I-II (trad. Drioux 1852) Qu.106 a.2

ARTICLE II. — la loi nouvelle justifie-t-elle (1)?


Objections: 1. Il semble que la loi nouvelle ne justifie pas. Car personne n'est justifié qu'autant qu'il obéit à la loi de Dieu, d'après ces paroles de l'Apôtre (He 5,9) : Le Christ est devenu fauteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent. Or, l'Evangile n'amène pas toujours les hommes à lui obéir, car il est dit (Rm 10,16) que tous n'obéissent pas à l'Evangile. Donc la loi nouvelle ne justifie pas.

2. L'Apôtre prouve aux Romains que la loi ancienne ne justifiait pas, parce qu'à son avènement la prévarication s'est augmentée. Car il est dit (Rm 4,15) que la loi produit la colère, parce que là où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication. Mais à plus forte raison la loi nouvelle a-t-elle étendu les prévarications; car celui qui pèche encore depuis la loi nouvelle mérite de plus grands châtiments, d'après ces mots de saint Paul (He 10,28) : Celui qui a violé la loi de Moïse est mis à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien croyez-vous que celui-là sera jugé digne d'un plus grand supplice, qui aura foulé aux pieds le fils de Dieu... Donc la loi nouvelle ne justifie pas plus que la loi ancienne.

3. Justifier est l'effet propre de Dieu, suivant cette parole de saint Paul (Rm 8,33): C'est Dieu qui justifie. Or, la loi ancienne aussi bien que la loi nouvelle est venue de Dieu. Donc l'une ne justifie pas plus que l'autre.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Rm 1,16) : Je ne rougis pas de l'Evangile, parce qu'il est la vertu de Dieu pour sauver ceux qui croient. Or, il n'y a de salut que pour ceux qui sont justifiés. Donc la loi de l'Evangile justifie.

CONCLUSION. — La loi évangélique étant la grâce même de l'Esprit-Saint justifie l'homme nécessairement ; mais ce qui est écrit n'est pas capable de le justifier.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. incorp. et adi), il y a deux choses qui appartiennent à la loi de l'Evangile. L'une qui est principale: c'est la grâce de l'Esprit-Saint qui nous a été communiquée intérieurement, et sous ce rapport la loi nouvelle justifie. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de spir. et litt. cap. 17): Dans l'Ancien Testament la loi a été promulguée extérieurement pour effrayer les méchants, tandis que dans le Nouveau , elle nous a été donnée intérieurement pour notre justification. L'autre, qui appartient secondairement à la loi de l'Evangile, comprend les enseignements de la foi et les préceptes qui règlent la volonté humaine et ses actes ; sous ce rapport la loi nouvelle ne justifie pas (2). C'est pourquoi l'Apôtre dit (2Co 3,6) : La lettre tue, mais l'esprit vivifie, et saint Augustin ajoute (Lib. de spir. et litt. cap. 14 et 17), que parla lettre on entend toute l'Ecriture et même tous les préceptes moraux qui sont renfermés dans l'Evangile. Par conséquent la lettre même de l'Evangile tuerait, si l'on n'avait intérieurement la grâce de la foi qui guérit.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette objection repose sur la loi nouvelle, non pas relativement à ce qu'il y a de principal, mais relativement à ce qu'il y a de secondaire en elle, comme les enseignements et les préceptes qui ont été transmis extérieurement à l'homme par l'écriture ou la parole.

2. Il faut répondre au second, que la grâce de la nouvelle alliance, quoiqu'elle soit pour l'homme un secours qui le détourne du péché, ne le confirme cependant pas dans le bien de manière à le rendre impeccable ; car cette prérogative appartient à l'état de gloire. C'est pourquoi si quelqu'un vient à pécher, après avoir reçu les grâces de la loi nouvelle, il est plus répréhensible, parce qu'il a reçu de plus grands bienfaits et qu'il n'a pas fait usage des secours qui lui ont été accordés. On ne dit cependant pas pour cela que laloi nouvelle produit la colère, parce qu'autant qu'il est en elle, elle donne un secours suffisant pour empêcher de pécher.

3. Il faut répondre au troisième, que c'est le même Dieu qui a donné la loi ancienne et la loi nouvelle, mais il ne les a pas données de la même manière. Car il a donné la loi ancienne écrite sur des tables de pierre, et la loi nouvelle écrite sur les tables vivantes du coeur humain, comme le dit l'Apôtre (2Co 3). Par conséquent, selon l'expression de saint Augustin (Lib. de spir. et litt. cap. 18), l'Apôtre appelle cette lettre écrite hors de l'homme, un instrument de mort et de damnation, tandis qu'il appelle la loi nouvelle une oeuvre de vie et de justice ; parce que c'est par le don de l'Esprit-Saint que nous opérons la justice et que nous sommes délivrés de la peine attachée à la prévarication.

