I pars (Drioux 1852) Qu.1



Paris, en la fête de saint Louis, 25 Août 1851.


Monsieur l'Abbé,


Vous vous proposez de donner au public la traduction entière de la Somme de saint Thomas, et vous en avez déjà fait paraître un volume avec des notes.

Dans les siècles précédents, cette entreprise eût été regrettable, parce qu'elle eût dispensé de lire cet éminent ouvrage dans la langue où il a été composé et qui était alors très-familière à tous les hommes d'étude.

Mais aujourd'hui que le latin est malheureusement si négligé et les esprits si frivoles, quel est l'homme et surtout l'homme du monde qui voudrait lire dans une langue péniblement comprise un ouvrage si long, si sérieux, si abstrait?

Cependant le besoin d'une philosophie solide et sage se fait généralement sentir après les égarements lamentables de la philosophie moderne.

Vous l'avez senti, Monsieur l'Abbé, et c'est pour faciliter ce retour aux saines doctrines que vous avez voulu rendre, par une traduction française, accessible aux intelligences même illettrées, les enseignements tout à la fois si élevés et si complets, si profonds et si précis de celui qui fut le plus grand philosophe du monde, parce qu'il en a été le plus grand théologien.

Je ne puis donc, Monsieur l'Abbé, que vous féliciter d'une oeuvre laborieuse que je vous reconnais capable de poursuivre avec succès, et qui, je l'espère, fera lire avec profit les admirables écrits de cet Ange de l'École, que sans cela peut-être on laisserait de plus en plus méconnu et dédaigné.

J'ajoute qu'ayant déjà pris connaissance du volume publié, je n'ai qu'à faire des voeux pour que les autres soient aussi satisfaisants.

Agréez, Monsieur l'Abbé, l'assurance de mes sentiments affectueux en Notre-Seigneur.


+ PIERRE LOUIS, év. de Langres,




Tours, 28 août 1851.


Monsieur l'Abbé,


J'ai reçu avec un bien sensible plaisir votre lettre et le tome premier de la belle traduction que vous avez entreprise. Je ne saurais assez vous remercier de m'avoir ainsi prévenu. La seule annonce de l'ouvrage et le nom du traducteur avaient suffi pour exciter tout mon intérêt. Ce sentiment s'est accru depuis que, grâce à vous, j'ai déjà pu commencer une lecture si attachante. Puissiez-vous mener à bonne fin ce que vous avez si courageusement commencé î Ce sera un nouveau et précieux service rendu à la Religion et aux fortes études que le Clergé surtout doit reprendre avec ardeur, maintenant que la disette de Prêtres se fait moins sentir, et qu'à la condition d'obtenir de la Providence, quelques années de calme et de tranquillité, il sera si facile de renouer nos plus belles traditions. Vous êtes appelé à y concourir puissamment, et c'est une tâche qui ne saurait être remise en meilleures mains.

Veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, avec mes voeux les plus empressés et les plus sincères, l'assurance des sentiments très-dévoués de votre très-humble et reconnaissant serviteur.


f F. N. Archevêque de Tours.





INTRODUCTION.

Ce n'est pas une chose nouvelle qu'une traduction de la Somme de saint Thomas. Du vivant même de cet illustre docteur, sa Somme contre les Gentils fut traduite en grec et en hébreu. On croit que ces deux versions furent faites par les soins de saint Raymond de Pennafort qui l'avait engagé à composer cet ouvrage et qui fut sans doute porté aie faire traduire par son zèle pour la conversion des orientaux, afin que les missionnaires d'alors pussent en retirer les plus grands avantages (1).

Les préventions de Maxime Planudes contre les Latins ne l'empêchèrent pas de traduire en grec la Somme théologique. Cette version se voit manuscrite à Rome dans la bibliothèque du Vatican, à Paris dans la bibliothèque nationale, et on la conservait à Venise parmi les manuscrits du cardinal Bes-sarion.

Marsile Ficin et Demetrius Cydonius ont aussi traduit en grec divers ouvrages du même docteur.

Dom Nicolas Antoine, dans la seconde partie de sa Bibliothèque espagnole (2), et le père Echard, dans le second tome des écrivains de l'ordre des frères prêcheurs (3), parlent d'un auteur anonyme qui a traduit en espagnol la première partie de la Somme.   .

Plusieurs opuscules de saint Thomas ont été traduits en italien ; mais un de ses éditeurs les plus célèbres, le père Bernard Marie de Ruboeis regrette qu'il ne se soit trouvé personne en Italie pour traduire la Somme en langue vulgaire (4).

On possède plusieurs traductions arméniennes de ce chef-d'oeuvre, dont la plus complète et la plus récente est celle qui fut publiée à Venise par D. Mé-chitar, au commencement du dernier siècle.

Les jésuites nous apprennent (8) qu'un missionnaire de leur société, le révérend père Rugli, traduisit en chinois la Somme théologique, et que le révérend père Magaillans traduisit dans la même langue ce que saint Thomas a écrit sur la résurrection des corps.

En France, plusieurs auteurs se sont appliqués à des travaux semblables.

De Marandé a publié en neuf tomes in-1 % une traduction de la Somme qu'il a intitulée : La Clef de saint Thomas sur toute sa Somme. Ce n'est pas une traduction littérale. Il abrège arbitrairement certaines parties, et il a bouleversé l'ordre suivi par saint Thomas pour chaque question, en mettant les objections sous le titre d'observations, après le corps des articles ; ce qui produit une confusion inévitable, puisque le plus souvent la manière dont saint Thomas développe le corps des articles, suppose la connaissance des objections qu'il s'est faites préalablement (6).

De Hauteville, docteur en théologie, et chanoine de l'église cathédrale de Saint-Pierre de Genève, a donné aussi une traduction française de la Somme.



(1) Touron , Vie de saint Thomas (lib. \i, cap. 9).
(2) Bibliolh., p. 269.
(3) Script, ord. proed. 1. il, p. 359.
(4) Vid. edit. Tenet. Dissert. ï, cnp. 8.
(5) Catalogus Patrum socictatis Jesu qui in imperio Sinarum fidem propagavenmt.Ftí-ris, I686. >
(6) De Marandé a aussi publié en plusieurs volumes in-folio les Morales chrétiennes du Théologien français, ou Paraphrase sur saint Thomas.

Mais cette traduction s'écarte encore beaucoup plus du texte que la précédente. Ce n'est qu'un abrégé qui renferme à la vérité toutes les questions traitées par saint Thomas, mais présentées par ordre analytique de manière que chaque article offre une sorte de tableau synoptique destiné à faciliter l'étude de la Somme aux prédicateurs (1).

Le révérend père Griffon, secrétaire général de la congrégation de la Doctrine chrétienne, a composé aussi un abrégé en français de la théologie de saint Thomas par demandes et par réponses ; mais cet abrégé, ne formant que deux volumes in-12, ne peut donner qu'une idée très-incomplète de la science et de la doctrine renfermée dans la Somme (2).

Le père Touron, dans sa Vie de saint Thomas, rapporte que l'auteur des Essais critiques de prose et de poésie, dit en parlant de M. Ville Mareschal : J'ai vu Tntre ses mains une traduction de la Somme de saint Thomas, dont je le erois auteur, rendue fidèlement et à la lettre, et cependant avec une pureté et des beautés dont le texte ne paraît pas susceptible.

J'ai fait moi-même et j'ai fait faire toutes les recherches possibles pour découvrir si cette traduction avait été imprimée. Je n'ai rien trouvé ni dans les bibliothèques publiques, ni dans les. ouvrages bibliographiques, de sorte que je crois que si cette version a existé, elle est restée manuscrite.

Je ne parle pas de la traduction française publiée récemment sous le nom de M. de Genoude. L'ouvrage est resté inachevé, et d'ailleurs l'auteur s'était borné à traduire le corps des articles, sans tenir compte des objections et des réponses.

Souvent même il s'est donné la liberté d'abréger le corps des articles eux-mêmes, et il s'est quelquefois tellement éloigné du texte qu'il n'y a pour ainsi dire aucun rapport entre sa pensée et celle de saint Thomas. C'est ce que l'on remarque principalement dans la dernière partie de son travail (3).

Ainsi on peut donc dire que la Somme de saint Thomas n'a pas encore été jusqu'aujourd'hui traduite intégralement en français.

C'est la tâche que je me suis imposée, et, pour justifier le dessein que j'ai conçu, il me suffira de présenter ici quelques considérations : 1°sur la Somme et les autres écrits théologiques de saint Thomas; 2° sur l'autorité de sa doctrine ; 3° sur l'utilité de l'étude de la Somme par rapport aux controverses actuelles.


I. DE LA SOMME DE SAINT THOMAS ET DE SES AUTRES ÉCRITS..

La Somme de saint Thomas n'était dans la pensée de son auteur qu'un livre élémentaire qu'il destinait à la jeunesse studieuse de son temps, pour lui faciliter l'étude de la science théologique (Í). Ce monument n'en est pas moins resté l'oeuvre la plus haute et la plus profonde qu'ait produite la scolas-tique.

Pour bien comprendre le caractère de ce chef-d'oeuvre, il est nécessaire de se reporter à la forme qu'avait prise l'enseignement catholique au moyen âge.

Dans les premiers siècles de l'Eglise, les Pères s'étaient exclusivement occupés d'instruire les fidèles par le ministère de la prédication, et de réfuter toutes les erreurs qui mettaient en péril la vraie foi.

(1) Cet ouvrage forme 4 vol. in-'(». Lyon, 1058-4674.
(2) Ce livre a ttè imprimi à Parit en 1707.
(3) Cette traduction abrégée devait produire deux volumes : il n'y en a eu «Vun de publié.
(4) Voyez le prologue ou la préface qu'il a mis lui-même au commencement de son ouvrage.

Leurs oeuvres renferment des explications savantes des saintes Ecritures, des liomélies ou des sermons qu'ils adressaient à leur peuple, ou des traités aussi profonds qu'éloquents dans lesquels ils combattaient avec vigueur les hérétiques de leur temps.

Mais parmi cette multitude d'ouvrages on n'en trouve aucun dont l'auteur ait eu la prétention de réunir en un seul corps de doctrines tous les enseignements de la foi.

Origène en eut la pensée, et il le tenta dans son livre des Principes ; mais il * n'était pas parti de données certaines et solides, et il échoua dans son entreprise. •

Plus tard, saint Jean Damascène fut plus heureux dans son ouvrage qu'il intitula : De la Foi orthodoxe. Mais, quelque remarquable que soit cette synthèse, elle n'a pas le caractère méthodique et précis que l'on admire dans la Somme de saint Thomas. On sent que l'auteur n'a pas écrit pour que son livre servît de texte à l'enseignement des écoles.

Il faut donc arriver jusqu'à la scolastique pour trouver ce genre d'ouvrages, et la gloire particulière de cette époque est d'avoir indiqué la véritable méthode d'après laquelle la théologie ainsi que toutes les sciences doivent être enseignées.

De nos jours, où l'on s'est plu à tout remettre en question, on s'est élevé contre la scolastique, et on aurait voulu, pour ainsi dire, la rendre responsable de tous les maux sur lesquels l'Eglise a eu à gémir pendant ces derniers siècles.

Sans vouloir ici ressusciter une polémique qui s'est assoupie presque entièrement depuis quelques années, je ferai remarquer que ce qui a induit les esprits en erreur, et ce qui produit encore beaucoup de préjugés sur le mouvement littéraire au moyen âge, c'est qu'on a considéré et qu'on considère encore la scolastique comme une science, tandis que ce n'est qu'une méthode.

Voyez en effet comme tous les historiens ont compris son histoire. Ils se sont tous accordés à la diviser en trois âges, dont le premier va de Roscelin à Albert le Grand, le second d'Albert le Grand à Durand de Saint-Pourçain, et le dernier depuis ce docteur jusqu'à la réforme.

Le premier de ces âges est sa période de formation. Or, que remarque-t-on pendant toute cette période? Les esprits se passionnent pour la dialectique; ils s'efforcent de ramener toutes les connaissances qu'ils possèdent à quelques principes généraux, pour les en déduire ensuite par voie de conséquences.

Il put y avoir des excès dans cette fièvre de raisonnement qui prétendait argumenter sur toutes choses, mais en somme les études y gagnèrent.

Pour systématiser toutes les sciences il fallut les approfondir davantage, et en recherchant le rapport logique qui existait entre chaque proposition on fut amené à d'heureux résultats.

La théologie, qui était le but suprême de tous les efforts et de toutes les ambitions, changea tout à coup de face. Au lieu de traiter isolément des divers points de dogme, de discipline ou de morale, on travailla à réunir dans un même ensemble toutes les lumières de l'Ecriture et de la tradition, et à en faire un ouvrage unique dont toutes les parties soient rigoureusement enchaînées.

Pierre Lombard fut le premier qui réussit à coordonner ce vaste édifice.

Mais il est à remarquer que tout en appliquant à la théologie une méthode nouvelle, en la soumettant à des procédés logiques, il se tint pour le fond des choses absolument en garde contre toute innovation.

Dans l'exposition des enseignements de la foi, il se fit une règle de n'employer que les expressions consacrées par l'autorité des Pères, et il appela pour ce motif son ouvrage le Livre des Sentences (Liber Sententiarum).

Plusieurs ouvrages parurent sous ce même titre au xne siècle. Le cardinal Robert Pullus, Pierre de Poitiers, sont les théologiens qui eurent dans ce genre le plus de célébrité après Pierre Lombard.,

On sait que le livre de Pierre Lombard fut, au xii' et au xm° siècle, le texte obligé de toutes les leçons des professeurs de l'Université de Paris. Mais ce qu'on ne sait pas c'est que jusqu'au xme siècle Aristote n'entrait pour rien dans l'enseignement des écoles.

A la vérité son nom est souvent cité par les écrivains antérieurs, mais ils ne connaissaient que ses ouvrages de logique.

Sur la fin du xii0 siècle, Gautier, chanoine régulier de Saint-Victor, s'éleva contre la méthode nouvelle que l'on avait introduite dans la théologie, et composa un traité contre Pierre Abeilard, Gilbert de la Porrée, Pierre Lombard et Pierre de Poitiers, qu'il accuse d'avoir altéré la saine doctrine en l'alliant aux erreurs d'Aristote. Mais il est certain que ces théologiens n'empruntèrent au philosophe de Stagyre que l'art de la dialectique.

