Discours 1982 - AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION «PROVENCE-MÉDITERRANÉE» EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM», Jeudi 18 novembre 1982


AUX ÉVÊQUES DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 19 novembre 1982




Chers Frères dans l’épiscopat

1. Vous êtes Pasteurs de jeunes Eglises, dans des diocèses situés au coeur du continent africain, où vous avez un ministère épiscopal absorbant, et vous avez pu quitter quelque temps vos communautés pour venir ici au centre de l’Eglise, manifester auprès de moi votre souci de l’unité. Je vous accueille avec une grande joie, et j’espère que ces moments passés à Rome seront pour vous un réconfort et une nouvelle source d’ardeur apostolique, dans le sillage des Apôtres Pierre et Paul.

Quand les premiers missionnaires sont venus chez vous il y a moins de cent ans - je pense à la véritable épopée de Mgr Augouard -, ils ont voulu partager totalement la vie des Africains. Pour un bon nombre, leur santé n’a pas résisté longtemps au climat; mais ce qui leur importait, c’était que le Christ ait chez vous des disciples. Nous devons toujours rendre grâce à Dieu pour ces pionniers courageux, et pour tous ceux qui les ont suivis, spiritains, capucins, comboniens, religieuses de nombreux Instituts, prêtres “fidei donum”, coopérants laïcs. L’Eglise est solidement implantée chez vous, et si elle a encore peu - trop peu - de prêtres, de religieuses et d’évêques natifs du pays, elle regroupe, jusque dans les villages de campagne, des chrétiens convaincus, heureux de l’être, et qui ne manquent pas d’initiatives. Je pense notamment aux “catéchistes” qui ont si fortement contribué à fonder les communautés chrétiennes avec les missionnaires. Les progrès accomplis sont d’autant plus méritoires que l’Eglise en votre pays a connu des chemins difficiles, qu’elle a dû voici vingt ans, pour ne citer qu’un exemple, réinvestir en d’autres oeuvres pastorales les forces qu’elle avait consacrées jusque-là dans les écoles catholiques.

2. Je n’ai pas eu l’occasion de me rendre chez vous, mais j’ai pu me faire une idée assez précise des problèmes et des efforts de vos communautés chrétiennes en prenant connaissance des travaux des “assises de l’Eglise catholique en République Centrafricaine”, tenues à Bangui en janvier dernier. Je vous félicite de cette initiative, au demeurant bien préparée. Les délégués, prêtres, religieux et laïcs, semblent s’être exprimés dans un climat fraternel, avec une grande franchise, beaucoup de sérieux et de sens pratique, sur tout ce qui pourrait, à leurs yeux, améliorer la qualité de la vie chrétienne, rendre les différents membres des communautés plus responsables, plus transparents à l’Evangile, plus apostoliques. Vous y avez vous-mêmes encouragé les chrétiens à se réveiller. C’était une bonne expérience d’Eglise pour l’ensemble de vos diocèses, en même temps qu’une fête de la foi. Je souhaite maintenant qu’elle produise tous ses fruits. Il vous revient, à vous évêques, d’examiner de près les résultats, d’apprécier chaque chose à sa valeur, et de choisir les suggestions et les projets les plus importants et les plus valables, pour qu’ils trouvent une application effective et durable, dans l’intérêt de toute votre Eglise.

3. Je souhaite que votre Conférence épiscopale connaisse elle aussi un rythme intense de rencontres, de travaux, de collaboration mûrie en commun, selon les statuts que vous ne manquerez pas d’élaborer, tout en poursuivant vos réunions régulières avec vos confrères du Congo et du Tchad.

J’ai noté les divers problèmes pastoraux qui se posent à vos communautés chrétiennes, et aussi les espoirs qui naissent et que je voudrais encourager.

