I-II (trad. Drioux 1852) Qu.98 a.6

ARTICLE VI. — la loi ancienne a-t-elle été donnée convenablement au temps de moïse (4)?


Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas convenable que la loi ancienne ait été don­née au temps de Moïse. Car cette loi préparait au salut qui devait s'opérer par le Christ, comme nous l'avons dit (art. 2). Or, l'homme immédiatement après le péché a eu besoin d'un remède salutaire. Donc la loi ancienne aurait dû être donnée immédiatement après la chute.

2. La loi ancienne a été donnée pour la sanctification de ceux dont le Christ devait naître. Or, c'est à Abraham qu'il a été d'abord promis que le Christ naîtrait de sa race (Gen. xii). La loi aurait donc dû être donnée dès cette époque.

3. Comme le Christ n'est pas né des autres descendants de Noé, et qu'il n'est né que d'Abraham à qui la promesse a été faite, dç même il n'est pas né des autres enfants d'Abraham, sinon de David, à qui la promesse a été renouvelée, d'après cette parole de l'Ecriture (II. Reg. xxiii, 4) : Voici ce que dit David, cet homme établi pour annoncer et représenter le Christ du Dieu de Jacob. Donc la loi ancienne aurait dû être donnée après David comme elle l'a été après Abraham.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Gai. iii, 19) : La loi a été établie pour faire connaître les transgressions jtisqu'à V avènement de ce fils d'Abra­ham auquel la promesse avait été faite. Aussi elle a été donnée par le ministère des anges et l'entremise d'un médiateur, c'est-à-dire, selon la remarque de la giose (Glos. oui.), elle aété donnée dans l'ordre convenable, par conséquent à l'époque qui convenait.

CONCLUSION. — Il a été convenable que la loi ancienne fût donnée aux hommes du temps de Moïse pour qu'ils reconnussent leur faiblesse et qu'ils se préparassent plus parfaitement à recevoir la grâce divine.

Réponse Il faut répondre qu'il était très-convenable que la loi ancienne fût donnée au temps de Moïse. On peut en donner deux sortes de raison, parce qu'une loi s'impose à deux sortes d'hommes. Car on l'impose à ceux qui sont durs et orgueilleux pour les humilier et les dompter, et on l'impose aux bons pour les instruire et les aider à remplir leurs devoirs. Il a donc été convenable que la loi ancienne fut donnée à cette époque pour abaisser l'orgueil des hom­mes. Car l'homme s'enorgueillissait de deux choses, de la science et du pou­voir. De la science, comme si sa raison naturelle eût été suffisante pour le sauver; c'est pourquoi pour le guérir de son orgueil à ce sujet, Dieu l'aban­donna à sa propre raison sans le secours de la loi écrite, et il put faire l'expérience de la faiblesse de sa raison par l'entraînement avec lequel tous ses semblables se livrèrent à l'idolâtrie et à tous les crimes les plus hon­teux au temps d'Abraham. C'est pourquoi, après cette époque il fut né­cessaire que la loi écrite fût donnée^ pour remédier à l'ignorance des hom­mes, parce que la loi fait connaître le péché, comme le dit l'Apôtre (Rom. vu). Mais après que l'homme fut éclairé par la loi, son orgueil fut abattu par le sentiment de sa faiblesse, puisqu'il ne pouvait accomplir les devoirs qu'il connaissait. C'est pourquoi, comme le dit encore saint Paul (Rom. viii, 13), ce qu'il était impossible que la loi fit, à cause qu'elle était affaiblie par la

chair, Dieu envoya son propre Fils............. pour qu'il l'accomplit en nous. — A

l'égard des bons la loi leur a été donnée à titre de secours ; ce qui fut surtout nécessaire au peuple, quand la loi naturelle commençait à être obscurcie

(1) Saint Thomas traite la même question (part. III, quest. 2), quand il se demande pour­quoi l'Incarnation a été si longtemps différée.
\oyez à cet égard le Discours sur l'histoire universelle de Bossuet (Ile partie, suite de la re­ligion).
par le débordement des crimes. Car il fallait que ce secours fût donné dans un certain ordre, pour que le genre humain marchât de l'imparfait au parfait. C'est pour ce motif qu'entre la loi de nature et la loi de grâce il a fallu qu'il y eût la loi ancienne.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il n'était pas convenable que la loi ancienne fût donnée immédiatement après le péché du premier homme ; soit parce que l'homme, trop confiant dans sa raison, ne reconnaissait pas encore qu'il en avait besoin, soit parce que le dictamen de la loi naturelle n'avait pas encore été obscurci par l'habitude du péché.

