I pars (Drioux 1852) Qu.30 a.4


QUESTION XXXI. : DE CE QUI APPARTIENT A L'UNITÉ OU A LA PLURALITÉ des  personnes DIVINES.


Nous devons maintenant nous occuper de ce qui se rapporte à l'unité ou la pluralité des personnes divines. — A cet égard quatre questions se présentent : 1» Du nom même delà sainte Trinité. — 2° Peut-on dire : le Fils est autre que le Père ? — 3° L'expression exclusive seul peut-elle être jointe à un terme essentiel dans la Trinité? — 4" Pourrait-on ajouter le mot seul à un terme personnel?

ARTICLE I. — y a-t-il  trinité en dieu (1)?


(1) Cet article est une réfutation de l'hérésie des jacobites, de Paul de Samosate, des anti-trinitaires , en un mot de tous ceux qui ont attaqué le dogme de la sainte Trinité. Le premier concile de Nicce, ceux de Constantinople, cl'E-phèse, de Chalcédoine , et le troisième concile de Tolède, ont condamné toutes ces erreurs et défini nettement ce que les fidèles doivent croire. Parmi les papes qui ont élevé la voix contre toutes ces erreurs, on distingue Alexandre Ier et Sixte I" dans leur lettre à tous les fidèles , et Vigile dans sa lettre à Eullierus (cap. 6).

Objections: 1.. Il semble qu'il n'y ait pas Trinité en Dieu. Car en Dieu tout mot signifie substance ou relation. Or, le mot Trinité ne signifie pas substance, puisque dans ce cas il conviendrait à chaque personne-, il ne signifie pas non plus relation, puisque ce mot n'exprime pas un rapport. Donc on ne doit pas employer le mot Trinité quand on parle de Dieu.

2.. Le mot Trinité semble être un nom collectif, puisqu'il signifie multitude. Or, ce nom ne convient pas à Dieu, puisque l'unité exprimée par un nom collectif est une unité d'espèce inférieure, et qu'en Dieu l'unité est souveraine. Donc le mot Trinité ne convient pas à la Divinité.

3.. Tout nombre ternaire est triple. Or, en Dieu il n'y a pastriplicité, puisque la triplicité est une espèce d'inégalité. Donc il n'y a pas non plus Trinité.

4.. Tout ce qui est en Dieu est clans l'unité de son essence, parce que Dieu est son essence. S'il y a Trinité en Dieu, il y a donc aussi Trinité dans l'unité de son essence. Et par conséquent il y aurait en Dieu trois unités essentielles, ce qui est hérétique.

5.. Dans tout ce qu'on dit de Dieu, le concret est le prédicat de l'abstrait. Ainsi la déité est Dieu, la paternité est le père. Or, on ne peut pas dire que la Trinité est trine, parce que clans ce cas il y aurait en Dieu neuf choses, ce qui est une erreur. Donc il ne faut pas se servir du mot de Trinité quand on parle de Dieu.


Mais c'est le contraire. Car saint Athanase dit dans son Symbole : qu'on doit adorer l'unité dans la Trinité et la Trinité dans l'unité.

CONCLUSION. — On se sert en Dieu du mot Trinité pour exprimer d'une façon déterminée ce que la pluralité exprime d'une manière indéterminée.

Il faut répondre que le mot Trinité exprime en Dieu le nombre déterminé des personnes. Nous pouvons donc nous servirdu motïrinité aussibien que du mot pluralité. Car ce que la pluralité exprime d'une manière générale, indéterminée, le mot Trinité l'exprime d'une façon positive et déterminée.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mot Trinité signifie, d'après son étymologie, l'essence unique des trois personnes, carie mot Trinité équivaut à ceci : l'unité des trois. Mais dans sa signification propre ce mot exprime plutôt le nombre des personnes d'une seule et même essence. C'est pourquoi nous ne pouvons pas dire que le Père est la Trinité, parce qu'il ne forme pas trois personnes. Ce mot n'exprime pas non plus les relations mêmes des personnes, niais plutôt le nombre des personnes qui sont en relation entre elles. De là vient que ce n'est pas un nom relatif^

2. Il faut répondre au second, que clans un mot collectif il y a deux choses, la pluralité des suppôts et l'unité de l'ordre auquel ils appartiennent. Ainsi un peuple est une multitude d'hommes appartenant à un ordre quelconque. Le mot Trinité se rapporte au nom collectif sous le premier aspect, puisqu'il exprime la pluralité des personnes, mais il en diffère sous le second, parce que dans la Trinité divine il n'y a pas seulement unité d'ordre, mais encore unité d'essence.

3. Il faut répondre au troisième, que le mot Trinité est pris dans un sens absolu. Car il signifie le nombre ternaire des personnes. Mais la triplicité indique un rapport d'inégalité, puisque c'est une espèce de proportion inégale, comme le prouve Boëce (iri Arith. lib. i, cap. 23). C est pourquoi il n'y a pas triplicité en Dieu, mais Trinité.

