esprit Saint ne soient pas convena­blement énumérés. Car dans cette énumération il y a quatre dons qui appar­tiennent aux vertus intellectuelles : ce sont la sagesse, X intelligence, la science, et le conseil qui appartient à la prudence. Mais il n'y a rien qui se rapporte à l'art qui est la cinquième vertu intellectuelle. De même on admet un don qui appartient à la justice, etc'estla piété ; et un autre don qui appar­tient à la force et qui porte le même nom que cette vertu. Mais on n'indi­que pas de don qui se rapporte à la tempérance. Donc les dons sont in­suffisamment énumérés.

2. La piété est une partie de la justice. Or, à l'égard de la force on n'éta­blit pas de don qui soit une de ses parties, mais on reconnaît la force elle- même. Donc on n'aurait pas dû faire de la piété un don, mais prendre la justice elle-même.

3. Les vertus théologales surtout nous élèvent àDieu.Doncpuisque les dons perfectionnent l'homme selon qu'il est mû par Dieu, il semble qu'on aurait dû reconnaître quelques dons qui appartinssent aux vertus théologales.

4. Comme on craint Dieu, de même on l'aime, on espère en lui et on s'en délecte. Or, l'amour, l'espérance et la délectation sont des passions qu'on divise par opposition à la crainte. Donc comme on fait de la crainte un don, de même on aurait dû faire trois dons de ces trois autres passions.

5. La sagesse est jointe à l'intelligence qu'elle dirige, le conseil à la force, la science à la piété. Donc on aurait dû ajouter à la crainte un don qui la dirige, et par conséquent c'est à tort qu'on met les dons de l'Esprit- Saintau nombre de sept.

En sens contraire Mais l'autorité de l'Ecriture est là pour établir le contraire (Is. xi).

CONCLUSION. — Il y a sept dons de l'Esprit-Saint qui perfectionnent l'homme tant sous le rapport de la raison que sous lç rapport de l'appétit pour la consomma­tion des bonnes oeuvres; savoir les dons de sagesse^d'intelligence, de conseil, de force, de science, de piété et de crainte.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), les dons sont des habitudes qui perfectionnenH'homme pour qu'il suive promptement l'im­pulsion de l'Esprit-Saint, comme les vertus morales perfectionnent les puis-

(J) Tels que le don ite prophétie, le don des miracles et tous ceux qui résultent des grâces gratuite­ment données.

sances appétitives pour qu'elles obéissent à la raison. Or, comme les puis­sances appétitives sont naturellement faites pour être mues par l'empire de la raison, de même toutes les forces humaines sont naturellement faites pour être mues par l'impulsion de Dieu comme par une puissance supé­rieure. C'est pourquoi comme les vertus sont dans toutes les facultés de l'homme qui peuvent être les principes des actes humains, de même les dons, c'est-à-dire qu'ils existent dans la raison et dans la puissance appé- , titive. Or, la raison est spéculative et pratique, et dans l'une et l'autre on considère la perception de la vérité qui appartient à l'invention et au juge­ment (1). Relativement à la perception de la vérité, la raison spéculative est perfectionnée par V intelligence g tla raison pratique par le conseil. Par rap­port au jugement, la raison spéculative est perfectionnée par la sagesse et la raison pratique par la science. Quant à la puissance appétitive, elle est perfectionnée par la piété pour les choses qui se rapportent à autrui, par la force pour les choses qui se rapportent à soi-même quand il s'agit d'affron­ter des dangers, et par la crainte quand il faut lutter contre la concupis­cence déréglée des jouissances, d'après ces paroles do l'Ecriture (Prov. xv, 27) : Par la crainte du Seigneur tout le monde s'éloigne du mal. Et ailleurs (Ps. cxviu, 120) : Percez mes chairs de votre crainte, car j'ai redouté vos jugements. Ainsi il est évident que les dons s'étendent à toutes les choses auxquelles s'étendent les vertus intellectuelles et morales (2).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les dons de l'Esprit-Saint per­fectionnent l homme à l'égard des choses qui ont rapport à la bonne con­duite, ce qui n'est pas l'objet de l'art. Car l'art n'embrasse que les travaux extérieurs, puisqu'on le définit la droite raison, non des actions que l'on doit faire, mais des choses que l'on doit exécuter (Eth. lib. vi, cap. Cependant on peut dire que relativement à l'infusion des dons, l'art appar­tient à l'Esprit-Saint qui est le moteur principal, et non aux hommes qui sont ses organes, puisqu'ils sont mus par lui. Quant au don de crainte il correspond d'une certaine manière à la tempérance. Car comme la vertu de tempérance, considérée dans sa propre essence, exige qu'on s'éloigne des délectations mauvaises à cause du bien que la raison approuve, de nn me il appartient au don de crainte qu'on renonce aux délectations mauvaises, à cause de la crainte de Dieu.