2. Il faut répondre au second, qu'on ne doit donner une loi qu'à un peuple, puisque c'est un précepte général, comme nous l'avons dit (quest. xcvi, art. 1 ad 2). C'est pourquoi au temps d'Abraham, Dieu n'a donné aux hom­mes que quelques préceptes familiers et pour ainsi dire domestiques (i); mais plus tard, quand leurs descendants se furent multipliés au point de former un peuple et qu'ils furent sortis de servitude, il a été convenable que la loi leur fût donnée. Car, comme le dit Aristote (Pol. lib. m, cap. 3), les esclaves ne sont pas une partie du peuple ou de la cité qu'on doive sou­mettre à une loi.

3. Il faut répondre au troisième, que puisqu'il fallait que la loi fût donnée à un peuple, il n'y a pas que ceux dont le Christ devait naître qui l'ont reçue, mais elle a été reçue du peuple entier qui a été marqué du sceau de la cir­concision, qui était le signe de la promesse faite à Abraham et acceptée par sa foi, selon l'expression de l'Apôtre (Rom. iv). C'est pourquoi ilafallu qu'a­vant David la loi fût donnée au peuple qui était formé depuis longtemps.



QUESTION XCIX.

DES PRÉCEPTES DE LA LOI ANCIENNE.


Nous avons maintenant à nous occuper des préceptes de la loi ancienne ; et d'abord de leur distinction ; ensuite de chaque genre de préceptes en particulier. A l'égard de leur distinction il y a six questions à faire : 1* Y a-t-il dans la loi ancienne plusieurs préceptes ou n'y en a-t-il qu'un seui? — 2° La loi ancienne renferme-t-elle des pré­ceptes moraux ? — 3* Indépendamment des préceptes moraux, renferme-t-elle des préceptes cérémoniels? —4" Contient-elle en outre des préceptes judiciels? —5° Y a-t-il encore d'autres préceptes que ceux-là ? — g° De quelle manière la loi portait-elle à observer ces divers préceptes ?

ARTICLE I. — la loi ancienne ne renfermait-elle qu'un seul précepte?


Objections: 1. Il semble qu'il n'y avait dans la loi ancienne qu'un seul précepte. Car une loi n'est rien autre chose qu'un précepte, comme nous l'avons vu (quest. xc, art. 2 et 3). Or, la loi ancienne est une. Donc elle ne renferme qu'un seul précepte.

2. L'Apôtre dit (Rom. xiii, 6) : S'il y a un autre commandement, il est renfermé dans cette parole : Vous aimerez votre prochain comme vous- même. Or, ce commandement est un. Donc la loi ancienne n'en renferme qu'un seul.

3. Il est dit dans l'Evangile (Matth, vii, 12) : Faites aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fit à vous-même ; voilà la loi et les prophètes. Or, toute la loi ancienne est renfermée dans la loi et les prophètes. Donc elle ne com­prend qu'un seul précepte.

(I) C'est ce que fait observer avec détails Sua- rez, quand it recherche si avant la loi de Moïse il y a eu une loi positive divine (Voyez son Traité des lois, liv. ix, chap. I).

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Eph. ii, Io) que par sa doctrine il a aboli la loi chargée de tant de préceptes, et la glose fait remarquer qu'il s'a­git là de la loi ancienne. Donc cette loi renferme en elle une foule de pré­ceptes.

CONCLUSION. — Il n'y a dans la loi ancienne qu'un seul précepte par rapport à la lin de la loi qui est unique et qui consiste dans l'amour de Dieu et du prochain, mais il y a plusieurs préceptes en raison de la diversité des moyens qui monent à cette fin.