(1) Il y a dans l'Ecriture des textes qui paraissent contradictoires à cet égard. Dans certains endroits il est dit que la loi justifie : Vos mundi estis propter sermonem quem locutus sum vobis. Dans d'autres on dit au contraire qu'elle ne justifie pas. Abierunt retro (Jn 6 Mt 2). Saint Thomas détruit cette contradiction apparente, en donnant le sens de ces divers passages.
(2) Suarez prétend que, même dans ce dernier sens, il est probable qu'on peut dire que la loi justifie, parce qu'elle comprend l'institution des sacrements qui produisent la grâce sanctifiante ex opere operato. En tout cas ce sentiment n'est pas contraire à celui de saint Thomas, qui dit seulement que la loi nouvelle ne justifie pas par ses préceptes ou ses enseignements.


: ARTICLE III. — la loi nouvelle aurait-elle du être donnée dès le commencement du monde (1)?

Objections: 1. Il semble que la loi nouvelle ait dû être donnée dès le commencement du monde. Car il n'y a pas en Dieu acception de personnes comme le dit saint Paul (Rm 2,11). Or, tous les hommes ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu, suivant l'expression du même Apôtre (Rm 3,23). Donc dès le commencement du monde la loi de l'Evangile aurait dû être répandue pour venir en aide à tous les humains.

2. Comme les hommes sont différents selon la diversité des lieux, de même aussi selon la diversité des temps. Or, Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (1Tm 2,4), a ordonné de prêcher l'Evangile dans toutes les contrées, comme on le voit (Mt 28 Mc 15). Donc la loi de l'Evangile a dû embrasser tous les temps, de telle sorte qu'on a dû la promulguer dès le commencement du monde.

3. Le salut de l'âme qui est éternel, est plus nécessaire à l'homme que le salut du corps qui est temporel. Or, Dieu dès le commencement a procuré à l'homme ce qui était nécessaire au salut de son corps, en mettant en son pouvoir tout ce qui a été créé pour lui, comme on le voit (Gn 1). Donc la loi nouvelle, qui est absolument nécessaire au salut spirituel, a dû être donnée à l'homme dès le commencement du monde.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (1Co 15,46) : Ce n'est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, mais c'est le corps animal. Or la loi nouvelle est éminemment spirituelle. Donc, on n'a pas dû la donner dès le commencement.

CONCLUSION. — La loi nouvelle étant la loi de grâce et étant principalement la grâce elle-même de l'Esprit-Saint, on n'a pas dû la donner abondamment, avant que l'empêchement du péché ne fût détruit, par suite de la consommation de la rédemption du monde par le Christ.

Réponse Il faut répondre qu'on peut assigner trois raisons pour lesquelles la loi nouvelle n'a pas dû être donnée dès le commencement. — La première c'est que la loi nouvelle, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), est principalement la grâce de l'Esprit-Saint, qui n'a pas dû être répandue avec abondance, avant que l'obstacle du péché n'eût été détruit, une fois que la rédemption du genre humain a été consommée par le Christ (1). Ainsi il est dit (Jn 7,39) : L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. Saint Paul indique évidemment cette raison (Rm 8,3), quand après avoir parlé de la loi de l'esprit de vie il ajoute : que Dieu ayant envoyé son propre Fils, revêtu d'une chair semblable à la chair du péché et pour le péché, il a condanné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi soit accomplie en nous. — La seconde raison peut se déduire de la perfection de la loi nouvelle. Car rien n'arrive à sa perfection immédiatement dès le commencement, mais il faut à toutes choses un ordre temporel de succession. Ainsi on est enfant d'abord, puis on devient homme. L'Apôtre donne cette raison aux Galates (Ga 3,24) : La loi a été comme notre précepteur pour nous conduire à Jésus-Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi; mais quand la foi est venue, nous n'avons plus été sous un précepteur. — La troisième raison se tire de ce que la loi nouvelle est la loi de grâce, fl a fallu d'abord que l'homme fût abandonné à lui-même, tel qu'il l'a été sous la loi ancienne, afin qu'en tombant dans le péché, il sentît sa faiblesse et reconnût qu'il avait besoin de la grâce. C'est la raison que l'Apôtre insinue quand il dit (Rm 5,20) : La loi étant survenue a donné lieu à l'abondance du péché; mais où il y a eu abondance de péché, il y a eu surabondance de grâce (2).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le genre humain a mérité, à cause du péché du premier homme, d'être privé du secours de la grâce ; c'est pourquoi, si elle n'est pas donnée à quelques-uns, c'est par justice, et si elle est donnée à d'autres, c'est par faveur, comme le dit saint Augustin (jo. cxxvn). Il n'y a donc pas eu acception de personnes à l'égard de Dieu, parce qu'il n'a pas donné à tous, dès le commencement du monde, la loi de grâce qui ne devait être promulguée que dans un temps déterminé, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que la diversité des lieux ne change pas les divers états du genre humain qui varient selon les temps; c'est pourquoi la loi nouvelle est donnée pour tous les lieux, mais non pour tous les temps; quoiqu'à toutes les époques il y ait eu des individus qui ont appartenu à la nouvelle alliance, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 3).

