I pars (Drioux 1852) Qu.38 a.2

ARTICLE II. — le mot don est-il un nom   propre a l'esprit-saint (1)?


(1) L'Eglise attribue elle-même ce nom à l'Esprit-Saint, puisqu'elle nous fait chanter dans l'hymne de la Pentecôte ces paroles : Qui diceris Paracletus altissimi donum Dei.

Objections: 1.. Il semble que le mot don ne soit pas le nom propre de l'Esprit-Saint. Car on appelle don tout ce qui est donné. Or, nous lisons dans Isaïe (Is. ix, 6): Le Fils nous a été donné. Donc le mot don peut être le nom du Fils aussi bien que celui du Saint-Esprit.

2.. Tout nom qui est propre à une personne, exprime une de ses propriétés. Or, le mot don n'exprime pas une propriété de l'Esprit-Saint. Donc ce nom ne lui est pas propre.

3.. On peut dire de l'Esprit-Saint qu'il est l'esprit d'un homme. Or, on ne peut pas dire qu'ilestle don d'un homme, mais on ne peut quei'appeler le don de Dieu. Donc le mot don n'est pas le nom propre de l'Esprit-Saint.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (De Trin. lib. iv, cap. 20) : Comme naître est pour le Fils procéder du Père, de même être le don de Dieu est pour l'Esprit-Saint procéder du Père et du Fils. Donc le mot don est son nom propre.

CONCLUSION. — L'Esprit-Saint procédant en tant qu'amour, le mot don est pour lui un nom propre et personnel.

Il faut répondre que le mot don entendu clans un sens personnel est un nom propre de l'Esprit-Saint. — Pour bien comprendre cette proposition, il faut savoir que le mot don signifie, d'après Aristote (Top. lib. iv, cap. 4), dans son acception propre, une donation faite sans retour, c'est-à-dire faite sans avoir l'intention d'en retirer quelque chose. Le véritable don est par conséquent tout gratuit. Or, la raison d'une donation gratuite ne peut être que l'amour. Car nous ne donnons jamais quelque chose gratuitement à quelqu'un, que parce que nous l'aimons. Et la première chose que nous lui donnons c'est l'amour par lequel nous lui voulons du bien. D'où il est évident que l'amour est le principe du premier don duquel découlent tous les autres dons gratuits. Puisque l'Esprit-Saint procède comme amour, ainsi que nous l'avons dit (quest. xxxvii, art. I), il procède donc comme étant le premierdon -, c'est ce qui fait dire à saint Augustin (De Trin. lib. xv, cap. 24) : Par le don qui est l'Esprit-Saint viennent tous les autres dons que Dieu distribue aux membres de Jésus-Christ.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que comme le Fils, par là même qu'il procède de l'intelligence, est par sa nature semblable à son principe et est appelé l'image du Père, bien que l'Esprit-Saint soit aussi semblable au Père; de même l'Esprit-Saint procédant du Père, comme amour, est appelé don, quoique le Fils soit aussi donné. Car le Fils n'est donné que par suite de l'amour du Père, suivant cette parole de saint Jean : Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique (Joan, m, 16).

2. Il faut répondre au second, que le don doit être de celui qui donne par origine, et que par conséquent il désigne la propriété d'origine de l'Esprit-Saint qui est la procession (1).

(1) Il désigne aussi son mode de procession, c'est-à-dire qu'il indique que le Saint-Esprit procède de la- volonté, puisqu'on ne donne que par suite de l'inclination de la volonté elle-même.

3. Il faut répondre au troisième, que le don avant d'être donné n'appartient qu'à celui qui donne, mais après qu'il est donné il appartient à celui qui le reçoit. Comme le don n'implique pas une donation actuelle, on ne peut pas dire que l'Esprit-Saint soit le don de l'homme, on dit seulement que c'est le don de Dieu qui donne (2). Mais après que le don est fait, on peut dire qu'il est l'esprit de l'homme, ou le bien qui lui a été donné.

(2) On ne peut pas dire que ce soit un don de l'homme, puisque avant d'être donné il n'appartient qu'à celui qui peut le donner, c'est-à-diro à Dieu.


QUESTION XXXIX. : DES PERSONNES DIVINES CONSIDÉRÉES PAR RAPPORT À L'ESSENCE.


