I-II (trad. Drioux 1852) Qu.102 a.6


QUESTION CIII.

DE LA DURÉE DES PRÉCEPTES CÉRÉMONIELS.


Après avoir parlé des causes des préceptes cérémoniels, nous devons maintenant nous occuper de leur durée. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Les préceptes cérémoniels ont-ils existé avant la loi ? — 2° Sous la loi ont-ils eu la vertu de justifier? — 3° Ont-ils cessé après l'avènement du Christ? — 4U Est-ce un péché mortel de les observer depuis que le Christ est venu?

ARTICLE I. — les cérémonies de la loi ont-elles existé avant la loi elle-même ?


Objections: 1. Il semble que les cérémonies de la loi aient existé avant la loi. Car les sacrifices et les holocaustes appartiennent aux cérémonies de la loi ancienne, comme nous l'avons dit (quest. cii. art. 3). Or, il y a eu des sacrifices et des holocaustes avant la loi, puisqu'il est dit (Gn 4,3) que Caïn offrit au Seigneur des fruits de la terre, mais qu'Abel lui offrit aussi des premiers-nés de son troupeau et ce qu'il avait de meilleur. Noé offrit aussi des sacrifices et des holocaustes au Seigneur, comme on le voit (Gn 8), et Abraham fit de même (Gn 22). Donc les cérémonies de l'ancienne loi ont existé avant la loi.

2. Les cérémonies sacrées comprennent la construction de l'autel et sa consécration. Or, ces choses ont existé avant la loi, puisque nous lisons (Gn 13,18) qu'Abraham éleva un autel au Seigneur, et qu'il est dit de Jacob (Gn 28,18), qu'il prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête, qu'il la dressa comme un monument, répandant de l'huile dessus. Donc les cérémonies légales ont existé avant la loi.

3. La circoncision était le premier des sacrements de l'ancienne loi. Or, la circoncision exista avant la loi, comme on le lit (Gn 17). Il en fut de même du sacerdoce, puisqu'il est dit (Gn 14,18) que Melchisédech était prêtre du Très-Haut. Donc les cérémonies des sacrements ont existé avant la loi.

4. La distinction des animaux purs et des animaux impurs appartient aux cérémonies des observances, comme nous l'avons dit (quest. cii, art. G ad 1). Or, cette distinction a existé avant la loi, puisqu'il est dit (Gn 7,2): Prenez de tous les animaux purs sept paires, et deux paires des animaux impurs. Donc les cérémonies légales ont existé avant la loi.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Dt 6,1) : Voici les préceptes, les cérémonies et les ordonnances que le Seigneur votre Dieu m'a commandé de vous enseigner. Or, les Juifs n'auraient pas eu besoin d'être instruits à cet égard si ces cérémonies avaient existé auparavant. Donc les cérémonies de la loi n'ont pas existé avant elle.

CONCLUSION. — Avant la loi il y a eu des cérémonies établies par les patriarches pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû, mais ces cérémonies n'étaient pas légales, parce qu'elles ne se rattachaient pas à une législation.

Réponse Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. cii, art. 2), les cérémonies légales étaient établies pour deux fins, pour honorer Dieu et pour être la figure du Christ. Or, pour honorer Dieu il faut qu'on l'honore par des moyens déterminés qui appartiennent au culte extérieur. Cette détermination du culte divin appartient aux cérémonies, comme la détermination des rapports que nous devons avoir avec nos semblables appartient aux préceptes judiciels, ainsi que nous l'avons dit (quest. xcix, art. 4). C'est pourquoi, comme il y avait entre les hommes en général des préceptes judiciels qui n'avaient pas été établis par l'autorité de la loi divine, mais qui avaient été réglés par la raison humaine; de même il y avait des cérémonies qui n'avaient pas été déterminées par l'autorité d'une loi quelconque, mais qui l'avaient été seulement par la volonté et la dévotion des hommes qui adoraient Dieu. Mais comme avant la loi il y eut des hommes remarquablement doués de l'esprit prophétique; on doit croire qu'ils ont été portés par l'inspiration de Dieu, comme par une loi particulière, à déterminer une forme de culte qui fut parfaitement en rapport avec le culte intérieur et qui fût aussi propre à figurer les mystères du Christ que ces personnages représentaient eux-mêmes par leurs actions, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Co 10,11) : Toutes les choses qui leur arrivaient étaient autant de figures. Il y a donc eu des cérémonies avant la loi, mais elles n'étaient pas légales, parce qu'elles n'avaient pas été établies par un législateur.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que avant la loi les anciens offraient ces oblations, ces sacrifices et ces holocaustes par dévotion et volontairement selon qu'ils le jugeaient convenable, afin de montrer, par les choses qu'ils avaient reçues de Dieu et qu'ils lui offraient, qu'ils l'adoraient comme le principe et la fin de tout ce qui existe.