Réponse Il faut répondre qu'un précepte légal, pour être obligatoire, doit avoir pour objet une chose que l'on doit faire. L'obligation de faire une chose provient de la nécessité où l'on est d'atteindre une fin. Par conséquent il est de l'essence du précepte qu'il se rapporte à une fin, en ce sens que ce qu'il ordonne doit être nécessaire ou utile pour arriver à celte fin. Or, pour une même fin plusieurs choses peuvent être nécessaires ou utiles. Par con­séquent on peutàl'égard dedifférentes choses donner divers préceptes qui se rapportent à une seuleet mêmefin. Il fautdonc direque tous les préceptes de la loi ancienne sont un par rapport à leur fin qui est une, mais qu'ils sont mul­tiples en raison de la diversité des moyens qui se rapportent à cette fin.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que la loi ancienne est une, parce qu'elle n'a qu'une seule et même fin. Néanmoins elle ren­ferme divers préceptes selon la diversité des moyens qui mènent à cette fin. Comme l'art de bâtir est un par rapport à l'unité de la fin, puisqu'il a pour but la construction d'un édifice, mais il n'en renferme pas moins divers pré­ceptes, selon les différents actes qui s'y rapportent.

2. Il faut répondre au second, que, comme le dit l'Apôtre (I. Tim. i, 5), la fin du précepte est la charité. Car toute la loi a pour but d'inspirer aux hom­mes l'amour de leurs semblables ou l'amour de Dieu. C'est pourquoi toute la loi est renfermée dans ce seul précepte : Fous aimerez votre prochain comme vous-mêmes, parce qu'il est la fin de tous les autres. Car dans l'amour du prochain se trouve renfermé l'amo.ur de Dieu (1), quand on aime le pro- hain par rapport à Dieu. C'est pour ce motif que l'Apôtre réduit à ce seul pré­cepte les deux préceptes qui ont pour objet l'amour de Dieu et du prochain, dont le Seigneur a dit (Matth, xxii, 40) : Ces deux préceptes renferment toute la loi et les prophètes.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme le dit Aristote (Eth. lib. ix, cap. 8), l'amitié que l'on a pour autrui vient de l'amitié quel'homme a pour lui-même, c'est-à-dire que l'homme est pour les autres ce qu'il est pour lui-même. C'est pourquoi en disant : Faites aux autres ce que votis voudriez qu'on fit pour vous-mêmes, on explique une règle de l'amour du prochain qui est implicitement renfermée dans ces paroles (Math, xix, 29) : Fous aimerez votre prochain comme vous-même. Par conséquent c'est une explication de ce précepte (2).


ARTICLE II. — la loi ancienne renferme-t-elle des précettes moraux?


Objections: 1. Il semble que la loi ancienne ne renferme pas de préceptes moraux. Car la loi ancienne se distingue de la loi naturelle, comme nous l'avons vu (quest. xci, art. 4, et quest. xcvin, art. 5). Or, les préceptes moraux appar­tiennent à la loi'naturelie. Donc ils n'appartiennent pas à la loi ancienne.

2. La loi divine doit venir au secours de l'homme, quand la raison hu­maine lui fait défaut, comme on le voit dans les choses de foi qui sont su-

(2) C'est une explication de ce précepte plutôt qu'un précepte nouveau.
(1) Il renferme aussi l'amour que nous devons avoir pour nous, puisqu'il est dit que nous de­vons l'aimer comme nous-mêmes.
périeures à la raison. Or, la raison de l'homme parait suffire aux préceptes moraux. Donc ces préceptes ne font pas partie de la loi ancienne qui est une loi divine.

3. On dit que la loi ancienne est la lettre qui tue, comme on le voit (I. Cor. m). Or, les préceptes moraux ne tuent pas, mais ils vivifient, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps. cxvin, 93) : Je n'oublierai jamais vos justices, parce que c'est en elles que vous m'avez vivifié. Donc les préceptes moraux n'appartiennent pas à la loi ancienne.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Ecriture dit (Eccles. xvii, 9) : Il leur a prescrit une loi de discipline et les a rendus héritiers de la loi de vie. Or, la disci­pline appartient aux moeurs -, car par ces paroles de l'Apôtre : Omnis dis­ciplina, etc. (Ileb. xii), la glose dit que la discipline est la formation des moeurs par les moyens difficiles. Donc la loi que Dieu a donnée renfermait des préceptes moraux.

