I-II (trad. Drioux 1852) Qu.96 a.3

ARTICLE III. — la loi humaine commande-t-elle les actes de toutes les vertus?


Objections: 1. Il semble que la loi humaine n'ordonne pas les actes de toutes les ver­tus. Car les actes vicieux sont opposés aux actes vertueux. Or, la loi humaine ne défend pas tous les vices, comme nous l'avons dit (art. préc.). Elle ne commande donc pas les actes de toutes les vertus.

2. L'acte vertueux vient de la vertu. Or, la vertu est la fin de la loi, et par conséquent ce qui vient de la vertu ne peut pas tomber sous le précepte de la loi. Donc la loi humaine n'ordonne pas les actes de toutes les vertus.

3. La loi humaine a pour but le bien général, comme nous l'avons dit (quest. ex, art. 2). Or, il y a des actes de vertu qui ne se rapportent pas au bien général, mais au bien particulier. Donc la loi ne les commande pas tous.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit (Eth. lib. v, cap. 1) que la loi prescrit des actes de courage, de tempérance et de douceur, et qu'il en est de même des autres vertus et des autres vices, qu'elle commande certaines actions et défend les autres.

CONCLUSION. — La loi humaine ne commande pas tous les actes de vertu quels qu'ils soient, mais seulement ceux que l'homme fait pour le bien général.

Réponse Il faut répondre qu'on distingue les espèces de vertus d'après leurs objets, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. liv, art. 1 ad 1 et

(f) Et qu'il est par conséquent possible de ré­primer. Car il faut tolérer les autres, parce que leur répression est impossible et que d'ailleurs il en résulterait les plus graves inconvénients.
(2) C'est par conséquent à la sagesse et h la prudence du législateur à décider quels sont les vices qu'il doit attaquer.
(3) Elle reste au-dessous d'elle, sous ce rapport, niais sous d'autres elle a eu quelque sorte plus d extension, puisque nous avons vu qu'elle dé­termine d'une manière particulière ce que la loi naturelle ou divine ne commande que d'une ma­nière générale.
art. 2). Or, tous les objets des vertus peuvent se rapporter au bien particulier d'une personne ou au bien général de la multitude. Ainsi on peut faire des actes de courage, soit pour la conservation de l'Etat, soit pour la sauvegarde des droits d'un ami, et il en est de même des autres vertus. — La loi, comme nous l'avons vu (quest. xc, art. 2), a pour but le bien général. C'est pourquoi il n'y a aucune vertu dont elle ne puisse commander des actes. Toutefois elle ne commande pas tous les actes de toutes les vertus (1), mais seule­ment ceux qui se rapportent au bien général (2), soit immédiatement, comme quand on fait quelque chose directement dans l'intérêt de tous; soit rnédia- tement, comme quand le législateur prend des mesures pour former les citoyens à cette bonne discipline (3), qui est la conservation du bien géné­ral de la justice et de la paix.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la loi humaine ne défend pas tous les actes vicieux par des préceptes obligatoires, comme elle ne com­mande pas non plus tous les actes vertueux. Néanmoins il y a dans chaque vice des actes qu'elle défend, comme il y a dans chaque vertu des actes qu'elle commande.

2. Il faut répondre au second, qu'on dit qu'un acte est un acte de vertu de deux manières : 1° quand un homme fait une chose vertueuse. Ainsi un acte de justice consiste dans ce sens à agir droitement-, un acte de force à faire un trait de courage. La loi ordonne quelques-uns de ces actes. 2° On appelle acte de vertu, ce que fait un individu quand il fait une bonne chose de la manière que la fait celui qui est vertueux (4). Cet acte vient tou­jours de la vertu ; il ne tombe pas sous le précepte de la loi, mais il est la fin que le législateur a l'intention d'atteindre.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il n'y a pas une vertu dont les actes ne puissent se rapporter au bien général, médiatement, ou immédiatement, comme nous l'avons dit (in corp. art.).


ARTICLE IV. — la loi humaine oelige-t-elle au fou de la conscience (s) ?


Objections: 1. Il semble que la loi humaine n'oblige pas au for de la conscience. Car une puissance inférieure ne peut imposer une loi à une puissance supé­rieure à l'égard de son jugement. Or, la puissance humaine qui est l'auteur de la loi humaine est inférieure à la puissance divine. Donc la loi humaine ne peut pas faire de loi relativement au jugement divin qui est le jugement de la conscience.

2. Le jugement de la conscience dépend surtout des ordres de Dieu. Or, les ordres de Dieu sont quelquefois détruits par les lois humaines, d'après ce passage de l'Evangile (Matth, xv, G) : Fous avez rendu inutile le comman­dement de Dieu par vos traditions. Donc la loi humaine n'oblige pas en conscience.