2. Il faut répondre au second, qu'il y a des choses qu'ils ont consacrées, parce qu'il leur paraissait convenable que par respect pour la Divinité, il y eût des lieux distincts des autres, spécialement affectés à son culte.

3. Il faut répondre au troisième, que le sacrement de la circoncision fut établi avant la loi par l'ordre de Dieu. On ne peut donc pas dire que ce sacrement appartient à la loi, parce que c'est la loi qui l'a établi, mais seulement parce que sous la loi on l'observait. Et le Seigneur a dit lui-même (Jn 7,22) que la circoncision ne venait pas de Moïse, mais des patriarches. Quant au sacerdoce, il existait avant la loi parmi ceux qui adoraient Dieu, suivant des prescriptions purement humaines et ils attribuaient cette dignité aux plus anciens.

4. Il faut répondre au quatrième, qu'avant la loi on ne distingua pas les animaux purs des animaux impurs pour régler la manière dont on devait vivre (1), puisqu'il est dit (Gn 9,3) : Vous vous nourrirez de tout ce quia mouvement et vie. On ne les distinguait que pour l'oblation des sacrifices, parce qu'on offrait en sacrifices certains animaux déterminés. Ou bien si par rapport à l'usage des viandes on distinguait quelques animaux, ce n'était pas parce qu'on croyait qu'il était défendu de les manger, puisqu'il n'y avait aucune loi qui les interdit, mais c'était parce qu'on les avait en abomination ou parce qu'on n'avait pas coutume d'en faire usage. C'est ainsi que nous voyons aujourd'hui qu'il y a des animaux qu'on a en horreur dans certains pays et qu'on mange dans d'autres.

(I) On trouve cependant la distinction suivante dans la Genèse : Le Seigneur dit à Noe (Gn 9) : Quasi olera virentia tradidi vobis omnia, excepto quod carnem cum sanguine non comedetis.
® Çet ar.t'cle est de foi. Le concile de Trente s exprime ainsi à ce sujet : Nec gentes per viam naturae, sed nec Judaei quidem per ipsam etiam litteram legis Moysi a peccato et potestate diaboli liberari, aut surgere poterant.


ARTICLE II. — les cérémonies de la loi ancienne ont-elles eu la vertu de justifier pendant que la loi a duré (2)?


Objections: 1. Il semble que les cérémonies de la loi ancienne avaient la vertu de justifier, quand la loi était en vigueur. Car l'expiation du péché et la consécration de l'homme sont des actes qui appartiennent à la justification. Or, il est dit (Ex 29) que l'on consacrait les prêtres et leurs habits en les aspergeant de sang et en les oignant d'huile. Et ailleurs (Lv 16) que le prêtre par l'aspersion du sang de l'agneau purifiait le sanctuaire des souillures des enfants d'Israël, de leurs prévarications et de leurs péchés. Donc les cérémonies de la loi ancienne avaient la vertu de justifier.

2. Ce qui rend l'homme agréable à Dieu appartient à la justice, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 10,8) : Le Seigneur est juste et it aime la justice. Or, on plaisait à Dieu par les cérémonies de la loi, suivant ces paroles du Lévitique (Lv 10,19) : Comment aurais-je pu plaire au Seigneur dans ces cérémonies avec un esprit rempli d'affliction ? Les cérémonies de l'ancienne loi avaient donc la vertu de justifier.

3. Ce qui appartient au culte divin appartient plutôt à l'âme qu'au corps d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 18,8) : La loi du Seigneur est sans tache, c'est elle qui convertit les âmes. Or, le lépreux était purifié par les cérémonies de l'ancienne loi, comme on le voit (Lv 14). Donc à plus forte raison ces mêmes cérémonies pouvaient-elles purifier l'âme en la justifiant.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Ga 2,21) : Si les Juifs avaient reçu une loi qui fût capable de justifier, le Christ serait mort gratuitement, c'est-à-dire sans motif. Or, ceci répugne. Donc les cérémonies de l'ancienne loi ne justifiaient pas.

