I-II (trad. Drioux 1852) Qu.102 a.6

ARTICLE VI. — les observances cérémonielles ont-elles eu une cause raisonnable?


Objections: 1. Il semble que les observances cérémonielles n'aient pas eu de cause raisonnable. Car, comme le dit l'Apôtre (1Tm 4,4) : Tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne doit rien rejeter de ce qu'on mange avec action de grâces. C'est donc à tort qu'il était défendu de manger certaines viandes comme étant immondes, ainsi qu'on le voit (Lv 11).

2. Comme les animaux sont faits pour la nourriture de l'homme, de même  aussi les herbes. Ainsi il est dit (Gn 9,3) : Je vous abandonne pour votre nourriture les légumes et les herbes des champs. Or, parmi les herbes la loi n'en a pas distingué qui soient immondes, quoiqu'il y en ait qui soient très- nuisibles, comme celles qui sont vénéneuses. Il semble donc qu'elle n'aurait pas dû non plus interdire certains animaux comme immondes.

3. Si la matière dont une chose est engendrée est immonde, il semble que pour le même  motif ce qu'elle produit le soit aussi. Or, c'est le sang qui engendre la chair. Par conséquent puisque toutes les chairs ne sont pas défendues comme immondes, il semble que pour la même  raison on ne doive pas défendre non plus le sang ou la graisse que le sang engendre.

4. Le Seigneur dit (Mt 10) qu'on ne doit pas craindre ceux qui tuent le corps, parce qu'après la mort ils sont impuissants; ce qui ne serait pas exact, si ce qu'on fait du corps de l'homme pouvait tourner à son désavantage. Or, il est encore plus indifférent à l'égard d'un animal qui n'existe plus, qu'on fasse cuire ses chairs d'une manière ou d'une autre. Il paraît donc déraisonnable d'avoir défendu (Ex 23,19) de faire cuire un chevreau dans le lait de sa mère.

5. On ordonne d'offrir au Seigneur les prémices des hommes et des animaux, comme étant ce qu'il y a de plus parfait. C'est donc à tort qu'il est dit (Lv 19,23) : Lorsque vous serez entrés dans la terre promise et que vous y aurez planté des arbres fruitiers, vous aurez soin d'en retrancher les premiers fruits que vous regarderez comme impurs, et vous n'en mangerez pas.

6. Le vêtement est une chose extérieure qui ne fait pas partie du corps de l'homme. On n'aurait donc pas dû interdire aux Juifs certains vêtements particuliers. Ainsi il est dit (Lv 19,19) : Vous ne mettrez point de robes tissues de fils différents (Dt 22,3) : Une femme ne mettra pas des habits d'homme, et un homme des habits de femme, et plus loin : Vous ne revêtirez pas un vêtement fait de laine et de lin.

7. Le souvenir des ordres de Dieu n'appartient pas au corps mais au coeur. C'est donc à tort qu'il est commandé aux Juifs (Dt 6,8) de lier la loi de Dieu comme une marque dans leur main, de l'écrire sur le seuil de leurs maisons. Et ailleurs (Nb 15,38) de mettre des franges aux quatre coins de leurs manteaux, et d'y joindre des bandes de couleur d'hyacinthe afin qu'en les voyant ils se souviennent de tous les commandements du Seigneur

8. L'Apôtre dit (1Co 9,9) que Dieu ne prend pas soin des boeufs, et par conséquent il ne prend pas soin non plus des autres animaux irraisonnables. C est donc a tort qu il est dit (Dt 22) : Si vous marchez dans un chemin et que vous trouviez un nid d'oiseaux vous ne prendrez pas la mère avec les petits. Et plus loin (ib. 25, 4) : Vous ne lierez point la bouche du boeuf qui triture. Et ailleurs (Lv 19,9) : Vous n'accouplerez pas vos chevaux avec des animaux d'une autre espèce.

9. Parmi les plantes, on ne distinguait pas entre celles qui sont pures et celles qui sont impures. On devait donc encore beaucoup moins faire des distinctions à l'égard de leur culture, et par conséquent on n'aurait pas dû dire (Lv 19,19) : Vous ne sèmerez point voire champ avec des semences différentes. Et (Dt 22,9) : Vous ne sèmerez point d'autre graine dans votre vigne et vous ne labourerez point avec un boeuf et un âne attelés ensemble.