Ainsi, le nom d'Aristote ne se trouve pas cité une seule fois dans le livre de Pierre Lombard. Abeilard, qui se rendit si célèbre par sa passion pour le syllogisme, a laissé des gloses sur l'Introduction de Porphyre, les Catégories, et l'Interprétation ; il a quelquefois cité les Réfutations sophistiques et les Topiques, mais il avoue formellement qu'il ne connaît ni la Physique, ni la Métaphysique d'Aristote (1). Jean de Sarrisbury s'étend beaucoup sur tous les écrits du philosophe grec, relatifs à la logique (2), mais il ne dit pas un mot de ses autres ouvrages, ce qui suppose qu'il ne les connaissait pas.

Quand les ouvrages de physique et de métaphysique d'Aristote passèrent en Occident, ils s'y présentèrent d'abord au moyen de traductions arabes-latines accompagnées dès commentaires d'Averroës et d'Avicenne. On eut même recours pendant quelque* temps aux ouvrages de ce dernier pour y puiser la doctrine péripatéticienne.

On ne tarda pas à voir cette doctrine empoisonnée porter ses fruits. David de Dinant enseigna que tout est un, c'est-à-dire que tous les êtres ont une même essence, une même substance et une même nature; et Amaury, formulant le même principe, dit que tout est Dieu, et que Dieu est tout. C'était le panthéisme le plus formel.

Le concile de Paris condamna, en 1209, les livres d'Aristote, et les commentaires d'où étaient sorties ces monstrueuses erreurs (3).

En 12IS, le légat du saint-siége, Robert de Courçon maintint la sentence du concile, mais il fit une exception en faveur des livres de logique (4).

Le pape Grégoire IX publia en 1231 une bulle qui renouvelait les condamnations précédentes et qui interdisait les ouvrages d'Aristote jusqu'à ce qu'ils fussent corrigés (b).

(1). Ouvrages inédits d'Abeilard, p. 200. Pour les autres parties de la philosophie, Abeilard suit ordinairement les opinions de Platon.
(2) Métalogieus, lib. in et iv.
(3) A l'égard de celte condamnation , elle n'est pas rapportée de la même manière par les historiens de cette époque. Le récit de Guillaume le Breton, adopté par Launoy, ne s'accorde pas avec ceux de César d'Heistcrbach et de Hugues, le con tinuateur de la chronique de Robert d'Auxcrrc.
Mais ce qui coupe court à toute controverse, c'est le texte même du concile publié par I). Martènc [Novus Thesaurus anccdolorum,t. IV,p. fGG'.
(4) Voyez les statuts donnés par ce légat à l'université de Paris. Ap. Ilulaeum, Ilist. univ. Paris, t. m, p. 82. Cf. Launoy, De varia Aristotelis fortuna, cap. 6.
(5) Voyez lc texte de cette bulle. Ap. Bulaeum, loc. cit., p. 142, et Cf. Launoy, ibid., cap. 6.

Ainsi jusqu'en 1230, quoi qu'on en ait dit, Aristote n'avait encore exercé d'autre influence sur l'enseigement théologique que celle qui résultait naturellement de son Organon ou de tous ses ouvrages de logique.

Mais de 1230 à 1240 il se fit un changement prodigieux. Son nom se rencontre dans tous les ouvrages de théologie qui furent alors publiés.

Guillaume d'Auvergne, qui fut évêque de Paris et qui mourut en 1248, cite fréquemment la Métaphysique, la Physique, le traité de l'Ame, ceux du Sommeil et de la veille, des Animaux, du Ciel et du Monde, des Météores, les Ethiques, etc. (1). On voit qu'il connaissait presque tous les écrits du philosophe grec.

Par suite des relations que la chrétienté avait avec les Maures d'Espagne il n'avait pas été possible de se défendre contre l'invasion des traductions arabes-latines et de tous les commentaires panthéistes qui les accompagnaient.

Pour combattre l'erreur par ses propres armes on avait senti le besoin d'avoir recours au texte grec lui-même (2), et l'on avait pu satisfaire ce désir d'autant plus facilement que la fondation d'un empire français à Constanti-nople (3) avait favorisé l'étude du grec en Occident.

On se mit donc à lire Aristote dans sa propre langue, et on s'empressa d'en faire des traductions nouvelles, exemptes de toutes les erreurs que les Arabes y avaient mêlées (4). .

Dans le même temps les études théologiques reçurent un nouveau développement.

On trouva le livre des Sentences insuffisant, et l'on se mit à composer sous le nom de Sommes une foule d'ouvrages auxquels on ajouta toutes les questions naturelles et philosophiques que l'on avait soulevées à propos de la philosophie ancienne.

Ainsi Guillaume de Seignelay, Robert de Courçon, Alain de l'Isle, Simon de Tournay, Pierre de Corbeil, Praepositivus, Moneta, Vincent de Beauvais, Alexandre de Halés, Jean de la Rochelle, Albert le Grand et plusieurs autres donnèrent leurs Sommes avant que ne parût celle de saint Thomas (5).

L'idéal qu'on se proposait dans ces divers ouvrages n'était pas facile à réaliser.

Il s'agissait de concevoir un plan assez vaste pour renfermer toutes les questions dogmatiques et morales qui sont du ressort de la théologie. Il fallait assignera chacune de ces questions la place qui lui convient logiquement, de manière que toutes les parties de l'ouvrage se déduisent rigoureusement les unes des autres et se prêtent ainsi un mutuel appui.

C'était là pour la méthode.

Quant à l'exécution elle exigeait des connaissances universelles. Ainsi il fallait connaître à fond toutes les Ecritures pour'citer à chaque question les textes qui sont à l'appui des sentiments que l'on embrassait et pour rapporter

(1) Vii.Guillelmi Arverni Parisiensis episcopi opera omnia. Aurcliani, 1074 . 2 vol. in-fol.
(2) Plusieurs savants ont prétendu que les docteurs de cette époque ne savaient pas le grec, et crue saint Thomas n'avait connu Aristote que par (les traductions. Bernard Guyard publia en IGG7 une dissertation particulière contre cette assertion, ïl suffit d'ailleurs de lire les commentaires de saint Thomas pour se convaincre de la connaissance qu'il ayaitile la langue grecque, puisque à chaque instant il compare les différentes versions entre elles et discute la valeur propre des expressions qui se trouvent dans l'original.
(3) Ce fut en 1204 que cet empire fut fondé.
(4) Guillaume de ïoeco dit formellement que saint Thomas fit faire une nouvelle traduction des oeuvres d'Aristote : Quae sententia? Aristotelis contineret clarius«m'íaíewfc.Bolland., Antverp., 1645, mensis Martii, 1.1, p. GG3. (5) Voyez Bibliothèque des écrivains ecclésiastiques, par Elies Dupill (Xlie siècle).

ceux qui paraissaient les contredire afin de les discuter et d'en établir le véritable sens.

La théologie étant avant tout une science traditionnelle, il était nécessaire, pour ne pas s'égarer, d'avoir approfondi la tradition, c'est-à-dire de savoir les décisions des conciles et des papes et d'avoir lu et médité tous les principaux ouvrages des Pères.

Enfin, selon la remarque de saint Thomas lui-même, il était du devoir du théologien de s'instruire des choses de la nature et de se livrer à l'étude de la philosophie pour faire hommage de toutes les sciences humaines à la science divine et l'enrichir de toutes leurs lumières (4).

L'Ange de l'école se prépara à la composition de sa Somme par l'acquisition préalable de toutes ces connaissances.

Il avait appris par coeur tout l'Ancien et le Nouveau Testament, afin d'avoir toujours présent à l'esprit le texte sacré. Ses commentaires sur le livre de Job, sur la première partie du livre des Psaumes, sur Isaïe et sur Jérémie, sur les quatre Evangiles et sur les Epîtres de saint Paul sont de magnifiques monuments de sa piété et de son érudition. Comme le dit le père Possevin (2), on est surpris de l'attention minutieuse, de l'exactitude et du savoir que supposent tous ses commentaires. Il prend soin d'examiner les différentes versions, de les comparer entre elles, de concilier les passages qui semblent opposés les uns aux autres, soit'clans les livres saints, soit dans les ouvrages des Pères ou des autres interprètes de l'Ecriture. Ses citations sont si fréquentes et si variées qu'on ne sait comment à une époque où l'imprimerie n'était pas inventée il lui a été possible de lire un aussi grand nombre d'ouvrages.

Comme tous les professeurs de son temps il avait débuté dans l'enseignement de la théologie par une explication des quatre livres du Maître des Sentences. Nous possédons son commentaire où il parle de la nature divine, de la création, de l'incarnation du Verbe, des vertus et des vices, des sacrements de la loi nouvelle et des dernières fins de l'homme. Il n'avait que vingt-cinq ans quand il donna ses leçons sur toutes les principales matières de la science théologique, mais elles parurent si solides et si profondes que la faculté de théologie de Paris regarda dès lors le jeune docteur comme son oracle et comme le prodige de son siècle.  .

Vers l'an 1260 il commença ses travaux sur Aristote, et il se mit à étudier les sciences naturelles telles qu'elles étaient connues de son temps et toute la philosophie ancienne. Son premier but était de réfuter les disciples d'Averroës qui faisaient, au xiii0 siècle, un si grand abus du nom du philosophe grec. Mais il ne se contenta pas de répondre à leurs difficultés, il voulut encore faire servir à la gloire de la religion toutes les lumières de la sagesse ancienne, et il emprunta à Aristote tout ce qu'il avait de bon, comme autrefois saint Augustin à Platon, pour en enrichir la science sacrée (3). Sixte de Sienne remarque que de tous les docteurs latins il est le premier qui ait osé tenter une entreprise si difficile et qui ait eu la consolation de voir que le succès avait parfaitement répondu à la grandeur de la difficulté et à la droiture de ses intentions. Tous ces nombreux travaux ne l'empêchèrent pas de trouver des

(1) Voyez ce qu'il dit de l'utilité des sciences naturelles par rapport à la théologie (Sum. cont. Gentes, lib. ir, cap. t-4).
(2) Apparatus sacer, t. ir, p. 477 et suiv. ed. 1608.
(3) Voyez ce que dit à ce sujet lc P. Touron dans sa Vie de saint Thomas (pag. 4S4-463). On voit par là que le docteur catholique n'était pas dominé, comme on l'a prétendu, par le sentiment d'Aristote. Il soumet, au contraire, le philosophe païen au joug de la foi, et il le réfute et l'abandonne chaque fois que ses opinions paraissent en opposition avec la doctrine de l'Eglise.

(1) Opus absolutissimum quo reliquos omnes qui ed de re scripsPre, veteres et recentiores anteivit Appar. sacer. T. II, p. -178.
(2) Yid. Prolog., 1a part.
(3) Pour justifier cette assertion, j'ai indiqué en note, d'après la grande édition du cardinal Caje-tan, le profit que l'on pouvait retirer de chaque article.
(4) Cens qui étudient la théologie dans les traités élémentaires qui existent actuellement désirent souvent un plan général qui comprenne la science entière et qui indique le rapport logique de toutes ses parties. Je ne crois pas qu'on puisse rien faire de plus parfait que la Somme de saint Thomas. Le plan est donc toutàtrouvé; il suffit de s'en bien pénétrer.

loisirs, soit pour répondre aux questions qu'on lui adressait des différentes parties de la chrétienté, soit pour composer des traités spéciaux sur les points qui étaient les plus vivement controversés parmi ses contemporains. Ses opuscules suffiraient à eux seuls pour faire la réputation et pour avoir rempli la carrière de tout autre savant.

Saint Raymond de Pennafort ayant voulu avoir un ouvrage méthodique qu'il pût mettre entre les mains de ses religieux pour les aider à travailler à la conversion des Maures et des juifs répandus alors en Espagne, saint Thomas, sur l'ordre exprès de son général, composa sa Somme contre les Gentils que le père Possevin regarde avec raison comme l'ouvrage le plus parfait et le plus achevé en ce genre qui ait été jamais écrit par aucun auteur ancien ou moderne (1). C'était en quelque sorte le coup d'essai par lequel il préludait à la composition de sa grande Somme théologique.

Il commença cet immense travail en 1265, immédiatement après avoir refusé l'archevêché de Naples. Dans la courte préface qu'il a mise en tête il nous dit les défauts de ses devanciers. Les uns avaient surchargé leur ouvrage de questions, d'articles et d'arguments inutiles ; les autres n'avaient pas suivi dans l'exposition de leur doctrine une marche logique, traitant au hasard les différentes parties de la science selon qu'elles se présentaient à leur esprit ; d'autres enfin étaient tombés dans des redites fatigantes qui rebutaient les élèves et qui jetaient la confusion dans leur esprit (8).

Il sut éviter le premier de ces défauts en dégageant la théologie de toutes ces discussions frivoles qui commençaient déjà à être du goût de l'école. Car en étudiant la Somme on verra qu'il n'y a pas un article qui n'ait son utilité (3), pas un argument qui n'ait sa valeur. Si l'on y rencontre quelques propositions qui n'aient pas par elles-mêmes une grande importance, ce sont des lemmes qui servent à démontrer d'autres propositions fondamentales et qui contribuent ainsi à la solidité de l'ensemble.

Il évita le second en procédant d'une façon si rigoureuse, que depuis le commencement de son vaste ouvrage jusqu'à la fin on marche de déductions en déductions d'après des principes constants et invariables. Toutes ses divisions et toutes ses subdivisions sont justifiées par la logique la plus sévère, et il n'est pas possible de trouver un plan qui soit à la fois plus vaste, plus simple et plus naturel. Il embrasse tout, et chaque chose se trouve si parfaitement à sa place qu'on ne pense pas en parcourant ce vaste édifice qu'il soit possible d'assigner un autre ordre aux parties qui le composent (4).

Enfin il a évité le troisième en se contentant de renvoyer, chaque fois qu'il le faut, aux principes qu'il a émis. Il était si maître de sa pensée et de sa matière qu'il n'oublie rien de ce qu'il a précédemment écrit. A la façon des géomètres il rappelle d'un mot les propositions antérieures sur lesquelles repose sa démonstration, et il fait ainsi avancer l'esprit du connu à l'inconnu.