Après avoir traité des personnes divines d'une manière absolue, il nous reste à les considérer par rapport à l'essence, aux propriétés, aux actes notionnels et suivant les relations qu'elles ont entre elles. — En les considérant par rapport à l'essence huit questions se présentent : 1° L'essence est-elle la même chose que la personne ? — 2" Doit-on dire que les trois personnes sont d'une seule essence? — 3" Les noms qui se rapportent à l'essence peuvent-ils se dire des personnes au pluriel ou au singulier ? — 4" Les adjectifs qui expriment les notions, les verbes ou les participes peuvent-ils être joints aux noms concrets qui se rapportent à f'essence ? — 5" Peuvent-ifs être joints aux noms essentiels abstraits? — c" Les noms des personnes peuvent-ifs servir de prédicats aux noms essentiels concrets? — 7° Y a-t-il des attributs essentieis qu'on puisse approprier aux personnes divines ? — 8° Quel est l'attribut qu'on doit approprier à chaque personne ?

Article I. — dans la tiunité l'essence est-elle la même chose que la personne (3)?


(3) Cet article est une réfutation de ceux qui ont confondu les personnes et de ceux qui ont séparé leurs substances. Ceux qui ont confondu les personnes ce sont: Simon le Magicien, Valentin, Mon-tan, Praxéas, Noël, Sabellius, Paul de Samosatc, Priscillien et tous leurs partisans.On les a compris en général sous le nom de patripassiani, parce que, par suite de la confusion des personnes, ils prétendaient que le Père s'était incarné et qu'il avait souffert. Ceux qui ont séparé les substances, ce sont les manichéens qui admettaient deux principes ; les ariens, qui ne voulaient pas que le Fils fût consubstantiel au Pore; Macedonia», Marathonius, (iui faisaient du Saint-Esprit une simple créature ; les trithéites, qui admettaient trois Dieux; Roscelin, qui enseigna que les trois personnes divines étaient trois choses, comme trois anges ; l'abbé Ioachim , qui prétendait que les trois personnes ne font qu'un Dieu comme plusieurs citoyens ne font qu'un peuple.

Objections: 1.. Il semble que dans la Trinité l'essence ne soit pas la même chose que la personne. Car dans tous les êtres dont l'essence est la même chose que la personne ou le suppôt, il faut qu'il n'y ait qu'un seul suppôt pour une seule nature', ce qui se remarque évidemment dans toutes les substances séparées. En effet ,quand le suppôt et l'essence sont une seule et même chose, on ne peut multiplier le suppôt sans multiplier aussi l'essence. Or, dans la Trinité il n'y a qu'une essence et trois personnes, comme nous l'avons dit (quest. xxx, art. 2, et quest. xxviii, art. 3). Donc l'essence n'est pas la même chose que la personne.

2.. L'affirmation et la négation ne peuvent être vraies l'une et l'autre quand elles se rapportent simultanément au même sujet. Or, la négation et l'affirmation peuvent être ainsi vraies de l'essence et de la personne. Car la personne est distincte et l'essence ne l'est pas. Donc la personne et l'essence ne sont pas une seule et même chose.

3.. Un être n'est pas somnis (1) à lui-même. Or, la personne est soumise à l'essence, puisque c'est de là que lui vient le nom de suppôt ou <Xhypostase. Donc la personne n'est pas la même chose que l'essence. ¦

(1) Subjicitur. Il faut prendre tous ces mots dans toute la rigueur de leur étymologie.

Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit [De Trin. lib. vi, cap. 7) : Quand nous disons la personne du Père, nous ne disons pas autre chose que la substance du Père.

CONCLUSION. — Puisque la personne est une relation qui subsiste dans la nature divine, elle est réellement la même chose que l'essence divine, mais les personnes divines sont réellement distinguées entre elles par l'opposition de leur relation réelle.

Il faut répondre que si l'on ne perd pas de vue la simplicité de Dieu, la solution de cette question est évidente. Car nous avons prouvé (quest. m, art. 3) que la simplicité divine exige qu'en Dieu l'essence soit une même chose avec le suppôt, et nous savons au reste que pour les substances intellectuelles le suppôt n'estrien autre chose que la personne. Ce qui parait faire ici difficulté, c'est qu'on multiplie les personnes, tout en maintenant l'unité de l'essence. Comme le ditRoëce (De Trin. lib. i), de ce que la relation multiplie la trinité des personnes, il y a des auteurs qui ont supposé qu'en Dieu l'essence différait de la personne. Ils ont dit que leurs relations étaient assistantes (2), parce qu'ils n'ont considéré en elles que ce qu'elles avaient de relatif et non ce qu'elles ont de réel. — Mais nous avons prouvé (quest. xxviii, art. 2) que si les relations n'existent dans les créatures qu'accidentellement, elles sont en Dieu l'essence divine elle-même. D'où il résulte qu'en Dieu l'essence n'est pas en réalitéautre chose que la personne, bien que les personnes soient réellement distinguées les unes des autres. En effet, la personne, comme nous l'avons dit (quest. xxix, art. 4), signifie la relation en tant qu'elfe est subsistante dans la nature divine. Or, la relation comparée à l'essence n'en diffère pas réeiîement, mais rationnellement. Mais si on la compare à une relation opposée, elle en est réellement distincte par la vertu ou par la force seule de cette opposition. C'est ainsi que l'essence est une, et qu'il y a trois personnes.