CONCLUSION. — Il a fallu que dans la loi ancienne il y eût pour la sanctification du peuple des préceptes concernant les actes de vertus, et ce sont ceux-là qu'on ap­pelle des préceptes moraux.

Réponse Il faut répondre que la loi ancienne renfermait des préceptes moraux, comme on le voit (Exod. xx) : Fous ne tuerez point. Fous ne volerez point. Et cela à juste titre. Car, comme la loi humaine a principalement pour but de porter les hommes à s'aimer les uns les autres, de même 'a loi divine se propose tout spécialement d'unir l'homme à Dieu. Mais la ressemblance étant la raison de l'amour, d'après cette parole de l'Ecriture (Eccles. xiii, 19) : Tout animal aime son semblable, il est impossible qu'il y ait amitié entre l'homme et Dieu qui est l'être le plus excellent, si les hommes ne devien­nent bons eux-mêmes. C'est pourquoi il est dit (Levit. xix, 2) : Fous serez saints, parce que je suis saint. Or, la bonté de l'homme est la vertu qui rend bon celui qui la possède. Il a donc fallu qu'il v eût des préceptes de la loi ancienne qui concernent les actes de vertu, et ce sont là les préceptes moraux qu'elle renferme.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la loi ancienne se distingue de la loi naturelle, non comme si elle lui était absolument étrangère, mais par­ce qu'elle lui ajoute quelque chose. Car comme la grâce présuppose la nature, de même il faut que la loi divine présuppose la loi naturelle.

2. Il faut répondre au second, qu'il était convenable que la loi divine vint au secours de l'homme non-seulement à l'égard des choses que la raison ne peut atteindre, mais encore à l'égard de celles qui peuvent être pour laraison humaine un embarras. Or, la raison humaine ne pouvait errer en général sur les préceptes moraux relativement aux préceptes les plus communs de la loi naturelle, quoique l'habitude du péché l'eût obscurcie par rapport aux actions particulières. Au contraire, touchant les autres préceptes mo­raux qui sont comme des conséquences déduites des principes généraux de la loi de nature, la raison d'une foule d'individus s'est trompée, de telle sorte qu'ils croyaient permises des choses qui sont mauvaises en elles-mêmes. Il a donc fallu que l'autorité de la loi divine vînt au secours de l'homme sous ce double rapport, comme on propose à notre foi non-seulement les choses auxquelles la raison ne peut atteindre, telles que le mystère de la Tri­nité, mais encore celles que la raison droite peut connaître, telles que l'unité de Dieu, afin d'éviter les erreurs dans lesquelles la raison d'un grand nombre est tombée.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme le prouve saint Augustin (Lib. despir. et litt. cap. 14), la lettre de la loi par rapport aux préceptes mo­raux tue occasionnellement, en ce sens qu'elle ordonne ce qui est bien, sans donner l'aide de la grâce pour l'accomplir (1).


ARTICLE III.—la loi ancienne contient-elle des préceptes cérémoniels, indépendamment des préceptes moraux?


Objections: 1. Il semble que la loi ancienne ne renferme pas de préceptes cérémo- niels indépendamment des préceptes moraux. Car toute loi qu'on donne aux hommes doit diriger les actes humains. Or, on appelle les actes hu­mains les actes moraux, comme nous l'avons dit (quest. i, art. 3). Il sem­ble donc que la loi ancienne qui a été donnée aux hommes ne doive ren­fermer que des préceptes moraux.

2. Les préceptes qu'on appelle cérémoniels semblent appartenir au culte divin. Or, le culte divin est un acte de vertu, c'est l'acte de la religion qui, comme le dit Cicéron (De invent. lib. ii), rend un culte à la nature divine et l'honore par des cérémonies. Par conséquent puisque les préceptes moraux ont pour objets des actes de vertus, comme nous l'avons dit (art. préc.), il semble qu'on ne doive pas distinguer de ces préceptes les préceptes céré­moniels.