3. Les lois humaines impriment souvent l'injure et la calomnie, d'après ces paroles du prophète (Is. x, 1) : Malheur à ceux qui établissent des lois iniques, et qui font des ordonnances injustes pour opprimer les pauvres par

(1) Elle n'ordonne pas d'actes de perfection, comme la virginité. Ces actes sont l'objet des con­seils qui s'adressent à ceux qui veulent être par­faits.
(2) Elle no commande pas de jeûner souvent, parce que ces actes qui contribuent à la perfection de l'individu ne sont pas nécessaires h la conser­vation de l'Etat.
(5) Telles sont, par exemple, les lois qui ont pour objet l'éducation et l'instruction des enfants.

Elles produisent tout à la fois le bien des indivi­dus et celui delà société.

(-i) C'est-à-dire d'après une habitude infuse ou acquise.
(b) Cette proposition est de foi, du moins pour ce qui est des lois ecclésiastiques. Elle a été déli- nie au concile de Constance contre Luther et Jean IIus (sess, viii etxv), dansla bulle de Léon X contre Luther, dans le concile deTrente (sess. VII, can. 8).

leurs jugements et accabler l'innocence des plus faibles de mon peuple par la violence. Or, il est permis à tout le monde d'éviter l'oppression et la vio­lence. Donc les lois humaines n'obligent pas en conscience.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Pierre dit (I. Pet. ii, 19) : Ce qui est agréable à Dieu, c'est que, dans la vue de lui plaire, nous endurions les maux et les peines qu'on nous fait souffrir avec injustice.

CONCLUSION. — Les lois humaines qui sont justes obligent les hommes au for de la conscience en vertu de la loi éternelle dont elles découlent.

Réponse Il faut répondre que les lois humaines sont justes ou injustes. Si elles sont justes, elles sont obligatoires aufor de la conscience et elles tirent leur efficacité de la loi éternelle dont elles découlent, d'après ces paroles de la Sagesse (Prov. viii, 15) : C'est par moi que les rois régnent et que les légis­lateurs rendent de justes décrets. Or, on dit que les lois sont justes d'après leur fin, quand elles ont pour but le bien général ; d'après leur auteur, quand la loi portée n'excède pas les pouvoirs de celui qui la porte-, d'après leur forme, quand elle impose des charges aux sujets également proportion­nées à leurs forces dans un but d'intérêt public. Car un homme étant une partie de la multitude, ce qu'il est et ce qu'il a, appartiennent à la multitude, comme la partie appartient au tout selon ce qu'elle est. C'est pourquoi la nature nuit quelquefois à la partie pour sauver le tout, et d'après le même principe les lois qui imposent proportionnellement des charges aux sujets sont justes et obligent par là même au for de la conscience. — Il y a deux sortes de lois injustes. Les unes sont contraires au bien des hommes et elles peuvent être mauvaises de trois manières : d'après leur fin, comme quand le chef d'un Etat impose à ses sujets des lois onéreuses qui n'ont pas pour but l'intérêt général, mais plutôt sa propre cupidité ou sa propre gloire ; d'après leur auteur, comme quand quelqu'un en faisant une loi outrepasse ses pouvoirs; d'après leur forme, comme quand les charges sont inégale­ment dispensées, bien qu'elles se rapportent à l'intérêt général (1). Dans ce cas ces décrets sont plutôt des violences que des lois. Car, comme le dit saint Augustin (De lib. arb. lib. i, cap. 5), ce qui n'est pas juste ne semble pas une loi. Ces lois n'obligent donc pas au for de la conscience, sinon pour éviter le scandale ou le désordre (2). Dans ce cas l'individu doit céder son droit, d'après ces paroles de l'Evangile (Matth, v, 41) : Si quelqu'un vous a contraint à faire mille pas avec lui, faites-en encore deux mille; à celui qui vous aura enlevé votre robe, abandonnez encore votre manteau. — Les au­tres sont contraires au droit divin (3); telles sont les lois des tyrans qui portent à l'idolâtrie ou à toute autre chose de contraire à la loi de Dieu. Il n'est permis d'obéir d'aucune manière à ces lois, parce que, comme le disaient les apôtres (Act. iv) : Il faut obéir a Dieuplutôt qu'aux hommes.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, d'après saint Paul (Rom. xiii, 1) : Toute puissance humaine vient de Dieu. C'est pourquoi celui qui résiste à la puissance humaine pour les choses qui sont de son ressort résiste à l'ordre de Dieu , et il est par là même coupable aux yeux de sa conscience.