Les prêtres originaires du pays sont encore assez rares, à peine trente en tout; mais voici que, désormais, le nombre des petits et surtout des grands séminaristes, permet d’espérer un progrès substantiel, à brève échéance. Beaucoup de vos fidèles désirent vivement ces futurs prêtres et sont prêts à encourager leur vocation et leur formation profonde. Maintenant, vous envisagez le grand Séminaire de philosophie, chez vous, à Bangui, et je pense que le projet va rapidement prendre forme, par les soins d’une Commission ad hoc. J’espère même que vous pourrez aussi envoyer de jeunes prêtres poursuivre des études théologiques supérieures dans les Instituts romains, pour préparer des pasteurs de grande compétence et qui gardent en même temps tout leur zèle sacerdotal pour aider efficacement leurs compatriotes. Prions Dieu d’envoyer des ouvriers pour sa moisson si abondante!

Il importe aussi de se préoccuper des vocations religieuses de jeunes filles, dont un certain nombre sont en recherche à ce sujet et dont l’apostolat ou la vie contemplative serait si précieux pour votre Eglise.

4. A l’adresse de la communauté chrétienne de Corinthe (1Co 12), l’Apôtre Paul énumérait quantité de dons spirituels ou de charismes, accordés par Dieu à tels ou tels membres en vue du bien commun. Dans le même sens, je souhaite que vos laïcs, dont les délégués ont montré tant de vitalité dans les assises de cette année, continuent à prendre une part active pour soutenir leurs frères. Aux uns, la charge de catéchistes, d’animateurs de communautés de villages ou de quartiers; à d’autres, celle de responsables de mouvements ou de conseillers... Que tous aient à coeur d’approfondir leur foi - vous avez prévu pour les catéchistes des centres à cet effet -, et d’agir avec désintéressement et charité, d’articuler leur responsabilité avec celle des prêtres! Que grâce à eux, les catéchumènes, si nombreux dans tout le pays - presque cinquante mille - poursuivent leur préparation intensive aux sacrements! Que les baptisés trouvent, dans les groupes, la catéchèse ou l’entraide spirituelle, le soutien nécessaire à leur fidélité et à une pratique religieuse régulière! Que les jeunes et les étudiants bénéficient d’un accompagnement spirituel à leur niveau, dans les aumôneries que vous désirez développer! Et qu’il en soit de même pour ceux qui ont des exigences culturelles particulières, comme les professeurs - aidés par les équipes enseignantes - ou les fonctionnaires! Que l’attachement légitime aux traditions, dans ce qu’elles ont de profondément humain, ne soit pas un obstacle à l’accueil de l’Evangile! Que les fiancés comprennent la beauté et la grace du sacrement de mariage, qu’ils s’en approchent sans crainte et bénéficient davantage du témoignage de ceux que vous appelez les “Foyers chrétiens”! Que les paroisses offrent à tous une nourriture doctrinale substantielle, une liturgie qui entraine à la prière, un accueil chaleureux, et que, d’une façon complémentaire, les petites communautés favorisent un témoignage qui imprègne la vie quotidienne! Que d’une ethnie à l’autre, d’un diocèse à l’autre, il y ait estime, partage, collaboration! Et que l’Eglise apporte sa contribution au développement du pays, surtout dans le domaine rural qui est prépondérant; qu’elle travaille, avec ses moyens, à rendre la terre plus habitable!

Tels sont, me semble-t-il, les désirs généreux que vous nourrissez tous, pasteurs et laïcs chrétiens. Que Dieu vous donne de les réaliser ensemble, avec courage, avec discernement, avec une grande espérance! Qu’il permette à ces nouvelles chrétientés, selon l’expression du Président de votre Conférence, “de mûrir ce christianisme qui leur est encore tout frais”! Ainsi vous apporterez votre part à la vitalité de l’Eglise universelle dont la cohésion a été confiée spécialement à ma sollicitude.

De tout coeur je vous bénis, et je vous charge de porter mon affectueuse Bénédiction Apostolique à vos collaborateurs et à tous vos diocésains.



AUX MEMBRES DU CONSEIL PONTIFICAL «COR UNUM»

Lundi, 22 novembre 1982




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères et Soeurs,

1. C’est toujours une joie pour l’Evêque de l’Eglise de Rome qui “préside à l’assemblée universelle de la charité” (S. Ignatius Antiochenus) d’accueillir les membres du Conseil pontifical “Cor Unum” qui l’assiste dans l’exercice de sa diaconie de charité. Soyez donc les bienvenus pour cette nouvelle à l’occasion de votre Assemblée plénière.