0. Les choses qui sont inanimées paraissent surtout soumises à la puissance de l'homme. Il n'était donc pas convenable de défendre à l'homme de désirer l'or et l'argent, dont les idoles sont faites, ainsi que toutes les autres choses qui se trouvent dans les maisons des faux dieux (Dt 7). Le précepte qui ordonne d'enfouir en terre les excréments de l'homme (Dt 23) paraît ridicule.

1. La piété est la vertu qu'on exige tout particulièrement des prêtres. Or, il semble que la piété nous engage à assister aux funérailles de nos amis; puisqu'on loue Tobie à ce sujet (Tb 1). C'est aussi quelquefois un acte de piété que d'épouser une femme publique, parce que c'est le moyen de la délivrer du péché et de l'infamie. Il semble donc qu'on ait eu tort de défendre ces choses aux prêtres (Lv 21).

En sens contraire Mais c'est le contraire. Moïse a dit (Dt 18,24) en parlant au peuple juif : Pour vous, vous avez été formé autrement que les nations par le Seigneur votre Dieu. D'où l'on peut conclure que ces observances ont été établies par le Seigneur pour distinguer tout spécialement son peuple. Elles ne sont donc pas déraisonnables ou sans cause.

CONCLUSION. — On doit rechercher la raison de toutes les observances de l'ancienne loi, soit en les considérant par rapport au culte divin, soit en en faisant l'application à la vie des chrétiens.

Réponse Il faut répondre que le peuple juif, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 8), avait été tout particulièrement établi pour le culte de Dieu, et parmi le peuple on avait choisi les prêtres tout spécialement pour cette fin. Comme les autres choses qui servent au culte de Dieu doivent avoir un caractère particulier pour relever l'éclat du culte lui-même, de même dans la vie du peuple juif, et surtout dans celle de ses prêtres, il devait y avoir des usages particuliers qui fussent en harmonie avec le culte divin, spirituel ou corporel. Or, le culte de la loi figurait le mystère du Christ; par conséquent toutes les actions des Juifs représentaient ce qui regarde le Christ, d'après cette parole de l'Apôtre (1Co 10,11) : Toutes les choses qui leur arrivaient étaient des figures. C'est pourquoi on peut donner de ces observances deux raisons : l'une tirée de la convenance qu'elles avaient à l'égard du culte divin, et l'autre provenant de ce qu'elles étaient une figure de la vie des chrétiens.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 4 et 5), la loi reconnaissait deux sortes de souillure ou d'impureté : l'une qui était l'effet de la faute et qui souillait l'âme ; l'autre qui résultait d'une corruption qui souille le corps d'une certaine manière. Si l'on parle de la première souillure, aucune espèce de nourriture n'est immonde et ne peut souiller l'homme en raison de sa nature. C'est pourquoi il est dit (Mt 15,11) : Ce qui entre dans la bouche ne souille pas l'homme, mais ce qui en sort, voilà ce qui le souille. Il y a cependant des nourritures qui peuvent par accident souiller l'âme; par exemple, quand on les prend par désobéissance ou contre un voeu qu'on a fait et avec un excès de concupiscence, ou quand elles sont un aliment à la luxure : c'est pour ce motif qu'il y en a qui s'abstiennent de vin et de viandes. —Mais il y a des animaux qui ont cette impureté corporelle qui est l'effet d'une certaine corruption, soit parce qu'ils se nourrissent de choses impures, comme le porc; soit qu'ils vivent salement, comme les bêtes qui sont sous terre, tels que les taupes, les souris et tous les autres animaux semblables qui contractent de là une odeur fétide; soit parce que leurs chairs par suite de leur excès d'humidité ou de sécheresse engendrent dans le corps humain des humeurs mauvaises (1). C'est pour cela qu'il avait été défendu aux Juifs de manger la chair des animaux qui ont la corne continue et non divisée, parce qu'ils sont trop terrestres. Il leur était aussi défendu de manger les chairs des animaux qui ont beaucoup de fissures aux pieds, parce qu'ils sont trop colères et que leur sang est toujours embrasé, comme les lions. Pour la même raison ils ne devaient pas manger certains oiseaux de proie, parce qu'ils sont trop secs, ni certains oiseaux aquatiques, parce qu'ils tombent dans l'excès contraire. Ils ne devaient pas non plus faire usage des poissons qui n'ont ni nageoires, ni écailles, comme les anguilles, parce qu'ils sont aussi trop humides. Il leur était permis de manger les animaux qui ruminent, qui ont la corne fendue, parce qu'ils ont les humeurs bien disposées et qu'ils sont d'une complexion qui n'a rien d'extrême; ils ne sont pas trop humides, puisqu'ils ont des ongles; ils ne sont pas trop terrestres, puisqu'ils n'ont pas l'ongle continu, mais fendu. On leur permettait aussi de manger les poissons les plus secs ; ce qu'on reconnaissait à la présence des nageoires et des écailles, car c'est là ce qui tempère la complexion humide de ces animaux. Ils pouvaient aussi manger les oiseaux qui étaient les plus tempérés, comme les poules, les perdrix, etc. — Il y eut aussi une autre raison qui influa sur ces prescriptions; c'est qu'on les fit en haine de l'idolâtrie. Ainsi les gentils, et surtout les Egyptiens au milieu desquels les Juifs avaient été élevés, immolaient aux idoles les animaux prohibés par la loi ou s'en servaient pour des maléfices. D'un autre côté ils ne mangeaient pas les animaux dont la loi permettait aux Juifs l'usage ; mais ils les adoraient commodes dieux, ou bien ils s'en abstenaient pour d'autres motifs, comme nous l'avons dit (art. 3 ad 2). — La troisième raison c'est que pour empêcher qu'ils ne missent trop de recherche dans leur nourriture, on leur permettait l'usage des animaux qu'il était le plus facile de se procurer. Il leur était défendu en général de faire usage du sang et de la graisse de toute espèce d'animal. On leur interdisait le sang, soit pour les détourner de la cruauté en leur inspirant de l'horreur pour celui qui répand le sang humain, comme nous l'avons dit (art. 3 ad 8 arg.), soit pour ne pas tomber dans les rits idolâtriques. Car les idolâtres avaient l'habitude de se réunir autour du sang qui avait été répandu, pour y faire un festin en l'honneur des idoles auxquelles ils supposaient que ce sang était très-agréable (2). C'est pour ce motif que le Seigneur ordonna de répandre le sang et de le laisser se perdre dans la poussière. On leur avait aussi défendu pour la meme raison de manger des animaux suffoqués ou é

