I pars (Drioux 1852) Qu.25 a.4

ARTICLE IV. — DIEU PEUT-IL FAIRE QUE LES CHOSES PASSÉES N'AIENT POINT : EXISTÉ (3)?


(3) Cette question revient à celle-ci : Dieu, peut-il faire des choses contradictoires ? elle rentre par conséquent dans la question précédente.

Objections: 1.. Il semble que Dieu puisse faire que des choses passées n'aient pas existé. Car ce qui est impossible par soi est plus impossible que ce qui l'est par accident Or, Dieu peut faire ce qui est impossible par soi. Ainsi, il peut faire voir les aveugles, ressusciter les morts. Donc, à plus forte .raison, peut-il faire ce qui est impossible par accident. Or, telles sont les choses passées. Car, que Socrate n'ait pas couru, ce n'est qu'un fait accidentel tout passé qu'il est. Donc Dieu peut faire que des choses passées n'aient pas existé.

2.. Tout ce que Dieu a pu faire, il le peut faire encore, puisque sa puissance n'est pas affaiblie. Or, avant que Socrate courût, il a pu faire qu'il ne courût pas. Donc, après qu'il a couru, il peut encore faire qu'il n'ait pas couru.

3.. La charité est une vertu plus grande que la virginité. Or, Dieu peut réparer la charité quand on l'a perdue. Il peut donc aussi réparer la virginité, et par conséquent faire que la personne qui a été corrompue ne l'ait pas été.


Mais c'est le contraire. Car, dit saint Jérôme (Ep. n), quoique Dieu puisse tout, il ne peut pas faire une personne pure d'une personne qui a été souillée. Donc, pour la même raison, il ne peut faire que ce qui est passé n'ait pas existé.

CONCLUSION. — La toute-puissance de Dieu ne peut pas faire que les choses passées n'aient pas existé, parce que cette proposition est contradictoire.

Il faut répondre que, comme nous t'avons dit dans l'article précédent, la toute-puissance de Dieu ne va pas à faire ce qui est contradictoire. Or, il y a contradiction à supposer que le passé n'a pas été. Car il est aussi contradictoire de dire : Socrate s'est assis et Socrate ne s'est pas assis, que de dire : il est assis et il ne l'est pas. C'est pour cette raison que la toute-puissance divine ne peut faire qu'une chose passée n'ait pas existé. C'est ce qui fait dire à saint Augustin, dans son Traité contre Fauste (lib. xxix, cap. 5) : Ceux qui veulent que Dieu, pour prouver sa toute-puissance, fasse que ce qui a été n'aitpoint été, ne s'aperçoivent pas qu'ils demandent que le Tout-Puissant fasse que ce qui est vrai soit faux, précisément parce que cela est vrai. Et Aristote dit (Eth. lib. vi, cap. 2) que Dieu n'est privé que d'une seule chose, c'est qu'il ne peut faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été.



Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoiqu'il ne soit impossible qu'accidentellement qu'une chose passée n'ait pas existé, si on considère la chose en elle-même, comme la course de Socrate; cependant, si on la considère comme chose passée, non-seulement elle est impossible par elle-même, mais elle implique contradiction, et dans ce sens elle est beaucoup plus impossible que la résurrection d'un mort, parce qu'une résurrection n'est point une chose contradictoire. C'est un fait impossible à une puissance naturelle, mais qui n'est pas impossible à la puissance divine.

2. Il faut répondre au second, que Dieu peut tout si on regarde à la perfection de sa puissance, mais qu'il y a des choses qu'il ne peu t pas faire, parce qu'elles ne sont pas dans le rang des choses possibles. De même, il peut tout ce qu'il a pu si l'on considère son immutabilité. Cependant, il y a des choses qui, avant d'être faites, étaient possibles, et qui ne le sont plus depuis qu'elles se sont accomplies. C'est pourquoi on dit que Dieu ne peut plus les faire, parce qu'elles ont cessé d'être possibles.

3. Il faut répondre au troisième, que Dieu peut détruire dans une femme qui a été souillée tout ce qu'il y a eu de souillure dans son corps et dans son âme, mais il ne peut faire qu'elle n'ait pas été souillée. Il peut de même pardonner le pécheur, mais il ne peut faire qu'il n'ait pas péché et perdu la charité.


: ARTICLE V. — Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas (1)?

1) Cette question se rattache au libre arbitre de Dieu, comme saint Thomas le fait remarquer.

Objections: 1.. Il semble que Dieu ne puisse faire autre chose que ce qu'il fait. Car Dieu ne peut faire que ce que dans sa prescience et sa providence il a décrété. Or, il n'a décrété et ordonné que les choses qu'il fait. Donc il ne peut pas faire autre chose.

