I pars (Drioux 1852) Qu.10 a.6


QUESTION XI. : DE L'UNITÉ DE DIEU.


Nous avons maintenant à traiter de l'unité de Dieu. — A ce sujet quatre questions se présentent: — 1° L'unité ajoute-t-elle quelque chose à l'être? — 2° L'unité est-elle l'opposé de la multiplicité? — 3° Dieu est-il un ? — 4" Dieu est-il souverainement un ?

ARTICLE I. — l'unité ajoute-t-elle quelque chose a l'être (2)?


Objections: 1.. Il semble que l'unité ajoute quelque chose à l'être. Car tout ce qui existe dans un genre déterminé s'ajoute à l'être qui enveloppe dans son universalité tous les genres. Or, l'unité existe dans un genre déterminé, puisqu'elle est le principe du nombre qui est lui-même une espèce de quantité. Donc l'unité ajoute quelque chose à l'être.

2.. Ce qui divise un objet commun s'ajoute àlui. Or, l'unité, la multiplicité sont des divisions de l'être. Donc l'unité ajoute quelque chose à l'être.

3.. Si l'unité n'ajoute point à l'être, le mot mm et le mot être doivent signifier absolument la même chose. Et comme il n'y aurait rien de sérieuxà dire: l'être est l'être, de même on ne devrait pas pouvoir dire : l'être est un, ce qui est pourtant faux. Donc l'unité ajoute à l'être.


Mais c'est le contraire. Comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. ult.), il n'y a rien de ce qui existe qui ne participe à l'unité. Or, il n'en serait pas ainsi si l'unité ajoutait à l'être quelque chose qui le restreignît. Donc l'unité n'ajoute rien à l'être.

CONCLUSION. — L'unité n'ajoute à l'être rien de réel, elfe n'y ajoute que fa négation de toute division.

CONCLUSION: Il faut répondre que l'unité n'ajoute rien à l'être, sinon la négation de toute division (3). Car l'unité ne signifie rien autre chose que l'être non divisé, et par là il est manifeste qu'elle rentre clans l'être. Car tout être est ou simple ou composé. L'être simple est indivis en acte et en puissance. L'être composé n'a pas d'existence tant que ses parties sont divisées, il faut qu'elles soient réunies pour le constituer et le faire exister à l'état composé. D'où il est clair que pour toute chose l'être consiste clans la non-division, et qu'une substance quelconque ne conserve son être qu'à la condition de conserver son unité.

(1) C'est-à-dire qu'elle les embrasse dans son unité.

(2) L'ordre et l'unité sont identiques, quant à l'essence ; elles sont une mémo chose par rapport au sujet, mais elles ne sont pas la même chose par rapport au mode.

(3) Avicenne n'était pas de ce sentiment : il voulait que l'unité ajoutât quelque chose à l'être, comme le dit suint 'Thomas, dans sa réponse au premier argument. Les scotistes se sont rapprochés du sentiment d'Aviccnne, en prétendant que l'unité ajoute à l'être une certaine réalité.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que certains philosophes aj^ant pensé que l'unité qui rentre dans l'être est la même chose que l'unité le principe du nombre, ils se sont divisés en deux sentiments contraires. Pythagore et Platon ayant remarqué que l'unité qui rentre dans l'être n'ajoute rien à l'être, mais signifie seulement que l'être est indivis, ils ont pensé qu'il en était de même de l'unité qui est le principe du nombre. Et comme le nombre se compose d'unités,ils onteruque les nombres étaient les substancesdes choses. Au contraire, Avicenne, considérant que l'unité qui est le principe du nombre ajoute quelque chose à la substance de l'être (car autrement le nombre qui se compose d'unités ne serait pas une espèce do

quantité), crut que l'unité qui rentre dans l'être ajoute aussi quelque chose à la substance de l'être ; comme le blanc ajoute quelque chose à l'homme. Mais ceci est évidemment faux; car toute chose est une par sa substance. En effet, si une chose empruntait son unité à une cause extérieure, cette cause aurait dû elle-même la recevoir d'une autre, il faudrait toujours aller ainsi de cause extérieure en cause extérieure, et cela indéfiniment. Il faut donc s'en tenir à ce que nous avons établi précédemment, et reconnaître que l'unité qui rentre dans l'être n'ajoute rien à l'être, mais que l'unité qui est le principe du nombre y ajoute quelque chose qui est du genre de la quantité.