CONCLUSION. — Les cérémonies de l'ancienne loi ne purifiaient que de certaines souillures corporelles; elles purifiaient du péché, quand la foi du Christ s'y adjoignait et comme démonstrations extérieures de la justification intérieure de l'homme.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. en, art. 5 ad 4), il y avait dans la loi ancienne deux sortes d'impureté : l'une spirituelle qui était l'effet du péché; l'autre corporelle qui empêchait d'être apte au culte divin. C'est ainsi qu'on réputait impur un lépreux ou celui qui touchait un cadavre. Cette impureté n'était rien autre chose qu'une irrégularité. Les cérémonies de l'ancienne loi avaient la vertu de purifier de cette espèce de souillure; parce que ces cérémonies étaient des remèdes prescrits par la loi elle-même pour effacer ces taches qu'elle avait elle-même introduites. C'est pourquoi l'Apôtre dit (He 9,13) que le sang des boucs et des taureaux et l'aspersion de l'eau mêlée avec la cendre d'une génisse sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle. Et comme les souillures que ces cérémonies purifiaient étaient plus charnelles que spirituelles, de même l'Apôtre appelle plus haut (vers. 10 ) ces cérémonies des justices charnelles qui n'avaient été imposées que jusqu'au temps où la loi serait corrigée. Mais elles n'avaient pas la vertu d'expier les souillures spirituelles qui sont un effet du péché. Et cela parce que les péchés n'ont pu être expiés que par le Christ qui efface les péchés du monde, selon l'expression de saint Jean (Jn 1,29). Mais le mystère de l'incarnation et de la passion n'ayant pas encore été réellement accompli, les cérémonies de l'ancienne loi ne pouvaient pas contenir véritablement en elles- mêmes la vertu qui découle du Christ qui s'est incarné et qui a souffert, comme les sacrements de la loi nouvelle la contiennent (1). C'est pourquoi ils ne pouvaient pas purifier du péché ; car, comme le dit l'Apôtre (He 10,4) : Il est impossible que le sang des taureaux et des boucs efface les péchés. Et il les appelle (Ga 4,9) des éléments vides et impuissants : impuissants parce qu'ils ne peuvent purifier du péché, mais leur impuissance provient de ce qu'ils étaient vides, c'est-à-dire de ce qu'ils ne contenaient pas la grâce. Toutefois, sous la loi l'esprit des fidèles pouvait être uni par la foi au Christ qui s'est incarné et qui a souffert, et ils étaient ainsi justifiés par la foi du Christ; l'observance des cérémonies légales était une protestation de cette foi, en ce sens qu'elles étaient la figure du Christ. C'est pour cette raison que dans l'ancienne loi on offrait des sacrifices pour les péchés, non parce que ces sacrifices effaçaient le péché, mais qu'ils étaient autant de manifestations de la foi qui les efface. Et c'est aussi ce que la loi insinue d'après ses propres expressions. Car il est dit (Lv 4-5) que dans l’oblation des hosties pour le péché, le prêtre priera pour lui et qu'il lui sera pardonné, comme si le péché était effacé, non par la vertu des sacrifices, mais par la foi et la dévotion de ceux qui les offrent (2). Mais il est à remarquer que par là même que les cérémonies de l'ancienne loi effaçaient les souillures corporelles, elles étaient la figure de l'expiation des péchés qui se fait par le Christ. Il est donc évident que les cérémonies sous l'ancienne loi n'avaient pas la vertu de justifier.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette sanctification du prêtre et de ses enfants, de ses habits et de tous les autres objets qu'on aspergeait de sang, n'avait pas d'autre but que de destiner toutes ces choses au culte divin et d'en écarter tout ce qui était un obstacle à la pureté de la chair, comme le dit l'Apôtre (He 13), ce qui était une figure de cette sanctification par laquelle Jésus a sanctifié le peuple par son sang. L'expiation doit aussi se rapporter à l'éloignement de ces souillures corporelles, mais non à l'éloignement du péché. Aussi il est dit que l'on expiait ou que l'on purifiait le sanctuaire qui ne pouvait être le sujet d'une faute.

2. Il faut répondre au second, que les prêtres étaient agréables à Dieu dans les cérémonies à cause de leur obéissance, de leur dévotion et de la foi qu'ils avaient dans les choses que ces cérémonies figurent, mais non pour les choses considérées en elles-mêmes.

