I pars (Drioux 1852) Qu.42

QUESTION XLII. de l'égalité et de la ressemblance réciproques des personnes divines.


Nous avons ensuite à nous occuper du rapport que les personnes ont entre elles. Ces rapports comprennent : 1° l'égalité et la ressemblance, 2" la mission. — Sur le premier point six questions se présentent : 1° L'égalité existe-t-elle entre les personnes divines? — 2° La personne qui procède est-elle éternelle comme son principe? — 3" Y a-t-il un ordre dans les personnes divines ? — 4" Les personnes divines sont-elles égales en grandeur ? — 5° L'une d'elles est-elle dans l'autre ? — 6° Sont-elleségales en puissance ?

ARTICLE I. — y a-t-il égalité entre les personnes divines (1)?


(1) L'égalité des personnes divines est de foi. Elle a été définie contre Arius qui disait que le Fils était moindre que le Père, qu'il était en lui comme un petit vase dans un grand, qu'il n'était pas de même substance que lui, que c'était une simple créature; contre Macédonins qui niait la divinité de l'Esprit-Saint ; en un mot, contre tous les sectaires qui ont attaqué d'une manière ou d'une autre le dogme de la sainte Trinité. Ce dogme est parfaitement exprimé dans le symbole de saint Atbanase où l'on trouve ces paroles : In hac Trinitate nihil prius aut posterius, nihil majus aut minus, sed tolae tres personae coaeler-nae sibi sunt et cooequales. On trouve la même vérité définie expressément par le pape Damaso (Epist, ad Paulinam, con.21 etseq.),parle pape Innocent III au concile de Latran [De sum. Trin. et fid. cath\par le ve concile de Constantinople (can. 1),etc., etc.

Objections: 1.. Il semble qu'il n'y ait pas égalité entre les personnes divines. Car l'égalité n'existe qu'autant qu'il y a même quantité, comme le dit Aristote (Met. lib. v, text. 20). Or, dans les personnes divines il n'y a ni la quantité continue intrinsèque qu'on appelle grandeur, ni la quantité extrinsèque qu'on appelle lieu et temps. Il n'y a pas non plus égalité entre elles d'après la quantité discrète (2), parce que deux personnes sont plus qu'une seule. Donc l'égalité n'existe pas entre les personnes divines.

(2) Discreta ou discontinue.

2.. Les personnes divines sont d'une seule essence, comme nous l'avons dit (quest. xxxix, art. 2). L'essence est signifiée à la manière de la forme. Or, l'accord dans la forme ne produit pas l'égalité, mais la ressemblance. Donc on doit dire qu'il y a ressemblance entre les personnes divines, mais non égalité.

3.. Quand il y a égalité entre des êtres ils sont égaux réciproquement, d'après ce principe que deux choses qui sont égales à une même troisième sont égales entre elles. Or, on ne peut pas dire que les personnes divines soient égales entre elles. Car, d'après saint Augustin (De Trin. lib. vi, cap. 10), l'image, si elle reproduit parfaitement celui qu'elle représente, lui est égale, mais non réciproquement. Or, l'image du Père est le Fils ; par conséquent, d'après ce raisonnement, le Fils ne lui est pas égal. Donc il n'y a pas égalité entre les personnes divines.

4.. L'égalité est une relation. Or, il n'y a pas de relation qui soit commune à toutes les personnes, puisque c'est d'après les relations que les personnes se distinguent. Donc l'égalité ne convient pas aux personnes divines.


Mais c'est le contraire. Car saint Athanase dit que les trois personnes sont égales et coéternelles.

CONCLUSION. — Puisque dans les personnes divines il n'y a qu'une seule essence, il faut nécessairement qu'il y ait égalité entre elles.

