I pars (Drioux 1852) Qu.19 a.3


ARTICLE IV. — LA VOLONTÉ DE DIEU EST-ELLE LA CAUSE DES ÊTRES (1)?


(1) Cet article n'est que le développement de la question qui a déjà été traitée (quest. XIV, art. 8).


Objections: 1.. Il semble que la volonté de Dieu ne soit pas la cause des êtres. Car saint Denis dit (De div. nom. cap. 4) que comme le soleil sans raisonner et sans préférer une chose à une autre répand, par le fait seul de son être, sa lumière sur toutes les parties du monde qui peuvent la recevoir, de même Dieu répand par son essence les rayons de sa bonté infinie sur tout ce qui existe. Or, tout ce qui se fait par la volonté se fait en raisonnant, en préférant une chose à une autre. Donc Dieu n'agit pas par sa volonté, et par conséquent sa volonté n'est pas la cause des êtres.

2.. L'être qui existe par son essence occupe le premier rang dans son ordre (2) ; ainsi la première de toutes les substances ignées c'est celle qui est du feu par son essence. Or, Dieu est le premier de tous les agents. Il agit donc par son essence qui est sa nature. S'il agit par sa nature il n'agit pas par sa volonté. Donc la volonté divine n'est pas cause des êtres.

(2) De là l'axiome : Primum in unoquoque generum est causa coeterorum.

3.. Tout ce qui est cause d'une chose parce qu'il est tel lui-même en est cause par nature et non par volonté. Car le feu est cause de la chaleur parce qu'il est chaud, mais l'architecte est cause de la maison parce qu'il veut la faire. Or, saint Augustin dit (De doct. christ, lib. i, cap. 32) que nous sommes parce que Dieu est bon. Donc Dieu est la cause des êtres par sa nature et non par sa volonté.

4.. Une même chose ne peut avoir qu'une seule cause. Or, la science de Dieu est la cause des créatures, comme nous l'avons dit (quest. xiv, art. 8). Donc on ne doit pas considérer la volonté de Dieu comme la cause des choses.


Mais c'est le contraire, Maïs c'est le contraire. Car il est dit (Sap. xi, 26) : Comment quelque chose pourrait-il subsister si vous ne le vouliez, Seigneur?

CONCLUSION. — Dieu étant le premier de tous les êtres qui agissent, il est par son intelligence et sa volonté la cause de tout ce qui existe.

11 faut répondre qu'il est nécessaire de dire que la volonté de Dieu est la cause des êtres, et que Dieu agit par sa volonté et non par une nécessité de sa nature, comme quelques philosophes l'ont pensé. C'est ce qu'on peut se démontrer de trois manières. — 1° Par l'ordre des causes actives. L'intelligence et la nature agissant pour une fin, comme le prouve Aristote (Phys. lib. ii, text. 49), il faut qu'une intelligence supérieure détermine à l'avance la fin que doit atteindre celui qui agit par nature et les moyens qu'il doit employer, comme il faut que le chasseur détermine le but que doit atteindre sa flèche et la manière dont elle doit le frapper. Par conséquent il est nécessaire que celui qui agit par l'intelligence et la volonté soit avant celui qui agit par la nature, et puisque Dieu est le premier de tous les agents, il est nécessaire qu'il agisse par son intelligence et sa volonté. — 2° D'après la constitution intime de l'agent naturel. En effet, cette espèce d'agent ne produit jamais qu'un seul et même effet. Car la nature opère toujours d'une seule et même manière, à moins qu'elle ne rencontre un obstacle. Ce qui fait qu'il en est ainsi, c'est qu'elle agit toujours suivant ce qu'elle est, et tant qu'elle est dans le même état elle reproduit les mêmes effets. Car tout agent a par nature un être déterminé. Par conséquent l'être divin n'étant pas déterminé, mais renfermant en lui toute la perfection de l'être, il ne peut pas se faire qu'il agisse par la nécessité de sa nature. Dans ce cas il ne pourrait produire qu'un effet indéterminé, infini dans son être, ce qui est impossible, comme nous l'avons montré (quest. vu, art. 2). Il n'agit donc pas par la nécessité de sa nature, mais tous les effets dont il est cause procèdent de son infinie perfection, selon la détermination de)sa volonté et de son intelligence. — 3° D'après la relation des effets à la cause. Les effets procèdent de la cause qui les produit suivant qu'ils préexistent en elle; car tout agent produit son sem- ' blable. Or, les effets préexistent dans la cause suivant la manière d'être de la cause elle-même. Par conséquent l'être de Dieu étant son intelligence, les effets préexistent en lui d'une manière intelligible; ils en procèdent d'après le même mode et par conséquent d'une manière volontaire. Car c'est à la volonté qu'appartient le désir de réaliser ce que l'intelligence a conçu. Donc la volonté de Dieu est la cause des êtres.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Denis n'a pas l'intention d'exclure par ces paroles absolument tout choix, toute préférence de la part de Dieu, mais il a seulement voulu dire que Dieu ne communique pas seulement sa bonté à quelques êtres, mais à tous les êtres, et il n'admet pas qu'il choisisse les uns et délaisse complètement les autres.

