I-II (trad. Drioux 1852) Qu.105 a.3

ARTICLE III. — les préceptes judiciels ont-ils été convenablement établis a l'égard des étrangers?


Objections: 1. Il semble que les préceptes judiciels n'aient pas été convenablement établis à l'égard des étrangers. Car saint Pierre dit (Ac 10,34) : En vérité, je vois bien que Dieu ne fait point acception des personnes, mais qu'en quelque nation que ce soit, celui qui le craint et dont les oeuvres sont justes lui est agréable. Or, ceux qui sont agréables à Dieu ne doivent pas être exclus de son Eglise. C'est donc à tort qu'il est dit (Dt 23,3) : Que les Ammonites et les Moabites, après la dixième génération, n'entreront jamais dans l'Eglise de Dieu. Aussi trouve-t-on le contraire à l'égard de certaines nations (Dt 7) : Vous n'aurez pas en abomination l'Iduméen, parce que c'est votre frère ; ni l'Egyptien, parce que vous avez été étranger sur sa terre.

2. Les choses qui ne sont pas en notre pouvoir ne méritent pas de châtiment. Or, qu'un individu soit eunuque ou qu'il soit bâtard, ce n'est pas une chose qui dépende de lui. Donc c'est à tort qu'il est dit (Dt 23,2) que l'eunuque ou l'enfant de la prostituée n'entrera pas dans l'Eglise de Dieu.

3. La loi ancienne a ordonné par compassion de ne pas affliger les étrangers, car il est dit (Ex 22,21) : Vous ne contristerez pas l'étranger, vous ne l'affligerez pas; car vous avez été étrangers vous-mêmes sur la terre d'Egypte. Et ailleurs (Ex 23,9) : Vous n'opprimerez point l'étranger, car vous savez ce que c'est que d'être étranger, puisque vous l'avez été vous-mêmes dans le pays de l'Egypte. Or, c'est opprimer un individu que de l'écraser par l'usure. C'est donc à tort que la loi a permis de prêter aux étrangers de l'argent à usure (Dt 23).

4. Les hommes nous sont plus proches que les arbres. Or, nous devons témoigner plus d'affection et un plus grand amour à ceux qui nous touchent de plus près, suivant cette parole de l'Ecriture (Qo 13,19) : Tout animal aime son semblable, et par conséquent tout homme son prochain. Il n'est donc pas convenable qu'à l'égard des villes prises sur les ennemis on ait ordonné de tuer tous les hommes, mais de ne pas toucher aux arbres fruitiers (Dt 20).

5. La vertu exige que tout homme préfère le bien général au bien particulier. Or, dans la guerre qu'on fait aux ennemis, on cherche le bien général. Il n'est donc pas convenable, quand l'attaque est imminente, de renvoyer dans leurs foyers un certain nombre d'individus, par exemple celui qui a bâti une maison nouvelle, celui qui a planté une vigne ou celui qui vient de se marier (Dt 20).

6. On ne doit pas tirer profit d'une faute. Or, qu'un homme soit craintif et timide de coeur, c'est une chose répréhensible parce qu'elle est contraire à la vertu de la force. C'est donc à tort que l'on exemptait des fatigues du combat ceux qui étaient peureux et tremblants.

En sens contraire Mais c'est le contraire. La Sagesse divine dit (Pr 8,8) : Toutes mes paroles sont justes, il n'y a rien en elles de mauvais, ni de déréglé.

CONCLUSION. — Puisque la loi ordonnait d'agir pacifiquement avec les étrangers qui n'étaient pas hostiles, de faire avec justice la guerre aux ennemis, de soutenir cette guerre avec courage et une ferme confiance en Dieu, et d'user de la victoire avec modération; les préceptes judiciels ont été convenablement établis à cet égard.