(2) Gilbert de la Porrée est tombé dans cette erreur.


Solutions: 1. il faut répondre au premier argument, que dans les créatures la distinction des suppôts ne peut être fondée sur les relations; il faut qu'elle repose sur les principes essentiels, parce que les relations ne sont pas subsistantes dans les créatures. Mais en Dieu les relations sont subsistantes. C'est pourquoi, d'après l'opposition qu'elles ont entre elles, elles peuvent distinguer les suppôts. Néanmoins l'essence n'est pas pour cela distinguée, parce que les relations ne se distinguent pas entre elles d'après leur rapport avec l'essence, puisqu'elles sont en réalité une même chose avec elle.

2. Il faut répondre au second, que l'essence et la personne différant en Dieu rationnellement, il s'ensuit qu'on peut affirmer de l'une ce qu'on nie de l'autre et par conséquent dire une chose de l'une sans la dire de l'autre.

3. Il faut répondre au troisième, que nous donnons aux choses divines des noms analogues à ceux des créatures, comme nous l'avons dit (quest. mi, art. 1 et 3). Et parce que les créatures s'individualisent par la matière qui est soumise (sùbjicitur) à la nature de l'espèce, on donne aux individus les noms de sujets, de suppôts et d'hypostases. C'est pour ce motif qu'on donne aux personnes divines les noms de suppôts et d'hypostases, bien qu'il n'y ait là en réalité ni subjection, ni supposition (1).

(1) Remontez àl'étymolqgie de ces mots suf positio [sub poneret, subiectio sub iacere-, etc., vous verrez qu'ils ne peuvent être pris dans leur sens propre qu ù 1 égard des créatures, parce qu'ils supposent une substance avec des accidents, ce qui n'existe pas en Dieu.


ARTICLE II.—doit-on dire que les trois personnes sont d'une seule essence(2)?


(2) Le cinquième concile de Constantinople s'exprime ainsi [cap, 1 ) : Si quis non confitetur Pati is et Filii et Spiritus sancti unam esse naturam, sive essentiam, unam virtutem et potestatem; Trinitatem consubstantialem, unam deitatem in tribus subsistentiis sive personis adorandam ; anathema sit. L'abbé Ioachim, n'ayant admis en Dieu qu'une unité collective, a été expressément condamné par le pape Innocent 111 au concile de Latran Viii, de Sum. Trin. et fide cath.).

Objections: 1.. Il semble qu'on ne doive pas dire que les trois personnes sont d'une seule essence. Car saint Hilaire dit (DeSynod.), que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois par la substance (3). Or, la substance de Dieu est son essence. Donc les trois personnes ne sont pas d'une seule essence.

(3) Lo mot latin substantia a la même étymologie que le mot grec hipostasis; il n'est donc pas étonnant que les Pères aient souvent pris l'un pour l'autre.

2.. Il ne faut, pas, d'après saint Denis (De div. nom. cap.. 1), affirmer de Dieu ce que l'Ecriture sainte ne dit pas. Or, il n'est dit dans aucun endroit de l'Ecriture, que le Père, le Fils et l'Esprit-Saint soient d'une seule essence. Donc on ne doit pas le dire.

3.. La nature divine est la même chose que l'essence. On devrait donc se contenter de dire que les trois personnes sont d'une seule nature.

4.. On n'a pas l'habitude de dire que la personne soit de l'essence, mais plutôt que l'essence est de la personne. Donc il n'est pas convenable de dire que les trois personnes sont d'une seule essence.

5.. D'après saint Augustin (De Trin. lib. vu, cap. 6), nous ne disons pas que les trois personnes sont d'une seule essence (ex una essentia), dans la crainte qu'on ne croie que l'essence est autre que la personne. Donc, et pour le même motif, on ne peut pas dire davantage que les trois personnes sontd'une seule essence (unius essentiae) (4).

(4) Cette objection subtile repose sur la différence de ces deux locutions latines que nous ne pouvons rendre en français.

