Discours 1982 - à 1’ « Augustinianum », 8 mai


À UN GROUPE DE DIPLOMATES

Lundi, 10 mai 1982




Mesdames,
Messieurs,

1. Vous revenez donc de la belle cité de Florence, où la “Fondazione di Ricerche e Studi internazionali” a eu l’heureuse initiative d’organiser pour vous le deuxième Cours de Spécialisation dans les affaires internationales. Soyez maintenant les bienvenus dans cette Maison, où chacun doit trouver compréhension et accueil, vu la mission universelle du Saint-Siège!

En remerciant votre porte-parole des nobles sentiments exprimés, je désire vous dire en quelques mots à la fois mes voeux cordiaux pour chacun de vos pays d’Afrique, d’Amérique latine ou du Proche-Orient, mon estime pour la délicate fonction diplomatique à laquelle vous vous exercez et mes encouragements chaleureux à contribuer par elle au service de la paix.

2. Je présume que votre stage vous a aidés à aborder les problèmes internationaux avec une lucidité accrue, et une grande objectivité. Le recul est nécessaire au diplomate qui doit savoir dénouer les situations que la passion ou les intérêts partisans ont pu tendre, compliquer ou même rendre pratiquement insolubles.

Avec cette compétence, vous servirez d’autant mieux vos pays, dont l’honneur, le progrès et la liberté vous tiennent justement à coeur. Je souhaite que vous conceviez toujours votre rôle non comme une carrière personnelle, mais comme un service de vos compatriotes, et que vous soyez animés par le seul souci de leur bien commun. Et j’espère aussi que vous aurez à coeur de vous préoccuper des conditions de justice et de paix des autres pays, car votre regard doit embrasser toute la scène internationale, où nul conflit ne peut vous laisser indifférents.

3. Soyez donc, comme vous le dites si bien, des “agents de paix”, précisément selon les voies qui caractérisent la diplomatie: le dialogue, l’écoute, la capacité de comprendre les points de vue et les intérêts des parties adverses, la négociation, bref les moyens raisonnables et dignes de l’homme, qui devraient toujours être possibles, au lieu de recourir à la volonté de s’imposer par la force en faisant fi des victimes et des destructions, et finalement du droit. Les jours que nous vivons nous font soupirer après une telle sagesse! La discussion est affaire de persuasion, et non de menaces.

4. Mais la persuasion elle-même doit tenir compte du droit et des principes moraux, et j’espère que, sur ce point aussi, vous vous êtes familiarisés avec le droit international. La politique ne saurait s’en affranchir sans grands dommages. Il y a le droit écrit, celui des conventions internationales. Il y a aussi - et c’est le propre des consciences bien formées de le percevoir - tout ce que comporte le respect des libertés et des droits fondamentaux des personnes et des peuples, la fin ne justifiant jamais les moyens contraires à ce respect. Puissiez-vous contribuer de toutes vos forces à l’établissement d’un ordre international plus équitable, en ayant le courage de porter le témoignage de vos convictions éthiques partout où vous serez envoyés en mission!

5. Enfin, il ne s’agit pas seulement de régler les différends et d’éviter des guerres. A une époque où tant d’êtres humains - y compris dans certains de vos pays - manquent tragiquement du minimum permettant une vie décente, il faut tout faire pour que les hommes concentrent leurs efforts sur le développement des ressources alimentaires de l’instruction, de l’hygiène, plutôt que sur les dépenses de guerre. Voilà le noble combat qu’il faut faire prévaloir. J’espère que vous en serez vous-mêmes les défenseurs et les artisans.

6. De tels principes inspirent aussi les diplomates du Saint-Siège, avec lesquels vous aurez sans doute l’occasion de vous trouver en poste. Je vous souhaite d’entretenir avec eux de fructueuses relations. Que le Seigneur bénisse vos personnes, vos familles, vos pays! Et qu’il vous aide à accomplir avec sagesse et courage votre tâche particulière dans les affaires internationales, de manière à ce que vaille aussi pour vous le souhait de l’Evangile: “Bienheureux, les artisans de paix!”.





PÈLERINAGE APOSTOLIQUE AU PORTUGAL





Discours aux laïcs, Lisbonne, mercredi 12 mai 1982


Le 12 mai, le Pape qui avait quitté Rome après l'audience hebdomadaire du mercredi, est arrivé à 13 h 23 à Lisbonne où il a été accueilli par le président de la République, le général Eanes, le cardinal Ribeiro et de nombreuses personnalités civiles et religieuses. Après l'échange des discours de bienvenue, il s'est rendu à la cathédrale où il est arrivé à 14 h 45. Voici le discours qu'il a adressé aux laïcs (1) :

(1) Texte portugais dans l'Osservatore Romano du 14 mai. Traduction, titres et sous-titres de la DC.



Loué soit Jésus-Christ !

Merci beaucoup, frères et soeurs, de l'amitié et de la joie de cette rencontre ici, au coeur de Lisbonne, ville ancienne et distinguée, chargée d'histoire et pleine de vie.

Je remercie S. Em. Monsieur le cardinal-patriarche, Dom Antonio Ribeiro ! Avec des paroles aimables, il a voulu me saluer et interpréter les sentiments non seulement de ceux qui sont présents, de l'Église de ce patriarcat de Lisbonne — ici représenté de manière si éminente — mais de tous ceux qui désiraient prendre part à cette rencontre avec le Pape, la première au niveau étroitement ecclésial dans l'illustre « Casa Lusitana ». C'est un moment de joie et de gratitude disait Votre Éminence. Je désire de tout coeur qu'il soit aussi un moment de bonheur et de plénitude pour nous tous qui sommes certains que le Seigneur est avec nous, nous qui sommes réunis « en son nom » (Mt 18,20).

1. Je viens vers vous poussé par l'amour du Christ pour une visite qui est, par sa nature, pastorale. Je viens surtout en pèlerinage à Fatima pour y célébrer dans l'adoration et la gratitude, « les miséricordes du Seigneur » avec Marie, la servante du Seigneur. Tous les lieux et toutes les rencontres, sans aucun doute, très agréables, ont aussi un caractère d'étape dans ce pèlerinage qui est le mien en remerciement à la Vierge et, avec elle et par elle, en remerciement au Tout-Puissant qui « a fait pour moi de grandes choses » (cf. Lc 1,49).