3. Il faut répondre au troisième, que ces cérémonies qui avaient été établies pour la purification du lépreux, n'avaient pas pour but de détruire l'impureté qui résultait de la maladie de la lèpre, ce qui est évident puisqu'on ne les faisait qu'après qu'on avait été guéri. Ainsi il est dit (Lv 14,3) que le prêtre sorti du camp, quand il trouvera que la lèpre est guérie, ordonnera à celui qui est puri fié d'offrir, etc. D'où il est manifeste que le prêtre était établi juge de la lèpre pour prononcer si elle était guérie, mais qu'il ne devait pas la guérir. On ne faisait ces cérémonies que pour détruire la tache de l'irrégularité. Cependant on dit que quelquefois quand le prêtre venait à porter un faux jugement, le lépreux était guéri miraculeusement par la vertu divine, mais non par la vertu des sacrifices; comme la femme adultère était miraculeusement atteinte à la cuisse d'une maladie affreuse, après avoir bu les eaux sur lesquelles le prêtre avait entassé des malédictions (Nb 5).

(I) C est en cela principalement que consiste le caractère propre des sacrements de la loi nouvelle qu'on ne peut confondre avec ceux de la loi ancienne sans encourir l'anathème : Si quis dixerit ea ipsa nova legis sacramenta à sacramentis antiquoe legis non differre, nisi quid caeremoniae sunt alioe et alii ritus externi : anathema sit (Trid. sess, vii, can. 2).
(2) Selon l'expression de l'Ecole, les sacrements de l'ancienne loi ne produisaient la grûce que ex opere operantis et non ex opere operato comme les sacrements de la loi nouvelle.


ARTICLE III. — les cérémonies de la loi ancienne ont-elles cessé a l'arrivée du christ (1)?


Objections: 1. Il semble que les cérémonies de la loi ancienne n'aient pas cessé à l'arrivée du Christ. Car le prophète dit (Ba 4,1) : Voilà le livre des préceptes de Dieu et la loi qui est éternelle. Or, les cérémonies appartenaient à la loi. Donc elles devaient durer éternellement.

2. L'offrande du lépreux purifié appartenait aux cérémonies de la loi. Or, dans l'Evangile on commande au lépreux purifié de faire ces offrandes. Donc les cérémonies de l'ancienne loi n'ont pas cessé après l'avénement du Christ.

3. Tant que la cause subsiste, l'effet subsiste aussi. Or, les cérémonies de l'ancienne loi avaient des causes raisonnables, puisqu'elles avaient été établies pour rendre à Dieu le culte qui lui est dù et pour figurer le Christ. Donc elles n'ont pas dù cesser.

4. La circoncision avait été établie en signe de la foi d'Abraham; l'observance du sabbat avait été instituée pour rappeler le bienfait de la création, et toutes les autres fêtes avaient également pour but de renouveler le souvenir des autres bienfaits de Dieu, comme nous l'avons vu (quest. préc. art. 4 ad 10). Or, nous devons toujours imiter la foi d'Abraham et remercier Dieu pour la création et ses autres bienfaits. Donc on aurait dù au moins conserver la circoncision et les fêtes légales.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Col 2,16) : Que personne ne vous condamne pour le manger ou pour le boire, ou au sujet des jours de fêtes, de la nouvelle lune ou du sabbat, puisque toutes ces choses ne sont qu'une ombre de celles qui devaient arriver. Et ailleurs il ajoute (He 8,13) : Que le Seigneur, en appelant cette alliance une alliance nouvelle, a montré que la première se passait et vieillissait. Or, ce quipasse et vieillit est près de sa fin.

CONCLUSION. — Le mystère de la Rédemption humaine, que les cérémonies de l'ancienne loi figuraient, ayant été commencé à l'arrivée du Christ et ayant été consommé dans sa passion ; les cérémonies légales ont elles-mêmes commencé à cessera l'avènement du Christ, et il était convenable qu'elles cessassent à la passion.

