I pars (Drioux 1852) Qu.18 a.2

ARTICLE II — la vie est-elle une opération (1)?


(1) Cette question fondamentale es! un des plus grands problèmes que puissent discuter les psychologues et les naturalistes.


Objections: 1.. Il semble quela vie soit une espèce d'opération. Car il n'y a de division possible qu'autant qu'on se renferme dans le genre de la chose que l'on divise. Or, on divise la vie d'après certaines opérations, comme le dit Aristote (De anima, lib. ii, text. 13), qui distingue dans la vie quatre choses : la nutrition, la sensation, la locomotion et l'intelligence (2). Donc la vie est une sorte d'opération.

(2) Ces quatre grandes divisions dans les facultés qui constituent la vie sont reconnues et admises par la science moderne, qui n'a point eu à les modifier (V. Mulier. Manuel de physiologie, t. I, p. 5">).

2.. On dit que la vie active est autre que la vie contemplative. Or, on ne distingue les contemplatifs de ceux qui mènent la vieactiveque par certaines opérations. Donc la vie est une sorte d'opération.

3.. Connaître Dieu est une sorte d'opération. Or, la vie, d'après saint Jean, consiste à connaître le seul vrai Dieu (Joan, xvii, 3). Donc la vie est une opération.


Mais c'est le contraire. Aristote a dit (De anima, lib. n, text. 37) : Vivre, pour les êtres qui vivent, c'est être.

CONCLUSION. — Le mot vie signifie dans son sens propre la substance et l'être des choses qui se meuvent, quelquefois on l'emploie improprement pour exprimer une opération vitale.

Il faut répondre que, tel que nous l'avons dit (quest. préc. art. 3), notre intelligence qui connaît la quiddité ou l'essence des choses comme son objet propre et direct, reçoit ses connaissances des sens qui ont pour objets propres les accidents extérieurs. C'est ce qui fait que nous ne connaissons l'essence des choses que parles apparences qui nous frappent extérieurement. Et comme nous donnons aux choses des noms qui sont en rapport avec la connaissance que nous en avons, ainsi que nous l'avons démontré (quest. xiii, art. 1), il arrive que la plupart des mots que nous employons pour désigner l'essence des choses sont empruntés à leurs propriétés extérieures. C'est pourquoi ces mots sont pris quelquefois dansdeur sens propre, et alors ils expriment l'essence des choses qu'on a voulu leur faire signifier; quelquefois ils ne désignent que les propriétés auxquelles ils sont empruntés, et dans ce cas ils sont employés dans un sens plus impropre. C'est ainsi que le mot corps est pris pour exprimer la substance corporelle bien qu'il vienne des trois dimensions qui accompagnent cette substance et qu'il soit ainsi une espèce de quantité. — Il en faut dire autant de la vie. Car le mot vie est emprunté de l'apparence extérieure qu'ont les choses vivantes, c'est-à-dire de leur mouvement spontané. Il n'a cependant pas été créé pour exprimer ce mouvement, mais pour désigner les substances qui se meuvent naturellement d'elles-mêmes (1), ou qui se portent de quelque manière vers l'action. D'après cela, vivre n'est rien autre chose que d'exister avec une telle nature ; seulement le mot vie exprime d'une manière abstraite cette façon d'existence, comme le mot course exprime abstractivement l'action de courir. D'où l'on voit que le mot vivant n'est pas un prédicat accidentel, mais un prédicat substantiel. Quelquefois le mot vie est pris dans un sens plus impropre pour les opérations vitales auxquelles il est emprunté. C'est ainsi qu'Aristote dit (Eth. lib. ix, cap. 9) que vivre c'est surtout sentir ou comprendre.

(1) Cuvier définit la vie : le mouvement des molécules qui entrent et qui sortent pour entretenir le corps de l'animal. Il la réduit ainsi à l'état de nutrition, mais il regarde la sensibilité et le mouvement comme les caractères les plus influents pour classer les animaux (V. Règne animal, t. I, p. H et suiv.).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'Aristote prend dans cette circonstance le mot vivre comme exprimant une action ou une opération vitale. Ou plutôt il serait mieux de dire que sentir et comprendre sont pris tantôtpour des opérations, tantôt pour l'être même des choses qui sentent et qui comprennent. Car Aristote dit (Eth. lib. ix, cap. 9) que vivre c'est sentir ou comprendre, c'est-à-dire avoir une nature capable de sentiment ou d'intelligence, et dans ce sens il distingue quatre sortes d'êtres vivants. En. effet, si nous jetons un regard sur les êtres qui forment l'univers, nous voyons des êtres vivants qui usent seulement d'aliments, et qui ne sont susceptibles que de croître et de décroître en se reproduisant; d'autres n'ont que le sentiment et sont absolument immobiles, comme les huîtres ; d'autres ont de plus la propriété de se mouvoir et d'aller d'un lieu dans un autre, comme les quadrupèdes, les oiseaux, et en général tous les animaux parfaits ; d'autres ont en outre la faculté de penser, comme l'homme.