2. Il faut répondre au second, que cette raison s'appuie sur les lois humaines

(I) Uno de ces causes suffit pour rendre la loi injuste, et par conséquent nulle ; niais il est à re­marquer qu'elles ne sont applicables qu'autant qu'elles sont évidentes. Dans le cas de doute la présomption est en faveur du législateur.
(2 Dans ce cas, dit Billuart, ce n'est pas la loi injuste elle-même qui oblige, mais c'est la loi na­turelle (De leg. dissert, iv, art. 3).
(3) Il n'est jamais permis d'obéir à ces lois ; on doit mille fois préférer la mort, comme le font les martyrs.
qui sont contraires à l'ordre de Dieu; comme la puissance humaine ne s'é­tend pas jusque-là, on ne doit pas obéir à ses lois dans cette circonstance.

3. Il faut répondre au troisième, que ce raisonnement s'appnie sur la loi qui porte injustement préjudice à ceux qui lui sont soumis; ce que n'a pas le droit de faire la puissance humaine qui vient de Dieu. Par conséquent, dans ce cas on n'est pas obligé d'obéir à la loi, si on peut s'en dispenser sans scandale ou sans essuyer de graves désagréments.


ARTICLE V. — tous les hommes sont-ils soumis a la loi (1)?

Objections: 1. Il semble que tous les hommes ne soient pas soumis à la loi. Car il n'y a de soumis à la loi que ceux auxquels la loi est imposée. Or, d'après l'Apô­tre ( I. Tim. i,9), La loi n'a pas été faite pour le juste. Donc les justes n'y sont pas soumis.

2. Le pape Urbain H dit (Decret. caus. xix, quest. 2) qu'aucune raison n'exige que celui qui est dirigé par une loi particulière soit enchaîné par une loi publique. Or, tous les hommes spirituels, qui sont les enfants de Dieu, ont la loi de l'Esprit-Saint pour guide, suivant ce mot de l'Apôtre (Rom. viii, 14) : Ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu sont les en fants de Dieu. Donc tous les hommes ne sont pas soumis à la loi humaine.

3. Le jurisconsulte Ulpiendit (in Digest. vet. lib. i, tit. 3, leg. 30) que le prince n'est pas lié par les lois. Or, celui qui n'est pas lié par une loi n'y est pas soumis. Donc tous les hommes ne sont pas soumis à la loi.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (Rom. xiii, 1 ) : Que tout le monde se sou­mette aux puissances supérieures. Or, il ne paraît pas être soumis à une puis­sance, celui qui n'est pas soumis à la loi qu'elle porte. Donc tous les hommes doivent être soumis à la loi.

CONCLUSION. — Tous ceux qui sont soumis à une puissance sont aussi soumis à sa loi, mais tous les hommes ne sontpas soumis aux lois par la crainte du châtiment, il n'y ajque les méchants qui le soient ainsi.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xc, art. 1), la loi ren­ferme dans son essence deux choses : 1° elle est la règle des actes humains ; 2° elle a une force coactive. Un homme peut donc être soumis à la loi de deux manières : comme ce qui est réglé est soumis à sa règle et comme ce qui est contraint est soumis à la force qui le domine. Tous ceux qui sont soumis à une puissance sont soumis de la première manière à la loi qu'elle porte. Mais il peut se faire qu'un individu ne soit pas soumis à une puis­sance dans deux circonstances. D'abord parce qu'il est absolument indépen­dant de sa juridiction. Ainsi ceux qui font partie d'une cité ou d'un royaume ne sont pas soumis aux lois du chef d'une autre cité ou d'un autre royaume, comme ils ne sont pas soumis à sa souveraineté (2). Ensuite on n'est pas soumis à une puissance quand on est régi par une loi supérieure. Par exemple, si quelqu'un était sous un proconsul, il devrait se régler d'après ses ordres, mais non par rapport aux choses dont l'empereur le dispense. Car à cet égard il n'est plus astreint à suivre l'ordre de l'inférieur, puisqu'il a pour guide un ordre plus élevé. C'est ainsi qu'il arrive que celui qui est soumis à une loi est libre relativement aux choses qui lui sont pres­crites par une loi supérieure. —On dit en second lieu qu'on est soumis à

(1) Cet article est une réfutation des Vaudois, des béghards, des pauvres de Lyon et de Luther' qui prétendaient que tous les hommes n'étaient pas soumis aux lois.
(2) Pour les étrangers, s'ils n'ont ni domicile, ni quasi-domicile dans un lieu et qu'ils ne fassent qu'y passer, la loi particulière du pays ne les oblige pas généralement, mais ils peuvent profi­ter des privilèges qu'ils y trouvent établis, par exemple, faire gras le samedi depuis Noël à la Purification, s'ils sont dans un diocèse où l'on a la permission de le faire.
la loi, comme eelui qui est contraint est soumis à la force qui le domine. Les hommes vertueux et justes ne sont pas soumis à la loi de cette manière, il n'y a que les méchants. Car ce qui est contraint et violent est contraire à la volonté. Or, la volonté des bons est d'accord avec la loi dont la volonté des méchants s'éloigne. C'est pourquoi les bons ne sont pas soumis à la loi de cette manière, il n'y a que les méchants.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement s'appuie sur la soumission qui est l'effet de la contrainte. Sous ce rapport la loi n'a pas été faite pour les justes, parce qu'ils sont à eux-mêmes leur loi, puisqu'ils montrent l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs, comme le dit l'Apôtre (Rom. ii, 15). La loi n'exerce donc pas sur eux une force coactive, comme sur les méchants.

