I pars (Drioux 1852) Qu.12 a.9

ARTICLE IX. — ce que les bienheureux voient en dieu le voient-ils par quelques ressemblances   (1)?



Objections: 1.. Il semble que ce que les bienheureux voient en Dieu, ils le voient par des espèces ou ressemblances. En effet, dans toute connaissance, le sujet qui connaît s'assimile l'objet qui est connu. Ainsi l'intelligence en acte s'assimile l'objet qu'elle comprend, et le sens en acte s'assimile l'objet qu'il sent, de telle sorte que l'intelligence est affectée de l'image de l'objet qu'elle perçoit, et le sens reproduit l'image de l'objet qui l'a frappé, comme dans l'oeil les couleurs se peignent sur la pupille. Donc, si l'intelligence de celui qui voit l'essence divine connaît en Dieu quelques créatures, il faut que leurs images se soient formées en elle.

(1) Cet article est le commentaire raisonné de ces paroles de saint Paul (I. Cor. xiii) : Videmus nunc per speculum ei in aenigmate, tunc autem facie ad faciem.

2.. Nous conservons le souvenir des choses que nous avons vues. Or, saint Paul ayant vu dans un ravissement l'essence divine, s'est souvenu d'une foule de choses qu'il avait vues. Car il dit qu'il a entendu des secrets qu'il n'est pas permis à l'homme de découvrir (II. Cor. xn, 4). Il faut donc dire qu'il a conservé dans son esprit quelques images des choses qu'il s'est rappelées, et pour la même raison, quand il voyait l'essence de Dieu et qu'il lui était présent, il devait avoir une image ou une ressemblance des choses qu'il voyait en elles.


Mais c'est le contraire. En effet, on voit sous la même forme le miroir et les choses qui s'y reflètent. Or, tout ce qu'on voit en Dieu on le voit comme dans un miroir intelligible. Par conséquent, puisqu'on ne voit pas Dieu par une image, mais par son essence, on ne voit pas non plus par des images ou des ressemblances les choses qu'on connaît en lui.

CONCLUSION. — Ceux qui voient Dieu ne voient pas en lui les autres choses par des images ou ressemblances, ils les voient par l'essence divine qui est unie à leur esprit.

Il faut répondre que ceux qui voient Dieu dans son essence, ne voient pas sous des espèces ou des images les choses qu'ils connaissent en lui, mais ils les voient par l'essence divine qui est unie à leur esprit. A la vérité un objet n'est connu qu'autant que sa ressemblance est dans le sujet qui le connaît ; mais ceci peut se faire de deux manières. D'après le principe que deux choses qui sont semblables à une même troisième sont semblables entre elles, la faculté de connaître peut s'assimiler de deux manières l'objet qui est à percevoir. D'abord elle le peut par elle-même, quand l'image de la chose se forme en elle directement. On dit alors que la chose est connue en elle-même. Ensuite l'objet peut être connu par l'intermédiaire d'un être qui lui ressemble. Dans ce cas la chose n'est pas connue en elle-même, mais dans son semblable. Car il y a une différence entre connaître un homme en lui-même et le connaître par quelqu'un qui nous en offrirait l'image. Ainsi, connaître les choses par des images qui existent dans notre esprit, c'est les connaître en elles-mêmes ou dans leurs propres natures ; mais les connaître d'après leurs images qui préexistent en Dieu, c'est les voir en Dieu. Ces deux sortes de connaissances sont différentes l'une de l'autre. D'où nous concluons que d'après la connaissance qu'ont des choses les bienheureux ils ne les voient point par des images, mais par la seule essence divine qui est présente à leur esprit et qui leur fait voir Dieu lui-même.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que celui qui voit Dieu s'assimile les choses qu'il connaît en lui par l'union de son esprit avec l'essence divine dans laquelle les images de toutes choses préexistent.

2. Il faut répondre au second, que dans un esprit créé il y a des facultés qui peuvent, à l'aide des idées que l'esprit a d'abord conçues, former d'autres concepts. Ainsi, avec les idées de montagne et d'or, notre imagination forme l'image d'une montagne d'or. De même, l'intelligence se forme l'idée d'espèce d'après les idées préconçues du genre et de la différence. Nous pouvons également, après avoir vu la ressemblance d'une image, former en nous l'image de cette ressemblance. C'est ainsi que saint Paul ou tout autre peut, après avoir vu Dieu dans son essence, former en lui une image des choses qu'il y a vues. Ces images resteront en lui-même après qu'il aura cessé de voir Dieu. Cependant la vue qu'il en conservera au moyen des images qu'il s'en sera lui-même formées, n'est plus la même que celle qu'il en avait lorsqu'il les voyait immédiatement en Dieu.

ARTICLE X. — ceux qui voient dieu dans son essence voient-ils tout A LA fois et d'une seule vue toutes les choses qui sont en lui (1)?


Objections: 1.. Il semble que tous ceux qui voient Dieu dans son essence ne voient pas tout à la fois et d'une seule vue toutes les choses qu'ils voient en lui. Car, comme le dit Aristote (Top. liv. n, ch. 4), l'objet delà science est multiple, celui de l'intelligence est un. Or, ce qu'on voit en Dieu on le comprend, puisque c'est par l'intelligence qu'on voit Dieu lui-même. Donc ceux qui voient Dieu ne peuvent pas voir simultanément en lui beaucoup de choses.

