Discours 1982 - Jeudi, 16 décembre 1982


AU PREMIER AMBASSADEUR DU ROYAUME DE DANEMARK PRÈS LE SAINT SIÈGE

Samedi, 18 décembre 1982




Monsieur l’Ambassadeur,

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour le beau témoignage que vous venez de donner sur votre pays et sur l’oeuvre du Saint-Siège en me remettant vos Lettres de créance.

Sa Majesté la Reine Margrethe II qui, voilà cinq ans, a accompli auprès de mon vénéré prédécesseur une démarche bien appréciée, a désigné Votre Excellence comme Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire auprès du Saint-Siège. Vous êtes le premier à remplir cette mission. Je vous exprime mes félicitations et mes voeux cordiaux. Ce moment historique nous remplit tous d’émotion si l’on pense que les relations officielles et directes n’existaient pas depuis plus de quatre siècles. Dieu soit béni, qui nous permet de les rétablir d’un commun accord, dans la sérénité, le respect réciproque, pour une collaboration positive!

Cet échange de diplomates a donc lieu aujourd’hui entre le Royaume de Danemark et le Saint-Siège. Je dis “le Saint-Siège”, car l’Etat du Vatican a comme raison d’être d’assurer à celui qui, sur le Siège de Pierre, préside à la communion catholique, l’indépendance et la liberté nécessaires à son action et à son enseignement. Ce Siège Apostolique est non seulement soucieux du bien spirituel de tous ceux qui, à travers le monde, sont liés à lui comme au centre où se noue et se manifeste l’unité visible de l’Eglise catholique, mais encore il veut faire entendre librement sa voix pour tout ce qui concerne le bien, la justice, les droits de l’homme, la paix et le développement. Cette voix n’est pas seulement celle de la raison et des nobles sentiments humains, elle est, vous le savez, celle des exigences de l’Evangile qui ont toujours à être proclamées parmi les hommes et qui doivent l’être aujourd’hui plus que jamais.

Aussi le Saint-Siège est-il heureux que, depuis le deuxième Concile du Vatican surtout, de grands pas aient été faits par les Eglises sur la voie qui mène à un accord sur la profession de leur foi, même si elles ne sous-estiment pas ce qui les sépare encore. Mais ici, la démarche d’un Ambassadeur relève du domaine de l’Etat, dont l’Eglise catholique respecte et apprécie l’autonomie et la responsabilité propres. Et là, animée d’un amour universel de l’homme, elle se veut sincèrement accueillante à tous les peuples et disponible pour les servir, dans la ligne de ses convictions.

Ainsi, le Saint-Siège regarde le Danemark avec sympathie en considérant avec sérénité la longue histoire qui a marqué son destin, riche d’expériences fortes, sa population industrieuse et courageuse, le progrès civil, social et économique qu’il a su obtenir, sa solidarité largement ouverte aujourd’hui au Conseil nordique d’abord - c’est bien normal - mais aussi aux institutions européennes et aux Organisations internationales.

Ces liens d’amitié avec votre peuple et votre Gouvernement sont d’autant plus faciles que le Saint-Siège estime les efforts humanitaires que le Danemark déploie lui-même et entend faire progresser sur la scène internationale. Vous les avez évoqués en citant la recherche de la paix par des voies de persuasion et selon les principes moraux, la lutte pour les droits de l’homme, l’aide substantielle aux pays en voie de développement. Vous avez relevé à ce sujet la convergence entre les objectifs du Danemark et l’inspiration du Saint-Siège. Celui-ci se réjouit de ces dispositions et de ces réalisations, si nécessaires au dialogue de la paix et au progrès des peuples qui souffrent de tant de frustrations ou de carences tout en aspirant à être reconnus dans leur dignité. Et en ce qui concerne les relations intérieures, le Saint-Siège apprécie l’ouverture d’esprit, le respect et les bons rapports qui prévalent aujourd’hui dans votre pays, entre les confessions religieuses, et même la bienveillance à l’égard des oeuvres catholiques d’éducation et de santé.

Mais j’ose dire qu’il existe un autre terrain de rencontre, encore plus profond: le Danemark, comme vous l’avez souligné, a un long passé chrétien, un passé millénaire. Celui-ci a laissé tout un patrimoine culturel et artistique. Et la foi chrétienne luthérienne, à laquelle se rattachent officiellement vos compatriotes dans leur très grande majorité depuis quatre siècles, participe à la même source que notre propre foi. Certes, chez vous, comme en beaucoup d’autres sociétés modernes, l’indifférentisme religieux et le matérialisme pratique ont pu progresser en même temps que la vie facile, dans la mesure où celle-ci était perçue comme un but en soi, sans résoudre pour autant les questions fondamentales du sens de la vie et des valeurs morales nécessaires à la dignité de la vie personnelle, familiale et sociale. Et là-dessus, comme leurs frères protestants, les catholiques sont prêts à apporter leur contribution afin que le progrès englobe aussi ces domaines, tout comme ils aiment servir leur pays d’origine ou d’adoption en dévoués et loyaux citoyens.

