I pars (Drioux 1852) Qu.14 a.2

ARTICLE II. — dieu se connait-il lui-même (2).



Objections: 1.. Il semble que Dieu ne se connaisse pas. Car il est dit (3) (De causis, prop. xiii) que tout être qui connaît son essence, retourne à son essence même par une évolution complète. Or, Dieu ne sort pas de son essence et ne se meut d'aucune manière. On ne peut donc dire qu'il retourne à son essence, et par conséquent il ne la connaît pas.

2.. L'action de comprendre suppose qu'on est passif et qu'on se meut, comme le dit Aristote (De anima, lib. m, text. 12) ; la science est aussi l'assimilation de la chose que l'on sait; et ce qui est su est une perfection pour le sujet qui sait. Or, Dieu ne peut ni se mouvoir, ni se perfectionner, ni s'assimiler lui-même, comme le dit saint Hilaire (De Trin. lib. m). Donc il ne se connaît pas.

3.. C'est surtout par l'intelligence que nous sommes semblables à Dieu. Car c'est notre âme, dit saint Augustin (De Trin. lib. xv, cap. 1) qui a été faite à son image. Or, notre intelligence ne se comprend que comme elle comprend les autres choses, selon la remarque d'Aristote ( De anima, lib. m, text. 15). Donc Dieu ne se comprend qu'en comprenant les autres choses.


Mais c'est le contraire. Saint Paul dit : Nul ne connaît ce qui est de Dieu que l'esprit de Dieu (I. Cor. h).

CONCLUSION. — Par là même que Dieu est un être pur, souverainement immatériel, il se comprend par lui-même.

Il faut répondre que Dieu se comprend par lui-même. En effet, quoique dans les opérations qui se manifestent par des effets extérieurs, l'objet qui en est le terme soit en dehors de l'agent, toutefois, dans celles qui ont lieu au dedans de l'agent, l'objet qui en est le terme est dans l'agent lui-même; et, selon qu'il est en lui, l'opération est alors en acte. D'où Aristote dit (De anima, lib. iii, text. 36) que le sensible en acte est le sens en acte, et l'intelligible en acte l'intelligence en acte. Car nous sentons ou nous comprenons une chose en acte dès que notre intelligence ou nos sens sont affectés en acte par l'espèce ou l'image d'un objet sensible ou intelligible. Et ce qui distingue les sens ou l'intelligence du sensible ou de l'intelligible c'est qu'ils sont l'un et l'autre en puissance. — Mais Dieu n'ayant rien de potentiel et étant un acte pur, il faut qu'en lui l'intelligence et l'intelligible soient, de toutes manières, une seule et même chose, que son intelligence ne soit jamais sans l'espèce intelligible, comme notre esprit lorsqu'il ne comprend qu'en puissance, et que l'espèce intelligible ne soit pas non plus différente de la substance de son intelligence, comme il arrive pour nous lorsque nous comprenons en acte. Par conséquent, l'espèce intelligible étant en Dieu la même chose que son entendement, il est clair par là qu'il se comprend lui-même par lui-même.


(1) La plupart des articles suivants auront pour objet de faire ressortir la différence qu'il y a entre la science de Dieu et celle dis créatures.

(2) Cet article a pour objet d'expliquer . de quelle manière Dieu se connaît. Il se connaît luimême par lui-même : car s'il se connaissait par une espèce intelligible, il ne serait pas absolument simple ; il ne serait pas un acte pur.

(3) Le livre Des ca«sci jouait alors un très-grand rôle, comme nous l'avons déjà fait remarquer.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que retourner à son essence ne signifie rien autre chose que d'exister en soi-même. Car la forme si on la considère seulement comme perfectionnant la matière en lui donnant l'être, elle se répand, pour ainsi dire, sur elle ; mais si on la considère comme ayant l'être en soi, elle rentre en elle-même. Or, les facultés de connaître qui ne subsistent pas par elles-mêmes, mais qui proviennent du jeu des organes, ne se connaissent pas elles-mêmes, comme on le voit à l'égard des sens. Mais les facultés de connaître, qui subsistent par elles-mêmes, se connaissent, et c'est pourquoi il est dit dans le livre Des causes que l'être qui connaît son essence rentre dans son essence même. Or, Dieu étant plus que tout autre l'être qui subsiste par lui-même, c'est à lui surtout qu'il convient d'appliquer cette façon de parler qu'il retourne à son essence, et l'on doit en conclure qu'il se connaît parfaitement.