3. II semble que les préceptes cérémoniels soient ceux qui signifient íigurativement quelque chose. Or, comme le dit saint Augustin (De doct. Christ, lib. ii, cap. 3 et 44), les paroles sont ce qui parmi les hommes signi­fie le mieux les choses. Donc il n' a pas été nécessaire de renfermer dans la loi des préceptes cérémoniels à l'égard de certains actes figuratifs.

En sens contraire Mais c'est 1e contraire. Moïse dit (Dent, iv, 13) : Le Seigneur vous fit con­naître les dix commandements qu'il écrivit sur les deux tables de pierre, et il m'ordonna en même ternies de vous apprendre les cérémonies et les ordon­nances que vous devez observer. Or, les dix commandements sont des pré­ceptes moraux. Donc indépendamment des préceptes moraux il y a encore d'autres préceptes cérémoniels.

CONCLUSION. — Puisque la loi ancienne mettait l'homme en rapport avec Dieu, ce qui se fait non-seulement par des actes intérieurs, mais encore par des actes exté­rieurs, il a été nécessaire qu'indépendamment des préceptes moraux elle renfermât des préceptes cérémoniels qui déterminassent le culte qu'on doit rendre à la divinité.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), la loi divine a principalement pour but de mettre les hommes en rapport avec Dieu, tandis que la loi humaine se propose tout spécialement de régler les rapports des hommes entre eux. C'est pour cela que les lois humaines ne se sont pas oc­cupées du culte divin, sinon par rapport au bien général de la société. C'est aussi pour ce motif qu'elles ont créé une foule de fictions à l'égard des choses divines, selon que leurs auteurs l'ont cru utile pour former les moeurs des hommes (2), comme on le voit par le rit des gentils. Laloi divine, au contraire, a mis les hommes en rapport entre eux, selon qu'il convenait à l'ordre qui tend vers Dieu et qui est son but principal. Or, l'homme se rapporte à Dieu non-seulement par les actes intérieurs de l'esprit qui sont la foi, l'es­pérance et l'amour, mais encore par des actes extérieurs qui attestent sa dépendance à l'égard de la Divinité, et on dit que ces actes appartiennent

(2) Et aussi pour maintenir la puissance que les prêtres exerçaient sur eux. Car il est à remar­quer que les prêtres du polythéisme se faisaient de la crédulité populaire un instrument de domina­tion et qu'ils ont dans ce dessein favorisé beaucoup les superstitions.
(I) Jansénius est tombé dans l'erreur la plus grave en disant que Dieu n'avait eu pour but, en donnant aux Juifs une loi, que de multiplier leurs péchés en leur prescrivant des choses qu'ils ne pouvaient observer, et d'hufnilier par là leur orgueil. Mais cette lin eût été indigne de Dieu, puisqu'elle eût été directement contraire à sa sainteté.
au culte de Dieu. Ce culte reçoit le nom de cérémonie, ce qui signifie présents de Cérés (munia Cereris) qu'on appelait la déesse des fruits, parce qu'on offrait à Dieu les prémices des récoltes, ou, comme le rapporte Valere Maxime (lib. i, cap. 1 num. 10), le mot de cérémonie a été employé pour si­gnifier le culte divin chez les Latins. Il vient de la ville de Caeres(1), près de Rome, parce qu'après la prise de cette dernière cité par les Gaulois, les Ro­mains ont offert en ce lieu des sacrifices et l'avaient tout particulièrement en vénération (2). C'est ainsi qu'on appelle tout spécialement préceptes céré- moniels les préceptes de la loi qui appartiennent au culte divin.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les actes humains s'étendent aussi au culte divin ; c'est pourquoi la loi ancienne qui a été donnée aux hommes renferme des préceptes à cet égard.

2. Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (quest. xciv, art. 4), les préceptes de la loi naturelle sont généraux et ont besoin d'être précisés. Us le sont par la loi humaine et par la loi divine. Et comme les déterminations qui proviennent de la loi humaine n'appartiennent pas à la loi naturelle, mais au droit positif, de même les déterminations des pré­ceptes de la loi naturelle, qui sont l'effet de laloi divine, se distinguent des préceptes moraux, qui appartiennent à la loi de nature. Par conséquent, puisque le culte de Dieu est un acte de vertu, c'est un précepte moral ; mais la détermination de ce précepte par exemple, si on doit lui offrir telles ou telles offrandes, tels ou tels présents, appartient aux préceptes cérémo- niels. C'est pourquoi on les distingue des préceptes moraux .