6.. Quand on parle de la Trinité on ne doit pas employer des expressions qui peuvent être une occasion d'erreur. Or, quand on dit que les trois personnes sont d'une seule essence, ou d'une seule substance, il y a là une équivoque. Car, comme le dit saint Hilaire (De Synod. can. xxvii), quand on dit que le Pére et le Fils n'ont qu'une seule substance, on peut entendre par là qu'ils ne forment qu'un seul être qui subsiste sous deux noms particuliers, ou que cette substance unique est divisée et forme deux substances imparfaites, ou une troisième substance que les deux autres se sont appropriée après l'avoir usurpée. 11 ne faut donc pas dire que les trois personnes sont d'une seule substance.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (Cont. Maxim, lib. m, cap. 14) que le mot íjmcú.oiov (l), employé contre les ariens par les Pères du concile de Nicée, signifie que les trois personnes sont d'une seule essence.

(1) La discussion entre les ariens et les catholiques s'est concentrée sur ce mot. Les Pères de Nicée employèrent te mot op.oooùvioç pour indiquer que tes ti'ois personnes sont d'une seule et même substance, et les ariens voulaient qu'on acceptat le mot oy-ato-JTtoç quin'exprimepasquela substance est la même, mais qu'elle est semblable.

CONCLUSION.— L'essence divine signifiant dans la Trinité la forme, elle est une pour les trois personnes, et on peut dire que oelles-ci sont toutesles trois d'une seule essence.

Il faut répondre que, comme nous l'avons observé (quest. xm, art. 1 et2), nous nommons les choses divines non d'après leur manière d'être, puisque nous ne pouvons les connaître ainsi, mais d'après la manière dont nous connaissons les créatures. Et parce que, dans les choses sensibles parlés-quelles nous recevons nos connaissances,la nature de l'espèce est individualisée par la matière, de telle sorte que la nature de l'espèce est la forme de l'être, et son individualité le suppôt de la forme; de même en Dieu, suivant notre manière de parler, l'essence exprime la forme des trois personnes divines. De plus, quand il s'agit des créatures nous disons que la forme est de celui en qui elle se trouve. Ainsi nous disons que la santé ou la beauté est de l'homme, mais nous ne disons pas que celui qui a une forme est de cette forme (2), à moins que nous n'ajoutions un adjectif qui désigne cette forme.Comme quand on dit, cette femme est d'une grande beauté, cet homme est d'une vertu parfaite. De même parce que dans la Trinité, en multipliant les personnes on ne multiplie pas l'essence, nous disons que l'essence est une pour les trois personnes (unam est trium personarum) et que les trois personnes sont d'une seule essence (unius essentiae) pour qu'on comprenne que'ces génitifs ne sont ainsi employés que pour désigner la forme (3).

(2) Ainsi nous disons que la beauté est de la femme, mais nous ne disons pas que la femme est de la beauté ; il faut que nous ajoutions un adjectif, et que nous disions qu'elle est d'une beauté excellente.

(3) C'est ainsi qu'en comparant l'espèce avec les individus nous disons que plusieurs suppôts sont d'une même espèce.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mot substance est pris dans ce passage par saint Hilaire pour le mot hypostase et non pour le mot essence.

2. Il faut répondre au second, que quoiqu'on ne trouve pas littéralement dans les saintes Ecritures que les trois personnes sont d'une seule essence, on y trouve lamême chose quant au sens. Ainsi il est dit : Mon Père et moi nous sommes un (Joan, x, 30); et ailleurs : Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi. On pourrait conclure la même chose d'une foule d'autres passages (ib. x, 38).

3. Il faut répondre au troisième, que la nature désigne le principe de l'acte, et qu'on peut regarder comme étant de la même nature tous les êtres qui concourent à la production d'un acte quelconque, par exemple tous les corps échauffants ; mais que l'essence vient de l'être, et qu'on ne peut dire d'une seule et même essence que les choses qui ont un seul et même être. C'est pourquoi l'unité divine est mieux exprimée quand on dit que les trois personnes sont d'une seule essence, que si l'on disait qu'elles sont d'une seule nature.

4. Il faut répondre au quatrième, que la forme absolument prise a coutume d'être exprimée comme étant de l'être qui la possède ; ainsi on dit la vertu de Pierre;.au contraire, la chose qui possède une forme n'est pas ordinairement exprimée comme ayant cette forme, sinon quand nous voulons déterminer ou désigner la formé elle-même. Dans ce cas il faut deux génitifs, dont l'un exprime la forme, et l'autre la détermine, comme quand on dit : Pierre est d'une grande vertu (magnae virtutis). Ou bien si l'on n'emploie qu'un génitif il aura la force de deux, comme si l'on dit : cet homme est un homme de sang, cela signifie un homme qui répand beaucoup de sang (multi sanguinis effusor). L'essence divine étant exprimée comme la forme par rapport à la personne, il est convenable de direl'es-sence de la personne (essentia personae), mais non réciproquement, à moins qu'on ajoute quelque chose pour la désignation de l'essence, comme dans les propositions suivantes : le Père est une personne de l'essence divine ; ou bien : les trois personnes sont d'une seule essence.