4. Il faut répondre au quatrième, que dans la Trinité divine on comprend le nombre et les personnes. Ainsi quand nous disons que la Trinité est dans l'unité, nous ne rapportons pas le nombre à l'unité d'essence, comme si l'essence était trois fois une, mais nous reconnaissons le nombre des personnes qui existent dans l'unité de la nature, comme on dit que les suppôts d'une nature sont dans cette même nature. Quand nous disons au contraire que l'unité est dans la Trinité, c'est comme si nous disions que la nature existe dans ses suppôts.

5. Il faut répondre au cinquième, que quand nous disons que la Trinité est trine, nous exprimons par là la multiplication du nombre trois par lui-même, parce que le nombre ternaire ainsi exprimé emporte avec lui la distinction des suppôts auxquels il se rapporte. C'est pour ce motif qu'on ne peut pas dire que la Trinité est trine, parce qu'il suivrait de là qu'elle aurait trois suppôts; comme quand on dit que Dieu est trin, cela signifie qu'il y a trois suppôts dans la Divinité.


ARTICLE II.— LE FILS EST-IL AUTRE QUE LE PÈRE(1)?


(1) Cet article a pour objet de préciser le sens de chaque mot et d'indiquer ceux que l'on doit éviter, pour ne tomber ni dans l'erreur d'Arius, ni dans celle de Sabellius.

Objections: 1.. Il semble que le Fils ne soit pas autre que le Père. Car le mot autre est un relatif qui suppose une diversité de substance. Si le Fils est autre que son Père, il semble qu'il y a entre eux diversité, ce qui est contraire au sentiment de saint Augustin, qui dit que quand nous disons qu'il y a en Dieu trois personnes, nous ne supposons pas qu'il y ait diversité entre elles (De Trin. lib. vu, cap. ult.).

2.. Deux êtres qui sont autres réciproquement diffèrent l'un de l'autre de quelque manière. Donc si le Fils est autre que le Père, il s'ensuit qu'il en diffère ; ce qui est opposé au témoignage de saint Ambroise, qui dit (De fid. lib. i, cap. 2) : Le Père et le Fils sont un, il n'y a entre eux ni différence de substance, ni diversité.

3.. Celui qui est autre est étranger (1). Or, le Père n'est pas étranger au Fils, puisque, d'après saint Hilaire (De Trin. lib. vu, ad fin.), dans les personnes divines il n'y a rien de divers, rien d'étranger, rien de séparable. Donc le Fils n'est pas autre que le Père.

(1) On plus littéralement, du mot autre vient le mot étranger : Alienum ab alia dicitur.

4.. Autre et autre chose (alius et aliud) sont deux mots qui ont le même sens, ils ne diffèrent que par le genre qu'ils expriment. Donc si le Fils est autre que le Père, il suit de là qu'il est aussi autre chose que le Père.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (De fid. ad Pet. cap. 1) : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit n'ont qu'une seule et même essence; dans cette essence, le Père n'est pas une chose, le Fils une autre, le Saint-Esprit une autre, quoique personnellement le Père soit autre que le Fils, le Fils autre que le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit autre que les deux premières personnes dont il procède.

CONCLUSION. — Puisque le mot autre (alius), pris au masculin, n'indique qu'une distinction de suppôt dans la nature, on peut dire sans inconvénient que le Fils est autre que le Père.

Il faut répondre que puisque, d'après la remarque de saint Jérôme, les termes qu'on emploie d'une manière irréfléchie peuvent être une source d'hérésie, il faut, quand on parle de la Trinité, agir avec beaucoup de précaution et de réserve. Car, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. i, cap. 3), nulle part l'erreur n'est plus funeste, les questions plus difficiles, la vérité plus féconde (2).Or, en parlant de la sainte Trinité, nous devons nous prémunir contre deux erreurs opposées et marcher avec discrétion entre deux écueils. D'une part, c'est l'erreur d'Arius qui a supposé qu'il y avait en Dieu une tiïnité de personnes et une trinité de substances ; de l'autre, c'est celle de Sabellius qui a admis* tout à la fois l'unité de personnes et l'unité d'essence. — Pour ne pas tomber dans l'erreur d'Arius nous devons éviter, en parlant de Dieu, tout terme qui exprimerait une diversité ou une différence, dans la crainte de détruire par là l'unité d'essence. Mais nous pouvons nous servir du mot distinction pour exprimer l'opposition de relations entre les personnes. Par conséquent, si nous trouvons quelque part dans l'Ecriture les mots diversité ou différence appliqués aux personnes, nous devons leur donner le sens de distinction. Pour ne pas détruire la simplicité de l'essence divine, il faut aussi éviter les mots de séparation et de division qui ne conviennent qu'à un tout qui aurait des parties. Pour sauver l'égalité il ne faut pas se servir du mot disparité. Pour ne pas porter atteinte à la ressemblance on doit éviter les mots $ étranger et de dissemblable. Car saint Ambroise dit (De fid. lib. i, cap. 2) que dans le Père et le Fils il n'y a pas de dissemblance, mais qu'ils ne forment qu'un seul Dieu. Et saint Hilaire ajoute (toc. cit.) que dans les personnes divines il n'y a rien de séparable.— Pour échapper à l'erreur de Sabelli us nous devons éviter toute expression tendant à trop singulariser Dieu, afin de ne pas enlever à l'essence divine sa communicabilité. Ainsi saint Hilaire dit (Trin. lib. vu) que c'est un sacrilège que de faire du Père et du Fils un Dieu singulier (singularem) (3). Il faut aussi éviter l'emploi du mot unique, dans la crainte de nier par là même la pluralité des personnes. C'est pourquoi saint Hilaire dit encore qu'il ne faut considérer Dieu ni comme un être singulier, ni comme un être unique. Nous disons bien du Fils qu'il est unique, parce qu'il n'y a pas dans la Trinité plusieurs Fils, mais nous ne disons pas que Dieu est unique, parce que la deité est commune à plusieurs personnes. Il ne faut pas non plus employer le mot confus, afin de conserver intact l'ordre des personnes. Car, comme le dit saint Ambroise eu parlant de la divinité du Père et du Fils, ce qui est un n'est pas confus, et ce qui ne diffère pas ne peut être multiple (De 'fid. lib. i, cap. 2). On ne doit pas se servir du mot solitaire, dans la crainte de détruire la société que forment entre elles les trois personnes. C'est ce qui fait dire à saint Hilaire : Le Dieu que nous confessons n'est pas un Dieu solitaire, et il n'y a pas non plus diversité en lui (Trin.Yxh. iv).Le mot autre (alius), pris au masculin, ne signifie qu'une distinction de suppôt. Nous pouvons donc, sans inconvénient, dire, que le Fils est autre que le Père, puisque nous entendons par là qu'il est un autre suppôt de la nature divine, comme il est une autre personne, une autre hypostase.