tranglés, parce que leur sang n'est pas séparé de leur chair, ou parce que ce genre de mort leur cause de cruelles douleurs. Le Seigneur voulut qu'ils ne fussent pas cruels, même envers les animaux, et pour les empêcher de l'être avec leurs semblables il leur recommande d'être compatissants envers les bêtes. Ils ne devaient pas non plus manger la graisse, soit parce que les idolâtres la mangeaient en l'honneur de leur dieu ; soit parce que chez les Juifs, on la brûlait à la gloire du Seigneur ; soit parce que le sang et la graisse ne forment pas une bonne nourriture, comme l'observe Moïse Maïmonide (Z>?/;r errant, lib. iii, cap.49). La Genèse nous donne la raison pour laquelle ils ne mangeaient pas les nerfs (Gn 32,33). Les enfants de Jacob, est-il dit, ne mangent pas te nerf, parce que c'est te nerf de la cuisse de Jacob qui fut touché et qu'il resta sans mouvement. — La raison figurative de toutes ces choses, c'est que tous ces animaux défendus figurent certains péchés, en raison desquels on les a interdits, d'après saint Augustin (Lib. cont. Faust, lib. vi, cap. 7). Si on examine, dit cet illustre docteur, le porc et l'agneau, ils sont naturellement purs l'un et l'autre, parce que toute créature de Dieu est bonne. Mais si on les considère dans leur signification, l'agneau est pur et le porc est immonde et c'est ce qu'on peut dire du sot et du sage. Ces deux mots sont purs l'un et l'autre, si on ne considère que la nature de l'expression, les lettres et les syllabes dont elle se compose : mais si on s'en rapporte au sens, l'un est pur et l'autre ne l'est pas. En effet l'animal qui rumine et qui a le pied fendu est pur par rapport à ce qu'il signifie-, car la scissure de l'ongle désigne la distinction des deux Testaments, ou celle du Père et du Fils, ou celle des deux natures dans le Christ, ou celle du bien et du mal. Ruminer, marque la méditation des Ecritures et leur véritable intelligence. Quiconque manque de l'une de ces choses est spirituellement immonde. De même les poissons qui ont des écailles et des nageoires sont purs par leur signification ; car les nageoires signifient la vie élevée ou la contemplation et les écailles la vie pénible; et ces deux vies sont l'une et l'autre nécessaires à la pureté spirituelle. Il y a aussi des vices particuliers qu'on leur défendait à l'occasion des oiseaux. Ainsi dans l'aigle dont le vol est très-élevé se trouve la défense de l'orgueil ; dans le griffon (1) qui est l'ennemi de l'homme et du cheval, on peut voir la violence et la cruauté des grands ; par le faucon (2) (halyaetus) qui se nourrit de petits oiseaux, on représente ceux qui molestent les pauvres ; le milan qui tend des embûches est l'image de ceux qui sont faibles et trompeurs ; le vautour qui suit l'armée et qui attend la mort des soldats pour dévorer leurs cadavres est le symbole de ceux qui excitent les troubles et les séditions populaires pour en profiter. Les animaux qui sont de la famille du corbeau représentent ceux que la volupté a privés de la candeur de leur innocence, ou qui manquent dé coeur, parce que le corbeau une fois sorti de l'arche n'y est pas revenu. L'autruche, qui est un oiseau qui ne peut voler, mais qui est toujours à