2. Il faut répondre au second, que ces mots se mouvoir, pâtir, sont pris équivoquement, quand on dit que comprendre (1) c'est, sous un certain rapport, se mouvoir ou pâtir (.De anima, lib. m, text. 12 et 18). Car l'action de comprendre n'est pas ce mouvement qui est l'acte d'un être imparfait allant d'une chose à une autre, mais c'est l'acte de l'être parfait existant dans l'agent lui-même. De même on ne peut dire que l'intelligence est perfectionnée par l'intelligible ou qu'elle lui est assimilée, qu'autant qu'il s'agit d'une intelligence qui est quelquefois en puissance. Car, par là même qu'elle est en puissance, elle diffère de l'intelligible, et elle lui est assimilée par l'espèce intelligible qui est la ressemblance de l'objet compris, et elle est perfectionnée par elle comme la puissance par l'acte. Mais l'intelligence divine, qui n'est d'aucune manière en puissance, ne peut être perfectionnée par l'intelligible, ni assimilée à lui ; elle est à elle-même sa propre pei'fec-tion, sa propre intelligence (2).

3. Il faut répondre au troisième, que l'être naturel n'appartient à la matière première qui est en puissance, qu'autant qu'elle est réduite en acte par une forme (3). Or, notre intellect, considéré à l'état de possible, est pour les choses intelligibles ce que la matière première est pour les choses de la nature. Il est en puissance à l'égard des choses intelligibles, comme la matière première l'est à l'égard des choses naturelles. Par conséquent notre intellect possible ne peut rien comprendre qu'autant qu'il est perfectionné par l'espèce intelligible d'un objet. Il se comprend donc au moyen d'une espèce intelligible comme il comprend les autres choses. Car il est évident que du mêment où il connaît quelque chose il connaît l'acte de son intelligence, et, par cet acte, sa puissance intellectuelle. Mais Dieu étant un acte pur dans l'ordre des choses existantes aussi bien que dans l'ordre des choses intelligibles, il se connaît lui-même par lui-même.


(1) Mouvoir, pâlir. Ces mots, appliqués à l'intelligence, désignent son double mode d'être, son activité et sa passivité.

(2) En Dieu il n'y a pas de passivité, parce qu'il ne comprend pas au moyen d'espèces intelligibles qui proviennent des objets et qui les représentent. Car tous les êtres lui sont présents ; par conséquent, ils n'ont pas besoin de lui être représentés.

(3) Ainsi la matière première n'est, par elle-même , qu'un possible, et il faut qu'elfe revête une forme, pour passer de la possibilité à l'existence.


ARTICLE III. — dieu se comprend-il lui-meme (1).



Objections: 1.. Il semble que Dieu ne se comprenne pas lui-même. Car saint Augustin dit (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 14) que l'être qui se comprend est fini au moins par rapport à lui. Or, Dieu est infini de toutes manières. Donc il ne se comprend pas.

2.. Si on dit que Dieu est infini pour nous, mais fini par rapport à lui, on peut insister de cette manière. Une chose est plus vraie suivant ce qu'elle est en Dieu que suivant ce qu'elle est en nous. Si Dieu est fini par rapport à lui et infini par rapport à nous, il est plus vrai qu'il est fini qu'infini, ce qui est contraire à ce que nous avons établi (quest. vii, art. 14). Donc Dieu ne se comprend pas lui-même.


Mais c'est le contraire. Saint Augustin (loc. cit.) : Tout ce qui se connaît (2) se comprend. Or, Dieu se connaît. Donc il se comprend.

CONCLUSION. — Dieu se comprend parfaitement, puisqu'il se connaît autant qu'il peut être connu.