Réponse Il faut répondre que tous les préceptes cérémoniels de l'ancienne loi se rapportaient au culte de Dieu, comme nous l'avons dit (quest. ci, art. 1 et 2). Mais le culte extérieur doit être proportionné au culte intérieur qui consiste dans la foi, l'espérance et la charité. Par conséquent le culte extérieur a dù changer en raison des modifications qu'a reçues le culte intérieur. Or, on peut distinguer relativement au culte intérieur trois états. L'un qui consiste à croire et à espérer les biens célestes et ceux qui doivent nous mettre en possession du royaume de Dieu ; tout en considérant ces deux sortes de biens comme des choses à venir. Cet état de la foi et de l'espérance exista sous l'ancienne loi. La seconde sorte de culte intérieur est celle où l'on croit et l'on espère les biens célestes comme des choses à venir, et où l'on regarde ce qui doit nous procurer ces biens comme des choses présentes ou passées. Cet état est celui de la loi nouvelle. Enfin il y a un troisième état où l'on est en possession de ces biens ; on n'a plus rien à croire de ce qu'on ne voit pas et on n'espère plus rien comme à venir. Ce dernier état est celui des bienheureux. Dans ce dernier état le culte divin ne renfermera rien de figuratif ; il ne comprendra que des actions de grâce et des louanges. C'est pourquoi saint Jean dit de la cité des élus (Ap 21,22) : Je n'ai pas vu en elle de temple, car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple ainsi que l'agneau. Pour la même raison les cérémonies qui existaient sous le premier état et qui figuraient le second et le troisième ont dù ne plus exister à l'avènement du second. Il a fallu en établir d'autres qui fussent en rapport avec cette époque où les biens célestes sont à venir, tandis que les bienfaits de Dieu qui nous mènent à ces biens célestes sont présents.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que la loi ancienne est éternelle absolument par rapport aux préceptes moraux, mais par rapport aux préceptes cérémoniels, elle ne l'est que relativement à la vérité des choses qu'elle a figurées.

2. Il faut répondre au second, que le mystère de la rédemption du genre humain a reçu son dernier complément dans la passion du Christ (1). C'est pourquoi le Seigneur a dit alors : Tout est consommé, comme on le voit (Jn 19,30). Les cérémonies légales ont donc dù cesser totalement dès ce mêment où la vérité qu'elles représentaient fut entièrement accomplie. La preuve de cette assertion, c'est que nous lisons que dans la passion du Christ le voile du temple se déchira (Mt 27). Ainsi, avant la passion, pendant que le Christ prêchait et faisait des miracles, la loi et l'Evangile existaient simultanément; parce que le mystère du Christ était commencé, mais qu'il n'était pas encore consommé. C'est pour ce motif qu'avant sa passion, le Christ ordonna au lépreux d'observer les cérémonies légales.

3. Il faut répondre au troisième, que les raisons littérales des cérémonies que nous avons désignées plus haut se rapportent au culte divin qui reposait sur la foi dans le Christ à venir. C'est pourquoi quand celui qu'on attendait fut arrivé, ce culte cessa, et avec lui tombèrent toutes les raisons pour lesquelles il avait été établi.

4. Il faut répondre au quatrième, que la foi d'Abraham s'est distinguée en ce qu'il a cru à la promesse divine touchant le Messie à venir, dans lequel devaient être bénies toutes les nations. C'est pourquoi tant que ce mystère ne fut pas accompli, on devait faire profession de la foi d'Abraham au moyen de la circoncision. Mais depuis l'accomplissement de ce mystère, on a dû exprimer la même  chose par un autre signe ; par le baptême qui a succédé pour ce motif à la circoncision, suivant ces paroles de saint Paul (Col 2,11) : Comme vous avez- été circoncis en lui d'une circoncision qui n'a pas été faite de main d'homme, mais de la circoncision de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui consiste dans le dépouillement du corps de la chair, vous avez été ensevelis avec lui par le baptême. Le samedi, qui désignait la création primitive, a été remplacé par le dimanche où l'on rappelle la création nouvelle qui a commencé dans la résurrection du Christ. De même les autres fêtes de la loi ancienne ont fait place à de nouvelles solennités ; parce que les bienfaits accordés aux Juifs étaient une figure des bienfaits que nous avons reçus du Christ. Ainsi à la fête de Pâques a succédé la fête de la passion du Christ et de la résurrection ; à la fête de la Pentecôte, qui est l'anniversaire de la loi ancienne, a succédé la fête de la Pentecôte qui est le jour où la loi évangélique nous a été donnée par l'Esprit-Saint; à la fête de la Néoménie a succédé la fête de la sainte Vierge, dans laquelle s'est manifestée pour la première fois la lumière du soleil, c'est-à-dire la lumière du Christ par l'abondance de la grâce. La fête des trompettes a été remplacée par celle des apôtres ; celle de l’expiation par celle des martyrs et des confesseurs; celle des Tabernacles par celle de la consécration de l'Eglise ; celle de l’assemblée (coetus) et de la collecte par celle des anges, ou encore par celle de tous les saints.