terre, représente ceux qui combattent pour Dieu et qui s'embarrassent dans les affaires du siècle. Le chat-huant, qui voit parfaitement de nuit et qui ne voit rien de jour, représente ceux qui ont de l'adresse pour les choses temporelles, mais qui sont sans intelligence pour les choses spirituelles. Le grisard, qui vole dans l'air et qui nage dans l'eau, est l'image de ceux qui vénèrent la circoncision ou le baptême, ou bien il est le symbole de ceux qui veulent voler par la contemplation et qui cependant vivent dans les eaux de la volupté. L'épervier, qui aide les hommes à la chasse, représente ceux qui aident les puissants à dépouiller les pauvres. Le hibou, qui de nuit cherche sa vie et reste caché pendant le jour, représente les luxurieux qui s'efforcent de cacher leurs actions dans les ténèbres. Le plongeon dont la nature est de rester longtemps sous l'eau, marque les g
ourmands qui se plongent dans les délices de la table et la bonne chère. L'ibis, qui est un oiseau d'Afrique ayant un long bec et se nourrissant de serpents, et qui est peut-être le même que la cigogne, marqueles envieux qui se réjouissent des infortunes des autres, et qui font, pour ainsi dire, leur pâture des serpents. Le cygne, qui est très- blanc et qui a le cou très-long pour tirer du fond de la terre ou de l'eau sa nourriture, peut représenter les hommes qui par la candeur apparente de la justice, cherchent à s'enrichir du bien des autres. L'onocrotalus ou le butor est un oiseau d'Orient qui a le bec long et de petits réservoirs dans sa gorge où il place d'abord sa nourriture pour l'avaler une heure après. Il représente les avares qui amassent avec une sollicitude excessive les choses nécessaires à la vie. Le porphyrion est d'un genre tout particulier. Il a un des pieds palmés pour nager et il a l'autre pied fendu pour marcher ; parce qu'il nage dans l'eau comme les canards, et il marche sur la terre comme les perdrix. Il boit en mangeant parce qu'il trempe toujours dans l'eau ce qu'il veut manger. Il représente ceux qui ne veulent rien faire d'après l'avis des autres, et qui ne trouvent d'agréable que ce qui est rempli de leur propre volonté. L'hérodion, que vulgairement on appelle foulque, représente ceux qui sont toujours prêts à aller répandre le sang (Ps 13,3). Le loriot (l) qui est un oiseau bavard représente les grands parleurs. La huppe, qui fait son nid dans le fumier, qui se nourrit d'excréments et qui gémit au lieu de chanter, représente ce dégoût de la vie qui produit la mort dans les hommes qui sont souillés. La chauve-souris, qui vole près de terre, représente ceux qui ont la science du siècle et qui n'ont de goût que pour les choses de la terre. A l'égard des volatiles et des quadrupèdes, on ne leur permettait l'usage que de ceux qui ont les jambes de derrière trop longues pour pouvoir sauter. On leur interdisait les autres, qui s'attachent davantage à la terre, parce que ceux qui abusent de la doctrine des quatre évangélistes, au point de ne pas être élevés par elle aux choses célestes, sont considérés comme impurs. En défendant le sang, la graisse et les nerfs, on défendait par là la cruauté, la volupté et la force que certains individus possèdent pour pécher.