Il faut répondre que Dieu se comprend parfaitement. En effet, on comprend une chose quand on en a la connaissance pleine et entière, et on a cette connaissance quand on la connaît autant qu'elle peut être connue. Ainsi on comprend une proposition démonstrative quand on en sait la démonstration et qu'on ne la connaît pas seulement d'après des raisons probables. Il est évident que Dieu se connaît aussi parfaitement qu'il peut être connu. Car on ne connaît une chose que d'après ce qu'elle est en acte, puisque, comme le dit Aristote (Met. ix, text. 20), on ne connaît pas une chose suivant qu'elle est en puissance, mais suivant qu'elle est en acte. Or, en Dieu la faculté de connaître est aussi étendue que l'actualité de son existence, puisque, comme nous l'avons démontré (art. 1), il jouit de cette faculté précisément parce qu'il est en acte et qu'il n'y a rien en lui ni de matériel, ni de potentiel. D'où il est clair qu'il se connaît lui-même autant qu'il peut être connu, et que, pour ce motif, il se comprend parfaitement.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mot comprendre, pris dans son acception propre, signifie une chose qui en renferme une autre. Dans ce cas il faut que l'objet compris soit fini, comme tout être inclus dans un autre. Quand on dit que Dieu se comprend, on n'entend pas par là que son intelligence est autre chose que lui-même, qu'elle saisit son être et le renferme en elle comme un objet étranger. Ces locutions doivent être prises négativement. Comme on dit que Dieu existe en lui-même dans le sens qu'il n'est contenu par aucun être extérieur, de même oii dit qu'il se comprend, ce qui signifie qu'il n'y a aucune partie de son être qui lui échappe. C'est ce qui fait dire à saint Augustin qu'on comprend complètement une chose quand on la voit de manière que rien de ce qui la concerne n'échappe à la vue de celui qui la regarde (Epist, cxii, ad Paulin, cap. 9).

2. Il faut répondre au second, que quand on dit : Dieu est fini par rapport à lui, il faut entendre cette proposition à la manière d'une comparaison. Ainsi elle signifie que Dieu n'excède pas plus son intelligence qu'un objet fini ne surpasse une intelligence finie. Mais elle ne signifie pas qu'il se considère lui-même comme un être fini.

(1) Le mot comprendre ne doit pas se prendre ici dans un sens posilif, parce qu'alors il signifierait que Dieu, par sa connaissance, se, renferme lui-même dans de certaines limites ; mais on doit le prendre dans un sens négatif et plus parfait, et entendre par là que toute sa suLstance est présente, de la manière la plus parfaite à son intelligence, et que la connaissance qu'il a des lui-même est infinie comme son essence.

(2) Omne quod intelligit se comprehendit se. J'ai traduit intelligere par connaître et comprehendere par comprendre, parce que nous n'avons pas d'autres expressions pour rondxo la différence de sens que ces deux mots présentent.


ARTICLE IV. — l'action de comprendre en dieu est-elle sa substance (1)?



Objections: 1.. Il semble que l'action de comprendre en Dieu ne soit pas sa substance. Car comprendre est une opération, et une opération signifie quelque chose qui procède du sujet qui opère, tandis que la substance n'en procède pas. Donc l'intelligence de Dieu n'est pas sa substance.

2.. Quand quelqu'un comprend qu'il a l'intelligence d'une chose, cgt acte n'est pas le premier ou le plus élevé de tous les actes de son esprit, c'est un acte secondaire et accessoire. Or, si Dieu est son comprendre, le comprendre de Dieu sera comme quand nous comprenons que nous avons l'intelligence d'une chose, et par conséquent ce ne sera pas une chose grande et difficile.

3.. Toutes les fois qu'on comprend, on comprend quelque chose. Donc quand Dieu se comprend, s'il n'est lui-même rien autre chose que son intelligence, il comprend qu'il se comprend, et cela indéfiniment. Donc le comprendre n'est pas en Dieu la même chose que sa substance.


Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit [De Trin. lib. vu) : Pour Dieu, être c'est être sage. Or, être sage, c'est la même chose que comprendre. Donc, pour Dieu, être et comprendre c'est la même chose. L'être de Dieu étant, comme nous l'avons démontré (quest. m, art. 4), sa substance, il suit de là que l'intelligence de Dieu est sa substance.

CONCLUSION. — Puisque Dieu n'est perfectionné par aucun autre être distinct de lui et qu'il est son être, son intelligence n'est pas distincte de sa substance.