Désormais, les relations que nous avons évoquées pourront s’exprimer officiellement au niveau du Saint-Siège et des représentants de votre pays, ici et dans les instances internationales. Je souhaite que ce dialogue soit très bénéfique pour les deux parties, et aboutisse à une coopération fructueuse. Vous en serez, pour votre part, l’artisan privilégié.

Je vous redis les voeux chaleureux que je forme dans la prière pour votre personne et pour votre mission. Et je vous saurais gré de transmettre à Sa Majesté la Reine Margrethe II ma gratitude et mes propres souhaits, pour son bonheur personnel et la prospérité de son pays. Que Dieu bénisse le Danemark!





À UN GROUPE DE PHYSICIENS ENGAGÉS DANS LA RECHERCHE SUR LES HAUTES ÉNERGIES

Samedi, 18 décembre 1982




Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,

1. C’est avec plaisir que j’accueille votre groupe d’éminents physiciens engagés dans la recherche sur les hautes énergies. Votre Symposium international, réuni à Rome sous l’instigation de l’Institut national italien de Physique nucléaire, et grâce à l’initiative diligente du Professeur Antonino Zichichi, comporte deux jours d’intenses travaux et d’échanges de rapports très techniques. Je suis d’autant plus sensible à votre désir de me rendre visite et je voudrais saluer personnellement chacun d’entre vous qui apportez une contribution si qualifiée à la science: je sais que sont présents parmi vous quatre Prix Nobel, les directeurs des plus grands laboratoires du monde dans le secteur de la physique subnucléaire, et beaucoup de savants de grand renom.

Le 15 juin dernier, à Genève, on a cherché à me familiariser avec vos travaux complexes, en me montrant les installations les plus typiques du CERN. J’en garde un excellent souvenir, à cause des choses prodigieuses qu’on m’a expliquées et aussi de l’atmosphère très accueillante de ce milieu scientifique. A cette occasion, face à ces réalités, j’ai pu moi-même exprimer, au nom de l’Eglise, un certain nombre de réflexions fondamentales sur la science, sur les rapports du savant et du croyant et sur les différentes applications de vos découvertes, que notre brève rencontre ne me permet pas de reprendre entièrement.

2. Le but de votre Symposium est de première importance, puisqu’il vise à programmer et coordonner l’activité et les projets des plus grands laboratoires de recherche d’Europe et d’Amérique, en examinant les possibilités des instruments très perfectionnés dont vous disposez les uns et les autres. Cela manifeste une fois de plus que la recherche scientifique aujourd’hui n’est plus le travail de chercheur isolé, mais requiert la collaboration de la communauté scientifique internationale. Chez vous, les spécialistes de mathématiques, de physique théorique et de physique expérimentale contribuent, chacun avec ses propres capacités, à l’entreprise commune. Ce fait présente un aspect hautement humain de la science contemporaine, que je tenais à souligner; il a une résonance spirituelle puisqu’il tend à faire dépasser les barrières et les obstacles entre les individus, entre les peuples, entre les intérêts particuliers et nationalistes, pour mettre en commun, au service de l’humanité entière, les connaissances et les ressources techniques dues au progrès scientifique. Voilà, au niveau de la science, un terrain de rencontre, qui comporte une invitation pressante à la concorde, à la paix, à la fraternité universelle.

3. Lorsque l’on entend parler d’énergie nucléaire et subnucléaire, l’esprit ne peut s’empêcher, hélas, de penser aux effets destructeurs et catastrophiques des armes modernes. Il n’y a d’ailleurs pas de doute qu’il y a là une des menaces les plus graves pour l’humanité. Des personnes de tous les horizons sociaux et culturels ne cessent de le signaler; mes prédécesseurs et moi-même, nous avons à bien des reprises attiré l’attention des hommes politiques et des savants sur ce grave péril, surtout si les Gouvernants n’ont pas la sagesse ou la volonté de freiner la production et l’accumulation de ces terrifiants engins de mort.

Mais, par ailleurs, cela n’empêche pas de réaffirmer clairement la pleine légitimité, la noblesse et l’utilité de la recherche scientifique, y compris dans le domaine des hautes énergies et de la physique nucléaire et subnucléaire, au plan théorique bien sûr, et aussi au plan pratique, dans les applications pacifiques de cette science.