5. Il faut répondre au cinquième, que la préposition latine ex ou de ne désigne pas le rapport de la cause formelle, mais plutôt le rapport de la cause efficiente ou matérielle. Ces causes sont toujours distinctes de leurs effets. Car il n'y a pas d'être qui soit à lui-même sa matière, ni de chose qui soit à elle-même son principe producteur. Mais rien n'empêche qu' une chose ne soit à elle-même sa forme, comme on le voit clairement par tous les êtres immatériels. C'est pourquoi, par là même que nous disons que les trois personnes sont d'une seule essence (unius essentiae), en comprenant par essence la forme, nous ne donnons pas à entendre que l'essence est autre chose que la personne, mais nous le ferions croire si nous disions que les trois personnes viennent de la même essence (ex eadem essentia).

6. Il faut répondre au sixième, par ce que dit saint Hilaire lui-même (De Syn. ant. fin.), que s'il yades hommes qui pensentmaldes choses saintes,ce n'est pas une raison pour les rejeter. De même, ajoute-t-il, s'il y en a qui comprennent mal le mot óu.o&úoiov, qu'importe à moi qui l'entend bien? Et ailleurs : Il faut donc reconnaître que la substance est une, et que cette unité est propre au Fils, mais qu'elle ne provient ni d'une proportion, ni d'une union, ni d'une communion quelconque.

Article III. — les noms qui expriment l'essence divine peuvent-ils se dire des trois personnes au singulier (1)?


(1) 11 y a des théologiens qui se sont étendus très-longuement sur la manière dont on devait s'exprimer quand on parle du mystère de la sainte Trinité. Toutes les règles qu'ils donnent reviennent à celles-ci : I " il faut éviter toutes les expressions qui signifient une distinction dans la nature ou dans les attributs absolus ; 2° il faut éviter toutes les locutions qui détruiraient la distinction des trois personnes ou loin' égalité.

Objections: 1.. Il semble que les noms qui expriment l'essence divine, comme le mot Dieu, ne se disent pas des trois personnes au singulier, mais au pluriel. Car, comme le mot homme est employé pour désigner celui qui a l'humanité, de même le mot Dieu est employé pour exprimer celui qui a la déité. Or, les trois personnes ont toutes les trois la déité.Donclestroispersonnes sont trois Dieux.

2.. Il est dit dans la Genèse : Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre (Gen. i). Le mot hébreu peut être traduit par le mot Dieux (au pluriel) ou juges, et cela à cause de la pluralité des personnes. Donc les trois personnes sont plusieurs Dieux et non un seul Dieu.

3.. Le mot chose, quand on l'emploie dans un sens absolu, paraît se rapporter à la substance. Or, ce mot peut se dire au pluriel des trois personnes. Aussi saint Augustin dit (De doct. Christ, lib. i, cap. S) : Les choses dont on doit jouir sont le Père, le Fils et l'Esprit-Saint. Donc les autres noms qui expriment l'essence conviennent également au pluriel aux trois personnes.

4.. Comme le mot Dieu exprime celui qui a la déité, de même le mot personne signifie ce qui subsiste dans une nature intellectuelle. Or, nous disons qu'il y a trois personnes. Donc pour la même raison nous pouvons dire qu'il y a trois Dieux.


Mais c'est le contraire. Car il est dit au Deutéronome : Ecoute, Israel, le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique (Deut. vi, 4).

CONCLUSION. — Les substantifs qui expriment l'essence divine ne se disent des personnes qu'au singulier, mais les adjectifs ne leur conviennent qu'au pluriel.