2.. Dieu ne peut faire que ce qu'il doit, et que ce qui est juste. Or, Dieu ne doit pas faire ce qu'il ne fait pas, et il n'est pas juste qu'il le fasse. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait. «

3.. Dieu ne peut faire que ce qui est bon et que ce qui convient aux choses qu'il a faites. Or, il n'est bon ni convenable, pour les choses faites par Dieu, qu'elles soient autrement qu'elles ne sont. Donc Dieu ne peut faire que ce qu'il fait.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans saint Matthieu : Ne pourrais-je pas prier mon Père, et ne m'enverrait-il pas à l'instant plus de douze légions d'anges (Matth, xxvi, S3). Or, Jésus-Christ n'a pas demandé ces légions d'anges, et son Père ne les lui a pas envoyées pour résister aux Juifs. Donc Dieu peut faire ce qu'il ne fait pas.

CONCLUSION. — Puisque Dieu fait tout par sa bonté et que cet attribut, qui dépasse infiniment tout ce qu'il a créé n'est limité ni par sa nature, ni par aucun motif intrinsèque à un certain ordre de choses, il'peut faire des choses plus grandes et plus nombreuses que celles qu'il fait.

Il faut répondre que sur cette question il y a deux sortes d'erreurs. Les uns ont supposé que Dieu agissait par la nécessité de sa nature (1). Ainsi, comme les créatures ne peuvent naturellement produire que ce qu'elles produisent, car un homme ne peut donner naissance qu'à un homme, et la semence de l'olive ne peut produire qu'une olive ; de même, dans ce sentiment, Dieu ne peut faire autre chose que ce qu'il fait, et il ne lui serait pas possible de créer un autre monde que celui qui existe actuellement. Or, nous avons prouvé (quest. xix, art. 3) que Dieu n'agit pas par nécessité, mais que sa volonté est cause de ce qui existe, et qu'elle n'est contrainte ni par sa nature, ni par la nécessité à produire ce qu'elle a créé. Par conséquent, le monde actuel n'a pas été tellement l'effet de la nécessité, que Dieu ne puisse pas en produire un autre. — D'autres ont pensé que la puissance de Dieu avait été déterminée à créer le monde actuel par la sagesse et la justice (2), qui doivent éclater dans toutes ses oeuvres. Mais comme la puissance de Dieu qui est son essence n'est pas autre chose que sa sagesse, on peut très-bien dire qu'il n'y a rien dans la puissance qui ne soit dans la sagesse divine, puisque celle-ci embrasse tout le domaine de celle-là. — Cependant, l'ordre que la sagesse de Dieu a mis dans la création, et qui en fait la justice, comme nous l'avons dit (quest. xxi, art. 2), n'est pas tellement adéquat à la sagesse divine elle-même qu'elle ne puisse rien produire au delà. Or, il est évident que l'ordre que la sagesse de Dieu a mis dans la création doit être apprécié d'après la fin que le créateur s'est proposée. Donc, quand la fin est proportionnée aux choses qui sont faites pour elle, la sagesse de celui qui fait ces choses se trouve limitée par rapport à un ordre déterminé. Mais la divine bonté, qui est la fin des oeuvres de Dieu, est infiniment supérieure (3) à toutes les choses créées. Donc la sagesse incréée n'est point contrainte de produire tel ou tel ordre de choses, de manière qu'elle ne puisse en produire un autre. Il faut donc dire absolument que Dieu peut faire autre chose que ce qu'il fait.

(1) Nous avons signalé cette erreur.

(2) Cette erreur fut celle d'Abeilard (Introd. liv. m, ch. S).

(3) Quelle que soit la perfection de l'ordre que Dieu ait choisi, cette perfection n'est que relative ; par conséquent on pourrait toujours y ajouter.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'en nous la puissance et l'essence sont autres que la volonté et l'intelligence, l'intelligence est autre que la sagesse, et la volonté autre que la justice, et que, par conséquent, il peut se faire que notre puissance s'étende à des choses qui ne peuvent exister dans une volonté juste, ou dans une intelligence sage. Mais en Dieu la puissance et l'essence, la volonté et l'intelligence, la sagesse et la justice sont une seule et même chose. Il ne peut donc pas se faire qu'il y ait dans sa puissance des choses qui répugnent à la droiture de sa volonté et à la sagesse de son intelligence. En conséquence, sa volonté n'étant nécessitée qu'hypothétiquement à faire telle ou telle chose, comme nous l'avons dit (quest. xix, art. 3), sa sagesse et sajustice n'étant pas tenues, comme nous venons de le démontrer, à produire le monde qui existe, rien n'empêche qu'il n'ait le pouvoir de faire ce qu'il ne veut pas, et ce qui n'est pas compris dans le plan de la création. Et, comme on voit dans la puissance la faculté qui exécute, dans la volonté celle qui commande, dans l'intelligence et la sagesse celle qui dirige, on dit que Dieu peut d'une puissance absolue tout ce qui tombe dans le domaine de sa puissance considérée en elle-même ; ce qui renferme tous les possibles, c'est-à-dire tout ce qui a la nature de l'être, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). Quant à ce que la puissance de Dieu exécute d'après l'ordre de sa volonté, on dit qu'il le peut d'une puissance ordinaire. D'après ces explications il est donc clair que la puissance absolue de Dieu s'étend à des choses que dans sa prescience et sa providence il n'a pas décrétées. Ce n'est pas à dire pour cela qu'il fera ce qu'il n'a pas ainsi préalablement décrété, parce que sa prescience et sa providence déterminent ce qu'il doit faire, mais non ce qu'il peut. Car sa puissance est un des attributs de sa nature. C'est pourquoi Dieu fait une chose parce qu'il veut la faire (I), mais il ne la peut pas parce qu'il la veut, mais parce qu'il est dans sa nature de pouvoir tout ce qui est possible.