(2) Ces réflexions font sentir l'importance Je cet article.

(3) Singulier. Il faut donner en français à cette expression tout le sens qu'elle renferme d'après son étymologie. Je l'évite autant qu'il m'est possible; cependant il y a des circonstances, comme celles-ci, où il est impossible de lui trouver un équivalent.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mot autre ne se rapporte qu'au suppôt, et pour en légitimer l'emploi il ne faut' que la distinction du la substance qui est l'hypostase ou la personne. Mais la diversité requiert la distinction de la substance qui estl'essence. C'est pourquoi nous ne pouvons dire que le Fils diffère du Père, bien que nous disions qu'il est autre que lui.

2. Il faut répondre au second, que la différence implique la distinction de forme. Or, en Dieu il n'y a qu'une seule forme, comme on le voit d'après ces paroles de l'Apôtre : Qui cum informa Dei esset (Phil, ii, 6). C'est pourquoi en parlant des personnes divines on n'admet pas de différence entre elles, comme le dit très-bien saint Ambroise dans le passage cité. Saint Jean Damascène se sert cependant de cette expression, mais il ne l'applique qu'aux propriétés relatives des personnes divines. Ainsi il dit que les hypostases ne diffèrent pas entre elles selon la substance, mais suivant leurs propriétés déterminées. Dans ce cas le mot différence équivaut à celui de distinction, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

3. Il faut répondre au troisième, que le mot étranger signifie quelque chose d'extérieur et de dissemblable. Il n'en est pas de même du mot autre. C'est pourquoi nous disons que le Fils est autre que le Père, quoique nous ne disions pas qu'il lui est étranger.

4. Il faut répondre au quatrième, que le genre neutre n'a rien de formel, le genre masculin et le genre féminin ont, au contraire, un sens formeí et distinct. C'est pourquoi on se sert du neutre pour exprimer l'essence en général ; le masculin et le féminin expriment le suppôt qui existe d'une manière déterminée dans la nature générale. Ainsi, à l'égard des hommes, si on demande quel est celui-là (gtó)?onrépond : Socrate.C'est le nom du suppôt. Mais si on demande qu'est-ce que cet homme (quid) ? on répond : c'est un animal raisonnable et mortel. C'est pourquoi, comme en Dieu la distinction ne se rapporte qu'aux personnes et non à l'essence, nous disonsque le Père est autre (alius) que le Fils, mais non autre chose (aliud), tandis que nous disons au contraire qu'ils sont une seule et même chose (unum) et non un seul individu, (unus).

ARTICLE III. — l'expression exclusive seul peut-elle être jointe a un terme essentiel en dieu (1)?


(1) Il ne s'agit encore ici que d'une question de langage , mais les explications qu'elle nécessite ont leur importance, et elles jettent une certaine lumière sur toutes ces questions, si obscures et si difficiles.

Objections: 1.. Il semble que cette expression exclusive seul ne puisse être jointe à un terme essentiel en Dieu. Car, d'après Aristote (Elench. lib. n, cap. 3), il n'y a de seul que celui qui n'est pas avec un autre. Or, Dieu est avec les anges et les saints. Donc on ne peut pas dire qu'il est seul.

2.. Tout ce qu'on ajoute à un terme essentiel dans la Divinité peut se dire de chaque personne divine en particulier et de la Trinité tout entière. Ainsi, paria même crue nous pouvons dire que Dieu est sage, nous pouvons dire également : le Père est sage, la Trinité est sage. Or,- d'après saint Augustin, on ne peut pas dire que le Père soit seul Dieu (De Trin. lib. vi, cap. 9). Donc on ne peut pas dire que Dieu est seul.