2.. Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt. lib. viii, cap. 22) que Dieu meut les créatures spirituelles dans le temps (2), c'est-à-dire par l'intelligence et la volonté. Or, l'ange qui voit Dieu est une créature spirituelle. Donc, dans ceux qui voient Dieu, les actes de l'intelligence et de la volonté sont successifs; car le temps suppose nécessairement une succession.


Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit lui-même (De Trinit. lib. xxv, cap. 16) : Nos pensées ne seront plus mobiles, allant d'une chose à une autre et revenant sur elles-mêmes ; nous verrons d'une seule et même vue tout ce que nous saurons.

CONCLUSION. — Tout ce qu'on voit dans lé verbe de Dieu, on le voit nécessairement, non pas d'une manière successive, mais d'une manière simultanée.

II faut répondre que ce qu'on voit dans le verbe de Dieu se voit non successivement, mais simultanément. En effet, ce qui nous empêche aujourd'hui de comprendre beaucoup de choses à la fois, c'est que nous les voyons sous des formes diveraes.U'intelligence ne peut pas plus embrasser d'une seule vue toute cette multitude de formes diverses, qu'un corps ne peut recevoir en même temps plusieurs figures différentes. D'où il arrive que quand plusieurs choses peuvent être réduites à une seule et même espèce, nous les comprenons simultanément. Ainsi nous comprenons successivement les diverses parties d'un tout quand chacune d'elles s'offre à notre esprit sous une forme particulière ; mais nous les comprenons simultanément quand elles ne font qu'une seule et même espèce avec le tout. Or, nous avons démontré (art. préc.) que ce qu'on voit en Dieu, on ne le voit point par des images propres à chaque chose, mais on voit tout dans son essence qui est une ; par conséquent on voit tout simultanément et non successivement.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'objet de l'intelligence n'est un qu'autant qu'il se rapporte à une seule espèce. Ainsi dans une espèce nous pouvons comprendre simultanément plusieurs choses. C'est ainsi que dans l'homme nous comprenons qu'il y a l'animal et l'être raisonnable, et dans une maison des murs et un toit.

(1) En Bien l'éternité est simultanée et non successive. Saint Thomas est parti de cette idée pour prouver que la vision des bienheureux aura le même caractère, alin de nous faire comprendre la transformation de l'homme en Dieu , suivant ces paroles du Psalmiste [Ps. LXXXI) : Ego dixi : DU estis, et pour justifier ces paroles du Prophète (Dan. xii) : Qui ad justitiam erudiunt plurimos erunt sicut stella! in perpetuas aeternitates. Cette dernière expression se conçoit parfaitement d'après la doctrine de saint Thomas.

(2) Saint Augustin fonde- ici la distinction des créatures spirituelles et des créatures temporelles sur ce que les corps sont mus dans le temps et dans l'espace, tandis que les esprits ne sont mus que dans le temps.


2. Il faut répondre au second, que les anges connaissent naturellement les choses sous leurs formes diverses, et sous ce rapport la connaissance qu'ils en ont n'est pas simultanée. C'est dans ce sens que Dieu les meut dans le temps par l'intelligence. Mais si l'on veut parler de la manière dont ils voient les choses en Dieu, il faut reconnaître qu'ils les voient simultanément.


ARTICLE XI, — dès cette vie peut-on voir dieu dans son essence (1) ?


Objections: 1.. Il semble que dès cette vie on puisse voir Dieu dans son essence. Car Jacob dit : J'ai vu Dieu face à face (Gènes, xxxii, 30). Or, voir Dieu face à face, c'est le voir dans son essence, d'après ces paroles de saint Paul: Nous le voyons maintenant comme dans un miroir et en énigme, mais nous le verrons alors face à face (I. Cor. xiii, 12). Donc on peut voir Dieu dans son essence dès cette vie.

2.. Le Seigneur dit de Moïse : Je lui parle bouche à bouche (Num. xii, 18). Or, celui qui parle à Dieu bouche à bouche, qui le voit clairement, non en énigmes et en ligures, le voit véritablement dans son essence. Donc on peut voir Dieu dans son essence dès ici-bas.

3.. Celui en qui nous connaissons toutes choses et par qui nous portons tous nos jugements, nous est connu en lui-même. Or, nous connaissons ainsi dès ce monde tout en Dieu. Car saint Augustin dit (Confes. lib. xii , cap. 23) : Si nous voyons tous deux que ce que vous dites est vrai, et si nous voyons tous deux que ce que je dis est vrai aussi, en qui, je vous le demande , le voyons-nous? Je ne le vois pas en vous, vous ne le voyez pas en moi, mais nous le voyons tous deux dans la vérité immuable qui est au-dessus de nos intelligences. Il dit également, dans son livre de la Fraie religion (ch. 31) : Nous jugeons de tout d'après la vérité divine. Et ailleurs (De Trin. lib. n, cap. 2) il dit encore que la raison juge des choses corporelles d'après les idées éternelles, qui ne seraient pas telles assurément si elles n'étaient supérieures à notre intelligence. Donc dès cette vie nous voyons Dieu lui-même.