En me préparant à cette grande rencontre dans cette belle cathédrale ancienne, je pensais à vous et je priais pour vous avec une grande affection. En m'informant sur cette ville, je tentais de m'imaginer les protagonistes du passé et du présent, dans ce décor où, peu à peu, s'est affirmé le Royaume du Christ, bien rappelé par l'imposante statue qui domine maintenant la ville, dans un geste non pas de pouvoir mais d'offrande : pour le Christ, régner c'est servir et aimer.

2. Dans ma louange à Dieu pour l'oeuvre d'évangélisation accomplie ici ou commencée ici, je pensais à la solidité des racines séculaires des catholiques du Portugal dont les ancêtres, en accomplissant la mission historique et religieuse inscrite dans l'histoire universelle — qui sans ces protagonistes auraient peut-être été au moins différente —, ont transmis un héritage riche de gloire et de responsabilité : gloire à laquelle je rends un hommage d'admiration en ce moment ; et responsabilité que, par sa dimension ecclésiale, je veux ici mettre en relief. Qu'il me soit permis d'adresser ces réflexions au laïcat catholique en particulier. Voyez, frères et soeurs qui êtes ici et qui représentez ce laïcat, je ne doute pas que vous soyez conscients de ce passé et que, à sa lumière, vous vous sentiez honorés de vivre le présent, engagés dans la construction de l'avenir chaque jour davantage selon le dessein de Dieu Créateur, Rédempteur et Seigneur de l'histoire. Dans cette certitude qui s'unit à celle du pouvoir du Maître et Seigneur de l'Église qui est toujours « le principe stable et le centre permanent de la mission que Dieu lui- même a confiée à tout homme, Jésus-Christ » (Encyclique Redemptor hominis, RH 11), se trouve la grande espérance avec laquelle je vois le laïcat catholique de votre pays. L'Église de Dieu tout entière et, principalement, celle qui vit, prie, lutte et espère sur toute « la terre bénie de sainte Marie », comptent sur vous qui êtes disposés à collaborer avec le Christ qui n'est pas venu pour être servi mais pour servir (cf. Mt 20,28), par fidélité au Père et par fidélité à l'homme.

La vocation du laïcat

3. Vous avez fait un choix : le Christ dans l'Église. Choix fait une fois pour toutes par l'acceptation du don inestimable du baptême, devenu conscient au jour de la première communion, ratifié par le sacrement de la confirmation et vivifié ensuite par toute la vie sacramentelle dont « le centre et le sommet sont toujours l'eucharistie » (Constitution dogmatique Lumen gentium, LG 11).

Et quelles sont votre vocation, votre responsabilité et votre mission de laïcs ? Vous le savez bien, le laïcat est intégré dans le Peuple de Dieu qui chemine en ce monde vers la patrie céleste. Vous avez été conquis et sanctifiés par le Christ qui vous a rachetés à grand prix. Ce ne fut pas par de l'or et de l'argent mais par son sang précieux (cf 1P 1,18). Et vous avez été appelés à la sainteté en ayant pour modèle le Christ lui-même dans son don intégral au Père et à ses frères : « Comme celui qui vous a appelés à la sainteté, ainsi vous êtes saints dans toutes vos actions. » (1P 1,15) Mais considérez que la sainteté, plus qu'une conquête, est un don qui vous est accordé : l'amour de Dieu a été répandu dans vos coeurs par l'Esprit-Saint qui vous a été donné (cf Rm 5,5).

Dès l'origine, les chrétiens se reconnaissaient comme ceux qui avaient reçu de grandes faveurs de la part du Seigneur. Ils se réunissaient en assemblée pour rendre grâces en célébrant le don par excellence, l'Eucharistie. Cette réunion est si importante que, peu à peu, les chrétiens étaient appelés comme elle : ils sont eux-mêmes l'Église.

Et comme symbole, ils ont également donné au lieu de la réunion le nom d'Église. Vous avez été appelés par Dieu à la vie de communauté, à la vie d'Église. Et de nouveau, il s'agit d'une grâce : c'est le Seigneur qui vous a réunis en Église, qui vous a fait Église, unis à tout le corps ecclésial répandu dans le monde entier. Le don de Dieu qui vous a été donné constitue le signe qui vous a été donné par lui. Ainsi, être, chrétiens, ce n'est pas, avant tout, assumer une infinité d'engagements et d'obligations mais se laisser aimer par Dieu comme le Christ lui-même qui est l'aimé et qui se sent l'aimé du Père, comme il l'atteste par toute sa vie et comme il le dit expressément : « Le Père m'aime » (Jn 10 Jn 17).

Notre profession de foi commence par ces paroles : « Je crois en Dieu le Père. » Dans ces paroles se résume toute l'attitude chrétienne : se laisser aimer par Dieu comme Père. Chacun de nous est aimé par Dieu et connu par son propre nom comme fils. Voilà pourquoi il est toujours possible d'aller vers lui dans la confiance. C'est le Christ, comme « frère » plus âgé, qui nous l'a enseigné.

La présence au monde

4. Aimés par Dieu donc, vous demanderez certainement : « Que nous faut-il faire, en qualité de laïcs ? » Le chrétien ne peut jamais se limiter à une attitude purement passive, à recevoir seulement. À chacun, il a été donné un « don » différent en accord avec l'effusion de l'Esprit, mais pour le bien commun.

De là, de la nature même de baptisés, découle l'exigence de l'apostolat dans l'Église qui est sacrement constitué par le Christ pour arriver à tous les hommes, et c'est pour cela qu'elle est continuellement vivifiée par l'Esprit-Saint.

Votre mission de laïcs est donc fondamentalement la sanctification du monde à travers votre sanctification personnelle ; elle consiste dans la restauration du monde. Le Concile Vatican II, qui s'est tant occupé des laïcs et de leur rôle dans l'Église, fait bien ressortir leur caractère séculier. Le chrétien, qui vit dans le monde, est responsable de l'édification chrétienne de l'ordre temporel, dans ses différents secteurs : dans la politique, la culture, les arts, l'industrie, le commerce, l'agriculture.