Par votre Président, le cher Cardinal Gantin, et par le Secrétariat du Conseil pontifical, je suis tenu au courant, en cours d’année, des activités qui se déploient dans les divers secteurs qui vous sont confiés: les situations d’urgences, le développement, la santé, bref, ce qui, dans le domaine de l’action, concerne “le progrès humain et chrétien”. Je sais le travail intense et sérieux que supposent toutes ces activités présentées par le Rapport annuel, et cela avec un personnel restreint en nombre, et très dévoué. De ce service accompli avec générosité, désintéressement et compétence, je vous remercie, vous et tous ceux qui y collaborent.

2. La mission de “Cor Unum” ne peut être remplie par le seul travail de la Présidence et du Secrétariat. C’est à vous tous ensemble qu’il revient de réaliser les buts fixés au Conseil pontifical par le Pape Paul VI dans sa Lettre d’Institution du 15 juillet 1971, et dont je ne cite que les premiers: “S’efforcer d’harmoniser les forces et les initiatives de tous les Organismes catholiques et, au-delà, de tout le peuple de Dieu, par l’échange d’informations et un effort accru de coopération, de manière à assurer et favoriser par une concertation permanente le progrès humain à l’aide de moyens adaptés”.

En ce domaine, la tâche de votre Conseil est certes délicate et difficile. Structure ministérielle au service de la charité de l’Eglise, “Cor Unum” est notamment en relation avec les Eglises locales, Conférences épiscopales et évêques des divers diocèses, et avec les organisations d’aide qui en dépendent. Il n’a évidemment pas à se substituer à elles, ni à devenir un organisme centralisateur, et surtout pas centralisateur des finances de ces organisations. Mais il est à leur disposition pour les aider à prendre leurs décisions dans une perspective plus universelle, mieux coordonnée, au nom d’un approfondissement de la charité, et il est un lieu d’échange, entre elles et avec le Pape, à propos des problèmes soulevés par l’exercice de la charité. L’esprit qui préside à une telle tâche comporte, avec la lucidité et le souci de vérité, la confiance dans le sérieux et les bonnes dispositions des organisations, le respect de leur personnalité et de leurs responsabilités propres, l’accueil, le dialogue, au besoin l’interpellation fraternelle, bref la charité en acte. Et réciproquement, cela suppose accueil, confiance et collaboration de la part des institutions caritatives diocésaines, nationales ou internationales, dont d’ailleurs plusieurs sont représentées au sein de ce Conseil pontifical. En somme, “Cor Unum” oeuvre pour que chaque Eglise locale, et, dans chaque Eglise locale, les Organisations reconnues par elle, exercent leurs propres responsabilités, dans le plein respect des autres Eglises locales et organisations, dans une harmonieuse coordination. Et “Cor Unum” peut rendre ce service avec son charisme de regard désintéressé facilité par sa large information et sa sollicitude universelle en dépendance du Pape qui lui a donné à cet effet compétence et autorité.

3. Cette sollicitude universelle dont je viens de parler requiert non seulement ces échanges d’un pays à l’autre, mais parfois une solidarité universelle des chrétiens appliquée à des besoins d’une ampleur et d’une acuité telles qu’ils requièrent des secours urgents et abondants de la part d’un grand nombre de collectivités, par exemple pour faire face à des cataclysmes naturels, ou à certaines situations particulièrement graves affectant les réfugiés, ou les populations victimes de la guerre. Là aussi, “Cor Unum” a une mission hors pair pour informer, sensibiliser, susciter une concertation rapide et efficace, “demeurant sauves la personnalité propre et les responsabilités exécutives de chaque Organisation” (Cfr. PAULI VI Epistula, supra memorata). Que d’exemples ne pourrait-on pas citer en ce domaine, aujourd’hui même, qui illustrent le bien-fondé de votre institution! C’est pour des circonstances de ce genre que le Pape recourt directement à “Cor Unum” pour mettre en oeuvre ses initiatives au plan caritatif et apporter sa propre participation au témoignage de la charité, même par des dons qui demeurent nécessairement symboliques par rapport à l’immensité des besoins. De la part que vous prenez alors pour être son instrument efficace, il vous remercie également.