4.. D'après saint Augustin (Sup. Gènes, ad litt. lib. xii, cap. 25), nous voyons par la vision intellectuelle les choses qui sont dans l'âme par leur essence. Or, la vision intellectuelle a pour objet les choses qui sont intelligibles non par leurs ressemblances, mais par leurs essences, comme le dit au même endroit l'illustre docteur. Donc, Dieu étant dans notre âme par son essence, nous l'y voyons de cette manière.


Mais c'est le contraire. Il est dit dans l'Exode : L'homme ne me verra pas tant qu'il vivra (Exod. xxxiii, 20). La glose (2) commente ainsi ces paroles : Tant que l'homme est sur cette terre, il peut voir Dieu par des images, mais non dans son essence.

(1) Les regards et les béguines prétendaient que l'homme pouvait arriver ici-bas à la possession de la béatitude, par conséquent qu'il pouvait voir l'essence; divine. Cette erreur a été condamnée, comme nous l'avons dit, par le concile de Vienne et le pape Clément V. Le pape Evariste, dans sa lettre aux évoques d'Afrique, a d'ailleurs défini ce que saint Thomas expose dans le corps de cet article. Nous rapporterons ici ces paroles : Eam lucem inaccessibilem quam Pater et Filius inhabitant, nullus in hoc mortali corpore constitutus potest aliquatenus contueri.

(2) La glose ordinaire que saint Thomas cite ici fut commencée par Walafrède Strabon, retouchée et augmentée par Anselme de Laon et Nicolas de Lire, qui y firent mettre ce qu'ils trouvèrent dans les Pères de plus propre à leur dessein. Cette glose faisait autorité dans l'école ; et, pendant plus de six cents ans, il n'y eut pas d'explication de l'Ecriture sainte qui fut plus célèbre.

CONCLUSION. — Dieu ne peut être vu dans son essence, dès cette vie, par un simple mortel.

CONCLUSION: Il faut répondre qu'il est impossible à un simple mortel de voir Dieu dans son essence, s'il n'est dépouillé de son enveloppe terrestre. Car, comme nous l'avons déjà dit (art. 4), la manière de connaître est toujours en rapport avec la manière d'être du sujet qui connaît. Ainsi, notre âme étant ici-bas unie au corps ne peut connaître naturellement que ce qui a sa forme dans la matière ou que ce qui peut être connu par des objets de cette nature. Or, il est évident que l'essence divine ne peut être connue au moyen des -choses matérielles. Car nous avons démontré (art. 1 et 9) que la connaissance de Dieu que l'on obtient par une image créée n'est pas la vision de son essence. Il est donc impossible à l'âme humaine de voir l'essence de Dieu dans cette vie. Une preuve de ceci, c'est que notre âme est d'autant plus capable de saisir l'abstrait et l'intelligible qu'elle est plus détachée des choses corporelles. Ainsi, en songe, lorsqu'elle est plus libre des sens, elle perçoit mieux les révélations divines et les présages de l'avenir. Ceci nous aide à comprendre pourquoi, tant qu'elle est dans les liens de ce corps mortel, elle ne peut s'élever à ce qu'il y a de plus élevé dans les choses intelligibles, c'est-à-dire à l'essence divine.


Solutions: 1. I1 faut répondre au premier argument, que d'après saint Denis (De ccelest. hier. cap. 4), les Ecritures disent que certains personnages ont vu Dieu, dans le sens qu'ils s'en sont formé une image sensible ou imaginaire représentant de quelque manière la Divinité. Ainsi, quand Jacob dit : J'ai vu Dieu face à face, cette parole doit s'entendre non de l'essence divine effer même, mais de la ressemblance qu'il s'en est faite. D'ailleurs il appartient à l'esprit prophétique de voir Dieu par l'imagination et de s'entretenir avec lui ; c'est ce que nous verrons plus loin en traitant des degrés de prophétie (2. 2. q. 174). Peut-être Jacob a-t-il voulu, par les paroles que nous avons citées, dire seulement qu'il avait vu Dieu d'une manière plus élevée qu'on ne le voit ordinairement.

2. Il faut répondre au second, que comme Dieu produit miraculeusement quelque chose de surnaturel dans le monde matériel, de même, dans l'ordre des intelligences, il agit aussi quelquefois miraculeusement sur les esprits de ceux qui sont encore dans cette chair, au point qu'il les prive pour un instant de leurs sens et les élève jusqu'à la vision de son essence. Il en a été ainsi de Moïse qui fut le maître des Juifs, ainsi que de saint Paul qui fut le maître des Gentils. Mais nous en parlerons plus longuement lorsque nous traiterons de son ravissement (2. 2. quest. clxxv, art. 3).