3. Il faut répondre au troisième, que ce qui regarde le salut du corps est utile à l'homme relativement à la nature que le péché n'a pas détruite ; mais ce qui regarde le salut spirituel se rapporte à la grâce que l'on perd au moyen du péché. C'est pourquoi il n'y a pas de parité.

(1) Pour l'exposition du plan suivi parla Providence dans la conversion du genre humain, on ne peut trop méditer l'admirable Discours de Bossuet sur l'histoire universelle.
(1) Alors la question revient à celle-ci : pourquoi le Verbo ne s'est-il pas incarné dès le commencement? Cette question sera traitée dans la 5e partie, lorsque saint Thomas expose le grand mystère de l'Incarnation.
(2) On peut se demander à quelle époque la loi nouvelle a commencé à obliger. On peut répondre qu'elle a commencé à obliger du mêment où la loi ancienne a cessé de le faire, ce qui nous renvoie aux controverses que nous avons indiquées (pag. 528).


ARTICLE IV. — la loi nouvelle doit-elle durer jusqu'a la fin du monde (3) ?


Objections: 1. Il semble que la loi nouvelle ne doive pas durer jusqu'à la fin du monde. Car comme le dit saint Paul (1Co 13,10) : Quand ce qui est parfait sera arrivé, ce qui est imparfait sera détruit. Or, la loi nouvelle est imparfaite, puisque le même apôtre dit encore (ibid.) : Nous ne connaissons qu'imparfaitement et nous ne prophétisons qu'imparfaitement. Donc la loi nouvelle doit être détruite, lorsqu'un état plus parfait viendra la remplacer.

2. Le Seigneur a promis à ses disciples, à l'arrivée de l'esprit consolateur, la connaissance de toute vérité (Joan. xvi). Or, sous la loi nouvelle, l'Eglise ne connaît pas encore toute la vérité. Nous devons donc attendre un autre état dans lequel l'Esprit-Saint nous manifestera la vérité tout entière.

3. Comme le Père est autre que le Fils, et le Fils autre que le Père, de même l'Esprit-Saint est autre que le Père et le Fils. Or, il y eut un état qui convenait à la personne du Père, ce fut celui de la loi ancienne dans lequel les hommes donnaient toute leur attention à la génération. Il y a maintenant un état qui convient à la personne du Fils, c'est celui de là loi nouvelle où ceux qui ont le pouvoir spirituel s'appliquent à la sagesse qui est appropriée au Fils. Il y aura donc un troisième état, celui de l'Esprit-Saint où les hommes purement spirituels domineront.

4. Le Seigneur dit (Mt 24,14) : Cet Evangile du royaume sera prêché dans l'univers entier, et alors la fin arrivera. Or, depuis longtemps l'Evangile du Christ a été prêché dans le monde entier, et cependant la fin n'est pas encore venue. Donc l'Evangile du Christ n'est pas l'Evangile du royaume, et il doit y avoir l'Evangile de l'Esprit-Saint, qui sera comme une autre loi.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Mt 24,34) : Je vous le dis, cette génération ne passera pas que toutes ces choses ne soient accomplies; ce que saint Chrysostome entend de la génération des fidèles du Christ (Hom. Lxxvin in ). Donc cet état des fidèles persévérera jusqu'à la consommation des siècles (1).

CONCLUSION. — La loi nouvelle étant parfaite de toutes les manières, aucune autre loi ne lui succédera, mais elle durera jusqu'à la consommation du siècle.

Réponse Il faut répondre que l'état du monde peut être changé de deux manières. 1° En changeant la loi ; de cette manière aucun autre état ne succédera à celui de la loi nouvelle. Car la loi nouvelle a succédé à la loi ancienne, comme un état plus parfait succède à un état qui l'est moins. Or, dans la vie présente il ne peut pas y avoir d'état plus parfait que celui de la loi nouvelle. Car rien ne peut être plus rapproché de la fin dernière que ce qui y mène immédiatement, et c'est ce que fait la loi nouvelle. C'est pourquoi l'Apôtre dit (He 10,19) : Que nous avons, par le sang de Jésus, la liberté d'entrer dans le sanctuaire, en suivant cette voie nouvelle qu'il nous a le premier tracée. Il ne peut donc pas y avoir dans la vie présente d'état plus parfait que celui de la loi nouvelle; parce qu'une chose est d'autant plus parfaite qu'elle se rapproche davantage de la fin dernière. —2° L'état des hommes peut changer dans le sens qu'ils observent d'une manière plus ou moins parfaite la même loi. De la sorte la loi ancienne a souvent changé d'état, puisque tantôt les Juifs observaient bien la loi et tantôt ils la transgressaient absolument. La loi nouvelle varie de la même  manière selon les lieux, les temps et les personnes, parce que les individus correspondent plus ou moins parfaitement à la grâce de l'Esprit-Saint. [Mais on ne doit cependant pas s'attendre qu'il y ait un temps où l'on possède la grâce de l'Esprit-Saint plus parfaite- (Manquent PP 564-567, début version Cerf)