L'Église doit être présente dans tous les secteurs de l'activité humaine et rien de ce qui est humain ne peut lui demeurer étranger. C'est vous principalement, chers laïcs, qui devez la rendre présente. Si l'on accusait l'Église d'être absente d'un secteur quelconque ou de ne pas se préoccuper d'un problème humain, cela équivaudrait à regretter l'absence de laïcs éclairés ou de l'inaction de chrétiens dans ce secteur déterminé de la vie humaine. C'est pourquoi, je vous adresse un appel chaleureux : ne permettez pas que l'Église demeure absente d'un milieu de la vie de votre chère nation. Tout doit être imprégné du ferment de l'Évangile du Christ et illuminé par sa lumière. C'est votre tâche de le faire !

Les mouvements d'Action catholique

5. À l'apostolat laïc individuel, fait d'activités personnelles et, surtout, du témoignage chrétien, doivent se joindre les formes associées d'apostolat où les laïcs s'unissent pour réaliser ensemble certains objectifs. Au lieu de s'exclure, les deux formes se complètent. Aucune forme associée d'apostolat n'est efficace sans le témoignage personnel de ceux qui la composent. D'autre part, devant les exigences modernes, qui dépassent de loin les capacités individuelles, il est exigé un effort d'union pour porter le message évangélique au coeur de la civilisation.

Il existe de nombreux mouvements et de nombreuses formes d'organisation de l'apostolat des laïcs. Tous sont importants et utiles s'ils sont imprégnés d'un véritable esprit de service ecclésial et chrétien. Chacun a ses objectifs, avec ses méthodes propres dans son secteur et dans son milieu. Mais il est indispensable d'avoir conscience de la complémentarité et d'établir des liens d'estime entre eux de sorte que le dialogue établisse une certaine union des efforts et également une collaboration réelle. Nous appartenons à une même Église. Nous devons nous stimuler les uns les autres pour le bien. Nous devons tous travailler ensemble pour la même cause. Le Christ est un. Même si les ministères et les activités sont multiples, tous concourent à la même fin : que le Christ soit annoncé, que les hommes rencontrent le salut, que le bien commun soit assuré et, enfin que Dieu soit glorifié en tout.

Le témoignage de l'amour

6. La vie généreuse et le témoignage courageux de votre idendité, nous le savons, dépasse les simples classifications sociologiques. Ils exigent quelque chose de profondément personnel qui s'insère dans la communauté « ontologique » des disciples du Christ, dans la « vie » qu'est le Christ lui- même, pour former une « seule chose » avec lui et avec nos frères, et pour faire l'union des forces et des intentions pour que fructifient l'humain et le divin de la vie à partager et de l'activité à développer.

Déjà se laissent entrevoir, comme des impératifs auxquels on ne peut pas se soustraire, le développement de la foi et de la vie divine, la fréquence des sacrements et le devoir de la prière constante ; la nécessité, plus que le simple bien, de la fidélité à la chaire de Pierre, de la communion profonde avec la hiérarchie, d'être bien inséré dans les perspectives de l'Église locale, en adhésion avec vos évêques et en harmonie avec les commissions épiscopales nationales, en union avec le clergé et avec les religieux ; l'exigence d'associations réellement organisées et modelées par l'amour : « En ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : que vous vous aimiez les uns, les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 13,34 s.)

Le dialogue, la présence et l'insertion dans le monde dont s'est tant occupé le récent Concile, peut effrayer ou séduire. Mais vous, frères et soeurs, sachez que le Seigneur pensait aussi au jour que nous vivons quand, avec amour, il recommandait : « Que vos coeurs ne se troublent pas ! » (Jn 14,27). S'adressant à son Père, toujours dans le même contexte, il a prié pour chacun de nous avec ces paroles : « Père, sanctifie- les dans la vérité ; ta parole est vérité. » (Jn 17,17)

Fidèles à la vérité, frères et soeurs, continuons à participer au festin du Christ, en servant, comme Lui, le Seigneur et

Maître, a fait et enseigné. Voilà le chemin : chrétiens dans la chaleur de l'intimité personnelle ; chrétiens à l'intérieur du foyer, comme époux, parents et enfants de la famille, dans « l'Église domestique » ; chrétiens dans la vie publique, comme homme et femme en situation, chrétiens dans la vie de communauté, dans le travail, dans les rencontres professionnelles et dans les rencontres d'entreprise, en groupe, dans les syndicats, dans les loisirs, dans le temps libre, etc. ; chrétiens dans la société, que ce soit ceux qui occupent des charges élevées ou que ce soit ceux qui rendent d'humbles services ; chrétiens dans le partage du sort des moins favorisés ; chrétiens dans la participation sociale et politique, enfin, chrétiens toujours dans la présence et la glorification de Dieu, Seigneur de la vie et de l'histoire.

Ainsi, avec le coeur plein de confiance et d'amour, je désire, frères et soeurs, que « tout ce qui est convenable, tout ce qui est juste et tout ce qui est pur soit l'objet de vos pensées que le Dieu de la paix soit avec vous ! » (Ph 4,8 s.).

En retournant chez vous, portez la bénédiction du Pape à vos familles.

Courage ! Avec affection et dans le Christ je vous donne ma bénédiction apostolique.







RENCONTRE AVEC LE CORPS DIPLOMATIQUE

Lisbonne, Mercredi 12 mai 1982

Après s'être adressé aux laïcs à la cathédrale de Lisbonne, le Pape s'est rendu à l'église Saint Antoine où il a rencontré la communauté franciscaine et le maire de la ville. À 16 h 30, il a rendu visite au président de la République puis il a rejoint la nonciature pour une rencontre avec les membres du gouvernement et les partis politiques.


Excellences, Mesdames, Messieurs,

1. Je suis venu dans ce cher pays du Portugal d’abord pour un pèlerinage à Notre-Dame de Fatima, et en même temps pour une visite pastorale aux fils de ce pays qui partagent presque à l’unanimité la foi catholique, et pour une rencontre avec leurs gouvernants qui ont eu, eux aussi, l’amabilité de m’inviter et de m’accueillir cordialement. J’ai désiré m’arrêter au moins dans quelques grandes cités, et entrer en dialogue avec les différents milieux. Mais je tenais en outre à réserver un moment aux diplomates étrangers accrédités par leurs Gouvernements auprès du Portugal, ayant une vive conscience de l’importance de votre mission pour la paix, la sécurité et les rapports fraternels entre les peuples.