Sa méthode est uniforme. Il expose avant tout les objections ou les difficultés qui viennent d'abord à l'esprit, ou les fausses lueurs qui se manifestent à la raison aussitôt qu'elle aborde un problème nouveau, parce qu'il est en effet dans notre nature de ne pas apercevoir immédiatement la vérité quand

on nous propose une question à laquelle nous n'avons pas réfléchi. Nous ne découvrons dans le principe que de vagues apparences qui sont le plus souvent trompeuses. Ce n'est que par la réflexion que notre pensée s'affermit et que nous saisissons dans toute sa plénitude la vérité que nous cherchions.

L'illustre docteur place donc après les difficultés ou les objections la solution vraie du problème qu'il s'est posé ; il l'appuie de témoignages et d'arguments solides, et s'il est nécessaire il revient aux difficultés qui se sont d'abord présentées, et il dissipe en y répondant tout ce qu'elles avaient de faux et de trompeur.

L'uniformité de cette marche ôte à son ouvrage quelques agréments extérieurs. Mais si l'on réfléchit que dans sa pensée chaque article n'était qu'un texte sommaire destiné à être développé, commenté par un maître ; ce qui paraissait un défaut sera au contraire considéré comme un mérite, parce que, quand il s'agit d'enseigner, l'expérience est là pour prouver qu'on ne peut pas être trop clair, trop précis, trop méthodique, et qu'il y a avantage à procéder toujours de la même manière. L'intelligence de l'élève saisit plus parfaitement la pensée du maître, et sa mémoire la retient plus facilement.

Aussi tous les hommes les plus distingués n'ont-ils jamais eu qu'une voix pour louer le plan de la Somme et pour reconnaître que saint Thomas avait réellement découvert la meilleure méthode d'enseignement.

Maintenant si nous examinons le fond de l'ouvrage, tout le monde reconnaîtra qu'il n'est pas possible de trouver une connaissance plus profonde des saintes Ecritures, des Pères de l'Eglise, des décisions des conciles et des papes, de la philosophie ancienne et de toutes les sciences naturelles (1). Sur toutes les questions les plus difficiles il connaît le pour et le contre qu'offrent ces sources si diverses, il discute avec une précision admirable tous les faits, tous les témoignages et tous les raisonnements. Saint Paul est parmi les écrivains sacrés celui qu'il cite le plus souvent, mais il n'en connaît pas moins les autres, et la Bible presque entière se trouve citée dans son ouvrage. Parmi les Pères il a une prédilection marquée pour saint Augustin, mais il n'en rapporte pas moins les témoignages de saint Basile, de saint Ambroise, de saint Grégoire et de tous les autres docteurs, soit qu'ils paraissent contraires au sentiment qu'il soutient, soit qu'ils le confirment. Aristote est le philosophe ancien qu'il suit de préférence, mais on voit qu'il n'ignore pas la doctrine des platoniciens, des stoïciens et des autres grandes écoles de la Grèce. Il a lu Cicéron, et il sait retirer de son meilleur ouvrage philosophique (2) les vérités les plus élevées qu'il renferme. La raison est entre ses mains l'instrument docile de la foi, et il la manie avec tant de force et de sûreté que dans cette vaste synthèse il ne lui est pas échappé un mot que l'orthodoxie ait contredit. Sa pensée a constamment fait autorité dans toute l'Eglise catholique, comme nous allons le voir.

II. de l'autorité de la doctrine de saint thomas.

De son vivant saint Thomas reçut de ses contemporains les témoignages les plus éclatants à l'égard de l'étendue et de la solidité de sa science.

(1) Nous ne voulons pas dire qu'il n'ait pas partagé sur ce point les erreurs de son temps; mais en approfondissant les différentes opinions qu'il émet sur les.' sciences naturelles, on sera peut-être surpris, comme je l'ai été moi-même, que ces erreurs ne soient pas plus graves ni plus nombreuses.
(2) Les Tusculanes sont l'ouvrage de Cieéron qu'il cite le plus souvent.

Tous les souverains pontifes qui occupèrent le siège de saint Pierre depuis le mêment où il commença à enseigner jusqu'à sa mort l'honorèrent tout particulièrement de leur considération et de leur estime. Alexandre IY écrivit au chancelier de l'Eglise de Paris le 3 mars 1256 pour le féliciter d'avoir accordé la licence à un sujet si recommandable par les trésors de science et de doctrine que Dieu avait mis en lui. Urbain IV le chargea de composer un traité sur les erreurs des Grecs, et il le chérissait si particulièrement qu'il voulait toujours l'avoir près de lui partout où il allait. Clément IV lui offrit l'archevêché de Naples et lui donna plusieurs autres marques de confiance. L'université de Paris ayant été divisée à propos de la question des accidents eucharistiques, tous les docteurs résolurent de s'en rapporter au jugement de saint Thomas, et il traita si parfaitement cette question difficile qu'ils se rangèrent tous de son avis, persuadés qu'on ne pouvait ni mieux concevoir la difficulté, ni l'expliquer plus clairement.

Quand il s'agit de convoquer le second concile de Lyon, le pape Grégoire X adressa un bref particulier à saint Thomas d'Aquin, qu'il regardait avec raison comme le premier docteur de son siècle. On espérait beaucoup de ses lumières pour convaincre les Grecs de schisme et d'hérésie, et les ramener à l'unité. Mais ce grand homme mourut sur ces entrefaites (1).

Tout le monde catholique apprit sa mort avec une immense douleur. L'université de Paris écrivit au chapitre général de l'ordre de Saint-Dominique en 1 274 pour avoir les cendres de celui qu'elle regardait à juste titre comme son ornement et sa gloire. « Si l'Eglise honore avec raison, disaient-ils, les reliques des saints, n'est-il pas aussi conforme à la bienséance et à la piété que nous soyons les dépositaires du corps de cet incomparable docteur, afin que la vue de son tombeau produise à jamais dans le coeur de ceux qui viendront après nous, les mêmes.sentiments d'estime et de vénération que l'excellence de ses ouvrages a fait naître depuis longtemps dans nos esprits (2). »

Le concert de louanges qui s'était élevé jusqu'alors avec unanimité autour de son nom ne l'empêcha pas toutefois d'être en butte aux attaques de l'envie. Le 7 mars 1276 Etienne Tempier, évêque de Paris, publia à l'instigation de quelques docteurs un décret par lequel il condamnait plus de deux cents propositions, dont quelques-unes se trouvent dans saint Thomas (3).

Cet événement ayant été connu en Allemagne , Albert le Grand, qui était évêque de Ratisbonne, partit immédiatement de Cologne pour se rendre à Paris. Il était octogénaire. Malgré son grand âge il pria les docteurs de s'assembler , et monta en chaire pour prononcer en leur présence l'éloge de son immortel disciple, en disant qu'il était prêt à défendre tous les ouvrages du saint docteur et à montrer qu'ils étaient tout resplendissants de vérité et de sainteté (4).

Gilles Colonne, de l'ordre des ermites de Saint-Augustin, déploya alors le plus grand zèle pour la défense de saint Thomas, dont il avait suivi les leçons pendant plus de treize années (5). Godefroy Desfontaines s'éleva aussi avec beaucoup de force contre le décret de l'évêque de Paris, parce qu'il craignait qu'il n'éloignât quelques étudiants des livres de saint Thomas, et qu'il ne les

(1) Il mourut le 7 mars-1274, dans la quarante-Iniitième année de son âge, d'après Tholomée de laïques, Barthélemi de Capoue et Jacques de Vi-lorbe, ses contemporains et ses amis (Boll., p. 714, note 85).
(2) Cette lettre a été conservée manuscrite dans la bibliothèque de Saint-Victor, à Paris, et se trouve dans YHistoire de l'université de Hubou-lay (t. m, p. 408).
(3) Fleury, Hist. eeclès. (t. xviii, lib. LXXXYll, p. 250).
(4) Bolland. 1.1 Martii, p. 714.
(5) Guillaume de la Marre ayant publié un ouvrage intitulé : Correctorium fratris Thomoe, les théologiens l'appelèrent par dérision te Corrupteur du frère Thomas [Corruplorium fratris Thomoe), et l'on croit que ce fut Gilles Colonne qui réfuta ce libelle dans un excellent écrit qu'il intitula : Le Correcteur corrigé.

privât par là même des secours qui pouvaient le plus contribuer à leurs progrès. « Car, dit-il, après la doctrine des saints Pères, celle de Thomas d'Aquin, nous ne craignons pas de le dire, sans faire tort à personne, doit être considérée comme la plus utile et la plus approuvée (1). »

Jacques de Viterbe, archevêque de Naples, disait : « Je crois fermement et sur ma conscience que notre Sauveur, pour instruire les fidèles, pour éclairer le monde et l'Eglise universelle, a envoyé d'abord saint Paul, ensuite saint Augustin, enfin de nos jours Thomas d'Aquin, après lequel je ne crois pas qu'il viendra de semblable docteur jusqu'à la fin des siècles..... Quoique ses écrits, ajoutait-il, aient été attaqués et vivement censurés par des personnes d'un grand poids, l'autorité de sa doctrine n'en a point souffert, elle est au contraire devenue tous les jours plus grande et plus respectée dans tous les lieux et jusque dans les pays barbares (2). »

Jean XXII, qui le canonisa en 1323, dit dans un discours qu'il prononça à son sujet, qu'il était prouvé « que Dieu avait opéré par l'entremise de son glorieux serviteur au moins trois cents miracles, que d'ailleurs il avait fait autant de miracles qu'il avait écrit d'articles (3). »

Dans une autre occasion, le même pontife adressant la parole aux cardinaux, leur dit : « Thomas d'Aquin a lui seul répandu plus de lumières dans l'Eglise que tous les autres savants, et il est certain que quiconque cherchera dans ses écrits les trésors des sciences, fera bien plus de progrès dans une année d'étude, qu'il n'en ferait dans tout le cours de sa vie par la lecture des autres auteurs (4). »

Deux ans après la canonisation du saint docteur, en 1325, Etienne de Borret, évêque de Paris , révoqua et annula le décret de son prédécesseur à l'instigation du souverain pontife Jean XXII, à la sollicitation du chapitre de Notre-Dame et de l'avis de tous les docteurs et bacheliers de l'université. L'évêque et les docteurs disaient dans ce décret que cet Ange de l'école n'avait jamais rien enseigné, dicté ou écrit qui ne fût conforme à la doctrine de la foi et à la règle des bonnes moeurs. Et plus loin ils ajoutaient que ce grand homme avait été pendant sa vie, comme il est encore après sa mort, « la lumière éclatante de l'Eglise universelle, l'ornement du clergé, la source féconde où les docteurs puisent les trésors de la science, le miroir très-pur où sont représentés les sentiments de l'université de Paris, le flambeau à la faveur duquel tous ceux qui entrent dans les voies de la vie et dans les écoles de la saine doctrine, découvrent la lumière et la Vérité (5). »

Le pape Clément VI, en sa qualité de docteur, avait prononcé deux discours à la louange de saint Thomas, l'un en 1323 en présence de Jean XXII, et l'autre à Paris en présence de toute l'université assemblée dans l'église des Dominicains de la rue Saint-Jacques, en 1324 (fi). Ayant été promu au souverain pontificat, il publia le 6 février 1344 une bulle par laquelle il accorda des indulgences à tous les fidèles qui communieront dans les églises des Dominicains le jour de la fête de ce saint docteur, dont il compare la science à la lumière du soleil qui éclaire le monde, et au glaive spirituel qui détruit les vices et les erreurs entre les mains des hommes puissants en oeuvres et en paroles (7).

(1) Voyez Echarcl, Script, ord. Proedic, t.1, p. 296.
(2) Bolland. Í. I Mari. p. 744, note 83.
(3) Bullarium ord. Proedic. t. Il, p. 165, note 22..
(4) Bolland. Itid. p. 682.
(5) Ce décret est rapporté tout entier dans la Vie de saint Thomas du P. Touron (p. 642-644). Il se trouve aussi dans Duboulay [Bist. univ. Paris, cap. VI, p. 204).
(6) Vo)/es le P. Touron, p. 747.
(7) Bullarium ord. Proed. t. il, p. 226.

Nous avons dit que Marsile Ficin, Demetrius Cydonius et Maxime Planudes avaient traduit en grec la Somme de l'illustre docteur et quelques autres de ses écrits. Tout attaché qu'était Planude aux erreurs des Orientaux, il ne put contenir son admiration pour saint Thomas ; et il écrivit de sa main à la fin de la traduction qu'il avait faite de la Somme : Ce sage, admirable en tout point, n'a d'autre défaut que d'être Latin (4).

Le pape Innocent VI prononça en 4360, dans un discours qu'il fit à la louange de saint Thomas, ces remarquables paroles : « La doctrine de ce saint docteur, plus que toute autre (la canonique seule exceptée), a toute la propriété de l'expression, l'Ordre et l'arrangement des matières et la vérité des principes, en sorte que celui qui s'y attache fidèlement ne s'écarte jamais du sentier de la vérité, tandis que celui qui ose la combattre doit toujours craindre de tomber dans l'erreur (2). » A l'occasion de la translation des reliques du saint docteur à Toulouse, le pape Urbain V adressa, le 31 août 4 368, une bulle à l'archevêque, à l'université, à tous les docteurs clercs ou laïcs, tant de la ville de Toulouse que de la province. Après leur avoir recommandé de rendre à ces reliques des honneurs proportionnés à la sublimité de la science dont le Seigneur avait enrichi son serviteur, il leur dit : « Nous voulons aussi et nous vous ordonnons par ces présentes de suivre toujours fidèlement et de répandre avec zèle, selon votre pouvoir, la doctrine du même saint Thomas comme pure, véritable et catholique (3). »

Dans les conciles de Pise, de Constance et de Bâle, saint Thomas fut représenté par des docteurs de son ordre. Le général des dominicains assista, avec huit théologiens pénétrés de la doctrine de saint Thomas, au concile de Pise ; Louis de Valladolid, Jean de Podomitis et plusieurs autres dominicains se distinguèrent au concile de Constance, et les noms de Jean de Raguse, de Nicolas Jacquier, d'Henri Kalteisen sont inscrits avec éloge dans les actes du concile de Bàle. Le célèbre chancelier Gerson lit d'ailleurs paraître l'estime toute particulière qu'il avait pour le saint docteur, dans un discours qu'il prononça au concile de Bàle. « Que nos adversaires, dit-il, se gardent bien de préférer leurs idées aux sentiments et à la doctrine de saint Thomas et des autres saints docteurs dont l'autorité est si respectée dans l'Eglise qu'il n'est point permis de combattre ce qu'ils enseignent d'un commun accord (4). »

Au concile de Florence (4 438), un dominicain, Jean de Mont-Noir (5), ayant été choisi pour être le théologien des Latins, il ne fit usage contre les Grecs que des arguments qui se trouvent dans la première partie de la Somme de saint Thomas et dans son Opuscule contre les erreurs des Grecs. Il réfuta si victorieusement Marc d'Ephèse, qu'un grand nombre d'orientaux ouvrirent les yeux à la lumière. Ils reconnurent tous qu'ils devaient la vérité au génie de saint Thomas, et ils se prirent pour lui d'une admiration si profonde qu'ils firent traduire en grec plusieurs de ses ouvrages. Le cardinal Bessarion l'appelait, avec autant d'esprit que de justesse, le plus savant d'entre les saints, et le plus saint d'entre les savants (C).