Il faut répondre qu'il est nécessaire d'admettre qu'il, y a égalité entre les personnes divines. Car, d'après Aristote (Met. lib. x, text. 15,16,17), l'égalité existe là où il n'y a ni plus petit, ni plus grand. Or, en Dieu il n'y a ni plus petit, ni plus grand. Car, comme le dit Boëce (De Trin.), il n'y a de différence dansla Trinité que pour ceux qui, à l'exemple des ariens, augmentent ou diminuent la valeur des personnes, et qui, en graduant ainsi les nombres, divisent la Trinité et la perdent dans la pluralité. D'ailleurs les choses inégales ne peuvent avoir numériquement la même quantité. En Dieu la quantité n'est pas autre chose que son essence. Par conséquent s'il y avait clans les personnes divines de l'inégalité, il n'y aurait pas une seule essence, et les trois personnes ne formeraient pas un seul Dieu ; ce qui est impossible. Il faut donc admettre qu'il y a égalité dans les personnes, divines.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il y a deux sortes de quantité. L'une qui est la quantité de mesure ou de dimension : elle n'est applicable qu'aux choses corporelles, et il ne peuteonséquemment en être question quand il s'agit des personnes divines. L'autre est la quantité virtuelle qui s'apprécie en raison de la perfection de la nature ou de la forme des êtres. On parle de cette quantité quand on dit qu'un être est plus ou moins chaud et qu'il conserve plus ou moins parfaitement tel ou tel degré de chaleur. Cette quantité virtuelle peut se considérer d'abord radicalement, c'est-à-dire dans la perfection elle-même de la forme ou de la nature de l'être. On lui donne alors spécialement le nom de grande; c'est ainsi qu'on dit de la chaleur qu'elle est grande en raison de sa perfection et de son intensité. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De Trin. lib. vi, cap. 18) que dans les choses qui ne peuvent s'apprécier par le volume on donne le nom de grandes à celles qui valent le mieux ; et celles qui valent le mieux sont les plus parfaites. On peut considérer en second lieu la quantité virtuelle dans les effets que la forme produit. Or, le premier effet de la forme c'est l'être ; car toute chose a l'être d'après sa forme. Le second est l'action, car tout agent agit par sa forme. La quantité virtuelle s'apprécie donc et d'après l'être et d'après l'action. D'après l'être, dans le sens que les choses qui sont d'une nature plus parfaite sont d'une plus grande durée; d'après l'action, parce que celles qui ont la meilleure nature ont plus de puissance pour agir. Ainsi donc, d'après saint Augustin (Lib. de fide ad Petr. cap. 1), il y a égalité dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, parce qu'aucune des personnes ne l'emporte sur l'autre ni pour l'éternité, ni pour la grandeur, ni pour la puissance.

2. Il faut répondre au second, que quand on considère l'égalité au point de vue de la quantité virtuelle , l'égalité n'implique pas seulement la ressemblance, mais quelque chose de plus, parce qu'elle exclut toute supériorité. Ainsi on peut dire semblables tous les êtres qui ont la même forme, bien qu'ils participent inégalement à cette forme. C'est ainsi qu'on dit que l'air est semblable au feu pour la chaleur. Mais on ne peut pas dire que deux choses sont égales, si l'une participe à la forme plus parfaitement que l'autre. La nature du Père et du Fils étant non-seulement une, mais également parfaite dans l'un et l'autre, nous ne disons pas seulement que le Fils est semblable à son Père pour échapper à l'erreur d'Eunomius, mais nous ajoutons qu'il lui est égal pour ne pas tomber dans celle d'Arius (i).

(1) Eunomius disait que le Fils est dissemblable au Père, en grec ávó/j.oio:, et'ses partisans furent appelés pour ce motif anomiens. Au lieu de faire du Verbe une personne il en faisait une qualité, un attribut de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, que l'égalité ou la ressemblance entre les personnes divines peut s'exprimer de deux manières, par des noms et par des verbes. Quand on l'exprime par des noms, l'égalité et la ressemblance sont réciproques. Car le Fils est égal et semblable au Père etréciproquement. Il en est ainsi parce que l'essence divine n'est pas plus au Père qu'au Fils ; par conséquent, comme le Fils a la grandeur du Père, qui consiste à lui être égal, de même le Père a la grandeur du Fils qui consiste pareillement en ce qu'il est égal à lui. A l'égard des créatures, comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. 9), il n'y a pas ainsi réciprocité d'égalité et de ressemblance. Car on dit que les effets sont semblables aux causes, parce qu'ils ont la forme des causes qui les produisent. Mais il n'y a pas réciprocité, parce que la forme est principalement dans la cause et n'est que secondairement dans l'effet. Les verbes expriment l'égalité avec mouvement. Bien qu'il n'y ait pas mouvement en Dieu, cependant l'une des personnes reçoit de l'autre. Ainsi le Fils reçoit du Père; ce qui fait qu'il lui est égal, et non réciproquement. C'est pourquoi nous disons que le Fils égale le Père, mais non que le Père égale le Fils (2).