2.Il faut répondre au second, que l'essence de Dieu étant son intelligence et sa volonté, par là même qu'il agit par son essence il s'ensuit qu'il agit par son intelligence et sa volonté.

3. Il faut répondre au troisième, que le bon est l'objet de la volonté. Quand on dit : Nous sommes parce que Dieu est bon, cela signifie seulement que sa bonté est le motif qui le porte à vouloir l'existence de ses créatures, comme nous l'avons dit (art. 2, in sol. ad 2 praecipuè).

4. Il faut répondre au quatrième, qu'en nous le même effet a pour cause la science.qui dirige l'intelligence dans la conception de son oeuvre et la volonté qui commande. Car tant qu'une chose est dans l'esprit il n'y a rien qui détermine si elle sera ou si elle ne sera pas réalisée, si la volonté n'intervient pas. C'est pourquoi l'intelligence spéculative ne s'occupe pas de l'action. La puissance au contraire est la cause créatrice parce qu'elle désigne le principe immédiat de l'action. Mais tout cela n'est en Dieu qu'une seule et même chose.


ARTICLE V. — peut-on assigner une cause a la volonté de dieu (1)?


(1) L'intention de saint Thomas n'est pas de prouver ici que co que Dieu veut, il le veut sans raison. Car il réfute positivement l'erreur de ceux qui disaient qu'il n'y a pas d'autres motifs à donner pour l'explication des oeuvres de Dieu, que d'alléguer purement et simplement sa volonté (Vid. contra Gent. lib. i, cap. 86et 87). Mais il a pour but de montrer ici que la cause de sa volonté n'est rien autre chose que sa bonté, et que par conséquent ello se confond avec sa volonté et son essence.


Objections: 1.. Il semble qu'on puisse assigner une cause à la volonté de Dieu. Car saint Augustin s'écrie : Qui oserait dire que Dieu a fait sans raison tout ce qu'il a créé [Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 46). Or, pour un agent volontaire, la raison de son action est la cause de sa volonté. Donc la volonté de Dieu a une cause.

2.. Aux choses qui ont été produites sans aucun motif on ne peut assigner une autre cause que la volonté même de celui qui les a produites. Or, la volonté de Dieu est la cause de tous les êtres, comme nous l'avons prouvé (art. préc). S'il les a créés sans motif il ne faut pas chercher à l'universalité des choses une autre cause que la volonté divine. Toutes les sciences qui s'efforcent d'assigner aux effets des causes sont donc vaines, ce qui parait répugner. Donc il faut assigner une cause à la volonté divine.

3.. Ce qui est fait par un être sans aucun motif dépend de sa simple volonté. Si lavolontéide Dieu n'apas de cause, il s'ensuit donc que tout ce qu'il fait dépend de sa simple volonté et n'a pas d'autre motif d'exister, ce qui répugne.


Mais c'est le contraire, Mais c'estle contraire. Car saint Augustin d\t(Quxst.Yû>. lxxxhi, quaest. 28): Toute cause efficiente est supérieure à son effet, et comme il n'y a rien de plus grand que la volonté de Dieu, il ne faut pas lui chercher une cause.

CONCLUSION. — Dieu voulant tout dans sa bonté par un acte unique et absolument simple, on ne peut assigner aucune cause à sa volonté.

Il faut répondre que la volonté de Dieu n'a aucune espèce de cause. En effet, il faut remarquer que la volonté est une conséquence de l'entendement, et que la cause de la volonté de celui qui veut est la même que la cause de l'intelligence de celui qui comprend. Or, dans l'entendement il arrive que si on comprend séparément ou l'un après l'autre le principe et la conclusion, l'intelligence du principe est cause de la science de la conclusion. Mais si l'esprit voyait la conclusion dans le principe et qu'il les saisît l'un et l'autre du même coup d'oeil, la science de la conclusion n'aurait plus alors pour cause l'intelligence du principe, parce que dans ce cas la science de l'une et l'intelligence de l'autre ne seraient qu'une seule et même chose, et une chose ne peut être cause d'elle-même. Ce qui n'empêcherait pas toutefois l'esprit de considérer les principes comme les causes de la conclusion. Il en est de même de la volonté pour laquelle la fin est aux moyens ce que pour l'intelligence les principes sont aux conclusions. D'où il résulte que si quelqu'un veut la fin, puis les moyens par deux actes distincts, la volonté de la fin sera cause de la volonté des moyens. Mais si l'on veut par un seul et même acte la fin et les moyens, il n'en sera plus de même parce qu'une chose ne peut pas être cause d'elle-même. Néanmoins il sera vrai de dire qu'on veut les moyens par rapport à la fin. Or, comme Dieu comprend toutes choses dans son essence par un seul et même acte, de même il veut toutes choses par un seul et même acte dans son amour. Par conséquent, comme en Dieu l'intelligence de la cause n'est pas la cause de l'intelligence de l'effet, puisqu'il comprend les effets dans leur cause; de même la volonté qu'il a de la fin n'est pas cause de la volonté qu'il a des moyens. Néanmoins il veut que ces moyens se rapportent à la Un. Par conséquent il veut la chose pour le motif, mais ce n'est pas à cause du motif qu'il la veut.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la volonté de Dieu est raisonnable, non parce que ses déterminations ont une cause, mais parce qu'il ne veut une chose que par rapport à une autre, et qu'ainsi tous les objets de ses volontés sont coordonnés entre eux (1).