2. Il faut répondre au second, que la loi de l'Esprit-Saint est supérieure à toute loi humaine. C'est pourquoi les hommes spirituels étant dirigés par la loi de l'Esprit-Saint ne se soumettent pas à la loi humaine en ce qu'elle a de contraire à l'Esprit de Dieu ; mais par là même que l'Esprit-Saint les dirige ils sont soumis aux lois humaines (1), d'après cette parole de saint Pierre (I. Pet. ii, 13) : Soyez soumis à toute créature humaine, à cause de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, qu'on dit que le prince est affranchi de la loi par rapport à sa force coactive. Car personne n'est contraint, à propre­ment parler, par lui-même; et la loi tire toute sa force coactive de lapuis- sance du prince (2). Ainsi donc on dit que le prince est affranchi de la loi, parce que personne ne peut se condamner lui-même, s'il agit contrairement àla loi. C'est pourquoi à l'occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps. l, 6) : Tibi soli peccavi, etc., la glose (orcl. Cassiod.) dit que le roi n'a personne pour ju­ger ses actions.—Mais quant àla puissance directive de la loi, le prince lui est soumis de sa volonté propre, d'après ce principe du droit canon (Decret. lib. i, tit. 2) que le droit qu'on établit pour les autres, on doit en user soi- même. Le Sage dit aussi : Applique-toi la loi que tu as faite. Dans le Code (De leg. et const. lib. iv) les empereurs Théodose et Valentinien écrivent au préfet Yolusien : C'est une parole digne de la majesté de celui qui règne que de déclarer que le prince est soumis lui-même aux lois; toute notre autorité dépend de l'autorité du droit. Et soumettre l'autorité du prince aux lois, c'est certainement une chose plus grande que de commander. — Aussi le Seigneur s'élève contre ceux qui disent et qui ne font pas et qui imposent aux autres de lourds fardeaux qu'ils ne veulent pas même remuer du doigt (Matth, xxiii, 4). Par conséquent par rapport au jugement de Dieu le prince n'est pas affranchi de la loi quant à sa puissance directive; mais il doit la suivre volontairement et sans contrainte (3). — Le prince est néanmoins au- dessus de la loi dans le sens que, s'il le faut, il peut la changer et en dispen­ser selon les temps et les lieux.


ARTICLE VI. — est-il permis a celui qui est soumis a la loi d'agir contrairement aux termes de la loi?

Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas permis à celui qui est soumis à la loi d'agir

(1) Cctíe proposition est de foi, elle a été défi­nie (concile de Vienne, Clément. Ad nostram de Haeret. cont. Begardas et Bcguinas et in Tri­dent. sess. vi, cap. 11, can. 19 et 20 et sess, vu, can. 8).
(2) Ceci n'est applicable que pour le cas où la loi est faite par un seul ; parce que, quand elle est faite par la communauté entière, elle oblige tout le monde coactivement.
(3) tl est 'obligé de suivre lui-même la loi, parce qu'il ne l'a portée que comme ministre de Dieu, dont l'autorité s'étend sur lui aussi bien que sur tous les autres membres de la commu­nauté. Il n'y a d'exception que pour les lois par­ticulières qui concernent certaines classes de ses sujets, mais qui ne le regardent pas.
au delà des termes de la loi. Car saint Augustin dit (De ver. relig. cap. 31) que quoique les hommes jugent des lois temporelles, puisqu'ils les établis­sent, néanmoins quand elles sont établies et confirmées il ne leur est plus permis de les juger, mais c'est sur elles qu'ils doivent régler leurs décisions. Or, si quelqu'un laisse de côté les paroles de la loi en disant qu'il s'en tient à l'intention du législateur, il paraît juger la loi elle-même. Donc il n'est pas'permis à celui qui est soumis à la loi d'en négliger les paroles, sous pré­texte d'en observer l'esprit.

2. Il n'appartient qu'à celui qui fait les lois de les interpréter. Or, tous ceux qui sont soumis à la loi ne sont pas des législateurs. Il ne leur appar­tient donc pas d'interpréter l'intention du législateur, mais ils doivent tou­jours suivre la lettre de la loi.