3.. Si le mot seul est joint à un terme essentiel, il se rapportera à un prédicat personnel ou à un prédicat essentiel. Dans le premier cas ce serait une fausseté. Car on ne peut pas dire : Dieu seul est Père, puisque l'homme l'est aussi. Dans le second cas ce ne serait pas plus exact. Car si cette proposition était vraie : Dieu seul crée, il semble que celle-ci serait vraie aussi : le Père seul crée, parce que tout ce qu'on affirme de Dieu on peut l'affirmer du Père. Cependant cette dernière proposition est fausse; car le Fils est aussi créateur. On ne peut donc pas joindre le mot seul à un terme essentiel en Dieu.


Mais c'est le contraire Mais c'est le contraire. Car saint Paul dit : au roi immortel des siècles, à l'invisible, au seul Dieu (I. Tim. i, 17).

CONCLUSION. — L'expression exclusive seul peut être ajoutée à un terme essentiel en Dieu, non catégoriquement, mais syncatégoriquement, c'est-à-dire qu'il ne signifie pas que Dieu est un être solitaire, mais il sépare de lui tout autre être comme n'ayant pas ses attributs.

Il faut répondre que le mot seul peut être pris catégorématiquement ou syncatégorématiquement. On dit qu'un terme est catégorématique lorsque, joint à un suppôt, il lui impose absolument ce qu'il signifie. Tel est l'adjectif blanc joint au mot homme, comme quand on dit un homme blanc. Si le mot seul est pris dans ce sens on ne peut pas l'adjoindre à un terme essentiel en Dieu, parce qu'il établirait à l'égard de ce terme une solitude absolue, et ferait ainsi de Dieu un être solitaire, ce qui est contraire à ce que nous avons dit (art. préc.) On dit qu'un terme est syncatégoréma-tique (1) lorsqu'il implique le rapport d'ordre du prédicat au sujet, comme les mots tout, aucun. Le mot seul est pris dans ce sens lorsqu'il indique que le prédicat ne convient qu'à un sujet, et qu'il exclut tout autre de sa participation. Ainsi, quand on dit : Socrate seul écrit, on ne donne pas à entendre que Socrate soit solitaire, mais seulement qu'il n'y a personne qui écrive avec lui, bien qu'il soit au milieu d'une réunion nombreuse. Rien n'empêche que le mot seul pris dans ce sens ne soit adjoint à un terme essentiel de la Trinité divine, puisqu'alors il n'a pour objet que d'exclure tous les autres êtres de la participation des attributs de Dieu. Ainsi quand nous disons : Dieu seul est éternel, cela signifie qu'il n'y a d'éternel que lui.

(1) Un terme syncatégorématique est celui qui ne signifie rien par lui-même, et qui n'a de sens qu'autant qu'il est joint à un autre, comme les mots tout, aucun, quelqu'un. Il détermine si la proposition est universelle on particulière.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoique les anges et les saints soient toujours avec Dieu, cependant, s'il n'y avait pas plusieurs personnes divines, on pourrait dire que Dieu est seul ou solitaire. Car un être n'en est pas moins solitaire quand il est associé à des êtres d'une autre nature que la sienne.^ Ainsi on dit qu'un homme est solitaire dans un jardin quoiqu'il y ait là beaucoup de plantes et d'animaux.. On dirait de même que Dieu est solitaire au milieu des anges et des hommes qui sont avec lui, s'il n'y avait pas en lui plusieurs personnes. Ainsi donc la société des anges et des saints ne détruit pas la solitude absolue de Dieu et encore moins sa solitude relative, c'est-à-dire la solitude considérée par rapport à un prédicat quelconque.

2. II faut répondre au second, que le mot seul à proprement parler ne s'entend pas du prédicat qui est pris formellement; car il se rapporte au suppôt dans le sens qu'il exclut tout suppôt autre que celui auquel il est adjoint. Mais l'adverbe seulement, pris dans un sens exclusif, peut s'entendre du sujet et du prédicat. Car nous pouvons dire : Socrate seulement, court, c'est-à-dire il n'y en a pas d'autre qui court avec lui; et Socrate court seulement-, c'est-à-dire il ne fait rien autre chose. Ainsi on ne peut pas dire à proprement parler : le Père est seul Dieu, ou la Trinité est seul Dieu, à moins que le prédicat ne s'entende de cette manière : la Trinité est Dieu, lequel est seul Dieu ? Et dans ce sens il serait encore vrai de dire : le Père est Dieu, lequel est seul Dieu? pourvu que le relatif lequel se rapportât au prédicat et non au suppôt. Or, quand saint Augustin dit que le Père n'est pas seul Dieu, mais que la Trinité est seul Dieu, il s'exprime dans le même sens que s'il disait que ces mots de l'Apôtre au roi invisible des siècles, au seul Dieu, se rapportent non exclusivement à la personne du Père, mais à la Trinité seule.