(1) Ainsi, parmi les oeuvres de Bien, une eliose est cause d'une autre, et la science a spécialement pour objet de connaître l'enchaînement de ces causes secondes.

2. Il faut répondre au second, que Dieu voulant que les effets soient produits de telle manière qu'ils résultent de cause certaine et que l'ordre général soit toujours observé, il n'est pas inutile de rechercher pour ces effets d'autre cause que la volonté de Dieu. Il n'y aurait d'inutile que les efforts que l'on ferait pour trouver d'autres causes premières indépendantes de la volonté divine. Comme le dit saint Augustin [De Trin. lib. ni, cap. 2) : Il a plu à la vanité des philosophes d'attribuer les effets contingents à d'autres causes parce qu'ils ne pouvaient voir parfaitement la cause qui est supérieure à toutes les autres, c'est-à-dire la volonté de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, que Dieu voulant que les effets existent en raison des causes, tous les effets qui en présupposent un autre ne dépendent pas seulement de la volonté de Dieu, ils dépendent encore d'un autre être. Il n'y a que les effets premiers qui dépendent uniquement de la volonté divine. Par exemple, si nous disions que Dieu a voulu que l'homme eût des mains pour aider à son intelligence en exécutant les divers ouvrages qu'elle conçoit; qu'il a voulu qu'il eût une intelligence pour lui donner son caractère d'homme; qu'il a voulu qu'il eût ce caractère d'homme par sa puissance ou pour compléter l'oeuvre de la création, on ne pourrait plus alors remonter à d'autres fins ultérieures. D'où l'on voit que dans cette série d'effets, il n'y a que le premier qui dépende simplement, uniquement de la volonté de Dieu, les autres dépendent d'un enchaînement de causes différentes.


ARTICLE VI. — la volonté de dieu s'accomplit-elle toujours (2)?


(2) Saint Thomas nous apprend ici a concilier ces divers textes de l'Ecriture (Est. xiii) : Nonest qui possit resistere voluntati tuae. ÍPs. lxiii) : Omnia quaecumque voluit Dominus fecit. (Matth, xxiii : Quoties volui congregare filios tuos et noluisti'. [Proverb. i) : Yocaviet renuis' tis', etc.


Objections: 1.. 11 semble que la volonté de Dieu ne soit pas toujours accomplie. Car saint Paul dit que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils parviennent à la connaissance delà vérité (I. Tim. n, 4). Or, il n'en est pas ainsi. Donc la volonté de Dieu n'est pas toujours accomplie.

2.. Ce que la science est au vrai, la volonté l'est au bien. Or, Dieu sait tout ce qui est vrai. Donc il veut tout ce qui est bien. Cependant tout ce qui est bien ne se fait pas, car il y a beaucoup de bonnes choses qu'on pourrait faire et qu'on ne fait pas. Donc la volonté de Dieu n'est pas toujours accomplie.

3.. La volonté de Dieu, étant la cause première, n'exclut pas les causes secondes, comme nous l'avons dit (art. préc). Or, l'effet de la cause première peut être empêché par la faute d'une cause seconde; ainsi la faculté générale que nous avons de nous mouvoir peut être entravée par l'imperfection de nos membres. Donc l'effet delà volonté divinepeut.être empêché par la faute des causes secondes. Donc la volonté de Dieu n'est pas toujours accomplie.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans les Psaumes : Dieu a fait tout ce qu'il a voulu (Ps. cxm, 13).

CONCLUSION. — La volonté de Dieu étant la cause la plus universelle de toutes, il faut qu'elle soit toujours accomplie.