Réponse Il faut répondre que les hommes peuvent avoir deux sortes de rapports avec les étrangers ; ils peuvent être en paix avec eux ou en guerre, et sous ces deux rapports la loi renfermait des préceptes convenables. — En effet, les Juifs avaient l'occasion de communiquer pacifiquement avec les étrangers. Ils le pouvaient d'abord quand les étrangers passaient comme des voyageurs sur leurs terres (1), ensuite quand ils y venaient pour l'habiter. La loi était toute de miséricorde dans ces deux circonstances. Car il est dit (Ex 21,21) : Vous ne consisterez pas l'étranger. Et plus loin (Ex 23,9) : Vous n'opprimerez pas le pèlerin. D'autres fois il y avait des étrangers qui voulaient totalement se faire admettre dans la société et la religion des Juifs. A leur égard on observait un certain ordre, ils n'étaient pas reçus immédiatement au rang des citoyens. C'est ainsi que parmi certaines nations de la gentilité, il avait été statué qu'on ne reconnaîtrait pour citoyens que ceux qui remontaient jusqu'à la deuxième ou la troisième génération, selon la remarque d'Aristote (Pol. lib. m, cap. 1). On agissait ainsi, parce que si les étrangers étaient immédiatement admis à traiter des intérêts d'un peuple, il pourrait en résulter de graves inconvénients. Car ces étrangers n'ayant pas encore d'attachement ferme pour le bien public, ils pourraient commettre quelques attentats contre la nation. C'est pourquoi la loi décida que pour certaines nations qui avaient de l'affinité avec les Juifs, comme les Egyptiens au milieu desquels ils étaient nés et avaient été élevés, et les Iduméens, les enfants d'Ésaü, le frère de Jacob, on les recevrait à la troisième génération. Mais il y en a d'autres que l'on ne devait jamais recevoir, parce qu'ils s'étaient déclarés ennemis des Juifs; tels étaient les Ammonites et les Moabites. Leurs plus grands ennemis furent les Amalécites, avec lesquels ils n'avaient aucun rapport de parenté. Ils les considérèrent comme leurs ennemis perpétuels, d'après ces paroles de l'Ecriture (Ex 17,16) : La guerre de Dieu contre Amalec subsistera de génération en génération. — La loi a également donné des préceptes convenables à l'égard des rapports que les Juifs devaient avoir avec les étrangers qui étaient leurs ennemis. Ainsi elle a établi qu'on ne ferait la guerre qu'autant qu'elle serait juste, car il est dit (Dt 20) que quand on s'approcherait pour attaquer une ville, on lui offrirait d'abord la paix. 2° Elle a déterminé qu'on ferait la guerre avec courage en mettant sa confiance en Dieu; et pour qu'on remplît mieux ces deux conditions, elle a voulu qu'au mêment du combat le prêtre fortifiât le courage des soldats en leur promettant le secours de Dieu. 3° Elle a pris soin d'écarter ce qui pouvait être un obstacle au combat, en renvoyant dans leur maison ceux qui ne pouvaient être qu'un embarras. 4° Elle a ordonné d'user avec modération de la victoire, en épargnant les femmes et les enfants et en défendant même de couper les arbres fruitiers.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la loi n'a exclu les hommes d'aucune nation du culte de Dieu et de ce qui appartient au salut de l'âme. Car il est dit (Ex 12,48) : Si quelque étranger veut vous être associé et faire la Pâque du Seigneur, tout mâle qui lui appartient sera circoncis, alors il s'approchera du Seigneur pour faire la Pâque et il sera comme un naturel du pays. Mais à l'égard de ce qui se rapportait à la société temporelle; on n'admettait pas immédiatement tout individu, pour la raison que nous avons donnée (in corp. art.). Il y en a qu'on ne recevait qu'à la troisième génération, comme les Egyptiens et les Iduméens; d'autres qu'on excluait à jamais, en haine de leur faute passée, comme les Moabites, les Ammonites et les Amalécites. Car comme on punit un homme pour le péché qu'il a commis, afin d'inspirer aux autres de la crainte et de les éloigner du mal; de même on peut punir une ville ou une nation pour une faute, de manière à empêcher les autres de la commettre. Toutefois on pouvait au moyen d'une dispense faire entrer quelqu'un dans la société juive pour un acte de courage. C'est ainsi qu'il est rapporté (Jdt 14,6) que Achior, le chef des enfants d'Ammon, fut incorporé au peuple d Israël et tous ses descendants. Il en est de même de Ruth, la Moabite, qui était une femme d'une grande vertu ; quoiqu'on puisse dire que cette défense s'étendait aux hommes, mais non aux femmes qui ne pouvaient pas absolument arriver au titre de citoyens (1).

2. Il faut répondre au second, que, comme le dit Aristote (Pol. lib. iii, cap. 3), on peut être citoyen de deux manières, absolument et relativement. On l'est absolument, quand on peut faire tout ce qui concerne les citoyens, comme donner un conseil ou rendre un jugement parmi le peuple. On l'est relativement, toutes les fois qu'on habite une cité, comme les personnes viles, les enfants et les vieillards qui ne sont pas aptes à avoir le moindre pouvoir en ce qui regarde l'intérêt général. C'est pourquoi on écartait de l'Eglise ou de l'assemblée du peuple, jusqu'à la dixième génération, les bâtards à cause de la bassesse de leur origine (2), ainsi que les eunuques qui ne pouvaient arriver à l'honneur de la paternité, qui était si considérable chez les Juifs où le culte de Dieu se conservait par la génération de la chair. Car chez les gentils eux-mêmes, on accordait de grands honneurs à ceux qui avaient beaucoup d'enfants, comme le dit Aristote (Pol. lib. ii, cap. 7). Mais pour ce qui est des grâces de Dieu, les eunuques n'étaient pas séparés des autres pas plus que les étrangers, comme nous l'avons vu (in corp. art. et ad 1). Car il est dit (Is 56,3) : Que le fils de l'étranger qui se sera attaché au Seigneur ne dise point : Le Seigneur m'a entièrement séparé de son peuple. Que l'eunuque ne dise point : Je ne suis qu'un tronc desséché.