2. Il faut répondre au second, qu'on appelle oeuvres vitales celles dont le principe est dans le sujet qui les produit, de telle sorte qu'il est porté de lui-même à faire ces actions. Or, il arrive que dans les hommes non-seulement il y a des principes naturels, tels que leurs facultés natives, qui leur font produire invinciblement tels ou tels actes, mais l'éducation forme encore en eux certaines inclinations qui les portenta différentes espèces d'actions qui leur deviennent pour ainsi dire naturelles, et qu'ils trouvent d'ailleurs très-agréables. C'est pourquoi ces actions, qui sont agréables à l'homme, pour lesquelles il a une inclination très-prononcée, qui sont le moyen et le but de son existence, sont appelées par analogie sa vie. Ainsi, on dit des uns qu'ils mènent une vie débauchée, et des autres qu'ils mènent une vie honnête. Dans le même sens on distingue la vie active de la vie contemplative, et on dit aussi que la vie éternelle consiste à connaître Dieu.

3. La réponse au troisième argument devient par là même évidente.

ARTICLE III. ¦— est-il convenable d'attribuer a dieu la vie (2) ?


(2) Les deux articles précédents ne sont que des préliminaires qui mènent à la question traitée ici. Saint Thomas y explique rationnellement le sens qu'on doit attacher à cis paroles de l'Eci-i-ture : Tu es Christus, Filius Dei vivi (Matth, xvi). Speramus in Deum vivum (I. Tim. iv). Cor meum, etc.


Objections: 1.. Il semble qu'on ne puisse pas dire que Dieu est vivant. Car on dit d'un être qu'il vit parce qu'il se meut, comme nous l'avons vu (art. préc). Or, Dieu ne se meut pas et ne peut être mû. Donc on ne peut pas dire qu'il vit.

2.. Tous les êtres qui vivent ont reçu un principe de vie. Car il est dit dans Aristote (De anima, lib. ii, text. 31) que l'âme est le principe et la cause de la vie du corps. Or, Dieu n'a pas de principe. Donc il n'est pas convenable de dire qu'il vit.

3.. Dans les choses vivantes qui sont autour de nous, le principe de vie est l'âme végétative qui ne peut exister que dans les êtres matériels. Donc il n'est pas convenable d'attribuer la vie aux choses spirituelles.


Mais c'est le contraire. Il est dit dans les Psaumes : Mon coeur et ma chair brûlent d'ardeur pour le Dieu vivant (Ps. lxxxhi, 8).

CONCLUSION. — La nature de Dieu étant son intelligence même, il a par là même la vie en lui au degré le plus élevé.

Il faut répondre que la vie est en Dieu de la manière la plus propre et la plus excellente. En effet, si la vie consiste dans le mouvement spontané des êtres, et non dans le mouvement qu'ils reçoivent des causes extérieures, plus ce mouvement spontané est parfait, et plus est développée la vie qu'on trouve en eux. Or, dans les êtres qui se meuvent et qui sont mus on distingue trois choses. Il y a d'abord la fin, qui est le mobile de l'agent ; ensuite la forme, qui est le moyen par lequel l'agent principal agit, et T'instrument, qui ne produit rien en vertu de sa forme, mais qui emprunte toute son action à la vertu de l'agent principal. L'instrument ne fait qu'exécuter l'action. Or, il y a des êtres qui se meuvent et qui se bornent à exécuter leur mouvement ; c'est la nature qui déterminé en eux la forme par laquelle ils agissent, et la fin qui est le but de leur action. Telles sont les plantes, qui d'après la forme que la nature leur a imposée se meuvent suivant qu'elles croissent ou décroissent. Il y en a d'autres qui se meuvent, mais qui ne se bornent pas à exécuter leur mouvement. Ils acquièrent par eux-mêmes la forme qui en est le principe. Tels sont les animaux, dont les mouvements ont pour principe une forme qui ne leur est pas imposée par la nature, mais qu'ils ont reçue par l'intermédiaire de leurs sens. C'est pourquoi plus leurs sens sont développés et plus ils ont de facilité pour se mouvoir. Car les animaux qui n'ont pas d'autres sens que celui du tact, ne se meuvent qu'en se dilatant ou en se resserrant, comme font les huîtres qui n'ont guère plus de mouvement que les plantes. Au contraire, ceux qui ont les sens assez développés pour connaître non-seulement ce qu'ils touchent et ce qui est près d'eux, mais encore ce qui est éloigné, se dirigent d'eux-mêmes vers les objets qui sont dans l'éloignement, et y tendent directement. — Cependant, quoique les animaux reçoivent des sens la forme qui est le principe de leur mouvement, ils ne déterminent pas par eux-mêmes la fin de leurs actions, mais elle leur est imposée par la nature, qui les pousse instinctivement à agir d'après la forme que leurs sens ont perçue (1). Il faut donc considérer comme supérieurs aux animaux les êtres qui se meuvent eux-mêmes en vue d'une fin qu'ils ont eux-mêmes choisie. Ce qui ne peut se faire au reste que par la raison et par l'intelligence, qui seule connaît le rapport de la fin et des moyens, et qui sait ordonner entre eux tous les êtres. — D'où il résulte que la meilleure manière de vivre est celle des êtres intelligents. Car ils se meuvent plus parfaitement. Ce qui le prouve, c'est que dans l'homme la force intellectuelle commande les puissances sensitives, et que celles-ci commandent aux organes qui exécutent les mouvements. C'est ainsi que dans les arts nous voyons, par exemple, l'art de la navigation commander à celui qui détermine la forme du navire, et celui-ci au manoeuvre qui ne fait que préparer les matériaux. Mais, quoique notre esprit se conduise quelquefois par lui-même, cependant il y a des circonstances où il est dominé par la nature. Ainsi, il reçoit d'elle les premiers principes qu'il ne peut pas changer, et sa fin dernière qu'il ne peut pas ne pas vouloir. Par conséquent, si dans certains cas il agit par lui-même, dans d'autres il reçoit l'impulsion d'une cause extérieure. — Par conséquent l'être dont la nature est l'intelligence même, et qui n'est soumis pour ses actions à aucune cause étrangère, est celui qui possède la vie au souverain degré. Or, cet être est Dieu. Donc Dieu vit de la vie la plus haute. C'est pourquoi Aristote dit (Met. lib. xii, text. SI) qu'une fois qu'il est démontré que Dieu est intelligent, on est en droit de conclure qu'il possède une vie parfaite et éternelle, parce que l'intelligence qu'on lui attribue est nécessairement parfaite elle-même et toujours en acte.