4. Enfin - et ce n’est pas moins important - il revient au Conseil pontifical “Cor Unum” de promouvoir une réflexion vraiment catholique sur la charité aujourd’hui. Une telle réflexion demeure proche des expériences concrètes, de l’action, et elle vise à renforcer dans tout le peuple de Dieu, dans l’opinion publique, un mouvement de charité à la hauteur des véritables besoins, et inspiré par une perspective authentiquement chrétienne, fondée sur l’Evangile a la doctrine sociale de l’Eglise. C’est pourquoi je suis heureux que la présente Assemblée vous ait permis d’étudier plus à fond l’orientation que je vous donnais l’an dernier, en parlant de votre “mission catéchétique” en ce domaine. On dit à juste titre: “C’est la charité qui sauve”; mais j’oserais ajouter, dans un autre sens: il faut précisément “sauver” la charité, c’est-à-dire la réhabiliter, bien voir ce qu’elle implique au plan spirituel, la relier au grand dessein d’Amour de Dieu, à la Vie trinitaire dont elle doit témoigner, la ressourcer à l’écoute de l’Evangile, de la Parole de Dieu, la nourrir dans la prière et la participation à l’Eucharistie, qui en est le sommet. Il faut donc aussi veiller à ne pas isoler la charité des autres exigences des Béatitudes, mettre au clair ses rapports avec la justice à laquelle elle ne se réduit pas alors qu’elle vise, elle aussi, la promotion humaine, considérer sa spécificité par rapport aux actions socio-politiques des autorités civiles. Il importe de voir jusqu’à quel engagement individuel et communautaire elle conduit, à quels besoins temporels et spirituels elle s’étend, quelles faims et soifs elle cherche à satisfaire.

Aujourd’hui, beaucoup d’hommes de bonne volonté se disent prêts, Dieu merci, à intervenir en faveur de nos frères démunis; et un certain nombre le font de façon efficace et désintéressée, jusque sous la forme du “volontariat”. On ne peut que s’en réjouir! Vous-mêmes prenez volontiers contact avec les institutions non catholiques et non confessionnelles de secours et de promotion humaine, surtout au plan international. L’Eglise, en ce qui la concerne, “tient aux oeuvres charitables comme à une partie de sa mission propre et comme à un droit inaliénable” (Apostolicam Actuositatem AA 8). Elle demande à ses fils d’exercer la charité dans toute son originalité et sa profondeur évangéliques, dans des perspectives et avec des moyens exempts de partialité et d’ambiguïté. Comme au temps des premières communautés apostoliques, cette charité explicitement chrétienne est essentielle à l’Eglise qui doit en particulier témoigner, au milieu de ce monde, de la priorité de l’assistance aux pauvres, aux plus pauvres, aux nouveaux pauvres, et des valeurs évangéliques. C’est dire l’importance de l’oeuvre à poursuivre comme catéchèse de la charité, comme éducation du peuple de Dieu, pour apporter à celui-ci clarifications, motivations, stimulants. C’est, au fond, une tâche d’évangélisation. Beaucoup d’instances dans l’Eglise doivent s’en préoccuper. Mais, comme membres du Conseil pontifical “Cor Unum”, vous y apportez une contribution spéciale, de premier ordre, en aidant les autres instances responsables à en prendre conscience.

Pour toutes ces tâches, le Pape vous remercie, vous encourage. Il compte sur vous et vous bénit de tout coeur. Que, par l’intercession de la Vierge Marie, la Vierge de la Visitation, l’Esprit Saint vous éclaire et entretienne en vous le feu de l’amour, qu’il vous unisse dans le coeur unique du Christ!