2. Il faut répondre au second, que les hommes se nourrissaient des plantes et des autres fruits de la terre avant le déluge (2). Il semble qu'on n'ait commencé à manger des viandes qu'après cette catastrophe. Car il est dit (Gn 9,3) : Je vous ai donné pour nourriture les légumes et les herbes des champs. Et cela parce qu'en mangeant les fruits de la terre on mène une vie très-simple, tandis qu'en mangeant des viandes, on mène une vie plus voluptueuse et plus recherchée. Car la terre produit d'elle-même l'herbe qui la couvre, et on n'a pas besoin de se donner beaucoup de peine pour se procurer les fruits de la terre, tandis qu'il faut beaucoup de soins pour élever les animaux et qu'il est difficile de les prendre. C'est pourquoi le Seigneur voulant ramener son peuple à une vie plus simple, lui interdit des animaux d'une foule d'espèces, tandis qu'il ne lui interdit aucune espèce de fruits. Ou bien on peut dire aussi qu'on immolait les animaux aux idoles, mais qu'il n'en était pas de même des productions de la terre.

3. La réponse au troisième est évidente d'après ce que nous avons dit (in resp. ad 1).

4. Il faut répondre au quatrième, que quoique le chevreau ne sente pas de quelle manière on fait cuire ses chairs, cependant dans l'espritde celui qui les prépare, il y a de la cruauté à prendre le lait de la mère et à employer pour consumer ses chairs, ce que la nature lui avait donné pour aliment. Ou bien on peut dire que les gentils dans les fêtes de leurs idoles faisaient cuire de cette manière la chair du chevreau pour l'immoler ou la manger. C'est pour cette raison qu'après avoir parlé des fêtes que l'on devait célébrer d'après la loi, l'Ecriture ajoute (Ex 23,19) : Vous ne mangerez pas de chevreau cuit dans le lait de sa mère. — La raison figurative de cette défense c'est que le Christ, qui était représenté par le chevreau, parce qu'il prit une chair semblable à la nôtre qui est sujette au péché (Rm 8,3), ne devait pas être cuit dans le lait de sa mère, c'est-à-dire qu'il ne devait pas être immolé dans son enfance -, ou bien cela signifie que le chevreau ou le pécheur ne doit pas être cuit dans le lait de sa mère, c'est-à-dire qu'on ne doit pas le flatter mollement.

5. Il faut répondre au cinquième, que les gentils offraient à leurs dieux les premiers fruits qu'ils appelaient fortunés ou qu'ils les brûlaient pour les employer à la magie. C'est pour ce motif que la loi ordonnait aux Juifs de regarder comme immondes les fruits des trois premières années (1). Car en trois ans presque tous les arbres de la Judée portaient fruit, soit qu'on les eût semés, soit qu'on les eût greffés, soit qu'on les eût plantés. Mais il arrive rarement qu'on sème les pépins des fruits ou leurs semences, parce que c'est trop long à venir. D'ailleurs la loi ne s'occupe que de ce qui se fait le plus souvent. On offrait à Dieu les fruits de la quatrième année comme les prémices des fruits qui étaient purs-, et on mangeait ceux que l'on récoltait la cinquième année et les suivantes. — La raison figurative de ce précepte, c'est que ces trois années désignaient les trois états de la loi, dont le premier s'étendait d'Abraham jusqu'à David, le second jusqu'à la transmigration de Babylone, le troisième jusqu'au Christ. On devait offrir à Dieu le Christ qui est le fruit de laloi. Ou bien encore, c'était pour montrer que nous devons nous défier de nos premières oeuvres à cause de leur imperfection.

6. Il faut répondre au sixième, que, comme le dit l'Ecriture (Si 19,27) : Le vêtement du corps fait connaître l'homme. C'est pourquoi le Seigneur a voulu que son peuple fût distingué des autres peuples, non-seulement par le signe de la circoncision qui était dans sa chair, mais encore par le caractère particulier de l'habit. C'est pour cette raison qu'il était défendu aux Juifs de mettre un vêtement tissu de laine et de lin. Les femmes ne devaient pas mettre des habits d'hommes et les hommes des habits de femmes, pour deux raisons. La première pour éviter le culte de l'idolâtrie. Car les gentils se servaient d'habits faits de plusieurs fils pour le culte de leurs dieux, et dans le culte de Mars les femmes faisaient usage des armes des hommes, tandis que dans le culte de Vénus c'étaient au contraire les hommes qui se servaient des habits des femmes. La seconde raison c'était pour détourner de la luxure; parce qu'en empêchant cet échange de vêtements on empêche par là même tous les désordres qui peuvent en être la suite. Car qu'une femme mette des habits d'homme et réciproquement, c'est un aiguillon à la concupiscence et une occasion de développement pour les plus honteuses passions (2). — La raison figurative c'est qu'en interdisant un habit fait de laine et de lin, la loi interdisait l'union de la simplicité et de l'innocence que la laine représente, avec la subtilité et la malice dont le lin est la figure. Il est défendu aussi à la femme de ne pas se mêler de l'enseignement, ni des autres fonctions de l'homme, et à l'homme de ne pas s'amollir comme la femme.