2. Il faut répondre au second, que la justice tire son nom de la droiture de la raison. C'est pourquoi le mot de vertu est plus convenable que celui de don. Mais le nom de piété implique le respect que nous avons pour notre père et pour notre patrie. Et comme Dieu est le père do toutes choses, son culte a reçu le nom de piété, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. x, cap. 1). C'est pourquoi il était convenable de donner ce nom au don par lequel on fait le bien pour honorer Dieu.

(2) Mais les dons perfectionnent ces mêmes puissances conformément à la raison divine, tan­dis que les vertus les perfectionnent conformé­ment à la raison humaine.
(1) C'est-à-dire la connaissance, qui est l'opéra­tion de l'entendement pratique et intellectuel, comprend deux choses : l'invention ou la décou­verte de la vérité et le jugement qu'on porte sur cette même vérité.

3. Il faut répondre au troisième, que l'esprit de l'homme n'est pas mu par l'Esprit-Saint s'il ne lui est uni d'une certaine manière -, comme l'instrument n'est pas mû par l'artisan s'il n'est en contact ou s'il n'est uni de quelque manière avec lui. Or, la première union de l'homme est celle qui s'opère parla foi, l'espérance et la charité. Par conséquent les dons présupposent ces vertus qui sont leurs racines, et ils leur appartiennent comme dérivant d'elles.

4. Il faut répondre au quatrième argument, que l'amour, l'espérance et la délectation ont le bien pour objet. Or, le bien souverain est Dieu. De là on a transporté les noms de ces passions aux vertus théologales par lesquelles l'àme est unie à Dieu. La crainte, au contraire, a pour objet le mal qui ne convient à Dieu d'aucune manière. Par conséquent elle n'implique pas l'union avec Dieu, mais plutôt leloignement de certaines choses par res­pect pour Dieu. C'est pourquoi on n'appelle pas vertu théologale, mais don, ce qui nous éloigne du mal plus fortement que la vertu morale (1).

5. Il faut répondre au cinquième, que la sagesse dirige l'intelligence de l'homme et ses affections. C'est pour cela qu'on reconnaît deux dons qui correspondent à la sagesse comme au principe qui les dirige; du côté de l'intellect ii y a le don d'intelligence et du côté de l'affection le don de crainte. Car le motif qui nous fait craindre Dieu est surtout pris de la con­sidération de l'excellence divine que la sagesse contemple.


ARTICLE V. — les dons de l'esprit-saint sont-ils unis indivisiblement (2)?


Objections: 1. Il semble que les dons de L'Esprit-Saint ne soient pas indivisiblement unis. Car l'Apôtre dit (i. Cor. xii, 8) : V un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science. Or, on compte la sagesse et la science parmi les dons du Saint-Esprit. Donc les dons de l'Esprit-Saint sont donnés à différentes personnes et ne sont pas unis entre eux dans le même sujet.

2. Saint Augustin dit (De Trin. lib. xiv, cap. 1) que beaucoup de fidèles ne sont pas remarquables parla science, quoiqu'ils le soient par la foi. Or, la foi est accompagnée de quelqu'un des dons, au moins du don de crainte. Il semble donc que les dons ne soient pas nécessairement unis dans le même sujet.

3. Saint Grégoire dit aussi (Mor. lib. i, cap. 15) : La sagesse est moindre si elle manque d'intelligence, et l'intelligence est absolument inutile si elle ne subsiste pas d'après la sagesse; le conseil ne sert de rien à celui qui n'a pas la force, et la force est complètement détruite si elle ne s'appuie pas sur le conseil; la science est nulle si elle n'est pas jointe à la piété, et la piété est absolument inutile si elle manque du discernement de la science; la crainte elle-même, si elle n'a pas ces vertus, ne peut mener à aucune bonne action. D'après ces paroles il semble qu'on puisse posséder un don sans l'autre. Donc les dons de l'Esprit-Saint ne sont pas indivisiblement unis.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire l'avance lui-même quand il dit : Dans le festin des enfants de Job il y a une chose à remarquer, c'est qu'ils se nourrissent réciproquement. Or, les enfants de Job dont il parle désignent les dons du Saint-Esprit. Donc les dons du Saint-Esprit sont unis indivisible­ment par là même qu'ils se soutiennent mutuellement.