3. Il faut répondre au troisième, que la loi n'avait pas l'intention qu'on prêtât à usure aux étrangers, mais qu'elle le permettait, parce que les Juifs étaient enclins à l'avarice et pour qu'ils eussent des rapports plus pacifiques avec les étrangers dont ils tiraient profit (3).

4. Il faut répondre au quatrième, qu'à l'égard des cités ennemies, il y avait une distinction à faire. Il y en avait d'éloignées qui n'étaient pas du nombre de celles qui avaient été promises aux Juifs; dans ces villes prises d'assaut, on égorgeait les hommes qui avaient combattu contre le peuple de Dieu (4), mais on épargnait les femmes et les enfants. Dans les villes voisines, qui leur avaient été promises, ils avaient ordre de tout massacrer à cause des iniquités passées de toutes ces nations. Dieu envoyait le peuple d'Israël, comme l'exécuteur de sa justice pour les punir. Ainsi il est dit (Dt 9,5) : Elles ont été détruites à votre entrée, parce qu'elles ont agi d'une manière impie. On leur recommandait de réserver les arbres fruitiers dans l'intérêt de ceux qui venaient de soumettre à leur puissance la ville et son territoire.

5. Il faut répondre au cinquième, qu'on dispensait de combattre celui qui venait de bâtir une maison, de planter une vigne ou de se marier, pour deux raisons : 1° Parce que l'homme aime ordinairement davantage ce qu'il possède depuis peu ou ce qu'il est sur le point de posséder et par conséquent il craint aussi davantage de le perdre. Il était donc probable que ces affections leur inspiraient une crainte plus vive de la mort et qu'ils étaient par conséquent moins courageux au combat. 2° Parce que, comme le dit Aristote (Phys. lib. ii , text. 56), quand quelqu'un est près de posséder un bien, s'il en est immédiatement empêché, on considère ce contretemps comme un malheur. C'est pourquoi, dans la crainte que les parents de ceux qui seraient morts, sans avoir joui des biens qu'ils s'étaient préparés, ne fussent trop vivement contristés et aussi de peur que le peuple ne fût trop vivement impressionné par cet accident, on mettait ces hommes à l'abri du danger en les éloignant du combat.

6. Il faut répondre au sixième, qu'on renvoyait les lâches dans leur foyer (1), non pour qu'ils en retirassent un avantage, mais afin que le peuple n'eût point à souffrir de leur présence, car ils pouvaient, par leur lâcheté et par leur fuite, engager les autres à trembler et à fuir eux- mêmes.

(I) Ils devaient indiquer à l'étranger son chemin. Il v avait h Athènes une loi semblable, et l'on prononçait avec beaucoup d'appareil et de solennité des exécrations contre celui qui manquait à ce devoir.
(!) Les Juifs ne furent pas aussi exclusifs qu'on l'a prétendu. David avait des étrangers dans ses troupes et Salomon en employa à la construction du temple. Minos et Lycurgue furent loin de donner aux étrangers la même liberté. C'est ce que fait remarquer l'historien Josèphe, dans 6on livre contre Appion (lib. ii, n. 28).
(2) Cette loi avait pour but de faire respecter la pureté des alliances, et celle qui regarde les eunuques avait pour objet d'empêcher cette classe d'hommes de se multiplier, comme elle se multiplia dans les autres nations, pour ménager aux riches plus de honteux plaisirs.
(3) On peut voir d'ailleurs toutes les recommandations de bienfaisance et de générosité qui se trouvent dans la loi en faveur de l'étranger (Ex 22,21-22 22,24 ; Lv 19 Lv 23,22 Dt 10,17 Dt 10,19 16,11 Dt 16,14 24,17 Dt 24,19 26,11 Dt 26,13).
(4) La loi permettait de mettre à mort ceux quo l'on trouvait les armes à la main, mais elle n'en faisait pas un devoir; on pouvait faire des prisonniers. Les peuples anciens étaient sous ce rapport bien plus sévères que les Juifs. Quand une ville faisait une résistance opiniâtre, ils passaient au fil de 1 épée tous les jeunes gens qui avaient l'ùge de puberté.
On les occupait à réparer les chemins, à transporter les bagages, etc. (l'abbé Guénée).
(1) Ceux qui se retiraient ainsi avant le combat n'étaient pas toujours renvoyés dans leurs foyers ; ils étaient employés au service des combattants.


