I pars (Drioux 1852) Qu.29 a.4

ARTICLE IV.  - le mot personne  signifie-t-il relation  (2) ?


(2) Cet article a pour but de préciser le sens qu'on doit attacher au mot personne et au mot relation.

Objections: 1.. Il semble que le mot personne ne signifie pas en Dieu relation, mais substance. Car saint Augustin dit (De Trin. lib. vu, cap. 6) : Quand nous disons la personne du Père nous ne disons pas autre chose que sa substance, parce que le mot personne est un mot qui lui est propre, et non un mot relatif qui se rapporte au Fils ou au Saint-Esprit, etc.

2.. La question qu'est-ce que se rapporte à l'essence. Or, saint Augustin dit au même endroit : Quand à l'occasion de ce passage : Il y en a trois qui rendent témoignage au ciel, le Père, le Verbe et l'Esprit-Saint ; on se demande : Qu'est-ce que ces trois? on répond: Ce sont trois personnes. Donc le mot personne a le même sens que celui A'essence.

3.. D'après Aristote (Met. lib. iv, text. 28), ce que le nom signifie est exprimé par sa définition. Or, nous avons défini la personne, la substance individuelle d'une nature raisonnable (art. 1). Donc le mot personne a le sens de celui de substance.

4.. Pour les anges et les hommes, la personne ne signifie pas une relation, mais quelque chose d'absolu. Donc, s'il signifie en Dieu une relation, il n'a pas le même sens quand on le lui applique que quand on l'applique aux anges et aux hommes.


Mais c'est le contraire. Car Boëce dit (De Trin.) que tout nom qui appartient aux personnes, signifie une relation. Or, il n'y a pas de nom qui leur appartienne plus que le nom de personne. Donc ce nom signifie une relation.

CONCLUSION. — La personne divine signifie une relation d'origine, mais une relation substantielle ou hyposlatique qui subsiste dans la nature divine.

Il faut répondre que ce qui fait la difficulté à l'égard des personnes divines, c'est que le mot personne se prend au pluriel, contrairement à la nature de tous les noms essentiels à la Divinité, et qu'on ne peut cependant pas le considérer comme un nom relatif, semblable à tous ceux qui expriment une relation. — De là il a semblé aux uns que le mot personne signifiait absolument dans son acception propre la même chose que celui d'essence ; comme le mot Dieu, le mot sage, etc. (1). Mais pour se mettre à l'abri des subtilités des hérétiques, les conciles en ont autorisé l'usage pour exprimer ce qu'il y a de relatif en Dieu, surtout quand on l'emploie au pluriel ou avec un nom partitif; comme quand nous disons qu'il y a trois personnes en Dieu, qu'autre est la personne du Père, autre la personne du Fils. Quand on s'en sert au singulier, on peut, disent-ils, le prendre pour exprimer ce qu'il y a d'absolu en Dieu et ce qu'il y a de relatif. Maisla raison sur laquelle estfondée leur opinion n'arien desolide. Car, si le motpersonné ne signifiait dans sa propre acception rien autre chose que l'essence divine, en disant qu'en Dieu il yatroispersonnescen'eùt pas été le moyen de fermer labouchc aux hérétiques, mais c'eût été au contraire donner .prise à leurs calomnies. — D'autres ont dit que le mot personne signifiait en Dieu, la relation et l'essence (2). Parmi ceux-ci il y en a qui ont prétendu qu'il signifiait directement l'essence, et indirectement la relation, parce que la personne est une, pour ainsi dire, par elle-même, mais que l'unité appartient à l'essence ; et que ce qui est par soi-même implique indirectement relation. Car on comprend que le Père existe par lui-même et qu'il se distingue du Fils par une relation. D'autres ont dit au contraire qu'il signifiait directement la relation et indirectement l'essence, parce que dans la définition de la personne le mot nature n'y entre qu'indirectement. Ces derniers se sont le moins écartés de la vérité. — Pour éclaircir cette question il faut observer que l'espèce peut renfermer dans sa signification ce que ne renferme pas le gçnre. Ainsi dans le mot homme il y a l'idée d'être raisonnable qui n'est pas comprise clans le mot animal. Par conséquent autre chose est de demander la signification du mot animal en général, et la signification du mot animal appliqué en particulier. De même, autre est la signification du mot personne en général, et autre la signification du mot personne appliqué à la sainte Trinité. Car on appelle personne en général, la substance individuelle d'une nature raisonnable, comme nous l'avons dit (art. \). Or, l'individu est quelque chose d'indistinct en soi, mais"de distinct à l'égard de tout le reste. Donc le mot personne, à quelque nature qu'on l'approprie, signifie quelque chose d'individuel et de distinct dans cette nature. Ainsi, dans la nature humaine elle signifie : telles chairs, tels os, telle âme; en un mot, tous les principes qui individualisent l'homme. Et quoique ces éléments n'entrent pas dans la définition de la personne en général, ils entrent cependant dans la signification de la personne humaine. Or, dans la Trinité, il n'y a pas d'autres distinctions que celles que produisent lesrelations d'origine, comme nous l'avons dit (quest. xxvii, art. 2 et 3). Ainsi, en Dieu la relation n'est pas comme un accident inhérent à son sujet, mais elle est l'essence divine elle-même. Par conséquent, elle subsiste, comme l'essence divine subsiste; et comme la déité est Dieu, de même la paternité divine est Dieu le Père qui est une personne divine. En Dieu, la personne signifie donc la relation, mais la relation subsistante; c'est-à-dire elle signifie la relation à la manière de la substance, qui est l'hypostase subsistant dans la nature divine, bien que ce qui subsiste dans la nature divine ne soit rien autre chose que la nature divine elle-même. Dans ce sens il est vrai que le mot ¦personne signifie directement la relation et indirectement l'essence.