Pour s'en convaincre, il faut observer que l'effet étant semblable dans sa forme à la cause qui le produit, il faut raisonner sur les causes efficientes de la même manière que sur les causes formelles. Or, dans les causes formelles, quoiqu'un effet puisse n'avoir pas telle ou telle forme particulière, il ne peut cependant pas manquer d'avoir au moins une forme générale (1). Ainsi il peut bien être un homme ou un être vivant, mais il ne peut pas être un non-être. La même observation est applicable aux causes efficientes. Un effet peut être produit en dehors de telle ou telle cause particulière, mais non en dehors de la cause universelle qui comprend en elle toutes les causes secondes. Car si une cause particulière vient à manquer son effet, c'est qu'elle a été entravée dans son action par une autre cause particulière qui est elle-même comprise dans le domaine de la cause universelle. Par conséquent, un effet ne peut pas échapper à l'empire de la cause universelle. C'est ce qu'on voit parfaitement dans les choses corporelles. Une étoile peut être empêchée de produire son effet. Mais la cause qui l'empêchera de le produire pourra toujours être ramenée, par le moyen des causes intermédiaires, à la forme générale qui régit le premier ciel (2). Par conséquent, puisque la volonté de Dieu est la cause universelle de tous les êtres, il est impossible qu'elle ne produise pas son effet. Car l'être qui paraît s'y soustraire sous un rapport y retombe sous un autre. Ainsi le pécheur qui s'éloigne de la volonté de Dieu autant qu'il est en lui en péchant, retombe sous son empire puisqu'il est puni par sa justice.

(1) C'est-à-dire une forme quelconque.

(2) D'après les théories péripatéticiennes le premier ciel est la cause générale, universelle de tous les mouvements des astres.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce mot de l'Apôtre : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, peut s'entendre de trois manières : 1° II peut signifier : Dieu veut que tous les hommes qui sont sauvés.le soient ; ce qui ne signifie pas qu'il n'y a aucun homme qu'il ne veuille voir sauvé, mais qu'il n'y a personne de sauvé qu'il n'ait voulu son salut, comme le dit saint Augustin (De prxdest. lib. i, cap. 8). 2" On peut appliquer cette parole à tous les genres d'individus, mais non aux individus de chaque genre. Elle signifierait alors que Dieu veut qu'il y ait des individus sauvés dans toute espèce d'état, des hommes et des femmes, des juifs et des gentils, des grands et des petits, ce qui ne voudrait pas dire que dans chaque état tous les individus seraient sauvés. 3" D'après saint Jean Damascène (Orth. fid. lib. n, cap. 29), il faudrait entendre ces paroles d'une volonté conséquente. Cette distinction ne se rapporte pas à la volonté de Dieu, puisqu'il'n'y a pour elle ni avant, ni après, mais elle se rapporte aux choses qui en sont l'objet. — Pour la bien comprendre, il faut remarquer que toutes les choses que Dieu veut, il les veut en raison de leur bonté. Or, une chose considérée en elle-même, d'une manière absolue, peut être bonne ou mauvaise, et changer ensuite de caractère, quand on la considère après qu'elle s'est adjoint une autre chose qui l'a modifiée. Ainsi en soi, absolument parlant, c'est une bonne chose que l'homme vive, et c'en est une mauvaise qu'on le tue. Cependant, si un homme devient un homicide, et qu'il ne vive que pour mettre en péril les jours de ses semblables, il est bon qu'on le détruise, et il est mauvais qu'il vive. D'où l'on peut dire qu'un juge qui est juste veut d'une volonté antécédente que tout homme vive, mais qu'il veut d'une volonté conséquente que l'homicide soit pendu (I). De même Dieu veut d'une volonté antécédente que tout homme soit sauvé, mais il veut d'une volonté conséquente qu'il y ait des damnés pour la satisfaction de sa justice. Cependant, ce que nous voulons d'une volonté antécédente nous ne le voulons pas absolument, mais sous certain rapport seulement. Car la volonté se rapporte aux choses suivant ce qu'elles sont en elles-mêmes, et elles n'existent en elles-mêmes que d'après des circonstances particulières. C'est pourquoi nous ne voulons absolument que ce que nous voulons après avoir fait la part de toutes les circonstances particulières déterminantes, et c'est ce qu'on appelle vouloir d'une volonté conséquente. Ainsi on peut dire que le juge qui est juste veut absolument que l'homicide soit pendu, mais il voudrait sous un rapport qu'il vécût, c'est-à-dire qu'ille voudrait comme homme. Et cette dernière manière de vouloir peut être appelée plutôt une velléité qu'une volonté absolue. Ainsi, par là il est évident que tout ce que Dieu veut absolument arrive, quoique ce qu'il veut d'une volonté antécédente n'arrive pas.

(1) La volonté antécédente est celle qui considère l'objet en lui-même, abstraction faite des circonstances ; saint Jean Damascène l'appelle la volonté de bonté et de miséricorde. La volonté conséquente est celle qui considère l'objet avec toutes ses circonstances. Ce même Père l'appelle )» volonté de justice. Cette distinction joue un très-grand rôle en théologie.

2. Il faut répondre au second, que la faculté de connaître agit suivant que l'objet connu est dans le sujet qui le connaît, tandis que la volonté se rapporte aux choses suivant ce qu'elles sont en elles-mêmes. Or, tout ce qui peut avoir la nature de l'être et du vrai est virtuellement compris tout entier en Dieu, mais n'existe pas tout entier dans les créatures. C'est pourquoi Dieu connaît tout ce qui est vrai, mais il ne veut pas tout ce qui est bon, sinon en tant qu'il se veut lui-même, en qui tout bien existe virtuellement.