Il faut répondre que les noms qui expriment l'essence sont des substantifs ou des adjectifs (1). Les substantifs ne se disent des personnes qu'au singulier et non au pluriel, mais les adjectifs leur conviennent au pluriel. La raison en est que les substantifs expriment la substance des êtres, et les adjectifs n'expriment que les accidents inhérents au sujet. Or, comme la substance a l'être par elle-même, elle a aussi par elle-même l'unité ou la multiplicité. Par conséquent le substantif se met au singulier ou au pluriel suivant la forme qu'il exprime. Les accidents n'ayant d'être que dans le sujet auquel ils adhèrent, ils empruntent au sujet leur unité ou leur multiplicité. C'est pourquoi les adjectifs sont mis au singulier ou au pluriel en raison de leurs suppôts. Dans les créatures il n'y a jamais une seule forme pour plusieurs suppôts, sinon par suite de l'unité d'ordre, comme la forme d'une multitude qui est ordonnée (2). De là il arrive que les noms qui expriment cette forme, si ce sont des substantifs, se disent de plusieurs individus au singulier. Par exemple, nous disons que beaucoup d'hommes forment une assemblée (collegium'), une armée ou un peuple. Mais si ces noms sont des adjectifs on les emploie au pluriel. On dira par exemple que plusieurs hommes sont assemblés (collegiali). Dans la Trinité, l'essence divine, avons-nous dit dans l'article précédent, est exprimée à la manière de la forme, qui est absolument simple et une, ainsi que nous l'avons prouvé (quest. m, art. 7, et quest. u, art. A). Par conséquent les substantifs qui expriment l'essence divine se disent des trois personnes au singulier et non au pluriel. Car la raison pour laquelle nous disons que Socrate, Platon et Cicéron sont trois hommes, et pour laquelle nous ne disons pas que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois Dieux, mais un seul Dieu, c'est que dans ces trois suppôts de la nature humaine il y a trois humanités, tandis que dans les trois personnes divines il n'y a qu'une seule essence. Mais les adjectifs qui se rapportent à l'essence se disent des trois personnes au pluriel à cause de la pluralité des suppôts. Car nous disons des trois personnes qu'elles sont existantes, sages, éternelles, incréées, infinies, en prenant adjectivement toutes ces expressions. Si on les prenait substantivement il faudrait dire avec saint Athanase qu'il n'y a qu'un seul incréé, un seul infini, un seul éternel.

(1) Les noms substantifs expriment directement la forme, et les uns se rapportent à l'essence et les autres sont communs aux trois personnes. Quand ils se rapportent à la distinction des trois personnes on peut les employer au pluriel ; mais s'ils expriment l'unité commune aux trois personnes on ne doit s'en servir qu'au singulier. Les adjectifs expriment directement le sujet et indirectement la forme; ils doivent donc être mis au pluriel ou au singulier d'après la nature des sujets.

(2) De manière à ne faire qu'une unité comme une ville, une armée, etc. C'est ce que nous appelons un nom collectif.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que bien que le mot Dieu exprime celui qui a la déité il a néanmoins un autre mode de signification. Car le mot Dieu est un substantif, et cette expression : celui qui a la déité, se prend adjectivement (3). Par conséquent, quoiqu'ils soient trois ayant la déité il ne suit pas de là néanmoins qu'il y ait trois Dieux.

(3) Les anciens Pères l'ont assez souvent prise adjectivement. Saint Justin appelle le Fils et le Saint-Esprit le second et le troisième Dieu , secundum et tertium Deum, ce qui signifie la seconde et la troisième personne qui a la déité.

2. Il faut répondre au second, que toutes les langues ont chacune leur manière particulière de s'exprimer. Ainsi comme les Grecs, à cause de la pluralité des suppôts, disent qu'il y a trois hypostases, les Hébreux mettent pour je même motif le mot QinSx au pluriel. Pour nous, nous n'employons au pluriel ni le mot Dieu, ni le mot substance, dans la crainte défaire retomber la pluralité sur la substance ou sur l'essence elle-même.

3. Il faut répondre au troisième, que le mot chose est transcendantal. Ainsi quand il se rapporte aux relations il peut être pris au pluriel, mais s'il se rapporte à la substance il doit être employé au singulier. C'est dans ce sens que saint Augustin dit que la Trinité est une chose sublime (summa res est).

4. Il faut répondre au quatrième, que la forme exprimée par le mot personne n'est ni l'essence, ni la nature, mais la personnalité. Par conséquent, puisqu'il y a trois personnalités, c'est-à-dire trois propriétés personnelles dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, elle ne se dit pas des trois au singulier, mais au pluriel.


Article IV. — les noms essentiels concrets peuvent-ils être employés pour signifier la personne (1)?


(1) Le concile de Nice1 appelle dans son symbole Jésus-Christ Deum ex Deo, lumen ex lu-mine, Deum verum ex Deo vero. Le concile de Constantinople reproduit les mêmes expressions qui se trouvent d'ailleurs dans la profession de foi que nous chantons ù la messe. Calvin s'csl moqué de ces paroles, dans lesquelles il n'a vu qu'une ridicule tautologie. Saint Thomas en explique le sens dans cet article et le ju tifie.

Objections: 1.. Il semble que les noms essentiels concrets (2) ne puissent être mis à la place d'un nom personnel de telle sorte qu'on puisse dire avec vérité : Dieu a engendré Dieu. Car, d'après les philosophes, un terme singulier a le même sens en lui-même et mis à la place d'un autre. Or, le mot Dieu semble être un terme singulier, puisqu'on ne peut l'employer au pluriel, comme nous l'avons dit clans l'article précédent. Donc, puisqu'il exprime l'essence, il semble qu'on doive le prendre pour l'essence, mais non pour la personne.