Cependant, il n’y a pas à attendre un autre état à venir où la grâce de l’Esprit Saint serait possédée plus parfaitement qu’elle ne l’a été jusqu’ici, notamment par les Apôtres qui “ ont reçu les prémices de l’Esprit ” (Rm 8,23), c’est-à-dire, suivant une glosei, qui ont reçu l’Esprit “ avant les autres et plus abondamment ”.

Solutions :

Solutions: 1. Selon Denys, il y a trois états de l’humanité celui de la loi ancienne, celui de la loi nouvelle, et un troisième qui leur fait suite, non dans la vie présente mais dans la vie future, c’est-à-dire dans la patrie. Le premier de ces états est imparfait et figuratif par rapport à celui de l’Évangile ; de même, l’état présent est imparfait et figuratif par rapport à celui de la patrie, et il disparaît quand celui-ci survient : “ Maintenant nous regardons dans un miroir, en énigme ; mais alors ce sera face à face ” (1Co 13,12).

2. Selon S. Augustin, Montan et Priscille prétendaient que le don de l’Esprit Saint, promis par Notre Seigneur, ne s’était pas réalisé chez les Apôtres, mais en eux-mêmes. De leur côté, les manichéens soutenaient que cette promesse avait été réalisée en la personne de Mani, qu’ils tenaient pour l’Esprit Paraclet. C’est pourquoi les uns et les autres rejetaient les Actes des Apôtres qui montrent à l’évidence l’accomplissement de cette promesse au profit des Apôtres, promesse réitérée par le Seigneur (Ac 1,5) : “ Vous serez baptisés dans l’Esprit Saint sous peu de jours ”, et dont la réalisation est signalée au chapitre 2 du même livre. Mais ces niaiseries ne résistent pas à l’affirmation de S. Jean (7, 39) : “ L’Esprit Saint n’était pas encore donné, car jésus n’avait pas encore été glorifié. ” Cela fait comprendre qu’aussitôt après la glorification du Fils dans sa résurrection et son ascension, l’Esprit Saint fut donné. Du même coup est exclue l’illusion de tous ceux qui prétendraient qu’on doit attendre un autre âge, celui de l’Esprit Saint.

D’ailleurs le Saint-Esprit a enseigné aux Apôtres la vérité entière, en ce qui est nécessaire au salut, c’est-à-dire en matière de foi et de moeurs. Mais il ne leur a pas enseigné tout ce qui devait arriver dans l’avenir, car cela ne les regardait pas : “ Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les mêments que le Père a fixés dans sa puissance ” (Ac 1,7).

3. La loi ancienne n’était pas seulement la loi du Père, mais aussi la loi du Fils, qui y était d’avance figuré. “ Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi, dit le Seigneur, puisqu’il a écrit à mon sujet ” (Jn 5,46). Et de son côté la loi nouvelle n’est pas seulement la loi du Christ, mais aussi la loi de l’Esprit Saint. L’épître aux Romains (8,2) parle de la “ loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus ”. Alors n’attendons pas une autre loi qui serait la loi du Saint-Esprit.

4. Le Christ avait dit dès le début de la prédication de l’Évangile : “ Le Royaume des cieux est tout proche ” (Mt 4,17). On ne peut donc soutenir sans absurdité que l’évangile du Christ ne serait par l’évangile du Royaume. - Mais on peut envisager de deux façons la prédication de l’évangile du Christ. Si l’on songe à la diffusion de la connaissance du Christ, l’évangile a été prêché dans tout l’univers dès le temps des Apôtres, comme le démontre S. Jean Chrysostome. En ce sens, la fin du texte allégué : “ et alors viendra la fin ” se réfère à la destruction de Jérusalem, qui était littéralement en cause. Mais on peut aussi considérer la prédication de l’Évangile dans l’univers avec tout son effet, de telle sorte que l’Église soit établie en chaque pays : il faut alors admettre avec S. Augustin dans sa lettre à Hésychius que l’Évangile n’a pas encore été prêché dans tout l’univers ; mais dès que ce sera chose faite, alors viendra la fin du monde.

(3) Il y a eu dans ces derniers temps des philosophes catholiques qui n'ont pas craint de supposer qu'il pourrait y avoir une nouvelle révélation qui serait le développement de la révélation du Christ. M. de Maistre paraît avoir été de ce sentiment dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg (Voyez le dernier entretien). Mais cette opinion est en opposition avec tous les théologiens et toute la tradition.
(1) Suarez, examinant cette même question, dit que le sentiment de saint Thomas est certain, et il le développe en l'appuyant des raisonnements les plus victorieux (De leg. lih. x, cap. 7).