Je suis heureux de saluer, à travers vos personnes, chacun des pays que vous représentez; j’ai eu la joie d’en visiter déjà un certain nombre, grâce à l’aimable invitation des Autorités civiles et des épiscopats locaux, et je garde la mémoire de l’accueil sympathique de vos compatriotes. Par ailleurs, beaucoup d’entre vous ont des collègues de leur pays qui assurent une présence diplomatique auprès du Saint-Siège. Il m’est toujours agréable et fructueux de les rencontrer et de leur confier les préoccupations de l’Eglise catholique concernant notamment la paix internationale. Je me permets de vous en entretenir vous aussi.

2. Je constate tout d’abord que vous êtes en mission dans un pays qui offre à votre regard et à votre coeur des aspects très attachants et susceptibles d’enrichir votre expérience. Le Portugal enracine son histoire dans une vieille civilisation, qui s’est épanouie dans la mouvance des pays latins et donc imprégnée de valeurs chrétiennes. Mais elle s’est également ouverte vers les horizons les plus lointains et les plus variés des autres continents. La nation lusitanienne a ainsi marqué de son empreinte de vastes régions d’Amérique du Sud, d’Afrique et même d’Asie. Si désormais elle souligne spécialement son insertion européenne, en liaison toujours plus étroite avec les pays de ce continent dont elle partage l’unité spirituelle et la vie économique, sa culture et sa langue, largement répandues, demeurent une clef pour bien comprendre l’histoire et beaucoup de traits actuels de ces grands peuples qui, au-delà des mers, ont désormais pris en main leur destin. Je pense également aux pays plus proches qui accueillent aujourd’hui tant de travailleurs portugais émigrés. Je souhaite donc que le temps de votre mission à Lisbonne vous familiarise, non seulement avec les réalités politiques, sociales et economiques de ces pays, mais aussi avec toutes les richesses culturelles issues de ce peuple dynamique. Puisse votre sympathie s’élargir aussi à tous ceux qui ont bénéficié dans le monde de la culture portugaise!

3. Vous-mêmes, au nom de vos Gouvernements, vous représentez auprès du Portugal vos propres patries, avec leurs divers intérêts. La voie diplomatique qui est votre lot suppose un profond esprit d’observation et d’écoute, et l’art de négocier pour promouvoir la compréhension, l’entente et la collaboration par des moyens raisonnables. C’est donc leur pays que les diplomates sont appelés à servir, mais aussi - et je le souhaite de tout coeur - le bien de tous les peuples, c’est-à-dire les conditions qui garantissent à tous la sécurité et le progrès. Car chaque pays en est responsable pour sa part, pour la bonne raison que les éléments de la vie pacifique internationale sont de moins en moins dissociables. Cela suppose un certain nombre de convinctions dont j’ai souvent parlé devant les diplomates ou les responsables de la communauté internationale, et que je me permets d’évoquer aujourd’hui devant vous.

4. Il y a d’abord l’accès normal des peuples à l’indépendance politique, qui donne à leurs représentants la possibilité de conduire librement les affaires de leur propre nation, dans l’intérêt et avec la co-responsabilité de l’ensemble de leurs compatriotes. Encore faudrait-il que cette liberté soit authentique et qu’il n’y ait pas d’ingérence des autres nations, même par le biais d’idéologies étrangères au pays. Tout pouvoir politique en effet n’a de sens et de justification que dans la poursuite du bien commun de tous. Et il trouve sa limite dans l’acceptation des conventions internationales et dans le respect des droits fondamentaux des personnes, que nul ne saurait violer et qui sont garantis par la conscience humaine et, pour les croyants, par l’Auteur de la conscience, le Créateur des hommes.

La diplomatie s’attache plus spécialement aux différends qui surgissent entre les peuples. Ils peuvent en effet dégénérer en conflits locaux, toujours si regrettables pour la perte de vies humaines, pour les absurdes destructions et pour les sentiments d’inimitié qu’ils attisent parfois durablement entre les nations. Ils pourraient même entraîner des guerres plus étendues, avec des risques d’anéantissement difficilement calculables. De tels différends ont généralement des fondements sérieux, mais ils prennent une telle ampleur parce qu’ils sont souvent exacerbés par les passions, des passions qui compliquent la situation et ne permettent pas de voir objectivement la réalité. C’est précisément là que le rôle des diplomates est capital pour aborder plus sereinement les problèmes et leur trouver des solutions raisonnables, sans négliger la justice et sans léser la légitime fierté nationale.

Par ailleurs, la paix sera bien difficile à maintenir tant que s’agrandit le fossé séparant les peuples nantis de ceux qui parfois n’ont même pas le minimum vital. C’est votre honneur et votre devoir d’experts d’être les premiers à saisir l’importance de tels enjeux - je pense par exemple aux rapports Nord-Sud - et de contribuer à le faire comprendre autour de vous.

5. Le cadre de ce bref entretien ne me permet pas de prolonger l’évocation de tant de problèmes graves qui se posent dans le domaine de la justice, de la paix, du développement. Mais je tiens à souligner au moins la situation difficile et pénible de ceux qui sont déracinés de leur pays.

Le Portugal, pour sa part, a dû et a su accueillir un nombre très élevé de citoyens portugais qui avaient laissé les territoires d’outremer à l’époque de l’indépendance de ceux-ci, et l’on imagine facilement la situation précaire de ces gens et la charge énorme que cela représentait pour ce pays qui déployait tant d’efforts pour les intégrer et leur offrir un nouveau cadre de vie.