(1) Il y a des théologiens qui confondent la volonté de Dieu avec sa puissance, d'après cette pensée de Tertullien (Lib. adversus Praxeam, cap.IO) : Deiposse, velle est, etnonposse,nolle. Mais, d'après saint 'thomas, la puissance se distingue de la volonté et de l'intelligence comme étant la faculté exécutrice qui produit l'action.

2. Il faut répondre au second, que Dieu ne doit rien à personne qu'à lui-même. Ainsi, quand on dit que Dieu ne peut faire [que ce qu'il doit, cela signifie seulement qu'il ne peut faire que ce qui est juste et convenable pour lui. Mais on peut entendre de deux manières cette proposition : 1° on peut joindre ces mots juste et convenable au verbe est, de telle sorte qu'on en restreigne l'application à ce qui existe naturellement. Ils se rapporteraient alors à la puissance, et offriraient un sens faux; car ils voudraient dire, dans ce cas : que Dieu ne peut faire que ce qui est en ce mêment convenable et juste. Mais si on joint ces mots au verbe peut, et qu'on veuille dire : Dieu ne peut agir sans que ce qu'il fait ne soit convenable et juste, cette proposition est exacte, mais elle n'est pas contraire à ce que nous avons établi.

3. Il faut répondre au troisième, que bien que l'oi'dre de choses actuel ait été déterminé pour les créatures qui existent maintenant, il ne s'ensuit pas que la puissance et la sagesse de Dieu soient bornées à cet ordre. Par conséquent, quoique pour le monde tel qu'il est il n'y ait aucun autre ordre qui soit bon et convenable comme celui qui existe, cependant Dieu pourrait produire un autre univers et le soumettre à d'autres lois (2).

(2) Ainsi la liberté de Dieu existe par rapport à la fin, niais elle n'existe pas par rapport aux moyens. Il pouvait se proposer dans la création une autre fin, et produire par conséquent un autre monde. Mais une fois qu'il s'est arrêté à une fin sa sagesse l'oblige à choisir les moyens qui sont le plus directement en rapport avec elle.


Article VI. — Dieu  peut-il  faire  des  choses meilleures que celles qu'il a faites (1)?


(1) L'optimisme moderne diffère du sentiment d'Abeilard, que saint Thomas combat ici. Cependant, malgré cette différence, il est probable que saint Thomas eût été loin de l'admettre.

Objections: 1.. Il semble que Dieu ne puisse pas faire des choses meilleures que celles qu'il a faites. Car tout ce que Dieu fait, il le fait ert déployant une puissance et une sagesse infinie, et ce qu'il produit est d'autant meilleur qu'il suppose plus de puissance et de sagesse. Donc Dieu ne peut pas faire mieux qu'il ne fait.

2.. Saint Augustin fait ce raisonnement (Cont. Maxim Aih. m, cap. 7) : Si Dieu a pu engendrer un fils égal à lui, et qu'il ne l'ait pas voulu, c'est un envieux. Pour le même motif, si Dieu a pu faire des choses meilleures que celles qu'il a faites, et qu'il ne l'ait pas voulu, il a aussi été envieux. Or, Dieu ne peut ôtre envieux. Donc il a fait tout ce qu'il y a de meilleur, et il ne peut faire mieux que ce qu'il a fait.

3.. On ne peut rien faire de mieux que ce qui est infiniment bon, parce qu'il n'y arien de plus grand que ce qui l'est infiniment. Or, saint Augustin dit (Ench. cap. 10) : Chacune des choses que Dieu a faites est bonne. Mais l'ensemble de la création est infiniment bon, parce qu'il ressort de l'universalité des êtres une admirable beauté. Donc Dieu ne peut rien faire de mieux que l'univers actuel.

4.. Le Christ, en tant qu'homme, est plein de grâce et de vérité, et il a reçu le Saint-Esprit sans mesure. Il ne peut donc rien y avoir de plus parfait. On dit aussi que la béatitude créée est le souverain bien et que rien ne peut la surpasser. La bienheureuse vierge Marie a été élevée au-dessus des anges, et il ne peut y avoir de créature meilleure qu'elle. Donc Dieu a fait des êtres tels qu'il n'en peut créer de meilleurs.