(1) Ainsi on voit que saint Thomas ne reconnaît aux animaux aucune espèce tic liberté, bien qu'il leur reconnaisse le sentiment.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit Aristote (Met. lib. ix, text. 16), il y a deux sortes d'action. L'une qui se produit au dehors, comme chauffer, couper. L'autre qui est immanente clans le sujet qui la produit, comme comprendre, sentir et vouloir. Ces deux sortes d'action diffèrent entre elles dans le sens que la première perfectionne l'objet qui est mû et non le sujet qui meut, tandis que la seconde est une perfection pour le moteur lui-même. Le mouvement étant l'acte d'un être mobile, cette seconde espèce d'action est appelée mouvement parce qu'elle est l'acte d'un être actif. Cette analogie repose sur ce que le mouvement est l'acte d'un être qui se meut, comme cette seconde sorte d'action est l'acte de l'être qui agit. On donne ainsi le nom de mouvement à ces deux opérations, quoique le mouvement proprement dit soit l'acte de l'être imparfait qui n'existe qu'en puissance, tandis que cette seconde sorte d'action est l'acte de l'être parfait qui existe en acte, comme l'observe Aristote (De anima, lib. m, text. 28). Ainsi donc, comprendre étant une espèce de mouvement, on dit que ce qui se comprend se meut. C'est dans ce sens que Platon suppose que Dieu se meut lui-même, mais il n'entend pas par là cette espèce de mouvement qui est l'acte de l'être imparfait.

2. Il faut répondre au second, que comme Dieu est son être et son intelligence, il est aussi sa vie, et que pour ce motif il vit sans avoir aucun principe de vie (1).

(1) C'est-à-dire sans aucun principe extérieur.

3. Il faut répondre au troisième, que dans les êtres d'un ordre inférieur, la vie a pour sujet une nature corruptible, qui a besoin de la génération pour la conservation de l'espèce et d'aliments pour la conservation des individus. C'est pourquoi la vie n'existe pas dans ces êtres sans une âme végétative, mais il n'en est pas de même des choses incorruptibles.


ARTICLE IV. — toutes les choses sont-elles vie en dieu (2)?


(2) Cette question a pour objet (l'expliquer ce passage de saint , Quod factum est in ipso vita erat. En expliquant ces paroles, saint Thomas montre le rapport intime que tous les êtres ont avec Dien, et il évite les excès dans lesquels se jette le panthéisme.


Objections: 1.. Il semble que tout ne soit pas vie en Dieu. Car il est dit aux Actes des apôtres (Act. xvii, 28) : Nous vivons, nous nous mouvons et nous existons en Dieu. Or, tout n'est pas mouvement en Dieu. Donc tout n'est pas vie en lui.

2.. Tous les êtres existent en Dieu comme dans leur premier modèle. Donc, puisqu'ils ne vivent pas tous en eux-mêmes, il semble qu'ils n'aient pas tous vie en Dieu.

3.. Comme le dit saint Augustin [De ver. rei. cap. 29), une substance qui vit est meilleure qu'une substance qui ne vit pas. Si les créatures qui n'ont pas la vie en elles-mêmes sont vivantes en Dieu, il semble qu'elles seront alors plus vraies en Dieu qu'en elles-mêmes. Ce qui paraît faux, puisqu'en elles-mêmes elles sont en acte, tandis qu'en Dieu eiles n'existent qu'en puissance.

4.. Comme Dieu connaît ce qui est bien et ce qui doit exister à une époque quelconque, de même il sait aussi ce qu'il peut faire, mais ce qu'il ne fera jamais. Si donc les choses ont vie en Dieu précisément parce qu'il les connaît, il semble que les choses mauvaises et celles qu'il ne fera jamais aient vie en lui, puisqu'il les sait. Ce qui semble répugner.