3. Il faut répondre au troisième, qu'on dit que nous voyons tout en Dieu et que nous jugeons de tout par lui dans le sens que nous recevons de lui la lumière qui nous permet de connaître et déjuger. Car notre raison naturelle n'est qu'un rayon de la lumière divine, et nous disons que nous voyons et que nous jugeons tout en Dieu, comme nous disons que nous voyons et que nous jugeons toutes les choses sensibles dans le soleil, parce que c'est sa lumière qui nous éclaire. C'est ce qui fait dire à saint Augustin, dans son premier livre des Soliloques (Sol. lib. i, cap. 8), qu'on ne peut voir les objets des sciences qu'autant qu'ils sont éclairés de la lumière divine, et que Dieu est pour eux ce que le soleil est pour les choses matérielles. Donc, comme pour voir les choses sensibles il n'est pas nécessaire de voir la substance du soleil, de même, pour voir les choses intelligibles il n'est pas nécessaire de voir l'essence de Dieu.

4. Il faut répondre au quatrième, que la vision intellectuelle a pour objet les choses qui sont dans notre âme par leur essence aussi bien que les choses intelligibles qui sont dans notre entendement. Or, Dieu est dans l'âme des bienheureux par sa présence, son essence et sa puissance, mais il n'est pas ainsi dans notre âme tant que nous sommes sur la terre.

ARTICLE XII. — pouvons-nous connaître dieu dès cette vie par la raison naturelle (1)?


Objections: 1.. Il semble que nous ne puissions connaître Dieu en cette vie par la raison naturelle. Car Boëce dit dans son livre de la Consolation (liv. v, pros. 4) que la raison ne perçoit pas les formes simples. Or, Dieu est une forme absolument simple. Donc la raison est incapable de le connaître.

2.. L'âme ne comprend rien rationnellement, sinon par des images, comme le démontre Aristote (De an. lib. m, text. 30). Or, Dieu étant incorporel , ne peut être représenté en nous par une image. Donc on ne peut le connaître rationnellement.

3.. La connaissance, qui a pour principe la raison naturelle, est commune , aussi bien que la nature, aux bons et aux méchants : or, les bons seuls connaissent Dieu ; car saint Augustin dit (De Trinit. lib. i, cap. 2) que l'esprit humain ne s'élève à cette lumière supérieure qu'autant qu'il est soutenu et fortifié par la justice de la foi. Donc on ne peut connaître Dieu par la raison naturelle.


Mais c'est le contraire. Car saint Paul dit des gentils qu'ils ont connu de Dieu ce qu'ils en ont découvert : Quod notum est Dei, manifestum est in illis (Rom. i, 19), c'est-à-dire, ils ont connu de Dieu ce qu'on en peut connaître par la raison naturelle.

CONCLUSION. — Nous pouvons par les lumières naturelles connaître Dieu dès cette vie, comme la cause première et suréminente de toutes choses, mais non tel qu'il est en lui-même.

II faut répondre que notre connaissance naturelle tire son origine des sens, et qu'elle ne peut, par conséquent, s'étendre au delà de la sphère des choses sensibles. Or, les choses sensibles ne peuvent élever notre intelligence jusqu'à la vue de l'essence divine, parce que les créatures sensibles sont des effets de la puissance de Dieu qui ne sont pas adéquats à leur cause. On ne peut donc, d'après la connaissance des choses sensibles, connaître toute la vertu de Dieu, ni, par conséquent, voir son essence. Mais comme ces effets sont dépendants de leur cause, ils peuvent nous faire connaître si Dieu existe ou s'il n'existe pas, et nous instruire de ce qui lui est absolument essentiel en tant que cause première de toutes choses, surpassant infiniment tout ce qu'il a produit. Par là, nous connaissons le rapport qu'il y a entre lui et toutes les créatures, c'est-à-dire qu'il est la cause de tous les êtres; nous savons aussi la différence qu'il y a entre les créatures et lui, c'est-à-dire que nous savons qu'il n'est rien de ce que sont les créatures qu'il a produites; enfin, nous connaissons que si des créatures à lui il y a une si grande distance, ce n'est point parce qu'il est au-dessous, mais parce qu'il est au-dessus d'elles.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la raison ne peut comprendre une forme simple et savoir ce qu'elle est, mais elle peut savoir si elle existe ou n'existe pas.

2. Il faut répondre au second, que Dieu est connu naturellement parles images que présentent ses effets.

(h Cet article revient à la question que nous avons vue (quest. II, art. 2,. Car si l'on peut démontrer Dieu par la raison, il est évident qu on peut le connaître de la même manière.

3. Il faut répondre au troisième, que la connaissance de Dieu dans son essence étant l'effet de la grâce, ne convient qu'aux bons, mais que sa connaissance par les lumières naturelles convient aux bons et aux méchants. C'est ce que dit saint Augustin dans son livre des Rétractations (Ret. lib. i, cap. A) : Je n'approuve pas ce que j'ai dit : que Dieu n'a voulu faire connaître sa vérité qu'à ceux qui sont saints ; car on peut me répondre qu'il y en a beaucoup qui ne sont pas purs et qui savent cependant une foule de vérités qu'ils ont apprises par les lumières naturelles de la raison.



ARTICLE XIII. — A-T-ON PAR LA GRACE UNE PLUS HAUTE CONNAISSANCE DE DIEU QUE PAR LA RAISON NATURELLE (1)?