Mais c'est le contraire. Car saint Paul dit que Dieu peut faire infiniment plus que nous ne lui demandons ou que nous ne pensons (Ephes. in, 20).

CONCLUSION. — Dieu ne peut pas faire qu'une chose soit meilleure qu'il ne l'a faite substantieffement, tout en restant la même, mais il peut la rendre meilleure accidentellement ; il peut aussi, absolument parlant, faire des choses meilleures que celles qui sont sorties de ses mains.

Il faut répondre que la bonté d'une chose peut se considérer sous deux aspects : 1° Quant à l'essence de la chose ; c'est ainsi que l'être raisonnable tient à l'essence de l'homme. En ce sens Dieu ne peut faire une chose meilleure qu'elle n'est, quoiqu'il puisse en faire une meilleure que celle-là. Ainsi il ne peut pas faire le nombre quatre plus grand qu'il n'est, parce que s'il était plus grand, ce ne serait plus le nombre quatre, mais un nombre supérieur. Or, d'après Aristote (Met. lib. viii, text. 10), quand on ajoute une différence substantielle à une définition, c'est comme quand on ajoute une unité à un nombre (2). 2° La bonté peut être considérée en dehors de l'essence des choses. Ainsi la vertu et la sagesse sont des perfections qui ne sont pas de l'essence de l'homme. On peut dire qu'à l'égard de cette espèce de bonté qui n'est qu'accidentelle, Dieu peut rendre les choses qu'il a créées meilleures qu'elles ne sont. Absolument parlant, Dieu peut faire des choses meilleures que celles qu'il a faites.

(2) Cette addition en change l'espèce.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quand on dit que Dieu peut faire quelque chose de mieux que ce qu'il fait, si le mot mieux (melius) se prend substantivement, la proposition est vraie. Car Dieu peut toujours faire une autre chose meilleure que celle qu'il afaite, quelle que soit la bonté de celle-ci. Quant à la même chose il peut la faire meilleure accidentellement, mais non substantiellement, comme nous l'avons dit. Si le mot mieux se prend adverbialement et qu'on l'applique à la manière dont Dieu opère, la proposition est fausse. Car Dieu ne peut faire mieux qu'il ne fait, parce qu'il ne peut agir avec plus de sagesse et de bonté. Si on l'applique aux choses qu'il produit, il est vrai de dire qu'il peut faire mieux, parce qu'il peut donner à ses créatures une meilleure manière d'être, sinon essentiellement, du moins accidentellement.

2. II faut répondre au second, qu'il est dans la nature du fils d'égaler le père quand il est arrivé à la perfection -, mais il n'est pas dans la nature des créatures d'être ce que Dieu peut faire de mieux. Il n'y a donc pas de parité entre les deux termes de cette comparaison.

3. Il faut répondre au troisième, qu'en supposant le monde formé des êtres qui existent, il ne peut être meilleur, parce que Dieu a soumis les êtres qu'il a créés à l'ordre qui convient le mieux à leur nature, et que c'est précisément dans cet ordre que consiste la bonté et la beauté de l'univers. On ne pourrait rendre meilleure une des créatures qui le composent, sans troubler la proportion et l'harmonie de l'ensemble (1 ). C'est comme une lyre dont on ne peut forcer une corde sans détruire la mélodie des sons. Dieu pourrait cependant faire d'autres choses que celles qui existent, ou ajouter aux créatures qu'il a faites d'autres créatures, et former ainsi un autre univers qui serait meilleur que celui qui existe maintenant.

(1) L'optimisme de saint Thomas ne porte que sur les moyens et non sur la fin. Voyez page 257, note 2.

4. II faut répondre au quatrième, que l'humanité du Christ, par là même qu'elle est unie à Dieu ; que la béatitude créée, par là même qu'elle est la jouissance de Dieu; que la B. Vierge, par là même qu'elle est mère de Dieu, ont une dignité infinie qu'elles empruntent au bien infini qui est Dieu ; et sous ce rapport il n'y a pas de créature qui puisse être meilleure que celles-là, comme il n'y a rien qui soit meilleur que Dieu (2).

(2) Mallehranche a prétendu que l'incarnation donnait au monde un prix infini, et il s'est placée ce point de vue pour soutenir son optimisme. Quoique saint Thomas ne le réfute pas directement, cependant il est évident que ce grand docteur n'était pas de ce sentiment.


QUESTION XXVI. : DE LA BÉATITUDE DE DIEU.


Après avoir traité de ce qui a rapport à l'unité de l'essence de Dieu, nous devons nous occuper en dernier lieu de sa béatitude. A cet égard quatre questions se présentent : 1° La béatitude est-elle un attribut de Dieu? — 2" En quel sens peut-on dire que Diou est heureux? Sa béatitude consiste-t-elle dans son intelligence? — 3° Est-il essentiellement lui-même la béatitude de tous les bienheureux? — 4" Toute béatitude est-elle renfermée dans la béatitude de Dieu?