(2) On appelle noms abstraits ceux qui ne représentent qu'une vue de. l'esprit, comme l'humanité, la divinité, la bonté, etc., et on appelle noms concrets ceux qui expriment quelque chose de réel, comme Dieu, homme, bon, sage, etc.

2.. Le terme qui entredans le sujet n'est pas restreint dans sa signification par le terme qui entre dans le prédicat, il ne peut changer que par rapport au temps qu'il détermine. Ainsi quand je dis : Dieu crée, le mot Dieu se prend pour l'essence. Donc quand on dit : Dieu a engendré, le mot Dieu, en vertu du prédicat notionnel, n'a pas dû changer de sens-, il doit donc toujours se prendre pour l'essence et non pour la personne.

3.. Si cette proposition est vraie : Dieu a engendré parce que le Père engendre, cette autre proposition sera vraie aussi : Dieu n'engendre pas par la raison que le Fils n'engendre pas. Donc il y a un Dieu qui engendre et un Dieu qui n'engendre pas, et par conséquent il semble qu'il y ait deux Dieux.

4.. Si Dieu a engendré Dieu il s'est engendré lui-même ou il a engendré un autre Dieu. Or, il ne s'est pas engendré lui-même; car, d'après saint Augustin (De Trin. lib. i, cap. 1), il n'y a pas de chose qui s'engendre elle-même ; il n'a pas engendré non plus un autre Dieu, puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu. Donc cette proposition est fausse : Dieu a engendré Dieu.

5.. Si Dieu a engendré Dieu, ce Dieu engendré est Dieu le Père ou ce n'est pas lui. Si c'est Dieu le Père, il s'ensuit que Dieu le Père a été engendré; si ce Dieu n'est pas Dieu le Père, il s'ensuit qu'il y a un Dieu qui n'est pas Dieu le Père, ce qui est faux. Donc on ne peut pas dire que Dieu a engendré Dieu.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans le Symbole que le Fils est Dieu de Dieu (Deum de Deo).

CONCLUSION. — Les noms essentiels concrets sont pris tantôt pour l'essence, tantôt pour une seule personne et tantôt pour les trois personnes ensemble, suivant qu'on leur adjoint un nom qui se l'apporte à l'essence ou à la personne.

Il faut répondre que les uns ont dit que le mot Dieu et les autres noms semblables se prennent à proprement parler pour l'essence, mais que quand on y ajoute un terme notionnel ils désignent la personne. Cette opinion paraît fondée sur la simplicité divine qui exige qu'en Dieu ce qu'il a et ce qu'il est soient une seule et même chose, de telle sorte que le met Dieu qui signifie celui qui a la déité est la même chose que la déité elle-même. — Mais pour la propriété des termes il ne faut, pas seulement avoir égard à la chose signifiée, mais encore à la manière de la signifier. C'est pourquoi, le mot Dieu signifiant l'essence divine dans celui qui la possède, comme le mot homme signifie l'humanité dans un suppôt, d'autres ont dit avec plus de raison que le mot Dieu, d'après son mode de signification, pouvait être aussi employé pour exprimer une personne divine, comme on emploie le mot homme pour désigner une personne humaine. Par conséquent, quelquefois le mot Dieu est pris pour l'essence ; par exemple quand on dit : Dieu crée, parce que le prédicat convient au sujet en raison de la forme signifiée qui est la déité.Quelquefois aussi il se prend pour la personne. Il s'entend d'une seule personne quand on dit : Dieu engendre; il s'entend de deux si l'on dit : Dieu spire; il s'entend des trois quand on dit : A l'immortel roi des siècles, à l'invisible, au seul Dieu (I. Tim. i, 17).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoique le mot Dieu soit de même nature que les termes singuliers, parce que la forme qu'il exprime n'est pas multiple, il s'accorde aussi avec les termes communs en ce que cette forme existe dans plusieurs suppôts. C'est pour ce motif qu'on n'est pas obligé de le prendre toujours pour l'essence qu'il exprime.

2. Il faut répondre au second, que cette objection attaque ceux qui disaient que le mot Dieu ne peut naturellement s'entendre de la personne.