ARTICLE IV. — la loi ancienne a-t-elle établi des préceptes convenables a l'égard de la vie domestique?


Objections: 1. Il semble que la loi ancienne n'ait pas établi des préceptes convenables à l'égard des domestiques. Car ce qu'est l'esclave appartient à son maître, comme le dit Aristote (Pol. lib. i, cap. 3 et 4). Or, ce qui appartient à quelqu'un doit être toujours à lui. C'est donc à tort que la loi a statué (Ex 21) que les esclaves seraient rendus à la liberté la septième année.

2. Comme un animal, tel qu'un âne ou un boeuf, est la possession du maître ; de même  aussi l'esclave. Or, il est ordonné (Dt 22) de rendre à leur maître les animaux qu'on aura trouvés errants. Il n'était donc pas convenable de dire (Dt 23,15) : Vous ne livrerez pas à son maître l'esclave qui se sera réfugié près de vous.

3. La loi divine doit plus exciter à la miséricorde que la loi humaine. Or, d'après les lois humaines on punit sévèrement ceux qui frappent trop durement leurs serviteurs ou leurs servantes. Comme le plus mauvais de tous les châtiments est celui qui produit la mort, il semble que l'on ait eu tort de statuer (Ex 21,21) que si quelqu'un vient à frapper de verges son serviteur ou sa servante et qu'elle survive un jour, il ne sera point puni, parce qu'il l'avait acquise avec son argent.

4. L'autorité du maître sur l'esclave est autre que celle du père sur le fils, comme le dit Aristote (Pol. lib. i, cap. 4, et lib. iii , cap. 4). Or, il appartient au pouvoir du maître sur l'esclave de vendre son serviteur ou sa servante. C'est donc à tort que la loi a permis au père de vendre sa fille pour en faire une servante.

5. Le père a pouvoir sur son fils. Or, c'est à celui qui a possession sur le pécheur qu'il appartient de le punir de ses fautes. Il n'est donc pas convenable que le père mène son fils aux vieillards pour le punir, comme la loi l'ordonne (Dt 21).

6. Le Seigneur a défendu de s'allier avec des étrangères (Dt 7) et il a fait séparer ceux qui avaient contracté ces alliances, comme on le voit (Esd 10). C'est donc à tort qu'on leur a permis d'épouser des captives étrangères (Dt 21).

7. Le Seigneur a ordonné d'éviter dans le mariage certains degrés de consanguinité et d'affinité, comme on le voit (Lv 18). Il ne devait donc pas commander (Dt 26) au frère de celui qui mourait sans enfants d'épouser sa veuve.

8. Comme il y a entre l'homme et la femme la plus grande familiarité, il doit aussi y avoir la plus grande confiance. Or, il ne peut en être de la sorte si le mariage peut être dissous. On n'aurait donc pas dû permettre (Dt 24) au mari de renvoyer son épouse, en lui donnant un libelle de répudiation et l'empêcher de la reprendre à l'avenir.

9. Comme la femme peut manquer de fidélité au mari, de même aussi le serviteur au maître, et le fils au père. Or, la loi n'a pas établi de sacrifice pour découvrir l'injure du serviteur contre le maître, ou du fils contre le père. Il paraît donc inutile qu'on ait établi le sacrifice de jalousie pour découvrir l'adultère de l'épouse (Nb 5). Par conséquent les préceptes judiciels à l'égard de la vie domestique ne paraissent pas avoir été bien établis.

En sens contraire Mais c'esl le contraire. Il est dit (Ps 18,40): Les jugements du Seigneur sont vrais et ils portent leur justification en eux-mêmes.

CONCLUSION. — A l'égard des membres de la famille qui sont le serviteur et le maître, ou l'époux et l'épouse, ou enfin le père et le fils, la loi ancienne a établi les préceptes les plus sages et les plus convenables pour la conservation de la vie humaine.