CONCLUSION: Il faut répondre qu'on est obligé d'admettre que le comprendre de Dieu est sa substance. Car si la substance de Dieu était autre chose que son intelligence en acte, il faudrait, comme le dit Aristote (Met. lib. xii, text. 39), que l'acte et la perfection de la substance divine fussent des choses différentes de la substance divine elle-même, et que celle-ci fût à leur égard ce que la puissance est à l'acte. Car le comprendre est nécessairement l'acte et la perfection de l'être qui comprend. Ce qui est impossible. Pour saisir la vraie solution de cette question, il faut se rappeler ce que nous avons dit (art. 2) ; c'est que comprendre n'est pas une opération qui tende à se produire à l'extérieur, elle est au contraire immanente dans celui qui l'accomplit; elle est son acte et sa perfection, tout comme l'être est la perfection de celui qui existe. Car, comme l'être suit la forme, de même le comprendre suit l'espèce intelligible. Donc, par là même qu'en Dieu la forme n'est pas autre que l'être, comme nous l'avons démontré (quest. m, art. 4 et 7), et que l'essence n'est pas autre non plus que l'espèce intelligible, comme nous l'avons dit (quest. m, art. 7), il s'ensuit nécessairement que le comprendre de Dieu est son essence et son être. —Ainsi d'après tout ce qui a été dit il est manifeste qu'en Dieu, l'intelligence qui comprend, l'objet qui est compris, l'espèce intelligible, le comprendre lui-même, sont absolument une seule et même chose. D'où il est évident qu'en disant que Dieu est intelligent, on n'affirme rien qui détruise ou qui altère l'unité de sa substance (2).

(1) Ou plus littéralement : le comprendre en Dieu est-il sa substance ? Cette proposition a pour but de faire ressortir de plus en plus l'éminente simplicité de Dieu.

(2) Au contraire, on prouve par là même, que ce qui est multiple dans les créatures se trouve en Dieu dans l'unité la plus parfaite.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que comprendre n'est pas une opération qui sort du sujet, mais qu'elle est au contraire immanente en lui.

2. Il faut répondre au second, que quand on comprend un acte d'intelligence qui ne subsiste pas par lui-même, on ne comprend pas quelque chose de grand, et c'est ce qui arrive quand nous comprenons que nous avons une connaissance (1). Mais il n'en est pas de même du comprendre divin qui subsiste par lui-même.

3. Par là, la réponse au troisième argument est évidente. Car, pour le comprendre divin qui subsiste en lui-même, l'objet et le sujet étant identiques, il n'y a pas lieu d'aller ainsi indéfiniment.


ARTICLE V. — dieu connait-il autre chose QUE lui-même (2)?



Objections: 1.. Il semble que Dieu ne connaisse pas autre chose que lui. Car tout ce qui est autre que Dieu est en dehors de lui. Or, saint Augustin dit (Quaest.Wb. lxxxiii, quaest. 46) que Dieu ne voit rien en dehors de lui. Donc Une connaît pas autre chose que lui.

2.. Ce qui est connu est une perfection pour le sujet qui le connaît. Si Dieu connaît autre chose que lui, il y a donc quelque chose qui est une perfection de Dieu et qui est, par conséquent, plus noble que lui; ce qui est impossible.

3.. Le comprendre tire son espèce de l'intelligible, comme tout autre acte de son objet. Par conséquent le comprendre est d'autant plus noble que l'objet compris est plus élevé. Or, Dieu est lui-même son comprendre, comme nous l'avons vu (art. préc); par conséquent, s'il comprend autre chose que lui-même, il tirera son espèce d'une chose différente de lui, ce qui est impossible. Donc il ne comprend pas autre chose que lui.


Mais c'est le contraire. Car saint Paul dit : Tout est à nu et à découvert devant ses yeux (Heb. iv, 13).

CONCLUSION. — Dieu se comprenant parfaitement, il comprend les êtres qui sont différents de lui, non par leur propre image, mais par son essence.

Il faut répondre qu'il est nécessaire que Dieu connaisse tous les êtres qui sont autres que son essence. En effet, il est manifeste qu'il se comprend parfaitement ; autrement son être ne serait pas parfait, puisque son intelligence et son être sont la même chose. Pour connaître un être parfaitement il est nécessaire de connaître sa puissance, et on ne connaît parfaitement la puissance d'une chose qu'autant qu'on sait à quoi elle s'étend. Par conséquent la puissance de Dieu s'étendant à tous les êtres qui sont en dehors d'elle, puisqu'elle est la cause première de leur existence, comme nous l'avons prouvé (quest. u, art. 3), il faut que Dieu les connaisse. — Ceci devient encore plus évident si l'on ajoute que la substance de la cause première ou de Dieu est une même chose que son intelligence. Car il suit de là que tous les effets préexistant en Dieu, comme dans leur cause première, il faut qu'ils soient aussi dans son intelligence, et qu'ils y soient selon le mode intelligible le plus parfait, parce que tout ce qui est dans un autre y est selon la manière d'être du sujet qui le reçoit. — Or, pour savoir de quelle manière Dieu connaît les êtres qui sont autres que son essence, il faut observer qu'il y a deux façons de connaître une chose.