3. Il faut répondre au troisième, que, comme ledit saint Denis (De coel. hier. cap. i), les choses divines ne peuvent être manifestées aux hommes que sous des images sensibles. Or, les i mages frappent davantage l'esprit quand on ne les exprime pas seulement par paroles, mais qu'elles s'offrent encore aux sens. C'est pourquoi l'Ecriture ne nous fait pas seulement connaître les choses de Dieu par des paroles figurées, comme lorsqu'elle emploie des ex­pressions métaphoriques, mais elle a encore recours aux images des objets qu'elle place sous nos yeux ; ce qui appartient aux préceptes cérémoniels.


ARTICLE IV. — indépendamment des préceptes moraux et cérémoniels y a-t-il encore des préceptes judiciels?


Objections: 1. Il semble qu'indépendamment des préceptes moraux et cérémoniels il n'y ait pas dans l'ancienne loi de préceptes judiciels. Car saint Augustin dit (Cont. Faust, lib. vi, cap. 2, et lib. x, cap. 2, et lib. xix, cap. 18) que dans la loi ancienne il y avait des préceptes pour la vie qu'on devait mener, et des préceptes pour la vie qui devait être figurée. Or, les préceptes qui con­cernent la vie qu'on devait mener, sontles préceptes moraux, et les autres sont les préceptes cérémoniels. En dehors de ces deux genres de préceptes, la loi ne devait donc pas renfermer d'autres préceptes, comme les pré­ceptes judiciels.

2. Sur ces paroles du Psalmiste (cxvm) : Je ne vie suis pas écarté de vos jugements, la glose dit (Ord. Cassiod.), c'est-à-dire des choses que vous avez établies pour être ma règle de conduite. Or, la règle de conduite appar­tient aux préceptes moraux. Donc on ne doit pas distinguer les préceptes judiciels de ces préceptes.

3. Le jugement paraît être un acte de justice, d'après ces paroles du Psal-

(1) Ceres ou Coerit était une petite rille d'E- truric qui existait encore du temps de Strakon.
gile parait y faire allusion (Encid. lib. viii, v. 5!)7). Mais Macrobc fait Tenir ce même mot de carere, manquer (Salum, lib. ni, cap. S)-
(2) Aulu-Gelle (lib. IV, cap. 9) est d'accord avec Valere Maxime sur cette étyniologie, et Vir­miste (xciii, 15) : Jusqu'à ce que la, justice de Dieu fasse éclater son juge­ment. Or, l'acte de la justice, comme l'acte des autres vertus, appartient aux préceptes moraux. Donc ces préceptes renferment en eux les préceptes judiciels, et on ne doit pas par conséquent les en distinguer.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est écrit (Dent, vi, 1) : Tels sont les préceptes, les cérémonies et les jugements. Or, ceux qu'on appelle préceptes par anto­nomase, ce sont les préceptes moraux. Par conséquent indépendamment de ces préceptes il v a les préceptes cérémoniels et judiciels.

CONCLUSION. — Indépendamment des préceptes moraux et cérémoniels, on a a jouté des préceptes j udiciels qui ont pour objet de faire observer la justice parmi les hommes.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 2 et 3), il appartient à la loi divine d'ordonner les hommes entre eux et par rapport à Dieu. Ces deux choses considérées en général appartiennent l'une et l'autre au dictamen de la loi de nature, auquel les préceptes moraux se rapportent. Mais il faut que l'une et l'autre soient déterminées par la loi divine ou la loi humaine, parce que les principes qu'on connaît naturellement sont généraux aussi bien dans les sciences spéculatives que dans les sciences pratiques. Par consé­quent comme les préceptes cérémoniels précisent le précepte général qui regarde le culte divin ; de même les préceptes judiciels précisent et déter­minent le précepte général, qui concerne la justice que les hommes doivent observer entre eux. — Ainsi il faut donc que la loi ancienne renferme trois préceptes : les préceptes moraux qui relèvent du dictamen de la loi natu­relle (1), les préceptes cérémoniels qui déterminent le culte divin, et les pré­ceptes judiciels qui déterminent la justice qu'on doit observer parmi les hommes. Aussi, après avoir dit (Rom. vu) que la toi est sainte, l'Apôtre ajoute que ses préceptes sont justes, bons et saints; justes, par rapport aux préceptes judiciels ; saints, par rapport aux préceptes cérémoniels (car on appelle saint ce qui a été dédié à Dieu) -, bons ou honnêtes par rapport aux préceptes moraux.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les préceptes moraux, aussi bien que les préceptes judiciels, ont pour but de diriger la conduite de l'homme. C'est pourquoi ils sont renfermés l'un et l'autre sous le premier membre de la phrase de saint Augustin, c'est-à-dire qu'ils sont compris parmi les préceptes qui doivent régler la conduite.