AUX PARTICIPANTS À LA RENCONTRE EUROPÉENNE DE PASTORALE FAMILIALE

Vendredi, 26 novembre 1982




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères et Soeurs,

Laissez-moi tout d’abord vous dire combien je suis heureux de vous recevoir aujourd’hui, vous qui êtes venus de plusieurs pays d’Europe, et qui portez avec moi ce souci qui me tient tant à coeur touchant l’avenir de la famille sur notre continent.

1. L’objet de vos réflexions en ces journées d’études consacrées à la pastorale du mariage et de la famille en Europe et préparées conjointement par le Conseil pontifical pour la Famille et l’Institut d’Etudes sur le mariage et la famille, est de grande importance. Un an après sa publication, vous avez voulu examiner l’exhortation apostolique “Familiaris Consortio” afin d’en souligner les points les plus saillants, évaluer l’accueil que lui ont réservé vos communautés, en vue de contribuer à la rénovation spirituelle de l’Europe. Cette exhortation indique en effet les orientations fondamentales, selon lesquelles l’Eglise devra, en cette fin du second millénaire, veiller sur le mariage et la famille.

L’Eglise est soucieuse de parvenir à une intelligence toujours plus profonde de la vérité qu’elle a mission de présenter. Ainsi la première orientation donnée par l’exhortation apostolique est-elle une invitation lancée à toute l’Eglise d’annoncer, avec fidélité et un humble courage, cette vérité à l’homme d’aujourd’hui. Il s’agit du dessein de Dieu sur le mariage et sur la famille, car c’est seulement dans la fidélité à celui-ci que se trouve le salut de l’institution matrimoniale et familiale pour tous ceux qui se marient. Ce devoir premier de l’Eglise doit s’exprimer clairement dans une culture européenne encore marquée par des valeurs humaines et chrétiennes authentiques, mais trop souvent obscurcies par des déviations dues soit à des conceptions erronées, soit à un laisser-aller moral. Il est plus que jamais urgent et nécessaire de reconstruire en chaque homme et en chaque femme la certitude d’une vérité concernant leur mariage et les valeurs éthiques qui doivent la soutenir. A travers l’annonce de la vérité, l’Eglise est appelée à une estime plus profonde de l’amour conjugal, compris en toutes ses dimensions, à une estime accordée à chacune de ses richesses. De leur côté, les époux, sollicités par tant de théories diverses sur le bonheur du couple et de la famille, ne se retournent-ils pas aujourd’hui vers l’Eglise dans une recherche plus urgente de cette vérité, de cette sagesse?

La vérité que l’Eglise annonce est une vérité de vie: elle doit devenir vie. Ceci est une seconde orientation fondamentale tracée par l’exhortation apostolique. Cette exigence de la vérité concerne soit la vie personnelle des conjoints, soit la culture dans laquelle vivent les époux en Europe. En effet, cette vérité se veut inspiratrice d’une culture familiale. Les Pères du synode ont à juste titre insisté sur cette nécessité. Le processus d’inculturation, dont parle “Familiaris Consortio”, comporte deux moments étroitement unis entre eux. Il implique un jugement critique, pour discerner ce qui est conforme au dessein de Dieu sur le mariage et la famille, et ce qui s’en écarte. Chaque croyant a été confié à l’Esprit, afin qu’il soit en état d’élaborer un tel jugement. Mais il n’est pas suffisant d’exercer un jugement critique sur les diverses propositions culturelles. On doit créer une culture matrimoniale et familiale qui réalise dans l’Europe d’aujourd’hui l’identité humaine et chrétienne du mariage et de la famille: c’est un devoir qui fait partie de la mission évangélisatrice de l’Eglise, laquelle doit en outre s’efforcer de restaurer l’unité entre la foi chrétienne et la culture en Europe à propos de la famille.

2. Dans votre réflexion, toutefois, vous ne vous limitez pas à prendre en compte les orientations pastorales fondamentales. Vous voulez aussi faire une première évaluation de l’accueil réservé à l’exhortation “Familiaris Consortio” dans les communautés chrétiennes d’Europe.