Réponse Il faut répondre que les relations des membres de la famille entre eux, comme le dit Aristote (Pol. lib. i, cap. 4), reposent sur des actes quotidiens qui ont pour but les choses nécessaires à la vie. Or, la vie de l'homme se conserve de deux manières : 1° par rapport à l'individu ; c'est ainsi que vit le même homme numériquement. Pour la conservation de cette vie l'homme trouve des secours dans les biens extérieurs au moyen desquels il se procure la nourriture, le vêtement, et les autres choses qui lui sont nécessaires. Pour l'administration de ces biens il a besoin de serviteurs. 2° La vie se conserve dans l'espèce au moyen de la génération. A cette fin l'homme a besoin de la femme pour avoir une postérité. Par conséquent dans la vie de la famille, il y a trois sortes de rapports : ceux du maître au serviteur, ceux de l'époux à l'épouse, ceux du père au fils. Relativement à ces trois choses la loi ancienne renfermait des préceptes convenables. — En effet, à l'égard des serviteurs elle établit qu'on les traitera avec ménagement pour le travail , qu'on ne leur imposera point une tâche excessive. Ainsi le Seigneur a ordonné (Dt 5,44) que dans le jour du sabbat le serviteur et la servante se reposeraient comme le maître. Il en est de même des châtiments qu'on devait leur infliger. Car ceux qui les mutilaient étaient obligés de les mettre en liberté (Ex 21), et on trouve les mêmes dispositions en faveur de la servante que le maître épousait. La loi voulait aussi que les serviteurs qui étaient sortis du peuple fussent mis en liberté la septième année, qu'on leur donnât tout ce qu'ils avaient apporté, même leurs vêtements, comme on le voit (Ex 21). Elle ajoute encore qu'on les munira de provisions de voyage. — Touchant les femmes, la loi veut que quand il s'agit de se marier on s'allie aux femmes de sa tribu (Nb 36), pour que les lots des tribus ne se confondent pas. Elle prescrit au frère de celui qui est mort sans enfants d'épouser sa veuve (Dt 25), afin que celui qui n'a pas pu avoir de successeurs par la chair, en ait du moins par l'adoption et que sa mémoire ne soit pas complètement effacée. Elle a défendu d'épouser des étrangères, pour qu'on ne s'exposât pas au péril de la séduction ; des parentes, à cause du respect qu'on leur doit. Elle a déterminé comment on devait traiter les femmes mariées. Pour qu'on ne put pas les attaquer légèrement, elle a ordonné de punir celui qui élèverait une fausse accusation contre son épouse (Dt 22). Elle a eu soin que le fils n'eût point à souffrir de la haine du mari contre sa femme (Dt 16). Pour que la femme n'ait pas non plus trop à souffrir de la haine du mari, elle a mieux aimé lui permettre de la renvoyer en lui donnant un libelle, comme on le voit (Dt 24). Et pour exciter dès le commencement les époux à s'aimer réciproquement, elle a ordonné, quand quelqu'un viendrait de se marier, de ne lui imposer aucune charge publique, pour qu'il pût librement se réjouir avec son épouse. — A l'égard des enfants, elle a fait aux pères une obligation de les élever en les instruisant dans la foi. C'est ce qu'indiquent ces paroles (Ex 12,20) : Quand vos enfants vous diront: Qu'est-ce que ce culte religieux que vous observez ? vous leur direz : C'est la victime du passage du Seigneur. Ils devaient aussi les former sous le rapport des moeurs. Ainsi les pères devaient dire aux anciens de la ville (Dt 21,20) : Voici notre fils ; il méprise et refuse d'écouter nos remontrances, et il passe sa vie dans les débauches, dans la dissolution et dans la bonne chère.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les enfants d'Israël ayant été délivrés de la servitude par le Seigneur et ayant été attachés par là même  à son service, il n'a pas voulu qu'ils fussent esclaves à jamais. De là il est dit (Lv 25,39) : Si votre frère pressé par l'indigence se vend à vous, vous ne l'opprimerez pas à la façon des autres esclaves, vous le traiterez comme un mercenaire et un colon car ils sont mes esclaves et je les ai tirés de la terre d'Egypte, pour qu'on ne les vende pas comme les autres esclaves. C'est pourquoi comme ils n'étaient pas esclaves absolument, mais qu'ils ne l'étaient que sous un rapport, on les mettait en liberté après un temps fixé (l).

2. Il faut répondre au second, que ce précepte s'entend du serviteur que son maître cherche pour le tuer ou pour s'en servir, comme d'un instrument de péché (2).

3. Il faut répondre au troisième, que pour les blessures faites aux serviteurs, la loi paraît  avoir examiné si elles sont certaines ou incertaines. Car quand la lésion était certaine, la loi infligeait un châtiment. Ainsi quand l'esclave était mutilé, il était perdu pour le maître, qui devait le rendre à la liberté-, s'il était mort, le maître encourait la peine de l'homicide, quand le serviteur succombait entre ses mains pendant qu'il le frappait. Si la lésion n'était pas réelle, mais qu'elle ne fût qu'apparente, la loi n'infligeait aucune peine à. celui qui avait châtié son propre esclave. Ainsi il n'était pas puni, quand le serviteur qui avait été frappé ne mourait pas immédiatement, mais seulement quelques jours après ; parce que alors on était incertain s'il était mort des coups qu'il avait reçus. D'ailleurs si on eût frappé un homme libre, de manière qu'il n'en fût pas mort immédiatement, mais qu'il eût marché à l'aide d'un bâton, on n'aurait pas considéré comme coupable d'homicide celui qui l'aurait frappé, même  dans le cas où il en serait mort par la suite; mais il était tenu à payer le médecin. Ceci ne pouvait avoir lieu à l'égard d'un esclave, parce que tout ce que l'esclave avait, sa personne même, était la possession du maître. C'est pourquoi on donne le motif pour lequel le maître n'était pas soumis à une peine pécuniaire, en disant qu'il a acheté son esclave à prix d'argent (1).