ARTICLE I. — LA BÉATITUDE EST-ELLE UN ATTRIBUT DE DIEU (3)?


(3) Cet article et le suivant n'offrent pas de dif* ficulté sérieuse,

Objections: 1.. Il semble que la béatitude ne soit pas en Dieu. Car, d'après Boëce (Cons. 4, pros. 2), la béatitude est l'état de perfection qui résulte de la réunion de tous les biens. Or, la réunion de tous les biens n'est pas plus possible en Dieu que toute autre espèce de composition. Donc la béatitude n'existe pas en lui.

2.. Labéatitude ou la félicité, d'après Aristote (Eth. lib. i, cap. 9), est la récompense de la vertu. Or, en Dieu il n'y a ni récompense, ni mérite. Donc il n'y a pas béatitude.


Mais c'est le contraire. Car saint Paul appelle Dieu : le seul heureux et le seul puissant, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (I. Tim. vi, 15).

CONCLUSION. — Dieu étant une nature intellectuelle qui possède de la manière la plus parfaite toutes tes perfections, if est par là même infiniment heureux.


Solutions: 1. Il faut répondre que la béatitude souveraine convient à Dieu. En effet, on doit entendre par béatitude, le bonheur parfait d'une nature intellectuelle qui trouve sa satisfaction dans le bien qu'elle possède, qui sent qu'aucun accident passager ne peut l'atteindre, et qui reste toujours maîtresse de ses actions. Or, toutes ces conditions de bonheur se trouvent en Dieu, puisqu'il est la perfection et l'intelligence même. Donc la béatitude convient au suprême degré à la Divinité.

2. Il faut répondre au premier argument, que la réunion de tous les biens n'est pas en Dieu sous forme de composition, mais qu'elle se trouve dans la simplicité même de son être, parce que les perfections multiples qui sont dans les créatures préexistent en lui d'une manière simple et une, comme nous l'avons dit (quest. iv, art. 2).

3. Il faut répondre au second, que la béatitude est la récompense de la vertu quand il s'agit de la béatitude qu'un être acquiert. C'est ainsi que l'être est le terme de la génération quand il s'agit d'un être qui passe de la puissance à l'acte ou qui de possible devient réel. Donc comme Dieu a l'être sans être engendré, de même il a la béatitude sans mériter.


Article II. — la béatitude de dieu est-elle dans son intelligence?


Objections: 1.. H semble que Dieu ne soit pas heureux selon son intelligence. Car la béatitude est le souverain bien. Or, le bien est en Dieu suivant son essence, parce que le bien se rapporte à l'être de cette manière, comme le dit Boëce (De Hebd. lib.). Donc la béatitude est en Dieu suivant son essence et non selon son entendement.

2.. La béatitude est la fin d'un être. La fin est l'objet de la volonté, comme le bien. Donc la béatitude est en Dieu suivant sa volonté et non suivant son intelligence.


Mais c'est le contraire. Car saint Grégoire dit (Mor. lib. xxxii, cap. 7) : Il est glorieux celui qui jouit de lui-même sans avoir besoin de la louange qu'on lui adresse. Or, être glorieux, c'est être heureux. Donc, puisque nous jouissons de Dieu par l'intelligence, d'après ce que dit saint Augustin (De civ., Dei. lib. xxii) que toute la récompense des élus est dans la vue qu'ils ont de lui, il semble que la béatitude soit en Dieu selon l'entendement.

CONCLUSION. — Puisque la béatitude est la perfection même de l'intelligence, nous disons que Dieu est heureux d'après t'acte même de son entendement.

Il faut répondre que la béatitude, comme nous l'avons dit (art. préc), est la perfection même de toute nature intellectuelle. Et comme tout être tend à sa perfection, de même la nature intellectuelle tend naturellement à être heureuse. Or, ce qu'il y a déplus parfait dans la nature de l'intelligence, c'est l'opération intellectuelleparlaqueUeellesaisiten quelquesorte toutes choses. C'est ce qui fait que la béatitude de toute créature intellectuelle consiste dans l'acte de l'entendement. En Dieu l'être et l'intelligence ne diffèrent pas en réalité, ils ne diffèrent que rationnellement. Il faut donc reconnaître qu'en Dieu la béatitude consiste dans l'intelligence et qu'il en est de même pour lui que pouf les bienheureux qui ne jouissent d'ailleurs de la félicité qu'autant qu'ils sont assimilés à son bonheur.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette raison prouve que Dieu est essentiellement heureux, mais non pas que la béatitude lui convienne plutôt sous le rapport de son essence que sous le rapport de son entendement.

2. Il faut répondre au second, que la béatitude est l'objet delà volonté, puisqu'elle est le bien-, mais que l'acte de l'intelligence précède celui de la volonté. Ainsi, d'après notre manière de comprendre, la béatitude de Dieu est antérieure à l'acte de la volonté qui se repose en elle. Elle ne peut donc pas être autre chose que l'acte de l'entendement, par conséquent elle consiste dans cet acte.