CONCLUSION. — Comme notre raison est perfectionnée par la prudence, de même l'Esprit-Saint habite en nous par la charité; d'où il est manifeste que les dons de l'Es­prit-Saint sont indivisiblement unis dans la charité, comme les vertus morales le sont dans la prudence.

Réponse Il faut répondre que la véritable solution de*cette question peut facilempn i se conclure de ce que nous avons dit précédemment. Car nous avons vu (art. 3) que comme les forces appétitives sont disposées par les vertus

(t) Plus fortement, parce que la vertu morale ne s'abstient tlu mal que par respect pour la rai­son humaine, tandis que le don nous porte à nous en abstenir par respect pour la raison divine.
(2) Cet article est le commentaire raisonné de ces paroles de saint Paul Col. iii : Super om­nia charitatem habete quod est vinculum perfectionis. Le mot vinculum trouve dans l'ex­plication de saint Thomas son vrai sens littéral.

morales relativement à l'empire de la raison, de même toutes les facultés de l'âme sont disposées par les dons relativement au Saint-Esprit qui les meut. Or, le Saint-Esprit habite en nous par la charité, d'après ces paroles de l'Apôtre (Rom. v, 5) : La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné, comme notre raison est perfection­née par la prudence. Par conséquent, comme les vertus morales sont unies entre elles dans la prudence, de même les dons de l'Esprit-Saint sont unis entre eux dans la charité, de telle sorte que celui qui a la charité a tous les dons de l'Esprit-Saint et que sans elle on ne peut en avoir aucun.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on peut considérer la sagesse et la science comme des grâces gratuitement données (4), c'est-à-dire comme des grâces qui donnent à une personne une connaissance si abon­dante des choses divines et humaines qu'elle puisse instruire les fidèles et confondre leurs adversaires, et c'est en ce sens qu'il faut entendre ce que dit l'Apôtre de la sagesse et de la science. C'est pourquoi il se sert expressément du mot (sermo sapientiae et scientiae), parler avec sagesse et avec science. On peut aussi entendre par là les dons de l'Esprit-Saint. Alors la sagesse et la science ne sont rien autre chose que des perfections de l'esprit, humain qui le préparent à suivre l'impulsion de l'Esprit-Saint dans la connaissance des choses divines et humaines. Il est évident que ces dons se trouvent dans tous ceux qui ont la charité.

2. Il faut répondre au second, que saint Augustin, expliquant le passage de l'Apôtre que nous venons de citer, parle en cet endroit de la science enten­due dans le sens que nous avons nous-mêmes déterminé, c'est-à-dire comme une grâce gratuitement donnée; ce qui est manifeste d'après ce qu'il ajoute : Autre chose, dit-il, est de savoir ce que l'on doit croire pour arriver à la vie bienheureuse qui est éternelle, et autre chose est de savoir ce qu'il faut pour édifier les pieux fideles et défendre la vérité contre les impies ; et c'est là ce que l'Apôtre semble appeler, à proprement parler, du nom de science.

3. Il faut répondre au troisième, que comme on prouvelaconnexiondesvertus cardinales parce que l'une est perfectionnée d'une certaine manière par l'autre, ainsi que nous l'avons dit (I-II 65,1), de même saint Grégoire veut prouver la connexion des dons, parce que l'un ne peut être parfait sans l'autre. C'est pourquoi il dit auparavant : chacune de ces vertus est absolument anéantie si l'une ne prête pas son appui à l'autre. Ce qui ne signifie pas qu'un don puisse exister sans l'autre, mais que l'intelligence sans la sagesse ne serait pas un don, comme la tempérance sans la justice ne serait pas une vertu.

ARTICLE VI. — les dons du saint-esprit subsistent-ils dans le ciel (2)?