En maints endroits du monde, il est une situation plus difficile, et je dirais tragique, celle des hommes, des femmes, des enfants qui n’ont plus de patrie. Je veux parler des réfugiés qui, du fait de leurs opinions politiques, de leurs sentiments religieux, de leur ethnie différente ou simplement à la suite du bouleversement des guerres ou des révolutions, sont soumis à de telles craintes, à de telles pressions ou difficultés de vie, à de tels manques de liberté ou même à de telles menaces qu’ils sont pratiquement contraints à l’exil loin de leur propre patrie, devant s’enfuir parfois au risque de leur vie, ou rester parqués dans des camps, dans l’attente d’une éventuelle patrie d’adoption, où de toute façon ils reprendront un autre genre de vie sans aucun moyen. C’est une des plaies terribles dont souffre notre monde actuel, comme si les hommes n’étaient plus capables de réserver une place viable à leurs semblables. C’est une situation qui doit tenir à coeur à tous ceux qui ont des responsabilités dans les affaires internationales. Comme je l’avais fait devant le Corps diplomatique réuni à Nairobi, le 6 mai 1980, et en d’autres circonstances, je réitère mon appel aux Autorités de chaque nation pour qu’elles s’honorent en permettant à tous leurs concitoyens de vivre chez eux dans une juste liberté sans les contraindre à l’exil, tandis que j’encourage vivement les pays d’accueil et la communauté internationale à procurer aux réfugiés actuels une vie vraiment humaine.

Excellences, Mesdames, Messieurs, c’est précisément à préparer des voies toujours plus humaines que vous êtes invités à travailler, selon la noble mission qui est la vôtre. Je prie Dieu de vous donner sa lumière et sa force pour y contribuer le mieux possible, et je lui demande de bénir vos personnes, vos familles et vos pays. A tous et à chacun, je redis mes voeux cordiaux et je vous remercie d’avoir bien voulu participer à cette rencontre.




Discours aux évêques, Jeudi 13 mai 1982

Jeudi, le Pape est ensuite parti en hélicoptère pour Fatima où il est arrivé à 19 h 20 et il a été accueilli par l'évêque de Leina à la chapelle où est conservée l'image de la Vierge. La première journée s'est terminée par une procession aux flambeaux qui s'est prolongée jusqu'à 23 heures (1). Le lendemain, 13 mai, après une rencontre de vingt minutes environ avec soeur Lucie, la seule survivante de l'apparition du 13 mai 1917, le Pape a participé à une réunion avec les évêques de la conférence épiscopale portugaise à qui il a adressé le discours suivant (2) .

(1) C'est vers la fin de la cérémonie qu'a été arrêté un jeune prêtre intégriste, d'origine espagnole, Juan Fernandez Krohn, qui a avoué avoir eu l'intention d'agresser le Pape. Fernandez Krohn avait été ordonné prêtre par Mgr Marcel Lefebvre en 1978, à Ecône. Il dit avoir rompu avec Mgr Lefebvre, il y a deux ans, parce qu'il refusait l'autorité du Pape. D'ailleurs, la communauté intégriste de Mgr Lefebvre a condamné « sévèrement » son geste. Il était devenu alors ce qu'il est convenu d'appeler « sede vacantiste », attitude de ceux qui estiment que le Siège apostolique est vacant depuis la mort de Pie XII.

(2) Texte portugais dans l'Osservatore Romano du 14 mai. Traduction. titre, sous-titres et notes de la DC.


VÉNÉRABLES ET CHERS FRÈRES DANS L'ÉPISCOPAT,

1. Ici, à Fatima, dans le cadre où votre conférence épisco- pale a coutume de tenir ses réunions habituelles le successeur de Pierre a aujourd'hui la chance et la joie de vous rencontrer et de se réunir avec vous. Cette circonstance, en elle-même secondaire, revêt cependant une signification. Le fait d'être ici, physiquement au milieu de vous, rend concret en moi le sentiment que j'ai été ici spirituellement et que, dorénavant, je serai toujours ici, dans ce lieu où vous vous réunissez collégialement .

Pour moi, je veux profiter de ce moment d'intimité fraternelle, au cours du programme de mon pèlerinage à Fatima et de ma visite pastorale au Portugal, pour réfléchir avec vous sur quelques aspects de votre mission, comme pasteurs de votre peuple, et sur la conférence épiscopale. Comme vous le savez bien, le Concile Vatican II a souligné l'importance des Conférences épiscopales comme élément de communion et expression de l'affection collégiale de l'épiscopat en lui-même, en dépendance et en union avec le successeur de Pierre.

C'est dans cette union affective que je vous salue aujourd'hui ici, frères bien-aimés, par le baiser de paix : je salue le président, Dom Manuel de Almeida Trinidade, et chacun de vous, évêques qui formez la Conférence épisco- pale portugaise.

La présence vivante et ressentie de Notre-Dame dans ce sanctuaire contribue à donner à notre rencontre une image expressive de cette « salle haute » où, disent les Actes des apôtres, les onze « étaient assidus à la prière avec Marie, Mère de Jésus » (Cf. Ac Ac 1,14) et où Pierre et les autres apôtres se trouvaient probablement avec la Vierge, le matin de la Pentecôte.

Que le moment bref mais dense que nous vivons ici « avec Marie » soit pour nous et pour l'Église qui est au Portugal un temps de vraie Pentecôte.

Que dans ce but l'Esprit du Père et du Fils nous assiste de sa lumière et de sa force.

La réalité historique du Portugal

2. Pour autant qu'il m'est possible de connaître la réalité humaine de votre pays à partir du contact avec certains d'entre vous et avec vos fidèles à Rome, j'ai été impressionné par quelques aspects, liés surtout au moment historique que le Portugal est en train de vivre.

Il s'agit certainement d'un moment de transition. Et, comme dans tous les moments de transition, quand celle-ci est rapide et profonde, et qu'elle prend les caractéristiques d'une véritable transformation culturelle, se présentent — parfois alter-nativement, d'autres fois confusément — l'enthousiasme et l'anxiété, l'audace et la peur, l'ouverture à un avenir que l'on affronte avec optimisme et la nécessité de réaffirmer, sinon de récupérer, les valeurs solides du passé. Et il n'est pas rare que ces valeurs soient sacrifiées aux moments d'euphorie.

Ce Madrilène, né le 21 juillet 1949, exerçait son activité ecclésiastique dans une chapelle Saint-François-de-la-Salle, rue Bras-de-Fer, à Rouen, et résidait au prieuré intégriste Saint-Jean, à Mantes-la-Jolie (Yvelines).

Cette tentative d'attentat est la troisième perpétrée contre la personne de Jean-Paul II depuis le début de son pontificat. La première avait eu lieu à Karachi (Pakistan) le 16 février 1981 et la seconde sur la place Saint-Pierre le 13 mai 1981. (La Croix, 15 mai.)