2. Il faut répondre au second argument, que rien n'empêche que ce qui est divisible d'une manière soit indivis d'une autre. Ainsi, ce qui est divisé quant au nombre, est indivis quant à l'espèce, et il arrive par là qu'une chose est une sous un rapport et multiple sous un autre. D'ailleurs, si un être est absolument indivis, soit parce qu'il est indivis quant à son essence, bien qu'il soit divisé quant aux. choses qui ne lui sont pas essentielles, comme les êtres qui sont un dans leur sujet, eimultiples dans leurs accidents ; soit parce qu'il est indivis en acte et divisé en puissance, comme les êtres qui sont un dans leur tout et multiples dans leurs parties ; un être de cette nature sera un absolument et multiple sous quelques rapports.

Si au contraire un être est indivis sous certain rapport, et qu'il soit absolument divisible, comme il arrive quand il est divisible dans son essence et qu'il estindivis rationnellement, ou selon son principe ou sa cause, dans ce cas l'être sera multiple absolument, etun sous quelques rapports. Tels sont, par exemple, les êtres qui sont multiples en nombre et qui sont un en espèce ou en principe. L'unité et la multiplicité sont donc les divisions de l'être, mais de telle sorte que l'unité est absolue et la multiplicité relative. Car la multitude elle-même ne serait pas renfermée dans l'idée de l'être si elle n'était contenue de quelque manière dans l'idée d'unité. Car, comme le dit saint Denis, il n'y a pas de multitude qui ne participe de l'unité. En effet, les êtres qui sont multiples quant à leurs parties, sont un par rapport au tout; ceux qui sont multiples quant aux accidents sont un quant au sujet ; ceux qui sont multiples en nombre sont un en espèce ; ceux qui sont multiples en espèces sont «h en genre, ceux qui sont multiples clans leurs processions sont un par rapport au principe duquel ils procèdent (1).

3. Il faut répondre au troisième argument, qu'il n'y a rien de puéril à dire que l'être est un, parce que l'unité ajoute rationnellement quelque chose à l'être (2).


ARTICLE II — l'unité est-elle opposée a la multiplicité et réciproquement (3)?



Objections: 1.. Il semble que l'unité et la multiplicité ne soient pas opposées. Car l'opposé ne s'affirme pas de l'opposé. Or, nous avons dit que sous un rapport toute multitude était une, comme nous l'avons vu (art. préc). Donc l'unité n'est pas opposée à la multiplicité.

(1) Ces principes sur l'unité et ïa multiplicité sont autant de lemmes très-féconds, dont on peut tirer, en métaphysique et en ontologie, les plus grands avantagés.

(2) Elle y ajoute l'exclusion de toute division.

(3) Cet article est un commentaire et une justification de ce que dit Aristote sur l'unité et la pluralité (Met. liv. X, chap. 5). Cette question fondamentale en métaphysique et en ontologie est ici admirablement traitée. En comparant le texte d'Aristote à celui de saint Thomas, on verra que quand l'Ange de l'école s'appuie le plus directement sur ce philosophe, il ne manque pas d'ajouter à ses pensées les lumières de son génie

2.. L'opposé ne produit pas son opposé. Or, l'unité produit la multitude. Donc elle ne lui est pas opposée.

3.. Il n'y a qu'une chose qui soit opposée à une autre. Or, le peu est opposé à beaucoup (1). Donc l'unité ne lui est pas opposée.

(1) Si l'unité est opposée à la multiplicité, elle lui est opposée comme ce qui est indivis à ce qui est divisé, et par conséquent comme la privation l'est à l'habitude. Or, il semble que ceci répugne, parce qu'il s'ensuivra que l'unité est postérieure à la multiplicité et qu'elle est définie par elle, tandis que c'est au contraire la multiplicité qui est définie par l'unité. Cette définition tournerait dans un cercle, ce qui est absurde. Donc l'unité et la multiplicité ne sont pas opposées.


Mais c'est le contraire. Il y a opposition entre les choses dont les natures sont opposées. Or, la nature de l'unité consiste dans l'indivisibilité, et celle de la multiplicité implique division. Donc l'unité et la multiplicité sont opposées.

CONCLUSION, i— L'unité et la multiplicité ne sont pas opposées l'une à l'autre de la même manière ; car l'unité, principe du nombre, est opposée à la pluralité comme la mesure l'est à l'objet mesuré, tandis que l'unité qui rentre dans l'être est opposée à la multiplicité, comme ce qui est indivis est opposé à ce qui est divisé.