3. Il faut répondre au troisième, que le mot seul peut être adjoint à un terme essentiel en Dieu de deux manières. Ainsi cette proposition : Dieu seul est Père, a deux sens. Car le mot Père peut s'entendre de la personne du Père et en être le prédicat. Dans ce cas la proposition est vraie; car l'homme, ni aucun autre être ne peut être la première personne de la Trinité. On peut aussi entendre par ce mot, la relation exclusivement, et alors la proposition est fausse. Car la paternité peut exister dans les autres êtres quoique ce ne soit pas de la même manière. De même cette proposition est vraie : Dieu seul crée. Mais il ne suit pas de là qu'on puisse dire : Donc le Père seul crée. Car, comme le disent les logiciens, une expression exclusive immobilise le terme auquel elle est jointe de telle sorte qu'on ne puisse pas lui substituer, par voie de conséquence, un autre suppôt. Car de cette proposition-ci : L'homme seul est un animal raisonnable et mortel, on ne peut tirer cette conséquence : Donc Socrate seul est un animal raisonnable et mortel.


Article IV. — l'expression exclusive seul peut-elle être jointe a un terme personnel dans la sainte trinité (1)?


(1) Cet article nous fait comprendre le vrai sens de ces paroles de l'Ecriture (Joan, xvii) : Ut cognoscant tu solum verum Deum.

Objections: 1.. Il semble que cette expression exclusive puisse être jointe à un terme personnel, même quand le prédicat est commun à la Trinité tout entière. Ainsi, Jésus-Christ dit en parlant à son Père : qu'ils vous connaissent seul vrai Dieu (Joan, xvii, 3). Donc le Père seul est vrai Dieu.

2.. Il est dit dans saint Matthieu : Personne ne connaît le Fils, sauf le Père (Matth, xi, 27). Ce qui signifie la même chose que si l'on disait : le Père seul connaît le Fils. Or, connaître le Fils est une chose commune à la Trinité entière. Donc, etc.

3.. L'expression exclusive seul n'exclut rien de ce qui est compris dans l'intelligence du terme auquel elle se rapporte. Elle n'exclut donc ni ce qu'il y a de général dans ce terme, ni les parties qui le composent. Car quand on dit Socrate seul est blanc, on ne pourrait pas en conclure : donc l'homme n'est pas blanc. Or, dans la Trinité une personne est comprise dans l'intelligence de l'autre: ainsi le Père est compris dans le Fils, et réciproquement. Quand on dit : le Père seul est Dieu, on n'exclut donc pas par là le Fils ou le Saint-Esprit. Donc cette manière de dire parait être exacte.

4.. L'Eglise chante : Vous seul, Jésus-Christ, êtes le Très-Haut.


Mais c'est le contraire. Cette proposition, le Père seul est Dieu, comprend deux choses ; elle signifie le Père est Dieu, et aucun autre que le Père n'est Dieu. Le dernier membre de la phrase est faux, parce que le Fils est Dieu, bien qu'il soit autre que le Père qui est Dieu. Donc cette proposition, le Père seul est Dieu, est fausse, et il en est de même de toutes les propositions semblables.

CONCLUSION. —- On ne doit pas joindre l'expression exclusive seul, à un terme personnel de la sainte Trinité quand cette expression se rapporte à un prédicat commun aux trois personnes.

Il faut répondre que quand nous disons : le Père seul est Dieu, cette proposition peut s'entendre de plusieurs manières. Si le mot seul tend à faire du Père un être solitaire, il est pris catégorématiquement, et la proposition est fausse. Mais si on prend le mot seul syncatégorématiquement, il peut emporter exclusion par rapport à la forme du sujet et signifier que celui dont la paternité n'est pas partagée et à qui elle appartient exclusivement est Dieu. Alors la proposition est vraie, et saint Augustin la développe ainsi [De Trin. lib. vi, cap. 6) : Nous disons le Père seul, non pour signifier qu'il est séparé du. Fils et du Saint-Esprit, mais pour montrer par là que les personnes qui existent simultanément avec lui ne sont pas le Père. Mais cette proposition ne s'entend pas ainsi naturellement. II faut qu'on y ajoute une explication comme celle-ci : celui qu'on appelle seul Père est Dieu. Dans son sens propre et direct cette proposition. : le Père seul est Dieu, exclut toute communauté d'attribut ou de prédicat. Ainsi elle est fausse si elle rejette le mot autre (alius) au masculin, mais elle est vraie si elle ne le rejette qu'au neutre (aliud), parce que le Fils est autre (alius) que le Père, mais il n'est pas autre chose (aliud). Et il en est de même du Saint-Esprit. Mais comme le mot seul se rapporte directement au sujet, il implique plutôt l'exclusion du mot autre pris au masculin, que l'exclusion du même mot pris au neutre. C'est pourquoi il ne faut user de cette expression qu'avec une grande réserve, et l'exposer dans son vrai sens quand on la rencontre dans les saintes Ecritures.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quand nous disons : Vous seul vrai Dieu, nous ne comprenons pas la personne du Père, mais la Trinité, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. vi, cap. 9). Ou, si nous comprenons la personne du Père, ce n'est pas à l'exclusion des autres personnes, puisqu'elles ont la même essence, et le mot seul n'exclut que le mot autre pris au neutre, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que quand oit affirme du Père quelque chose d'essentiel, on l'affirme aussi du Fils et du Saint-Esprit, à cause de l'unité d'essence. Cependant il faut savoir que dans le passage cité le mot personne n'a pas le même sens comme il semblerait que le mot aucun homme (nullus homo). Car si tel était son sens on n'aurait pu faire exception pour la personne du Père. Il s'entend en général d'après le langage ordinaire de tout être raisonnable.