Le cardinal de Cusa ayant été envoyé par le pape Nicolas V en Allemagne, avec le titre de légat, pour ranimer l'esprit de science et de piété dans le clergé de cette partie du monde chrétien, tint un concile à Cologne en 4 452, où il publia plusieurs sages règlements, parmi lesquels on remarque celui-ci :

(1) Ces paroles sont rapportées par leP.Echard (Script, ord. Prend, t. 1P 316
(2) Presque tous les théologiens thomistes rapportent ces paroles, pour donner du poids à leurs sentiments.
(3) Ilullarium ord. Proed. t. n, p. 238.
(4) Labbe, Conc. t. xi), p. 873, 875,877, 883.
(5) Voyez le continuateur de Fleury, t. xxii . lib. lviii.
(6) Voyez le P. Touron, p. 665.

« Nous approuvons avec éloge, et nous voulons qu'on lise dans les synodes diocésains ce que saint Thomas a écrit sur la Foi et les Sacrements, et que de plus il soit ordonné à tous les curés d'avoir et d'étudier avec application la partie de la Sommme théologique du saint Docteur qui traite des sacrements (1). »

Pic de la Mirandole, dont la science a toujours passé pour un prodige, écrivait à un dominicain, Paul Gentili : « Je vous conjure très-instamment de m'envûyer vos remarques sur l'ouvrage de Jean Capreolus; car, étant aussi affectionné que je le suis à la doctrine de saint Thomas, dont les écrits font toujours mes délices, je ne puis qu'estimer beaucoup les auteurs, qui prennent la défense de ses livres contre la malignité de ceux qui osent les calomnier (2). »

On sait que Henri VIII, dans son livre contre Luther, et que T évêque de Roçhester, le cardinal Jean Fischer, dans sa réfutation du même hérésiarque, firent surtout usage des principes et de la doctrine de saint Thomas. coJe m'en sers d'autant plus volontiers, disait Fischer, que je sais que l'impiété de Luther ne peut supporter la sainteté de cet excellent docteur (3). »

Erasme, qui ne prodiguait pas la louange, surtout aux écrivains scolasti-ques, rend cependant à saint Thomas le plus glorieux témoignage : « Thomas d'Aquin, dit-il, est un grand homme dans quelque siècle qu'on le place. De tous les théologiens modernes il n'en est aucun, à mon avis, qui puisse aller de pair avec lui', soit pour l'exactitude dans tout ce qu'il traite, soit, pour la justesse et l'élévation du génie, soit enfin pour la solidité de la doctrine (4). »

Au concile de Trente^ on rendit à saint Thomas des honneurs jusqu'alors inouïs. Au milieu de la grande salle où le concile s'assemblait on voyait sa Somme de théologie, sur une même table, à côté de la Bible. Le saint docteur fut, avec saint Augustin, l'âme de cette grande assemblée. Les décrets qu'elle rendit sur la justification, sur la grâce, le libre arbitre, et sur tous les autres points de dogme et de morale, ne sont, comme le dit Bossuet, qu'un tissu des paroles de l'Ange de l'école. Tous les prélats lisaient assidûment ses ouvrages, et chaque fois qu'il s'agissait de rendre une décision, on s'assurait avant tout de sa conformité avec la doctrine de saint Thomas.

A l'occasion des décrets qui se rapportent à la communion sous les deux espèces, l'archevêque de Grenade ayant cité un endroit de la Somme qui paraissait en opposition avec les paroles du décret, on ajourna immédiatement sa promulgation et on la renvoya à la session suivante qu'on ne tint que deux mois après, c'est-à-dire lorsque l'on eut résolu toutes les difficultés et éclairci tous les doutes (5).

Jérôme Wielmus, un des prélats du concile, composa pendant sa célébration un traité sur les écrits de saint Thomas, où l'on remarque ces paroles : « Parmi les Pères qui se trouvent en fort grand nombre dans ce concile général, dans le temps même que nous écrivons ceci, on n'en connaît aucun qui ne se fasse un devoir de religion, lorsqu'il s'agit des dogmes et de la doctrine de la foi, de se conformer en tout aux sentiments de saint Thomas ; en sorte qu'on peut dire que ce grand docteur, le prince des théologiens, n'est ni moins consulté, ni moins suivi que les anciens Pères de l'Eglise (6). »

Le théologien de Philippe II, Jean Gallia , de Burgos , faisant l'éloge du

(1) Eabbe, Conc. t. xiii, p. 1378 et 1579.
(2) Eeliard, Scrip. ord. Proed. 1.1, p. -180.
(3) Fischer, Conf. libri de capt. liabylonicâ.
(4) Erasme, Annot. in cap. i, epist, ad Hom., et lib. ï contra AEeolampad. cap. h.
(5) Voyez Hist. concil., trad. cardin. Pallavic. lib. XVII, cap. xi.
(6) Hieronymus Wielmus, Episc. Argolien-sis, lib. 1 De scriptis S. Thomoe.

saint docteur, le 7 mars 1563, en présence des Pères du concile, disait : « Saint Thomas n'a pu se trouver pendant sa vie dans un concile général, mais il vit encore après sa mort, il est présent au milieu dé vous par les trésors spirituels de sa doctrine qu'il vous a laissés comme un riche héritage, et c'est en ce sens qu'on peut assurer que depuis qu'il n'est plus il ne s'est pas tenu de concile dans l'Eglise où le saint docteur n'ait assisté, où il n'ait été consulté. Sans parler des autres, pourquoi ne publierions-nous pas à sa louange ce que nous voyons, ce que nous entendons tous les jours , ce que nous avons sous les yeux? Faites attention à ce qui se passe dans vos assemblées. Parmi ce grand nombre de savants et respectables docteurs dont les lumières font tant d'honneur à.l'Eglise en est-il quelqu'un qui opine sans appuyer son avis de celui de saint Thomas et qui ne se serve de son autorité comme d'une pierre précieuse pour donner de l'éclat à son discours et plus de poids à son suffrage? Dans le plus secret du sanctuaire où les Pères traitent avec tant d'exactitude et de dignité les plus importantes matières de la religion, combien de fois le saint docteur n'est-il pas consulté? S'il s'élève quelque doute, quelque difficulté, quelque partage dans les sentiments ou dans la manière d'expliquer les mêmes vérités, saint Thomas n'est-il pas toujours comme l'arbitre de la dispute et sa doctrine comme la pierre de touche qui détermine le choix? N'est-ce pas au sentiment du saint docteur que vous faites profession de vous en tenir? De sorte que quiconque est assuré d'avoir saint Thomas pour soi, ne craint point que la décision du concile soit jamais contraire à son avis (1 ). » D'après ce témoignage il n'est pas étonnant que le catéchisme du concile composé par ordre de Pie IV soit tout rempli de la doctrine de saint Thomas, et qu'on y trouve souvent des textes entiers de la Somme fondus dans le corps de l'ouvrage.

Le pape Pie V, dont tout le monde chrétien vénère la sainteté, publia ce catéchisme en 1566, et l'année suivante il plaça saint Thomas parmi les docteurs de l'Eglise. Le saint pontife motive ainsi cet insigne honneur : « Puisque, par un effet de la providence du Tout-Puissant, plusieurs hérésies qui s'étaient élevées depuis la mort du Docteur angélique se trouvent confondues ou entièrement dissipées par la force et la vérité de sa doctrine; ce qu'on avait souvent vu par le passé et ce qui a paru en dernier lieu très-clairement dans les décrets du concile de Trente ; nous ordonnons que la fête de ce saint docteur, par les mérites duquel le monde chrétien est délivré tous les jours de tant de pernicieuses erreurs, sera solennisée à l'avenir avec plus de célébrité et de dévotion, c'est-à-dire de la même manière qu'on célèbre les fêtes des quatre saints docteurs de l'Eglise (2). »

. Le célèbre Estius cite perpétuellement saint Thomas dans ses Commentaires sur l'Ecriture sainte et dans sa Théologie (3). Le savant Suarez le place au même rang que les premiers docteurs de l'Eglise (4). Baronius l'appelle le théologien par excellence et le prince des théologiens, et il dit qu'il serait difficile de rapporter les éloges donnés par tous les écrivains à sa science profonde et à son éminente sainteté (5). Le P. Possevin, qui avait examiné le mérite de tous les auteurs ecclésiastiques, dit que saint Thomas a éclairé l'Eglise par sa doctrine, que sa Somme est un chef-d'oeuvre, et qu'il ne faut pas attendre que ceux qui viendront après lui produisent quelque chose de plus sublime, de plus profond, de plus concis (6).

(1) Ce discours a été imprime tout entier dans les actes du concile. Labbo, t. xiv, p. 1565.
(2) Bullar. ord. Proed. t.v, p. 133.
(3) Comment, in lip. B. Judoe.
(4) Suarez, De gratia, 1.1, prolcg. VI, c. 6.
(5) Baronii Martyr. Rom. note ad 7 Mart.
(6) Apparatus sacer, 1.1, p. 477 «t 479.

Le cardinal du Perron dut à l'étude de la Somme sa conversion, parce qu'il y trouva la réfutation de toutes les erreurs dans lesquelles sa naissance l'avait engagé, et il fit publiquement l'éloge du saint docteur dans le discours qu'il prononça à l'assemblée des Etats-Généraux du royaume, convoquée à Paris en 1615 (1).

Dans un éloge en vers recueilli par le père Labbé parmi les éloges de cinquante Pères ou docteurs de l'Eglise, le poète s'écrie : « Thomas apporta du ciel sur la terre le flambeau de la théologie. Sa Somme est un abrégé de toute la religion : il y a réuni tout ce qu'il importe d'enseigner ou d'apprendre, et y a renfermé le savoir des Jérôme, des Augustin, des Ambroise, des Grégoire avec son propre savoir. Quiconque entend bien saint Thomas possède tous les autres docteurs, et possédât-on tous les autres docteurs, il y aurait encore à profiter avec saint Thomas (2). »

Le cardinal Noris, qui asi parfaitement approfondi les écrits de saint Augustin, reconnaît que saint Thomas est le meilleur interprète de l'évêque d'Hip-pone (3). Le cardinal Pallavicin, fauteur de VHistoire du concile de Trente, écrivait à un dominicain, au P. Vincent Préti, en lui envoyant un de ses ouvrages : « Vous lirez dans cet ouvrage plus souvent que dans mes ouvrages précédents le nom de saint Thomas, parce que je trouve aujourd'hui un si grand plaisir à le consulter et à apprendre toujours de lui, que la lecture de tout autre théologien me rebute bientôt : ce n'est pas que je ne trouve dans les écrits des autres auteurs bien des choses qui méritent d'être sues ; mais je ne doute nullement que si le même temps que j'ai mis à les examiner, je l'avais employé à lire les ouvrages de saint Thomas, je n'eusse fait de plus grands progrès et de plus heureuses découvertes (4). »

Bossuet s'était nourri tout particulièrement de la doctrine de l'Ange de l'école. Ses traités du Libre arbitre, de la Concupiscence, de l'Amour de Dieu nécessaire pour être justifié dans le sacrement de pénitence, et ses ouvrages philosophiques, ne sont souvent qu'une magnifique exposition des principes de ce grand docteur. Parmi les nombreux témoignages qu'il lui rend en une foule de circonstances, nous nous contenterons de rapporter celui-ci : « Saint Thomas, à vrai dire, n'est autre chose dans le fond, et surtout dans les matières de la prédestination et de la grâce, que saint Augustin réduit à la mé -thode de l'école. C'est même pour avoir été le disciple de saint Augustin qu'il s'est acquis dans l'Eglise un si grand nom, comme le pape Urbain V l'a déclaré dans la bulle de la translation de ce saint, où il met sa grande louange, en ce que, suivant les vestiges de saint Augustin, il a éclairé par sa doctrine l'ordre des Frères prêcheurs et l'Eglise universelle (5). »

Le cardinal d'Aquino, un des hommes les plus savants qu'ait produits l'ordre de saint Benoît au xvne siècle, disait : « Je crois avoir beaucoup avancé lorsque je puis m'assurer de bien connaître le sentiment de saint Thomas qui, par la netteté et la pénétration de son esprit angélique, répand une lumière admirable sur les matières les plus obscures, et nous rend ainsi intelligibles les sens les plus cachés dans les livres des saints Pères, surtout de saint Augustin. Je ne parle que de ce que j'ai éprouvé moi-même, continue le même auteur, et je ne doute nullement que plusieurs autres n'aient été aussi convaincus par leur propre expérience, que dans la lecture des ouvrages de saint

(1) OEuvres du cardinal du Perron, in-folio, p. 612 et 615.
(2) Elogia quinquaginta veterum Ecclesia! Patrum, vie. Edit. Leyde, -167-1.
(3) Horis vmdiciaeAugust.y.27,infol.
(4) Pallavicinus, De virtute et sacramento paeniténtiae, lib. vii.
(5) Défense de la tradition et des saints Pères, lib. V, cap. 24, edit, de Versailles.

Augustin, en s'arrêtant, à la seule lettre, l'esprit se trouve d'abord accablé par un grand nombre de difficultés et comme perdu au milieu d'un labyrinthe dont il ne voit point d'issue ; mais toutes les difficultés disparaissent; on en découvre avec plaisir la véritable solution, dès que par une étude sérieuse on s'est une fois assuré du sentiment du Docteur angélique, dont la doctrine est l'explication et le précis de celle de saint Augustin (1).»