(2) Filius cooequatur Patri, et non e converso.

4. Il faut répondre au quatrième, que dans les personnes divines il n'y a que deux choses à considérer, l'essence qui leur est commune et la relation qui les distingue. Or, l'égalité suppose ces deux choses, savoir : la distinction des personnes, puisqu'on ne peut pas dire d'un être qu'il est égal à lui-même, et l'unité de l'essence, puisque les personnes ne peuvent être égales entre elles qu'autant qu'elles sont d'une seule et même grandeur, d'une seule et même essence. Or, il est évident que la même chose ne se rapporte pas à elle-même par une relation réelle. Il ne. peut pas se faire non plus qu'une relation se rapporte à une autre relation parle moyen d'une troisième relation. Car, quand nous disons que la paternité est opposée à la filiation, cette opposition n'est pas une relation intermédiaire entre la paternité et la filiation, parce que de part et d'autre il faudrait multiplier les relations à l'infini. C'est pourquoi l'égalité et la ressemblance dans les personnes divines n'est pas une relation réelle distincte des relations personnelles. Mais elle renferme en elle-même et les relations qui distinguent les personnes et l'unité de l'essence. C'est pour ce motif que le Maître des sentences dit (xxxi, dist. 1) : L'égalité n'établit qu'une relation purement nominale (1).

(1) Par conséquent l'égalité du Père et du Fils n'est pas une relation ou une notion, mais c'est l'unité et l'identité de leur nature. Voiries Comment, de saint Thomas sur Pierre Lombard (Distr. xxxi, quest. 1, art. 1).


ARTICLE II —  LA PERSONNE QUI PROCÈDE  EST-ELLE  COÉTERNELLE A SON PRINCIPE DE TELLE SORTE QUE LE FILS SOIT COÉTERNEL AU PÈRE (2)?


(2) Cet article est une réfutation de l'hérésie d'Arius et de tous les sectaires qui ont nié la divinité du Verbe. On peut leur opposer les passages suivants de l'Ecriture : Dominus possedit me ab initio viarum suarum (Sap. cap. 8 et 9) ; Et tu Dethleem (\'id. Mich: v,2) ; la comparaison quo fait saint Paul du Christ avec Melchisedech (ïleb. c. G et 7) ; Quod fuit ab initio, etc. (Joan, ep. I, cl, v. I et seq.) ; Ego sum A ei il (). Tous les conciles qui ont défini que le Fils était Dieu ont par là même proclamé qu'il était coéternel à son Père.

Objections: 1.. Il semble que la personne qui procède ne soit pas coéternelle à son principe, que le Fils, par exemple, ne soit pas coéternel au Père. Car Arius assigne douze modes de génération. Le premier mode est celui par lequel le point engendre la ligne ; dans ce cas il n'y a pas égalité de simplicité entre le générateur et l'engendré. Le second est le mode d'après lequel le soleil projette ses rayons. Il n'y a pas ici égalité de nature. Le troisième est le mode par lequel un sceau produit son cachet ou son empreinte ; il n'y a alors ni consubstantialité, ni transmission de puissance. Le quatrième est le mode par lequel Dieu émet un effet suivant sa bonne volonté ; il n'y a pas non plus clans cette circonstance consubstantialité. Le cinquième mode est celui d'après lequel l'accident procède de la substance; l'accident manque cette fois d'une subsistance ou d'un suppôt. Le sixième consiste à abstraire de la matière l'espèce ; c'est ainsi que les sens reçoivent d'une chose sensible l'image ou l'espèce qu'ils transmettent à l'esprit : il n'y a pas là égalité de simplicité spirituelle. Le septième est le mouvement que la pensée imprime à la volonté ; ce mouvement n'est que temporel. Le huitième consiste dans une transformation ; c'est ainsi qu'avec de l'airain on fait une image. Cette transformation est purement matérielle. Le neuvième est le mouvement qui vient d'un moteur ; là il y a effet et cause. Le dixième consiste à déduire les espèces du genre; ce mode ne convient pas à la Trinité, parce que le Père n'est pas au Fils ce que le genre est à l'espèce. Le onzième est purement idéal ; c'est ainsi que l'arc extérieur provient d'un arc intérieur que l'esprit a préalablement conçu. Le douzième est déterminé par la naissance ; c'est de cette manière que le Fils vient du Père; il suppose priorité et postériorité de temps. Il est donc manifeste qu'il n'est aucun de ces modes qui nous offre égalité de nature, ou égalité de durée. Si le Fils vient du Père, il faut donc qu'il soit plus petit que le Père, ou qu'il lui soit postérieur, ou même qu'il soit l'un et l'autre.