3. Il faut répondre au troisième, que le mot seul n'exclut pas les choses comprises dans l'intelligence du terme auquel il est joint, quand ces choses ne diffèrent pas selon le suppôt, comme la partie et le tout (1). Mais le Fils n'est pas le même suppôt que le Père, et par conséquent il n'y a donc pas de parité (2).

(1) Ainsi, en disant que Socrate est blanc, je n'exclus pas ses parties ni son corps, parce que le tout et ses parties se rapportent an même suppôt.

(2) Par conséquent, si l'on disait que le Père seul est sage, on exclurait le Fils et le Saint-Esprit de la possession de la sagesse, ce qui est faux.

4. Il faut répondre au quatrième, que nous ne disons pas absolument que le Fils seul soit le Très-Haut, mais qu'il est seul Très-Haut avec le Saint-Esprit dans la gloire de Dieu le Père.


QUESTION XXXII. : DE LA CONNAISSANCE DES PERSONNES DIVINES.


Nous avons maintenant à nous occuper de la connaissance des personnes divines. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Peut-on connaître par la raison naturelle les personnes divines ? — 2° Peut-on admettre dans les personnes divines des notions ou des propriétés? — 3" Du nombre de ces notions. — 4° Peut-on avoir des opinions différentes à l'égard des notions?

Article I. — Peut-on connaitre par la raison naturelle la trinité des personnes divines (3)?


(3) il y a sur cette question trois sentiments. Le premier affirme que l'on peut démontrer ce mystère par la raison seule, sans te secours de la foi. Maniert Claudien a avancé cette opinion dans son livre (De statn animae, lib. il, cap. 7). 11 y a quelques auteurs modernes qui ont eu la même préention. Le second est celui de Raymond Lulle et d'Abeilard, qui prétendaient que l'intelligence , éclairée par la foi, pouvait démontrer ce dogme. Enfin, le troisième est celui que saint Thomas embrasse, ici, et que la plupart des écrivains ecclésiastiques soutiennent.

Objections: 1.. Il semble qu'on puisse connaître par la raison naturelle la Trinité des personnes divines. Car les philosophes ne sont arrivés à la connaissance de Dieu que par les lumières naturelles de la raison. Or, plusieurs d'entre eux ont parlé de là Trinité des personnes divines. Ainsi Aristote a dit [De caelo, lib. i, text. 2) : Par le nombre trois nous avons pris occasion de glorifier le Dieu unique qui possède éminemment toutes les perfections qui sont dans les êtres créés. Saint Augustin rapporte (Cont. lib. vu, cap. 9), que clans les livres des platoniciens on trouve établi par une foule de raisons que le Verbe était au commencement, qu'il était en Dieu et qu'il était Dieu, selon ces paroles de saint Jean : In principio erat Verbum, etc. Ce qui suppose qu'ils distinguaient entre elles les personnes divines. Il est dit dans la glose (Rom. i, Exool. viii), que les mages de Pharaon faillirent au troisième signe, c'est-à-dire dans la connaissance de la troisième personne de la sainte Trinité, c'est-à-dire du Saint-Esprit, ce qui indiquerait qu'ils connurent les deux premières. Enfin Trismégiste (4) a dit (Pimander, Dial. iv) : L'unité ou la monade a engendré la monade et a réfléchi son ardeur sur elle-même ; ce qui semble établir la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit. D'après toutes ces autorités il semble qu'on puisse connaître la sainte Trinité par les lumières naturelles de la raison.

(4) Le dialogue attribué à Trismégiste n'est pas authentique. 11 est maintenant reconnu qu'il a été composé au IIe siècle de l'ère vulgaire.

2.. Richard de Saint-Victor dit (De Trin. lib. i, cap. 4) : Je crois sans avoir aucun doute, parce qu'à l'appui de toutes les v érités je vois non-seulement des raisons probables, mais des arguments qu'on ne peut pas ne pas admettre (5). De là, pour prouver la Trinité, les uns ont pris leurs arguments de la bonté infinie de Dieu, qui se communique infiniment dans la procession des personnes divines. D'autres ont appuyé sur la possession du bien qui n'est une jouissance qu'autant qu'elle est partagée. Saint Augustin (De Trin. lib. x, cap. 11 et 12, et lib. ix, cap. -í) pour expliquer la Trinité des personnes s'est appuyé sur la procession du Verbe et sur celle de l'amour telles qu'elles sont en nous, et c'est son sentiment que nous avons suivi (quest. xxvii, art. 1 et 3). Donc on peut connaître la Trinité par la raison.

(5) Saint Thomas explique avec bienveillance les paroles de Hugues de Saint-Victor. Cependant, en se reportant au texte lui-même, on a de la peine à croire qu'il n'ait pas regardé la démonstration de la suinte Trinité comme possible.

3.. Il semble inutile de transmettre à l'homme par la tradition ce que sa raison ne peut connaître. Or, on ne peut pas dire inutile la tradition qui nous a fait connaître la Trinité. Donc on peut connaître la Trinité par la raison.