Mais c'est le contraire. Car saint Jean dit : Tout ce qui a été fait était vie en lui (Joan, i, 4). Or, tout à l'exception de Dieu a été fait. Donc tout est vie en lui.

CONCLUSION. — La vie de Dieu étant son intelligence, tout ce qu'il comprend a vie en lui.

Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc), la vie de Dieu étant son intelligence ; son esprit, la chose qu'il comprend et l'acte par lequel il la comprend, sont en lui une seule et même chose. Par conséquent tout ce qui est en lui comme chose comprise est sa vie, et par là même que ce qu'il a fait est en lui de cette manière, il s'ensuit que tout est en lui sa vie divine elle-même (1).

(1) Comme le dit l'Ecole : toutes les choses créées sont en Dieu son essence créatrice.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les créatures sont en Dieu de deux manières. Elles y sont d'abord dans le sens que c'est sa vertu divine qui les contient et qui les conserve. C'est ainsi que nous disons que tout ce qui est en notre pouvoir est en nous. On dit donc que les créatures sont en Dieu selon qu'elles existent dans leurs propres natures. Et c'est ainsi qu'il faut entendre ces paroles de l'Apôtre : Nous vivons, nous nous mouvons et nous existons en Dieu ; ce qui signifie que Dieu est la cause de notre vie, de notre être et de nos mouvements. On dit aussi que les choses sont en Dieu comme un objet connu peut être dans le sujet qui le connaît. Dans ce sens elles sont en Dieu par leurs raisons propres qui ne sont d'ailleurs rien autre chose que l'essence divine elle-même. Par conséquent les choses, selon qu'elles sont ainsi en Dieu, sont son essence, et comme l'essence divine est la vie et non le mouvement, il s'ensuit que, d'après cette manière de parler, les choses ne sont pas le mouvement, mais la vie en Dieu.

2. Il faut répondre au second, que ce qui est fait d'après un modèle doit ressembler à ce modèle selon la nature de la forme, mais non par rapport à la manière d'être (2). Car la forme a une autre manière d'être dans le modèle et dans l'objet qui en est imité. Ainsi la forme d'une maison est quelque chose d'immatériel et d'intellectuel dans l'esprit d'un architecte, tandis que dans la maison même qui existe hors de la pensée de l'ouvrier qui l'a bâtie, cette forme est sensible et matérielle. C'est pourquoi les raisons des choses qui ne vivent pas en elles-mêmes ont vie en Dieu, parce que dans l'intelligence divine elles ont l'être divin.

(2) Cette distinction détruit l'erreur d'Amauri, qui disait : Sicut alterius naturae non est Abraham et alterius Isaac, sed unius et eiusdem; sic omnia esse unum et omnia esse Deum.

3. Il faut répondre au troisième, que si la forme seule était de l'essence des choses naturelles et que la matière n'en fût pas, ces choses seraient plus vraies de toutes les manières dans l'intelligence divine qui les connaît par leurs idées qu'en elles-mêmes. C'est pour cela que Platon a supposé que l'homme idéal était l'homme véritable, tandis que l'homme matériel n'était homme que par participation. Mais la matière étant de l'essence des choses naturelles, il faut dire qu'elles ont un être, absolument parlant, plus vrai (1) dans l'intelligence divine qu'en elles-mêmes. Car en Dieu elles ont un être incréé, tandis qu'en elles-mêmes elles ont un être créé. Mais quant à leur existence individuelle, comme celle de l'homme ou du cheval, elles ont un être plus vrai dans leur nature qu'en Dieu, parce que pour être vraiment homme ou cheval il faut à l'être une existence matérielle qui n'est pas en Dieu. Ainsi une maison a une manière d'être plus noble dans la pensée de l'ouvrier que dans la matière qui doit la construire. Cependant quand elle existe matériellement elle a une existence plus vraie que quand elle n'est qu'en pensée, parce que dans le premier cas elle est en acte et dans le second en puissance.

(1) Elles ont un être plus vrai; c'est-à-dire elles existent plus véritablement. Cette dernière locution est moins littérale, mais elle eût peut-être mieux rendu le sens de la pensée.

4. Il faut répondre au quatrième, que quoique les choses mauvaises soient sues de Dieu et que sa science les comprenne, elles ne sont cependant pas en lui, comme les êtres qu'il a créés, qu'il conserve et qui ont en lui leurs raisons d'être. Car Dieu connaît le mal par le bien, et on ne peut pas dire par conséquent que le mal soit sa vie. Quant aux choses qui ne doivent jamais exister, on peut dire qu'elles sont la vie de Dieu comme on dit que sa vie est son intelligence, puisqu'il les comprend. Mais on ne peut pas le dire si on entend par vie quelque chose qui implique un principe d'action.



QUESTION XIX. : DE LA VOLONTÉ DE DIEU.