On peut la connaître en elle-même ou la connaître dans une autre. On la connaît en elle-même quand on la connaît par une espèce ou une image propre adéquate à l'objet connu, comme lorsque l'oeil voit l'homme par son espèce. On la voit dans un autre lorsqu'on la voit par l'espèce ou l'image de l'objet qui la renferme. C'est ainsi qu'on voit la partie d'un tout par l'image du tout, ou que l'homme se voit par son image réfléchie dans un miroir ou reproduite de toute autre manière dans un corps étranger. — Il faut donc dire que Dieu se voit en lui-même parce qu'il se voit par son essence. Pour les choses différentes de lui il ne les voit pas en elles-mêmes, mais en lui, puisque son essence renferme leur image. \

(1) Cet acte n'est en nous qu'un accident, tandis qu'en Dieu il est substantiel.

(2) Cet article a pour objet de prouver que Dieu n'est pas étranger aux choses qui se passent. Il attaque donc ceux qui refusent de croire à sa Providence et qui l'isolent du reste du inonde. L'Ecriture est formelle à cet égard (Ps. xcill) : Dominus scit cogitationes hominum. Et saint Augustin dit [In libro De ftd. ad Petrum , c. 51): Firmissime tene et nullatenus dubitet, Trinitatem Deum incommutabilem rerum omnium, atque operum tam suorum quam humanorum certissimum eo (/nitorem.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mot de saint Augustin ne signifie pas que Dieu ne voit rien de ce qui existe hors de lui, mais il signifie seulement que ce qui est hors de lui il le voit en lui, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que si l'objet connu perfectionne l'esprit qui le connaît, il ne le perfectionne pas selon sa substance, mais selon son espèce, qui est comme la forme et la perfection de l'intelligence qui le perçoit. Car que l'esprit connaisse une pierre, il ne la possède pas substantiellement, il n'en a, comme le dit Aristote (De anima, lib. m, text. 38), que l'image. Mais Dieu comprend ce qui existe en dehors de lui par son essence qui en renferme l'image, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Par conséquent, il n'en résulte pas que l'intelligence divine soit perfectionnée par autre chose que par sa propre essence.

3. Il fautrépondre au troisième, que le comprendre se spécifie (I) non par l'objet qui est connu dans un autre, mais par l'objet principal dans lequel les autres sont connus. En effet, le comprendre n'est spécifié par son objet qu'autant que la forme intelligible est le principe de l'opération intellectuelle. Car toute opération est spécifiée par la forme qui est son principe, comme le calorique l'est parla chaleur. Par conséquent, l'opération intellectuelle, qui est l'intelligence en acte, est spécifiée par cette forme intelligible. En Dieu cette espèce principale n'étant rien autre chose que son essence, danslaquelle toutes les espèces ou images des choses sont comprises, il n'est pas nécessaire que le comprendre divin, ou plutôt que Dieu lui-même, soit spécifié par autre chose que par l'essence divine.



ARTICLE VI. — dieu connait-il les choses qui sont hors de lui d'une connaissance propre ou spéciale (2).



Objections: 1.. Il semble que Dieu ne connaisse pas d'une connaissance propre les choses qui sont différentes de lui. Il les connaît en effet telles qu'elles sont en lui, et elles sont en lui comme dans la cause première, commune et universelle ; il ne les connaît donc que dans leur cause première et générale. Or, connaître en général ce n'est pas connaître d'une connaissance propre. Donc il ne connaît pas d'une connaissance propre ce qui est en dehors de lui.

2.. Il y a la même distance de l'essence de la créature à l'essence divine, que de l'essence divine à l'essence de la créature. Or, comme nous l'avons dit (quest. xn, art. I), on ne peut connaître l'essence divine par l'essence de la créature. Donc on ne peut connaître l'essence delà créature par l'essence divine. Et, par conséquent, Dieu rie connaissant rien que par son essence, il s'ensuit qu'il ne connaît pas la créature dans son essence de manière à savoir ce qu'elle est, ce qui constitue la connaissance propre qu'on a d'une chose.