Ce qui ne veut pas dire toutefois qu'il signifie la relation, en tant que relation, mais à la manière de l'hypostase. — On pourrait dire aussi que le mot personne signifie directement l'essence et indirectement la relation, en tant que l'essence est la même chose que l'hypostase. Car dans la Trinité l'hypostase est distinguée par la relation, et la relation n'entre qu'indirectement dans la nature de la personne. D'ailleurs il est vrai qu'avant les subtilités des hérétiques, le sens du mot personne n'était pas ainsi déterminé. On ne l'employait guère que dans un sens absolu, mais ensuite on a distingué tout ce qu'il avait de relatif, non pas seulement d'après l'usage, mais d'après sa propre signification (1).

(1) Il parait que cette opinion fut celle de Hugues de Saint-Victor.

(2) Ce sentiment était celui «lu Maître des sentences Ulist. xxvi).

(1) Celle même question se trouve longuement téveloppée dans le commentaire de saint Thomas sur le Maître des sentences (liv. i, dist. xxin. art. 5).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mot personne se rapporte directement à l'être qui est revêtu de ce titre et non à un autre, parce qu'il exprime une relation non dans un sens purement relatif, mais d'une manière substantielle, hypostaticae. C'est pourquoi saint Augustin dit qu'il signifie l'essence parce qu'en Dieu l'essence est la même chose que l'hypostase, puisqu'en lui l'être et la manière d'être ne diffèrent pas.

2. Il faut répondre au second, que la question qu'est-ce que a quelquefois pour objet la nature de l'être qu'exprime sa définition. Ainsi quand on dit : qu'est-ce que l'homme? on répond: c'est un animal raisonnable et mortel. D'autres fois elle a pour objet le suppôt. Ainsi, quand on dit : Qu'est-ce qui nage dans lamer ? on répond : les poissons. C'est ainsi qu'on répond à ceux qui demandent : qu'est-ce que les trois qui rendent témoignage.....ce sont trois personnes.

3. Il faut répondre au troisième, que dans l'intelligence de la substance individuelle , c'est-à-dire distincte ou incommunicable, on comprend en Dieu la relation comme nous venons de le dire (in corp. art.).

4. Il faut répondre au quatrième, que la diversité dans les espèces n'empêche pas d'entendre dans le même sens le mot générique sous lequel elles sont comprises. Car, quoique la définition du cheval diffère de celle de l'âne, cependant le mot animal est pris pour l'un et l'autre dans le même sens, parce qu'il leur convient également. Ainsi, quoique dans la définition de la personne divine on comprenne une relation qui n'existe ni dans la personne de l'ange, ni dans la personne humaine, il ne s'ensuit pas que le mot personne ait un sens opposé suivant ces diverses applications. Il ne faudrait pas dire non plus qu'il a absolument le même sens, soit qu'on l'applique à Dieu, soit qu'on l'applique aux créatures, parce qu'il n'y a pas de nom qui soit ainsi univoque, quand il s'agit de Dieu et des créatures, comme nous l'avons dit (quest. xiii, art. S).


QUESTION XXX. : DE LA PLURALITÉ DES PERSONNES DIVINES.