Après avoir examiné ce qui a rapport à la science de Dieu, nous avons à considérer ce qui regarde sa volonté. Nous traiterons donc 1° de sa volonté, 9." de ce qui se rapporte absolument à la volonté, 3" de ce qui concerne l'intelligence dans ses rapports avec la volonté. — A l'égard de la volonté divine elle-même, douze questions se présentent : 1" En Dieu y" a-t-il volonté ? — 2° Dieu veut-il des choses différentes de lui-même? — 3° Tout ce que Dieu veut, le veut-il nécessairement? — 4" La volonté de Dieu est-elle la cause des choses? — 5° Peut-on assigner une cause à la volonté de Dieu? — 6" La volonté de Dieu s'accomplit-elle toujours ? — 7° La volonté de Dieu est-elle changeante ? — 8" La volonté de Dieu rend-elle nécessaires les choses qu'elle veut ? — 9u Dieu veut-il les choses mauvaises ? — 10° Dieu a-t-ii le libre arbitre ? — il" Faut-il distinguer en Dieu ce qu'on appelle la volonté de signe? — 12" Est-il convenable de distinguer à l'égard de la volonté divine cinq signes ?


ARTICLE I. — ï a-t-il en dieu volonté (2) ?


(2) L'Ecriture est très-formelle à cet égard, indépendamment du texte cité par saint Thomas, on peut encore indiquer les passages suivants (Ps. cxin) : Omnia quaeeumque voluit fecit. (Ezech. xviii) : Numquid voluntatis meae est mors impii, dicit Dominus. Esth. xiii : Domine, Rex omnipotens, in ditione tua cuncta sunt posita, et non est qui possit resistere voluntati tuae.


Objections: 1.. Il semble qu'en Dieu il n'y ait pas volonté. Car l'objet de la volonté est la fin et le bien. Or, on ne peut pas assigner à Dieu une fin. Donc il n'y a pas en lui volonté.

2.. La volonté est une espèce d'appétit. Or, l'appétit ayant pour objet une chose qu'on n'a pas, suppose une imperfection qui ne peut être en Dieu. Donc il n'y a pas volonté en lui.

3.. D'après Aristote (De anima, Mb. ni, text. 54), la volonté est un moteur qui est mû (1). Or, Dieu est le premier moteur immobile, comme le prouve également ce philosophe (Phys. lib. viii, text. 49). Donc il n'y a pas volonté en lui.

(1) Car, comme le dit Aristote lui-même, ce qui appeto est mù, en tant qu'il appâte, et l'ap-pétition est une sorte de mouvement, en tant qu'elle est un acte (De an. lib. III, cap. 10, g 2).


Mais c'est le contraire. Car l'Apôtre adit : Afin que vous témoigniez quelle est la volonté de Dieu (Rom. xii, 2).

CONCLUSION. — La volonté étant la conséquence de l'intelligence, il faut qu'en Dieu il y ait volonté puisqu'il y a en lui intelligence.

Il faut répondre qu'en Dieu il y a volonté comme il y a intelligence. En effet la volonté est la conséquence de l'intelligence. Car comme toute créature reçoit son être en acte de sa forme, de même l'intelligence est mise en acte par sa forme intelligible. Or, tout être est ainsi disposé à l'égard de sa forme naturelle , que quand il ne l'a pas il aspire et tend vers elle, et que lorsqu'il l'a il s'y repose. Il en est de même pour toute perfection naturelle, c'est-à-dire pour tout ce qui est bon dans la nature. Et c'est cette inclination vers ce qui est bon qui s'appelle appétit naturel dans les êtres qui sont dépourvus de connaissance. Par conséquent l'intellect a naturellement une disposition analogue envers le bien perçu par sa forme intelligible. Quand il le possède, il se repose en lui ; quand il ne l'a pas, il le recherche, et c'est précisément dans ces deux choses que consiste la volonté. Donc il y a volonté dans tout être qui a une intelligence, comme il y a un appétit animal dans tout être qui a des sens. Ainsi puisqu'il y a en Dieu intelligence il faut qu'il y ait en lui volonté. Et comme son intelligence est son être, sa volonté l'est aussi.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoiqu'il n'y ait rien en dehors de Dieu qui soit sa fin, il est néanmoins la fin de tous les êtres qu'il a créés, et il l'est par son essence, puisqu'il est bon par son essence, comme nous l'avons prouvé (quest. xvi, art. 3). Car la fin est déterminée par la bonté.

2. Il faut répondre au second, qu'en nous la volonté appartient à l'appétit, et quoiqu'elle tire de là son nom (2), elle ne consiste pas seulement à désirer ce qu'elle n'a pas, mais encore à aimer ce qu'elle.a et à s'y délecter. C'est sous ce rapport qu'il y a en Dieu une volonté qui est toujours en possession du bien qui est son objet, puisque le bien n'est rien autre chose que son essence, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

(2) Aussi, dans saint Thomas comme dans Aristote, la volonté est-elle appelée souvent du nom d'appétit intelligentiel.