4. Il faut répondre au quatrième, que, comme nous l'avons dit (in sol. 1 arg.), aucun Juif ne pouvait posséder un autre Juif à titre d'esclave absolument; il n'était esclave que sous un rapport, comme le mercenaire qui est au service d'un maître pour un temps. C'est dans ce sens que la loi permettait à celui qui était dans l'indigence de vendre son fils (2), et c'est ce que prouvent les paroles mêmes de la loi, car elle dit : Si quelqu'un vend sa fille pour être au service, elle ne sortira pas comme les servantes ont coutume de sortir. De cette manière le père pouvait vendre non-seulement son fils, mais il pouvait encore se vendre lui-même, plutôt à titre de mercenaire qu'à titre d'esclave, suivant ces autres paroles (Lv 25,39) : Si votre frère pressé par l'indigence se vend à vous, vous ne l'opprimerez pas comme un esclave, mais vous le traiterez comme un mercenaire et un colon.

5. Il faut répondre au cinquième, que, comme le dit Aristote (Pol. lib. x, cap. ult.), l'autorité paternelle n'a que le pouvoir d'avertir, mais elle n'a pas celui de contraindre, et c'est par ce dernier que l'on peut comprimer ceux qui sont rebelles et contumaces. C'est pourquoi dans ce cas, la loi faisait punir l'enfant rebelle par les chefs de la cité (3).

6. Il faut répondre au sixième, que le Seigneur a défendu aux Juifs d'épouser des femmes étrangères dans la crainte qu'elles ne les séduisissent et qu'elles ne les entraînassent dans l'idolâtrie. Et il a fait cette défense spécialement à l'égard des nations qui habitaient dans leur voisinage (4), et dont elles auraient plus probablement conservé les rits. Mais si une femme voulait renoncer aux idoles et s'attacher au culte de la loi, on pouvait l'épouser, comme on le voit à l'égard de Ruth que Booz épousa. Aussi avait-elle dit à sa belle-mère (Rt 1,16) : Votre peuple sera mon peuple, votre Dieu sera mon Dieu. C'est pourquoi on ne permettait d'épouser une captive qu'après qu'elle s'était rasée la tête, coupé les ongles, qu'elle avait quitté les vêtements avec lesquels on l'avait prise et pleuré son père et sa mère; ce qui indiquait qu'elle avait rejeté pour jamais l'idolâtrie.

7. Il faut répondre au septième, que, comme le dit saint Chrysostome (5?/;í. Mat. hom. xlix), la mort étant un mal irrémédiable pour les Juifs qui rapportaient tout à la vie présente, il fut résolu que le frère du défunt lui donnerait un fils, ce qui était un adoucissement au coup qui l'avait frappé. Mais il n'y avait que le frère ou qu'un parent qui dût épouser la veuve, parce qu'autrement on n'aurait pas pu considérer l'enfant qui serait né de cette union comme le fils de celui qui était mort, et parce que d'ailleurs il n'y avait pas nécessité pour un étranger de soutenir la maison du mort, tandis que les liens du sang en faisaient tout naturellement un devoir à son frère. D'où il est évident que le frère, en contractant ce mariage, jouait le rôle du frère qu'il avait perdu.

8. Il faut répondre au huitième, que la loi a permis la répudiation de l'épouse, non parce que c'était une chose absolument juste, mais à cause de la dureté des Juifs (1), comme le dit le Seigneur (Mt 19). D'ailleurs nous aurons lieu de revenir sur cette question en traitant du mariage (vid. suppl. quaest. lxvii).

9. Il faut répondre au neuvième, que les femmes manquent à la fidélité du mariage par l'adultère, facilement à cause du plaisir qu'elles y trouvent, en secret parce que l’oeil de l'adultère recherche les ténèbres, selon l'expression de l'Ecriture (Jb 24,45). On n'en peut pas dire autant du fils à l'égard du père, ou du serviteur à l'égard du maître; parce que cette espèce d'infidélité ne provient pas de cet amour effréné du plaisir, mais qu'elle est plutôt l'effet de la malice; et qu'au reste on ne peut pas non plus la dissimuler, comme l'infidélité d'une femme adultère.