2.. Tout ce qui vient d'un autre a un principe (3). Or, ce qui est éternel n'a point de principe. Donc le Fils n'est pas éternel, ni le Saint-Esprit non plus.

3.. Tout ce qui se corrompt cesse d'être. Donc tout ce qui est engendré commence d'être, car il est engendré pour qu'il existe. Or, le Fils a été engendré par le Père. Donc il a commencé d'être, et par conséquent il n'est pas coéternel au Père.

(3) On joue ici sur le mot latin principium, qui signifie tout à la fois principe et commencement.

4.. Si le Fils a été engendré parle Père, ou il est toujours engendré, ou il faut déterminer l'instant de sa génération. S'il est toujours engendré, il s'ensuit qu'il est toujours imparfait; car un être .par là même qu'il est en état d'être engendré est imparfait, comme on le voit dans les choses nécessaires qui sont toujours en voie d'être faites (4), comme le temps et le mouvement. Comme on ne peut dire que le Fils soit imparfait, il faut donc reconnaître qu'il y a un instant où il fut engendré. Donc avant cet instant il n'existait pas.

(4) Quae sunt semper in fieri, et qui par conséquent ne sont jamais à leur terme (non sv.nl facta aut perfecta).


Mais c'est le contraire. Car saint Athanase dit dans son Symbole que les trois personnes sont toutes les trois coéternelles l'une à l'autre.

CONCLUSION. — Puisque le Père engendre le Fils non par sa volonté, mais par sa nature qui est parfaite de toute éternité et qu'if n'y a dans l'acte de cette génération rien de successif, le Fils fui est coéternei.

Il faut répondre que le Fils est nécessairement coéternei au Père. Pour s'en convaincre il faut observer que tout ce qui procède d'un principe peut lui être postérieur de deux manières, et quant à l'agent et quant à l'action. i" Quant à l'agent il faut distinguer les agents volontaires et les agents naturels. Les agents volontaires choisissent leur temps pour agir. Ainsi comme il est au pouvoir d'un agent volontaire de choisir la forme qu'il veut donner à l'effet qu'il produit, suivant ce que nous avons dit (quest. xli, art. 2), de même il est aussi en son pouvoir de choisir le temps où il veut le produire. Mais les agents naturels n'agissent dans un temps donné que parce qu'ils n'ont pas dès le commencement la vertu ou la perfection nécessaire pour agir, et qu'ils ne la reçoivent qu'après une certaine période de durée. Ainsi l'homme ne peut pas engendrer dès le commencement de son existence. 2° Quant à l'action, ce qui empêche l'être qui procède d'exister en même temps que son principe, c'est que l'action est successive. Par conséquent en supposant qu'un agent commence à agir aussitôt qu'il existe, si l'action est successive l'effet n'existera pas à l'instant même, il ne datera que de l'instant où l'action sera terminée. Or, d'après ce que nous avons dit (quest. préc. art. 2), il est évident que le Père n'engendre pas le Fils par sa volonté, mais par sa nature. Nous avons également démontré que la nature du Père a été parfaite de toute éternité, et que l'action par laquelle il produit son Fils n'est pas une action successive, parce que si le Fils de Dieu était engendré par une action successive, sa génération serait matérielle et elle supposerait du mouvement; ce qui est impossible. Il reste donc à dire que le Fils a existé tant que le Père a existé, et par conséquent le Fils est coéternei au Père et l'Esprit-Saint est également coéternei à l'un et l'autre.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin [De verbis Domini, sermo 38), il n'y a pas dans les créatures un mode de procession qui représente parfaitement la génération divine. Il faut donc-avoir recours à plusieurs espèces de comparaison afin que ce qui manque à l'une soit suppléé par ce qui se trouve dans l'autre. C'est pourquoi il est dit au concile d'Ephèse : que la splendeur vous montre que le Fils existe coéternellement au Père, que le Verbe vous représente l'impassibilité de sa naissance, et que le nom de Fils vous donne une idée de sa consubstantialité. Cependant, de toutes les comparaisons celle qui le représente le mieux, c'est la comparaison tirée du Verbe qui procède de l'entendement. Car le Verbe n'est postérieur à son principe que quand il s'agit d'une intelligence qui passe de la puissance à l'acte, ce qui ne peut se dire de Dieu.