3. Tout sage sait rendre sa pensée par des paroles. Or, on doit considérer comme des sages ceux qui ont failles lois, puisque la Sagesse dit (Prov. viii, 15) : C'est par moi que les rois régnent et que les législateurs font de justes décrets. Donc on ne doit juger de l'intention du législateur que par les paro­les de la loi.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Ililaire dit (De Trin. lib. iv et lib. xii) qu'on doit tirer l'intelligence des mots des motifs qui les font prononcer; parce qu'on ne doit pas soumettre les choses aux mots, mais plutôt les mots aux choses. Donc on doit plutôt faire attention aux motifs qui ont fait agir le législateur qu'aux paroles mêmes de la loi.

CONCLUSION. — Celui qui est soumis à la loi doit toujours en suivre le texte, à moins qu'il n'y ait danger pour le bien public; que si ce danger est subit et qu'il ne laisse pas le temps de recourir au supérieur, alors il est permis de ne pas s'attacher aux termes de la loi.

Réponse 1l faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xc, art. 2), toute loi a pour but le salut général des hommes, et c'est à ce titre qu'elle est en vigueur ; du mêment où elle s'écarte de cette fin, elle cesse d'être obligatoire. C'est ce qui fait dire au jurisconsulte (Digest. lib. i, tit. 3, leg. 25) qu'aucune raison de droit ou que l'équité bienveillante ne souffre pas que ce qui a été introduit avantageusement pour le salut des hommes, nous le tournions contre leurs intérêts par une interprétation trop sévère. Or, il arrive sou­vent que ce qui est utile au salut commun dans le plus grand nombre de cas, se trouve en certaines circonstances absolument nuisible. Comme le législateur ne peut considérer tous les cas en particulier, il fait donc sa loi conformément à ce qui arrive le plus souvent, se proposant en cela le bien général. Par conséquent s'il arrive une circonstance où l'observation d'une loi soit funeste aux intérêts de la société, on ne doit pas l'observer (1 ). Par exemple, que dans une ville assiégée on décide, par une loi, que les portes de la ville demeureront fermées; cette mesure est utile au salut commun pour le plus grand nombre des cas. Mais s'il arrive que les ennemis pres­sent des citoyens qui sont le salut de la cité, il serait très-funeste de ne pas ouvrir les portes à ces derniers. C'est pourquoi il faudrait dans cette cir­constance les leur ouvrir, contrairement aux termes de la loi, et cela pour le salut de la cité que le législateur a eu l'intention de sauver. — Toutefois il faut remarquer que si l'observation littérale de la loi n'offre pas un danger subit auquel il faille immédiatement parer, il n'appartient pas à tout individu de décider ce qui est utile à l'Etat et ce qui lui est inutile. Il n'y a que les princes qui en raison des circonstances aient le pouvoir de dispenser des

(I) L'interprétation quel'on donne Ii la loi, dans cette circonstance, reçoit dans l'école le nom d'é- pikie (en grec STzí/.sty.) parce qu'elle a pour r glc l'équité naturelle ou le bon sens.
lois. Mais si le danger est subit et qu'on n'ait pas le temps de recourir au supérieur, la nécessité emporte avec elle la dispense, parce qu'elle n'est pas soumise à la loi (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que celui qui dans le cas de néces­sité agit contrairement aux termes de la loi ne juge pas la loi elle-même, mais il juge le cas particulier dans lequel il voit qu'on ne doit pas l'obser­ver littéralement.

2. Il faut répondre au second, que celui qui suit l'intention du législateur n'interprète pas la loi absolument; mais dans le cas où il est évident par suite du dommage qu'elle causerait que le législateur a eu une autre inten­tion. Car si la chose était douteuse (2) on devrait agir selon les termes de la loi ou consulter un supérieur.

3. Il faut répondre au troisième, qu'aucun homme n'est assez sage pour pouvoir penser à tous les cas en particulier. C'est pourquoi il ne peut pas exprimer suffisamment par ses paroles ce qui convient à la fin qu'il s'est proposée. Et quand le législateur pourrait considérer tous les cas, il ne devrai tpas les exprimer tous pour éviter la confusion; mais il devrait faire sa loi d'après ce qui arrive le plus souvent.



QUESTION XCVII.

DU CHANGEMENT DES LOIS.


Après avoir parlé de la puissance de la loi, nous devons nous occuper de ses change­ments.— A ce sujet quatre questions se présentent : 1" La loi humaine est-elle muablé P — 2° Doit-elle être toujours changée, quand il se présente quelque chose de mieux ? —3° Est-elle détruite par la coutume, et la coutume acquiert-elle force de loi? — 4° La loi humaine doit-elle être modifiée par la dispense des supérieurs?


ARTICLE I. — la loi humaine doit-elle être changée de quelque manière (1)?


Objections: 1. Il semble qu'on ne doive changer la loi humaine d'aucune manière. Car la loi humaine découle de la loi naturelle, comme nous l'avons dit (quest. xcv, art. 2). Or la loijnaturelle reste immuable. Donc la loi humaine doit l'être aussi.