QUESTION 107 — LES RAPPORTS DE LA LOI NOUVELLE AVEC LA LOI ANCIENNE


La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne ?- 2. En réalise-t-elle l’accomplissement ? - 3. Y est-elle contenue ? - 4. Laquelle est la plus pesante : la loi nouvelle ou la loi ancienne ?


Article 1 — La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne ?


Objections: 1. L’une et l’autre loi est accordée à ceux qui ont foi en Dieu, car “ sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ” (He 11,6). Or, nous lisons dans la Glose (sur Mt 21,9) que la foi d’aujourd’hui est identique à celle d’autrefois. Il y a donc aussi identité de loi.

2. S. Augustin a résume “ en deux mots la différence entre la loi et l’Évangile : crainte et amour ”. Or il n’y a pas là de quoi distinguer loi nouvelle et loi ancienne, parce que celle-ci comportait également des préceptes de charité : “ Tu aimeras ton prochain ” (Lv 19,18) et : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ” (Dt 6,5) ; - On ne peut davantage retenir cette autre différence signalée par S. Augustin : “ L’ancienne alliance comportait des promesses temporelles, et la nouvelle contient des promesses spirituelles et éternelles. ” En réalité, même dans le Nouveau Testament, il y a des promesses temporelles, par exemple : “ Vous recevrez le centuple en ce monde, maisons, frères, etc. ” (Mc 10,30) ; et l’Ancien Testament faisait espérer des promesses spirituelles et éternelles, puisque l’épître aux Hébreux (11,16) dit des Pères de l’ancien temps : “ C’est à une patrie meilleure qu’ils aspirent, à la patrie céleste. ” Ainsi, la loi nouvelle ne paraît pas différente de la loi ancienne.

3. L’Apôtre a l’air de suggérer une différence entre ces deux lois lorsqu’il appelle l’ancienne la loi des oeuvres, et la nouvelle la loi de la foi (Rm 3,27). Mais la première aussi fut une loi de la foi : “ Leur foi à tous fut louée ”, dit l’épître aux Hébreux (11,39), évoquant les Pères de l’ancienne loi. Et à son tour la loi nouvelle est aussi une loi des oeuvres : “ Faites du bien à ceux qui vous haïssent ” (Mt 5,44) et : “ Faites cela en mémoire de moi ” (Lc 22,19). Ainsi la loi nouvelle n’est pas différente de l’ancienne.

En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Hébreux (7,12) : “ Un changement de sacerdoce entraîne nécessairement un changement de loi. ” Comme il démontre au même endroit qu’entre l’Ancien et le Nouveau Testament il y a eu changement de sacerdoce, il s’ensuit que la loi aussi a changé.

Réponse: Toute loi, avons-nous dit précédemment, ordonne la conduite humaine en vue d’une fin déterminée. Or, ce qui est ordonné à une fin peut, du point de vue de la fin, se diversifier de deux manières. Ou bien cela se réfère à des fins différentes : il s’agit alors d’une diversité spécifique, surtout s’il s’agit d’une fin prochaine. Ou bien certains actes se réfèrent de près, les autres de loin, à une fin donnée. Il saute aux yeux par exemple que des mouvements ordonnés à des termes différents diffèrent spécifiquement, tandis que deux phases d’un même mouvement, dont l’une est plus proche du terme que l’autre, mettent dans ce mouvement une différence qui tient à un degré imparfait de perfection.
De là vient qu’entre deux lois une double distinction est concevable. Ou bien elles sont absolument différentes, comme relevant de fins différentes ; ainsi dans la cité il y aurait une différence spécifique entre le système législatif assurant la souveraineté du peuple, et celui qui donnerait la prépondérance à l’aristocratie urbaine. - Ou bien deux législations peuvent différer en ce que les dispositions de l’une sont en relation plus étroite avec la fin, celles de l’autre en rapport plus lointain. On admet par exemple que, sous un seul et même régime politique, autre est la législation imposée aux hommes faits, dès maintenant capables de satisfaire aux exigences du bien public, autre la législation qui règle l’éducation des enfants, ceux-ci devant être préparés à l’accomplissement de leurs tâches viriles.
Donc, du premier point de vue, la loi nouvelle ne diffère pas de la loi ancienne, car toutes deux n’ont qu’une fin, la soumission des hommes à Dieu, et ce Dieu est unique, celui de la nouvelle et de l’ancienne alliance : “ Unique est le Dieu qui justifie le circoncis à raison de sa foi, et l’incirconcis par le moyen de sa foi ” (Rm 3,30). - Du second point de vue, la loi nouvelle diffère de l’ancienne, car celle-ci est comparable au pédagogue, selon l’expression de S. Paul (Ga 3,24) tandis que la loi nouvelle est une loi de perfection, étant celle de la charité, que l’Apôtre appelle le “ lien de la perfection ” (Col 3,14).
Solutions :

Solutions: 1.. Si la foi des deux alliances est identique, c’est que leur fin est unique ; car nous avons vu que l’objet des vertus théologales, au nombre desquelles se trouve la foi, est la fin ultime. N’empêche que la foi n’avait pas sous la loi ancienne le même régime que sous la loi nouvelle : ce qui était à venir pour la foi d’alors est chose faite pour la nôtre.