3. II faut répondre au troisième, que la cause première ne pourrait être privée de son effet par la faute d'une cause seconde, qu'autant que cette cause première ne serait pas universelle, et qu'elle ne comprendrait pas dans son empire toutes les causes. Car si elle embrasse toutes les causes secondes il n'y a pas d'effet qui puisse se produire en dehors de son domaine, et par conséquent on peut toujours attribuer tout ce qui arrive à la volonté de Dieu, comme nous l'avons dit (in corp. art.) (2).

(2) Cet article peut être aussi considéré comme une réfutation" de l'erreur de Calvin, qui dit que Dieu a créé le genre humain principalement pour la damnation et la mort éternelle.


ARTICLE VII. — la volonté de dieu est-elle changeante (3)?


(3) Cet article n'est qu'un corollaire de ceux où nous avons établi l'immutabilité de la substance et de la science divine. On peut aussi y voir une réfutation d'une erreur de Calvin, qui dit que la loi de Dieu et sa volonté sont souvent en désaccord ; ce qui supposerait un changement dans sa volente depuis la promulgation de sa loi.


Objections: 1.. Il semble que la volonté de Dieu soit changeante. Car le Seigneur dit : Je me repens d'avoir fait l'homme (Gen. vi, 7). Or, celui qui se reperit de ce qu'il a fait a une volonté changeante. Donc Dieu a une volonté changeante.

2.. Jérémie fait dire au Seigneur (Jer. xviii, 7) : Je parlerai contre la nation et contre le royaume pour les déraciner, les détruire et les perdre ; mais si cette nation vient à se repentir du mal qu'elle a fait, je me repentirai aussi du mal que j'ai eu dessein de lui faire. Donc Dieu a une volonté changeante.

3.. Tout ce que Dieu fait il le fait volontairement. Or, il ne fait pas toujours la même chose. Car dans un temps il a ordonné d'observer les cérémonies de la loi judaïque, et dans un autre temps il l'a défendu. Donc il a une volonté changeante.

4.. Dieu ne veut pas nécessairement ce qu'il veut, comme nous l'avons prouvé (art. 3). Donc il peut vouloir et ne pas vouloir la même chose. Or, tout être qui peut choisir entre deux choses opposées est changeant suivant la volonté, comme ce qui peut être et n'être pas est changeant selon la substance, et comme ce qui peut être ici et n'y pas être est changeant suivant le lieu. Donc la volonté de Dieu est changeante.


Mais c'est le contraire. Dieu n'est pas comme l'homme capable de mentir, il n'est pas, comme les enfants des hommes, capable de changer (Num. xxiii, 19).

CONCLUSION. — La substance de Dieu et sa science étant invariables, il faut que sa volonté le soit aussi.

Il faut répondre que la volonté de Dieu est souverainement immuable. En effet, il est à remarquer qu'il y a de la différence entre changer de volonté et vouloir le changement de quelque chose. Car on peut, sans changer de volonté, vouloir qu'une chose soit faite maintenant, et qu'ensuite le contraire ait lieu. Il n'y a changement de volonté que quand on commence à vouloir ce qu'auparavant on ne voulait pas, ou qu'on cesse de vouloir ce que l'on a voulu. Ce qui ne peut arriver que par suite d'un changement d'idées ou d'un changement dans les dispositions d'être de celui qui veut. Car la volonté ayant le bien pour objet, on peut commencer à vouloir une chose qu'on ne voulait pas auparavant pour deux motifs : 1° Quand on commence à trouver bonne une chose qu'on ne trouvait pas telle auparavant, ce qui suppose un changement dans le sujet. Ainsi, quand le froid arrive, on commence à se trouver bien près du feu, ce qui n'avait pas lieu auparavant. 2° Quand on commence à connaître la bonté d'un objet qu'on avait toujours ignorée jusque-là. Car nous avons recours au conseil pour savoir ce qui est bon par rapport à nous. Mais tous ces changements ne sont pas possibles en Dieu, puisque nous avons démontré (quest. ix, art. 1, et quest. xiv, art. 1S) que sa substance aussi bien que sa science sont absolument immuables ; nous devons donc conclure que sa volonté l'est aussi.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette parole du Seigneur est métaphorique, et que c'est une imitation de notre manière de parler. Car quand nous avons du repentir, nous détruisons ce que nous avons fait, ce qui ne suppose pas au reste un changement dans la volonté, puisqu'un homme, sans changer de volonté, veut quelquefois faire une chose avec l'intention de la détruire ensuite. Ainsi, en comparant l'action de Dieu à la nôtre on dit qu'il s'est repenti, ce qui signifie qu'il a détruit l'homme qu'il avait fait en répandant sur toute la surface de la terre les eaux du déluge.