3. Il faut répondre au troisième, que la volonté qui a pour objet principal un bien qui est en dehors d'elle, a besoin d'être mue par une cause étrangère; mais que l'objet de la volonté divine est sa bonté même qui est son essence. Par conséquent la volonté de Dieu étant son essence, il n'est pas mû par un autre que lui-même. Il n'y a que lui qui se meuve, et on appelle sa volonté mouvement dans le sens que nous avons donné à ce mot en l'appliquant à son intelligence. C'est ainsi que Platon a dit que le premier moteur se meut lui-même (3).

(3) Si on prenait ces mots dans levr sens propre, il ne serait pas possible de comprendre l'immobilité de ce premier moteur.


ARTICLE II. — meu veut-il autre chose que lui-même (4)?


(4) Nous ferons ici remarquer, quoiqu'on ait fait de saint Thomas un disciple d'Aristote, quelle différence il y a entre la doctrine de l'un et de l'autre. Le Dieu d'Aristote ne connaît que lui-même ; il n'est pas tout-puissant, puisque la matière est éternelle comme lui ; il n'est pas créateur ; par conséquent sa providence ne s'étend pas sur toutes choses, puisque cette providence suppose en Dieu Vomniscicnee, la toute-puissance et une volonté créatrice. Qu'il y a loin de ce Dieu solitaire, exclusivement occupé de lui-même, au Dieu de la révélation, que saint Thomas nous fait connaître.



Objections: 1.. Il semble que Dieu ne veuille pas autre chose que lui-même. Car la volonté de Dieu est son être. Or, Dieu n'est pas autre chose que lui-même. Donc il ne veut pas autre chose que lui-même.

2.. L'objet voulu meut le sujet qui le veut comme l'objet désiré meut le sujet qui le désire, d'après Aristote [De anim. lib. iii, text. 54). Donc si Dieu veut autre chose que lui-même, sa volonté sera mue par un autre être que lui, ce qui est impossible.

3.. Quand la volonté d'un être trouve dans l'objet qu'elle veut tout ce qu'il lui faut, elle ne cherche rien en dehors. Or, la bonté de Dieu lui suffit, et sa volonté en est pour ainsi dire rassasiée. Donc Dieu ne veut pas autre chose que lui.

4.. La volonté multiplie ses actes en raison du nombre des objets qu'elle veut. Si donc Dieu se veut lui-même et qu'il veuille encore autre chose que lui, il s'ensuit que les actes de sa volonté sont multiples, et que par conséquent son être l'est aussi, puisque son être c'est sa volonté même. Or, l'être de Dieu ne peut pas être multiple. Donc il ne veut pas autre chose que lui-même.


Mais c'est le contraire. La volonté de Dieu est votre sanctification, dit l'Apôtre (I. Thes. iv, 3).

CONCLUSION. — Comme il entre dans la perfection de la volonté de communiquer aux autres le bien que l'on possède, il est convenable que la volonté divine surtout se veuille elle-même comme fin et qu'elle veuille les autres choses pour elle-même, c'est-à-dire suivant le rapport qu'elles ont avec leur fin, parce que les autres êtres doivent participer à sa souveraine bonté.

Il faut répondre que Dieu se veut non-seulement lui-même, mais qu'il veut encore autre chose que lui -, ce que nous pouvons rendre sensible par la comparaison que nous avons précédemment employée. En effet la créature n'a pas seulement une inclination naturelle vers son bien propre, de manière à l'acquérir quand elle ne le possède pas ou à s'y reposer quand elle le possède, mais elle est encore portée à le répandre sur les autres êtres autant qu'il lui est possible. Ainsi nous voyons que tout agent, suivant son actualité et sa perfection, reproduit son semblable. Il est donc dans l'essence de la volonté de communiquer aux autres, autant que possible, le bien que l'on possède. Et s'il en est ainsi de la volonté humaine, à plus forte raison en est-il de même de la volonté divine de laquelle découle par imitation toute espèce de perfection. Donc si les créatures communiquent aux autres êtres leur bonté en raison de leur perfection, la volonté divine doit être d'autant plus portée à communiquer aux autres êtres sa bonté en reflétant sur elles, autant que possible, son image. Dieu se veut donc lui-même, et il veut aussi les autres choses. Il se veut comme fin, et il veut les autres êtres comme se rapportant à cette fin ; car il convient à la bonté divine de se donner en partage à toutes les créatures.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoique la volonté de Dieu soit son être réellement, elle en diffère cependant rationnellement, c'est-à-dire d'après notre manière de dire et de comprendre, comme nous l'avons observé (quest. xiii, art. 4). Car quand je dis que Dieu existe il n'y a pas là l'expression d'un rapport comme quand je dis que Dieu veut. C'est pourquoi quoique Dieu ne soit pas autre chose que lui-même, il veut cependant autre chose que lui-même.