J'admire dans ce Portugal, désireux d'être une nation moderne, insérée dans l'Europe contemporaine, l'intéressante coexistence de caractéristiques traditionnelles avec les racines dans une histoire très ancienne et très riche de traditions, avec d'autres caractéristiques qui dépendent de l'ouverture à l'avenir.

Pour ce qui est de la problématique pastorale, inévitablement influencée par ce qui arrive au plan humain et civil, je ne suis pas surpris de voir dans le Portugal d'aujourd'hui une convivence considérable marquée par un profond sentiment religieux dont les foules que je vois à Fatima sont à peine un aspect, mais qui se manifeste encore davantage dans la vie des paroisses de certaines régions du pays et, d'autre part, un indéniable signe de ce que, pour être bref, j'appellerais la sécularisation : agnosticisme dans les milieux intellectuels universitaires et dans une grande partie de la jeunesse ; une certaine conception de vie ou un certain humanisme sans Dieu, de graves problèmes dans le domaine familial, surtout pour ce que l'on pense de l'indissolubilité du mariage ; relâchement de la conscience morale et un laisser-aller des moeurs qui en découle ; une recherche du bien-être à n'importe quel prix, etc.

À cause de ce qui existe de spirituel ou de religieux, d'éthique et d'humain dans ces réalités, l'Église ne peut les ignorer. Elle possède des critères et des points de référence qui la conduisent à prendre position face aux nombreux problèmes concrets que produit cette conjoncture de transition ou, plus exactement, de transformation. Elle a intérêt à ne pas se laisser embrouiller par les contradictions et par les défis que présentent une telle conjoncture.

Au contraire, elle cherche à identifier ces défis pour pouvoir donner une réponse avant qu'ils ne deviennent insolubles.

L'évêque, pasteur de son Église

3. Sur ce point, les pasteurs de l'Église ont un rôle de première importance qui, en vertu du charisme épiscopal et d'un mandat de Dieu, leur appartient seul. Personne n'assumera ce rôle si eux ne l'assument pas.

Cette charge d'évêque est liée profondément au charisme de pasteur qui est l'un des principaux dons de la vocation épiscopale.

Si le temps n'était pas si court et le programme si chargé, j'accéderais au désir de descendre avec vous dans les profondeurs de ce charisme tel que le révèle saint Jean dans l'admirable 10e chapitre de son Évangile. Dans une parabole et dans l'explication qui suit, Jésus parle du pasteur à la lumière de sa condition de bon pasteur. Il y aurait beaucoup à dire sur le pasteur qui connaît ses brebis par leur nom, qui donne sa vie pour elles, qui les défend contre les voleurs ou contre le loup. Nous pourrions relire ensemble saint Augustin ou saint Grégoire le Grand dans quelques-unes de leurs plus belles pages sur le travail des pasteurs que le premier appelle « officium amoris » et le second, en se référant au soin des âmes, « ars artium ».

Je veux seulement souligner ici une fonction du pasteur : celle de guider le troupeau. Guider, c'est marcher en avant. Marcher en avant pour connaître le chemin, mesurer la profondeur des torrents, découvrir les dangers, donner l'allure. Marcher en avant pour stimuler et donner du courage pour montrer la route sûre et éviter les écarts. Dans les phases d'instabilité et de transformation, elle est indispensable et précieuse la fonction de ces guides et il est heureux le peuple qui la trouve dans ses évêques.

Si, par la grâce de l'Esprit-Saint et par les vertus et les dons cultivés dans l'effort et la prière et par une solide préparation les évêques d'un pays étaient capables de discerner, avec clarté, les signes des temps, beaucoup trouveraient parmi eux quelqu'un qui, au milieu des réalités ambiguës, parce que polyvalentes, ferait la critique des situations, des tendances, des courants de pensée et des idéologies et arrêterait ainsi la marche incertaine. Si, en outre, les guides sont des pères, ils sauront pousser à suivre de nouveaux chemins, même s'ils sont difficiles, en abandonnant les attraits des sentiers plus faciles mais presque toujours trompeurs.

L'Église, spécialement cette partie qui se trouve au Portugal, et celui sur qui pèse l'honneur du souverain pontificat, savent que vous, évêques portugais, êtes conscients de votre mission de pasteurs et de guides. Continuez à la mettre en pratique sans hésitation, surtout lorsqu'il s'agit de montrer la voie sûre dans l'enchevêtrement des chemins possibles.

À ce sujet, je répète que l'Église ne s'arroge le droit d'imposer sa doctrine à quiconque. Mais elle a le droit et le devoir de la proposer avec humilité et avec amour. En paraphrasant Paul VI dans Evangelii nuntiandi, je peux dire que si nous, évêques, nous proposons avec clarté la voie de l'Église, celui qui mépriserait cette proposition peut se tromper, mais notre conscience ne nous reprocherait rien. Si, au contraire, par lassitude ou crainte, respect humain ou incertitude par rapport à nos propres convictions, nous omettions ce que nous savons être la vérité, celui qui, pour cette raison demeure dans l'ignorance de l'Évangile du Christ, ne se trompe peut- être pas, mais nous, nous ne serions pas sans faute.

L'évêque, éducateur de la foi

4. À ce niveau précis, le charisme de pasteur et de guide se trouve profondément uni à celui d'éducateur de la foi. Guider une personne ou une collectivité, orienter un processus de transformation c'est pour un évêque, éduquer à la foi.

Plus j'observe la foi de votre peuple, surtout celle des gens simples, plus je l'admire, en raison des racines anciennes que cette foi met dans l'âme des gens. Par sa spontanéité et sa sincérité, par les gestes concrets qu'elle suscite et par les attitudes qu'elle provoque dans la relation avec Dieu et avec son Fils Jésus, avec sa souffrance et avec sa mort, avec les autres personnes et avec les événements, avec le monde présent et à venir. Je vois, d'autre part, cette foi exposée aux dangers et même, comme l'a écrit Paul VI dans Evangelii nuntiandi, assiégée par de nombreuses forces corrosives, menacée dans son intégrité et même dans sa survie. Et cela parce que, en raison de certaines circonstances historiques que nous ne pouvons pas analyser ici, cette foi n'est pas toujours aussi solide que spontanée, ni aussi profonde que sincère.