(1) Moïse trouva l'esclavage universellement établi, il n'entreprit pas de l'abolir, ce qui n'au- rait sans doute pas été possible, mais ses lois ont pour objet de le restreindre et de l'adoucir.
(2) Montesquieu fait remarquer que les Romains lâchèrent la bride à l'incontinence des maîtres. Il aurait pu appliquer cette observation à tous les peuples de l'antiquité ; car il n'y a d'exception que pour la nation juive.
(I) Toutes ces restrictions que nous jugerions aujourd'hui insuffisantes, avaient du moins pour objet de montrer que le maître n'avait pas tout droit sur son esclave, comme on le supposait dans l'antiquité. En lisant ce qu'étaient les esclaves à Sparte, à Athènes et à Rome, on admire la douceur et la modération de la loi de Moïse.
(21 Ce droit qui a si fortement scandalisé les philosophes du dernier siècle était universel. Aristote prétend qu'un père ne peut jamais faire d'injustice à ses esclaves, ni à ses enfants, de quelque manière qu'il en use. Les lois romaines n'ôtaient aux pères le droit de vendre leurs enfants que très-tard. Mais cette disposition se trouve mitigée dans la loi de Moïse, par là même que l'esclavage l'est lui-même.
(3) Cette précaution était extrêmement sage, surtout" sous le régime de la polygamie où l'épouse favorite pouvait irriter le père contre le fils d'une autre épouse.
(4) Il s'agit dans cette défense spécialement des Chananéens et des nations qui avaient occupé avant les Juifs la terre promise, et qui étaient dévoués à l'anathème.
(1) C'est une loi de tolérance. D'ailleurs Moïse défend à celui qui a répudié sa femme de la reprendre après qu'elle s'est remariée.



QUESTION CVI.

DE LA LOI ÉVANGÉLIQUE, QU'ON APPELLE LA LOI NOUVELLE, CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.


Après avoir parlé de la loi ancienne, nous avons à nous occuper de la loi évangélique qu'on appelle la loi nouvelle. Nous parlerons : 1° de cette loi considérée en elle-même ; 2° nous la comparerons à la loi ancienne; 3° nous examinerons les choses qu'elle renferme. — Sur le premier point il y a quatre choses à voir : 1° Quelle est cette loi, c'est-à- dire a-t-elle été écrite ou est-elle infuse dans les coeurs ? — 2° Sa vertu: justifie-t-elle ? — 3° Son principe : a-t-elle dû exister dès le commencement du monde? — 4° Son terme : doit-elle durer jusqu'à la fin, ou une autre loi doit-elle lui succéder ?


ARTICLE I. — la loi nouvelle est-elle une loi écrite (2)?


4. Il semble que la loi nouvelle soit une loi écrite. Car la loi nouvelle est l'Evangile et l'Evangile est écrit. Toutes ces choses ont été écrites, dit saint Jean (Jn 20,34), pour que vous croyiez. Donc la loi nouvelle est une loi écrite.

2. Laloi qui est gravée en nous, c'est la loi de nature, d'après ces paroles de l'Apôtre (Rm 2,14) : Ce qui appartient naturellement à la loi les gentils le font, et ils prouvent qu'ils portent les prescriptions de la loi écrites dans leur coeur. Si donc la loi de l'Evangile était une loi infuse, elle ne différerait pas de la loi de nature.

3. La loi de l'Evangile est propre à ceux qui vivent sous la nouvelle alliance; au lieu que la loi qui est gravée dans le coeur est commune à ceux qui vivent sous la nouvelle alliance et à ceux qui ont vécu sous l'ancienne. Car il est dit (Sg 7,27) : Que la sagesse divine passe d'âge en âge dans les âmes saintes et qu'elle forme les amis de Dieu et les prophètes. Donc la loi nouvelle n'est pas une loi qui soit infuse en nous.

En sens contraire Mais c'est le contraire. La loi nouvelle est la loi du Nouveau Testament. Or, cette loi de la nouvelle alliance a été gravée dans nos coeurs ; car l'Apôtre (He 8,8), après avoir cité ces paroles du prophète Jérémie (Jr 31) : Voici venir, dit le Seigneur, les jours où je ferai une nouvelle alliance avec la maison d'Israël et la maison de Juda, les explique en disant que cette alliance que le Seigneur se proposait de faire avec la maison d'Israël, consiste à imprimer ses lois dans l'esprit de ses fidèles et à les écrire aussi dans leur coeur. Donc la loi nouvelle est une loi infuse.

CONCLUSION. — La loi nouvelle est principalement la grâce même de l'Esprit-Saint écrite dans le coeur des fidèles; secondairement elle est une loi écrite, dans le sens qu'on trouve en elle, ce qui dispose à la grâce ou ce qui se rapporte à son usage.