7. Il faut répondre au septième, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. cap. Matth, cap. xxiii, Dilatant enim.) : Le Seigneur a ordonné de mettre des franges d'hyacinthe aux quatre coins du manteau pour distinguer le peuple d'Israël des autres peuples. Ils montraient par là qu'ils étaient Juifs, et à l'aspect de ce. signe, ils étaient portés à se rappeler sans cesse leur loi. Quant à ces paroles : Vous la lierez dans votre main et elle sera toujours devant vos yeux, les pharisiens les interprétaient mal, en écrivant le Décalogue sur des bandelettes de parchemin qu'ils liaient sur leur front en forme de couronne, afin d'avoir toujours la loi devant leurs yeux. Car le Seigneur en leur donnant ce précepte avait eu l'intention, en leur disant de lier la loi après leur main, de les engager à la suivre dans toutes leurs oeuvres, et en ajoutant qu'elle devait être devant leurs yeux, il leur commandait de la méditer sans cesse. Les bandelettes d'hyacinthe qu'on attachait au manteau, signifiaient l'intention céleste qui doit s'adjoindre à toutes nos oeuvres. D'ailleurs on peut dire que ce peuple étant charnel et à la tète dure, il a fallu employer toutes ces choses sensibles pour le porter à observer la loi.

8. Il faut répondre au huitième, que dans l'homme il y a deux sortes d'affection, l'une qui est raisonnable et l'autre qui est purement sensible. Au point de vue de la raison, il n'importe en rien que l'homme agisse d'une manière ou d'une autre à l'égard des animaux, parce que Dieu les a tous soumis à sa puissance, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 8,8) : Vous avez tout mis sous ses pieds, et suivant ces paroles de l'Apôtre : Dieu ne prend pas soin des boeufs; par conséquent il n'exige pas de l'homme qu'il se conduise d'une certaine manière à l'égard des boeufs ou des autres animaux. x\u point de vue de la sensibilité, l'homme s'affecte par rapport à tous les autres animaux. Car comme on éprouve un sentiment de compassion à propos des afflictions des autres et que d'ailleurs les animaux ont le sentiment de leurs peines, l'homme peut se sentir touché de commisération à l'occasion des souffrances d'un animal. Celui qui éprouve ce sentiment à l'égard des animaux est d'autant mieux disposé à compatir aux infortunes de ses semblables. C'est ce qui fait dire au Sage (Pr 12,10) que le juste se met en peine des bêtes qui sont à lui, mais que les entrailles des méchants sont cruelles. C'est pourquoi le Seigneur, pour rappeler à la douceur le peuple juif qui était enclin à la cruauté, voulut le rendre doux envers les animaux en leur défendant de se permettre à leur égard tout ce qui paraît  être cruel (1). Ainsi il leur défendait de faire cuire un chevreau dans le lait de sa mère; de lier la bouche du boeuf qui triture; de faire périr la mère avec les petits. Quoiqu'on puisse dire aussi qu'il leur défendait ces choses en haine de l'idolâtrie. Car les Egyptiens regardaient comme une chose mauvaise que les boeufs qui triturent mangeassent des fruits. Il y avait des magiciens qui se servaient de la mère, lorsqu'elle couvait ses oeufs et de ses petits lorsqu'on les avait pris avec elle, pour la fécondité et la fortune de l'éducation de leurs enfants, et parce que dans leurs augures, ils considéraient comme une chose heureuse de trouver la mère couvant ses petits. — A l'égard du croisement des animaux de différente espèce, on peut en donner une triple raison littérale. La première c'était en haine de l'idolâtrie des Egyptiens, qui faisaient ces accouplements divers en l'honneur des planètes qui produisent des effets différents sur différentes espèces de choses, d'après leurs différentes conjonctions. La seconde raison c'était pour empêcher les unions contre nature. La troisième c'était pour détruire universellement toute occasion de concupiscence. Car les animaux de différente espèce ne s'accouplent pas facilement entre eux, si l'homme ne les accouple lui- même, et la vue de cette action provoque en lui des mouvements charnels. C'est pourquoi on trouve dans les traditions des Juifs, comme le rapporte Rabbi Moïse (Dux errant, lib. m, cap. 50), que les hommes doivent détourner leurs regards des animaux lorsqu'ils s'accouplent. — La raison figurative de ces divers préceptes, c'est qu'on ne doit pas refuser les choses nécessaires à la vie au boeuf qui triture, c'est-à-dire au prédicateur qui distribue au peuple les fruits spirituels de la doctrine, comme l'observe l'Apôtre (1Co 9). Nous ne devons pas prendre non plus la mère avec les petits; parce qu'il y a des choses, dont on doit retenir les sens spirituels que les petits représentent, mais dont on doit abandonner l'observance littérale, comme il arrive à l'égard de tous les préceptes cérémoniels. En défendant d'accoupler ensemble des animaux d'espèce différente, on défendait par là même aux Juifs de s'allier avec les gentils.