Mais c'est le contraire. Car saint Hilaire dit (De Trin. lib. i) : Que l'homme ne pense pas pénétrer avec son intelligence le mystère de la génération du Verbe. Et saint Ambroise dit aussi (De fid. lib. u, cap. 5) : L'esprit n'a pas d'idée, la langue n'a pas d'expression pour rendre le secret de la génération divine (1). Or, la Trinité des personnes en Dieu se distingue par l'origine de la génération et de la procession, comme nous l'avons dit (quest. xxx, art. 2). Donc puisque l'intelligence humaine ne peut arriver à la connaissance de cette origine, il s'ensuit que la raison ne peut connaître la Trinité des personnes divines.

(1) Il serait facile de multiplier sur ce point'les testes des Pères, car ils sont tous unanimes à cet égard.

CONCLUSION. — Il est impossible de parvenir par les lumières naturelles de la raison à la connaissance de la Trinité des personnes divines.

En effet nous avons prouvé (quest. xn, art. ietl2) que l'homme ne peut arriver à la connaissance de Dieu par la raison qu'au moyen des créatures. Or, les créatures mènent à la connaissance de Dieu comme les effets permettent de remonter à leur cause. La raison ne peutdonc découvrir en Dieu que ce qui lui convient nécessairement selon qu'il est le principe de tous les ôtres,et c'est sur ce fondement que nous avons établi ce que nous avons ditdeDieu(quest. xn, art. 12). Or, la puissance créatrice de Dieu est commune à toute la Trinité ; elle se rapporte conséquemment à l'unité d'essence et non à la distinction des personnes. D'où il suit que la raison peut connaître en Dieu ce qui a rapport à l'unité de son essence et non ce qui regarde la distinction des personnes. — Celui qui tente de prouver la Trinité des personnes par la raison seule compromet la foi de deux manières. 1° Il déroge à sa dignité qui consiste en ce qu'elle a pour objet des choses invisibles qui surpassent les bornes de l'intelligence humaine, d'après ces paroles de l'Apôtre : La foi a pour objet ce qui n'apparaît pas (Heb. xi, 1). Et ailleurs : Nous prêchons fa sagesse aux parfaits, non la sagesse de ce monde, ni des princes de ce siècle, mais la sagesse de Dieu qui est un mystère et qui a été cachée (I. Cor. n, 6). 2° Il nuit à la foi en empêchant les autres de se soumettre à son joug. Car quand quelqu'un pour prouver une vérité de foi emploie des raisonnements qui ne sont pas convaincants, il se fait moquer des infidèles, qui supposent que nous n'avons pas d'autres raisons que celles-là et que notre croyance repose sur de pareilles preuves. — Pour les choses de foi il ne faut pas chercher à les prouver autrement que par des autorités à ceux qui admettent cette sorte d'argumentation. A l'égard de ceux qui ne croient pas à l'autorité, on doit se borner à établir qu'il n'y a ni répugnance, ni impossibilité clans les enseignements de la foi. C'est ce qui a fait dire à saint Denis (De div. nom. cap. 2) : Si quelqu'un rejette absolument les saintes Ecritures, il est tout à fait étranger à notre enseignement, mais, s'il les admet, nous partons de leur témoignage comme d'une règle (1).

(1) Il serait à désirer que plusieurs écrivains modernes méditassent ces parûtes, afin de n'avoir jamais ia tentation d'essayer l'impossible.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les philosophes n'ont pas connu le mystère de la Trinité par ce qui est propre à chaque personne, c'est-à-dire la paternité, la filiation et la procession (2). Ainsi dans ce passage de l'Apôtre (I. Cor. n, 6): Nous vous prêchons la sagesse de Dieu qu'aucun des princes de ce monde n'a connue, la glose entend par les princes de ce monde, les philosophes. Ils ont connu néanmoins des attributs essentiels que par appropriation nous rapportons aux personnes divines, comme la puissance qui convient par appropriation au Père, la sagesse au Fils, la bonté au Saint-Esprit, ainsi que nous le prouverons plus loin. Quant à ce que dit Aristote du nombre trois, il ne faut pas en conclure qu'il établissait en Dieu le nombre ternaire. 11 a seulement voulu dire par là que les anciens faisaient usage du nombre ternaire dans les sacrifices et les prières, parce qu'ils considéraient ce nombre comme un nombre parfait. — On trouve à la vérité dans les livres des platoniciens : In principio erat Verbum, mais le Verbe ne signifie pas dans leur pensée une personne divine qui a été engendrée. Ils entendent par là la raison idéale par laquelle Dieu a tout créé ; ce qui convient par appropriation au Fils. — Bien qu'ils aient connu tous les attributs qui se rapportent par appropriation aux trois personnes, on dit cependant qu'ils ont failli au troisième signe, c'est-à-dire dans la connaissance de la troisième personne, parce qu'ils n'avaient pas en eux la bonté qui convient par appropriation au Saint-Esprit, suivant le témoignage de l'Apôtre qui dit : que connaissant Dieu ils ne l'ont pas glorifié tel qu'ils le connaissaient (Rom. i). Ou encore parce que les platoniciens admettaient un premier être qu'ils appelaient le père de tout l'univers, et qu'ensuite au-dessous de lui ils plaçaient une autre substance qu'ils disaient son intelligence ou son esprit et dans laquelle étalent renfermées les raisons des choses, comme l'expose Macrobé (Sup. Somnium Scipionis, lib. iv); mais ils ne parlaient pas d'une troisième substance séparée des deux autres qui aurait paru répondre au Saint-Esprit. Pour nous, nous ne faisons pas ainsi du Père et du Fils deux substances différentes. Cette erreur fut celle d'Origène et d'Arius, qui suivirent les doctrines platoniciennes (3). — Enfin àl'égardde Trismégiste qui a dit : la monade a engendré la monade et a réfléchi sur elle-même son ardeur, ses paroles ne se rapportent ni à la génération du Fils, ni à la procession du Saint-Esprit, mais à la production du monde. Elles signifient que Dieu, qui est un, a produit un monde unique à cause de l'amour qu'il a pour lui-même.