Il faut ensuite traiter de la pluralité des personnes divines. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu? — 2" Combien y en a-t-il ? — 3" Que signifient en Dieu les termes numériques? — 4° Le mot personne est-il commun aux trois personnes?

ARTICLE I. — faut-il admettre plusieurs personnes en dieu (1)?


(1) La pluralité.des personnes a été niée par Simon !e Magicien , te premier de tous les hérétiques, qui se disait le Père , le Fils et le Saint-Esprit ; par Praxéas , qui confondait le Père avec le Christ, et qui disait que le Père avait souffert; par Noët, qui prétendait que le Christ était la même personne que le Père et le Saint-Esprit ; par Sabellius, qui ne reconnaissait pas en Dieu trois personnes distinctes, et qui disait que Dieu prenait tantôt te nom de Père, tantôt le nom de Fils, tantôt le nom d'Esprit-Saint; par Paul de Samosate, qui partagea l'erreur de Sabellius; par les priscillianistes , qui disaient que le Christ était le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; par Servet et par tous les déistes modernes.

Objections: 1.. Il semble qu'on ne doive pas admettre plusieurs personnes en Dieu. Car une personne est la substance individuelle d'une nature raisonnable. Si on admet en Dieu plusieurs personnes il faudra donc reconnaître en lui plusieurs substances; ce qui paraît hérétique.

2.. La pluralité des propriétés absolues n'établit de distinction de personnes ni en Dieu, ni en nous. Donc à plus forte raison la pluralité de relations n'en doit-elle pas établir. Or, il n'y a pas en Dieu d'autre pluralité que celle-là, comme nous l'avons dit (quest. xxvii, art. 3). Donc on ne peut pas dire qu'en Dieu il y a plusieurs personnes.

3.. Boëce dit en parlant de Dieu (Lib. de Trin.) que celui-là est véritablement un dans lequel il n'y a aucun nombre. Or, la pluralité suppose le nombre. Donc il n'y a pas en Dieu plusieurs personnes.

4.. Partout où il y a un nombre il y a un tout et des parties : si donc en Dieu il y a un certain nombre de personnes, on devra admettre en lui un tout et des parties; ce qui répugne à la simplicité de sa nature.


Mais c'est le contraire. Car saint Athanase dit : Autre est la personne du Père, autre la personne du Fils, autre la personne du Saint-Esprit. Donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit forment plusieurs personnes.

CONCLUSION. — Puisqu'il y a dans la nature divine plusieurs relations réelles et subsistantes, il faut nécessairement qu'il y ait plusieurs personnes.

Il faut répondre que la pluralité des personnes en Dieu est une conséquence de ce qui précède. Car nous avons montré (quest. préc. art. 4) que le mot personne signifie en Dieu une relation réelle et subsistante qui existe dans sa nature. Nous avons également prouvé (quest. xxvii, art. 1, 3, 4) la pluralité de ces relations réelles. D'où il suit qu'il y a réellement dans la nature divine plusieurs choses subsistantes, ce qui revient à dire qu'il y a plusieurs personnes.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mot substance qui entre dans la définition de la personne ne signifie pas l'essence, mais le suppôt. Ce qui est évident, puisqu'on ajoute au mot substance l'épithète d'individuelle. Pour désigner la substance ainsi comprise les Grecs se servent du mot hypostase. C'est pourquoi ils disent trois hypostases, comme nous disons trois personnes. Mais nous n'avons pas l'habitude de dire trois substances dans la crainte qu'il n'y eût une équivoque et qu'on entendit par là trois essences.

2. Il faut répondre au second, que les propriétés absolues qui sont en Dieu, comme la bonté et la sagesse, ne sont pas opposées l'une à l'autre, et que pour ce motif elles ne sont pas réellement distinctes. Car, quoique ces propriétés subsistent véritablement, elles ne forment cependant pas plusieurs choses subsistantes ; ce qui est nécessaire pour constituer plusieurs personnes. Quant aux propriétés absolues qui sont dans les créatures, elles ne subsistent pas quoiqu'elles soient réellement distinctes entre elles, comme la blancheur et la douceur. Mais en Dieu les propriétés relatives sont tout à la fois subsistantes et réellement distinctes l'une de l'autre, comme nous l'avons dit (quest. xxviii, art. 3). C'est ce qui fait que la pluralité de ces propriétés relatives constitue la pluralité des personnes divines.