Objections: 1. Il semble que les dons du Saint-Esprit ne subsistent pas dans le ciel. Car saint Grégoire dit (Mor. lib. ii, cap. 26/ que l'Esprit-Saint éclaire l'àme de ses sept dons contre toutes les tentations. Or, dans le ciel il n'y aura plus de tentations, selon ces paroles d'Isaïe (Is 11,9) : Ils ne nuiront point, ils ne tueront point sur toute ma montagne sainte. Donc les dons de l'Esprit-Saint n'existeront plus dans le ciel.

2. Les dons de l'Esprit-Saint sont des habitudes, comme nous l'avons dit

(I) Ces grâces se distinguent de la grâce sancti­fiante parce qu'elles nous sont données pour sanc­tifier les autres, et elles n'impliquent pas nécessai­rement notre propre sanctification.
(2) Le Psalmiste a dit (Ps. xviii) : Timor Do­mini sanctus permanet in soeculum saeculi. Saint Thomas explique comment on doit enten­dre cette parole non-seulement du don de crainte, mais encore de tous les autres dons.

(art. 3 huj. quaest.). Les habitudes sont inutiles là où l'on ne peut en pro­duire les actes. Or, les actes de certains dons ne sont pas possibles dans le ciel. Car saint Grégoire dit (Mor. lib. i, cap. 13) que l'intelligence nous fait pénétrer ce que nous entendons dire, le conseil nous empêche d'agir avec précipitation, la force nous aguerrit contre tout ce qui nous est opposé, et la piété remplit les entrailles du coeur d'oeuvres de miséricorde. Or, toutes ces choses sont incompatibles avec l'état de gloire. Donc ces dons n'existeront pas dans cet état.

3. Il y a des dons qui perfectionnent l'homme relativement à la vie con­templative, comme la sagesse et l'intelligence ; d'autres le perfectionnent à l'égard de la vie active comme la piété et la force. Or, la vie active se ter­mine avec cette vie, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. vi, cap. 28). Donc tous les dons de l'Esprit-Saint n'existeront pas dans l'état de gloire.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Ambroise dit (De Spiritu sancto, lib. i, cap. 20) : La cité de Dieu, cette Jérusalem céleste, n'est pas arrosée par le cours d'un fleuve terrestre, mais l'Esprit-Saint qui procède de la source de vie, et dont la moindre émanation étanche la soif de nos âmes, parait se répandre avec la plus grande abondance dans les esprits célestes par les canaux toujours remplis des sept vertus qui s'échappent de lui.

CONCLUSION. — Les dons de l'Esprit-Saint quant à la matière qui en fait main­tenant l'objet, c'est-à-dire quant aux oeuvres de la vie active, ne subsisteront plus dans le ciei ; mais ils y seront et de la manière la plus parfaite quant à leur essence ; parce qu'alors l'homme sera totalement soumis à Dieu et qu'il suivra très-parfaitement le mouvement de l'Esprit-Saint.

Réponse Il faut répondre que nous pouvons parler des dons de deux manières : 1° quant à leur essence. De cette manière ils existeront très-parfaitement dans le ciel, comme on le voit par le passage de saint Ambroise que nous venons de citer. La raison en est que les dons de l'Esprit-Saint perfection­nent l'esprit humain pour qu'il suive ses mouvements, ce qui aura lieu principalement dans le ciel, quand Dieu sera tout en tous, comme le dit l'Apôtre (1Co 15,28), et que l'homme lui sera entièrement soumis. 2° On peut les considérer par rapport à la matière qui en fait l'objet. Ainsi leur action a maintenant pour objet une matière qu'elle n'aura pas dans l'état de gloire, et par conséquent sous ce rapport ils n'existeront pas dans le ciel. C'est d'ailleurs ce que nous avons dit des vertus cardinales (1) (I-II 67,1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Grégoire parle en cet endroit des dons tels qu'ils existent dans l'état présent. Car c'est par eux que nous sommes protégés contre les mauvaises tentations. Mais dans l'état de gloire, comme tous ces maux seront terminés, les dons de l'Esprit- Saint ne nous perfectionneront plus que sous le rapport du bien.