2. Comme le dit Aristote (Eth. v, cap. 5) : Une mesure doit être absolument stable. Or, la loi humaine est la mesure des actes humains, comme nous l'a­vons vu (quest. xc, art. 1 et 2). Donc elle doit être immuable.

3. Il est de l'essence de la loi d'être juste et droite, comme nous l'avons dit (quest. xcv, art. 2). Or, ce qui est droit une fois, l'est toujours. Donc ce qui est une loi dans une circonstance, doit l'être toujours.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De lib. arb. lib. i, cap. 6) : La loi temporelle, quoiqu'elle soit juste, peut cependant avec le temps subir de petits changements.

CONCLUSION. — La loi humaine étant la règle rationnelle qui dirige les actes humains, il arrive que les lois changent, parce qu'on perfectionne ce qui était impar­fait selon les conditions diverses des hommes et des temps.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xci, art 3), la loi hu-

On doit faire usage de l'épikie quand l'ob­servation littérale delà loi serait funeste au bien général de la société ou quand elle causerait le tort le plus grave aux individus dans leur santé, leur réputation ou leur fortune; ou quand elle est contraire à la loi naturelle ou à une loi hu­maine plus élevée, ou que par suite des circons­tances elle est devenue inique ou trop dure.

On suppose qu'il y a probabilité égale entre les deux opinions, car s'il est plus probable que telle n'a pas été l'intention du législateur, on peut user d'épikie.

(5) A ce sujet le concile de Latran s'exprime ainsi: Non debet reprehensibile judicari, si secundum varietatem temporum statuta quandoque varientur humana : praesertim cum necessitas, vel evidens utilitas id ex­poscit. Quoniam ipse Deus ex his quae in Veteri Testamento statuerat, nonnulla muta­vit in Novo.
maine est le dictamen delà raison qui dirige les actes humains. Par consé­quent on peut avoir un double motif légitime pour changer cette loi : l'un tiré de la raison, l'autre tiré des individus dont cette loi régit les actes. — L'un tiré de la raison, parce qu'il semble naturel à la raison humaine qu'on aille graduellement de l'imparfait au parfait. C'est ainsi que nous voyons dans les sciences spéculatives que les premiers qui ont philosophé ont avancé des théories que leurs successeurs ont ensuite perfectionnées et rectifiées. Il en a été de même en matière pratique ; car les premiers qui se sont appliqués à découvrir ce qui pouvait être utile à la société, ayant été dans l'impuissance de tout observer d'après eux-mêmes, ont d'abord fondé des institutions très-imparfaites et très - défectueuses que ceux qui sont venus après eux ont modifiées, en les remplaçant par d'autres qui n'offris­sent pas les mêmes inconvénients. — Par rapport aux individus dont la loi doit régler les actes, on peut avec raison la changer, parce que la condi­tion des individus change elle-même, et qu'il faut des lois diverses pour des conditions différentes. C'est ce que saint Augustin rend sensible par un exemple (De lib. arb. lib. i, cap. C) : Si un peuple, dit-il, est parfaitement tranquille, qu'il soit sérieux et tout dévoué au bien public, on a raison de porter une loi qui lui permette d'élire lui-même les magistrats qui veillent à l'administration de l'Etat. Mais si ce même peuple se déprave insensible­ment, que son suffrage devienne vénal et qu'il confie le pouvoir à des scé­lérats et à des brigands, il est juste qu'on lui enlève le pouvoir de disposer des dignités, et qu'on le remette à quelques hommes de bien (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la loi naturelle est une parti­cipation de la loi éternelle, comme nous l'avons dit (quest. xcm, art. 3), et c'est pour ce motif qu'elle est immuable. Elle tient ce caractère de l'immu­tabilité et de la perfection de la raison divine qui a établi la nature. Mais la raison humaine est muable et imparfaite-, c'est ce qui fait que la loi l'est elle-même. De plus la loi naturelle renferme des préceptes particuliers qui naissent de la diversité des circonstances.

2. Il faut répondre au second, qu'une mesure doit être stable autant que possible. Or, dans les choses changeantes, il ne peut rien y avoir qui soit absolument immuable. C'est pourquoi la loi humaine ne peut pas avoir ce caractère d'une manière absolue.

3. Il faut répondre au troisième, que dans les choses matérielles le mot droit (rectum) s'entend d'une manière absolue ; c'est pour cela que ce qui est droit l'est toujours. Mais la rectitude de la loi se rapporte à l'utilité générale, et comme la même chose n'est pas toujours en rapport avec cette An, ainsi que nous l'avons dit (in corp. art.), il s'ensuit que cette rectitude est variable.


ARTICLE II. — doit-on toujours changer la loi humaine quand il se présente quelque chose de mieux (2) ?