3. 11 faut répondre au troisième, que par suite de la souveraine unité et simplicité de Dieu on ne reconnaît en lui aucune pluralité absolue, mais cela n'empêche pas qu'il y ait pluralité de relations, parce que les relations se disent de l'un par rappport à l'autre. C'est ce qui fait, comme le dit Boëce, qu'elles ne supposent pas composition dans l'être où elles se trouvent.

4. Il faut répondre au quatrième, qu'il y a deux sortes de nombres, l'un simple ou abstrait, comme deux, trois, quatre, etc., l'autre concret, comme deux hommes, deux chevaux. Si en Dieu on admet le nombre d'une manière absolue, abstraite, rien n'empêche qu'en lui il n'y ait un tout et des parties. Toutefois il n'en est ainsi que dans notre esprit, parce que le nombre abstrait n'existe que dans notre entendement. Mais si nous entendons parler du nombre concret tel qu'il existe dans les créatures ; un est une partie de deux, et deux une partie de trois ; ainsi un homme est une partie de deux hommes, deux hommes une partie de trois hommes , etc. Il n'en est pas de même en Dieu, parce que le Père est autant que la Trinité tout entière, comme nous le prouverons (quest. xlii, art. 1 et Í).


ARTICLE II. — v a-t-il en dieu plus de trois personnes (1)?


(1) Cet article attaque les mêmes erreurs que le précédent, puisqu'il réfute tous ceux qui admettent plus ou moins de trois personnes en Dieu. En parlant de chacune des personnes divines , nous ferons connaître les erreurs spéciales auxquelles elles ont donné occasion,

Objections: 1.. Il semble qu'en Dieu il y ait plus de trois personnes. Car la pluralité des personnes est en raison de la pluralité des propriétés relatives, comme nous l'avons dit dans l'article précédent. Or, comme nous l'avons vu (quest. xxviii, art. 4), il y aen Dieu quatre relations, la paternité, la filiation, la spiration, et la procession. Donc il y a quatre personnes.

2.. La nature ne diffère pas plus de la volonté en Dieu que de l'intelligence. Or, dans la Trinité autre est la personne qui procède de la volonté comme l'amour, et autre celle qui procède de la nature, comme le Fils. Donc autre est la personne qui procède de l'intelligence comme le Verbe et autre celle qui procède de la nature comme le Fils. Il suit donc de là qu'il n'y a pas seulement trois personnes en Dieu.

3.. Dans les créatures, plus l'être est noble et plus il a de facultés intrinsèquement agissantes-, ainsi l'homme a de plus que les animaux l'intelligence et la volonté. Or, Dieu surpasse infiniment toute créature. Donc il n'y a pas seulement en lui une personne qui procède de la volonté et une personne qui procède de l'intelligence, mais il y a encore une infinité de personnes procédant d une infinité d'autres manières. Donc il y a en Dieu un nombre infini de personnes.

4.. Il est de la bonté infinie du Père de se communiquer infiniment en produisant une personne divine. Or, l'Eisprit-Saint a également une bonté infinie. Donc il produit aussi une personne divine, celle-ci en produit une autre, et cela à l'infini.

5.. Tout ce qui est compris sous un nombre déterminé est mesuré ; car le nombre est une mesure. Or, les personnes divines sont immenses , comme le dit saint Athanase ; le Père est immense, le Fils immense, le Saint-Esprit immense. Donc elles ne sont pas comprises sous le nombre ternaire.


Mais c'est le contraire. Car, dit saint Jean : Il y en a trois qui rendent témoignage au ciel, le Père, le Verbe et l'Esprit-Saint (I. Ep. v, 7). Et quand on demande : Qu'est-ce que ces trois qui rendent témoignage ? On répond : Trois perso/mes, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. vu, cap. 4). Donc il n'y a en Dieu que trois personnes.