Fleury, qui ne prodigue pas les louanges aux écrivains scolastiques, a cependant rendu à saint Thomas ce témoignage : «A ne compter, dit-il, que les ouvrages qui sont certainement de saint Thomas, il est surprenant qu'il ait pu les composer dans l'espace d'environ vingt ans, depuis son doctorat jusqu'à sa mort. On sait, par le rapport fidèle de son compagnon et de ceux qui écrivaient sous lui, qu'il dictait dans sa chambre à trois écrivains et quelquefois à quatre sur différentes matières en même temps. Sa Somme thêologique est le corps de théologie le plus parfait, tant pour le fond de la doctrine que pour la méthode (%). »

L'abbé Dnguet est encore plus expressif : «On peut, dit-il, partager également son temps en deux et en donner une partie à saint Thomas. C'est un auteur qui n'écrit pas purement, mais clairement; il décide, il propose la suite des dogmes d'une manière admirable. Toute sa doctrine est liée, ses principes sont suivis, et toutes ses conclusions se tiennent par un enchaînement merveilleux. Qu'il ait dit un mot dans un endroit, il s'en souvient cent pages après ; c'est pourquoi il est important de bien savoir ses principes. Les renvois qui sont aux marges sont d'un grand secours pour trouver au besoin les questions précédentes, sur lesquelles il fonde ce qu'il enseigne dans les suivantes. Il faut donc l'étudier avec soin et dans les premiers temps. On ne peut être bon théologien sans l'avoir lu. Le fond de sa théologie est pour l'Ecriture dans l'Evangile de saint Jean etlesEpîtres de saint Paul, et pour les Pères dans saint Augustin. Mais ce qui est sans suite dans l'Ecriture et les saints Pères, saint Thomas l'a mis en ordre et en a fait un enchaînement qui sert infiniment pour arranger tout ce qu'on ne pourrait pas rapporter aisément en sa place. Il faut donc se faire avec lui un squelette de théologie qu'on remplira ensuite des saints Pères. Il y a peu de théologiens. On trouve assez de gens habiles sur une matière et d'autres sur une autre ; mais il y en a peu qui aient une idée de théologie entière, et c'est ce qu'on trouve en saint Thomas (3).»

La plus grande lumière de l'Eglise au xviii"- siècle, le pape Benoît XIV, ayant voulu présider le chapitre général des dominicains qu'il avait convoqué à Rome pour le 3 juillet 4756, prononça un magnifique discours à la louange de l'ordre qu'il affectionnait beaucoup. Arrivé à saint Thomas il s'exprima en ces termes : «Il pourrait se faire que de tant de faits qui honorent votre ordre quelqu'un eût échappé à notre mémoire ; mais ce qui est certain, c'est que dans aucun temps nous ne saurions oublier le prince des théologiens, l'Ange de l'école, le Docteur de l'Eglise, la grande lumière de votre ordre, saint Thomas d'Aquin, dont une foule de papes, nos prédécesseurs, a autorisé la doctrine par les plus beaux éloges. Et nous-même, dans les livres que nous avons composés sur différentes matières, après avoir examiné et saisi le sentiment de l'Ange de l'école, nous n'avons jamais manqué de suivre avec plaisir un docteur qui commandait notre respect autant que notre admiration; et nous reconnaissons ingénument que s'il y a quelque chose de bon dans nos écrits, tout l'honneur en doit revenir à un si grand maître (4). »

(1) Thèolog. t. m, prolég. 2.
(2) /iiii, ecciés. t. xviii, p. 64-, H70 et 179.
(3) Lettres de l'abbé Dwguet, t. ix, let. xxiu, édit. de 1758. (4) Ex exemplari Romano ann. 1756.

Si après avoir recueilli les témoignages des grands hommes nous jetons un coup d'oeil sur les universités, nous verrons que toutes se sont fait une gloire d'imiter celle de Paris dans son attachement à la doctrine de saint Thomas. Les universités de Salamanque et d'Alcala durent toute leur réputation à des docteurs de l'université de Paris qui étaient de fervents disciples de saint Thomas. D'après un décret du 9 juin 1627, l'université de Salamanque exigea de tous ses docteurs un serment solennel par lequel ils s'engageaient à n'enseigner que la pure doctrine de saint Thomas et de saint Augustin. François Silvius, la gloire de l'université de Douai, se faisait un mérite d'avoir puisé tous ses ouvrages dans ces deux docteurs (4). Alexandre VII et Innocent XII adressèrent deux brefs aux docteurs de l'université de Louvain pour les féliciter de ce qu'ils faisaient profession de suivre ces excellents maîtres, et les engagea à ne s'en départir jamais. «Tant que votre université, leur écrivait Innocent XII, aura pour guides ces maîtres de la doctrine, elle sera assurée de combattre toujours avec succès pour la gloire et l'édification de l'Eglise contre les ennemis de la foi, et vous vous rendrez en même temps dignes de recevoir de jour en jour de plus grandes marques de l'affection du saint-siége et de notre charité paternelle (2). »

Le zèle des universités de Bologne, de Naples, de Padoue et de Turin n'est pas moins connu. Les unes, dit le père Touron, après l'avoir choisi pour leur docteur et leur maître, ont voulu l'avoir encore pour patron, et les autres renouvellent chaque année leur engagement par la loi.inviolable qui les oblige à publier ses vertus et à lui payer un tribut annuel dè louanges (3). Les universités d'Allemagne, restaurées pour la plupart par les soins des dominicains, s'attachèrent aussi à la doctrine de saint Thomas. Et quand la foi eut pénétré dans le Nouveau-Monde, le pape Innocent XI publia une bulle le 23 juillet 1681 pour la fondation d'une université à Quito, où il disait : « Nous approuvons la fondation de quatre chaires, à condition que les professeurs qui en seront pourvus enseigneront la doctrine de saint Thomas, si conforme à la tradition des saints Pères et aux décrets de l'Eglise universelle (i).Le même pape donna plusieurs autres bulles pour l'établissement de différentes universités dans le Pérou et le Mexique, mais aux mêmes conditions. Innocent XII autorisa par une bulle l'établissement d'une université dans la ville de la Havane, aux Indes occidentales, pour qu'on y enseignât la doctrine de l'Ange de l'école (5).

La plupart des ordres religieux rivalisèrent d'ardeur sous ce rapport avec les universités (6). Les Frères de la Mercy ajoutèrent à leur constitution un règlement par lequel il était enjoint d'enseigner la doctrine de saint Thomas pour parvenir aux grades dans leur ordre. Les chanoines séculiers de Saint-Augustin, qu'on appelle en Italie la congrégation de Latran, prirent la même décision, et ils ordonnèrent à tous leurs professeurs( de théologie de s'attacher au système de saint Thomas, parce que, disaient-ils, il l'emporte sur tous les autres théologiens de l'école, soit par l'ordre et la méthode, soit par la clarté, la pureté et la solidité de la doctrine.

(1) Sylvii Opera, t. V, p. 421.
(2) Bullarium ord. Proed. t. vu, p. 498.
(3) Vie de saint Thomas, p. 047.
(4) Bullarium ord. Proed. t. yi , pag. 559 et 560.
(5) Les papes qui ont rendu témoignage à la doctrine de saint Thomas, sont: AlexandreIV, Alexandre VII, Benoit XIII, Benoît XIV, Clément IV, Clément VI, Clément VIII, Clément X, Clément XI, Clément XII, Clément XIII, Grégoire X, Innocent V, Innocent VI, Innocent X , Innocent XI, Innocent XII, Innocent XIII, Jean XXII, Martin V, Nicolas V, PieII, Pie IV, Pie V, Paul V, Sixte IV, Sixte V, Urbain IV, Urbain V.
(6) Voyez à ce sujet la Vie de saint Thomas du P. Touron, lib. V, cap. 41.

Les chanoines réguliers de la Congrégation de France, ayant fait un règlement pour les études dans l'assemblée générale tenue dans la célèbre abbaye de Sainte-Geneviève à Paris, en 4650, veulent que les professeurs de théologie n'expliquent que saint Thomas, qu'ils en lisent le texte et qu'ils le commentent suivant l'ordre et la méthode qu'il a suivis dans sa Somme.

D'après les statuts des Carmes de la province réformée de Touraine, leurs professeurs devaient lire et expliquer en trois ans toute la Somme.

Les minimes, dans le chapitre général tenu à Barcelone en 1661, choisirent également saint Thomas pour le Docteur et l'Ange de leur école. Les servîtes et les hiéronymites firent de même.

Les fondateurs de la congrégation de l'Oratoire, saint Philippe de Néry et le cardinal de Bérulle, lisaient assidûment saint Thomas et communiquèrent à leurs disciples l'inviolable attachement qu'ils avaient pour sa doctrine. Nous ne parlerons ici que du P. Thomassin, qui cite souvent saint Thomas, en disant qu'il ne voit pas qu'on puisse ajouter à la force et à la lumière de sa doctrine (4 ), et du P. Morin, qui dans son traité de la Pénitence dit que de tous les théologiens qui ont traité cette matière il n'en est aucun qui ait écrit aussi excellemment que saint Thomas, qu'il a dissipé et mis en poudre les futiles raisons des anciens scolastiques et s'est attaché à la pratique des premiers et des plus beaux siècles de l'Eglise (2).

Dans les constitutions des jésuites, il est ordonné qu'on enseignera en théologie l'Ancien et le Nouveau Testament et la doctrine scolastique de saint Thomas. Une assemblée générale de la compagnie, tenue en 1594, fit une loi à tous les professeurs qui enseigneraient la théologie scolastique de suivre la doctrine de saint Thomas comme la plus solide, la plus sûre, la plus approuvée et la plus conforme aux constitutions (3). Un autre décret de la même assemblée, dressé après un mûr examen, porte ce qui suit : « Que tous nos professeurs regardent saint Thomas comme leur propre docteur, et qu'ils soient obligés de suivre sa théologie scolastique, soit parce que nos constitutions nous le commandent et que le souverain pontife Clément VIII nous a fait savoir qu'il le souhaitait ainsi, soit parce que, selon nos statuts, il doit y avoir dans la société un système de doctrine et qu'on n'en saurait trouver aujourd'hui un autre plus solide ou plus sûr que celui de saint Thomas, que tout le monde regarde avec raison comme le prince des théologiens (4). »

On sait que les dominicains ne se sont jamais séparés de celui qui est après leur fondateur leur plus grande gloire, et qu'ils se sont plu à enseigner sa doctrine dans les universités de Paris, de Toulouse, d'Oxford, de Cambridge, de Bologne, de Rome, de Naples, de Cologne, en un mot dans toutes les chaires du monde catholique.

Il était donc vrai de dire, avec le P. Annat, le général de la congrégation de la Doctrine chrétienne, que par toute la terre, les théologiens dans les écoles, les prédicateurs dans les chaires, les directeurs de conscience dans les tribunaux, les religieux de presque tous les ordres dans leurs cloîtres, les ecclésiastiques'de tous les rangs, toutes les congrégations, tous les collégtss toutes les facultés de théologie, tout le monde, en un mot, combattait sous les étendards du Docteur angélique, pour confondre l'erreur, pour dissiper les ennemis de la religion et de l'Eglise (5). »

(1) Thomassin, Discipline de l'Eglise, t. m, p. 924, edit. 4725.
(2) Morinus, De poenitentia, p. 774, edit. 4694.
(3) Doctrinam sancti Thomce in Theologia scolasticd tamquam solidiorem, recentiorem, magis approbatam et consentaneam constitutionibus sequendam esse á professoribus eongreg. v, cap. 44.
(4) Voyez le texte dans le P. Touron, p. 657.
(5) In apparatu ad positivam theologiam, p. 496.

III. DE L'UTILITÉ DE L'ÉTUDE DE LA  SOMME  PAR RAPPORT AUX CONTROVERSES ACTUELLES.

La révolution française en jetant le trouble au sein de l'Eglise de France au commencement du siècle actuel est venue interrompre ce magnifique concert.

Les ordres religieux ont été détruits, les écoles ecclésiastiques ont été fermées ; pendant ce temps les chaires évangéliques sont restées muettes, et les esprits se trouvaient tellement éloignés de toute espèce d'études religieuses que personne ne songeait plus aux écrits des Pères. Les savantes éditions qu'avaient faites les bénédictins des oeuvres de saint Augustin, de saint. Jérôme, de saint Chrysostome, et de tous les autres docteurs de l'Eglise, tombèrent à vil prix, faute de connaisseurs et d'amateurs.

Saint Thomas fut enveloppé dans cet oubli et dans cette proscription universelle. Aussitôt que le culte fut rétabli et qu'il fut possible de travailler à rétablir les vides que la mort et la persécution avaient faits dans le sanctuaire, on s'empressa de donner aux jeunes gens destinés au sacerdoce les connaissances théologiques les plus essentielles et les plus pratiques, et l'on ne put songer à leur faire approfondir la science sacrée, comme le faisaient autrefois les religieux et les prédicateurs qui avaient de longues années à y consacrer.

Il fallait donc des traités plus courts, moins remplis de matières que la Somme théologique pour servir de précis élémentaires aux leçons de théologie que l'on put faire alors. On ne dut pas même tenter de parcourir le domaine da la théologie dans toute son étendue; on se contenta d'en approfondir les points dont on devait faire le plus souvent usage dans la pratique du ministère pastoral.

Cependant depuis quelques années, le clergé se trouvant généralement au complet, on a senti le besoin de donner aux études théologiques plus d'étendue. On comprend que le prêtre n'a pas seulement pour mission d'instruire les simples fidèles, mais qu'il doit encore connaître les erreurs qui exercent aujourd'hui une influence délétère sur la partie intelligente de la société.

Car là est le principe du mal, et si on ne l'attaque pas avec vigueur dans ceux qui se font les fauteurs des mauvaises doctrines il n'est pas possible qu'on prémunisse le peuple contre leur contagion. Tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre, ces fausses idées descendront dans les classes les plus humbles et y porteront nécessairement des fruits de mort.