Il faut répondre que l'unité est opposée à la multiplicité de différentes manières. D'abord l'unité, qui est le principe du nombre, est opposée à la multiplicité qui est le nombre lui-même, comme la mesure l'est à l'objet mesuré. Car l'unité est la base de la mesure, et le nombre est la multiplicité mesurée par l'unité, comme le prouve Aristote (Met. lib. x, text. 2). Ensuite l'unité qui rentre dans l'être est opposée à la multiplicité par manière de privation, comme l'indivis est opposé à ce qui est divisé.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la privation ne détruit jamais totalement l'être, parce que la privation, d'après Aristote (2), est une négation dans le sujet. Cependant toute privation détruit quelque chose de l'être. C'est pourquoi dans l'être, en raison de sa généralité, il arrive que la privation de l'être tombe sur l'être même, tandis qu'il n'en est pas ainsi poulies privations qui n'affectent que des formes spéciales, telles que la vue, la blancheur et les autres choses semblables. Ce que nous disons de l'être est égalementj vrai de l'unité et de la bonté qui rentrent dans l'être. Car toute privation de bonté repose sur quelque bien, et la négation de l'unité a pareillement son fondement dans ce qui est un. De là il arrive que la multiplicité est une certaine unité, le mal un certain bien, le non-être un certain être. Ce n'est pas à dire pour cela que l'opposé s'affirme de l'opposé, car de ces choses contraires l'une est prise absolument et l'autre relativement. Ainsi ce qui est être sous un rapport, c'est-à-dire en puissance, est non-être absolument, c'est-à-dire en acte; ou bien ce qui est être absolument quant àla substance, est non-être sous un rapport, quant aux accidents. De même ce qui est bon sous un rapport est mauvais pris absolument, et réciproquement, comme ce qui est un absolument est multiple relativement, et réciproquement.

2. Il faut répondre au second,, qu'il y a deux sortes de tout : l'un homogène qui est composé de parties semblables, et l'autre hétérogène, qui est formé de parties dissemblables. Dans un tout homogène les parties ont la même forme que le tout; ainsi une portion d'eau est de l'eau. Dans un tout hétérogène, les parties n'ont pas la même forme que le tout. Une partie de maison n'est pas une maison, pas plus que le membre d'un homme n'est un homme. Un tout de cette nature est une multitude. Les parties de ce tout n'ayant pas la même forme que lui, la multiplicité se compose d'unités différentes d'elle-même, comme une maison se compose de choses qui ne sont pas elles-mêmes des maisons. Mais ces unités ne produisent pas la multiplicité en raison de leur indivisibilité, puisque sous ce rapport elles lui sont opposées, mais elles la constituent en tant qu'êtres : comme les parties d'une maison forment une maison parce qu'elles sont des corps, mais non parce qu'elles ne sont pas elles-mêmes un édifice.


(1) Il y a ici un jeu de mots produit par le double sens du mot multum qu'on ne peut rendre en français.

(2) Une négation dans le sujet; ce n'est pas unenégation absolue, c'est une négation qui existe dans un sujet qui manque de telles ou telles qualités que, par nature, il devrait avoir. Telle est la privation de la vue. Voyez Aristote (Des catégories, 5c section, ch. 10. Des opposés).


3. Il faut répondre au troisième, que le mot beaucoup (multum) est pris là dans un double sens. D'abord d'une manière absolue, et dans ce sens il est opposé à l'unité; ensuite comme signifiant un certain excès, et il est alors opposé au mot peu. Dans le premier sens on peut employer le mot multa en ne parlant que de deux, mais dans le second on ne pourrait pas (1).

4. Il faut répondre au quatrième, que l'unité est opposée à la pluralité dans le sens qu'il est de la nature de la pluralité d'être divisée. C'est pourquoi il faut que la division soit antérieure à l'unité, non absolument, mais d'après notre manière de comprendre. Car nous comprenons ce qui est simple par ce qui est composé. Ainsi nous définissons le point, ce qui n'a pas de partie, ou le commencement de la ligne. Logiquement la multiplicité est une conséquence de l'unité ; car nous ne comprenons pas que ce qui est divisé forme une multitude, sinon parce que nous comprenons chacun des objets divisés sous une même unité. C'est ce qui fait que l'unité entre nécessairement dans la définition de la multiplicité, tandis que la multiplicité n'entre pas dans ladéfinition de l'unité. Pour notre intellect la division résulte de la négation de l'être. Ainsi ce que nous concevons en premier lieu, c'est l'être ; en second lieu nous savons que cet être-ci n'est pas celui-là, et par consequentia division est la seconde opération de notre esprit; en troisième lieu nous saisissons l'unité de l'être, et en quatrième lieu sa multiplicité ou sa multitude (2).