2. Il faut répondre au second, que le jugement (judicium) signifie l'exécution de la justice. Cette exécution résulte de l'application de la raison à des cas particuliers; par conséquent les préceptes judiciels ont ceci de commun avec les préceptes moraux, c'est qu'ils découlent de la raison, et ils ont cela de commun avec les préceptes cérémoniels, c'est qu'ils sont une déter­mination des préceptes généraux. C'est pourquoi on comprend quelquefois les préceptes judiciels et les préceptes moraux sous le mot judicia; comme dans ce passage (Deut. v, 1) : Ecoute, Israël, les cérémonies et les jugements (judicia). D'autres fois on renferme sous le même mot les préceptes judiciels et les préceptes cérémoniels, comme dans cet endroit (Lev. xviii, 4) : Vous suivrez mes jugemen ts et vous observerez mes préceptes. Ici le mot précepte se rapporte aux préceptes moraux, et le mot jugement aux préceptes judi­ciels et cérémoniels.

3. Il faut répondre au troisième, que l'acte de la justice en général appartient

(1 ) Los préceptes moraux sont les préceptes gé­néraux qui sont gravés en nous par la main de la nature, et qui sont aux autres préceptes ce que les principes sont aux conséquences.
C'est pourquoi il est dit (Dent, x, 12) : Maintenant donc, Israël, qu'est-ce que le Seigneur votre Dieu demande de vous, sinon que vous le craigniez, que vous marchiez dansses voies et que vous l'aimiez? Or, le désir des cho­ses temporelles éloigne de Dieu; car saint Augustin dit (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 36) que la cupidité est le poison de la charité. Par conséquent les promesses et les menaces temporelles paraissent contraires au but du lé­gislateur ; ce qui rend la loi blâmable, comme le dit Aristote (Polit, lib. n, cap. 7).

2. La loi divine l'emporte sur la loi humaine. Or, nous voyons dans les sciences que plus une science est élevée, plus les moyens par lesquels elle procède le sont aussi. Donc puisque la loi humaine emploie les menaces et les promesses temporelles pour agir sur les hommes, la loi divine n'aurait pas dû procéder de la sorte, mais elle aurait dû employer des moyens plus élevés.

3. qui arrive également aux bons et aux méchants ne peut être la ré­compense de la justice ou la peine du péché. Or, comme le dit l'Eeclésiaste (ix, 2), Tout arrive également au juste et à l'injuste, au bon et ail méchant, au pur et à l'impur, o celui qui immole des victimes et à celui qui méprise les sacrifices. Donc il n'était pas convenable d'assigner les biens et les maux temporels comme la récompense ou la punition de ceux qui observent ou qui n'observent pas les préceptes de la loi de Dieu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Is. i, 19) : Si vous voulez m'écou- ter, vous serez rassasiés des biens de la terre. Si vous ne le. voulez pas et si vous m'irritez contre vous, le glaive vous dévorera.

CONCLUSION. — Il était convenable que la loi ancienne se servit des promesses et des menaces temporelles pour mener à Dieu des hommes qui n'avaient d'affection que pour les biens terrestres et passagers.