2. Il faut répondre au second, que l'éternité exclut le principe de durée, mais non le principe d'origine.

3. Il faut répondre au troisième, que toute corruption est un changement; c'est pourquoi tout ce qui se corrompt commence à n'être pas et cesse d'être. Mais la génération divine n'est pas un changement, comme nous l'avons dit (quest. xxvii, art. 2). Par conséquent le Fils est toujours engendré et le Père engendre toujours. -

4. Il faut répondre au quatrième, que dans le temps ce qui est invisible, c'est-à-dire l'instant, est autre chose que ce qui dure, c'est-à-dire le temps; mais dans l'éternité ie maintenant ou le mêment actuel est invisible et existe toujours, comme nous l'avons dit (quest. x, art. 4). Or, la génération du Fils n'existe ni dans le mêment actuel du temps, ni dans le temps en général, mais dans l'éternité. C'est pourquoi, pour exprimer la présence constante et la permanence de l'éternité, on peut dire avec Origène qu'il naît toujours (Orig. Hom. in cap. 1 Joan.). Mais il vaut mieux dire avec saint Grégoire et saint Augustin qu'il est toujours né, de telle sorte que le mot toujours désigne la permanence de l'éternité, et le mot né la perfection de celui qui est engendré. On ne peut donc pas dire que le Fils est imparfait, ni qu'il n'était pas quand il n'était pas, comme l'a dit Arius.


ARTICLE III. — y a-t-il un ordre de nature entre les personnes divines (1)?


(1) La foi nous défend de confondre les personnes , et cependant nous ne devons admettre aucune priorité ni aucune inégalité entre elles Neque confundentes personas.... in hdc Trinitate nihil prius aut posterius, nihil majus aut minus, est-il dit dans le Symbole de saint Athanase. Pour qu'il n'y ait pas confusion dans les personnes il faut donc admettre entre elles un ordre, et pour qu'il n'y ait pas de priorité il faut que cet ordre soit seulement un ordre d'origine ou de nature, ce qui revient au même.

Objections: 1.. Il semble qu'il n'y ait pas dans les personnes divines un ordre de nature. Car tout ce qui existe dans la Trinité, est ou essence, ou personne, ou notion. L'ordre de nature ne signifiant ni l'essence, ni une des personnes ou des notions, il ne peut donc exister entre les personnes divines.

2.. Partout où il y a un ordre de nature un être est avant l'autre, au moins selon la nature et la raison. Or, dans la Trinité il n'y a ni avant ni après, comme le dit saint Athanase (in Symbol.). Donc dans la Trinité il n'y a pas d'ordre de nature.

3.. Tout ce qui est ordonné est distingué. Or, en Dieu la nature ne se distingue pas. Donc elle ne s'ordonne pas non plus, et il n'y a pas d'ordre de nature.

4.. La nature divine est son essence. Or, on ne dit pas dans la Trinité que l'essence soit ordonnée. Donc la nature ne l'est pas non plus.


Mais c'est le contraire. Car partout où il y a pluralité sans ordre, il y a confusion. Or, d'après saint Athanase, il n'y a pas confusion dans les personnes divines. Donc il y a un ordre.

CONCLUSION. — Nous devons nécessairement reconnaître dans la Trinité un ordre de nature, puisque nous y reconnaissons un principe d'origine sans priorité.