CONCLUSION. — Il n'y a en Dieu que trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Il faut répondre que d'après ce que nous avons dit précédemment (art. préc. et quest. xxix, art. 4), il est nécessaire d'admettre qu'il n'y a en Dieu que trois personnes. Car nous venons de prouver qu'il y a plusieurs personnes en Dieu, parce qu'il y a plusieurs relations subsistantes réellement distinctes les unes des autres. Or, il n'y a de distinction réelle entre les relations divines qu'autant que ces relations sont opposées. Donc il faut que deux relations opposées appartiennent à deux personnes, et que quand les relations ne sont pas opposées, elles appartienneut à la même. Ainsi la paternité et la filiation étant des relations opposées, elles appartiennent nécessairement à deux personnes. Donc la paternité subsistante est la personne du Père, et la filiation subsistante est la personne du Fils. — Il y a encore deux autres relations qui ne sont pas opposées à celles-ci, mais opposées entre elles. Elles ne peuven t donc appartenir toutes les deux à une seule personne. Il faut dès lors que l'une d'elles convienne aux deux personnes i[ue nous venons de nommer, c'est-à-dire au Père et au Fils, ou que l'une appartienne à l'un et l'autre à l'autre. Or, la procession ne peut convenir au Père et au Fils, ni à l'un des deux, puisqu'alors la procession de l'intelligence, qui est une vraie génération divine, établissant paternité et filiation, résulterait de la procession d'amour, selon laquelle s'effectuent la spiration et la procession. Ainsi la personne du Père qui engendre et celle du Fils qui est engendré procéderaient de la personne qui spire; ce qui est opposé à ce que nous avons dit (quest. xxvii , art. 3 et 4). Il faut donc que la spiration appartienne au Père et au Fils, puisque cette relation n'est opposée ni à la paternité, ni à la filiation (I), et que par conséquent la procession appartienne à une personne autre que ces deux-ci, c'est-à-dire à la personne du Saint-Esprit qui procède de l'amour. Nous pouvons donc conclure qu'il n'y a que trois personnes dans la Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit (1).

(1) Par conséquent, 11 faut que le Saint-Esprit procede du Père et du Fils.

(1) Quoique cette explication ne soit qu'un système, cependant elle rend si parfaitement compto du dogme, qu'il serait difficile de ne pas l'admettre.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, quoiqu'il y ait quatre relations en Dieu, cependant l'une d'elles, la spiration, n'est pas séparée de la personne du Père et de la personne du Fils, mais elle leur est commune. Et bien que ce soit une relation, on ne dit pas que c'est une propriété, parce qu'elle ne convient pas exclusivement à une seule personne. Ce n'est pas non plus une relation personnelle, c'est-à-dire une relation qui constitue une personne. Mais la paternité, la filiation et la procession sont appelées des propriétés personnelles, c'est-à-dire des propriétés qui constituent des personnes. Car la paternité est la personne du Père, la filiation la personne du Fils, la procession la personne du Saint-Esprit.

2. 11 faut répondre au second, que ce qui procède de l'intelligence, comme le Verbe, procède par manière de ressemblance comme ce qui procède de la nature. C'est ce qui nous a fait dire (quest. xxvii, art. 3) que la procession du Verbe divin est la génération telle que la nature la produit. Mais l'amour ne procède pas comme étant la ressemblance du principe dont il procède, quoi-qu'en Dieu l'amour soit coessentiel en tant qu'attribut divin. C'est pourquoi on ne donne pas à la procession de l'amour le nom de génération.

3. Il faut répondre au troisième, que l'homme étant plus parfait que les animaux, a plus de facultés qu'eux intrinsèquement agissantes, parce que sa perfection est celle d'un être composé. De là vient que dans les anges, qui sont plus parfaits et plus simples que l'homme, il y a moins de facultés intrinsèquement agissantes, parce qu'il n'y a en eux ni l'imagination, ni la sensibilité, ni d'autres facultés semblables. Or, en Dieu il n'y a en réalité qu'une seule opération qui est son essence. Mais nous avons montré (quest. xxvii, art. 1 et 4) comment il y a en lui deux processions.

4. Il faut répondre au quatrième, que cette raison aurait de la valeur si l'Esprit-Saint avait une bonté numériquement autre que celle du Père ; car il faudrait dans ce cas que, comme le Père produit par sa bonté une personne divine, le Saint-Esprit en produisît une au même titre. Mais la bonté du Père est identique à celle du Saint-Esprit. Car il n'y a de distinction en Dieu que celle qu'établissent les relations des personnes. Par conséquent, la bonté convient au Saint-Esprit, suivant qu'il l'a reçue d'un autre, et elle convient au Père suivant qu'il la communique. Or, l'opposition de relation ne permet pas que la relation du Saint-Esprit soit compatible avec une relation qui en ferait le principe d'une autre personne, parce que le Saint-Esprit procède lui-même des autres personnes qui peuvent exister en Dieu.