Objections: 1. Il semble qu'on doive toujours changer la loi humaine quand il se pré­sente quelque chose de mieux. Car c'est la raison humaine qui a inventé les lois humaines, comme les autres arts. Or, dans les autres arts, on change de méthode, aussitôt qu'on a trouvé une amélioration. Donc on doit faire de même à l'égard des lois humaines.

2. D'après le passé nous pouvons prévoir l'avenir. Or, si on n'eût pas

(-1) La vertu est la condition essentielle de la liberté ; l'une n'est pas possible sans l'autre.
sess, xxiv, cap. -I et 2, et sess, xxi, cap. 2). Il serait à désirer que les sociétés modernes eussent tenu compte plus sévèrement de ce principe, l'autorité serait aujourd'hui plus respectée.
(2) La doctrine de saint Thomas sur ce point a toujours servi de règle à la conduite de l'Eglise (Vid. Concil. Later. in art. praec. Concil. Trid.
changé les lois humaines quand on a rencontré quelque chose de mieux, 31 en serait résulté une foule d'inconvénients, car les lois anciennes sont ex- tvêmement défectueuses. Donc il semble qu'on doive changer les lois toutes les fois qu'un avantage se présente.

3. Les lois humaines ont pour objet les actions particulières des individus. Or, il n'y a que l'expérience qui nous fasse connaître parfaitement les choses particulières, et pour avoir de l'expérience il faut du temps, comme le dit Aristote (Eth. lib. n, inprinc.). Il semble donc qu'avec le temps on puisse trouver moyen de faire des lois meilleures.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Nous lisons dans le droit (Decret. dist. xii , cap. 5) : Il est ridicule, et c'est une chose abominable que nous laissions transgres­ser les traditions anciennes que nous avons reçues de nos pères.

CONCLUSION. — Le changement de la loi étant ordinairement nuisible au bien général, on ne doit pas toujours changer la loi quand quelque chose de mieux se pré­sente, à moins que ce ne soit évidemment nécessaire ou tout à fait utile à l'Etat.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), on n'a raison de changer la loi humaine qu'autant que ce changement peut être utile à la société en général. Or, le changement considéré en lui-même est nuisible au bien général, parce que la coutume est si puissante pour faire observer la loi, que les choses qu'on n'a pas l'habitude de faire paraissent pénibles, même quand elles seraient légères en elles-mêmes. Par conséquent, en changeant la loi, on affaiblit sa force, parce qu'on détruit une coutume. C'est pourquoi on ne doit jamais changer la loi, si d'un autre côté il n'y a pas un avantage qui lasse compensation aux inconvénients qui ré­sultent du changement lui-même. Cette compensation existe quand la loi nouvelle est d'une utilité manifeste, immense, ou quand il y a nécessité d'abroger la loi ancienne, soit parce qu'elle est injuste, soit parce que son observation est très-nuisible. C'est ce qui fait dire à Ulpien (lib. i, tit. 4 De const. princip.) que pour porter une loi nouvelle il faut qu'il y ait utilité, pour s'éloigner ainsi du droit qui a paru longtemps juste et équitable (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les arts dépendent de la raison seule. C'est pourquoi toutes les fois qu'il y a une amélioration, on doit l'adopter. Mais les lois doivent à la coutume la plus grande partie de leur force, comme l'observe Aristote (Polit, lib. ii, cap. 6). C'est pour cette raison qu'on ne doit pas facilement les changer (2).

2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement prouve qu'on doit changer les lois, non pour toute espèce d'amélioration, mais quand il y a de grands avantages ou une nécessité pressante à le faire, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

3. On doit répondre de la même manière au troisième.


ARTICLE III. — la coutume peut-elle avoir force de loi?


Objections: 1. Il semble que la coutume ne puisse avoir force de loi, ni supplanter la loi. Car la loi humaine vient de la loi naturelle et de la loi divine, comme nous l'avons dit (quest. xcni, art. 3, et quest. xcv, art. 2). Or, la coutume des hommes ne peut changer ni la loi de nature, ni la loi de Dieu. Donc elle ne peut pas non plus changer la loi humaine.

(t) Quand le législateur abroge sans raison les lois anciennes pour en faire de nouvelles, il abuse de son pouvoir; il pèche par conséquent, mais la loi nouvelle n'en est pas moins obligatoire.
(2) Tous les philosophes ont été de ce senti­ment. Hou seau écrivait aux Genevois : que c'est surtout la grande antiquité des lois qui les rend saintes et vénérables ; que le peuple méprise bien- tôtcelles qu'il voit changer tousles jours (Préface de son discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes).

2. D'un grand nombre de maux on ne peut pas faire un bien. Or, celui qui commence d'abord à agir contre la loi fait mal. Par conséquent en multipliant les mêmes actes on ne peut pas faire quelque chose de bien. Or, la loi est une bonne chose,puisqu'elle est la règle des actes humains. Donc elle ne peutpas être abrogée par la coutume, au point que la coutume ait elle-même force de loi.