Il faut répondre que le mot ordre s'emploie toujours comparativement à un principe quelconque. Par conséquent il y a autant d'espèces d'ordre qu'il y a d'acceptions diverses du mot principe. Or, ces acceptions sont nombreuses. Ainsi le point reçoit le nom de principe par rapport à l'espace, l'axiome reçoit le même nom par rapport à l'intelligence en matière de démonstration ; chaque cause est appelée de la sorte par rapport à ses effets. Dans la Trinité il y a un principe d'origine sans priorité, comme nous l'avons dit (quest. xxxiii, art. 1, ad 3). Il faut donc aussi y reconnaître un ordre d'origine sans priorité (2), et c'est cet ordre que saint Augustin appelle ordre de nature (Lib. cont. Maxim, cap. 4), en ajoutant que cet ordre n'implique pas que l'une des personnes soit antérieure à l'autre, mais que l'une procède de l'autre.

(2) Scot dit que le Père a sur le Fils une priorité d'origine ; mais il n'y a entre lui et saint Thomas qu'une dispute de mots. Et il faut d'ailleurs s'en tenir au langage du docteur angélique, parce qu'il prête moins le flanc à l'erreur.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'ordre de nature signifie en général, mais non en particulier la notion d'origine.

2. Il faut répondre ausecond, que dans les créatures, quoique ce qui procède d'un principe soit égal en durée à ce principe, cependant le principe est antérieur, naturellement et rationnellement, si on le considère en lui-même. Mais si on considère les relations elles-mêmes de cause et d'effet, de principe et de conséquence, il est évident que les relatifs existent en même temps naturellement et rationnellement, puisque l'un est compris dans la définition de l'autre. Or, dans la Trinité les relations elles-mêmes sont les personnes subsistantes dans une seule et même nature. Par conséquent, soit qu'on la considère dans sa nature, soit qu'on la considère dans ses relations, une personne ne peut être antérieure à l'autre ni naturellement, ni rationnellement.

3. Il faut répondre au troisième, que l'ordre de nature ne signifie pas que la nature elle-même est ordonnée, mais seulement qu'il y a dans les personnes divines un ordre qui résulte de leur origine naturelle.

4. Il faut répondre au quatrième, que la nature implique en quelque sorte l'idée de principe, mais qu'il n'en est pas de même de l'essence. C'est pourquoi l'ordre d'origine est mieux appelé l'ordre de nature que l'ordre d'essence.


ARTICLE IV. — le fils est-il égal au père en grandeur (1) ?


(1) La grandeur est prise iei pour la perfection en général. Cet article est donc dirigé contre ceux qui admettaient dans la Trinité plusieurs degrés. C'est ainsi que l'un d'eux prétendait que le Père est infiniment bon, que le Fils est bon au premier degré et le Saint-Esprit au second. Grégoire ff a condamné cette erreur.

Objections: 1.. Il semble que le Fils ne soit pas égal au Père en grandeur. Car le Fils dit lui-même dans saint Jean : Mon Père est plus grand que moi (Joan, xiv, 28). Et saint Paul dit aussi: Le Fils sera soumis à celui qui s'est sotemis toutes choses (I. Cor. xv, 28).

2.. La paternité appartient à la dignité du Père. Or, la paternité ne convient pas au Fils. Donc le Fils n'a pas autant de dignité que le Père, et par conséquent il ne lui est pas égal en grandeur.

3.. Partout où il y a un tout et des parties, plusieurs parties forment quelque chose de plus grand qu'une seule ou qu'un moindre nombre. Ainsi trois hommes sont quelque chose de plus grand qu'un seul homme ou que deux. Or, dans la Trinité il semble qu'il y ait un tout général et des parties. Ainsi la relation ou la notion renferme plusieurs notions. Et puisque dans le Père il y a trois notions, tandis que dans le Fils il n'y en a que deux, il semble que le Fils ne soit pas égal au Père.


Mais c'est le contraire. Car comme le dit saint Paul : Le Fils n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu (Phil, u, 6).

CONCLUSION. — Il est nécessaire que le Fils soit égal au Père en grandeur puisqu'il reçoit toute la perfection de la nature du Père.