5. Il faut répondre au cinquième, qu'un nombre déterminé (si on entend un nombre abstrait qui n'existe que dans l'entendement) a en effet l'unité pour mesure. Mais si on entend le nombre des choses qui existent dans les personnes divines, elles ne sont pas commensurables, parce que, comme nous le prouverons (quest. xlii, art. 1 et 4), les trois personnes ont la même grandeur, et un être ne peut être sa mesure à lui-même.


ARTICLE III. — les termes numériques sont-ils positifs en dieu (2)?


(2) La doctrine de saint Thomas est sur ce point absolument conforme à celle des conciles. Le onzième concile de Tolède s'exprime ainsi : In relatione personarum numerus cernitur, in divinitatis vero substantia quid numeratum sit, non comprehenditur. Ergo hoc solo ««--merum insinuant, quod ad invicem sunt, et in hoc numero carent, quod in se sunt. Lc concile de Constantinople dit que. les termes numériques n'ajoutent qu'une négation : Sancta Trinitas numerabitis personalibus est subsistentiis et sancta unitas extra omnem numerum est, et haec quidem invisibilem habet divisionem, et inconfusam gerit coniunctionem.


Objections: 1.. Il semble que les termes numériques ajoutent quelque chose en Dieu (1). Car l'unité divine est son essence, et tout nombre est l'unité répétée. Donc tout terme numérique signifie en Dieu l'essence. Donc il pose en Dieu quelque chose.

(1) Littéralement, mettent en Dieu quelque chose (ponunt aliquid in divinis), c'est-à-dire signifient quelque chose de positif. La question est par conséquent celle-ci : Quand nous disons que le Père et le Fils sont deux, le mot deux s'entend-il positivement comme le mot père ou sage, ou s'entend-il négativement comme le mot incorporel.

2.. Tout ce qu'on dit de Dieu et.des créatures convient à Dieu d'une manière plu s éminentc qu'aux créatures. Or, les termes numériques ajoutentquelque chose aux créatures. Donc à plus forte raison ajoutent-ils quelque chose à|Dieu.

3.. Si les termes numériques, au lieu d'ajouter, excluent, de telle sorte que l'unité soit exclue par la pluralité, et la pluralité par l'unité, il en résultera pour lesprit un cercle vicieux qui ne produira que la confusion, ce qui est un inconvénient. Il faut donc que les termes numériques ajoutent en Dieu quelque chose.


Mais c'est le contraire. Saint Hilaire dit (De Trin. lib. iv) : En confessant la pluralité des personnes on écarte l'idée d'un être solitaire. Et saint Ambroise ajoute (De Fiai. lib. i) : Quand nous disons qu'il n'y a qu'un Dieu, l'unité exclut ici la pluralité des dieux, car nous n'admettons pas qu'il y ait en Dieu quantité. D'après ces divers passages, il semble que ces noms ont été employés plutôt négativement que positivement.

CONCLUSION. — Les termes numériques n'ont en Dieu qu'un sens négatif.

Il faut répondre que le Maître des sentences établit que les termes numériques ne sont pas en Dieu positifs, mais négatifs (I. dist. 24). D'autres disent le contraire. — Pour éclaircir cette question il faut observer que toute pluralité suppose une division. Or, il y a deux sortes de division. L'une matérielle, qui s'effectue sur ce qui est continu, et qui produit le nombre qui est une espèce de quantité. Cette sorte de nombre ne se rapporte qu'aux choses matérielles qui ont la quantité pour prédicat. L'autre est la division formelle qui s'effectue par les formes opposées ou diverses. La multiplicité est le résultat de cette division; elle n'existe pas dans un genre quelconque, elle esttranscendantale, comme quand on dit que l'être est un et multiple. Cette multiplicité ne se rapporte qu'aux choses absolument immatérielles. — Quelques auteurs, ne considérant que la multiplicité qui est une espèce de quantité discrète, et voyant que cette quantité n'existe pas en Dieu, ont prétendu que les termes numériques ne sont pas positifs, mais qu'ils ne sont que négatifs (2). D'autres, considérant cette même multiplicité, ont dit que, comme la science n'existe en Dieu que suivant sa propre nature, et non suivant la nature de son genre (parce qu'en Dieu il n'y a pas de qualité), de même en Dieu le nombre existe suivant sa propre nature, mais non selon la nature de son genre, qui est la quantité. — Pour nous, nous disons que les termes numériques, quand ils sont appliqués à la nature divine, ne se prennent pas du nombre qui est une espèce de quantité; parce qu'alors ils ne pourraient convenir à Dieu que métaphoriquement, comme toutes les autres propriétés des corps, telles que la largeur, la longueur et le reste. Mais ils sont pris de la multiplicité transcen dan taie. Or, la multiplicité ainsi entendue est à la pluralité des objets dont elle est le prédicat ce que l'unité absolue est à l'être lui-même. Cette espèce d'unité, comme nous l'avons dit à l'occasion de l'unité de Dieu (quest. xi, art. I), n'ajoute rien à l'être; elle en exclut seulement la négation de toute division. Car l'un signifie l'être indivis. C'est pourquoi à quelque chose qu'on l'applique, il signifie un être indivis. Ainsi, quand on l'applique à l'homme, il indique la natureoulasubstanee de l'homme non divisée. Dans lemême sens, quand on parle de choses multiples, la multiplicité ainsi entendue signifie que ces choses sont indivises entre elles. Le nombre, qui est une espèce de quantité, ajoute toujours un accident à l'être; il en est de même de l'unité arithmétique qui est le principe de ce nombre. Mais les termes numériques dont on se sert pour exprimer les personnes divines, n'ajoutent à l'être divin qu'une négation, comme l'a fort bien dit le Maître des sentences. Ainsi, quand nous disons que l'essence est une, le mot un signifie l'essence indivise ; quand nous disons que la personne est une, le mot un signifie la personne indivise, et quand nous disons qu'en Dieu il y a plusieurs personnes, nous affir-mons l'existence de chacune de ces personnes et leur indivision respective, parce qu'il est dans la nature de la multiplicité de se composer d'unités.