ARTICLE III. — DIEU EST-IL LUI-MÊME LA BÉATITUDE DE TOUS LES BIENHEUREUX ?


Objections: 1.. Il semble que Dieu soit la béatitude de tous les bienheureux. Car Dieu est le souverain bien, comme nous l'avons dit (quest. vi, art. 2 et 4), et il est impossible qu'il y ait plusieurs souverains biens, comme nous l'avons prouvé (quest. xi, art. 3). Donc, puisqu'il est dans la nature de la béatitude d'être le souverain bien, il semble que la béatitude ne soit pas autre chose que Dieu.

2.. La béatitude estla fin dernière de tout être raisonnable. Or, il n'y a que Dieu qui puisse être la fin dernière d'un être raisonnable. Donc il n'y a que lui qui soit la béatitude de tous les bienheureux.


Mais c'est le contraire. Car la béatitude de l'un est plus grande que la béatitude de l'autre, d'après ces paroles de l'Apôtre : Les étoiles diffèrent l'une de l'autre en clarté (I. Cor. xv, 41). Or, il n'y a rien de plus grand que Dieu. Donc la béatitude est autre chose que Dieu.

CONCLUSION. — Dieu est la béatitude de tous les bienheureux, mais il n'est la béatitude formelle que de lui-même.

Il faut répondre que la béatitude de l'être spirituel consiste dans l'acte de l'entendement. Or, il y a deux choses à considérer dans cet acte : l'objet de l'acte qui est la chose intelligible et l'acte lui-même qui est le fait de l'intelligence. Si on considère la béatitude par rapport à l'objet intelligible, Dieu seul est la béatitude des bienheureux, parce qu'ils n'ont de bonheur qu'autant qu'ils le comprennent, d'après ces paroles de saint Augustin : Il est heureux celui qui vous connaît, quand même il ignorerait tout le reste [Conf. lib. v, cap. 4). Mais si on considère labéatitude comme l'acte même de l'entendement, on doit dire que dans les créatures elle est quelque chose de créé, tandis qu'en Dieu elle est quelque chose d'incréé.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la béatitude, quant à son objet, est le souverain bien absolu, mais quant à l'acte elle n'est pas dans les créatures bienheureuses le bien suprême absolument parlant, elle est un de ces biens en participation desquels les créatures sont admises.

2. Il faut répondre au second, que la fin peut être envisagée, d'après Aristote, de deux manières : ainsi on peut considérer la chose elle-même et l'usage qu'on en fait, comme l'avare a pour fin l'argent et le gain ou l'accumulation de l'argent. Dieu est à la vérité la fin dernière de l'être raisonnable, c'est la chose vers laquelle il (tend -, mais la béatitude créée n'est que l'usage ou plutôt la jouissance cle'cette chose.


ARTICLE IV. — TOUTE BÉATITUDE EST-ELLE RENFERMÉE DANS LA BÉATITUDE : DE DIEU ?



Objections: 1.. Il semble que la béatitude divine n'embrasse pas toutes les béatitudes. Car il y a des béatitudes fausses, et en Dieu il ne peut rien y avoir qui ne soit vrai. Donc la béatitude divine n'embrasse pas toute espèce de béatitude.

2.. D'après quelques hommes, il y a une sorte de béatitude ou de bonheur dans les voluptés, les richesses et les autres choses semblables. Or, aucune de ces béatitudes ne peut exister en Dieu puisqu'il est spirituel. Donc sa béatitude ne comprend pas toutes les béatitudes possibles.


Mais c'est le contraire. Car la béatitude est une perfection. Or, la perfection de Dieu embrasse toutes les autres perfections, comme nous l'avons prouvé (quest. iv, art. 2). Donc sa béatitude embrasse également toute béatitude.

CONCLUSION. — Tout ce qu'il y a de désirable dans une félicité quelconque existe éminemment dans la>béatitude de Dieu.

Il faut répondre que tout ce qui clans le bonheur vrai ou faux peut exciter le désir, préexiste dans la béatitude de Dieu et d'une façon plus éminente. En effet, s'agit-il du bonheur contemplatif, Dieu en jouit par le spectacle incessant et toujours vrai qu'il a de lui-même et de toute la création. S'agit-il du bonheur actif, il en jouit en gouvernant tout l'univers. Parlez-vous de la félicité terrestre qui consiste, d'après JSoëce (Cons. m, pros. 10), dans le plaisir, les richesses, la puissance, les honneurs et la gloire-, il possède toutes ces choses suréminemment. La joie qu'il trouve en lui-même dans ses oeuvres lui tient lieu de plaisir, sa plénitude absolue remplace les richesses qui ne sont qu'un moyen de satisfaire tous nos besoins; sa toute-puissance est son pouvoir, le sceptre de la création sa dignité, et l'admiration de toutes les créatures sa gloire.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'un bonheur est faux suivant qu'il s'éloigne de la nature du vrai bonheur, et c'est pour cela qu'il n'existe pas en Dieu. Mais tout ce qui approche du bonheur en général, quelle que soit la faiblesse de sa ressemblance, préexiste tout entier dans la béatitude de Dieu.