Objections: 1.. Il semble que par la grâce on n'ait pas de Dieu une connaissance plus élevée que par la raison naturelle. Car saint Denis dit (De myst. theol. lib. i, cap. 1) : Que celui qui est le plus intimement uni à Dieu dans cette vie, lui est uni comme à quelque chose d'absolument inconnu. C'est aussi ce que dit Moïse, qui a tout particulièrement été éclairé par la grâce divine. Or, la raison naturelle nous unit aussi à Dieu en nous laissant ignorer ce qu'il est. Donc nous ne connaissons pas Dieu plus pleinement par la grâce que par la raison naturelle.

2.. La raison naturelle ne peut nous faire arriver à la connaissance de Dieu que par des images. Or, la grâce ne peut nous y conduire autrement, car saint Denis dit (De coelest. hier. cap. 1) : Qu'il nous est impossible de voir Dieu autrement que voilé sous la variété de mystérieux symboles. Donc nous ne connaissons pas Dieu plus pleinement par la grâce que par la raison.

3.. C'est la grâce de la foi qui élève notre intelligence à Dieu. Or, il semble que la foi ne soit pas une connaissance. Car saint Grégoire dit (Hom. xxvi in ) : Que nous avons la foi des choses qu'on ne voit pas, mais que nous n'en avons pas la connaissance. Donc la grâce ne nous donne pas une connaissance plus parfaite de Dieu.


Mais c'est le contraire. Saint Paul dit : Dieu nous a révélé par son esprit des choses qu'aucun des princes de ce siècle ne connaît (1. Cor. n, 10). Et la glose entend par les princes de ce siècle, les philosophes.

CONCLUSION. — La connaissance de Dieu que nous avons en cette vie par la grâce est plus parfaite que celle qui nous vient dé la raison naturelle.

Il faut répondre que la grâce nous donne de Dieu une connaissance plus parfaite que la raison naturelle. En effet, la connaissance que nous acquérons par la raison naturelle exige deux choses : 1° des images provenant des choses sensibles -, 2° la lumière naturelle de l'intelligence par laquelle nous abstrayons de ces images des conceptions intellectuelles. — Or, sous ce double rapport, la révélation de la grâce est un secours pour l'intelligence humaine. Car la lumière qu'elle répand gratuitement en nous, fortifie la lumière naturelle de notre entendement, et les images qu'elle forme divinement dans notre imagination expriment mieux les choses divines que celles que nous pouvons recevoir naturellement des objets sensibles, comme on le voit par les visions des prophètes. Quelquefois même il y a des choses sensibles, et il y a des paroles que Dieu forme lui-même pour exprimer quelque mystère divin. C'est ainsi que dans le baptême de Jésus-Christ, on a vu l'Esprit-Saint sous la forme d'une colombe, et on a entendu la voix du Père qui disait : Celui-ci est mon Fils bieiv-aimé (Matth, m, 17).

(\ ) Raymond Lutte a prétendu que ce que nous connaissions par la raison nous le connaissions mieux que par la foi. Cette erreur a été condamnée, avec toutes celles que ses ouvrages renfermaient, par le pape Grégoire XI. Les rationalistes modernes sont actuellement dans la même erreur, parce qu'ils mettent tous la raison au-dessus de la foi.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoique par la révélation de la grâce nous ne sachions pas en cette vie ce qu'est Dieu et que nous lui soyons unis comme à un être inconnu, cependant nous le connaissons plus pleinement que par la raison, parce que nous connaissons un plus grand nombre de ses oeuvres et de plus excellentes, et parce que la révélation nous apprend de lui ce que la raison ne peut découvrir, par exemple, qu'il est un et qu'il y a en lui trois personnes.

2. Il faut répondre au second, que d'après les images que l'esprit reçoit des sens selon l'ordre naturel, ou que la grâce forme dans l'imagination naturellement, la connaissance intellectuelle est d'autant plus parfaite que la lumière qui éclaire l'entendement humain est plus abondante. Ainsi, la révélation en répandant en nous la lumière divine perfectionne la connaissance que nous ayons de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, que la foi est une connaissance dans le sens qu'elle dirige l'intelligence vers l'objet qu'elle doit connaître. Mais la connaissance de cet objet ne résulte pas de la vision de celui qui croit, elle résulte seulement de la vision de celui en qui il croit. Dans ce sens, il n'y a pas vision proprement dite, il n'y a pas non plus cette sorte de connaissance qui est le fruit de la science. Car la science fait voir à l'intelligence l'objet qu'elle perçoit avec la même évidence que les premiers principes.



QUESTION XIII. : DES NOMS QUE NOUS DONNONS A DIEU.