Dans tous les siècles de l'Eglise, tous les défenseurs de la foi ont été si fortement convaincus de cette vérité, qu'ils veillaient sans cesse comme autant de sentinelles vigilantes, prêtant l'oreille à toutes les paroles de mensonge ou d'orgueil qui pouvaient s'élever du sein de leur troupeau, et aussitôt qu'ils surprenaient la moindre pensée, le moindre sentiment équivoque, ils faisaient retentir le cri d'alarme et écrivaient pour maintenir dans toute sa pureté le dépôt des traditions que Dieu leur avait confié.

Aujourd'hui il ne faut pas une pénétration bien grande pour remarquer que l'Eglise est attaquée absolument dans toutes ses croyances.

C'est même ce qui distingue la controverse actuelle de celle de tous les siècles précédents.

Auparavant, quand une hérésie s'élevait, il ne s'agissait que de la combattre sur un point parce qu'elle ne renversait qu'un dogme.

Ainsi pendant les trois premiers siècles de l'Eglise presque tous les ouvrages des Pères n'ont eu d'autre but que d'établir l'unité de Dieu et de réfuter les absurdités du polythéisme.

Au quatrième, l'Orient et l'Occident s'agitèrent pour soutenir la divinité du

Verbe contre les impiétés d'Arius. Et quand cette discussion fut épuisée, la controverse se porta sur les questions soulevées successivement par les hérésies de Nestorius etd'Eutychès, et par celles des monothélites et des iconoclastes,

Pendant les temps modernes, où les discussions religieuses furent si vives et si ardentes, la question de l'Eglise était la seule qui fût sérieusement engagée entre les différentes communions chrétiennes.

Mais maintenant, comme on l'a fort bien dit, tout est mis en question.

Que le panthéisme nous soit venu d'Allemagne, ou qu'il soit un des fruits indigènes de la philosophie rationaliste que l'on cultive depuis un certain temps parmi nous, il n'en est pas moins certain qu'il a fait invasion parmi la génération actuelle et qu'il a obscurci dans beaucoup d'esprits la notion de la Divinité.

Le matérialisme qui ravale l'homme à la condition de la brute et qui borne au temps présent toutes ses destinées compte encore aujourd'hui un grand nombre d'adeptes, de sorte qu'il n'a jamais été plus nécessaire, de l'aveu de tous, d'imprimer fortement dans l'âme de la jeunesse la double conviction de la spiritualité de l'âme et de son immortalité.

A force de répéter à l'homme qu'il ne relève que de sa raison, on l'a éloigné de tous les enseignements de la révélation. Se contentant d'un pâle déisme, il n'est pas allé jusqu'à réfléchir sur nos mystères ; il a trouvé tout à la fois plus simple et plus commode de les condamner, et il n'a pas craint de blasphémer ce qu'il ignore.

Le xviua siècle avait juré la ruine du christianisme ; mais tout en sapant par la base ses croyances, il faisait une réserve expresse en faveur de sa morale. Les impies les plus audacieux reconnaissaient qu'il n'y avait rien de plus élevé ni de plus pur que les préceptes et les conseils de l'Évangile.

Actuellement on va plus loin. Il s'est rencontré dans la génération présente des hommes qui ont la prétention de faire école, et dont tous les systèmes reposent précisément sur la ruine de la morale évangélique.

Ils rejettent la justice comme étant incompatible avec la charité; ils nient tous les droits comme étant en contradiction avec les devoirs, ils appellent vices ce que jusqu'alors on a considéré comme des vertus, et ils donnent le nom de vertus aux excès de toutes les passions les plus monstrueuses.

Et pour accréditer leurs hallucinations insensées ils ne manquent pas de citer l'Evangile et de pousser le blasphème jusqu'à se dire les vrais disciples du Christ.

A les en croire, l'Eglise a mal compris ses paroles ; la religion actuelle n'est qu'un amas de contradictions et d'absurdités ; il faut au monde moderne une religion nouvelle plus appropriée à ses besoins et à son esprit.

Ainsi le dogme, la morale, l'Eglise, tout est donc attaqué violemment, et il n'y a pas même une seule notion de droit social qui survive à ce chaos que l'erreur s'est plu à produire.

Or, quand tout est attaqué quel est le devoir du docteur catholique ? N'est-ce pas de tout défendre ?

Quand on n'avait à soutenir qu'un point de doctrine, la polémique pouvait se resserrer et se concentrer sur le dogme mis en question.

Saint Athanase n'avait qu'une chose à faire contre Arius, c'était d'établir la divinité du Verbe. Aussi dans tous ses écrits vous ne trouverez que cette question développée en tous sens, et on peut le dire, épuisée par la profondeur et la sagacité de son génie.

Saint Cyrille n'avait qu'à soutenir contre Nestorius l'unité de personne et la dualité de nature en Jésus-Christ ; aussi tous ses discours et tous les écrits des autres Pères de ce temps se rapportent-ils presque exclusivement à ce point de doctrine qui était alors contesté.

Au xvie siècle le protestantisme s'en prit à la notion de l'Eglise. Son erreur était en quelque sorte plus large, parce qu'en niant l'autorité de l'Eglise catholique il ébranlait par là même la foi qu'on avait dans ses décisions. Il était en droit de les contredire arbitrairement ; ce qui le conduisit naturellement à une foule d'erreurs particulières.

Néanmoins, malgré toutes ces divergences de détail, la polémique portait principalement sur un point, sur la question de l'autorité. Lisez les admirables ouvrages de Bossuet qui résument si parfaitement toute cette grande controverse, et vous verrez cet écrivain de génie s'attacher spécialement aux principes généraux et resserrer dans ses vraies limites le terrain de la discussion, pour saisir plus facilement ses adversaires.

Avec le temps le mal s'est agrandi. L'erreur s'est pour ainsi dire universalisée , et elle s'attaque maintenant à tout ce qu'on a cru et enseigné par le passé.

Il n'y a pas lieu de s'effrayer de ce progrès du mal. La société actuelle peut avoir beaucoup à en souffrir. Ce paroxisme affreux peut produire les crises les plus alarmantes ; mais il y a aussi une chose certaine, c'est que l'erreur ne sert jamais mieux les intérêts de la vérité que quand elle se montre ainsi à découvert et qu'elle devient en quelque sorte tangible, palpable pour tous ceux qui s'en rapportent aux simples lumières du bon sens.

Toutefois dans ce mêment critique ceux qui ont reçu mission de soutenir la cause de la vérité parmi les hommes ne doivent pas s'endormir. C'est le mêment de faire briller dans tout son éclat cette vérité auguste, de la montrer sous toutes ses faces et d'en faire ressortir toute la beauté.

Pour y réussir il est nécessaire de la bien saisir dans son ensemble comme dans ses parties. Puisque l'erreur met tout en doute, il faut mettre tout en lumière en faisant remarquer le rapport qu'ont entre elles toutes les parties de l'édifice de la foi catholique.

Et pour faire remarquer ce rapport il faut l'avoir soi-même étudié etapprofondi.

On ne peut donc pas se contenter d'apprendre quelques traités de théologie et d'examiner quelques questions partielles, sans s'inquiéter du rapport qu'elles ont entre elles. Cette manière d'étudier ne laisse jamais que des idées décousues, incomplètes et insuffisantes dans l'esprit, et loin de le satisfaire elle ne fait qu'exciter en lui des désirs impuissants qui parfois détournent de l'étude parce qu'on ne voit pas le moyen de les réaliser.

Cette observation est si exacte et si vulgaire que tout homme intelligent, après s'être appliqué quelque temps à la théologie, soupire après un plan et une méthode.

Ce plan et cette méthode sont cependant tout trouvés. Car en fait de plan, qui oserait entreprendre de faire mieux que saint Thomas? Où trouver une conception plus vaste, un enchaînement plus logique et une marche plus naturelle ?

Quant à la méthode on ne peut pas en trouver de plus claire, ni de plus simple que celle que saint Thomas a adoptée. Il n'y a rien à innover sous ce double rapport. Pour bien enseigner comme pour bien apprendre il suffit de suivre sa Somme et de se pénétrer de la doctrine qu'elle renferme.

A la vérité on peut objecter que cet ouvrage est déjà bien ancien, qu'il aura bientôt six cents ans de date, et que ce qui était parfait pour le moyen âge, eut laisser beaucoup à désirer pour le temps présent.

Sans doute, depuis que saint Thomas n'est plus, l'Eglise catholique a essuyé de rudes attaques ; elle a eu à lutter contre des ennemis nouveaux qui lui ont opposé des erreurs nouvelles, mais toute la controverse des temps modernes se réduit à deux points principaux : au protestantisme et au philosophisme.

La Somme ne renferme pas tout ce que l'on peut désirer sur ces deux grandes questions. Il faut nécessairement y ajouter, comme on le fait dans toutes les écoles où elle sert de base à l'enseignement, les traités de l'Eglise et de la Religion, et les compléter l'un et l'autre par une étude des prolégomènes, tels que les a exposés Melchior Cano, un des disciples les plus célèbres du Docteur angélique.

Ce supplément est indispensable.

En retour, il y a aussi dans la Somme quelques articles et quelques objections sur lesquels un lecteur ou un auditeur intelligent ne doit pas beaucoup appuyer, mais ces articles et ces objections sont rares. Car il est à remarquer qu'à l'occasion d'une objection qui ne paraît pas très-sérieuse, saint Thomas donne dans sa réponse des développements très-précieux qui mettent en lumière sa pensée principale, qu'il a exprimée dans le corps de l'article.

Mais à part ces modifications légères, qui tiennent uniquement à la différence des temps, ce chef-d'oeuvre n'a pas moins d'actualité de nos jours qu'il n'en avait lorsqu'il a été écrit pour la première fois (4).

Ce sentiment qui pourrait tout d'abord paraître un paradoxe est cependant une chose toute simple et toute naturelle quand on réfléchit à la nature de la théologie.

Quel est en effet le caractère de cette science? Est-ce comme la philosophie une science personnelle, c'est-à-dire une science que chacun est obligé de se faire ? Est-ce une science mobile et changeante qui puisse être en désaccord avec elle-même?

Non, c'est une science traditionnelle dont tous les éléments et tous les principes sont immuables comme Dieu lui-même qui en est l'auteur. Ce n'est pas à dire pour cela qu'elle ne soit pas susceptible de progrès et de développement. Elle en est même susceptible plus que toute autre science, comme le remarque saint Vincent de Lérins. Car il peut se faire qu'un dogme soit mieux exposé par un docteur qu'il ne l'a été par les autres. Le génie humain peut trouver à l'appui d'une vérité des arguments que jusqu'alors on n'avait pas fait valoir ; il peut la considérer sous des faces nouvelles et découvrir des points de vue qui jusqu'alors n'avaient pas été explorés.

Comme dans la nature il y a toujours des merveilles à découvrir pour un observateur exact et patient, de même dans le vaste domaine qu'ouvre à la pensée humaine la révélation il y a toujours quelque chose de nouveau à recueillir. Mais il est à remarquer que le progrès pour être légitime ne doit être ici que le développement logique de cé qui a été antérieurement établi.

Par là même que l'autorité qui dirige la science théologique est infaillible, elle ne peut jamais être en contradiction avec elle-même. Elle peut étendre son horizon, mais elle ne peut changer de nature. Il faut, selon l'expression de saint Vincent de Lérins, que la religion des âmes imite l'état des corps, qui,

(1) Aujourd'hui on comprend généralement l'importance de l'étude de la Somme. M. l'abbé Migne en a publié une édition latine qui s'est vendue à plus de 6000 exemplaires,, ce qui n'em-péche pas qu'on recherche partout avec le plus grand soin toutes les éditions anciennes. On vient d'en publier un abrégé (Summa minuta), dans le but de la rendre classique dans les séminaires. M. l'abbé Bareille a écrit avec autant de savoir que d'élégance la monographie de saint Thomas, et le R. P. Lacordaire, en ressuscitant l'ordre de Saint-Dominique parmi nous, a déjà puissamment contribué à ce retour général à la doctrine de l'Ange de l'école.

tout en se développant et en grandissant avec les années, ne laissent pas néanmoins d'être les mêmes (1).

Aussi, voyez la marche que suivent tous les docteurs catholiques. D'abord ils s'instruisent de ce qui a été enseigné dans l'Eglise avant eux ; ils s'approprient tout ce qu'ont dit les écrivains antérieurs comme le physicien s'approprie les découvertes de ses devanciers; puis ils y ajoutent les lumières qui leur sont propres, de telle sorte que la science divine va toujours grandissant à travers les siècles.

C'est précisément ce qu'a fait saint Thomas dans sa Somme. Il a recueilli la substance de tous les écrits des Pères qui l'ont précédé, il a donné à tout cet ensemble une organisation scientifique, et il l'a enrichi des lumières de son propre génie.

Au mêment où il a exécuté cette vaste synthèse, déjà tous les dogmes fondamentaux avaient été successivement défendus par les Athanase, les Basile, les Grégoire de Nazianze, les Cyrille, les Augustin et les Jérôme; chacune de ses questions avait été pour ainsi dire épuisée par les longues controverses auxquelles elles avaient donné lieu, par conséquent en recueillant ce vaste héritage la science pouvait se considérer comme ayant dit sur beaucoup de points son dernier mot.

C'est pourquoi, malgré tous les combats que l'Eglise a eu à soutenir sur ces questions à mesure que le protestantisme les a soulevées de nouveau, il a suffi pour imposer silence à l'erreur de lui opposer l'argumentation serrée de saint Thomas et de développer ses principes. A Florence, à Trente, partout, comme nous l'avons vu, on n'a eu besoin que d'ouvrir sa Somme pour y trouver toutes les lumières nécessaires pour convaincre de fausseté toutes les opinions erronées des ennemis de la foi.

Aujourd'hui encore qu'y a-t-il à ajouter à la plupart de ses traités? A l'exception des parties que nous avons indiquées, la science est-elle réellement en possession de connaissances ou d'idées particulières que saint Thomas n'ait pas exposées ? Si l'on trouve dans ses ouvrages une réponse à toutes les erreurs qui ont bouleversé la catholicité au xvie siècle, n'y trouve-t-on pas aussi une réfutation aussi neuve que profonde de toutes les erreurs qui font l'effroi de la génération actuelle?

Qu'on le lise, qu'on l'approfondisse, et nous sommes sûrs qu'on ne sera pas embarrassé pour saisir tout ce qu'il y a de faux dans tous les systèmes dont on fait maintenant si grand bruit parmi nous.