3. Il faut répondre au troisième, que quand le mot Dieu est pris pour la personne, il s'entend autrement que le mot homme. En effet, la forme exprimée par le mot homme, c'est-à-dire l'humanité , est réellement divisée en des suppôts différents, par conséquent ce mot désigne par lui-même la personne quand même on n'y ajouterait rien pour déterminer que c'est à une personne ou à un suppôt distinct qu'il se rapporte. L'unité ou la communauté de la nature humaine n'existe pas en réalité, elle n'existe que spéculativement. C'est pourquoi le mot homme n'est pris pour la nature en général que quand on y ajoute quelque chose qui indique ce sens, comme quand on dit, par exemple, l'homme est une espèce. Mais la forme exprimée par le mot Dieu, c'est-à-dire l'essence divine, est en réalité une et commune. C'est ce qui fait que par lui-même le mot Dieu se prend pour la nature en général, et qu'il faut y joindre quelque chose si on veut l'entendre de la personne. Ainsi, quand on dit Dieu engendre; l'acte notionnel exprimé dans cette proposition nous fait comprendre que le mot Dieu est ici pour la personne du Père. Mais quand nous disons : Dieu n'engendre pas; il n'y a point ici d'addition qui détermine que le mot Dieu se rapporte àla personne du Fils,et cette proposition nousdonne à entendre que la génération répugne à la nature divine. Mais si on ajoute à la proposition un mot qui se rapporte à la personne du Fils, elle deviendra vraie et elle sera ainsi conçue : Dieu engendré n'engendre pas. Il ne suit pas de là qu'il y a un Dieu qui engendre et un Dieu qui n'engendre pas ; ces deux propositions ne sont vraies qu'autant que le mot Dieu se rapporte aux personnes, et alors elles reviennent à celles-ci : Le Père est Dieu et il engendre, le Fils est Dieu et il n'engendre pas. On ne peutconclure de là qu'ily ait plusieurs Dieux, puisque, comme nous l'avons dit dans l'article précédent, le Père et le Fils sont un seul Dieu.

4. Il faut répondre au quatrième, que cette proposition : le Père s'est engendré Dieu [Pater genuit se Deum ) est fausse, parce que le mot se étant réciproque, se rapporte au même suppôt. Saint Augustin n'est pas contraire à notre sentiment quand il dit à Maximin : Dieu a engendré un autre lui-même (Deus Pater genuit alterum se), parce que lemotse peut être pris àl'a-blatif,et la proposition signifie qu'il a engendré un autre que lui-même (alterum à se), ou bien il adésigné par là que du Père au Fils il n'y avait qu'une simple relation pour les distinguer, mais qu'ils avaient l'un et l'autre la même nature. Toutefois c'est une locution impropre et emphatique pour dire qu'il a engendré un autre qui lui est parfaitement semblable. Cette proposition est également fausse : il a engendré un autre Dieu, parce que, quoique le Fils soit autre que le Père, comme nous l'avons dit (quest. xxxi, art. 2), on ne doit cependant pas dire qu'il est un autre Dieu, parce qu'on comprendrait que l'adjectif autre désigne un Dieu particulier différent de celui que son substantif Dieu exprime, et qu'il établit ainsi une distinction dans la déité. Il y en a cependant qui tolèrent cette locution : le Père a engendré un autre Dieu, mais ils entendent le motautre substantivement, ety joignent le mot Dieu par apposition. Mais cette façon de parler est impropre, et on doit l'éviter dans la crainte qu'elle ne soit une occasion d'erreur.

5. Il faut répondre au cinquième, que cette proposition est fausse : Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le Père, parce que le mot Père joint par apposition au mot Dieu restreint sa signification, et fui fait désigner fa personne du Père, de sorte que le sens de la proposition est celui-ci : il a engendré Dieu qui est le'Père, ce qui signifierait que ie Père a été engendré ; ce qui est faux. Mais fa négative est vraie : Il a engendré Dieu qui n'estpas Dieu le Père. Si cependant le mot Père et le mot Dieu n'étaient pas placés l'un à côté de l'autre, et qu'il y eût entre eux une intercallation, alors ce serait au contraire la proposition affirmative qui serait vraie et la négative qui serait fausse, de telle sorte que le sens de la proposition serait celui-ci : Il a engendré Dieu, lui qui est Dieu, lui qui est Père; mais cette explication est forcée. Il vaut mieux dire simplement que la proposition affirmative doit être rejetée, et fa négative accordée. Le théologien Praepositivus a cependant dit que la préposition négative est aussi fausse que l'affirmative, parce que le relatif qui peut se rapporter dans l'affirmative au suppôt, tandis que dans la négative il se rapporte à l'essence et au suppôt. D'après cette interprétation le sens de l'affirmative serait qu'il, convient à la personne du Fils d'être Dieu le Père, et le sens de la négative que non-seulement la personne du Fils n'est pas Dieu le Père, mais que sa divinité ne l'est pas non plus. Mais cette interprétation semble déraisonnable, puisque, d'après Aristote (Periher. lib. n, cap. ult.), la chose même qui est l'objet d'une affirmation peut être l'objet d'une négation.



I pars (Drioux 1852) Qu.38 a.2