Réponse Il faut répondre que chaque chose paraît être ce qu'il y a en elle de prédominant, comme le dit Aristote (Eth. lib. ix, cap. A). Or, ce qu'il y a de prédominant dans la loi du Nouveau Testament, et ce qui embrasse toute sa vertu, c'est la grâce de l'Esprit-Saint qui nous est donnée par la foi du Christ. C'est pourquoi la loi nouvelle est principalement la grâce de l'Esprit-Saint, qui est donnée aux fidèles serviteurs du Christ. C'est ce qu'on voit évidemment dans saint Paul qui s'écrie (Rm 3,27) : Où est donc votre glorification? Elle est exclue. Par quelle loi ? Par celle des oeuvres ? non, mais par la loi de la foi : car il donne à la grâce même de la foi le nom de loi. Il dit encore plus expressément (Rm 8,2) : La loi qui est l'esprit de vie en Jésus-Christ m'a affranchi de la loi du péché et de la mort. D'où saint Augustin conclut (Lib. de spirit, et litt. cap. 17 et 26) que, comme la loi des oeuvres a été écrite sur des tables de pierre, de même  la loi de la foi a été écrite dans les coeurs des fidèles. Et ailleurs ce même docteur dit (ib. cap. 21) : Quelles sont les lois divines écrites par Dieu lui-même dans nos coeurs, sinon la présence même de l'Esprit-Saint? Cependant la loi nouvelle renferme certaines choses, qui sont comme une préparation à la grâce de l'Esprit-Saint et qui se rapportent à l'usage de cette grâce. Ces choses sont en elle des choses secondaires. Il a fallu que les chrétiens fussent instruits par la parole aussi bien que par l'écriture, à l'égard de ce qu'ils devaient croire, comme à l'égard de ce qu'ils devaient pratiquer. Par conséquent on doit dire que la loi nouvelle est principalement une loi infuse en nous, mais qu'elle est secondairement une loi écrite (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'Evangile écrit ne renferme que ce qui se rapporte à la grâce de l'Esprit-Saint, soit pour préparer à la recevoir, soit pour en régler l'usage. Comme préparation relativement à  l'intellect, pour exciter la foi par laquelle nous recevons la grâce de l'Esprit-Saint, l'Evangile renferme ce qui a rapport à la manifestation de la divinité ou de l'humanité du Christ : relativement à la volonté, il renferme ce qui regarde le mépris du monde qui rend l'homme apte à recevoir la grâce de l'Esprit-Saint. Car le monde, c'est-à-dire les amateurs du monde, ne peuvent pas recevoir l'Esprit-Saint, comme on le voit (Jn 14). — Quant à l'usage de la grâce spirituelle, il consiste dans des actes de vertus auxquels le Nouveau Testament exhorte les hommes dans une multitude d'endroits.

2. Il faut répondre au second, qu'une chose peut être gravée en nous de deux manières : 1° de façon qu'elle appartienne àla nature humaine; c'est ainsi que la loi naturelle a été gravée dans nos coeurs. 2° Elle peut être aussi gravée en nous de telle sorte qu'elle ait été surajoutée à la nature par un don de la grâce. C'est ainsi que nous avons reçu la loi nouvelle, qui ne nous montre pas seulement ce qu'il faut faire, mais qui nous aide à l'accomplir (2).

3. Il faut répondre au troisième, que personne n'a jamais eu la grâce de l'Esprit-Saint que par la foi explicite ou implicite du Christ. Or, c'est par cette foi que l'homme appartient à la nouvelle alliance. Par conséquent tous ceux qui ont reçu en eux la loi de grâce appartenaient sous ce rapport au Nouveau Testament.

(2) Le caractère de la loi nouvelle que saint Thomas développe dans cet article, fait ressortir pleinement la différence qu'il y a entre elle et la loi ancienne.
(I ) Il a été utile et même nécessaire qu'elle fût écrite pour fixer la tradition. Mais le Christ voulant nous montrer que l'Ecriture n'était que secondaire, n'a rien fait écrire pendant qu'il était sur la terre, et les premières pages du Nouveau Testament n'ont paru que huit ans après sa mort, lorsqu'il y avait déjà beaucoup de chrétiens. Cette observation seule détruit tout le système protes tant sur l'Ecriture.
(2) Ce dernier point a été ainsi défini par le concile de Milève (can. 5) : Quicumque dixerit gratiam Dei, in qudiustificamur per Jesum-Christum Dominum nostrum, ad solam remissionem peccatorum valere, quae j am commissa sunt, non etiam ad adiutorium ut non committantur : anathema tit.



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.105 a.3