2. Toutes les différences qu’on signale entre la loi nouvelle et l’ancienne se ramènent à une inégalité de perfection. Les préceptes légaux, en effet, portent toujours sur des actes vertueux. Or l’inclination à exercer ces actes n’est pas la même chez les imparfaits, qui ne sont pas encore en possession de la vertu, et chez ceux que la possession de la vertu rend parfaits. Ce qui pousse les premiers aux oeuvres de vertu, c’est un certain motif extrinsèque, comme la menace du châtiment ou la promesse de quelque récompense extérieure, de caractère honorifique, pécuniaire, etc. Aussi la loi ancienne, s’adressant à des hommes qui n’avaient pas encore reçu la grâce spirituelle, méritait le nom de “ loi de crainte ” en tant qu’elle incitait à l’observation des préceptes par la menace de peines déterminées. Et elle comportait des promesses que l’on qualifie de temporelles.

Au contraire, ceux qui possèdent la vertu, c’est par amour de la vertu qu’ils inclinent à en faire les actes, et non à cause d’une pénalité ou récompense extrinsèque. C’est pourquoi, à propos de la loi nouvelle qui pour l’essentiel consiste justement dans la grâce spirituelle imprimée dans les coeurs, on parle de “ loi d’amour ”. Elle comporte, dit-on encore, des promesses spirituelles et éternelles : ce sont les objets de la vertu, et d’abord de la charité ; en sorte que les vertueux y vont par une inclination intérieure, comme vers des biens qui ne leur sont pas étrangers et qui leur reviennent en propre. - Pour la même raison, la loi ancienne est appelée un frein pour la main, non pour le coeur : en effet, s’abstenir du péché par crainte du châtiment, ce n’est pas en détourner absolument son vouloir, comme lorsqu’on s’abstient du péché par amour de la justice ; tandis que la loi nouvelle, étant une loi d’amour, est bien un frein pour le coeur.

Il y eut toutefois, sous le régime de l’ancienne alliance, des gens qui possédaient la charité et la grâce de l’Esprit Saint et aspiraient avant tout aux promesses spirituelles et éternelles, en quoi ils se rattachaient à la loi nouvelle. Inversement, il existe sous la nouvelle alliance des hommes charnels, encore éloignés de la perfection de la loi nouvelle : pour les inciter aux oeuvres vertueuses, la crainte du châtiment et certaines promesses temporelles ont été nécessaires, jusque sous la nouvelle alliance. En tout cas, même si la loi ancienne prescrivait la charité, elle ne donnait pas l’Esprit Saint, par qui “ la charité est répandue dans nos coeurs ” (Rm 5,5).

3. Nous l’avons dit, la loi de la grâce est la loi de la foi, en tant que pour l’essentiel elle consiste précisément dans le don intérieur de la grâce accordé à ceux qui croient ; de là vient qu’on l’appelle “ grâce de la foi ”. Secondairement elle comporte aussi certaines réalisations dans l’ordre des moeurs et des sacrements, mais ce n’est pas en cela que consiste principalement la loi nouvelle, à la différence de l’ancienne. Du reste, sous l’ancienne alliance, ceux qui furent agréables à Dieu à cause de leur foi appartenaient par le fait même à la nouvelle : seule en effet la foi au Christ, fondateur de la nouvelle alliance, les rendait justes. C’est pourquoi ü est écrit de Moïse que “ l’approche du Christ lui parut être une richesse plus précieuse que les trésors de l’Égypte ” (He 11,26).

(Reprise version 1864)

buaient, pour ce motif, la première au génie du mal ou au mauvais principe.


ARTICLE II. — la loi nouvelle accomplît-elle la loi ancienne (1)'


Objections: 1. Il semble que la loi nouvelle n'accomplisse pas la loi ancienne. Car accomplir est le contraire de détruire. Or, la loi nouvelle détruit ou rejette les observances de la loi ancienne; car l'Apôtre dit (Ga 5,2) : Si vous êtes circoncis le Christ ne vous servira de rien. Donc la loi nouvelle n'est pas l'accomplissement de la loi ancienne.

2. Le contraire n'est pas l'accomplissement de son contraire. Or, le Seigneur a donné dans la loi nouvelle des préceptes contraires à ceux de l'ancienne; car il est dit (Mt 5,31): Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Quiconque voudra renvoyer sa femme, qu'il lui donne un acte de divorce. Et moi je vous dis : Que celui qui renvoie sa femme la fait devenir adultère. On tirerait évidemment la même conséquence à l'égard de la prohibition du serment, de la défense du talion et de la haine des ennemis. Le Seigneur paraît  aussi avoir abrogé les préceptes de l'ancienne loi sur le discernement des aliments quand il dit (Mt 15,11) que ce qui entre dans la bouche ne souille pas l'âme. Donc la loi nouvelle n'est pas l'accomplissement de l'ancienne.