Assurément il y a beaucoup de points qui ont besoin d'être développés, fécondés (et même tous en ont besoin, puisque dans la pensée de son auteur ce livre n'était qu'un texte sommaire pour guider le maître et l'élève), mais on trouvera sur chaque question les véritables principes qui doivent conduire à la meilleure solution.

C'est cette conviction qui m'a porté à en entreprendre la traduction intégrale.

Je me sers de cette expression pour qu'on sache que je me suis scrupuleusement appliqué à reproduire ce vaste chef-d'oeuvre dans toute son étendue.

Je n'aurais pas voulu, comme l'ont fait quelques éditeurs modernes, le mutiler, soit en retranchant certaines questions, soit en ne donnant que le corps des articles sans tenir compte des objections et des réponses.

S'il y a des questions sur lesquelles on peut passer rapidement, j'ai mieux aimé laisser le lecteur juge de ce qu'il a à faire que de les retrancher; parce que ce qui n'est pas important à un point de vue peut l'être à un autre.

M) Voyes Commonitorium. de saint Vincent de Lérins.

On peut être légitimement désireux de savoir au juste où en étaient les sciences au xme siècle, et pour cela il faut qu'on ait les monuments de cette époque dans leur intégrité.

Retrancher complètement les objections et les réponses aux objections, c'est produire une oeuvre incomplète et parfois inintelligible. Car on remarque que souvent il n'y a pas moins de doctrine dans cette partie négative de la Somme que dans la partie positive. C'est d'ailleurs à l'occasion des objections que saint Thomas, comme tous les autres théologiens, est amené à préciser plus nettement ses principes et à déterminer dans quel sens on doit les entendre. Il attache même autant d'importance à cette partie de son travail qu'à l'autre, puisque nous le voyons dans le cours de ses démonstrations renvoyer souvent à telle ou telle réponse qu'il a donnée à un argument.

Je n'ai pas non plus songé à intervertir l'ordre des articles, comme l'a fait Maraudé, en plaçant l'exposé des objections après le corps des articles. J'ai dit le but et l'avantage de la méthode que saint Thomas avait adoptée, et c'eût été ôter à son ouvrage ce qu'il a d'intéressant dans la forme que de le bouleverser de cette manière.

J'ai senti la nécessité d'ajouter à ma traduction quelques notes. Ces notes n'ont pas pour objet de discuter la doctrine de saint Thomas, comme l'a fait le cardinal Cajétan dans ses Commentaires. Cette tâche eût été bien au-dessus de mes forces, et elle n'eût pas été au reste en rapport avec le but que me suis proposé.

Mon intention a été uniquement de faire connaître la pensée de saint Thomas. Les notes qui accompagnent ma traduction sont donc purement explicatives. Elles montreront l'utilité de chaque article comme le fait la grande édition de Rome, en indiquant les passages de l'Ecriture, les décisions des papes et des conciles qui sont en rapport avec la doctrine de saint Thomas, et les erreurs anciennes ou modernes dont elle est la réfutation.

Quand sa terminologie s'éloignera trop du langage scientifique actuel, je donnerai aussi quelques explications nécessaires pour bien entendre le sens qu'on doit attacher aux expressions dont il se sert. Je ferai également quelques remarques relatives à la philosophie péripatéticienne à mesure que l'occasion s'en présentera. Enfin, à propos des questions qu'il a traitées plus longuement dans sa Somme contre les Gentils, dans ses Opuscules et dans ses autres ouvrages, je ferai connaître les endroits où l'on pourrait trouver de plus grands développements. Je ne craindrai même pas, quand je le croirai indispensable, de mettre quelques-unes de ces additions en appendice à la fin des volumes.

Ainsi mon unique dessein est de travailler à faire connaître le Docteur angélique , et je croirai avoir beaucoup fait si l'on trouve que j'y ai quelque peu réussi.




PLAN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

Cette première partie peut se diviser en huit traités : 1° le Traité de Dieu et de ses attributs ; 2° le Traité de la Trinité ; 3° le Traité du premier principe des êtres; 4° le Traité des anges ; 5° le Traité de la création du monde corporel; 6° le Traité de l'âme raisonnable; 7° le Traité de la création du premier homme et de son état d'innocence originelle ; 8° le Traité du gouvernement général du monde.

Ces huit traités se réduisent à considérer Dieu en lui-même et dans ses oeuvres.

I. Traité de Dieu. — La première question de la Somme est une sorte d'introduction dans laquelle saint Thomas traite de la théologie en général, et de l'usage que l'on doit faire de l'Ecriture sainte dans l'exposition de cette science.

Son Traité de Dieu se réduit à ces quatre questions : Dieu existe-t-il? Qu'est-il en lui-même ? Comment le connaissons-nous ? Quelles sont ses opérations?

1° Dieu existe-il? Avant toutes choses, il se demande si Dieu est connu par lui-même, et s'il est possible de démontrer son existence.

S'étant décidé à l'égard de cette dernière question pour l'affirmative, il la démontre en effet.

2° Après avoir établi que Dieu existe, il recherche ce qu'il est en lui-même. Comme nous ne pouvons pas savoir ce que Dieu est, mais que nous savons plutôt ce qu'il n'est pas, on ne peut répondre à cette question, d'après le saint docteur, que négativement, c'est-à-dire en écartant de Dieu tout ce qui ne lui convient pas.

Ainsi, il parle de la simplicité de Dieu par opposition à toute espèce de composition ;

De sa perfection, par opposition à l'imperfection qui se rencontre dans toutes les choses simples matérielles;

De sa bonté, comme d'une conséquence de la perfection;

De son infinité, par exclusion à tout ce qui est limité;

De son immortalité, par opposition à tout ce qui est susceptible d'un changement quel qu'il soit;

De son éternité, comme conséquence de son immortalité ;

Enfin, de son unité, par négation de tout ce qui est divisible ou multiple.

Tous ces attributs complètent la notion de Dieu considéré en lui-même.

3° Il s'agit ensuite de considérer comment nous connaissons Dieu et, par suite, comment nous le nommons.

L'oeil corporel ne peut le voir ; l'oeil spirituel ne peut pas non plus le connaître dans son essence, ni en ce monde, ni dans l'autre; les bienheureux du ciel ne le voient ainsi que par la lumière de la gloire; ils le voient, les uns plus, les autres moins, mais ils le voient tous intuitivement, quoiqu'aucun d'eux ne le puisse comprendre.

La connaissance que nous avons de Dieu détermine les noms que nous lui donnons, puisque nous nommons les choses selon que nous les connaissons.

4° Si nous considérons Dieu par rapport à ses opérations, nous devons en distinguer doux sortes : l'une immanente dans son sujet, à laquelle se rapportent la science et la volonté, puisque comprendre et vouloir sont des actes immanents dans leur principe ; l'autre se produisant au dehors, et ayant pour cause la pidssance.

A l'occasion de la science, saint Thomas parle de la vie divine parce que la science est une sorte de vie;

Il traite de la vérité et de la fausseté, parce que la science a le vrai pour objet ;

Enfin, il s'occupe des idées, divines, parce qu'on donne le nom d'idées aux raisons des choses selon qu'elles sont en Dieu qui les connaît. -

La volonté de Dieu considérée en elle-même est parfaite, souveraine, invariable et indépendante.

L'amour, la justice et la miséricorde s'y rattachent d'une manière absolue.

Mais il y a des attributs qui se rapportent tout à la fois à l'intelligence et à la volonté ; ce sont : la Providence qui s'étend sur tous les êtres ; la prédestination et la réprobation qui ne se rapportent qu'aux hommes, et spécialement dans l'ordre de leur salut éternel.

La puissance qui détermine les opérations de Dieu au dehors embrasse tout, sauf les choses impossibles et contradictoires.

Ce magnifique traité se termine par l'étude de la béatitude divine qui est la source de toute béatitude (Quest. 1-27).

II. Traité de la Trinité. — Après le Traité de Dieu où l'on examine ce qui regarde l'unité de l'essence divine, il est naturel de passer à la Trinité des personnes. A l'égard de ce mystère il y a trois choses à considérer : l'origine ou la procession des personnes, les relations divines et les personnes elles-mêmes.

4° Touchant l'origine ou la procession des personnes, on en distingue de deux sortes : la procession qui a lieu par voie de génération et celle qui a lieu par le moyen de l'amour.

2° Quant aux relations il y en a en Dieu plusieurs réellement distinctes entre elles, mais non distinctes de la divine essence.

3° Pour les personnes, on peut les considérer absolument et relativement.

Si on les considère absolument, il faut les étudier en général, puis prendre chacune d'elles en particulier.

Pour les connaître en général, il est nécessaire de se faire une juste idée de ce qu'on entend par personne, de rechercher ensuite leur nombre, de bien saisir ce qu'il y a en elles de semblable et de distinct, et d'examiner comment nous pouvons arriver à la connaissance de ces personnes divines, si c'est par la raison ou par la révélation.

Après avoir ainsi étudié les personnes en général, saint Thomas les considère chacune en particulier.

Ainsi, il établit que le Père signifie principe ; que c'est un nom personnel qui se rapporte à son Fils et à ses créatures ; que le Père seul est non engendré, c'est-à-dire qu'il n'a ni origine ni principe.

Il prouve que le mot Verbe est un mot personnel propre au Fils, qui se rapporte au Père et aux créatures ; il explique pareillement les termes de Fils et d'image.

Il constate aussi que le nom d'Esprit-Saint est un nom propre et personnel qui signifie une personne procédant de la volonté du Père et du Fils par le Fils, si bien que le Père et le Fils ne sont qu'un seul principe de sa procession. Il dit la même chose des mots Amour et Don.

En considérant les personnes relativement, on peut les considérer par rapport à l'essence divine avec laquelle elles sont une même chose, de telle sorte que les noms essentiels sont attribués aux personnes et les noms personnels à l'essence.

Si on les compare aux relations, on voit que la relation est la même chose que la personne, et qu'elle l'établit.

Si on les compare à leurs actes notionnels, on trouve qu'elles ont des actes notionnels qui leur sont naturels, qui supposent une puissance et qui ne sont ni faits ni créés.

En les comparant entre elles, on remarque deux choses : leur égalité et leur mission. Elles sont réellement distinctes, mais absolument égales.

Cependant elles sont ordonnées entre elles ; il y en a qui envoient et d'autres qui sont envoyées invisiblement ou visiblement.

Le développement de toutes ces questions forme le Traité de la Trinité (Quest. 27-44).

III. Traité du premier principe des êtres. — Après la procession des personnes divines, il faut considérer la procession des créatures ou la manière dont tous les êtres procèdent de Dieu. Tel est le but de ce nouveau traité qui ne renferme que six questions.

Dans la première, saint Thomas démontre que Dieu seul est la cause effective, exemplaire et finale de toutes choses.

Dans la seconde, il établit que la création est une action propre à Dieu, commune aux trois personnes, incommunicable à la créature.

Dans la troisième, il traite de la durée des êtres, et montre qu'aucune créature n'est éternelle.

Dans la quatrième, il établit leur distinction et prouve que Dieu est l'auteur de la pluralité, de l'inégalité et de la diversité qu'on remarque entre toutes les parties de ce monde.

Il consacre les deux dernières questions à définir la nature du mal, et à montrer que Dieu n'en est pas la cause directe.

Ce Traité du premier principe ou de la première cause des êtres s'occupe, comme on le voit, de la création en général (Quest. 44-50).

IV. Traité des anges. — On distingue trois sortes de créatures : les créa» tures purement spirituelles qui reçoivent dans l'Ecriture le nom d'Anges; les créatures purement matérielles, et la créature qui se' compose d'un corps et d'un esprit telle que l'homme.

Saint Thomas s'occupe d'abord des anges comme des créatures les plus nobles. Ce qu'il en dit a rapport à quatre chefs : à leur substance, à leur intelligence, à leur volonté et à leur création.

1° Leur substance peut être considérée d'une manière absolue, et relativement aux choses corporelles.

Les anges considérés en eux-mêmes sont immatériels, spirituels, très-, nombreux, incorruptibles, et entre eux ils diffèrent d'espèce.

En les considérant relativement aux choses corporelles, on doit établir leurs rapports avec les corps, avec les lieux que leurs corps occupent et avec le mouvement dont ils sont susceptibles.

Or, à l'égard des corps les anges n'en ont pas, mais ils peuvent paraître dans des corps sans y vivre.

Tout spirituels qu'ils sont, ils existent dans un lieu et dans un seul lieu; et, pour aller d'un lieu à un autre, ils passent dans un milieu.

Ils peuvent se mouvoir localement, ou en un temps, ou en un instant.

2° Leur intelligence peut se considérer dans son sujet, dans son moyen, dans son objet et dans son mode. Le sujet de leur intelligence n'est pas leur substance, mais une vertu propre à leur essence.

Le moyen de connaître n'est pas pour l'ange sa propre essence immédiatement, mais certaines espèces qui sont plus ou moins parfaites.

Les objets de leur connaissance sont de deux sortes : ils sont spirituels ou matériels.

Relativement aux objets spirituels, l'ange connaît Dieu, se connaît lui-même et tous les autres anges.

Relativement aux objets matériels, il connaît les choses matérielles individuellement, mais il ne connaît ni les choses futures, ni les pensées des coeurs, ni les mystères de la grâce.

Quant au mode de connaissance, les anges connaissent, sans diviser, sans composer, sans raisonner, plusieurs choses par un même acte; ils ont deux connaissances, l'une qu'on appelle matutinale, et l'autre vespertinale.

3° Leur volonté est différente de leur propre substance et de leur intellect ; ils jouissent du libre arbitre, et il n'y a pas en eux deux appétits : l'appétit irascible et l'appétit concupisciblc.

Le mouvement de leur volonté est l'amour. Ils ont un amour naturel et électif, s'aiment eux-mêmes, aiment Dieu et les autres anges.

4° A l'égard de leur création il y a trois choses à considérer : ce qu'ils sont par nature, ce qu'ils sont devenus par l'effet de la grâce, et comment ils sont tombés.

Par nature ils ne sont pas éternels ; ils ont été créés dans le ciel ernpyrée peu de temps avant le corps du monde.

Ils ont été créés avec la grâce par laquelle ils ont mérité la gloire; ce mérite n'a eu besoin que d'un seul acte surnaturel; ils étaient tous bons naturellement, et ils ont eu tous la liberté de pécher.