(I) Speclficatur, se spécifie, ou tire son espèce. Je serai souvent obligé d'employer ces deux expressions comme synonymes.

(2) Cet article est dirigé contre l'erreur d'A-verroës et d'Algazol, qui enseignaient que Dieu ne connaît pas les choses singulières ou individuelles dans leur propre forme.

3.. On n'a une connaissance propre d'une chose que par sa propre nature. Or, Dieu connaissant tout par son essence, il ne semble pas qu'il connaisse chaque chose par sa nature propre. Car la même chose ne peut renfermer la nature propre d'une multitude d'êtres qui sont divers. Donc Dieu n'a pas des choses une connaissance propre ou spéciale, mais une connaissance commune et générale, puisque quand on ne connaît pas les choses d'une manière spéciale on ne peut les connaître que d'une manière générale.


Mais c'est le contraire. Avoir une connaissance propre des choses, c'est les connaître non-seulement en général, mais distinctement les unes des autres. Or, Dieu connaît les choses de cette manière. Car saint Paul dit : Qu'il atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, des articulations et de la moelle, qu'il discerne les pensées et les intentions du coeur, et qu'il n'y a aucune créature invisible en sa présence (Heb. iv, 12).

CONCLUSION. — Dieu connaissant tous les autres êtres par son essence, et son essence renfermant les perfections particulières de chaque être, il connaît tous les êtres, non d'une connaissance générale, mais d'une connaissance propre et distincte.

Il faut répondre que sur cette question il y a des auteurs (1) qui ont erré en enseignant que Dieu ne connaît les autres êtres que d'une manière générale, c'est-à-dire en tant qu'êtres. Comme le feu, s'il se connaissait lui-même selon qu'il est le principe de chaleur, connaîtrait par là même la nature du calorique et tous les autres êtres, selon qu'ils seraient chauds, de même Dieu se connaissant comme le principe de l'existence, connaît, disent-ils, la nature de l'être et toutes les autres choses suivant qu'elles existent. — Mais il ne peut en être ainsi. En effet, comprendre quelque chose en général et non en particulier, c'est ne le connaître qu'imparfaitement. C'est pourquoi notre esprit, quand il passe de la puissance à l'acte, n'a qu'une connaissance générale et confuse des choses avant d'en avoir une connaissance propre, parce qu'il va de l'imparfait au parfait, comme le dit Aristote [Phys. lib. i, text. 2). Donc, si Dieu nejconnaissait les autres êtres que d'une manière générale, et non d'une manière spéciale, son intelligence ne serait pas absolument parfaite, ni son être non plus, ce qui est contraire à ce que nous avons démontré (quest. iv, art. 1, et art. 3, 4 et S). — Il faut donc dire que Dieu connaît tous les autres êtres d'une connaissance propre, non-seulement suivant ce qu'ils ont de commun sous le rapport de l'être, mais encore selon ce qui les distingue les uns des autres. Pour rendre cette proposition évidente, il faut observer que quelques auteurs emploient les exemples suivants pour prouver que Dieu connaît une foule de choses par une seule (2). Ils disent qu'il est comme le centre qui, en se connaissant, connaîtrait tous les rayons, ou comme la lumière qui, si elle se connaissait elle-même, connaîtrait toutes les couleurs. — Mais ces exemples, bien qu'ils aient quelque valeur quand on s'en sert pour exprimer la causalité universelle, ne sont plus exacts pour représenter, dans ce qu'elles ont de distinct, la multitude et la diversité des choses produites par ce principe unique et universel. Ils noles représentent que dans ce qu'ellesont de commun. Car la diversité des couleurs n'a pas seulement pour cause la lumière du soleil, mais encore les dispositions diverses de l'objet diaphane qui la