ARTICLE III. — dieu est-il un (3)?


Objections: 1.. Il semble que Dieu ne soit pas un. Car il est dit (I. Cor. viii, S) xli y.a beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs.

2.. L'unité qui est le principe du nombre ne peut s'affirmer de Dieu, parce qu'aucune quantité ne peut lui convenir. Il en faut dire autant de l'unité qui se réduit à l'être, parce que cette sorte d'unité emporte avec elle l'idée de privation, que toute privation est une imperfection et par conséquent quelque chose de contraire à la nature de Dieu. On ne doit donc pas dire que Dieu est un.


Mais c'est le contraire. Car il est écrit (Deut. vi, 4) : Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est un. CONCLUSION. — Par là même qu'il est absolument simple et infiniment parfait,

(1) Voyez Aristote (Met. lib. X, cap. fl).

(2) Ainsi pour arriver à quarante écus il faut les compter un par un de sorte que l'unité précède la multitude.

(3) Cet article est Une réfutation de l'erreur des gentils, qui admettaient plusieurs dieux ; de celle des manichéens qui établissaient deux principes, dont l'un n'était pas la cause de l'autre ; de celle des ariens, qui, obligés de reconnaître la divinité du Fils, n'en faisaient pas un même Dieu avec le Père; de celle des trithéites, qui voulaient qu'il y eût trois dieux. Cependant saint Thomas reconnaît que les gentils n'ont jamais nié absolument l'unitédeDieu (V. Cotiî. GenlA'ih. I, cap. 42), ce que l'érudition moderne a en effet démontré par l'étude des traditions.

CONCLUSION: Dieu est souverainement un, et c'est de lui que découle l'ordre qui règne dans tout l'univers.

Il faut répondre qu'on peut démontrer l'unité de Dieu de trois manières : 1 ° Par sa simplicité. Il est clair que ce qui caractérise un individu et ce qui le fait ce qu'il est ne peut convenir en aucune manière à plusieurs autres individus. Ainsi ce qui fait que Socrate est un homme est commun à tous les hommes; mais ce qui fait qu'il est Socrate ne peut convenir qu'à lui. Si donc Socrate était homme d'après ce qui constitue son individualité, comme il ne peut y avoir plusieurs Socrates, il ne pourrait non plus y avoir plusieurs hommes. Or, il en est précisément ainsi de Dieu. Il est lui-même sa nature, comme nous l'avons démontré (quest. m, art. 3). Il est donc à la fois Dieu et tel Dieu, et il est par conséquent impossible qu'ilyaitplusieurs Dieux. — 2° Par sa perfection infinie. Nous avons vu (quest. rv, art. 2) que Dieu comprend en soi toute la perfection de l'ôtro. Or, s'il y avait plusieurs Dieux, il faudrait qu'il y eût entre eux quelques différences, et que ce qui conviendrait à l'un ne convînt pas à l'autre. S'il en était ainsi, l'un d'eux manquerait de quelque chose, et celui qui en serait privé ne serait pas absolument parfait. C'est pourquoi il est impossible qu'il y ait plusieurs Dieux. Les philosophes anciens ont été si frappés de cette vérité qu'en reconnaissant un principe infini ils ont tous proclamé son unité. — 3° Par l'unité du monde. Tout ce qui existe est disposé de manière que toutes les créatures sont subordonnées les unes aux autres. Comme elles sont différentes, elles ne concourraient pas à un seul ordre, si elles n'étaient pas réglées par un être unique. En effet l'unité de l'ordre résulte mieux de la direction d'un seul que de la direction de plusieurs. Car l'unité produit nécessairement l'unité, tandis que la multiplicité ne produit l'unité que par accident, dans le cas par exemple où la multitude se trouve unanime. Or, le premier être étant infiniment parfait, par soi et non par accident, il faut que ce premier être qui ramène tout à un seul et même ordre soit absolument un. Et telle est la nature de Dieu.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'Apôtre rappelle l'erreur de ceux qui adoraient plusieurs dieux, considérant les planètes, les étoiles et chacune des parties du monde comme autant de divinités ; aussi il ajoute : Pour nous, nous ne croyons qu'en un seul Dieu.