2. Il faut répondre au second, que la volonté de Dieu étant la cause première et universelle, n'exclut pas les causes secondes qui ont la vertu de produire certains effets. Mais ces causes secondes n'ayant pas la même puissance que la cause première, il y a dans la vertu, dans la science et dans la volonté de Dieu beaucoup de choses qui ne sont pas du domaine de ces causes inférieures. Telle est la résurrection de Lazare. Celui qui ne fait attention qu'aux causes secondes pouvait dire : Lazare ne ressuscitera pas. Mais celui qui s'élève jusqu'à la cause première, jusqu'à Dieu, pouvait dire : il ressuscitera. Dieu veut ces deux choses, c'est-à-dire il veut quelquefois qu'une chose qui doit arriver selon les causes secondes n'arrive cependant pas d'après la cause supérieure, et réciproquement. Il faut donc dire que Dieu dit quelquefois qu'une chose sera parce qu'elle est dans l'ordre des causes secondes, et qu'elle est, par exemple, la conséquence du bien ou du mal que l'on a fait, mais que cette chose n'arrive pas parce que la cause supérieure qui est la volonté divine en a décidé autrement que les causes subalternes. Ainsi, quand le Seigneur dit à Isaïe : Préparez votre maison, parce que vous mourrez et ne vivrez plus (Is. xxxviii, 1), l'événement ne confirma pas cette parole, parce que de toute éternité il en avait été décidé autrement dans la science et la volonté de Dieu qui est immuable. C'est pour cela que saint Grégoire dit que Dieu change sa sentence, sans changer la détermination de sa volonté. Quant à ce qu'il dit : Je ferai pénitence, on doit l'entendre métaphoriquement. C'est pour s'accommoder à notre langage ; car quand un homme ne réalise pas les menaces qu'il a faites, on dit qu'il se repent.

3. II faut répondre au troisième, que ce raisonnement ne prouve pas que la volonté de Dieu change ; on en peut seulement conclure qu'elle veut le changement.

4. Il faut répondre au quatrième, que quoiqu'il ne soit pas absolument nécessaire que Dieu veuille une chose, cependant cela est nécessaire hypo-thétiquement à cause de l'immutabilité de sa volonté, comme nous l'avons dit (art. 3).


ARTICLE VIII. — la volonté de dieu rend-elle nécessaires les choses qu'elle veut (1) ?


(1) Cet article est nue réfutation de Wiclef, dont les erreurs ont été condamnées au concile de Constance et de tous ceux qui ont nié la liberté humaine.


Objections: 1.. Il semble que la volonté de Dieu rende nécessaires les choses qu'elle a voulues. Car saint Augustin dit : II n'y a de sauvé que celui dont Dieu veut le salut. C'est pourquoi il faut le prier de vouloir notre salut, parce que s'il le veut il sera nécessaire que nous le fassions.

2.. Toute cause dont on ne peut empêcher l'effet le produit nécessairement, parce que la nature produit toujours la même chose si rien ne s'y oppose, comme le dit Aristote (Phys. lib. n, text. 84). Or, on ne peut empêcher la volonté de Dieu de s'accomplir. Car saint Paul dit : Qui résiste à sa volonté? (Hom. ix, 19.) Donc la volonté de Dieu rend nécessaires toutes les choses qu'elle a voulues.

3.. Ce qui est nécessaire à priori (2) l'est absolument. Ainsi il est nécessaire pour l'animal de mourir, parce qu'il est composé d'éléments contraires. Or, les créatures se rapportent à la volonté divine comme à leur cause première. Et ce rapport leur impose une nécessité absolue, puisque cette proposition conditionnelle est vraie : Si Dieu veut une chose, elle existe. Or, une proposition conditionnelle ne peut être vraie qu'autant qu'elle est nécessaire. D'où il suit que tout ce que Dieu veut est absolument nécessaire..

(2) J'ai conservé ce mot, parce qu'il m'a été impossible de trouver un équivalent.


Mais c'est le contraire, Mais c'estle contraire. Tout ce qui se faitde bien, Dieu veut qu'il arrive. Si sa volonté rend nécessaires les choses qu'il veut, il s'ensuit que tous les actes bons sont des actes nécessaires. Ce qui détruit le libre arbitre, le conseil et toutes les vertus.

CONCLUSION. — La volonté divine ne rend pas nécessaires toutes les choses qu'elle veut; elle rend nécessaires les effets qu'elle a fait dépendre de causes nécessaires, mais elle laisse contingents ceux qu'elle a fait dépendre de causes contingentes.