2. Il faut répondre au second, que saint Grégoire met dans chaque don quel­que chose qui passe avec la vie présente, et quelque chose qui doit rester dans l'éternité. Ainsi il dit que la sagesse fortifie l'esprit à l'égard de l'espé­rance et de la certitude des biens éternels : de ces deux choses l'espérance passe, mais la certitude reste. Il dit de l'intelligence, qu'en nourrissant le coeur elle lui fait pénétrer ce qu'il entend, et éclaire ses ténèbres; l'audition passe, car il est écrit que l'homme n'enseignera plus son frère (Jr 31,34), mais l'illumination de l'esprit reste. Il dit du conseil qu'il nous empêche d'agir avec précipitation, ce qui est nécessaire dans la vie présente,

(tj Saint Thomas a prouvé également qu'elles subsisteraient perpétuellement dans ce qu'elles ont de formel et qu'elles perdraient seulement qu'elles ont de matériel.

mais il ajoute qu'il remplit l'esprit de raison, ce qui est nécessaire même dans la vie future. Il dit de la force qu'elle ne craint pas les choses qui lui sont opposées, ce qui est nécessaire pour notre existence actuelle, et il ajoute qu'elle alimente la confiance, ce qui subsistera dans toute l'éternité. Il ne dit qu'une chose de la science, c'est qu'elle remplit le vide de l'igno­rance, ce qui a rapport à notre état d'aujourd'hui ; mais comme il ajoute qu'elle le remplit dans les entrailles mêmes de l'esprit, on peut prendre ces paroles dans un sens figuré et les appliquer à cette plénitude de connais­sance qui regarde notre état futur. Il dit de la piété qu'elle remplit les en­trailles du coeur d'oeuvres de miséricorde, ce qui textuellement n'a rapport qu'à la vie présente. Mais cette affection profonde pour le prochain, que le mot d’entrailles désigne, appartient aussi à la vie future où la piété n'aura pas à produire des oeuvres de miséricorde, mais des sentiments de réci­proque congratulation. Il dit de la crainte qu'elle presse l'esprit pour qu'il ne s'enorgueillisse pas du présent, ce qui appartient à notre état actuel, et il ajoute qu'elle alimente l'espérance à l'égard des biens futurs, ce qui a encore rapport à la vie présente quant à l'espérance. Mais on peut aussi l'appliquer à l'état futur quant à l'affermissement de l'esprit dans les choses qu'il a espérées ici-bas, et obtenues au delà du tombeau.

3. Il faut répondre au troisième, que ce raisonnement s'appuie sur les dons considérés quant à leur matière. Car ils n'auront plus alors pour matière les oeuvres de la vie active, mais leurs actes auront tous pour objet ce qui a rapport à la vie contemplative qui est la vie bienheureuse.

6. L'ordre établi par le prophète est celui-ci: la sagesse, l'intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte.

ARTICLE VII. — LA DIGNITÉ DES DONS EST-ELLE SELON L'ORDRE SUIVI r A R IS AÏE DANS LEUR ÉNUMÉRATION (Is. Xl) (1)?


Objections: 1. Il semble que la dignité des dons ne se considère pas selon l'ordre suivi par le prophète Isaïe(Is. xi). Car il semble que ce que Dieu exige principa­lement de l'homme soit ce qu'il v a de plus éminent dans les dons. Or, Dieu exige surtout de l'homme la crainte. Car il est dit (Dent, x, 12): Et main­tenant, Israël, qu'est-ce que le Seigneur votre Dieu demande de vous, sinon que vous craigniez- le Seigneur votre Dieu? Et ailleurs (Mal. i, 0) : Si je suis le Seigneur, où est ma crainte? Il semble donc que la crainte qu'Isaïe place en dernier lieu ne soit pas le plus infime, mais le plus grand des dons.

2. La piété semble être une sorte de bien universel, car l'Apôtre dit (I. Tim. iv, 8) que la piété est utile à tout. Or, le bien universel est préfé­rable aux biens particuliers. Donc la piété, qui est le pénultième des dons, semble être le plus important.

3. La science perfectionne le jugement de l'homme, tandis que le conseil appartient à la recherche du vrai. Or, le jugement l'emporte sur cette re­cherche. Donc la science est un don préférable au conseil, quoiqu'elle soit placée après.

4. La force appartient à la puissance appétitive et la science à la rai­son. Or, laraison est plus noble que la puissance appétitive. Donc la science est un don plus noble que la force, quoique celle-ci soit placée en premier lieu. On ne doit donc pas juger de la dignité des dons d'après l'ordre de leur énumération.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Deserm. Dom. in mont. lib. i, cap. 4) : Il me semble que l'opération scptiforme du Saint-Esprit dont parle

Isaïe soit en rapport avec les degrés et les sentences que rapporte saint Matthieu (v). Mais il y a dans l'ordre une différence. Isaïe commence son énumération par ce qu'il y a de plus élevé, et saint Matthieu au contraire par ce qu'il y a de plus infime.