2. Il faut répondre au second, que l'unité, en tant que principe du nombre, ne s'applique pas à Dieu, mais seulement aux objets matériels. Car l'unité ainsi comprise est du ressortdes mathématiques qui s'appliquent aux choses matérielles, bien que rationnellement elles en soient abstraites. Mais l'unité qui se réduit à l'être est une notion métaphysique dont l'existence est indépendante de la matière. Et quoiqu'on Dieu il n'y ait aucune négation, cependant, en raison de notre mode de comprendre, nous ne le connaissons que négativement, par exclusion, c'est-à-dire en écartant de sa notion tout ce qui n'est pas lui. Ainsi rien n'empêche que nous affirmions de lui quelque chose de négatif, comme quand nous disons qu'il est incorporel, qu'il est infini. C'est dans le même sens que nous disons qu'il est un (1).


ARTICLE IV. — dieu est-il souverainement un (2)?


Objections: 1.. II semble que Dieu ne soit pas souverainement un. L'unité suppose, en effet, la négation de toute division. Or, une négation n'est susceptible ni de plus ni de moins. Donc Dieu n'est pas un plus que les autres choses qui sont unes.


(1) L'unité est ici la négation de toute division, de tout changement.

(2) Cet arlicle combat l'erreur d'un théologien, Pierre de Alyaco, qui avait avancé que la personne divine est plus'une que Ha nature divine, sous prétexte que la nature est communicable et que la personne ne l'est pas. A la vérité, la nature se communique aux personnes, mais elle n'en est


2.. Il semble qu'il n'y ait rien de plus indivisible que ce qui est indivisible tout à la fois en acte et en puissance, comme le point et l'unité. Or, un être est d'autant plus un qu'il est plus indivisible. Donc Dieu n'est pas plus un que l'unité et le point.

3.. Ce qui est bon par essence est souverainement bon. Donc ce qui est un par essence est souverainement un. Or, tout être est un par son essence, comme le démontre Aristote (Met. lib. iv, text. 3). Donc tout être est souverainement un, et par conséquent Dieu n'est pas plus un que les autres êtres.


Mais c'est le contraire. Car saint Bernard dit : Au-dessus de tout ce qui est un, l'unité de la Trinité divine tient la première place (De consid. lib. vi, cap. 8).

CONCLUSION. — Dieu étant l'être suprême et étant souverainement indivis, il est par là même souverainement un.

Il faut répondre que l'un étant l'être indivis, il faut, pour être souverainement un, être l'être par excellence, et être absolument indivis. Or, ce double caractère convient à Dieu. Il est l'être par excellence puisqu'il n'est déterminé par aucune nature supérieure à lui, et qu'il est à lui-même son être, subsistantpar lui-même sans être limité d'aucune manière. Il est aussi absolument indivis; car il ne peut être divisé ni en acte, ni en puissance d'aucune sorte, par là même qu'il est souverainement simple, comme nous l'avons démontré (quest. m, art. 7). D'où il est clair que Dieu est souverainement un.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoique la privation en elle-même ne soit susceptible ni de plus ni de moins, cependant par rapport à son opposé il n'en est pas de même, et c'est pour cela qu'on peut comparer entre eux les êtres sur lesquels elle s'exerce. Ainsi, suivant qu'un être est plus ou moins divisé et divisible, ou qu'il ne l'est pas du tout, on dit qu'il est plus ou moins un ou souverainement un.

2. Il faut répondre au second, que le point et l'unité, qui est le principe du nombre, ne sont pas des êtres du degré le plus élevé, puisqu'ils ont besoin d'exister dans un sujet quelconque. Ils ne sont donc ni l'un ni l'autre souverainement un. Car comme le sujet n'est pas souverainement un à cause de la différence qu'il y a entre lui et son accident, de même l'accident ne l'est pas non plus.

3. Il faut répondre au troisième, que bien que tout être soit un par sa substance, ce n'est pas à dire que la substance de chaque être produise de la même manière l'unité, parce que dans les uns la substance est composée de beaucoup de parties, dans les autres elle ne l'est pas.


QUESTION XII. : COMMENT NOUS CONNAISSONS DIEU.


Après avoir considéré précédemment ce qu'est Dieu en lui-même, il nous reste à examiner ce qu'il est dans notre esprit, c'est-à-dire de quelle manière les créatures le connaissent. — A cet égard treize questions se présentent : — 1° Une intelligence créée peut-elle voir l'essence de Dieu ? —¦ 2" Est-ce par une ressemblance créée que l'essence de Dieu se l'ait voir aux intelligences créées ? — 3° L'essence de Dieu peut-elle être vue par les yeux du corps ? — 4° Une intelligence créée peut-elle, avec ses

pas pour cela divisible, elle reste au contraire absolument simple, elelleest par conséquent souve-rainementune.C'estccq,ucl'Eglise exprimeparfaitement par ces paroles dans son office de la sainte Trinité : Gratias,tibi,Deus, vera et una trinitas, una et summa deitas, sancta et una unitas.