(I) Cérinthe, Ebion, Paul de Samosate et tous les chrétiens judaïsants voulaient que les préceptes cérémoniels de la loi fussent encore en vigueur après la promulgatioií de la loi nouvelle.
Les apôtres se sont eux-mêmes élevés contre cette erreur, qui a été condamnée de nouveau très-expressément par le pape Eugène IV au concile de Florence.
(1)Il y a plusieurs théologiens qui font observer qu'il ne faut pas prendre cette époque d'une manière trop rigoureuse, et qui soutiennent qu'à la vérité la mort du Christ a été la condamnation de la loi, et qu'elle lui a donné un coup mortel, mais que cependant la loi ancienne n'a cessé d'être obligatoire qu'à la Pentecôte, après la promulgation de la loi nouvelle. Ce sentiment est celui de saint Bonaventure (iv dist. 5) ; de Seot (quest. iv); de Soto (quest. vii, art. 5j;de Maldo- nat(Matth, v) ; de Suarcz (De ley. lib. ix, cap. 13).


ARTICLE IV. — depuis la passion du christ peut-on observer les cérémonies légales sans péché mortel (1)?


Objections: 1. Il semble que depuis la passion du Christ, on puisse observer les cérémonies légales sans péché mortel. Car on ne doit pas croire que les apôtres après avoir reçu le Saint-Esprit aient péché mortellement; puisqu'ils ont été revêtus de sa plénitude par la vertu d'en haut, comme le dit saint Luc (Lc 24). Or, les apôtres après l'arrivée de l'Esprit-Saint ont observé ces cérémonies. Car il est dit (Ac 16) que Paul a circoncis l'imothée, et plus loin on trouve (Ac 21,26) que d'après le conseil de saint Jacques, Paul ayant pris ses hommes, et s'étant purifié avant eux, entra te lendemain dans le temple, faisant savoir dans combien de jours s'accomplirait leur purification, et quand l'offrande devrait être présentée pour chacun d'eux. Donc on peut sans péché mortel, depuis la passion du Christ, observer les cérémonies légales.

2. Les cérémonies de la loi faisaient un devoir d'éviter la société des gentils. Or, le premier pasteur de l'Eglise l'a fait, car il est dit (Ga 2,18) qu'après leur arrivée à Antioche, il se retira secrètement et se sépara des gentils. Donc on peut sans pécher observer les cérémonies de la loi ancienne depuis la passion du Christ.

3. Les préceptes des apôtres n'ont pas porté les hommes au péché. Or, ils ont ordonné aux gentils d'observer quelques-unes des cérémonies de la loi. Ainsi ils ont dit (Ac 15,28) : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous de ne vous point charger d'autres choses que de celles-ci qui sont nécessaires : c'est de vous abstenir de ce qui aura été sacrifié aux idoles, du sang, des chairs étouffées et de la fornication. Donc on peut sans pécher observer les cérémonies légales depuis la passion du Christ.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Ga 5,2): S i vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. Or, il n'y a que le péché mortel qui nous prive des fruits de l'incarnation. Donc c'est un péché mortel que de se faire circoncire et d'observer les autres cérémonies légales depuis la passion du Christ.

CONCLUSION. — Comme on conserve quelque temps les hommes qui sont morts avant de les ensevelir, de même les observances légales qu'on ne pouvait pas sans péché mortel considérer comme vivantes après la passion du Christ, ont pu être respectées comme des choses mortes depuis ce mêment jusqu'à la propagation de l'Evangile, afin d'ensevelir la synagogue avec honneur.