Après avoir examiné ce qui concerne la connaissance de Dieu, il faut maintenant considérer les noms divins ; car nous donnons à tous les êtres des noms en rapport avec la connaissance que nous en avons. — A cet égard douze questions se présentent :

— I Pouvons-nous donner à Dieu un nom ? — 2" Parmi les noms qu'on donne à Dieu y en a-t-il qui lui soient applicables dans son essence ? — 3° Les noms qu'on donne à Dieu lui sont-ils propres ou sont-ils tous métaphoriques ? — 4° Tous les noms qu'on donne à Dieu sont-ils synonymes? — 5° Les noms qu'on donne tout à la fois à Dieu et aux créatures doivent-ils être entendus de la créature de la même manière que de Dieu, ou seulement d'une manière analogue? — 6° En supposant que ces noms ne soient employés que par analogie, appartiennent-ils aux créatures avant de convenir à Dieu? — 7" Y a-t-il des noms qui conviennent à Dieu par rapport au temps? — 8° Le mot Dieu exprimc-t-il la nature ou l'opération divine? — 9°'Le nom de Dieu esl-il un nom communicable ? — 10" Le nom de Dieu se prend-il univoquement ou équivoque-ment suivant qu'il convient à Dieu par nature ou par participation et selon l'opinion ?

— II Le nom, celui qui est, est-il le nom de Dieu qui lui soit le plus propre? — 12" Peut-on form er sur Dieu des propositions affirmatives ?


ARTICLE I. — EST-IL CONVENABLE DE DONNER a DIEU UN NOM (1)?



Objections: 1.. Il semble qu'il ne convienne pas de donner à Dieu un nom. Car saint Denis dit (De div. nom. cap. 1) : Il n'a pas de nom, et il est au-dessus de toute conjecture. Et on lit dans les Proverbes (xxx, 4) : Savez-vous son nom et le nom de son fils ?

2.. Tout nom a une signification abstraite ou concrète. Or, les noms qui ont une signification concrète ne conviennent pas à Dieu, puisqu'il est simple. Les noms qui ont une signification abstraite ne lui conviennent pas davantage, parce qu'ils n'expriment pas de perfection subsistant en elle-même. Donc aucun nom ne convient à Dieu.

(1) L'Ecriture nous y autorise, puisque le Seigneur dit lui-même (Is. xlii) : 170 Dominus, hoc est nomen meum. Et ailleurs (Ex. iii) : Dominus vir pugnator, Omnipotens nomen ejus. Cependant, aucun des noms que nous donnons à Dieu ne peuvent exprimer ce qu'il est dans son essence. C'est pourquoi le concile de Latran dit : Firmiter credimus et simpliciter confitemur quod..... Deus est ineffabilis.

3.. Le substantif désigne la substance avec sa qualité, le verbe et le participe expriment le temps, les pronoms sont démonstratifs ou relatifs. Or, aucune de ces choses ne convient à Dieu. II n'y a en lui ni qualité, ni accident, ni temps. On ne peut le sentir de manière à l'exprimer par un démonstratif ou par un relatif quelconque. D'ailleurs les relatifs ne servent qu'à rappeler leurs antécédents qui sont des substantifs, des participes ou des pronoms démonstratifs. Donc nous ne pouvons donner à Dieu aucun nom.


Mais c'est le contraire. Il est dit dans l'Exode (Ex. xv, 3) : II est comme un héros qui combat, le Tout-Puissant est son nom.

CONCLUSION. — Comme nous ne connaissons pas Dieu en cette vie tel qu'il est en lui-même, mais que nous ne le connaissons qu'aulant qu'il est le premier principe de toutes choses, nous pouvons lui donner des noms qui expriment ce titre, mais il n'y a pas dans la langue humaine d'expressions qui représentent adéquatement son essence.

CONCLUSION: Il faut répondre que, comme le dit Aristote (Periher. cap. 1), les mots sont les signes des idées, et les idées les images des choses. D'où l'on voit que les mots se rapportent aux choses qu'ils expriment, au moyen de l'intelligence qui les unit par son concept l'un à l'autre. Nous ne pouvons donc nommer une chose qu'en raison de la connaissance que notre intelligence en a. Or, il a été démontré plus haut (quest. préc, art. 14) que nous ne pouvons en cette vie voir Dieu dans son essence, mais que nous ne le connaissons que d'après les créatures qui nous le représentent comme leur principe, et comme étant infiniment au-dessus d'elles et plus parfait qu'elles. Nous pouvons donc le nommer d'après ce que nous en savons par les créatures, mais les noms que nous lui donnons ne peuvent exprimer son essence et le rendre tel qu'il est en lui-même, comme le mot homme, par exemple, exprime l'essence humaine telle qu'elle est en elle-même, puisque la définition de ce mot est l'expression même de l'essence qu'il signifie. Car le rapport qu'un mot exprime est sa propre définition.


Solutions: 1. Il faut répondre mpremier argument, que ce qui fait dire que Dieu n'a pas de nom ou qu'il est au-dessus de tout nom, c'est que son essence est au-dessus de tout ce que notre intelligence peut comprendre, et de tout ce que notre parole peut exprimer.