CONCLUSION. — La dignité des dons correspond à l'ordre établi par Isaïe, mais il faut les considérer en partie d'une manière absolue, et c'est ainsi que la sagesse et l'in­telligence l'emportent sur tous les autres, et en partie par rapport à leur matière, et c'est de cette façon que le conseil et la force sont placés avant la science et la piété.

Réponse Il faut répondre que la dignité des dons peut se considérer de deux ma­nières : 1° d'une manière absolue, c'est-à-dire par rapport à leurs actes propres, selon qu'ils procèdent de leurs principes; 2° d'une manière rela­tive, c'est-à-dire par rapport à leur matière. Si on la considère d'une ma­nière absolue, on peut raisonner des dons comme des vertus, parce qu'ils perfectionnent l'homme à l'égard de tous les actes des puissances de l'âme, comme le font les vertus, ainsi que nous l'avons dit (art. 3). Par conséquent comme les vertus intellectuelles l'emportent sur les vertus morales et comme les vertus intellectuelles contemplatives sont supérieures aux vertus actives, par exemple, la sagesse à l'intelligence, la science à la prudence et à l'art; de telle sorte que la sagesse soit à l'intelligencé et l'intelligence à la science ce que la prudence et la discrétion sont au bon conseil ; de même dans les dons, la sagesse et l'intelligence, la science et le conseil sont préfé­rables à la piété, à la force et à la crainte, et parmi ces derniers la piété l'emporte sur la force et la force sur la crainte, de la meme manière que la justice est au-dessus de la force, et la force au-dessus de la tempérance (1). Mais quant à la matière, la force et le conseil l'emportent sur la science et la piété, parce que la force et le conseil ont pour objet ce qui est ardu, diffi­cile, tandis que la piété et la science se rapportent au bien en général. Ainsi donc la dignité des dons correspond à l'ordre de l'énumération faite par Isaïe; mais il faut les considérer en partie d'une manière absolue, et c'est ainsi que la sagesse et l'intelligence l'emportent sur tous les autres, et en partie relativement à leur matière, et c'est de la sorte que le conseil et la force sont avant la science et la piété.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la crainte est surtout exigée comme le commencement de la perfection produite par les dons, parce que la crainte cki Seigneur est le commencement de la sagesse. Mais il ne résulte pas de là que ce don soit plus noble que les autres. Car selon l'ordre de géné­ration il faut que l'on s'éloignedu mal, ce qui est l'effet de la crainte, comme on le voit (Prov. xvi), avant de faire le bien, ce qui est l'effet des autres dons (2).

2. Il faut répondre au second, que saint Paul ne compare pas en cet endroit la piété à tous les dons de Dieu, mais seulement aux exercices du corps dont il dit précédemment qu'ils sont peu utiles.

3. Il faut répondre au troisième, que quoiqu'on préfère la science au con­seil par rapport au jugement (3), cependant le conseil lui est préférable par rapport à la matière. Car le conseil n'a pour objet que ce qui est difficile, comme le dit Aristote (Eth. lib. iii, cap. 3), tandis que la science s'applique à tout.

4. Il faut répondre au quatrième, que les dons qui dirigent appartenant à la

(2) Aux deux points de vue indiqués par saint Thomas la crainte est le dernier des dons.
(5 Parce qu'on ne peut bien conseiller qu'autant qu'on a la science.

raison sont plus nobles que ceux qui exécutent, si on les considère par rap­port aux actes, selon qu'ils procèdent des puissances qui les produisent. Car la raison l'emporte sur la puissance appétitive, comme le sujet qui règle sur l'objet qui est réglé. Mais relativement à la matière, le conseil est joint à la force, comme la puissance qui dirige à celle qui exécute, et la science est jointe à la piété au même titre, parce que le conseil et la force ont pour objet ce qui est difficile, tandis que la science et la piété se rapportent à ce qui est bien en général. C'est pourquoi sous le rapport de la matière on met le conseil simultanément avec la force avant la science et la piété.

ARTICLE VIII. — les vertus sont-elles préférables aux dons?


I-II (trad. Drioux 1852) Qu.68 a.2