moyens naturels, voir l'essence de Dieu ? — 5° Un esprit créé a-t-il besoin pour voir-Dieu de quelque lumière créée? — 6° Parmi les créatures qui voient l'essence de Dieu, l'une la voit-elle plus parfaitement que l'autre ? — 7° Un esprit créé peut-il comprendre l'essence de Dieu ? — 8° Un esprit créé qui voit l'essence de Dieu con-nait-il tout en elle? — 9" Ce qu'une créature connaît dans l'essence de Dieu, le connait-elle par quelques ressemblances? — 10° Connaît-elle à la fois et d'une seule vue tout ce qu'elle voit en Dieu? — 11° Dès cette vie un homme peut-il voir Dieu dans son essence? — 12° Pouvons-nous connaître Dieu ici-bas par la raison naturelle?— 13° Au-dessus de la connaissance que nous avons de Dieu par la raison y a-t-il dans cette vie une autre connaissance qui est l'effet de la grâce?

ARTICLE I. — une intelligence créée peut-elle voir dieu dans son essence (1)?



Objections: 1.. Il semble qu'aucune intelligence créée ne puisse voir Dieu dans son essence. Car saint Chrysostome, expliquant ces paroles de saint Jean (Hom. xiv) : Personne n'a jamais vu Dieu, dit que non-seulement les prophètes, mais les anges et les archanges n'ont pas vu ce qu'est Dieu. Car, àjoute-t-il, comment la créature pourrait-elle voir celui qui n'a pas été créé? EtsaintDenisen parlant de Dieu d\t(De div. nom.csçA) qu'il n'est accessible ni aux sens, ni à l'imagination, ni à l'opinion, ni à la raison, ni à la science.

2.. Tout ce qui est infini dépasse comme tel toute connaissance. Or, Dieu est infini, comme nous l'avons démontré (quest. vu, art. 1). Donc il ne peut être connu en lui-même.

3.. Une intelligence créée ne peut connaître que les choses qui existent. Car ce que l'intelligence saisit avant tout, c'est l'être. Or, comme le dit saint Denis (chap. 1 et 2), Dieu n'est pas existant, mais il surpasse tout ce qui existe. Donc il n'est pas du nombre des choses qu'une intelligence créée peut comprendre, mais il est au-dessus de toute intelligence.

4.. Il faut qu'il y ait une certaine proportion entre l'objet qui connaît et l'objet qui est connu, puisque la connaissance d'un objet devient une perfection pour celui qui la possède. Or, il n'y a pas de proportion entre Dieu et une créature, puisque l'infini les sépare. Donc une intelligencecréée ne peut voir l'essence de Dieu.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans saint Jean (I. Joan, iii, 2) : Nous le verrons comme il est.

CONCLUSION. — Le souverain bonheur de l'homme consistant dans l'opération la plus élevée de son intelligence, qui est la vue claire de l'essence divine, il est certain qu'un esprit créé peut voir Dieu dans son essence.

Il faut répondre qu'un être étant d'autant plus intelligible qu'il est plus en acte, Dieu qui est un acte pur, sans aucun mélange de puissance (2), est en lui-même souverainement intelligible. Mais ce qui est souverainement intelligible en soi, peut n'être pas accessible aune intelligence donnée, parce qu'il peut se trouver trop élevé au-dessus d'elle. C'est ainsi que le soleil, qui est de tous les objets matériels le plus visible, ne peut être vu de la chauve-souris précisément parce que sa lumière est trop vive. — Quelques philosophes frappés de ce fait ont supposé qu'aucune intelligence créée ne pouvait voir Dieu. Mais cette opinion n'est pas fondée. Car le souverain bonheur de

l'homme consistant dans l'exercice le plus élevé de sa pensée, si une intelligence créée ne peut jamais voir Dieu dans son essence, l'homme ne jouira jamais du souverain bonheur, ou il le trouvera ailleurs qu'en Dieu; ce qui est contraire à la foi. Car la perfection dernière de la créature raisonnable consiste dans la source même de son être, et plus elle s'en rapproche, plus elle gagne en perfection ; ce qui est également vrai quand cette source ou ce principe est au-dessus de la raison. D'ailleurs il y a dans l'homme le désir naturel de connaître la cause des effets qu'il aperçoit, et c'est là ce qui produit en lui l'admiration. Donc, si la pensée humaine ne peut s'élever à la cause première des choses, ce désir de la nature ne serait qu'une chimère. — Il faut donc absolument reconnaître que les bienheureux voient Dieu dans son essence.