Il faut répondre qu'il est nécessaire que le Fils soit égal au Père en grandeur. Car la grandeur de Dieu n'est rien autre chose que la perfection de sa nature. Or, il est de l'essence de la paternité et de la filiation, que le Fils possède la même perfection de nature que le Père et réciproquement. Mais la génération humaine n'étant qu'un changement par lequel l'être engendré passe de la puissance à l'acte, le fils issu de l'homme n'est pas égal à son père. II le devient seulement par un développement de croissance qui ne peut être arrêté que par un vice dans le principe de la génération elle-même. Or, il est évident d'après ce que nous avons dit (quest. xxxiii, art. 2 et 3), que dans la Trinité il y a réellement et véritablement paternité et filiation. On ne peut pas dire que la vertu du Père soit sujette à quelque défaut dans l'acte de la génération, ni que le Fils de Dieu n'arrive à sa perfection que successivement et par une série de changements. On est donc forcé d'avouer que de toute éternité il a été égal au Père en grandeur. C'est ce que saint Hilaire exprime de cette manière (De Syn. lib.). Otêz les infirmités corporelles, ôtez le commencement de la conception, ôtez les douleurs de l'enfantement et toutes les nécessités humaines, et le fils est par sa naissance naturelle l'égal de son père, parce qu'il est la ressemblance même de sa nature.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ces paroles s'entendent de la nature humaine du Christ, selon laquelle le Fils est en effet inférieur à son Père et lui est soumis, mais selon sa nature divine il est égal à son Père. Comme le dit saint Athanase dans son Symbole, il est égal au Père selon sa divinité, mais il lui est inférieur selon son humanité. D'après saint Hilaire [De Trin. lib. ix), le Père est plus grand, parce qu'il a l'autorité de celui qui donne, mais celui qui reçoit n'est pas moindre, parce qu'il lui donne tout son être. Il dit encore (lib. de Synod.) que la soumission du vrai Fils est piété, c'est-à-dire que c'est une reconnaissance de l'autorité du Père, mais que la soumission des créatures est une marque d'infirmité.

2. Il faut répondre au second, quel'égalité se considère en raison delà grandeur. Or, clans la Trinité la grandeur exprime la perfection de la nature et ap-partientàl'essence (art. i, ad 1). C'est pourquoi l'égalité etlaressemblancedans la Trinité ne se considèrent qu'au point de vue des attributs essentiels. On ne peut établir ni égalité, ni dissemblance d'après la distinction des relations. Ainsi saint Augustin dit (Cont. Maxim, lib. m, cap. 13) : La question d'origine est celle-ci, d'où vient une chose ? et celle d'égalité se traduit de la sorte, quelle est cette chose, ou quelle est sa grandeiir? Donc la paternité est la dignité du Père comme elle en est l'essence. Car la dignité est absolue et elle appartient à l'essence. Comme la même essence qui est paternité dans le Père, est filiation dans le Fils ; de même la même dignité qui est paternité dans le Père est filiation dans le Fils (1). Il est donc vrai de dire que le Fils a autant de dignité que le Père, mais il ne s'ensuit pas que de ce que le Père a la paternité le Fils l'ait aussi, parce que leurs relations ne sont pas les mêmes. Ainsi l'essence du Père et du Fils est la même aussi bien que la dignité, mais elle est clans le Père comme dans celui qui la donne, et dans le Fils comme dans celui qui la reçoit.

(1) Il y a cependant des Pères qui ont dit que la dignité du Père était supérieure à celle du Fils, parce qu'il est son principe ; mais ils se sont ainsi exprimés d'après notre manière de voir, et ils ont eu soin de proclamer leur égalité, de nature et d'essence , comme le remarque saint Grégoire de Nazianzo (Oràt. 40) et saint Basile (lib. i, Cont. Eunomium).

3. Il faut répondre au troisième, que dans les personnes divines la relation n'est pas un tout universel quoiqu'elle se dise de chaque relation, parce que toutes les relations sont une quant à l'essence et à l'être; ce qui est contraire à la nature de l'universel, dont les parties sont distinctes dans leur être. Pareillement la personne n'est pas dans la Trinité quelque chose d'universel, comme.nous l'avons dit (quest. xxx, art. 4 ad 3). Par conséquent on ne peut pas dire que toutes les relations produisent quelque chose de plus grand qu'une seule relation, ni que toutes les personnes forment une chose plus grande qu'une seule ; parce que chacune des personnes renferme la perfection de la nature divine tout entière.