4. Au plan théorique en effet, celui de la science pure, celui de la connaissance - qui me semble être celui où vous vous placez -, la recherche scientifique contemporaine cherche à dévoiler les secrets les plus profonds de la nature. Vous scrutez la structure microscopique de la matière, au niveau de ses éléments les plus infimes comme les leptons et les quarks, leurs regroupements, les lois énergétiques qui agissent en ce milieu; votre recherche concerne aussi l’indéfiniment grand, la cosmologie, essayant de déchiffrer la structure et l’évolution de l’univers. Ce dessein fait la noblesse de l’homme, tant qu’il ne prétend pas se substituer à la connaissance métaphysique - qui suppose la connaissance des causes secondes connues par la science, mais se situe au niveau de leur Cause première - ni à la connaissance de foi reçue par Révélation de Dieu. A ce prix, non seulement le savant croyant ne voit dans la science aucune gêne pour sa foi, mais, tout en distinguant les domaines, il est heureux de cette nouvelle approche de la vérité, même pour célébrer le Créateur. Le psalmiste de la Bible disait, à partir de ce qu’il observait de ses yeux: “Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament annonce l’oeuvre de ses mains” (Ps 18,2). La science contemporaine, la vôtre, permet de découvrir un monde beaucoup plus merveilleux encore, et elle nous renvoie encore plus fortement au Créateur, à sa sagesse, à sa puissance, à son mystère, et au mystère de l’homme auquel Dieu a donné ce pouvoir de déchiffrer ce qui existe avant lui.

5. Si nous considérons maintenant le plan pratique - et il le faut, car vos découvertes désintéressées aboutissent nécessairement à des applications et à des progrès techniques -, c’est alors qu’entre en jeu la responsabilité des hommes - leur conscience - pour juger et décider ce qui va promouvoir la qualité de leur vie et la fraternité entre eux. Le croyant trouve là encore un encouragement et une lumière dans le dessein de Dieu exprimé lui aussi à la première page de la Bible, enjoignant à l’homme de dominer la terre avec tous ses éléments pour la garder, la cultiver, la développer (Cfr Gn 1,26-27).

Le Concile Vatican II le précisait ainsi: “L’homme, créé à l’image de Dieu, a reçu la mission de soumettre la terre et tout ce qu’elle contient, de gouverner le cosmos en sainteté et justice, et, en reconnaissant Dieu comme Créateur de toutes choses, de lui référer son être ainsi que l’univers”. Et il ajoutait: “Loin d’opposer les conquêtes du génie et du courage de l’homme à la puissance de Dieu..., les chrétiens sont au contraire bien persuadés que les victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein ineffable. Mais plus grandit le pouvoir de l’homme, plus s’élargit le champ de ses responsabilités, personnelles et communautaires” (Gaudium et Spes GS 34, § 1 et 3).

Oui, cette responsabilité des hommes est engagée à la mesure même des processus de plus en plus complexes et lourds de conséquences qu’ils mettent en jeu dans la technique. Dans le domaine des applications pacifiques de l’énergie nucléaire, la technique demandera donc toujours un surcroît de prudence, d’information, de collaboration, par exemple pour servir les besoins humains au plan alimentaire ou énergétique.

Je vous souhaite donc de continuer votre tâche de savants avec désintéressement, pour la joie de découvrir, de découvrir ensemble, pour le bien de l’humanité et - comme les croyants en auront facilement conscience - pour la gloire du Créateur. Que Dieu vous bénisse, qu’il bénisse votre travail et vos efforts de coopération! Qu’il bénisse vos familles auxquelles je souhaite déjà un joyeux Noël!




AUX JEUNES EUROPÉENS

Jeudi, 30 décembre 1982



Chers amis,

1. Je suis heureux et ému de vous voir, encore une fois, réunis à Rome à l’initiative de Taizé. Vous êtes si nombreux, si enthousiastes, si bien disposés à recevoir et à suivre les inspirations de l’Esprit de Dieu, dans un climat de prière! Et je remercie vivement le Frère Roger pour ses paroles sincères et suggestives.

Vous êtes venus ici auprès des tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, des martyrs, des saints au coeur brûlant de foi et d’amour, vénérés dans les catacombes ou les églises de Rome. Et vous avez voulu rencontrer le Successeur de Pierre, dont la vocation est de proclamer comme Pierre la foi au “Christ, le Fils du Dieu vivant” (Cfr. Mt 16,16) et son amour de prédilection pour Lui (Cfr. Jn 21,15-17) et d’assurer ainsi le rôle de Pasteur de tous, en étant avec les autres Successeurs des Apôtres, les Evêques, au service du Christ pour accomplir “la communion en l’unité, dans la profession d’une seule foi, dans la célébration commune du culte divin, dans la concorde fraternelle de la famille de Dieu” (Unitatis Redintegratio UR 2).