Il faut répondre que la volonté divine rend nécessaires certaines choses, mais qu'elle n'impose pas à tout ce qu'elle veut ce caractère. Quelques philosophes ont voulu rendre compte de cette différence par le moyen des causes, et ils ont dit que les choses que Dieu fait par les causes nécessaires sont nécessaires et que celles qu'il fait par les causes contingentes sont contingentes. Mais ce raisonnement ne nous satisfait pas pour deux raisons. \« Parce que l'effet d'une cause première est contingent par suite d'une cause seconde. Car il peut être empêché par la faute de cette cause seconde. Ainsi une plante peut empêcher la vertu du soleil de se produire, tandis qu'il n'y a aucune cause seconde qui puisse empêcher la volonté de Dieu d'avoir son effet. 2° Parce que si la distinction des effets contingents et des effets nécessaires ne se rapporte qu'aux causes secondes, il s'ensuit qu'elle existe en dehors de l'intention et de la volonté de Dieu, ce qui répugne. — Il vaut donc mieux dire que cette distinction repose sur l'efficacité delà volonté divine (1). Car quand une cause est efficace dans son action, l'effet qui s'ensuit dépend d'elle, non-seulement quant à son existence, mais quant à sa manière d'être et d'agir. Si le fils, par exemple, ne ressemble pas au père jusque dans les accidents qui composent sa manière d'être, il ne faut l'attribuer qu'à la débilité du germe chargé de sa reproduction. Mais la volonté divine étant souverainement efficace, il s'ensuit non-seulement que ce que Dieu veut arrive, mais encore que tout se fait de la manière dont il veut que ce soit fait. Or, il veut qu'il y ait des choses nécessaires et d'autres qui soient contingentes, afin qu'il y ait de l'ordre dans l'univers et qu'il offre un ensemble complet. C'est pourquoi il a soumis certains effets à des causes nécessaires qui ne peuvent faillir et qui agissent nécessairement, et il en a soumis d'autres à des causes contingentes, faillibles, qui peuvent ne les pas produire. C'est pourquoi les effets voulus de Dieu ne sont pas contingents parce que les causes prochaines qui les produisent le sont aussi ; mais ils le sont parce que Dieu a voulu qu'ils le fussent et qu'il les a soumis dans ce dessein à des causes qui le sont également.

(1) Au lieu d'attribuer la contingence des êtres à l'efficacité de la volonté divine, tes scotistes l'attribuent à sa liberté, et ils prétendent qu'il y a dans l'univers des êtres contingents, parce que Dieu a une volonté libre. Mais l'opinion de saint Thomas est, à iuste titre, généralement préférée.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il faut entendre cette parole de saint Augustin non d'une nécessité absolue, mais d'une nécessité conditionnelle. Car il est nécessaire que cette proposition conditionnelle soit vraie : Si Dieu veut une chose, il est nécessaire qu'elle arrive.

2. Il faut répondre au second, que de ce que rien ne résiste à la volonté de Dieu il en résulte non-seulement qu'il fait ce qu'il veut, mais encore que, selon qu'il le veut, les choses sont contingentes ou nécessaires.  -

3. Il faut répondre au troisième, que les êtres secondaires dépendent des êtres premiers de la manière que ceux-ci le veulent. Donc les choses qui dépendent de la volonté de Dieu sont nécessaires comme Dieu veut qu'elles le soient, c'est-à-dire qu'elles sont nécessaires conditionnellement seulement ou absolument. Elles ne sont donc pas toutes nécessaires d'une nécessité absolue.


ARTICLE IX. — dieu veut-il le mal (1)?


(1) Calvin a enseigné que Dieu, non-seulement permet les péchés que font les hommes, mais qu'il veut que les hommes les fassent, et qu'il les y pousse. Mélauehton a dit également que Dieu est l'auteur de l'adultère de David et de la trahison de Judas, aussi bien que de la conversion de saint Paul. L'apôtre saint Jacques a dit, au contraire (Jac. i) : Nemo, cum tentatur, dicat quoniam à Deo tentatur, Deus enim inveniatur malorum est, ipse autem neminem tentat. Le concile de Trente a condamné positivement tous ceux f[ui font Dieu auteur du péché (sess; Vi, Can. G).


Objections: 1.. Il semble que Dieu veuille les choses mauvaises. En effet il veut tout le bien qui arrive. Or, il est bon qu'il y ait des choses mauvaises. Car saint Augustin dit (Enchir. cap. 96) : Quoique les choses qui sont mauvaises ne soient pas bonnes en tant que mauvaises, cependant il est bon qu'il y ait non-seulement de bonnes choses, mais qu'il y en ait aussi de mauvaises. Donc Dieu veut les choses mauvaises.

2.. Saint Denis dit (De div. nom. cap. 4) que le mal concourt à la perfection de l'univers, et saint Augustin ajoute (Enchir. cap. 10 et 11) que l'universalité des êtres produit une admirable harmonie dans laquelle ce qu'on appelle le mal est merveilleusement ordonné, car il est placé à l'endroit le plus convenable pour faire ressortir par le contraste ce qu'il y a d'agréable et de digne d'éloges dans le bien. Or, Dieu veut tout ce qui appartient à la perfection et à la beauté de l'univers, parce que ces qualités sont celles qu'il recherche surtout dans ses créatures. Donc il veut les choses mauvaises.