9. Il faut répondre au neuvième, que dans l'agriculture on a défendu littéralement ces mélanges, en haine de l'idolâtrie (1), parce que les Egyptiens faisaient en l'honneur des étoiles des mélanges de grains, d'animaux et de vêtements, pour représenter les diverses constellations. Ou bien tous ces différents mélanges étaient défendus pour faire détester toutes les alliances contre nature. Ces défenses avaient néanmoins leur raison figurative. Ainsi quand il est dit : Vous ne sèmerez pas déplantés étrangères dans votre vigne, il faut donner à ces paroles un sens spirituel et entendre par là qu'on ne doit pas semer de doctrine étrangère dans l'Eglise, qui est la vigne spirituelle. De même le champ, c'est-à-dire l'Eglise, ne doit pas être implanté de semence diverse, ce qui signifie qu'on ne doit pas y semer la doctrine catholique et celle des hérétiques. On ne doit pas non plus labourer avec un boeuf et avec un âne; parce que dans la prédication on ne doit pas unir un sage avec un insensé; puisque l'un serait une gêne pour l'autre.

Il faut répondre au dixième argument, que c'est avec raison qu'au Deutéronome (Dt 7), on défend l'argent et l'or; non parce que ces choses ne sont pas soumises à la puissance des hommes, mais parce que l'anathème frappe non-seulement sur les idoles elles-mêmes, mais encore sur les choses dont elles étaient faites, comme souverainement abominables à Dieu. Ce qui est évident d'après le chapitre précédent dans lequel il est dit : Vous n’emporterez rien de ce qui touche aux idoles, de peur que vous ne deveniez anathème vous-mêmes comme ces choses. Le législateur craignait aussi qu'en recevant l'or et l'argent, la cupidité n'entraînât facilement les Juifs dans l'idolâtrie à laquelle ils étaient très-enclins. Le précepte qui ordonne d'enfouir en ses terres ses excréments (Dt 23) était aussi très-convenable et très- sage, parce qu'il contribuait à la propreté du corps, à la salubrité de l'air, et parce que c'était une marque de respect pour le tabernacle qui était alors dans le camp, et où l'on disait que le Seigneur habitait. Cette raison est manifeste, parce qu'immédiatement après avoir fait cette loi, le législateur la motive en disant : Le Seigneur votre Dieu marche au milieu de votre camp pour vous délivrer.... Vous aurez soin que votre camp soit pur, et qu'il ri y ait rien qui le souille. — La raison figurative de ce précepte, d'après saint Grégoire (Mor. lib. xxi, cap. 13), c'est que les péchés qui sortent de notre coeur comme des excréments fétides doivent être couverts parla pénitence, pour que nous soyons agréables à Dieu, suivant ce mot du Psalmiste (Ps 31,1) : Heureux ceux dont les iniquités sont remises et dont les péchés sont couverts. Ou bien, d'après la glose (ord. implic.), c'est pour que la connaissance des misères de notre condition nous porte à ensevelir notre orgueil dans les profondeurs de l'humilité, et à couvrir toutes nos souillures du voile de la vertu (1).