Vous êtes venus en pèlerinage de foi et de réconciliation, pour jouir, comme disait saint Paul, de la “communication de quelque don spirituel propre à vous affermir” (Rm 1,11), notamment dans votre décision d’être toujours davantage des “artisans de paix” (Mt 5,9). C’est une grande joie pour moi de pouvoir vous aider à marcher sur ce chemin de réconciliation. Je le ferai en dialoguant avec vous, autrement dit en répondant aux quelques questions que vous m’avez posées, abordant chaque question en une langue différente.

Je sais que parmi vous, un certain nombre sont chrétiens sans se rattacher à la confession catholique. D’autres jeunes sont en recherche de la foi. Je respecte cette situation et ce cheminement. Devant tous, je veux du moins rendre témoignage au Christ, Chemin, Vérité et Vie, et rendre témoignage à son Eglise. Dans la mesure où je vous adresse des exhortations ou directives sur votre tâche dans l’Eglise, je m’adresse essentiellement aux catholiques, et cela d’ailleurs en union avec leurs Evêques, qui sont de façon habituelle leurs Pasteurs.

2. Comment être témoins de la joie et de la confiance en ces temps inquiétants? (question n. 1).

Nous le sommes grâce à notre foi (Cfr 1Jn 5,4): “Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique... pour que le monde soit sauvé par lui” (Jn 3,16-17). Et ce qui nous donne l’assurance au niveau de l’action, c’est que nous essayons d’aimer comme Lui nous a aimés: “Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères” (1Jn 3,14).

Certes, vous ne devez jamais fermer les yeux sur les difficultés réelles. Les problèmes du monde demeurent difficiles et complexes: comment faire cohabiter les hommes comme des frères quand ils sont si différents et ont des intérêts immédiats apparemment opposés, pour que chacun ait sa part de pain, de dignité, d’amour? Et surtout comment surmonter les graves menaces d’oppression et de guerres qui viennent du coeur des hommes, lorsqu’ils se laissent conduire avec agressivité par la peur, le mensonge, l’égoïsme, l’orgueil, la haine? Il y a donc des risques de malheurs, c’est vrai. Il y a même une lutte à mener, une lutte contre le mal sous toutes ses formes. Et ceux qui cherchent le bien ne seront pas pour autant épargnés, en cette vie, de la morsure du mal: le Christ l’a-t-il été?

Et cependant, il est de notre devoir de contribuer chacun à conjurer ces risques, de “vaincre le mal par le bien” (Rm 11,21). Par le Christ, avec Lui, c’est possible. Le Mal, le Malin, n’aura pas le dernier mot (Cfr. Jn 16,33). Et déjà le sens du bien, le sens de la justice et de l’amour que Dieu met en nous, il les met aussi dans le coeur des autres, de beaucoup d’autres, au point que nous pouvons nous rencontrer sur ce terrain, nous donner la main par-dessus les frontières, pour susciter un monde de frères. Le Christ nous ouvre cette espérance, même à travers la souffrance. Si nous luttons avec Lui, nous le faisons déjà avec une grande paix dans le coeur. C’est pourquoi je vous redis: N’ayez pas peur!

3.

8. Enfin, soyez bien certains, chers amis, que je prie pour vous (question n. 7), comme je prie chaque jour pour tous ceux qui essaient de vivre l’Evangile dans des situations difficiles, comme je prie souvent pour les jeunes qui regardent le monde d’un regard neuf et voudraient tant le renouveler!

Pour reprendre courage, au delà de toute crainte, levez les yeux vers ceux et celles qui sont parvenus à la sainteté. Ils ont donné leur vie pour le Christ et en même temps pour leurs frères. Ils ont vaincu la peur et le mal.

Vous savez par exemple comment le Père Maximilien Kolbe a oeuvré pour la réconciliation du monde, dans toute sa vie et dans sa mort.

Et le temps actuel de Noël nous fait regarder plus encore vers Marie, la mère très sainte de Jésus. Elle a porté au monde la réconciliation dans la personne de son Fils. Elle s’est laissée insérer dans le dessein de Dieu, avec le maximum de disponibilité. Elle est le prototype de l’humanité réconciliée. Avec elle, formez partout, dans le monde, des maisons de Nazareth!

Avant que je n’invoque sur chacun de vous, sur vos familles, sur vos rassemblements, la protection et l’aide de la Très-Sainte Trinité, en vous donnant ma Bénédiction, chantons avec Marie la gloire de Dieu, qui fit pour elle et par elle des merveilles, qui, en un certain sens, veut faire par vous des merveilles! Amen! Alléluia!











Discours 1982 - Jeudi, 16 décembre 1982