reçoit. De même la diversité des lignes provient de la diversité de la position. C'est ce qui fait que nous ne pouvons connaître cette sorte de diversité et de multitude dans son principe que d'une façon générale. Mais en Dieu il n'en est pas de même. Nous avons démontré (quest. iv, art. 2) que tout ce qu'il y a de perfection dans une créature quelconque préexiste absolument en lui, et qu'il le renferme éminemment. Or, la perfection des créatures n'embrasse pas seulement ce qu'elles ont de commun , c'est-à-dire leur nature comme être, mais encore ce qui les distingue les unes des autres. Ainsi, vivre et comprendre sont des perfections qui distinguent les êtres qui Vivent de ceux qui ne vivent pas, ceux qui comprennent de ceux qui ne comprennent pas ; et toute forme qui assigne à une chose son espèce est aussi une perfection. Ainsi tous les êtres préexistent en Dieu non-seulement suivant ce qu'ils ont de commun, mais aussi suivant ce qui les distingue réellement. — Dieu comprenant en lui toutes les perfections, son essence est aux essences des choses, non ce que le général est au particulier, l'unité au nombre, le centre d'un cercle aux rayons, mais ce qu'est l'acte parfait aux actes imparfaits, et, pour être plus explicite encore, ce qu'est l'homme à l'animal, le nombre six qui est un nombre parfait, aux nombres imparfaits qu'il contient. En effet, il est évident qu'un acte parfait peut connaître des actes imparfaits, non-seulement d'une connaissance générale, mais d'une connaissance propre ; que celui qui connaît l'homme connaît l'animal d'une connaissance propre, et que celui qui connaît le nombre six connaît aussi de la même manière le nombre ternaire. L'essence de Dieu comprenant en elletoutcs les perfections des autres êtres etmêmedavantage, Dieu peut donc connaître tous ces êtres d'une connaissance propre. Car la nature propre de chaque chose consiste dans la manière dont elle participe à la perfection de Dieu. D'où l'on voit que Dieu ne se connaîtrait pas parfaitement s'il ne savait de quelle manière les autres êtres participent à ses perfections. Pour la même raison il ignorerait quelque chose de la nature même de son être, s'il ne connaissait pas d'une connaissance propre toutes les créatures suivant ce qui les distingue les unes des autres.

(1) Ces auteurs sont Averroës et Algazel, que saint Thomas avait en vue.

(2) Par une seule, qui est l'essence divine.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette proposition : On connaît les choses telles qu'elles sont clans le sujet qui les connaît, offre un double sens. Ces mots telles que peuvent être rapportés à l'objet connu, et dans ce sens la proposition est fausse. Car il n'est pas exact de dire que celui qui connaît une chose la connaît suivant l'être qu'elle a en lui. Ainsi l'oeil ne connaît pas la pierre de cette manière, mais son image en se réfléchissant dans sa prunelle la lui l'ait connaître telle qu'elle existe hors de lui. Et quand quelqu'un connaît un objet suivant ce qu'il est dans son esprit, il le connaît également tel qu'il est extérieurement. Ainsi nous connaissons la pierre d'après l'idée que nous en avons au dedans de nous, mais nous la connaissons aussi telle qu'elle est au dehors dans sa nature propre. Si l'on fait retomber les mots telles que sur le sujet, la proposition signifie alors que l'on connaît les choses suivant ce qu'elles sont dans le sujet qui les connaît, c'est-à-dire que la connaissance est d'autant plus parfaite que l'objet connu est plus parfaitement présent dans le sujet qui le perçoit. C'est pourquoi on doit dire que Dieu sait non-seulement que les choses existent en lui, mais que par là même qu'il les comprend en lui-même, il les connaît dans leur nature propre, et cela d'autant plus parfaitement qu'elles sont en lui d'une manière plus éminente.

2. Il faut répondre au second, que l'essence de la créature est à l'essence de Dieu ce que racle imparfait est à l'acte parfait. C'est pour cela que l'essence de la créature ne fait connaître qu'imparfaitement l'essence de Dieu, tandis que l'essence de Dieu fait parfaitement connaître l'essence de la créature.

3. Il faut répondre au troisième, qu'une même chose.ne peut être considérée comme la raison d'une multitude d'autres, si elle est du même ordre qu'elles (1). Mais l'essence divine l'emporte sur toutes les créatures, par conséquent elle peut donc être regardée comme la raison propre de chacune d'elles, puisqu'elle ne leur est pas adéquate (2), et la diversité des créatures provient des différentes manières dont elles participent à ses perfections ou dont elles les imitent.


ARTICLE VII — la science de dieu est-elle discursive (3) ?



Objections: 1.. Il semble que la science de Dieu soit discursive. Car la science de Dieu n'est pas une science habituelle, il sait tout par son intelligence en acte (4). Or, d'après Aristote (II. Topic. cap. 4), la science habituelle embrasse une foule de choses en même temps, tandis que l'intelligence en acte ne s'attache qu'à une seule. Dieu se connaissant lui-même ainsi que tous les autres êtres, comme nous l'avons prouvé (art. 3 et 5), il semble qu'il ne comprenne pas toutes choses en même temps, mais qu'il aille de l'une à l'autre, et que sa science soit conséquemment discursive.