En effet, ce que le Synode des évêques a enseigné et que mon exhortation apostolique a fait sien doit s’enraciner dans l’esprit et le coeur de chaque fidèle et être totalement assimilé. Car c’est le même et unique Esprit qui éclaire les Pasteurs de l’Eglise quand ils enseignent la doctrine du Christ, avec l’autorité qui leur est propre, et qui habite dans le coeur des époux afin qu’ils réalisent le projet de Dieu sur leur mariage.

Et donc, en aidant les époux à être toujours plus fidèles à l’Esprit par l’adhésion de l’intelligence et du coeur à ce que l’Eglise enseigne, on se propose d’atteindre deux objectifs.

Il s’agit d’abord de mettre en lumière les raisons profondes, les motifs d’un tel enseignement. En effet, il n’est pas seulement en butte à des difficultés d’ordre pratique: ce sont ses raisons ultimes qui souvent ne sont pas accueillies. Il est donc nécessaire de revenir à ses sources, qui se trouvent au coeur même de la Révélation quand elle nous dévoile la vérité tout entière sur l’homme. Il faut apprendre aux époux à demeurer dans ce coeur, dans ce centre radieux dans lequel ils peuvent comprendre leur vocation et par conséquent les motifs de l’enseignement de l’Eglise. Ils saisiront alors que, pour l’essentiel, l’enseignement de l’Eglise découle de la vision évangélique de l’amour, de la sexualité humaine, en un mot de la personne humaine. Je souhaite vivement que de nombreuses personnes dans l’Eglise se préoccupent de répandre cette lumière. C’est pour cela, pour ce travail “d’intelligence de la foi”, de réflexion sur les raisons ultimes de la doctrine chrétienne qu’à été fondé l’Institut d’études sur le mariage et la famille, qui veut être un centre culturel au service de toute l’Eglise.

Le second objectif vers lequel tend notre effort pour que l’enseignement de l’Eglise soit accueilli par les époux, est de leur offrir tous les moyens nécessaires afin qu’ils soient en mesure de le mettre en pratique. Il ne fait pas de doute en effet que les époux peuvent rencontrer des difficultés non seulement au plan de la question “pourquoi un tel enseignement?”, mais aussi quand ils se demandent “comment mettre en pratique un tel enseignement?”. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager toutes les initiatives destinées à aider les conjoints à approfondir leur vie spirituelle par la prière, la mise en commun de leurs joies et de leurs difficultés, la réception fréquente des sacrements, grâce à des mouvements ou des associations familiales.

3. Mais vous réfléchissez sur la famille en vue, aussi, de la renovation spirituelle de l’Europe.

Plus que jamais l’Europe a besoin de retrouver son identité spirituelle, incompréhensible sans le christianisme. Le christianisme n’est pas quelque chose qui vient en supplément, quelque chose d’étranger à la conscience européenne: à cette conscience qui constitue le tissu conjonctif profond et véritable du vieux continent, sousjacent à la légitime diversité des peuples, des cultures et des histoires. Le christianisme, l’annonce de l’Evangile, est à l’origine de cette conscience, de cette unité spirituelle, comme le montrent bien déjà les débuts de son histoire à travers les noms de Benoît, patriarche de l’Occident, et de Cyrille et Méthode, les frères slaves. La reconstruction de l’Europe exige avant tout cet effort pour la rendre de nouveau consciente de son identité tout entière, de son âme.

Cette rénovation, qui met en oeuvre toutes les forces de l’Eglise, trouve dans la famille un des sujets actifs les plus importants.

C’est dans la famille, comme je l’ai déjà dit, que la personne humaine trouve la première et irremplaçable école pour être vraiment humaine: c’est en premier lieu dans la famille que se transmet la culture. Et c’est pourquoi il lui revient à elle, à l’origine, d’assurer la continuité dans le développement historique de la conscience et de la culture d’un peuple.