ARTICLE V. — LE FILS EST-IL DANS LE PÈRE ET RÉCIPROQUEMENT (1)?


(1) Cet article a pour objet ce que les théologiens appellent la circuminscssion des personnes divines. Cette circuminscssion , que les Grecs dé-signentparlemotde-îispiXwpïî^içcst l'union substantielle de choses qui existent l'une d'ans l'autre. Elle est parfaite quand les choses se pénètrent si profondément et si intimement, que l'une ne peut exister nulle part hors de l'autre ¦ Ego in Patre et Pater in me est. Pater in me manens ipse facit opera.

Objections: 1.. Il semble que le Fils ne soit pas dans le Père ni le Père dans le Fils. En effet Aristote (Phys. lib. iv, text. 23) distingue huit manières selon lesquelles une chose peut être dans une autre. Or, le Fils n'est dans le Père et le Père n'est dans le Fils suivant aucune de ces manières, comme on peut s'en convaincre en les discutant toutes l'une après l'autre. Donc le Fils n'est pas dans le Père, ni le Père dans le Fils.

2.. Ce qui est sorti d'un être n'est pas en lui. Or, le Fils est sorti du Père de toute éternité, d'après ces paroles du prophète : II est sorti du Père dès le commencement, dès l'éternité (Mich, v, 2).

3.. Quand deux êtres sont opposés, l'un des deux n'est pas dans l'autre. Or, le Fils et le Père sont opposés par leur relation. Donc l'un ne peut être dans l'autre.


Mais c'est le contraire. Car Jésus-Christ a dit : Je suis dans mon Père, et mon Père estenmoi (Joan, xiv, 10).

CONCLUSION. — Dans la Trinité le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père selon l'essence, la relation et l'origine.

Il faut répondre que dans le Père et le Fils il y a trois choses à considérer : l'essence, la relation et l'origine, et que sous ce triple rapport le Fils est dans le Père, et le Père dans le Fils. 1° Le Père est clans le Fils selon l'essence, parce que le Père est son essence et qu'il la communique au Fils sans aucun changement. D'où il suit que l'essence du Père étant dans le Fils, le Père est clans le Fils. De même le Fils étant son essence, il s'ensuit qu'il est dans le Père, dans lequel est son essence. C'est ce que dit saint Hilaire (De Trin. lib. v). Dieu immuable suit pour ainsi dire sa nature, en engendrant un Dieu immuable et subsistant, et nous comprenons la nature de Dieu dans le Fils, puisqu'il est Dieu en Dieu. 2° Pour les relations, il est évident que notre intelligence quand il s'agit de deux termes relativement opposés ne comprend que l'un ,dans l'autre, puisqu'ils sont pour elle corrélatifs. 3° A l'égard de l'origine, il est évident que la procession du Verbe n'est pas quelque chose d'extérieur, mais Fqu'etle est immanente dans celui qui la prononce. Car ce qui est exprimé par le Verbe est contenu dans le Verbe. Nous pourrions raisonner de la même manière à l'égard de l'Esprit-Saint (2).

(2) La plupart des Pères font ainsi venir la circuminscssion d'une double source : de la communauté de nature et de l'origine. On peut voir leurs témoignages (Pet. liv. IV, ch. 26, num. 15. et liv. V, ch. 9, num. 3).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce qui existe dans les créatures ne représente pas suffisamment ce qui est de Dieu. C'est pourquoi le Fils n'est dans le Père et le Père dans le Fils suivant aucun de ces modes qu'Aristote énumère. Cependant le mode qui approche le plus de la vérité, c'est celui suivant lequel une chose est dans le principe qui la fait naître. Seulement, dans les créatures il n'y a jamais unité d'essence entre le principe et l'être qui en émane. "

2. Il faut répondre au second, que le Fils sort du Père par une procession intérieure, comme le verbe sort du coeur et est immanent en lui. Par conséquent, cette sortie n'établit en Dieu qu'une distinction de relation, mais non une séparation essentielle.

3. Il faut répondre au troisième, que le Père et le Fils sont opposés suivant leurs relations, mais non selon l'essence ; et que quand deux, termes opposés sont relatifs, l'un est dans l'autre, comme nous l'avons dit (in corp. art,).


I pars (Drioux 1852) Qu.42