(I) Cet article est une réfutation de l'erreur des trinitaires, d'Amauri et des arnaudistes, qui prétendaient qu'aucune créature ne voyait ni ne verrait l'essence divine ; que nous ne pouvions voir Dieu que dans ses créatures, comme nous voyons la lumière dans l'air, et que les bienheureux ne le verraient que par une lumière qui s'échapperait de son essence, niais non par son essence même. Le concile de Florence a expressément condamné ces erreurs et à défini que nous le verrions tel qu'il est : Definimus animas beatorum.... intueri clare ipsum, Deum trinum et unum, sicuti est.

(2) C'est-à-dire, il n'y a en Dieu rien de potentiel ; il est celui qui est.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Chrysostome et saint Denis parlent l'un et l'autre, non de la simple vue de Dieu, mais de sa eom-préhensibilité. Ainsi dans saint Denis, immédiatement avant le passage cité on trouve : Il est absolument incompréhensible à tous; il n'est accessible, etc. Et saint Chrysostome ajoute : Il s'agit ici d'une vision qui aurait pour objet de comprendre le Père tel que le Père comprend le Fils.

2. Il faut répondre au second, que l'infini qui se rapporte à la matière non revêtue d'une forme est inconnu en lui-même parce que toute connaissance suppose une forme; mais que l'infini, qui a pour objet une forme que la matière ne limite d'aucune manière, est au contraire ce qu'il y a de plus connu en soi. Et c'est dans ce second sens, et non dans le premier, que Dieu est infini, comme nous l'avons prouvé (quest. vu, art. 1).

3. II faut répondre au troisième, que quand on dit que Dieu n'estpas existant, cela ne signifie pas qu'il n'existe d'aucune manière, mais qu'il est au-dessus de tout ce qui existe parce qu'il est lui-même son être. D'où il ne suit pas qu'il ne peut être connu d'aucune manière, mais qu'il est au-dessus de toute connaissance et qu'aucun être ne peut le comprendre.

4. Il faut répondre au quatrième, qu'on distingue deux sortes de proportion. L'une positive, comme le rapport d'une quantité à une autre. Dans ce sens, le double, le triple, l'égal sont des espèces de proportion. L'autre qui consiste dans le rapport d'un être à un autre être. Ainsi, il peut y avoir proportion entre la créature et Dieu, dans le sens qu'il y a de l'un à l'autre rapport de l'effet à la cause, de la puissance à l'acte. En ce sens, une intelligence créée peut être capable de connaître Dieu.


ARTICLE II — est-ce au moyen d'images que l'essence de dieu est vue par les intelligences créées (1)?


Objections: 1.. Il semble que l'intellect créé voie l'essence de Dieu par des images ou des ressemblances. Car il est dit dans saint Jean (I. Joan, iii, 2) : Nous savons que quand il se montrera, nous serons semblables à lui et nous le verrons tel qu'il est.

2.. Saint Augustin dit (De Trin. lib. ix, cap. 11) : Quand nous connaissons Dieu, il se forme de lui en nous une ressemblance.

3.. L'intellect en acte est l'intelligible en acte, comme le sens en acte est le sensible en acte. Or, il n'y a sentiment et connaissance qu'autant que les sens sont frappés de l'image de l'objet sensible, et que l'intellect perçoit l'image de la chose qu'il comprend. Donc, si un esprit créé voit Dieu en acte, il faut qu'il le voie par une ressemblance quelconque.

(i) L'Ecriture dit formellement que nous verrons Dieu face à face (I. Cor. xiii) : Videmus nunc per speculum in cenigmalc, tunc autem facie ad faciem. Il y a cependant eu des hérétiques qui ont prétendu que la vision de l'essence divine ne serait pas intuitive (Direct, inquis. 2, p. q. 8, har. 7). Saint Thomas combat ici directement cette erreur qui se trouve condamnée par la décision du concile de Florence, que nous avons citée à l'occasion de l'article précédent, et par une bulle de Benoit XI (in Exlravagante),qm commence par ces mots : Benedictus Deus... Definimus quod... erit talis intuitiva et facialis visio...


Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De Trin. lib. xv, cap. 9) que ces paroles de l'Apôtre : Nous voyons Dieu maintenant comme à travers un miroir et en énigme, signifient que nous n'avons de lui que des images ou des ressemblances appropriées à l'objet qu'elles doivent nous faire connaître. Or, voir Dieu dans son essence ce n'est pas le voir en énigme et à travers un miroir. Donc on ne voit pas l'essence divine par des ressemblances.