Le péché de l'orgueil et le péché d'envie sont les fautes qu'ont commises ceux qui sont tombés; le premier ange a fait pécher les autres.

Par suite de leur péché, leur intelligence s'est obscurcie, leur volonté s'est obstinément attachée au mal, et ils éprouvent dans l'enfer de grandes douleurs (Ouest. 50-65).

Pour achever ce Traité des anges, il eût fallu parler de l'influence qu'ont les bons et les mauvais anges dans le gouvernement de ce monde; mais ces considérations doivent trouver plus logiquement leur place dans le dernier traité (Ouest.. -106-115).

V. Traité de la création du monde corporel. — Après avoir fait les anges, Dieu fit les substances corporelles.

D'après l'Ecriture, saint Thomas distingue dans la production des corps trois choses : leur création qui est indiquée par ces paroles : Au commencement, Dieu cria le ciel et la terre; leur distinction qui est exprimée par ces mots : 27 sépara la lumière des ténèbres, et les eaux qui sont au-dessous du firmament de celles qui sont au-dessus; enfin leur ornement que marquent ces mots : Qu'il y ait des flambeaux dans le firmament, etc.

La création des corps est l'oeuvre de Dieu; il l'a fait pour sa gloire et par sa seule vertu immédiatement.

Leur distinction a été l'oeuvre des trois premiers jours, et leur ornement l'oeuvre des trois derniers.

Au septième jour, Dieu acheva son oeuvre, se reposa et répandit sa bénédiction sur les créatures.

Après avoir expliqué avec les plus grands détails l'oeuvre de Dieu dans chaque jour, il examine dans une dernière question le rapport de ces oeuvres entre elles, et il fait ressortir par là la grandeur et la beauté de la création (Ouest. 63-75).

VI. Traité ce l'ame raisonnable. — Après les créatures purement spirituelles et les créatures purement matérielles se trouve l'homme, qui est composé d'un corps et d'une âme. La science théologique ne s'occupe que de l'âme, ou si elle traite du corps elle ne l'envisage que dans ses rapports avec l'âme.

L'étude de l'âme doit donc être avant tout l'objet de son examen. Et comme dans toutes les substances spirituelles il y a trois choses : l'essence, la puissance et l'opération, il faut considérer l'âme : 1° par rapport à son essence ; 2° par rapport à ses puissances ; 3° par rapport à ses opérations. '

î° Par rapport à son essence l'âme peut être considérée en elle-même ou dans son union avec le corps.

Considérée en elle-même, elle est spirituelle, incorporelle, incorruptible, et subsiste par elle-même.

Considérée dans son union avec le corps, elle est dans le corps comme sa forme ; elle est une et intellcctive ; elle existe tout entière dans chaque partie du corps et lui reste unie sans l'entremise d'aucun accident corporel.

2° Par rapport aux puissances, il faut examiner ces puissances en général et en particulier.

Les puissances de l'âme en général sont multiples, différentes les unes des autres, mais subordonnées les unes aux autres ; elles découlent de l'essence de l'âme, et celles qui existent dans l'âme comme dans leur sujet survivent à la corruption.

Quant aux puissances en particulier la théologie ne s'occupe spécialei-ment que des puissances intellectives et des puissances appétitives qui sont le siège des vertus. Cependant comme la connaissance de ces puissances dépend en quelque sorte des autres, on ne peut pas passer ces dernières sous silence.

Or, il y a dans l'âme cinq sortes de puissances : la végétative, la sensi-tive, l'appétitive, la motrice et rintellectivo.

Il y a trois âmes : la végétative, la sensitive et l'intellective.

L'âme végétative se divise en trois parties qui se rapportent à la nutrition, à l'accroissement et à la génération.

L'âme sensitive est servie par cinq sens extérieurs qui sont : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le tact.

Elle a quatre facultés intérieures qui remplissent des fonctions bien distinctes ; ce sont : le sens commun, l'imagination, l'estimation, et la mémoire.

La puissance intelleetive de l'âme est une puissance active qui comprend la mémoire [intellectuelle, la raison supérieure et la raison inférieure, l'intellect spéculatif et pratique et la syndérèse.

La puissance appétitive se divise en deux : l'appétit sensitif et l'appétit intelligentiel.

L'appétit sensitif se subdivise en appétit irascible et en appétit con-cupiscible.

L'appétit intelligentiel ou la volonté se subdivise de la même manière ; elle est plus noble que l'intellect sous certains rapports, mais elle l'est moins sous d'autres, et elle est mue par lui.

Ici se présente une question très-grave qui fait transition entre les puissances et les opérations, c'est la question du libre arbitre. L'homme est-il l'arbitre de ses actes, et cette liberté est-elle une puissance ? Est-ce une puissance cognitive ou appétitive? Ne fait-elle avec la volonté qu'une seule et même puissance?

Saint Thomas se prononce pour l'affirmative et prouve l'identité du libre arbitre avec la volonté.

3° Quant aux opérations de l'âme il faut se borner à considérer les actes et les habitudes qui se rapportent aux puissances intellectives et appétiti-ves, parce que la théologie ne s'occupe que de ce qui regarde ces deux puissances.

Les actes et les habitudes de la partie appétitive de l'âme appartenant à la morale, on doit les renvoyer à la seconde partie de la Somme qui embrasse ce sujet.

On ne doit donc s'occuper ici que des actes et des habitudes de la partie intelligente de l'âme.

Relativement aux actes il faut examiner comment l'âme connaît quand elle est unie au corps, puis comment elle connaît quand elle en est séparée. Unie au corps ses connaissances portent sur trois objets ; elles se rapportent à ce qui est au-dessous d'elle, à elle-même, ou à ce qui est au-dessus. A l'égard des choses qui sont au-dessous d'elle ou des choses corporelles, l'âme les connaît par des esprits qui lui viennent des sens, et son action peut être empêchée par le défaut des organes.

Elle se connaît aussi elle-même, ses puissances et ses actes.

Pour les choses qui sont au-dessus d'elle il ne lui est pas possible ici-bas de les connaître directement et immédiatement-, elle ne peut en avoir qu'une connaissance imparfaite qui lui vient des choses matérielles.

Lorsque l'âme est séparée du corps elle n'a plus besoin des choses sensibles pour arriver à la connaissance des choses intellectuelles. Elle les voit par elle-même. Elle connaît parfaitement les autres âmes qui lui ressemblent, mais elle ne connaît qu'imparfaitement les anges qui sont d'une nature supérieure. Elle a une connaissance vague et générale de toute la nature, mais elle conserve la science qu'elle a acquise ici-bas. La distance locale n'est plus un obstacle à sa connaissance, et elle n'est pas indifférente à ce qui se passe sur cette terre.

Après avoir ainsi étudié l'âme, on se demande naturellement, quelle est son origine? La réponse à cette question nous amène au traité suivant intitulé : De la création du premier homme (Quest. 73-90).

VII. De la création dti premier homme et de son état d'innocence originelle. — Touchant le premier homme il y a quatre choses à considérer : sa création ; le but pour lequel il a été créé ; la nature de son état et de sa condition primitive ; enfin le lieu où Dieu l'avait placé.

1° La création de l'homme a un double objet : l'âme et le corps.

L'âme a été produite par voie de création ; Dieu en est l'auteur immédiat, et il l'a produite en même temps que le corps.

Le corps est composé des quatre éléments, mais particulièrement du limon de la terre ; il a été aussi produit par Dieu immédiatement, et sa disposition est celle qui convenait le mieux à l'âme raisonnable et à ses fonctions.

Pour que l'homme pût se perpétuer il fallut créer la femme ; il était convenable qu'elle fût formée de la côte de l'homme pour que l'homme fût le chef du genre humain tout entier, comme Dieu est le principe de tout l'univers.

2° Le but que Dieu se proposa en créant l'homme, ce fut de le faire à son image et à sa ressemblance.

Il n'y a que les créatures intellectuelles qui soient, à proprement parler, à l'image de Dieu.

Plus ces créatures sont parfaites et plus elles lui ressemblent ; ainsi les anges lui ressemblent plus que les hommes.

Tous les hommes sont à l'image de Dieu, mais cette image n'est pas la même dans les justes et les bienheureux que dans les hommes.

Cette image de Dieu dans l'homme représente l'unité de sa nature et la trinité des personnes ; mais elle n'existe ainsi que dans l'âme. Les autres parties de l'homme n'en offrent que des vestiges.

3° L'état primitif de l'homme peut se considérer par rapport à son âme et par rapport à son corps.

A l'égard de son âme il y a deux choses à examiner : ce qui regarde l'intellect et ce qui regarde la volonté.

L'intelligence du premier homme dans l'état d'innocence avait une connaissance de Dieu plus élevée que celle que nous avons maintenant, mais elle ne le voyait pas dans son essence, autrement le péché lui aurait été impossible. Elle comprenait, comme actuellement, au moyen d'images sensibles, par conséquent elle ne pouvait voir les anges dans leur essence. Elle avait la connaissance de toutes les choses naturelles, mais elle ne savait des choses surnaturelles que ce qui lui était nécessaire d'en connaître. Enfin elle n'était pas, comme maintenant, susceptible de se tromper.

Sa volonté était surnaturalisée par la grâce. Il avait toutes les passions qui ont le bien pour objet, comme l'amour, la joie, le désir et l'espérance ; mais il n'avait pas celles qui se rapportent au mal, comme la crainte et la douleur. Il possédait en acte toutes les vertus qui n'impliquent pas une imperfection contraire à son état, mais il ne possédait les autres qu'habituellement. Ses oeuvres étaient sous un rapport moins méritoires que les nôtres, mais sous un autre elles l'étaient davantage.

On peut juger de l'usage qu'il faisait de sa grâce et de sa justice par l'empire qu'il exerçait sur les autres créatures. Cet empire s'étendait sur les animaux auxquels il commandait, sur les plantes et sur les choses inanimées dont il usait sans le moindre obstacle. 11 y aurait eu inégalité parmi les hommes dans cet état, et celui qui l'aurait emporté sur les autres par la science et la justice les aurait commandés dans l'intérêt de la société en général. En considérant le premier homme par rapport à. son corps 11 y a deux choses à examiner : la conservation de l'individu et la conservation de l'espèce.

Individuellement l'homme était immortel par l'effet de la grâce et seulement accessible aux passions qui le perfectionnent. Il avait besoin de nourriture, mais l'arbre de vie l'aurait rendu immortel pendant un temps déterminé.

Quant à la conservation de l'espèce elle se serait reproduite comme maintenant, mais sans aucun dérèglement. Les enfants ne seraient pas nés dans l'état de faiblesse où ils naissent aujourd'hui ; mais ils seraient nés dans la justice originelle sans être toutefois confirmés dans la grâce. Ce n'est qu'avec le temps que leur raison se serait développée ; mais ils auraient acquis toutes les connaissances en rapport avec leur nature sans fatigue et sans peine.

4° Le lieu où le premier homme fut placé se trouve en Orient et se nomme le Paradis terrestre. Il était parfaitement approprié à son état primitif. Dieu l'avaitplacé dans le Paradis pour y travailler etpour le garder, llcréad'abord l'homme hors du Paradis, il l'y plaça ensuite par l'effet de sa grâce, et de là il devait, après cette vie terrestre, le faire monter au ciel(ç«e.sr. 90-103).

VIII. Traité du gouvernement général du monde. — Après qu'il a été créé, le monde n'a pas été abandonné à lui-même ; il est gouverné.

Il l'est en général par un seul principe souverain dont la Providence embrasse tout ce qui existe ; cette Providence est la cause universelle de tous les êtres, et rien ne peut arriver que par son ordre.

Le gouvernement du monde par Dieu a pour effet la conservation des êtres. Dieu peut les anéantir tous, mais par sa bonté il arrive qu'il n'y en a point qui retournent au néant.

Le changement des êtres est aussi un des effets du gouvernement du monde.

Dieu peut changer la matière, mouvoir les corps, agir sur les intelligences et les volontés, déroger à l'ordre de la nature et faire des miracles plus ou moins grands.

Les créatures peuvent aussi agir sur d'autres créatures.

Ainsi parmi les anges les uns peuvent illuminer, instruire et mouvoir l'entendement et la volonté des autres.

Un ange peut parler à un autre sans qu'un autre ange le sache ; il peut parler à Dieu; la distance locale ne l'empêche pas de communiquer sa pensée.

Les anges constituent plusieurs ordres et plusieurs hiérarchies, et il y a différents noms et divers offices qui correspondent à ces ordres et à ces hiérarchies.

Les démons conservent aussi entre eux une certaine prééminence de rang qui est fondée sur l'état primitif de leur nature.

Les anges règlent les choses matérielles ; ils peuvent les mouvoir, les transporter d'un lieu à un autre, mais ils ne peuvent pas les transformer à volonté.

Ils ont aussi de l'influence sur les hommes. Ils peuvent éclairer leur entendement, mouvoir leur volonté et agir sur leurs sens et leur imagination.

Dieu députe les anges inférieurs vers les créatures corporelles, mais il n'envoie que par exception les anges supérieurs.

Chaque homme a pour compagnon un ange gardien qui veille sur lui depuis sa naissance jusqu'à sa mort et qui s'intéresse à son salut.

Il est aussi attaqué par les démons auxquels Dieu permet de le tenter ; les démons sont ainsi la cause indirecte de toutes nos fautes.

Les créatures corporelles sont actives et passives ; les corps célestes sont cause de tout ce qui se passe dans ce monde sublunaire; ils agissent indirectement sur les actes humains, mais tous les effets qu'ils produisent ne sont pas nécessaires.

A propos de l'action des êtres matériels, saint Thomas traite la question du destin, qu'il a soin de dégager des idées de fatalisme que les anciens y attachaient, au profit du dogme chrétien de la Providence.

Il termine cette première partie de sa Somme par l'examen du pouvoir que l'homme exerce dans la nature.

Il montre qu'il peut instruire ses semblables, mais qu'il n'a rien à apprendre aux anges, qu'il peut changer les substances corporelles et les transformer en se conformant aux lois de la nature.

Enfin, il a la vertu de perpétuer son espèce, mais l'âme ne se transmet pas par voie de génération. Elle est créée par Dieu et vient animer le corps au mêment même de sa formation (Quest. 103-119).






I pars (Drioux 1852) Qu.1