Réponse Il faut répondre que toutes les cérémonies sont des manifestations de la foi, dans laquelle consiste le culte intérieur de Dieu. Or, l'homme peut manifester sa foi intérieure par des actes et par des paroles. Dans l'un et l'autre cas, s'il exprime une chose fausse, il pèche mortellement. Quoique la foi que nous avons dans le Christ soit la même  que celle qu'ont eue les anciens patriarches -, cependant par là même qu'ils l'ont précédé et que nous l'avons suivi, nous ne devons pas employer les mêmes formules qu'eux pour l'exprimer. Car ils disaient : Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils; en mettant ces verbes au futur. Nous rendons la même pensée en les mettant au passé. Ainsi nous disons que la Vierge a conçu et qu'elle a enfanté. De même  les cérémonies de l'ancienne loi indiquaient que le Christ naîtrait et qu'il souffrirait; tandis que nos sacrements indiquent qu'il est né et qu'il a souffert. Par conséquent, comme on pécherait mortellement si on disait dans sa profession de foi que le Christ doit naître, ce que les patriarches ont dit avec tant de piété et de vérité ; de même on ferait un péché mortel, si l'on observait maintenant les cérémonies que les Juifs observaient avec tant de zèle et de fidélité. Suivant la pensée de saint Augustin (Cont. Faust, lib. xix, cap. 16) on ne promet plus que le Christ naîtra, qu'il souffrira, qu'il ressuscitera, ce que les rits judaïques proclamaient en quelque sorte tout haut; mais on annonce qu'il est né, qu'il a souffert, qu'il est ressuscité, ce que manifestent les sacrements des chrétiens.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'à cet égard saint Jérôme et saint Augustin paraissent avoir été d'un avis différent. En effet saint Jérôme (Epist, lxxv) a distingué deux temps: l'un qui a précédé la passion du Christ et pendant lequel les observances légales n'étaient ni mortes ni mortelles. Elles n'étaient pas mortes, parce qu'elles conservèrent la même force obligatoire et la même vertu d'expiation ; elles n'étaient pas non plus mortelles, parce que ceux qui les observaient ne péchaient pas. Mais immédiatement après la passion du Christ, elles ont commencé non-seulement à être mortes, c'est-à-dire à perdre toute vertu et à cesser d'être obligatoires, mais elles étaient encore mortelles, dans le sens que ceux qui les observaient péchaient mortellement. D'où il concluait que les apôtres n'ont jamais observé depuis la passion les cérémonies légales d'une manière sérieuse, mais qu'ils l'ont fait seulement par de pieuses feintes (1), dans la crainte de scandaliser les Juifs et d'empêcher leur conversion. Par cette feinte, on ne doit pas entendre qu'ils n'exécutaient pas en réalité les actes prescrits par les cérémonies, mais qu'ils ne les faisaient pas dans le but d'observer la loi ; comme si l'on se faisait circoncire pour une raison de santé, mais non pour observer la circoncision légale. — Mais comme il paraît peu convenable que les apôtres aient caché, par crainte du scandale, ce qui regarde la vérité de la vie et de la doctrine et qu'ils aient usé de dissimulation pour des choses qui appartiennent au salut des fidèles, saint Augustin a mieux fait de distinguer trois temps (Epist, xl) : l'un qui est antérieur à la passion du Christ, dans lequel les observances légales n'étaient ni mortes, ni mortelles; l'autre qui est postérieur à la promulgation de l'Evangile, dans lequel ces observances sont tout à la fois mortes et mortelles ; enfin une époque intermédiaire qui va de la passion du Christ jusqu'à la prédication de l'Evangile, et durant laquelle les observances furent mortes, parce qu'elles n'avaient plus aucune vertu et qu'on n'était pas tenu de les observer; mais elles ne furent pas mortelles, parce que ceux qui se convertissaient du judaïsme au christianisme pouvaient licitement les observer, pourvu qu'ils ne missent pas en elles leur espérance au point de les croire nécessaires au salut, comme si la foi du Christ ne pouvait pas justifier sans elles. Quant aux gentils qui se convertissaient, ils n'avaient pas de raison de les observer. C'est pourquoi saint Paul a circoncis Timothée dont la mère était Juive ; mais il n'a pas voulu circoncire Tite qui avait pour parents des gentils. Le Saint-Esprit ne voulut pas non plus qu'on interdît immédiatement aux Juifs qui se convertissaient les observances légales, comme on interdisait aux gentils leurs rits particuliers, pour faire voir qu'ily avait une différence entre la religion juive et celle de la gentilité. Car on répudiait les rits des gentils, comme étant absolument illicites et comme ayant toujours été défendus par Dieu, tandis que les rits légaux cessaient, comme ayant été accomplis par la passion du Christ, puisque Dieu ne les avait établis que pour figurer ce mystère.

2. Il faut répondre au second, que d'après saint Jérôme (loc. cit. in resp. ad 1) saint Pierre feignait de s'éloigner des gentils pour éviter le scandale des Juifs dont il était l'apôtre; et que par conséquent il n'a péché en cela d'aucune manière. Saint Paul feignait aussi de le reprendre pour éviter le scandale des gentils dont il c tait également l'apôtre. — Mais saint Augustin (loc. sup. cií.) rejette cette explication, parce que saint Paul, dans son Epître aux Galates (Ga 2) où l'on ne peut admettre qu'il ait écrit une fausseté, dit lui-même que Pierre était répréhensible. Il est donc vrai que Pierre a péché et que Paul l'a véritablement réprimandé et qu'il n'a pas seulement eu l'air de le faire. Toutefois Pierre n'a pas péché pour avoir respecté à cette époque les observances légales, car cela lui était permis comme à tous les Juifs convertis ; mais il péchait en ce que pour ne pas scandaliser les Juifs, il mettait trop de soin à suivre ces observances, de telle sorte qu'il en résultait un scandale pour les gentils (1).