2. Il faut répondre au second, que quand nous voulons une chose pour une fin, cette fin est le seul mobile qui imprime le mouvement à notre volonté. C'est ce qu'on voit de la manière la plus manifeste dans les choses que nous ne voulons que pour une fin déterminée. Ainsi celui qui veut prendre une potion amère ne veut rien autre chose que la santé ; c'est là l'unique mobile de sa volonté. Au contraire celui qui prend une potion douce, la prend non-seulement pour sa santé, mais encore pour le plaisir qu'il y trouve. Par conséquent, puisque Dieu ne veut les autres choses qu'autant qu'elles se rapportent à une fin qui est sa bonté, comme nous l'avons dit (art. préc.), il ne s'ensuit pas que sa volonté soit mue par autre chose que par sa bonté même. Ainsi donc, comme en comprenant son essence il comprend des choses différentes de lui, de même sa volonté en s'attachant à sa bonté veut autre chose que lui.

3. Il faut répondre au troisième, que de ce que la bonté de Dieu suffit à sa volonté il ne s'ensuit pas que Dieu ne veuille pas autre chose que lui. Il s'ensuit seulement qu'il ne doit vouloir les autres êtres qu'en raison de sa bonté même. Ainsi l'intelligence divine, quoiqu'elle soit parfaite par là même qu'elle connaît son essence, connaît néanmoins en elle tous les autres êtres.

4. Il faut répondre au quatrième, que comme l'intelligence divine est une, parce que toutes les choses qu'elle voit elle les voit dans un même être, de même la volonté divine est une et simple, parce que toutes les choses qu'elle veut elle les veut par un seul motif qui est sa bonté (1).

(1) Personne n'a mieux fait ressortir que saint Thomas le rapport qu'il y a entre l'intelligence et la volonté et c'est à ce point de vue qu'il se place pour éclairer les questions les plus difficiles.

ARTICLE III. — tout ce que dieu veut le veut-il nécessairement (2) ?


(2) Les aruaudistes voulaient que Djeu agît d'après une nécessité de sa nature, et, par conséquent, qu'il n'agît pas d après la liberté de sa volonté. Ahcilard disait qu'il ne peut Taire que ce qu'il fait, et il niait aussi son libre arbitre ; Wi-clef, Luther, Bucer et Calvin, ont aussi nié la liberté de Dieu. Cette erreur est combattue dans cet article.


Objections: 1.. Il semble que tout ce que Dieu veut il le veuille nécessairement. Car tout ce qui est éternel est nécessaire. Or, tout ce que Dieu-veut, il le veut de toute éternité, autrement sa volonté serait changeante. Donc tout ce que Dieu veut il le veut nécessairement.

2.. Dieu veut d'autres choses que lui-même par l'effet de sa bonté. Or, il veut sa bonté nécessairement. Donc il veut nécessairement autre chose que lui-même.

3.. Tout ce qui est naturel à Dieu est nécessaire, parce que Dieu est par lui-même l'être nécessaire et le principe de toute nécessité, comme nous l'avons prouvé (quest. n, art. 3). Or, il lui est naturel de vouloir tout ce qu'il veut, parce que rien ne peut exister en Dieu que ce qui lui est naturel, comme le dit Aristote (Met. v, text. 0). Donc tout ce qu'il veut il le veut nécessairement.

4.. Ce qui n'est pas nécessaire peut ne pas exister. Si donc il y a des choses que Dieu ne veut pas nécessairement, il est possible qu'il ne les veuille pas et que par conséquent il veuille ce qu'il ne veut pas. Sa volonté serait donc une chose contingente et par là même imparfaite, parce que tout ce qui est contingent est imparfait et changeant.

5.. L'être qui est indifférent à produire un effet plutôt qu'un autre n'agit qu'autant qu'il est déterminé à l'action par un autre être, comme le ditAris-tote (Phys. lib. u, text. 48). Si la volonté de Dieu est ainsi indifférente dans certaines circonstances, il s'ensuit qu'elle agit sous l'influence d'un autre être, et qu'il y a au-dessus de lui une cause qui détermine son effet.

6.. Tout ce que Dieu sait, il le sait nécessairement. Or, comme la science de Dieu est son essence, de même aussi sa volonté. Donc tout ce que Dieu veut il le veut nécessairement.


Mais c'est le contraire. Car l'Apôtre dit que Dieu fait tout d'après le conseil de sa volonté (Eph. i, II). Or, ce que nous faisons d'après le conseil de notre volonté, nous ne le voulons pas nécessairement. Donc tout ce que Dieu veut, il ne le veut pas nécessairement.

CONCLUSION. — La bonté de Dieu étant l'objet propre de sa. volonté, et toutes les autres choses se rapportant à elle comme à leur fin, Dieu veut absolument et nécessairement sa bonté, mais il ne veut les autres choses que d'une nécessité hypothétique, c'est-à-dire, une fois qu'on a supposé qu'il les veut, il ne peut pas ne pas les vouloir.