Votre première tâche à l'égard de la foi de votre peuple, c'est de la reconnaître et de l'apprécier, d'en respecter les manifestations authentiques, de la défendre contre les ferments qui la mettent en péril, de la renforcer en la libérant d'éléments éventuels de croyance absurde et de superstition et en lui donnant un contenu plus doctrinal. En un mot, votre tâche est de l'éduquer à la lumière de la parole de Dieu et du magistère de l'Église, de la nourrir par une véritable catéchèse. En reconnaissant les efforts que vous avez faits et que vous faites pour la faire grandir, je vous exhorte à poursuivre le chemin, surtout pour ce qui est des initiatives concernant la formation chrétienne des jeunes et des adultes.

La foi des fils de cette nation qui, instruits dans les sciences, dans les techniques et dans les arts, auraient besoin d'avoir le niveau de foi correspondant à celui du savoir humain, n'est pas moins menacée. D'autant plus qu'à travers leur statut intellectuel, ils seront appelés à occuper des postes de responsabilité, d'influence et de décision dans la société civile.

Dans les deux cas, les exigences et les moyens pour approfondir la foi sont différents, mais le devoir des pasteurs est le même. Par l'effort que vous avez fait et que vous continuerez à faire, comme maîtres de foi, pour la faire advenir plus consciente et moins conditionnée chez vos fidèles, plus enracinée et moins intimiste, ce n'est pas seulement à eux que vous procurerez un bienfait, mais aussi à la société. Cela vaut spécialement pour ceux qui, dans les secteurs les plus divers, sont investis de responsabilités sociales. Que la pensée, par elle-même juste, que ce n'est pas de votre compétence, comme évêques, d'apporter des contributions techniques, d'ordre politique ou économique, pour la transformation sociale de votre pays, ne vous paralyse pas. Soyez certains qu'en exerçant votre magistère et en éduquant la foi des personnes et des communautés qui vous ont été confiées par Dieu, vous êtes en train de préparer des chrétiens qui, transformés intérieurement, transformeront le monde à travers des solutions techniques qu'il leur revient précisément d'offrir à la communauté.

Dans cette ligne de comportement, l'Église possède et fait connaître un humanisme fondé sur la vérité révélée, une vision du monde fondée sur l'Évangile, une échelle de valeurs éclairée par la foi. Ne craignez pas et n'hésitez pas à assumer tout cela, sûrs d'être en train de réaliser, comme maîtres de foi, un service à l'égard des hommes.

Au service de la communauté ecclésiale

5. Il est impossible de ne pas effleurer, à ce sujet, un autre aspect qui présente un intérêt particulier pour la mission épiscopale. Je veux parler de votre rôle de constructeur, de garant et de défenseur de la communauté ecclésiale.

Par des paroles claires et incisives, le divin maître, au moment suprême de l'adieu aux apôtres, a exprimé la valeur théologique et spirituelle de l'unité de l'Église. À son tour, l'histoire a montré de manière répétée que l'Église est porteuse d'un grand potentiel d'énergie et révèle une prodigieuse efficacité dans sa mission quand elle donne un témoignage d'unité et que, malheureusement, elle demeure paralysée quand lui manque ce témoignage. Le Concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique Lumen gentium, situe très heureusement cette dimension ecclésiale en définissant l'Église comme communion des fidèles avec Dieu et entre eux pour être, en conséquence, germes, principes et ferments de communion au sein de l'humanité

Votre mission d'évêques est d'être principe et signe de cette communion et d'en être les artisans patients et persévérants.

Tout d'abord, c'est évident, la communion des évêques entre eux et au sein de la Conférence épiscopale. Le service pastoral que vous exercez exige au niveau le plus profond, une solide communion entre vous. Les fondements de cette communion, qui est bien plus forte que ce qui pourrait vous diviser sont l'unique Seigneur qui vous a appelés, l'unique vérité que vous servez, l'unique salut en Jésus-Christ que vous annoncez et la charité fraternelle qui vous maintient dans l'unité. Que l'engagement à la collégialité et à la collaboration, dont vous avez donné le témoignage en de nombreuses occasions dans le passé, continue à être développé par l'étude commune et l'initiative locale particulière en vue d'un projet national, dans un esprit d'une communion vraie et responsable.

C'est parmi vos prêtres que se prolongera la construction de la communauté ecclésiale.

Les documents conciliaires ont apporté une nouvelle lumière sur l'ancienne réalité du collège presbytéral réuni autour de l'évêque dans le gouvernement pastoral de toute l'Église. En préconisant la création du Conseil presbytéral et en recommandant d'autres modes de collaboration, le Concile veut que l'on traduise en gestes et en actions concrètes l'harmonie entre l'évêque et ses fidèles, comme la liturgie et la théologie l'ont toujours exprimé avec des accents admirables.

Pour être affective et effective en même temps, cette communion doit être recherchée et cultivée tous les jours. Elle exige des efforts de part et d'autre et le dépassement de barrières et de résistances est fréquent. Le témoignage clair et visible de cette communion est porteur de stimulation pour la communion à d'autres niveaux.

En second lieu, je pense à la communion que, par l'intermédiaire de vos prêtres, vous devez construire entre vos fidèles.

Il y a de nombreux foyers de tensions qui rendent cette communauté fragile et instable : l'étiquette de « conservateur » et « progressiste», les options entre une vision de l'Église plus spirituelle et une autre plus engagée ou la préférence pour tel ou tel mouvement ecclésial. Il n'est pas rare que tout ceci, et bien plus encore, soit l'occasion de ruptures profondes dans la communauté ecclésiale. Sans parler de la tentation, toujours vive, de créer ou, du moins, de laisser se créer, dans l'Église, des oppositions et des rivalités de classes qui explosent de manière funeste dans la société.

C'est le devoir des évêques, en union avec leur presbyte- rium, non seulement de ne pas aggraver les ferments de division, mais de renforcer les liens d'unité. La constitution de la communion ecclésiale ne consiste pas — comme vous le savez bien — dans la méconnaissance ou la minimisation des conflits et des germes de séparation. Elle consiste dans le fait de relever et de faire prévaloir avec cette crédibilité les forces de communion, de créer et de mettre en action les ferments d'unité pour que les choses qui unissent soient ensuite bien plus importantes que celles qui divisent.