L’histoire de l’Europe montre bien comment, à divers moments, des institutions ont été créatrices de culture et de civilisation, dans une synthèse féconde de christianisme et d’humanisme. Il suffit de penser au rôle des monastères bénédictins et des Universités qui ont surgi un peu partout en Europe, de Paris à Oxford, de Bologne à Cracovie, de Prague à Salamanque. L’institution de la famille, puisqu’elle est appelée dans le projet salvifique de Dieu à être l’institution éducatrice originelle et première, doit toujours renforcer sa présence au sein de ces institutions créatrices de vraie culture.

Voilà comment je vois votre rencontre européenne de pastorale familiale: c’est un signe et une promesse. C’est le signe que l’Eglise prend toujours plus conscience de ce qu’est la famille, et c’est la promesse d’un nouveau combat en faveur de la personne humaine, pour la personne humaine à qui Dieu a donné pour toujours son propre Fils, son Fils unique. Je suis sûr que votre réunion sera fructueuse, grâce à votre travail et à l’esprit de communion qui vous anime et qui a présidé à l’organisation de ce colloque.

Qu’il me soit permis, avant de nous séparer, de vous inviter, en ce qui vous concerne, à reprendre dans la prière ce qui a fait l’essentiel de vos réflexions, afin que le Seigneur lui-même fasse grandir et germer la parole d’espérance que vous vous efforcez de propager. C’est pourquoi, en vous accordant ma Bénédiction Apostolique, je Lui demande de bénir vos personnes et vos activités au service de la famille chrétienne.



Décembre 1982

À L'OCCASION DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DE SKI

Lundi, 6 décembre 1982



Monsieur le Président,
Messieurs,

A l'occasion du Conseil de la Fédération internationale de Ski, vous avez tenu à me rendre visite. Je vous suis reconnaissant de cette démarche courtoise. Vous avez voulu faire plaisir au skieur que j’ai été autrefois sur les pentes des Carpates. Mais - je n’en doute pas - vous êtes également venus pour rendre hommage, à travers ma personne, à l’Eglise fondée par le Christ et confiée à l’apôtre Pierre et à ses successeurs. Quelles que soient vos convictions religieuses, je souhaite que cette rencontre soit pour chacun d’entre vous source de paix et de joie, de lumière et d’espérance.

Votre Fédération internationale, je le sais, s’efforce de veiller au développement qualitatif de ce sport devenu populaire depuis quelques décennies. Vous tentez, entre autres, de faire mieux connaître et respecter le code du skieur, de telle sorte qu’il ne mette en danger ni sa vie, ni celle d’autrui. Je vous encourage également à faire votre possible pour que les stations de ski demeurent des lieux où les splendeurs de la nature ne soient pas en quelque sorte défigurées ou même avilies par des formes de corruption que certains sont tentés d’y introduire.

En ce bref entretien, il me plaît de souligner - et cela ne vous surprendra pas - que tout sport peut et doit être formateur, c’est-à-dire contribuer au développement intégral de la personne humaine. Je précise que cette sorte d’entreprise humaniste peut, chez les chrétiens, faciliter la croissance des vertus cardinales de force, de tempérance, de prudence et de justice. Les skieurs, comme tous les sportifs, augmentent leurs forces physiques, en y incluant la souplesse et l’adresse. Cela n’est pas encore la vertu cardinale dont je parlais. Mais la technique acquise rend possible une force d’âme qui transcende les capacités musculaires. De même, j’ai plaisir à faire mémoire du discours que l’apôtre Paul adressait jadis aux chrétiens de Corinthe (1Co 9,24-27). L’athlète se prive de tout, en ce sens que son régime alimentaire est soumis à un contrôle pour parer aux échecs imputables à l’insuffisance de forme physique. A ce plan, nous sommes très proches de la vertu cardinale de tempérance qui est une ascèse bien comprise et persévérante afin de donner toujours la priorité aux valeurs spirituelles. Quant à la prudence du sportif, elle est faite de discernement, de calcul, d’expérience en somme, qui l’incitent sans cesse à se bien préparer et à bien s’équiper. La vertu cardinale de prudence, chez les chrétiens, est encore plus précieuse. C’est elle qui les aiguillonne à demeurer en état de discerner ce qui est le meilleur pour Dieu et pour leurs frères humains. Quant à la justice dans les compétitions sportives, vous savez aussi bien que moi ce qu’elle exige d’égalité et d’impartialité. Il m’apparaît que le sport peut singulièrement aider les chrétiens qui le pratiquent à faire avancer ces exigences auxquelles la société moderne est extrêmement sensible.