Il faut répondre que le mot nécessaire a deux sens ; il peut être pris ab-solument et hypothétiquement (1). On juge de la nécessité absolue d'une proposition par le rapport des termes. Ainsi la proposition est d'une nécessité absolue quand le prédicat est renfermé dans le sujet; par exemple, l'homme est nécessairement un animal, ou bien encore quand le sujet est de même nature que le prédicat, par exemple, il est nécessaire que le nombre soit pair ou impair. Mais cette proposition : Socrate est assis, n'est pas nécessaire absolument, puisqu'il pouvait bien se faire qu'il ne s'assît pas ; elle est nécessaire seulement d'une nécessité hypothétique, c'est-à-dire supposé qu'il soit assis, il est nécessaire qu'il le soi t tan t qu'il l'est. — A l'égard de la volonté, il faut remarquer qu'il y a des choses qu'elle veut d'une nécessité absolue, mais il n'en est pas ainsi de tout ce qu'elle veut. Car la volonté de Dieu est nécessairement en rapport avec sa bonté qui est son objet propre. Dieu veut donc nécessairement sa bonté comme nous voulons nécessairement le bonheur. Toute autre faculté a également un rapport nécessaire avec son objet propre et principal, comme la vue se porte nécessairement sur les couleurs, puisqu'il est de sa nature de les rechercher. Mais Dieu veut les choses qui sont en dehors de lui suivant qu'elles se rapportent à sa bonté comme à leur lin. Or, quand nous voulons une fin, nous ne voulons pas nécessairement les moyens qui y conduisent, à moins que ces moyens ne soient tels que sans eux nous ne puissions atteindre notre fin. Ainsi nous voulons nécessairement de la nourriture quand nous voulons conserver notre vie ; nous voulons nécessairement un vaisseau quand nous voulons naviguer, parce que sans aliments on ne peut vivre, sans navire on ne peut aller sur l'eau. Mais nous ne voulons pas nécessairement un cheval pour nous promener, parce que nous pouvons bien aller à la promenade sans cela. Il en est de même pour le reste. D'où il suit que la bonté de Dieu étant parfaite et pouvant se passer de tout ce qui est en dehors d'elle, puisque rien ne peut ajouter à sa perfection, il n'est pas absolument nécessaire que Dieu veuille d'autres choses que lui; mais il faut qu'il les veuille d'une nécessité hypothétique. Car, supposé qu'il veuille en effet une chose, il ne peut pas ne pas la vouloir, parce que sa volonté ne peut changer.

(1) La volonté absolue ne dépend d'aucune condition ; elle est soumise exclusivement au libre arbitre de Dieu, comme la volonté qu'il a eue de créer le monde ; sa volonté hypothétique dépend d'une condition ; telle est la volonté qu'il a de sauver tous les hommes. La condition qu'il y met, c'est qu'ils voudront correspondre à sa grâce et observer ses commandements.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que de ce que Dieu veut de toute éternité ce qu'il veut il ne s'ensuit pas qu'il le veuille nécessairement d'une nécessité absolue, mais d'une nécessité hypothétique.

2. II faut répondre au second, que quoique Dieu veuille nécessairement sa bonté, il ne veut cependant pas ainsi les choses qui s'y rapportent, parce que sa bonté peut exister sans elles.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il n'est pas dans la nature de Dieu de vouloir les choses qu'il ne veut pas nécessairement. Ce n'est pas non plus contraire à sa nature, mais c'est en lui quelque chose de purement volontaire.

4. Il faut répondre au quatrième, que quelquefois une cause nécessaire a un rapport qui n'est pas nécessaire avec son effet, ce qui provient de l'imperfection de l'effet et non de l'imperfection de la cause. Ainsi la vertu du soleil a un rapport non nécessaire avec quelques-uns des phénomènes que nous voyons ici se produire accidentellement, et la contingence de ce rapport provient non de l'imperfection de la puissance de cet astre, mais de l'imperfection de l'effet qui ne résulte pas nécessairement de sa cause. De même si Dieu ne veut pas nécessairement tout ce qu'il veut, il ne faut pas attribuer cette contingence à l'imperfection de sa volonté, mais à l'imperfection des choses qu'il veut. Car tout ce qu'il crée de bon est nécessairement imparfait, tandis que sa nature à lui est telle que sa bonté peut être parfaite sans les créatures.

5. II faut répondre au cinquième, qu'une cause qui est par elle-même contingente a besoin d'une cause extérieure qui la détermine à produire son effet, mais que la volonté divine qui est nécessaire par elle-même se détermine elle-même à vouloir l'objet avec lequel elle n'a pas un rapport nécessaire. *

6. Il faut répondre au sixième, que comme l'être de Dieu est nécessaire en lui-même, ainsi l'est sa volonté et sa science. Mais la science de Dieu a un rapport de nécessité avec les choses qu'il sait, tandis que sa volonté n'a pas un rapport semblable avec les choses qu'il veut. Le motif de cette différence c'est que la science se rapporte aux choses suivant ce qu'elles sont dans le sujet qui les connaît, tandis que la volonté se rapporte aux choses suivant ce qu'elles sont en elles-mêmes. Or, comme toutes les choses sont nécessaires quand on les considère en Dieu, mais qu'elles ne le sont pas d'une nécessité absolue quand on les considère en elles-mêmes, il arrive que tout ce que Dieu sait il le sait nécessairement, mais qu'il ne veut pas nécessairement tout ce qu'il veut.


I pars (Drioux 1852) Qu.18 a.2