CONCLUSION. — L'essence divine ne peut être vue par une intelligence créée au moyen d'images qui reproduisent cette essence, mais la lumière de la gloire peut imprimer à la créature intelligente une certaine ressemblance avec Dieu et lui donner ainsi la force de saisir et de voir son essence.

CONCLUSION: Il faut répondre que, pour la vision sensible aussi bien que pour la vision intellectuelle, deux conditions sont requises : la faculté de voir, et l'union de l'objet que l'on voit avec la vue. Car il n'y a pas de vision en acte si l'objet vun'existe de quelque manièredans le sujet qui le voit. Quant aux corps, il est évident que l'objet vu ne peut être dans le sujet qui le voitpar son essence, mais seulement par sa ressemblance. Ainsi l'image d'une pierre est dans l'oeil de celui qui la regarde actuellement, mais il n'en est pas de même de sa substance. Si le principe de la vue et l'objet que l'on voit étaient une èeule et même chose, il faudrait que celui qui voit reçût de cette chose et la faculté de la voir et la forme sous laquelle il la voit. — Or, il est évident que Dieu est l'auteur de nos facultés intellectuelles, et qu'il peut être vu par notre intelligence. Et puisque la puissance intellectuelle de la créature n'est pas l'essence de Dieu, elle ne peut être qu'une participation de ressemblance avec lui qui est l'intelligence suprême. C'est pour ce motif que la puissance intellectuelle de la créature est appelée un rayon lumineux parti, pour ainsi dire, de la lumière primitive, soit qu'on l'entende de la puissance naturelle, soit qu'on le comprenne de quelque perfection surnaturelle de grâce ou de gloire. — Il faut donc, pour voir Dieu, que subjectivement l'intelligence créée soit fortifiée par un secours de Dieu qui la rende en quelque sorte semblable à lui. Par rapport à l'objet, dont l'union avec le sujet est nécessaire pour constituer la vision, on doit reconnaître qu'il n'y a pas de ressemblance créée par laquelle on puisse voir l'essence divine. — 1° En effet, comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. 1), les images des choses d'un ordre inférieur ne peuvent nullement nous faire connaître celles d'un ordre supérieur. Ainsi on ne peut pas, parles images des choses corporelles, arriver à la connaissance des choses incorporelles. On peut encore moins par une espèce créée, quelle qu'elle soit, voir l'essence de Dieu. — 2° Parce que l'essence de Dieu est son être, comme nous l'avons prouvé (quest. m, art. 4), ce qui ne peut convenir à aucune forme créée. Donc il n'y a pas de forme créée qui puisse représenter l'essence de Dieu à celui qui veut la voir. —- 3" Parce que l'essence divine est quelque chose d'illimité, qui renferme en soi suréminemment tout ce qu'un esprit créé peut nommer et comprendre. Or, aucune espèce d'image créée ne peut représenter ces attributs, parce que toute forme créée est nécessairement limitée, soit sous le rapport de la sagesse, de la force, de l'être lui-même, ou de toute autre chose. Par conséquent, dire qu'on voit Dieu par une figure ou une ressemblance, c'est dire qu'on ne voit pas son essence ; ce qui est erroné. — On doit donc dire que pour voir l'essencede Dieu, il faut que le sujet qui voit reçoive de la gloire divine une lumière qui lui imprime une certaine ressemblance avec Dieu, et fortifie son entendement de telle sorte qu'il puisse soutenir son éclat, selon l'expression du Psalmiste (Ps. xxxv, 10) : Dans votre lumière, Seigneur, nous verrons la lumière. Mais aucune ressemblance créée ne peut nous faire voir l'essence de Dieu, parce qu'il n'y en a aucune qui" la représente telle qu'elle est.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Jean parle de la ressemblance que la lumière de la gloire imprimera en nous.

2. Il faut répondre au second, que saint Augustin ne parle dans ce passage que de la connaissance de Dieu, telle que nous l'avons sur cette terre.

3. Il faut répondre au troisième, que l'essence divine est elle-même son être. Par conséquent, comme les autres formes intelligibles qui ne sont pas elles-mêmes leur être, ne s'unissent à l'intellect qui les perçoit qu'en raison de l'être qu'elles lui communiquent et par lequel elles le mettent en acte, de même l'essence divine s'unit à l'intelligence créée, comme étant en acte, et comme produisant par elle-même cette manière d'être dans l'intellect (1).

ARTICLE III. — l'essence divine peut-elle être vue des ïeux du corps (2)?


I pars (Drioux 1852) Qu.10 a.6