2. Il faut répondre au second, que ce qui existe matériellement dans les choses matérielles se trouve spirituellement en Dieu suivant sa manière d'être.

Telles sont les considérations que nous avions à faire sur l'unité de l'essence divine (1).

(1) Parmi les ouvrages anciens on pent lire sur le Traité de Dieu les deux apologies de saint Justin, son traité de la monarchie et son exhortation aux Grecs, l'exhortation aux gentils desaint Clément d'Alexandrie, l'apologétique de Tcrtul-lien, l'Octavius de Minucius Félix, le traité d'Origine contre Ceîsc, les Institutions de Lactancc, le traité des idoles de saint Cyprien, la réfutation des livres de Julien par saint Cyrille, les discours de Théodorct sur la Providence, l'ouvrage de Sal-vien sur le même sujet, et les principaux traités de saint Augustin.


TRAITÉ DE LA TRINITÉ.

Après avoir traité les questions qui se rapportent à l'unité de l'essence de Dieu, il nous reste maintenant à parler de celles qui regardent la trinité des personnes divines. Et puisqu'elles se distinguent entre elles par les relations d'origine, l'ordre scientifique exige que nous nous occupions I°de l'origine et de la procession des personnes ; 2" des relations d'origine ; 3° des personnes elles-mêmes.

QUESTION XXVII.

A l'égard de la procession des personnes divines cinq questions se présentent : 1" Y a-t-il procession en Dieu ? — 2" Y a-t-il une procession qu'on puisse appeler génération ? — 3° Outre la génération, y a-t-il en Dieu une autre procession ? — 4° Cette seconde procession pourrait-elle être appelée génération ? — 5" En Dieu y a-t-il plus de deux processions?

ARTICLE I. — y a-t-il procession en dieu (2)?


(2) Saint Thomas établit dans cet article le sens que l'Eglise attache à ces mots : ex Deo processi (Joan, xxviii), Exivi à Patre [Id. xvii), et il pose les principes d'après lesquels il combat tous ceux qui ont erré sur le dogme de la sainte Trinité.

Objections: 1.. Il semble qu'en Dieu il ne puisse y avoir aucune procession. Car le mot procession signifie un mouvement au dehors (ad extra), et il n'y a en Dieu rien de mobile, ni d'extérieur. Donc il n'y a pas procession.

2.. Tout être qui procède diffère de l'être dont il procède. Or, en Dieu il n'y a pas de diversité possible, puisqu'il est la souveraine simplicité. Donc il n'y a en Dieu aucune procession.

3.. Procéder d'un autre semble contraire à la nature du premier principe. Or, Dieu est le premier principe, comme nous l'avons prouvé (quest. n, art. 3). Donc il n'est pas possible qu'il y ait procession en lui.


Mais c'est le contraire. Car le Seigneur dit lui-même : Je procède de Dieu (Joan, viii, 42).

CONCLUSION. — Dieu étant au-dessus de tout par sa nature intellectuelle, il n'y a pas en lui d'autre procession que celle qui découle de l'acte même de son intelligence et qui est immanente en lui.

Il faut répondre que les saintes Ecritures en parlant de Dieu se servent d'expressions qui indiquent qu'il y a en lui procession. Cette procession a été entendue de différentes manières par ceux qui se sont occupés de cette question. Les uns ont entendu cette procession de la même manière que la procession de l'effet produit par la cause (1). C'est ainsi qu'Arius l'a entendu quand il a dit que le Fils procède du Père, comme sa première créature, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, comme la créature de l'un et de l'autre; ce qui est contraire à ces paroles de saint Jean : Afin que notis vivions en son vrai Fils, lequel est vrai Dieu (I. cap. ult. 20), et ce qui est aussi opposé à ces paroles de saint Paul : Ne savez-vous pas que vos membres sont le temple du Saint-Esprit (I. Cor. vi, 19) ? Car il n'appartient qu'à Dieu d'avoir un temple. — D'autres ont voulu que le mot procession n'exprimât que le rapport de la cause à l'effet, en tant que la cause imprime à l'effet qu'elle produit son mouvementet sa ressemblance. C'est ainsi quel'entendait Sabellius (2), quand il disait que Dieu le Père s'était appelé Fils en prenant naissance dans le sein d'une vierge, et que c'était le même qui prenait le nom de Saint-Esprit lorsqu'il sanctifie les créatures raisonnables et qu'il leur donne la vie. Mais Notre-Seigneur nous fournit lui-même le moyen de combattre cette erreur quand il dit : Le Fils ne peut rien faire de lui-même (Joan, v, 19), et qu'il montre par une foule d'autres paroles que le Père n'est pas le même que leFils. —Maintenant si on examine attentivement ces deux sentiments, on verra que leurs auteurs n'entendent par procession qu'un mou-vementdont l'effet est extérieur [ad extra). Ils ne reconnaissent par conséquent ni l'un ni l'autre qu'il y a procession en Dieu. Mais toute procession étant déterminée par une action, il s'ensuit que quand l'action a pour terme un objet extérieur il y a procession ad extra, tandis que quand l'action est immanente dans le sujet qui la produit, il y a procession ad intra (3). C'est ce qui est surtout évident pour l'intellect dont l'action est immanente dans le sujet qui comprend. En effet dans tout être intelligent, par là même qu'il comprend, il y a une procession qui est le concept de la chose comprise, qui procède de sa connaissance. La parole exprime ce concept, et on appelle parole du coeur ce que l'organe de la voix exprime (I). — Mais Dieu étant au-dessus de tout, ce qui se passe en lui ne doit pas être compris de la même manière que ce qui se passe dans les corps qui sont ses plus humbles créatures. Il faut par la pensée s'élever aux substances intellectuelles, et encore ne voir en celles-ci qu'un pâle reflet, une image imparfaite de la Divinité. Ainsi il ne faut pas comparer la procession des personnes divines à la procession des créatures corporelles qui sont soumises aux lois du mouvement et à l'ordre qui règle le rapport des causes naturelles avec leur effet extérieur, comme la chaleur se communique d'un corps chaud à un corps échauffé. Mais pour s'en faire une idée il faut la comparer à l'émanation des idées qui s'échappent par la parole de l'esprit de celui qui parle, tout en restant en lui (2). C'est ainsi que la foi catholique reconnaît qu'il y a procession en Dieu.