Il faut répondre au onzième, que les magiciens et les prêtres des idoles se servaient dans leurs rits des ossements ou des chairs des morts. C'est pourquoi, pour détruire le culte de l'idolâtrie, le Seigneur a commandé aux prêtres inférieurs, qui remplissaient pendant un temps marqué leurs fonctions dans le sanctuaire, de ne pas se souiller à l'occasion des morts. Il n'y avait d'exception que pour leurs proches, comme leur père, leur mère et les autres personnes qui leur étaient unies de cette manière. Mais le pontife devait être toujours prêt à exercer ses fonctions dans le sanctuaire, et c'est pour cette raison qu'il lui était absolument défendu de s'approcher des morts, quel que fût leur degré de parenté. On leur avait aussi ordonné de ne pas épouser une femme qui avait eu de mauvaises moeurs ou qui avait été répudiée, mais une vierge, d'abord par respect pour le sacerdoce dont la dignité aurait beaucoup perdu à une telle alliance, ensuite à cause des enfants qui auraient pris à déshonneur la tache qui aurait flétri leur mère, ce que l'on devait tout particulièrement éviter du mêment que la dignité du sacerdoce se transmettait par le sang de génération en génération. Enfin on leur avait défendu de se raser la tète et la barbe, et de se aire des incisions dans la chair pour éloigner d'eux les rits idolâtriques. Car es prêtres des gentils se coupaient les cheveux et la barbe -, c'est ce qui fait dire au prophète (Ba 6,30): Leurs prêtres sont assis dans leurs temples, ayant des tuniques déchirées, la tête et la barbe rasées. En adorant leurs idoles, ils se faisaient aussi des incisions avec des couteaux et des lancettes (1R 18,28). C'est pour cette raison que la loi ordonne le contraire aux prêtres juifs. — La raison spirituelle de ces préceptes c'est que les prêtres doivent être absolument exempts des oeuvres mortes qui sont des oeuvres dépêché, et qu'ils ne doivent pas raser leur tête, c'est-à-dire abandonner la sagesse, ni quitter leur barbe, c'est-à-dire la perfection de la sagesse elle-même, ni enfin déchirer leurs vêtements ou couper leurs chairs, ce qui signifie qu'ils ne doivent pas tomber dans le schisme.

(1) La défense de Moïse qui porte sur les animaux impurs avait principalement un but hygiénique. Voyez à cet égard les Lettres de quelques Juifs.
(2) Maimonide rapporte que les Sabéens avaient cette coutume.
(1 ) Lc griffon est uno espèce d'aigle. Ovide (Met. lib. viii, v. VS). Les commentateurs prennent cet oiseau pour l'gigle de mer.'
(2) Il est question de cet oiseau dans Aristote (H it t. anim. lib. ix) ; Pline (Mundut, lib. x, 3);
(D Charadrias ; nous traduisons ce mot par celui de loriot, quoiqu'il v ait grand débat entre les savants pour savoir si l'on doit entendre par là un pluvier, un cormoran, un loriot ou une civette. Plusieurs des noms précédents ont été aussi le sujet de bien des discussions, mais on concevra sans peine que nous n'ayons pas songé à les rapporter ici.
(2j Cette opinion est celle de tous les Pères et de tous les commentateurs.
(1) C'était aussi un moyen d'empêcher le propriétaire de vouloir jouir prématurément et d'énerver ainsi les arbres.
déguisements. Platon dit qu'ils sont contraires à l'ordre de la nature, et Charondas porte des peines très-sévères contre ceux qui se les permettent.
(2) Les plus anciens législateurs ont défendu ces
(1) L'abbé Guénée fait remarquer que la loi mosaïque tenait un juste milieu entre les usages cruels de quelques peuples envers les animaux et l'imbécile superstition de l'Indien qui n'ose écraser l'insecte qui le dévore.
(I) Ces mélanges étaient sans doute contraires aussi à l'agriculture bien entendue. Voyez à cet égard les réflexions de l'auteur des Lettres de quelques Juifs (4e part. lib. vi, cap. 6).
(1) Cette réponse au dixième argument ne se trouve ni dans l'édition de llome, 1570, ni dans l'édition d'Auvers, 1012, ni dans les autres éditions anciennes. François Garcia fut le premier qui suppléa à cette lacune, mais nous avons suivi le texte de Nicolaï, qui ne diffère d'ailleurs de celui de Garcia que quant à la forme.



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.102 a.6