Réponse Il faut répondre que, comme dans les sciences spéculatives les hommes sont portés à donner leur assentiment aux conséquences par l'intermédiaire du raisonnement, de même dans toutes les lois les hommes sont portés à en observer les préceptes par les récompenses et les peines. Or, nous voyons que dans les sciences spéculatives on fait usage d'arguments proportionnés à l'intelligence de celui qu'on instruit. Par conséquent comme il faut dans les sciences procéder avec ordre, en partant de ce qu'il y a de plus connu, de même il faut que celui qui veut porter les hommes à observer des pré­ceptes commence par les toucher d'après ce qu'ils ont le plus à coeur. C'est ainsi qu'on engage les enfants à faire quelque chose en leur donnant de petits présents. D'ailleurs nous avons vu (quest. xcvhi, art. 1, 2 et 3) que la loi ancienne disposait àl'avénement du Christ, comme l'imparfait mène au parfait. Elle a donc été donnée à un peuple qui était encore imparfait com­parativement à la perfection qu'il devait avoir par le Christ. C'est pour­quoi saint Paul compare la nation juive à un enfant qui est sous un maître (Gai. iii). Or, la perfection de l'homme exige qu'il méprise les biens tem­porels pour s'attacher aux biens spirituels, comme on le voitpar ces paroles du même Apôtre (Philipp. m, 13) : Oubliant ce qui est derrière moi, je m'a­vance vers ce qui est devant moi               et tout ce que nous sommes cle parfaits,

nous devons avoir le même sentiment. Il appartient au contraire aux impar­faits de désirer les biens temporels, mais par rapport à Dieu; tandis que c'est aux méchants à placer leur lin dans ces mêmes biens. Par conséquent, il était convenable que la loi ancienne se servit des biens temporels que les hommes imparfaits avaient profondément en affection, pour mener ces mêmes hommes à Dieu.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la cupidité qui fait que l'homme place sa fin dans les biens temporels est le venin de la charité. Mais l'acquisition des biens temporels que l'homme désire par rapport a Dieu est une voie qui mène les imparfaits à l'amour divin, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps. xlviii, 19) : II vous bénira quand vous lui ferez du bien.

2. II faut répondre au second, que la loi humaine agit sur les hommes au moyen de peines ou de récompenses temporelles que les hommes eux-me- mes ont déterminées; tandisque la loi divine est sanction née par des récom­penses ou des peines qui viennent de Dieu ; par conséquent ses moyens sont plus élevés.

3. II faut répondre au troisième, que, comme on le voit en parcourant les récits de l'Ancien Testament, le peuple en général fut toujours dans un état prospère tant qu'il observait la loi; et aussitôt qu'il s'écartait de ses pré­ceptes, il tombait dans une multitude de malheurs. Mais il y avait de simples particuliers qui observaient parfaitement la loi et qui étaient mal­heureux , soit parce qu'ils étaient déjà spirituels et qu'en les privant des biens temporels c'était le moyen d'éprouver leur vertu, soit parce queceux qui accomplissaient extérieurement les oeuvres de la loi avaient le coeur tout entier attaché aux biens temporels et éloigné de Dieu, d'après ces paro­les d'Isaïe (Is. xxix, 13) : Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi.



QUESTION C.

DES PRÉCEPTES MORAUX DE L'ANCIENNE LOI.


Nous avons maintenant à nous occuper de chacun des genres de préceptes que la loi ancienne renfermait. Nous parlerons d'abord des préceptes moraux, ensuite des préceptes cérémoniels et enfin des préceptes judiciels. A l'égard des préceptes moraux il y a douze questions à faire : 1° Tous les préceptes moraux de la loi ancienne appartiennent-ils à la loi naturelle? — 2° Les préceptes moraux ont-ils pour objets les actes de toutes les vertus? — 3° Tous les préceptes moraux de la loi ancienne reviennent-ils aux dix préceptes du Décalogue? — 4° De la distinction des préceptes du Décalogue. - 5° De leur nombre. — 6° De leur ordre. — 7° De la manière dont ils ont été prescrits. — 8° Peut-on en dispenser ? — 9° Le mode d'observer la vertu est-il de précepte ? – 10° Le mode de la charité tombe-t-il sous le précepte ? — 11° De la distinction des autres préceptes moraux. — 12° Les préceptes moraux de l'ancienne loi justifient-ils?



I-II (trad. Drioux 1852) Qu.98 a.6