(1) Arius détruisait l'unité des personnes, et faisait du Fils et du Saint-Esprit autant.de substances séparées.

(2) L'erreur de Sabellius était directement opposée à celle d'Arius : if niait la triuité des personnes, et ne voyait dans les noms de Père, de Fils et de Saint-Esprit qu'une désignation d'actions différentes faites par la même personne. En allant au fond de la question, saint Thomas montre que ces sentiments, tout contraires qu'ils sont, reposent cependant sur la même erreur.

(3) Nous conservons ces mots ad extra, ad intra, parce qu'ils sont absolument consacrés, fl se-rait d'ailleurs difficile de leur trouver des équivalents bien exacts.

(1) Pour rendre ici la pensée pins claire, on peut distinguer, avec les philosophes anciens, l'intellect passif et l'intellect actif ; l'intellect passif reçoit les espèces ou images, qui se détachent des objets, et qu'on appelle species itnpréssoe,parce qu'elles s'impriment en quelque sorte enlui; l'intellect actif se sert de ces espèces pour reproduire formellement leur objet, et alors l'image qu'il en forme prend !e nom de species expressa; c'est-à-dire qu'il produit l'expression qui doit rendre l'idée, et c'est cette expression que saint Thomas appelle le verbe du coeur, que le verbe de la bouche ou la parole ne fait que traduire.

(2) Bossuet s'est littéralement servi de la même comparaison , et c'est aussi l'analogie qui satisfait le plus Lcibnilz (Voyez ses remarques sur le livre d'un an Ii trini taire anglais).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette objection suppose que la procession est un mouvement local ou qu'elle est déterminée par une action qui a pour terme un objet extérieur. Cette procession est celle des créatures, mais nous venons de dire qu'on ne devait pas entendre ainsi la procession des personnes divines.

2. Il faut répondre au second argument, que l'être qui procède suivant la procession ad extra doit être différent de celui dont il procède. Mais il n'en est pas de même quand la procession a lieu ad intra. Dans ce cas plus la procession est parfaite et plus l'union est étroite entre l'être qui procède et celui dont il procède. En effet, il est évident que la conception est d'autant plus intimement unie à l'être qui comprend que celui-ci saisit mieux ce qui en fait l'objet. Car plus l'intelligence est en acte et plus elle est une avec l'objet compris. C'est pourquoi l'intelligence étant élevée en Dieu à sa plus haute perfection (quest. xiv, art. 2), il faut que le Verbe de Dieu soit parfaitement un avec celui dont il procède et qu'il n'y ait point entre eux de diversité.

3. Il faut répondre au troisième, que procéder de quelqu'un ad extra, et différer de celui dont on procède, est contraire à la nature du premier principe ; mais procéder ad intra sans qu'il y ait diversité et division, d'une manière purement intellectuelle, est une chose qu'implique la nature du premier principe. Car quand nous disons que celui qui bâtit une maison est le principe de son édifice, nous comprenons qu'il a en lui-même la conception de son art, èt'nous disons que cette conception en est le premier principe, sil'ar-chitecte étaitlui-même un premier principe. Or, Dieu, qui est le premier principe des choses, est aux créatures ce que l'artisan est à son ouvrage, c'est-à-dire qu'il est par son entendement ou par son Verbe le principe de toutes choses.



I pars (Drioux 1852) Qu.25 a.4