(2) Malgré tout ce qu'a pu faire l'érudition moderne en se livrant à l'étude des traditions anciennes , le sentiment de saint Thomas n'en est pas moins inébranlable.

(3) Telle est, en effet, la filiation de ces différentes erreurs.

2. Il faut répondre au second, qu'on peut faire deux sortes de raisonnement ou d'argumentation : 1° On peut employer le raisonnement pour prouver radicalement une chose quelconque.C'est ainsi que dans les sciences naturelles on prouve que le mouvement du ciel est uniforme dans sa marche. 2° On peut avoir recours au raisonnement, non pour prouver radicalement qu'une chose existe, mais pour faire voir qu'il y a convenance à l'admettre. Ainsi, en astrologie, on a recours aux épicycles (4) pour expliquer par cette hypothèse quelques-uns des mouvements apparents des corps célestes. Ce genre d'argumentation n'est pas démonstratif, parce qu'à cette hypothèse, on pourrait en substituer une autre qui rendrait peut-être également raison des faits qu'on veut expliquer. On peut prouver de la première manière l'existence de Dieu, son unité, sa justice, etc.,mais on ne peut prouver que de la seconde sa Trinité, c'est-à-dire que la Trinité étant admise, on ne peut produire en faveur de ce dogme que des raisons de convenance. Tel est le caractère de tous les arguments qu'on a faits à ce sujet. En effet, la bonté infinie de Dieu se manifeste dans la création, parce qu'il faut une vertu infinie pour tirer du néant quelque chose. Mais quoique Dieu se communique par sa bonté infinie, il n'est pas nécessaire (1) que ce qui procède ainsi de lui soit infini ; il suffit qu'il reçoive de la bonté divine les perfections que sa nature comporte. De même, quand on dit qu'il n'y a de jouissance dans la possession d'un bien qu'autant qu'on le partage avec un autre, on peut observer que ce principe n'est vrai que dans le cas où la bonté parfaite ne se trouve pas dans une seule et même personne. Car alors il lui est nécessaire, pour la plénitude de sa jouissance, de s'associer à un autre qui complète ce qui lui manque. — Les similitudes que nous empruntons à notre intelligence et à notre volonté ne sont pas non plus des preuves suffisantes, parce que l'intelligence qui est en nous et celle qui est en Dieu ne sont pas absolument delà même nature. C'est pourquoi saint Augustin dit [In Joan, tract. 27] que la foi mène à la connaissance, et non la connaissance à la foi (2).

(4) Cette hypothèse était celle de Ptolémée.

(1) Saint Thomas apprécie à leur juste valeur tous ces arguments.

(2) C'est aussi le principe qu'invoque saint Anselme , et dont on n'a pas toujours tenu assez comptequand on a voulu parler des rapports de la science et de la foi.

3. Il faut répondre au troisième, que la connaissance des personnes divines nous est nécessaire pour deux motifs : 1° Pour que nous ayons une juste idée de la création. Car en disant que Dieu a tout fait par son Verbe, nous échappons à l'erreur de ceux qui croient que Dieu a produit le monde nécessairement (3). Et quand nous disons qu'en Dieu il y a une procession d'amour, nous montrons par là même que Dieu n'avait pas besoin de créer le monde, et que s'il l'a créé ce n'est point qu'il y ait été contraint par une cause extérieure, il l'a fait seulement à cause de son amour. Aussi Moïse, après avoir dit : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, ajoute-t-il : Dieu dit : Que la lumière soit, pour manifester par ces paroles l'action du Verbe, et plus loin il dit : Dieu vit que la lumière était bonne, pour faire voir que le divin amour approuvait ce qui venait d'être fait. On en pourrait dire autant des autres oeuvres. 2° Cette connaissance nous est surtout nécessaire pour avoir une juste idée du salut du genre humain, qui se fait par l'incarnation du fils et les dons de l'Esprit-Saint (4).

(3) La doctrine catholique sur la Trinité est, en effet, ce qui coupe court au panthéisme et à toutes les erreurs dans lesquelles on peut tomber à propos de la création.

(4) Cet article admirable renferme la solution de tous les problèmes actuels que cette question peut soulever.


I pars (Drioux 1852) Qu.30 a.4