3. Celui qui agit contre la loi ne l'accomplit pas. Or, le Christ a agi contre elle dans certaines circonstances ; car il a touché un lépreux, comme on le voit (Mt 8,3), ce qui était contraire à la loi; il paraît  aussi avoir violé le sabbat plusieurs fois, ce qui portait les Juifs à dire de lui (Jn 9,16) : Cet homme n'est pas de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat. Donc le Christ n'a pas accompli la loi; et par conséquent la loi nouvelle qu'il a donnée n'est pas l'accomplissement de l'ancienne.

4. L'ancienne loi renfermait des préceptes moraux, cérémoniels et judiciels, comme nous l'avons dit (quest. xcix, art. 4). Or, si le Seigneur a accompli la loi relativement aux premiers de ces préceptes (Mt 5), il paraît  n'avoir fait aucune mention des préceptes judiciels et cérémoniels. Il semble donc que la loi nouvelle n'accomplisse pas totalement l'ancienne.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Mt 5,17) : Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l'accomplir. Puis il ajoute : Il ne manquera pas un iôta, ni un trait à l'accomplissement de la loi, quand toutes ces choses arriveront.

CONCLUSION. — La loi nouvelle accomplit la loi ancienne selon qu'elle est la réalisation des promesses et des figures qu'elle renfermait ; le Christ l'a aussi remplie, soit par ses oeuvres en l'observant, soit par ses enseignements en l'expliquant ei en y ajoutant des conseils de perfection.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), la loi nouvelle est à la loi ancienne ce que le parfait est à l'imparfait. Or, tout ce qui est parfait remplit ce qui manque à ce qui est imparfait. C'est ainsi que la loi nouvelle accomplit la loi ancienne, en suppléant à ce qui lui manquait. En effet, dans la loi ancienne on peut considérer deux choses : la fin et les préceptes qu'elle renferme. Toute loi a pour fin de rendre les hommes justes et vertueux, comme nous l'avons dit (quest. xcn, art. 2). La loi ancienne avait donc pour fin la justification des hommes. Elle ne pouvait à la vérité la produire, mais elle la figurait par des cérémonies et la promettait par des paroles. Sous ce rapport, la loi nouvelle a accompli l'ancienne en justifiant les hommes par la vertu de la passion du Christ, et c'est ce que dit l'Apôtre (Rm 8,3) : Ce qu'il était impossible que la loi fit, Dieu l'a fait, lorsque ayant envoyé son propre Fils revêtu d'une chair semblable ala chair clu péché, il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi soit accomplie en nous. A cet égard la loi nouvelle réalise les promesses de la loi ancienne, d'après ces au tres paroles de saint Paul (2Co 1,20) : Toutes les promesses de Dieu ont en lui, c'est-à-dire dans le Christ, leur vérité. Elle remplit aussi tout ce qu'elle figurait; c'est ce qui fait dire au même apôtre en parlant des préceptes cérémoniels (Colos. 2, 47) que toutes ces choses ne sont qu'une ombre de celles qui devaient arriver, et que le corps ne se trouve qu'en Jésus- Christ; c'est-à-dire que la vérité appartient au Christ. D'où il résulte qu'on appelle la loi nouvelle la loi de vérité et qu'on donne à la loi ancienne les noms d'ombre et de figure. Quant aux préceptes de la loi ancienne, le Christ les a accomplis par ses oeuvres et ses enseignements. Par ses oeuvres, car il a voulu être circoncis et observer tout ce qui était d'obligation à cette époque, ayant été assujetti à la loi, selon l'expression de saint Paul (Ga 4,4). Par sa doctrine, il a accompli les préceptes de la loi de trois manières : 1° En exposant le vrai sens de la loi, comme on le voit pour l'homicide et l'adultère, à l'égard desquels les scribes et les pharisiens croyaient qu'il n'y avait que l'acte extérieur qui lut défendu. Ainsi le Seigneur accomplit la loi en montrant que les actes intérieurs de ces péchés sont aussi défendus. 2° En indiquant le moyen le plus sûr de faire ce que la loi avait ordonné. Ainsi la loi ayant commandé de ne pas faire de parjure, le moyen le plus sur de l'observer, c'est de s'abstenir absolument du serment, sauf dans le cas de nécessité. 3° En y ajoutant des conseils de perfection (1), comme on le voit (Mt 19,24). Il répond à celui qui lui dit qu'il a observé les préceptes de l'ancienne loi : Une chose vous manque; si vous voulez être parfait, allez et vendez tout ce que vous avez, etc.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la loi nouvelle n'a annulé l'ancienne que relativement aux préceptes cérémoniels, comme nous l'avons dit (quest. cm, art. 3 et 4), et ces préceptes étaient figuratifs de l'avenir. Ainsi ces préceptes ayant été accomplis du mêment que ce qu'ils figuraient s'est réalisé, on n'a pas dû les observer ultérieurement, parce que si on les observait, ils signifieraient encore ce qui doit arriver et ce qui n'a pas été fait; ce qui serait faux, car la promesse d'un don futur n'existe plus quand on l'a remplie en donnant la chose promise. C'est ainsi que les cérémonies de la loi ont été détruites après avoir été remplies.

2. Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin contre Fauste (lib. xix, cap. 21), ces préceptes du Seigneur ne sont pas contraires aux préceptes de la loi ancienne. En effet, le Seigneur en défendant de renvoyer la femme n'est pas allé contre ce que la loi a prescrit ; car la loi n'a pas dit: que celui qui le veut renvoie sa femme, ce qui aurait été opposé au précepte qui défend de la renvoyer ; mais elle ne voulait pas en réalité que l'époux la renvoyât; c'est pourquoi elle a établi un délai, afin que l'homme revenu de ses premiers emportements renonçât à écrire le libelle de répudiation. Aussi pour confirmer ce sentiment et rendre la répudiation de la femme difficile, le Seigneur n'a excepté que le cas de fornication. On doit dire aussi la même chose à l'égard de la prohibition du serment, ainsi qu'à l'égard de celle du talion, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Car la loi a mis des bornes à la vengeance pour qu'elle ne fût pas immodérée, et le Seigneur en a plus parfaitement prévenu tous les excès, en ordonnant de s'en abstenir absolument (1). Touchant la haine des ennemis, il a écarté la fausse interprétation des pharisiens en nous apprenant que c'était la faute, mais non la personne que nous devions haïr. Pour la distinction des aliments, comme c'était une loi cérémonielle, le Seigneur n'a pas défendu de l'observer alors, mais il a montré qu'il n'y avait pas d'aliments immondes de leur nature, qu'ils ne l'étaient qu'en figure, comme nous l'avons dit (quest. en, art. 6 ad 1).

3. Il faut répondre au troisième, que la loi ancienne défendait de toucher un lépreux, parce qu'il résultait de là une certaine tache d'irrégularité, comme du contact d'un mort, ainsi que nous l'avons dit (quest. en, art. 5 ad 4). Mais le Seigneur qui guérissait le lépreux ne pouvait contracter cette souillure. Il n'a pas non plus transgressé le sabbat en réalité par les choses qu'il a faites, comme il le prouve lui-même dans l'Evangile (Mt 12) ; soit parce qu'il opérait ses miracles par la vertu divine qui est sans cesse agissante dans les êtres ; soit parce que ses oeuvres avaient pour but le salut des hommes, et que d'ailleurs, de l'avis des pharisiens eux-mêmes, on pouvait le jour du sabbat sauver un animal; soit parce que la raison de nécessité rendait excusables ses disciples qui cueillirent des épis ce jour-là. Maisil paraissait transgresser les lois d'après les idées superstitieuses des pharisiens, qui croyaient qu'on devait même s'abstenir de faire des oeuvres salutaires le jour du sabbat; ce qui était contraire à l'intention de la loi.

4. Il faut répondre au quatrième, que le Seigneur ne rappelle pas (Mt 5) les préceptes cérémoniels de la loi, parce que leur observation a été totalement détruite par leur accomplissement, comme nous l'avons dit (in corp. art. ad 1). A l'égard des préceptes judiciels il a rappelé celui du talion, afin qu'on appliquât ce qu'il en dirait à tous les autres. Dans ce précepte il a montré, en effet, que l'intention de la loi n'était pas qu'on cherchât la peine du talion pour le plaisir de la vengeance qu'il condamne, en disant que l'homme doit être prêt à supporter de plus grandes injures; mais il enseigne qu'on ne devait agir ainsi que par amour pour la justice, et ce sentiment est maintenu dans la loi nouvelle (2).

(1) Cet article est une réfutation de l'erreur des manichéens qui prétendaient que la loi ancienne était contraire à la loi nouvelle et qui attri
(1) Ces conseils de perfection ne sont que le développement des préceptes moraux que renfermait la toi ancienne, comme on peut le voir d'après le Discours sur la montagne où les deux lois sont comparées.
(1) Toutes ces questions se trouvent traitées avec tous les détails qu'on peut désirer dans la seconde section de cette seconde partie.
(2) Sur l'accomplissement de la loi ancienne par Jésus-Christ et sa doctrine, voyez le chap. xix de la II* sect. du Discours sur l'histoire universelle. On ne peut trouver un commentaire plus éloquent et plus complet de ces paroles de Notre-Seigneur : Non veni solvere legem, sed adimplere.



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.106 a.2