2.. Le propre de la science discursive est de connaître un effet par sa cause. Or, Dieu connaît les autres êtres par lui-même, comme on connaît l'effet par la cause. Donc sa connaissance est discursive.

3.. Dieu connaît plus parfaitement chaque créature que nous ne la connaissons nous-mêmes. Or, c'est dans les causes créées que nous connaissons leurs effets, et nous allons ainsi des causes aux effets. Donc il semble qu'il en doit être de même de Dieu.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (De Trin. lib. xv, cap. 14) : Dieu ne voit pas l'une après l'autre et par des concepts successifs une chose par-ci, une chose par-là, mais il voit tout à la fois.

CONCLUSION. — La science de Dieu n'est point du tout discursive, if comprend parfaitement toutes choses simultanément.

Il faut répondre que la science divine n'est point du tout discursive. En effet, notre science est discursive d'une double manière.' Elle l'est en premier lieu parce qu'elle implique succession, c'est-à-dire que quand nous avons acquis l'intelligence d'une chose nous passons ensuite à une autre. Elle l'est en second lieu sous le rapport de la causalité, c'est-à-dire que nous ne pouvons connaître les conséquences qu'en partant des principes qui les renferment. Or, la science de Dieu ne peut être discursive dans le premier sens. Car nous ne comprenons successivement les choses que parce que nous les considérons chacune en elles-mêmes; nous en aurions une intelligence simultanée, si nous les considérions dans un seul et même être, comme on considère les parties dans le tout, ou comme on voit divers objets dans un miroir. Dieu voyant tout en lui-même, comme nous l'avons dit (art. 4 et B), il voit tout simultanément et non successivement. — Sa science ne peut être

non plus discursive dans le second sens. D'abord parce que ce second mode suppose le premier. Car ceux qui vont des principes aux conséquences ne les embrassent pas l'un et l'autre simultanément (1). Ensuite parce que cette sorte de science procède du connu à l'inconnu. En effet, il est évident que quand on connaît le principe, on ignore encore la conséquence, et par suite la conséquence n'est pas connuedans le principe, mais d'après lui. La science discursive est à son terme quand on voit la conséquence dans le principe et que tous les effets sont ramenés à leurs causes. Elle n'a plus alors d'objet. C'est pourquoi Dieu voyant en lui-même, comme dans leur cause, les effets qu'il produit, sa connaissance n'est pas discursive.

(1) Cette réponse au troisième argument est très-laconique : nous avons cru devoir suppléer ce qui est sous-entendu, pour la rendre plus intelligible.

(2) Mais qu'elle leur est infiniment supérieure.

(3) Cet article est une réfutation de l'erreur des agno'êtes, qui prétendaient que Dieu ne voyait pas le passé, le présent, l'avenir, d'une même vue, mais qu'il apprenait chaque jour quelque chose; ce.qui supposait que sa science était discursive comme la nôtre. Cet article fait aussi ressortir la différence qu'il y a entre notre science et celle de Dieu.

(4) C'est-à-dire qu'il a toujours présent tout ce qu'il sait ; tandis que: nous n'avons présente que la chose à laquelle nous pensons ; nos autres connaissances sont dans notre esprit à l'état habituel.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que si l'on ne peut penser qu'à un seul objet lorsqu'on considère les choses en elles-mêmes, il n'en est pas ainsi quand on voit beaucoup de choses en une seule, comme nous l'avons dit dans le corps de cet article et de l'article précédent.

2. Il faut répondre au second, que Dieu ne va pas d'une cause préalablement connue à des effets inconnus, mais qu'il connaît tous les effets dans leur cause, ce qui fait, comme nous l'avons dit, que sa science n'est pas discursive.

3. Il faut répondre au troisième, que Dieu voit à la vérité les effets des causes créées dans leurs causes mêmes, et beaucoup mieux que nous ; cependant, il ne les connaît pas de telle façon que la connaissance de ces effets provienne en lui comme en nous de la connaissance des.causes créées, et c'est pour cela que sa science n'est pas discursive.



I pars (Drioux 1852) Qu.14 a.2