À ce point, les efforts faits par un évêque pour constituer l'unité seront compensés par le témoignage lumineux de cette unité.

Les vocations et la catéchèse

6. Je ne veux pas terminer ces considérations sans vous faire part d'une espérance, étant certain que cette espérance correspond à vos désirs et que notre rencontre vous stimulera pour intensifier les efforts dans les domaines que je vais maintenant rappeler.

Le premier domaine est celui des vocations pour le ministère presbytéral et la vie consacrée.

L'Église s'est habituée à recevoir de votre pays de nombreux prêtres, religieux ou religieuses, disponibles pour le service ecclésial, aussi bien dans votre patrie que dans l'activité missionnaire dans d'autres pays.

Il serait absurde de penser que Dieu n'appelle plus au Portugal, comme dans les autres pays, de jeunes chrétiens, capables et généreux, au ministère sacerdotal ou à la vie religieuse. Il importe et il est urgent de savoir appeler ces jeunes en leur proposant un idéal exigeant mais clair, une identité bien définie, un champ d'action capable de leur montrer le don pour toute la vie. Les évêques, plus que quiconque, doivent assumer la tâche de faire arriver le plus grand nombre possible de jeunes chrétiens au festin du Christ ; après cette tâche, qui n'est pas des moindres, de leur proposer un cadre de formation, un appui à leur idéal et une telle perspective d'engagement de vie qu'ils se laisseront fasciner.

Continuez à prêter le maximum d'attention à la catéchèse. C'est seulement elle, si elle est bien orientée, dans la méthode et dans les contenus, qui pourra assurer à votre peuple la possibilité de croître dans la foi.

Vous avez parmi les évêques portugais du passé ancien et récent des modèles de pasteurs qui ont été attentifs à la nécessité de la catéchèse et qui se sont consacrés à la promouvoir chez leurs fidèles, avec un sens d'opportunité, d'extrême attention pour ce qui est des vérités à transmettre et de la sensibilité pastorale à la recherche du langage adapté aux personnes à catéchiser. Comme symbole, j'évoque la figure admirable du vénérable F. Bartolomeu dos Martires, le grand archevêque de Braga, protagoniste au Concile de Trente, riche en vertus et en zèle apostolique.

La famille

7. Je partage enfin avec vous ma préoccupation pastorale à l'égard de la famille et de ses valeurs authentiques.

J'ai conscience de me trouver dans un pays qui a toujours considéré l'institution familiale et ses valeurs authentiques comme les piliers de sa civilisation. On sait qu'au centre de la culture que le Portugal a diffusée au-delà de ses frontières et lors de la découverte de nouveaux mondes, se sont toujours trouvés l'amour et le respect de ces valeurs.

Comme j'ai eu l'occasion de le noter dans l'Exhortation apostolique Familiaris consortio, ces valeurs ne perdent pas de leur actualité : c'est par elles que passe le chemin pour un humanisme plein et chrétien ; et le fait de cultiver insuffisamment ces valeurs est certainement une des racines de la grave crise morale qui nous inquiète tous.

La transformation dont j'ai parlé au début et qui caractérise l'étape historique actuelle du Portugal, touche directement la famille. Elle l'appelle comme interlocutrice pour reconnaître et reconfirmer ses vraies valeurs et se dépouiller des fausses valeurs qui, par malheur, se sont infiltrées en elle. Elle la touche aussi en frappant dans ce qui lui est essentiel : la communion interpersonnelle, l'amour comme don de soi, comme aide mutuelle, comme pardon et comme autodépassement, l'unité, l'éternité, la fidélité et la fécondité de cet amour, l'intimité et la générosité du foyer, le respect lié à l'estime et à l'affection dans l'éducation des enfants, etc.

Je veux vous inviter à toujours donner une place importante à la famille dans vos préoccupations de pasteurs et de guides. Continuez à examiner ensemble quelle est la situation réelle de la famille dans les différentes classes sociales de ce pays : les grandes valeurs qui y existent, les maux qui la frappent et les aides qu'elle demande. Avec la vaste coopération de différentes instances compétentes, ecclésiales ou extra-ecclésiales, élaborez un plan à long terme, non seulement pour la défense et la sauvegarde, mais aussi et surtout pour la promotion positive de la famille. J'ai inclu dans cette pastorale familiale tous les secteurs, depuis l'éducation à l'amour jusqu'à l'aide à donner aux familles secouées par des crises plus ou moins graves et profondes.

Vous savez qu'en stimulant tout ce que vous avez réalisé sur ce point, vous offrirez, par votre mission spécifique, un service considérable à l'Église qui a ses cellules vives dans les familles. Indirectement, dans ce domaine, même la société portugaise en bénéficiera.


VÉNÉRABLES ET BIEN-AIMÉS FRÈRES,

Je remercie Dieu, qui est toujours riche en grâces, de m'avoir offert cette rencontre avec vous. Il n'est pas besoin de vous répéter que, dans la vie et les activités du Pape, les moments qu'il passe avec ses frères évêques, en traitant avec eux les questions essentielles de la vie et de l'action de l'Église, dans une ligne de coresponsabilité collégiale vécue, sont les plus denses. Il ne peut pas oublier qu'en le définissant comme principe visible d'union, Lumen gentium ajoute qu'il l'est, avant tout, pour les évêques.

C'est pourquoi, après avoir remercié Dieu, je veux vous remercier également d'avoir voulu cette réunion. À chacun de vous et à l'Église locale représentée par chacun de vous, à son presbytérium, à ses religieux et religieuses, à ses familles et aux personnes qui les composent, va le salut de mon coeur et, de tout coeur, je vous bénis dans le Seigneur. Je demande à Dieu qu'il veille sur vous, sur vos préoccupations pastorales, sur vos succès et sur vos travaux. Qu'il vous assiste dans votre travail et qu'il vous bénisse toujours.

Et que de ces hauteurs de Fatima, Notre-Dame vous protège de ses yeux maternels pour tout ce que, dans ce pays, vous consacrez à la construction du royaume de son Fils.






Discours 1982 - à 1’ « Augustinianum », 8 mai