(2) Ce sentiment est celui du Maître des sentences (dist. xxiv, \ ).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'unité transcendantale est plus générale que la substance et que la relation ; il en est de même de la multiplicité. Par conséquent on peut appliquer l'unité et la multiplicité ainsi comprises à la substance et à la relation, suivant qu'elles leur conviennent. Ainsi ces noms, quand on les ajoute à l'essence ou à la relation, indiquent d'après leur propre signification la négation de toute division, comme nous l'avons dit [in corp. art.).

2. 11 faut répondre au second, que la pluralité, qui ajoute quelque chose aux. créatures, est une espèce de quantité qui n'entre pas dans les attributs divins. On ne se sert pour la Trinité que de la multiplicité transcendantale qui n'ajoute rien aux êtres dont elle est le prédicat, et qui ne fait qu'exprimer ce qu'il y a d'indivis dans chacun d'eux.

3. Il faut répondre au troisième, que l'unité n'exclut pas la multiplicité, mais ia division qui est rationnellement antérieure à l'unité et à la multiplicité. La multiplicité n'exclut pas non plus l'unité, mais seulement aussi la division à l'égard de chacune des choses dont elle se compose. C*est ce que nous avons exposé plus haut en traitant de l'unité de Dieu (quest. xi, art. 1). Nous ajouterons que les autorités alléguées contre notre sentiment ne lui sont pas réellement opposées. Car quoique la pluralité exclue la solitude et l'unité la pluralité des dieux, il ne résulte cependant pas de là que ces noms n'aient pas d'autre signification. Car le blanc exclut à la vérité le noir, mais le mot de blanc ne signifie pas seulement l'exclusion du noir.


ARTICLE IV. — le mot personne peut-il être commun aux trois personnes (1)?


(1) Cet article a pour but d'écarter l'erreur de Sabellius et de tous ceux qui ont confondu les personnes avec l'essence.

Objections: 1.. 11 semble que le ïûotpersonne ne puisse être commun au x trois personnes. Car les trois personnes n'ont de commun que l'essence. Or, le mot personne ne signifie pas directement l'essence. Donc il n'est pas commun aux trois.

2.. Ce qui est commun est opposé à ce qui est incommunicable. Or, il est dans la nature de la personne d'être incommunicable, puisque Richard de Saint-Victor fait entrer le mot incommunicable dans la définition de la personne (quest. xxix, art. 3 ad 4). Donc le mot personne n'estpas commun aux trois.

3.. S'il est commun aux trois, Cette communauté est réelle ou rationnelle. Or, elle n'est pas réelle parce que dans ce cas les trois personnes n'en feraient qu'une, elle n'est pas non plus purement rationnelle parce qu'alors la personne serait quelque chose d'universel. Or, en Dieu il n'y a rien d'universel ni de particulier, ni genre, ni espèce, comme nous l'avons vu (quest. m, art. 5). Donc le mot personne n'est pas commun aux trois.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (De Trin. lib. vu, cap. i) : Quand on demande, qu'est-ce que ces trois? on répond : Ce sont trois personnes, parce que la personne est ce qu'elles ont de commun.