3. Il faut répondre au troisième, qu'il y a des auteurs qui ont dit que cette défense des apôtres ne doit pas s'entendre à la lettre, mais qu'il faut la prendre dans un sens spirituel, de telle sorte qu'en défendant le sang ils ont défendu l'homicide; en défendant les viandes suffoquées, ils ont défendu la violence et la rapine ; en défendant les viandes immolées, ils ont défendu l'idolâtrie -, qu'enfin ils ont défendu la fornication comme une chose mauvaise par elle-même. Ils ont emprunté cette opinion à quelques gloses qui donnent un sens mystique à ces préceptes. Mais l'homicide et la rapine étant considérés comme illicites par les gentils, on n'avait pas besoin de donner à cet égard un ordre spécial à ceux des gentils qui se convertissaient au christianisme. C'est pourquoi d'autres disent qu'on avait défendu littéralement l'usage de ces aliments, non pour faire respecter ces observances légales, mais pour réprimer la gourmandise. Saint Jérôme part de là (Sup. Ezech. xliv) pour condamner les prêtres qui, à l'égard de la nourriture et des autres choses, n'observent pas ces préceptes, par suite de l'attachement extrême qu'ils ont pour la bonne chère. Toutefois comme il y a des mets plus délicats et plus appétissants que ceux-là, il ne semble pas que ce soit la raison pour laquelle on a défendu ces choses plutôt que d'autres. Il faut donc en venir à une troisième opinion qui reconnaît que ces défenses sont littérales, mais qu'elles n'avaient pas pour but l'observance des cérémonies légales, et elles n'ont été faites que pour favoriser l'union des gentils et des Juifs qui habitaient ensemble. Car d'après une ancienne coutume les Juifs avaient en horreur le sang et les animaux suffoqués, et si les gentils avaient mangé des viandes immolées aux idoles, les Juifs auraient pu les soupçonner de revenir à leurs erreurs. C'est pourquoi on défendit ces choses à l'époque où il fallait unir ensemble les Juifs et les gentils (2). Avec le temps cette cause de dissension n'ayant plus existé, l'effet disparut aussi, et l'on vit briller la vérité de la doctrine de l'Evangile, où le Seigneur dit : que rien de ce qui entre par la bouche ne souille l'homme (Mt 15,11) et l'on proclama avec l'Apôtre (1Tm 4,4) : qu'on ne doit rien rejeter de ce qu'on reçoit avec action de grâce. Quant à la fornication, on l'a défendue spécialement, parce que les gentils ne la considéraient pas comme un péché (3).

(I) Cette question a été ainsi exposée et définie au concile de Florence : Sacrosancta Ecclesia firmiter credit, profitetur et docet quemcumque post passsionem Christi in legalibus spem ponentem et illis, vel ad salutem necessariis se subentem, quasi Christi fides sine illis salvare non posset, peccasse mortaliter. Non tamen negat : à Christi passione usque ad promulgatum Evangelium illa potuisse servari : dum tamen minime ad salutem necessaria crederentur. Sed post promulgatum Evangelium, sine interitu salutis aeterna; asserit non posse servari.
(1) Ce sentiment de saint Jérôme est insoutenable, parce que dans ce cas la dissimulation cul été un mensonge, et il répugne d'admettre que les apôtres aieut ainsi menti publiquement.
(1) Saint Pierre et saint Paul étaient parfaitement d'accord sur le fond de la question ; mais, par ménagement pour les Juifs, saint Pierre s'éloignait de la table des gentils. Sa faute fut donc une faute d'inadvertance, qui s'explique par la charité qu'il avait pour ses concitoyens et qui fut bien adoucie par l'humilité avec laquelle il reçut la correction de saint Paul, selon la remarque de saint Cyprien et de saint Augustin.
(2) C'était une loi de circonstance. Du reste la loi qui défendait le sang et les viandes suffoquées n'était pas de Moïse ; c'était une défense faite à Noé. Gen. ix (Voy. plus haut, p. 523).
(3) L'adultère seul leur paraissait répréhensible.



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.102 a.6