3. Les lois ne peuvent être portées que par les personnes publiques qui sont chargées de régir la société. Ainsi de simples particuliers ne peuvent pas légiférer. Or, la coutume s'établit par les actes des particuliers. Donc elle ne peut avoir force de loi, et détruire ainsi la loi qui l'a précédée.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Epist. 86, ad Casulanum) : On doit observer, comme une loi, les coutumes du peuple de Dieu et les usages des ancêtres, et comme on punit ceux qui transgressent les lois divines, on doit punir ceux qui méprisent les coutumes ecclésiastiques.

CONCLUSION. — Chacun paraissant regarder comme bon ce qu'il fait, il est certain qu'il n'y a pas que les paroles qui fassent une loi, mais que les actes, surtout quand ils sont multipliés (comme quand il y a coutume), font loi aussi, de telle sorte qu'on peut dire avec raison que la coutume a force de loi.

Réponse Il faut répondre que loute loi émane de la raison et de la volonté du légis­lateur. La loi divine et la loi naturelle viennent de la volonté rationnelle de Dieu, tandis que la loi humaine vient de la volonté de l'homme réglée par la raison. Comme la raison et la volonté de l'homme se manifestent par la parole, quand il s'agit de choses pratiques, de même elles se manifestent parles actes; car tout individu parait considérer comme une bonne chose ce qu'il fait. Or, il est évident que la parole humaine peut changer la loi et l'expliquer, selon qu'elle manifeste le mouvement et le concept intérieur de laraison humaine. Par conséquent on peut aussi, par des actes très-répétés qui établissent une coutume, changer la loi, la faire connaître et produire une chose qui ait force de loi elle-même, parce que le mouvement intérieur de la volonté et le concept de la raison sont suffisamment manifestés par des actes extérieurs. Car quand une chose se fait une multitude de fois, elle paraît être le fruit des délibérations de la raison. Ainsi la coutume a force de loi ; elle abroge la loi et elle en est l'interprète (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la loi naturelle et divine pro­cède de la volonté de Dieu, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Elle ne peut donc pas être changée par une coutume qui vient de la volonté hu­maine; elle ne pourrait l'être que par l'autorité divine. De là il résulte qu'aucune coutume ne peut avoir force de loi contre la loi divine ou la loi naturelle (2). Car saint Isidore dit (Synon. lib. ii, cap. 1G) que l'usage cède à l'autorité; que la loi et la raison triomphent d'un usage mauvais.

2. Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (quest. xcvi, art. G), les lois humaines sont défectueuses dans certains cas. Il est donc possible qu'on agisse quelquefois contre la loi dans le cas où elle est défec­tueuse, sans que l'acte soitmauvais. Quand ces circonstances se multiplient par suite d'un changement arrivé dans les individus, alors la coutume prouve que la loi n'est plus désormais utile, comme on le manifesterait, si l'on promulguait verbalement une loi contraire. Mais si la raison pour

(D Pour que la coutume abroge une loi il faut trois conditions : 4° qu'elle soit généralement reçue pendant un certain temps; 2° qu'elle ne soit pas contraire à la loi divine ou à la loi natu­relle ; 3° qu'elle soit, relativement aux circons­tances, plus utile, plus conforme au bien général que la loi elle-même.   *
(2) Dans ce cas la coutume est nulle de soi, comme toutes les lois positives.
laquelle la loi était tout d'abord utile subsiste encore, ce n'est pas la cou­tume qui triomphe de la loi, mais c'est la loi qui l'emporte sur la coutume (1) ; à moins que la loi ne paraisse inutile, parce qu'elle n'est pas possible selon les moeurs ou les habitudes du pays, ce qui est une des conditions de la loi. Car il est difficile de détruire une coutume quand elle est universelle.

3. Il faut répondre au troisième, que le peuple ou la multitude dans laquelle s'introduit une coutume peut être dans deux états. Si c'est un peuple libre qui puisse faire lui-même ses lois, le consentement de la multitude a plus de poids pour faire observer ce que la coutume établit, que l'autorité du prince qui n'a pas le pouvoir de faire des lois ou qui n'en peut faire qu'au­tant qu'il représente le peuple. Ainsi quoique chaque individu ne puisse pas légiférer, cependant le peuple entier peut le faire. — Mais si le peuple n'a pas la liberté de faire ses lois ou de se soustraire à celles qui lui sont impo­sées par son chef, la coutume quand elle prévaut a encore force de loi, parce qu'elle est tolérée par ceux qui ont mission d'imposer des lois à cette mul­titude. Car ils paraissent par là même approuver ce que la coutume a intro­duit (2).



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.96 a.3