CONCLUSION. — Le mot de personne est un terme commun aux trois personnes divines, non réellement, mais rationnellement, non comme un genre ou une espèce, mais comme un individu eminent et transcendant.

Il faut répondre que cette façon de parler indique assez que le mot personne est commun aux trois, puisque nous disons trois personnes. Car quand nous disons trois hommes, nous montrons que le mot homme est commun à tous les trois. 11 est évident que la communauté de nom n'implique pas celle de la chose, comme la même essence est commune à toutes les trois, parce que dès lors il faudrait admettre que les trois personnes n'en font qu'une, comme elles n'ont qu'une seule essence. — En recherchant quelle était cette communauté de noms, les avis se sont partagés. Les uns ont dit que c'était une communauté de négation (1), parce que la personne comprend dans sa définition le mot incommunicable. D'autres ont dit que c'était une communauté d'intention (â), parce que dans la définition de la personne on fait entrer le mot individuel ; comme si l'on disait, par exemple, que l'espèce est quelque chose de commun au cheval et au boeuf. Mais ces deux sentiments sont erronés, parce que le mot personne n'est ni un nom de négation, ni un nom d'intention, mais un nom de chose. — Il faut donc dire que dans les choses humaines le mot personne est commun d'une communauté de raison, non comme le genre ou l'espèce, mais comme l'individu vague. Car les noms des genres ou des espèces, comme homme, animal, sont employés pour exprimer les natures communes, mais non les intentions de ces natures, qu'on exprime par ces mots genre ou espèce (3). Mais l'individu vague (comme quelque homme) signifie la nature commune avec une manière d'être déterminée qui convient à chaque être de la même espèce, c'est-à-dire qu'on l'emploie pour exprimer ce qui subsiste par soi et qui est distinct du reste. Le nom d'un individu désigné (i) exprime un être déterminé distingué de tous les autres. Par exemple, le nom de Socrate signifie tel corps, tel visage. Il y a toutefois cette différence, c'est que quelque homme exprime la nature de l'individu avec la manière d'être qui convient à chaque être de son espèce; tandis que le mot personne n'a pas été créé pour signifier la nature, mais pour signifier une chose subsistante dans telle nature (3). Ainsi, ce qu'il y a rationnellement de commun, à toutes les personnes divines, c'est que chacune d'elles subsiste dans la nature divine, et qu'elle est distincte des autres. Donc le mot personne est commun rationnellement (G) aux trois personnes divines.

(1) Ce sentiment repose sur la définition de la personne, donnée par Richard de Saint-Victor (Voyez quest. xxix, art. 5).

(2) Cette opinion repose sur la définition de la personne , telle qu'elle est dans Boëce.

(3) Ainsi, les noms de genre ou d'espèce expriment les natures communes sans aucun rapport à la substance.

(4) Remarquez ta différence que saint Thomas établit entre l'individu vague et l'individu déterminé, parce que son intention est d'établir que ta personne signifie la même chose que l'individu vague, mais d'une autre manière.

(5) La différence qu'il y a entre la personne et l'individu vague, c'est que la personne signifie la manière de subsister avant que'de signifier la nature, ce qui ne convient pas à l'individu vague ou transcendant.

(6) 11 est commun d'une communauté de raison et non d'une communauté récite, parce que, dans ce dernier cas, on pourrait dire que la personne des trois suppôts est une , comme on dit que l'essence divine des trois personnes est une, ce qui serait hérétique.


Solutions: 1. II faut répondre au premier argument, que l'objection suppose qu'à la communauté de nom correspond une communauté de choses, ce que nous avons repoussé.

2. Il faut répondre au second, que quoique le mot personne soit incommunicable, cependant la manière d'être qu'il exprime peut être incornmunica-blement commune à plusieurs.

3. Il faut répondre au troisième, que, quoique la communauté soit rationnelle et non réelle, il ne s'ensuit pas néanmoins qu'en Dieu il y ait quelque chose d'universel ou de particulier, qui soit genre ou espèce: d'abord parce que dans l'humanité la communau té de genre ou d'espèce n'est pas la communauté de personnes; ensuite parce que les personnes divines n'ont qu'un seul être, et que pour qu'il y ait genre et espèce il faut qu'il y ait plusieurs êtres qui diffèrent entre eux.


I pars (Drioux 1852) Qu.29 a.4