Encore une fois merci de votre aimable visite! Daignez recevoir les souhaits que je forme pour l’heureux accomplissement de vos responsabilités. Que Dieu soit votre lumière et votre force, je lui demande de vous bénir!



AU PREMIER AMBASSADEUR DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Vendredi, 10 décembre 1982




Monsieur l’Ambassadeur,

C'est la première fois que ce titre vous est donné ici. En effet, en présentant aujourd’hui les Lettres L’accréditant comme Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, Votre Excellence inaugure une nouvelle phase dans la représentation de la Principauté de Monaco auprès du Saint-Siège.

Mais ce lieu vous est déjà très familier, peut-être plus qu’à tous les autres Ambassadeurs, puisque, depuis un quart de siècle, vous étiez responsable de la Légation de votre pays, comme Ministre Plénipotentiaire. Le Saint-Siège trouve en vous, si j’ose dire, un vieil ami; vous venez d’ailleurs d’évoquer l’expérience que vous avez acquise ici dans les choses de l’Eglise, avant, pendant et après le Concile Vatican II. En vous remerciant des paroles délicates que vous venez de tenir à mon endroit, je vous souhaite de continuer à être auprès du Saint-Siège un observateur attentif de son action et de ses desseins au service de Dieu et des hommes, pour vous en faire l’écho chez vous, tout en vous faisant ici l’interprète du Souverain et du Gouvernement de Monaco, notamment en ce qui concerne la vie de l’Eglise dans la Principauté.

Au-delà de cette relation bilatérale, le voisinage du Saint-Siège et le dialogue avec lui est, pour les Ambassadeurs, l’occasion d’entrer dans une vision toujours plus universelle des questions spirituelles, éthiques, culturelles et sociales qui intéressent l’ensemble des peuples, conditionnent leurs rapports de paix, leurs droits, leur bonheur, leur progrès dans les différents domaines. Cela se réalise grâce aux contacts amicaux qu’il vous est donné de nouer ici avec vos collègues du Corps Diplomatique du monde entier - comme vous en avez déjà l’expérience -, et surtout grâce aux relations suivies avec le Saint-Siège lui-même, en considérant les efforts que celui-ci essaie de déployer chaque jour pour oeuvrer à la fraternité des hommes et à l’élévation de leurs sentiments, de leurs desseins de paix et de développement, efforts dont les diplomates sont en effet les témoins privilégiés.

Cette attention du Pape à chacun des peuples vaut bien évidemment aussi pour la population monégasque, si unie dans l’estime de son Souverain comme dans l’attachement à l’Eglise à travers la personne de son Archevêque. Récemment, un événement combien douloureux l’a manifesté aux yeux de tous, lorsque la Princesse Grace, si universellement aimée, a été ravie à l’affection des siens. Le Saint-Siège, pour sa part, s’est profondément associé dans la prière à cette épreuve, en se souvenant de la noblesse d’âme et des sentiments chrétiens de l’illustre défunte. Je vous saurais gré de bien vouloir renouveler à Son Altesse Sérénissime le Prince Rainier l’assurance de ma profonde sympathie et des voeux fervents que je forme pour sa personne, et l’accomplissement de sa très haute charge, pour ses enfants et pour tous les sujets de la Principauté. Les relations diplomatiques qui se renouvellent aujourd’hui à un niveau plus élevé renforceront, s’il en était besoin, et rendront toujours plus fructueux les liens d’estime réciproque et d’amitié profonde. C’est dans cet esprit que je souhaite également à Votre Excellence une heureuse mission d’Ambassadeur auprès du Saint-Siège. Que Dieu vous bénisse, vous et les vôtres, et qu’il veille sur les destinées de la Principauté!



Discours 1982 - AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION «PROVENCE-MÉDITERRANÉE» EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM», Jeudi 18 novembre 1982