2. Il faut répondre au second, que la connaissance que nous avons de Dieu nous venant des créatures, c'est à elles que nous empruntons les noms que nous lui donnons. Ces noms ont nécessairement une signification en rapport avec les créatures matérielles que nous connaissons par nos facultés naturelles, ainsi que nous l'avons dit. Et comme dans ces créatures ce qu'il y a de parfait et de substantiel est composé, tandis que leur forme n'est pas quelque chose de complet qui subsiste par lui-même, mais qu'elle est plutôt ce qui détermine la manière d'être d'une chose, de là il arrive que tous les noms que nous employons pour exprimer un être complet, réellement subsistant, ont une signification concrète qui convient aux êtres composés. Mais ceux que nous employons pour exprimer de simples formes ne signifient rien de réel, ils expriment seulement telle ou telle manière d'être ; par exemple, la blancheur indique ce qui fait qu'un objet est blanc. Dieu étant tout à la fois simple et subsistant par lui-même, nous lui donnons des noms abstraits qui expriment sa simplicité, et des noms concrets qui rendent ce qu'il y a en lui de substantiel et de parfait, bien que ces deux sortes de noms n'expriment ni l'un ni l'autre ce qu'il est, puisque notre esprit ne peut le connaître tel qu'il est dès cette vie.

3. Il faut répondre au troisième, qu'exprimer la substance avec la qualité c'est exprimer le suppôt avec la nature ou la forme particulière dans laquelle il subsiste. Par conséquent, comme nous avons des mots concrets pour rendre, ainsi que nous l'avons dit dans la réponse précédente, sa substance et sa perfection, nous en avons qui expriment sa substance avec sa qualité. Les verbes et les participes qui désignent le temps lui sont applicables dans le sens que son éternité comprend tous les temps. Car, comme nous ne pouvons saisir les êtres simples que par le moyen des êtres composés, de même nous ne pouvons comprendre l'éternité dans sa simplicité, ni en parler qu'autant que nous nous aidons de l'idée que nous avons des choses temporelles, parce que notre intelligence ne connaît naturellement que les êtres composés qui existent dans le temps. Quant aux pronoms démonstratifs, on les emploie à l'égard de Dieu, non pour démontrer ce qu'on sent, mais ce qu'on comprend. Car nous ne pouvons le démontrer qu'en raison de l'intelligence que nous en avons. Pour les noms et les pronoms relatifs, ils n'ont pas d'autre sens que les noms, les participes et les pronoms démonstratifs qu'ils remplacent.



ARTICLE II —   ï A-T-IL DES NOMS QUI CONVIENNENT A DIEU SUBSTANTIELLEMENT (1)?



Objections: 1.. Il semble qu'il n'y ait pas de nom qui convienne à Dieu substantiellement. Car saint Jean Damascène dit [De fid. orth. lib. i, cap. 4) : Il faut que chacun des noms qu'on donne à Dieu exprime, non ce qu'il est substantiellement, mais ce qu'il n'est pas, soit qu'ils expriment un rapport, soit qu'ils expriment un des attributs qui découlent nécessairement de sa nature ou de son opération.

2.. Saint Denis dit [De div. nom. cap. i ) : Vous trouverez que tous les écrivains sacres qui nous font connaître et louer Dieu ont pris les noms qu'ils lui donnent de ce qui est émané de sa divine bonté. Le sens de ces paroles est clair, car qui dit émanation n'exprime rien qui appartienne à l'essence. Donc les noms qu'on donne à Dieu ne lui conviennent pas substantiellement.

3.. Nous nommons les choses comme nous les comprenons. Or, nous ne comprenons pas Dieu en cette vie dans sa substance. Donc le nom que nous lui donnons ne peut lui convenir substantiellement.


Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De Trin. lib. vu, cap. 1 et7): Pour Dieu, être, c'est être fort, sage, et tout ce qui désigne sa simplicité convient à sa substance. Donc tous ces noms que nous lui donnons expriment sa substance.

CONCLUSION. — La connaissance que nous avons de la substance divine étant imparfaite, les noms négatifs ou relatifs n'expriment pas la substance de Dieu, mais les noms positifs et absolus l'expriment quoique imparfaitement.