3.. Que le mal soit fait et qu'il ne soit pas fait, voilà deux choses contradic-toirement opposées. Or, Dieu ne veut pas empêcher de faire le mal, puisque par là même qu'on le fait, sa volonté ne serait pas toujours accomplie. Donc il veut qu'on le fasse.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (Quaest.' lib. lxxxhi, quaest. 2) : Aucun homme sage ne voudrait être l'auteur de la dégradation de son semblable. Or, la sagesse de Dieu est au-dessus de la sagesse humaine. Il est donc encore moins possible que Dieu soit l'auteur de la dégradation d'un être quelconque. Cependant il serait l'auteur de cette dégradation s'il voulait le mal, puisqu'il est constant que le mal dégrade l'homme. Donc Dieu ne le veut pas.

CONCLUSION.—Puisque Dieu ne veut rien plus que sa bonté à laquelle le mal est opposé, et que parmi les autres biens il y en a qu'il veut plus que d'autres, il ne veut en aucune sorte le mal moral, mais il n'y a pas de répugnance à ce qu'il veuille quelquefois le mal qui n'est qu'une imperfection de la nature ou un châtiment.

Il faut répondre que le bien est ce qui de sa nature est désirable, comme nous l'avons dit (quest. v, art. 1) ; il n'est donc pas possible que le mal qui lui est opposé soit l'objet de l'appétit naturel, animal ou intellectuel qui n'est rien autre chose que la volonté. Cependant il arrive qu'on désire accidentellement le mal, mais c'est qu'alors il se rattache à quelque chose de bon, comme nous allons le voir. En effet, un agent naturel quelconque ne veut ni la privation, ni la corruption d'un autre être en elles-mêmes ; il veut seulement une forme dont la réalisation entraine la destruction d'une autre forme, il veut la production d'une chose qui a pour conséquence la corruption d'une autre. Ainsi le lion qui tue le cerf ne se propose que de se nourrir, et il ne tue pas cet animal uniquement pour le tuer. De même l'impudique ne regarde que le plaisir qu'il trouve dans le mal, et il ne s'arrête pas à la difformité, à la laideur de sa mauvaise action. Le mal se rattache donc à un bien quelconque et n'est que la privation d'un autre-bien. On ne le désirerait jamais, même accidentellement, si on ne désirait le tien auquel il est joint plus vivement que le bien dont il nous prive. — Or, il n'y a pas de bien que Dieu puisse vouloir plus que sa bonté même quoiqu'il veuille à la vérité tel bien plus que tel autre. D'où il résulte qu'il ne veut d'aucune manière le mal du péché qui détruit tout rapport avec sa divine bonté. Mais il veut le mal qui n'est qu'une imperfection de la nature et le mal qui est un châtiment, et il le veut en voulant directement le bien qui y est attaché (1). Ainsi il veut le châtiment parce qu'il veut la justice, et il veut qu'il y ait des choses qui se corrompent naturellement, parce qu'il veut maintenir l'ordre de la nature.

(1) Par conséquent, i] ne veut qu'indirectement et par accident ces deux sortes de maux.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que d'après quelques philosophes (2), quoique Dieu ne veuille pas le mal, cependant il veut que le mal existe et qu'on le fasse, parce que, quoique le mal ne soit pas bien, cependant il est bon que le mal existe et qu'on le fasse. Ils pensaient ainsi, parce que les choses qui sont mauvaises en elles-mêmes se rapportent à un bien quelconque, et ils supposaient qu'il était nécessaire à l'ordre que le mal existe ou qu'il arrive. Mais ils se trompaient, parce que le mal ne se rapporte pas au bien par lui-même, il ne s'y rapporte qu'accidentellement. Car le bien qui peut résulter du péché est en dehors de l'intention du pécheur, comme l'intention des tyrans n'est entrée pour rien dans la gloire dont les martyrs ont brillé par leur patience dans les tourments. C'est pourquoi on ne peut pas dire que le mal soit utile au bien, ni que ce soit une bonne chose que le mal existe ou qu'on le fasse, parce qu'on ne juge pas une chose sur ce qui ne lui convient qu'accidentellement, mais sur ce qui lui convient essentiellement.

(2) Hugues de Saint-Victor avait prétendu qu'il était bon que le mal existe (De sacram, fid. lib. i, quaest. A, cap. 15).

2. II faut répondre au second, que le mal ne contribue à la beauté et à la perfection de l'univers qu'accidentellement, comme nous l'avons dit dans la réponse précédente. Et saint Denis ne se sert des paroles citées dans l'objection que pour en tirer une induction contre ceux qui veulent que le mal soit une chose qui répugne.

3. Il faut répondre au troisième, que bien que ces deux propositions : que le mal soit fait, qu'il ne soit pas fait, soient contradictoirement opposées, cependant vouloir que le niai soit fait et vouloir qu'il ne soit pas fait, ne sont pas deux propositions contradictoires, puisqu'elles sont affirmatives l'une et l'autre. Donc Dieu ne veut pas que le mal arrive, et il ne veut pas qu'il n'arrive pas, mais il veut le laisser faire, et cette liberté qu'il donne est une bonne chose.



I pars (Drioux 1852) Qu.19 a.3