CONCLUSION: Il faut répondre que les noms négatifs (2) et les noms relatifs qui désignent un rapport delà Divinité à la créature (3), n'expriment nullement sa substance. Ils expriment seulement l'éloignement qu'il y a de l'un à l'autre, ou le rapport qui existe entre Dieu et la créature, ou plutôt de la créature à Dieu. — Mais quant aux noms qu'on donne à Dieu d'une manière absolue et affirmative, comme bon, sage, ou les autres noms semblables, il y a différentes opinions à ce sujet. Les uns ont dit que tous ces noms, bien qu'af-firmatifs, ont été imaginés plutôt pour écarter de Dieu quelque chose qui convient à la créature, que pour désigner positivement ce qui est en lui. Ainsi quand nous disons que Dieu est vivant, nous disons seulement par là qu'il n'existe pas à la façon des choses inanimées ; il en est de même de tous les autres noms. Cette opinion est celle du rabbin Moïse (In lib. Doc. Dubiorum). — D'autres prétendent que ces noms n'expriment que le rapport du Créateur à la créature. Ainsi quand nous disons : Dieu est bon, cela signifie qu'il est la cause de la bonté qui existe dans les êtres qu'il a créés. Et ils donnent la même interprétation à tous les autres noms. Or, il nous semble que ni l'une ni l'autre de ces opinions n'est fondée, et cela pour trois raisons : 1° Parce que, dans ces deux hypothèses, on ne peut dire pourquoi il y a des noms qui conviennent à Dieu mieux que d'autres. Car il est cause des corps aussi bien que de la bonté. Par conséquent, si quand on dit : Dieu est bon, cela signifie seulement qu'il est cause des choses bonnes, on pourra, au même titre dire : Dieu est un corps, parce qu'il est également cause des corps. D'ailleurs, en disant qu'il est corps, on dit aussi par là qu'il n'est pas seulement un être en puissance comme la matière première. 2° Parce qu'il suivrait de là que tous les noms que nous donnons à Dieu lui seraient donnés à posteriori. C'est ainsi qu'on applique à posteriori le mot sain à la médecine, pour indiquer qu'elle est cause de la santé, tandis que le mot sain ne convient à priori qu'à l'animal, lorsqu'il n'est pas malade. 3° Parce que ces systèmes ne tiennent pas compte de l'idée que; nous avons lorsque nous parlons de Dieu. Car quand nous disons que Dieu est vivant, nous n'avons pas seulement l'intention de dire qu'il est la cause de notre vie ou qu'il diffère des corps bruts ; notre pensée va plus loin.—Il faut donc admettre une autre explication, et dire que les noms positifs expriment la substance divine et qu'ils en sont de vrais prédicats, mais qu'ils ne la représentent qu'imparfaitement. En effet, le sens des noms que nous donnons à Dieu est en rapport avec la connaissance que nous en avons. Or, notre intelligence ne le connaissant que d'après les créatures, elle ne le connaît que comme les créatures le représentent. Nous avons démontré (quest. m, art. 2) que Dieu possède en lui les perfections de toutes les créatures comme étant souverainement parfait. Conséquemment, une créature ne le représente et ne lui ressemble que par les perfections qu'elle a reçues de lui. Cependant elle ne peut le représenter comme une chose du même genre et de la même espèce qu'elle, elle le représente seulement comme le principe suprême, comme la cause dont les effets ne peuvent rendre qu'une image quelconque, telle que celle, par exemple, que nous donnent les corps inférieurs de la vertu du soleil. C'est ce que nous avons déjà dit à propos de la perfection de Dieu (quest. iv, art. 3). Ainsi donc, les noms afnrmatifs expriment la substance divine imparfaitement, comme les créatures nous la représentent d'ailleurs. Quand on dit : Dieu est bon, cela ne signifie donc pas seulement qu'il est cause de la bonté, ou qu'il n'est pas mauvais. Mais le vrai sens de cette proposition, c'est que la bonté qui est dans les créatures préexiste en Dieu et d'une manière suréminente. D'où il suit que ce n'est pas à posteriori que Dieu est bon, c'est-à-dire on ne le dit pas tel, parce qu'il est cause de la bonté, mais c'est parce qu'il est bon à priori, qu'il répand sa bonté sur ses créatures. Car, comme

le dit saint Augustin (DeDoct. Christ, lib. i, cap. 31), c'est parce qu'il est bon que nous existons.


(1) Algazcl avait prétendu que les attributs de Dieu, comme sa sainteté, sa bonté, n'étaient pas des perfections positives, mais des perfections négatives, c'est-à-dire qu'elles n'affirmaient rien positivement à l'égard de la nature divine, mais qu'elles en éloignaient seulement ce qui est incompatible avec la nature. Ainsi la sainteté n'était que la négation du mal, et la puissance la négation de la faiblesse. Saint Thomas éclaircit admirablement cette question, qui fut de son temps l'objet de vives controverses.

(2) Les noms négatifs, comme le mot infini.

(3) Les noms relatifs, comme le mot suprême, qui implique une relation.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Jean Damascène dit que ces noms n'expriment pas ce qu'est Dieu, parce qu'aucun d'eux ne l'exprime en effet parfaitement. Ils ne l'expriment qu'imparfaitement, comme les créatures le représentent.

2. Il faut répondre au second, que les mots ont souvent d'autres sens que celui pour lequel on les a d'abord employés. Ainsi, le mot pierre (lapis) a d'abord signifié ce qui blesse le pied(l); mais son sens n'est pas aussi étendu que cette signification, autrement il embrasserait tout ce qui blesse les pieds. On l'a restreint à une certaine espèce de corps. On peut donc dire qu'il y a des noms divins qui viennent en effet des processions de la Divinité. Comme les créatures représentent Dieu, quoique imparfaitement, d'après ses diverses processions, de même notre esprit le connaît, le nomme en raison de chacune de ces processions. Cependant, les noms que nous tirons de là ne sont pas absolument restreints à leur dénomination. Ainsi, quand on dit : Dieu est vivant; cela ne signifie pas seulement que c'est de lui que la vie procède, mais cela signifie aussi qu'il est le principe de toutes choses, que toute vie préexiste en lui, d'une manière plus élevée que nous ne pouvons le comprendre ou l'exprimer.

3. Il faut répondre au troisième, que nous ne pouvons connaître l'essence de Dieu en cette vie, selon ce qu'elle est en elle-même. Mais nous la connaissons telle que les perfections des créatures nous la représentent. Et c'est ainsi que les noms que nous lui donnons l'expriment.



I pars (Drioux 1852) Qu.12 a.9